Propagande postcoloniale contre propoagande coloniale ? « Fragments du jeu académique postcolonial » par Vincent Chambarlhac

L’ACHAC/BDM, fausse ou vraie sirène postcoloniale ?

Le moteur d’une subversion postcoloniale.

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La sirène ACHAC/BDM

« Fragments du jeu académique postcolonial (à propos d’un collectif, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine, ACHAC)

Vincent Chambarlhac – CAIRN INFO

            « Pour emblématique qu’il soit, le débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 vaut palimpseste, effaçant parce que le réécrivant le texte des polémiques intellectuelles qui contribuèrent à la structuration de la controverse coloniale. Partant, il ne s’agit pas pour autant de restituer un sens caché à ce débat (1), mais plutôt d’évoquer à grands traits un faisceau de pratiques universitaires, éditorialistes et militantes qui concourent à cette structuration dont le nœud gordien serait le lien tissé entre le passé colonial et le présent républicain. Soit l’irruption  des postcolonial studies dans le champ académique. Si l’essentiel de mon propos vise à restituer à une part des acteurs de ce débat leur rôle singulier, le politique dans sa version parlementaire et partidaire demeure en hors-champ de l’analyse. Dans la genèse intellectuelle du débat, ces jeux d’acteurs se saisissent à mes yeux dans l’horizon du postcolonialisme comme enjeu conceptuel simultanément universitaire et militant, à l’orée des années 1990 dans le monde anglo-saxon (2), aujourd’hui en France. Embrasser l’ensemble du champ français du postcolonialisme outrepasse évidemment le cadre de cet article : il se restreint à la part active prise dans le développement de ce champ par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et plus largement le collectif qu’est l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (ACHAC) dans son lien avec l’histoire contemporaine. Dans l’historiographie française, leurs publications, et les stratégies qui les animent, constituent à mes yeux une part des débats en cours sur le postcolonial.

            L’hypothèse d’un transfert culturel ouvre l’analyse : elle n’est pas inédite, reprend un argument souvent brandi dans les débats. Cette hypothèse débouche sur la saisie de deux logiques complémentaires. L’une se situe aux confins des pratiques universitaires et médiatiques ; elle désigne autant un projet qu’une manière de se situer dans le champ de l’histoire universitaire. La seconde désigne l’appropriation politique de la problématique postcoloniale dans l’espace public, et postule que celle-ci participe de l’inscription du postcolonial dans le jeu académique. Toutes deux signalent des lieux et des passeurs par quoi et par qui les débats adviennent, se structurent et s’arriment au champ historique dans la récurrence des polémiques.

L’HYPOTHÈSE D’UN TRANSFERT CULTUREL

        «Sur le fond, ce qui se joue dans ce débat sur le fait colonial tient à ce que l’histoire de ce passé fait aux universaux républicains. Cette position travaille finalement peu le monde colonial : seule importe la métropole. Lié au présentisme des enjeux mémoriels, ce questionnement de la République à partir du fait colonial convoque les apports des postcolonial studies anglo-saxonnes. Ce mouvement, qui commence à partir du débat des années 1990, se déploie à partir de la culture comme objet. Significativement, l’une des premières manifestations de cette irruption des problématiques des postcolonial et cultural studies dans l’historiographie française est la longue recension que Christophe Prochasson donne de l’ouvrage d’Hermann Lebovics pour les Annales HSS (3) ce livre est finalement traduit chez Belin en 1995. Pour Christophe Prochasson, « le retour à une histoire politique passe par la publication » de tels ouvrages (4). C’est dans la conjoncture du renouvellement de l’histoire politique par l’histoire culturelle que se déploient l’appel aux travaux anglo-saxons et, dans le cas présent, la question du postcolonialisme. La situation peut se lire dans la problématique de l’appel au profane : en recourant aux travaux anglo-saxons, une partie des historiens français se distingue dans la reconfiguration en cours du champ historiographique par l’histoire culturelle (5)…

        On peut ainsi risquer l’hypothèse, à propos de la question coloniale, d’un transfert culturel paradoxal… L’irruption des thématiques propres au postcolonial studies bouscule en partie l’histoire du fait colonial naguère pratiquée à partir de l’histoire politique et de l’histoire sociale. Déplaçant sur le sol métropolitain la prise en compte du fait colonial, elle fragilise l’équilibre des découpages jusque-là dominants où l’histoire coloniale occupait un secteur historiographique marginal.(6) Cet appel au profane présuppose l’hybridation des synthèses prévalant, multiplie les controverses possibles puisqu’elle postule dans la trame du national (réduite spatialement au métropolitain) la part du colonial, soit l’argument emblématique des racines coloniales de la république au sens de l’histoire politique.(7)…

          Ici, le rôle de l’ACHAC et des publications qui lui sont liées paraît déterminant. Son action se déploie à la charnière de ces deux logiques. L’une est militante et universitaire ; éditoriale la seconde se marque davantage à partir de 2003 des  signes propres au spectaculaire. Cumulées, ces logiques concourent simultanément à la légitimation universitaire d’une part des travaux d’un collectif au titre du postcolonialisme, et à l’évidence prescriptive de ces thématiques dans l’espace public. Dans son rapport à la société, l’historien parait ici thaumaturge puisque légitimant scientifiquement les nécessités d’une politique de la reconnaissance ; dans son rapport l’historiographie, l’historien paraît là challenger. La possibilité des polémiques et l’impossibilité des controverses naissent de ce positionnement singulier. » (11)    

         Commentaire :   

         Ce quime frappe dans cette analyse fort intéressante du type de problématique historique ou mémorielle rencontrée,  de la nature d’historicité racontée, c’est en arrière-plan, la question d’une historicité légitimée par sa scientificité, et dans le cas présent sa représentativité, sa validation dans une histoire quantitative dans le contexte historique métropolitain de la période coloniale, dénombrement des vecteurs et de leurs effets, mesure de la mémoire « coloniale » post-indépendance,  et d’un transfert supposé entre populations.

        Transfert culturel ou politique, pourquoi pas, mais comment en effet tirer une conclusion, une prescription, à partir du moment où les historiens, les sociologues, les anthropologues, les politologues, et ici les sémiologues, « bâtissent » une histoire ou une mémoire, en fondant   interprétation, mais pis, « prescription », sans évaluation scientifique des sources de validation ?

       Car, tel est bien le cas du discours pseudo-historique tenu par ce collectif.

        Les lecteurs de ce blog qui ont eu la curiosité de lire mes analyses des œuvres d’Edward Said, ont constaté que je posais la question de base du « quantitatif », à savoir si les « structures d’influence » supposées avaient été effectivement mesurées. Indiquons en passant que les travaux d’Edward Said se situent à un autre niveau d’exigence intellectuelle que ceux de ce collectif.

        L’auteur poursuit :

       « Une trajectoire historiographique

        L’ACHAC participe depuis 1989 d’une manière souvent déterminante à la promotion du concept de culture coloniale. La structure de l’association articule le monde de la recherche (Bancel, Blanchard et alii), des écrivains (Daeninck), des cinéastes et des artistes militants, et reproduit en partie la morphologie anglo-saxonne des postcolonial-studies. Son action repose sur des supports variés : l’exposition, le livre, l’article, le documentaire vidéo, la radio…  A l’ACHAC, on peut adjoindre, au moins pour son savoir-faire l’agence les Bâtisseurs de mémoire créée par Pascal Blanchard qui considère l’histoire comme un vecteur de communication au service des entreprises. Les travaux de l’ACHAC ont graduellement balisé l’irruption des thématiques postcoloniales. Ils se déportent progressivement de l’Afrique à la métropole, interpellant alors la République par le biais de la question coloniale. »

         Commentaire :                  

       Le texte ci-dessus est intéressant parce qu’il pose  plusieurs problèmes : – sur le qui fait quoi entre l’associatif, ou le public, et le privé, c’est-à-dire sur le mélange des genres, d’autant plus que Pascal Blanchard était répertorié dans un laboratoire du CNRS de Marseille ?

  • Sur le sens à donner à la dernière phrase sur le déport progressif de l’Afrique à la métropole… par le biais de la question coloniale »   

      A proprement parler, le déport n’a pas été fait de l’Afrique à la métropole, mais de la métropole à la métropole, à partir d’un corpus de représentations coloniales diffusées en métropole, des représentations qui n’avaient pas été manipulées par le Colloque savant de janvier 1993, comme le fit l’ACHAC.

        L’auteur découpe trois étapes :

       « Trois étapes marquent ce processus

        Dans une première phase, les travaux de l’ACHAC procèdent de la mission fondatrice de l’association, organisant autour de la bibliothèque de documentation internationale (BDIC) et de ses fonds des expositions sur l’Afrique coloniale. Le choix d’une entrée par la culture coloniale implique l’étude des représentations métropolitaines sur le fait colonial. Le catalogue d’exposition prend ainsi comme cible la propagande coloniale, mais aussi dans le sillage d’Edward Said, le regard des Occidentaux sur l’Orient, et ce jusqu’en 1962. L’empire colonial français fut également en 1997, l’objet d’une exposition.

       A partir de ce capital, une inflexion décisive se dessine avec la publication d’un ouvrage collectif consacré aux zoos humains. Ici, la traduction spatiale s’achève. La métropole seule importe comme cadre géographique des représentations coloniales, et la séquence chronologique embrassée par le titre (De la Vénus hottentote aux reality shows) signifie la pertinence d’une grille de lecture postcoloniale. Ce travail sur les zoos humains fut préparé par la publication d’un ouvrage portant sur la continuité de l’indigène à l’immigré. Les travaux d’Abdelmalek Sayad innervent cette problématique. L’essentiel de cette translation tient à sa dimension anthropologique où les représentations du corps, ses usages, deviennent le lieu déterminant de l’analyse. La problématique se noue à la discrimination positive, où le corps vaut marqueur social ; elle établit également un pont avec la question de l’esclavage. Au cours de cette seconde étape, l’approche s’institutionnalise scientifiquement par la création du groupe de recherche GDR CNRS 2332 « Anthropologie des représentations du corps » créé en janvier 2001 dans lequel entre l’Agence des Bâtisseurs de mémoire, représentée par Pascal Blanchard et Eric Deroo. Au cours de cette seconde étape, les problématiques employées se resserrent, à partir du concept de culture coloniale, sur la question du rapport à la métropole en termes de représentations. Les objections de Claude Liauzu à ces travaux désignent cette réduction du fait colonial au seul registre des représentations métropolitaines. A ce stade également, l’argument de la culture coloniale s’entend dans la configuration plus ample du succès d’une histoire des représentations dans le champ historique où Sylvain Venayre décèle la fin de la soumission du monde mental au social. Le propos de Claude Liauzu procède en partie du refus de cette fin, comme d’une historiographie aux paradigmes érigés avant le tournant culturaliste.

        La troisième étape voit la systématisation de cette entrée sur le fait colonial maintenant placé au cœur du récit national républicain. L’argument d’une République coloniale publié sous forme  d’essai prolonge la trilogie des Editions Autrement sur la culture coloniale. La publication en 2005 de l’ouvrage consacré à la culture coloniale clôt momentanément cette étape. Avec ce dernier opus, la grille postcoloniale se donne comme une clé d’explication possible de la question sociale contemporaine…Cinq ans plus tard, le volume Ruptures coloniales. Les nouveaux visages de la sociétéfrançaise  procède du même mouvement…

            Cette relecture de l’histoire politique au miroir du colonial emprunte nombre de ses arguments au questionnement des colonial studies anglo-saxonnes comme en  témoignent les entrées de Ruptures postcoloniales. Les racines intellectuelles d’un collectif s’affirment face à la polémique dans le champ scientifique ouverte par l’irruption de ce postcolonialisme académique.

      Ainsi ramassée, cette trajectoire historiographique nouée autour des publications de Nicolas Bancel et de Pascal Blanchard montre comment ceux-ci peuvent apparaître comme des passeurs dans le cadre d’un transfert culturel des problématiques postcoloniales. Peu à peu autour de leurs publications, s’ébauche un système éditorial qui construit progressivement leur position dans le champ universitaire à partir d’une critique sans cesse plus resserrée des représentations républicaines. En ce sens, leurs travaux s’apparentent à l’émergence d’une nouvelle génération de  chercheurs légitimant ces nouveaux champs de recherche par l’appel aux cultural studies. Les controverses universitaires suscitées par ces travaux construisent également par leur médiatisation, la réputation de ces chercheurs. Cette stratégie part des marges de l’institution universitaire (l’ACHAC, l’agence les Bâtisseurs de mémoire), elle trouve des points d’appui dans le monde universitaire anglo-saxon et se nourrit de chantiers proches tel celui de l’esclavage pour proposer in fine une autre écriture du récit républicain. Ce système éditorial ne set pas seulement cette position historiographique. La stratégie qui anime son progressif développement structure pour  partie la réception des problématiques postcoloniales dans l’espace public, ouvrant ainsi intellectuellement la voie à une appropriation large de ces travaux, questionnant le rôle social de l’historien dans la CitéLes enjeux politiques de l’histoire coloniale (de Mme Coquery-Vidrovitch , sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard ne cessent ainsi de scander dans l’espace public la question du postcolonialisme depuis 2005. Nécessairement celle-ci n’est donc pas uniquement académique, accolant ainsi systématiquement à la figure du chercheur celle du militant. L’assomption des propositions historiographiques de l’ACHAC tient à ce moment politique où la colonisation est convoquée dans l’espace public.

             Commentaire :

             Comparé à ces historiens entrepreneurs d’un nouveau genre, et pour les initiés, l’historien Lavisse était un ange !

        Il faut dire les choses, et pas à demi-mot, face à beaucoup de ces chercheurs qui ignorent beaucoup de choses, sur l’histoire coloniale et postcoloniale, mis à part le cas de l’Algérie, grâce, entre autres, au zèle médiatique et mémoriel de Benjamin Stora, animateur du modèle de propagande des Raisins Verts, que j’ai qualifié ainsi dans une de mes chroniques, l’agit prop d’un nouveau Trotskisme, faute de l’autre !

        Est-ce qu’ils ne sont pas définitivement fâchés avec les chiffres, ceux de l’histoire quantitative ? Ont-ils eu la curiosité, comme je l’ai fait, de tenter de mesurer l’activité des vecteurs d’une culture coloniale supposée, ainsi que de leurs effets qui n’a jamais existé ?

        Histoire, mémoire ou plutôt politique, car ce collectif fait semblant d’ignorer l’importance des flux d’immigration régulière et irrégulière qui sont venus dans notre pays depuis près de trente années, dont une majorité d’entre eux ignoraient presque tout de leur histoire coloniale.

         Il faut donc dire que ce collectif surfe depuis le début sur un créneau politique nouveau, un nouveau « marché », comme les analyses sérieuses l’ont démontré, en pratiquant un mélange des genres entre associatif, public et privé, surprenant et choquant pour tout connaisseur des affaires publiques.

       Le nom de baptême que l’auteur a décerné à Mme Coquery-Vidrovitch m’est allé droit au cœur : « sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard », car il s’agit bien d’une « sorte de guerre » masquée, qui ne dit pas son nom, mais qui sait y faire dans la marchandisation de l’histoire, à supposer quand même qu’il s’agisse bien d’histoire.

      Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? Vincent Chambarlhac – fin

 « Un dispositif éditorial militant

        A rebours de cette trajectoire de ce collectif une stratégie éditoriale s’esquisse. A sa racine, il y a sans doute la crise de l’édition en  sciences humaines. Parce qu’elle suppose la mise en concurrence des auteurs et des éditeurs, cette crise réclame un savoir-faire spécifique dans le mode d’apparition de travaux qui concourent à la réputation d’un auteur. Il s’agit là de solliciter la polémique plus que la controverse scientifique. La première permet d’asseoir une réputation scientifique dans l’espace médiatique et par contrecoup, de construire une espace dans le dispositif institutionnel de la recherche (fondations, musées, chargés de recherche…) Le dispositif médiatique déployé joue sur deux registres noués par la figure du refoulé de la mémoire coloniale. Il reprend le « modèle » heuristique vichyssois, l’appliquant au postcolonialisme. Il s’agit de réaliser la « paxtonisation » du champ de l’historiographie du fait colonial en France selon Nicolas Bancel et Pascal Blanchard. L’expression saisit la stratégie poursuivie et souligne un mode d’apparition dans l’espace public. Ce « modèle vichyssois » s’exprime en grande partie dans de courts articles au Monde diplomatique. Ici, l’écriture collective, se charge d’une évidence militante. L’essentiel est d’avancer l’argument quasi pathologique d’une amnésie, du refoulé d’une mémoire coloniale : le spectacle des zoos humains était ainsi routinier naguère, occulté aujourd’hui. D’un syndrome l’autre, l’emprunt au lexique d’Henri Rousso est patent. Ces prises de position, qui sont le fait de chercheurs, s’entendent dans l’espace public, comme un rapport singulier à l’histoire, construit sous les auspices du devoir de mémoire : animée par une écriture militante, la plume universitaire assoit la démonstration dans une revue de vulgarisation scientifique. L’essentiel du dispositif éditorial tient à cette circulation incessante entre les pôles militant et heuristique.

        La société française doit donc entrevoir et se questionner au prisme del’héritage colonial. Amorcée dès 1997, cette logique culmine avec la fracture coloniale qui outrepasse l’essai d’histoire immédiate, posant les membres du collectif en praticiens et/ou experts des pathologies sociales. L’ouvrage devient en 2010, sous la plume de Marie-Claude Smouts, le catalyseur des études postcoloniales sur la scène française : le collectif fournit ainsi une première réponse à une demande issue du mouvement des indigènes de la République comme des débats autour de l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 1995. Les émeutes de novembre 2005 renchérissent médiatiquement l’hypothèse d’une pertinence de la grille postcoloniale comme lecture du social. Un effet de seuil a été franchi. Dans ce franchissement, l’évidence d’une situation postcoloniale s’est imposée. La logique du palimpseste, inhérente à l’intrication des enjeux dans la polémique sur la question coloniale, recouvre alors la part de la structuration intellectuelle du débat…

         En son moment politique, la trajectoire de l’ACHAC consacre l’irruption médiatique du postcolonialisme dans le champ scientifique. Un « tournant postcolonial » serait là à l’œuvre dans l’ouvrage Ruptures postcoloniales entend sonder les contours, tout en gardant à « l’esprit l’illégitimité universitaire de l’histoire postcoloniale » en 2010. Puisque l’engagement du collectif peut se « concilier avec des approches plus distanciées d’une construction de l’objet respectant une certaine façon de se rapporter aux événements, aux autres et à soi-même », la capacité de ces historiens à diagnostiquer les pathologies sociales certifie leur scientificité. Dans cette configuration tautologique, l’historien du postcolonialisme est scientifique car intrinsèquement militant. La boucle est bouclée, la reconnaissance scientifique procède de la capacité militante à distancier son engagement pour construire un objet, posé ensuite comme central dans le réagencement du champ académique. L’illégitimité universitaire du postcolonialisme procède d’un combat d’arrière- garde. Coda, donc ?

        Commentaire :

       J’ai souligné plusieurs phrases qui me paraissent importantes dans cette analyse de grande qualité, par ce qu’elle devrait interroger le monde universitaire sur la scientificité de « ses productions ».

       A plusieurs reprises, j’ai posé la question, au départ, de la scientificité des thèses, alors que les débats éventuels des jurys et leurs votes restent secrets, et que le ou les rapports  de lecture le sont aussi.

      J’ai buté sur cette difficulté surprenante lorsque j’ai voulu obtenir ce type d’information sur les deux thèses de doctorat de Pascal Blanchard et d’Elise Huillery.

       « Tautologique » sûrement, étant donné que ce collectif renvoie ses auteurs les uns vers les autres, en boucle, sans avoir validé ou fait valider les sources – les représentations- qu’ils ont manipulées dans un but médiatique et idéologique.

            « Diagnostiquer les pathologies sociales » dans leur qualité de médecins de Molière du siècle, incontestablement, comme je l’ai souligné au début de ma conclusion du livre « Supercherie coloniale », en y ajoutant un zeste de psychanalyse avec l’invocation du refoulé, de l’inconscient collectif (voir Cocquery-Vidrovitch), du ça colonial ou postcolonial.

     « S’inscrire en challenger

       Ce dispositif éditorial se singularise par sa dynamique réflexive entre des pôles discursifs, schématiquement, qualifiée de militant (Le Monde diplomatique, les pages « Débats » du Monde, les interventions radiophoniques de Daniel Mermet…) d’heuristique (des revues de haut niveau de vulgarisation comme les Cahiers français, Hommes et migrations…) et les thématiques développées dans l’espace public par les politiques de mémoire et les luttes pour la reconnaissance. C’est dans cette réflexivité que se saisit  la part du jeu à l’œuvre, par quoi des challengers tentent de s’inscrire dans le champ scientifique, certes au prix de frottements. Lire cette stratégie en termes d’inscriptions académiques implique à nouveau la périodisation ; des figures et des rhétoriques s’enchâssent qui représentent autant de modalités d’être académiquement à ce « concept circulant » selon la formule de l’introduction de Ruptures postcoloniales qu’est le postcolonialisme.

       Née du combat pour les droits civiques aux Etats-Unis, la discrimination positive permit le développement de la Public history. La naissance, puis le développement de l’agence des Bâtisseurs de mémoire, comme celui de l’ACHAC, procèdent sans doute de ce lien. La charge critique de Camille Trabendi pour Agone sur Pascal Blanchard, free lance researcher, s’entend dans cette configuration. La polémique qui s’ensuit sur le blog d’Agone porte comme titre le néologisme de «  Postcolonial business ; l’article indique qu’il y avait dans « l’interprétation économique et sociale du malaise des classes populaires » comme un « marché à conquérir » pour Pascal Blanchard. Articulée sur la trajectoire de l’ACHAC en son moment politique, la charge déconstruit la posture d’l’historien ; elle dit peu sur l’inscription de ce Postcolonial business dans le champ académique, sinon par l’appartenance au laboratoire GDR 2322 du CNRS lu comme « une amulette qui préserve des pairs malveillants ».

Larges extraits du texte de Vincent Chambarlhac avec quelques commentaires

Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? L’ACHAC/BDM

L’ACHAC/BDM, fausse ou vraie sirène postcoloniale ?

Le moteur d’une subversion postcoloniale.

            A l’occasion de mes recherches historiques sur la thèse pseudo-historique que défendait le collectif de l’Achac, sous la baguette du chef d’orchestre Pascal Blanchard, sur une « culture coloniale » dans laquelle la France métropolitaine aurait « baigné » sous la Troisième, puis Quatrième République, j’avais trouvé que le monde universitaire avait fait preuve d’une grande prudence, ou de discrétion sur le sujet, en ne proposant pas d’analyse entre le vrai et le faux de ce discours : à la lecture des extraits de trois sources de critique historique d’origine universitaire, le lecteur constatera qu’il n’en fut heureusement pas toujours ainsi, sans doute par ignorance de ma part..

            Sont cités :

           – un article de Laurence de Cock, sur « Le rôle de l’Achac »,

           – un article de Vincent Chambarlhac dans Cairn Info « Fragments du jeu académique postcolonial. (A propos d’un collectif, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine).

         – un article de Camille Trabendi (pseudonyme) dans la Revue Agone n°41/42- 2009 « Sur la fonction de deuxième ou de troisième couteau (de poche) » (p,165 à 194).

          Comme annoncé sur ce blog, le 4 avril 2018, il s’agit du troisième mouvement du chemin intellectuel de réflexion proposé.

&

Le rôle de l’Achac/BDM dans le fonctionnement et le développement du modèle de propagande Blanchard and Co

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Source : « La production officielle des différences culturelles » (automne 2017)

« L’Achac et la transmission du passé colonial : stratégies entrepreneuriales et culturalisation de la question immigrée dans la mémoire nationale » (p,105 à 121)

Par Laurence De Cock

ACHAC ou ACHAC/BDM ?

Le 23 janvier dernier, j’avais annoncé sur ce blog mon projet de publication de l’analyse de cette contribution, compte tenu de son intérêt pour comprendre ce que fut la création de cette association pseudo-mémorielle ou pseudo-historique, ce qu’elle est devenue, comment elle fonctionne : une nouvelle entreprise, un nouveau marché, une nouvelle forme de propagande postcoloniale.

            A cette occasion, le lecteur pourra se rendre compte, qu’avec l’ACHAC/BDM, l’histoire postcoloniale était alors entrée dans un monde de falsification et de manipulation, en partant d’une interprétation tendancieuse des sources d’images disponibles au Colloque savant « Images et Colonies » de janvier 1993, dans un but à la fois médiatique, commercial, et politique, puis dans le livre « Images et Colonies ».

            Beaucoup de lecteurs diront sans doute, et à juste titre, ça n’est pas la première fois dans l’histoire des histoires, en France ou ailleurs !

            Je rappellerai plus loin l’essentiel des critiques de fond que j’ai portées en 2008, dans le livre « Supercherie coloniale » sur la thèse idéologique qu’ils défendent et font prospérer.

            « … L’Achac a réussi à se bâtir une position d’incontournable pivot à la fois dans la détermination du diagnostic et de la prestation de services en direction de différentes institutions et collectivités territoriales… (p,105)

            La transmission de l’histoire coloniale est au cœur de sa démarche. Ce faisant, l’Achac nourrit la corrélation entre la connaissance du passé colonial et le traitement du « problème » de l’immigration dans la société. L’angle proposé par l’Achac relève d’une sorte de thérapie mémorielle et repose sur l’idée qu’une meilleure transmission du passé colonial apaiserait la société en retraçant l’origine du racisme et en contribuant à une politique de la reconnaissance des populations héritières de l’immigration coloniale et postcoloniale. Leur propos est fondé sur le postulat de la mise en place d’une « culture coloniale » uniquement définie par le prisme des représentations des colonisés par les colonisateurs qu’ils  appréhendent par l’inventaire et l’analyse des sources de propagande dont se dégage une multitude de stéréotypes coloniaux…

            En ce sens, la stratégie de l’Achac participe d’une culturalisation de la question immigrée avec ceci de particulier que, par sa configuration, les acteurs qui y sont impliqués, ainsi que les actions mises en place, elle ajoute une dimension entrepreneuriale tendant à faire du passé colonial un véritable marché. C’est cet aspect que nous nous proposons d’interroger ici en retraçant la trajectoire de l’un de ses fondateurs, Pascal Blanchard, aujourd’hui responsable de l’Achac, ainsi que la stratégie de l’association, s’apparentant à un marketing du passé pour lequel la catégorisation culturelle constitue un argument-clé. Ainsi, la démarche de l’Achac introduit une nouvelle coordonnée dans les usages sociaux du passé et de la mémoire qui jusque-là privilégiaient les circuits associatifs, familiaux ou politiques sans que n’intervienne de façon si ostensible la question de la rentabilité. « (p,105,106)

Commentaire :j’ai souligné les quelques mots qui suffiraient déjà à caractériser cette entreprise bâtie sur une mémoire ou une histoire tronquée et fictive, animée par un business mémoriel de nature  idéologique.

          Fictive parce qu’elle n’est pas fondée sur le passé colonial, pas plus que sur une mémoire coloniale jamais mesurée, fictive étant donné la carence qui a affecté le dénombrement des vecteurs d’une culture coloniale qui aurait pu exister dans la population française et de ses effets dans leur contexte historique.

          Au Colloque savant « Images et Colonies » de 1993, il ne s’agissait pas du passé colonial de la France, mais d’une collection d’images des mondes coloniaux, c’est-à-dire d’une certaine image métropolitaine de ces mondes coloniaux.

          Ajoutons pour l’instant qu’à ce Colloque, la sémiologie fut étrangement aux abonnés absents !

            Les extraits ci-dessus suffiraient déjà à circonscrire les enjeux historiques des « entreprises » de l’Achac, mais pourquoi ne pas aller plus loin dans cette analyse fort instructive ?

&

« A l’origine de l’Achac, un entrepreneur bâtisseur : Pascal Blanchard » (p,106)

            Le 15 janvier 2010, l’auteure a eu un entretien de 2 heures 30 avec l’entrepreneur bâtisseur, « Pascal Blanchard est un bâtisseur, du moins c’est ainsi qu’il se présente ».

            « Pascal Blanchard fait des études d’histoire à la Sorbonne où il se lance dans une thèse (que j’ai consultée) sous la direction de l’historien africaniste Jean Devisse. Il y rencontre plusieurs étudiants également inscrits avec ce directeur de thèse, dont Nicolas Bancel. Jean Devisse prévient ses doctorants qu’ils auront à batailler dur pour se faire accepter dans un champ académique peu ouvert aux recherches sur la colonisation. La thèse de Pascal Blanchard étudie les mutations du colonialisme dans le discours de la droite nationaliste des années 1930 au régime de Vichy en analysant la presse de l’époque. (centrée sur celle du Sud Est, avec un sondage énigmatique).Entre temps, lui et ses amis étudiants fondent une association en parallèle du travail conventionnel des séminaires et laboratoires de recherche :

            « Voilà c’était un raisonnement qu’était très simple, c’est-à-dire soit on continue à pleurer comme font tous les africanistes le cul posé sur leurs chaises en disant « personne nous lit, personne ne s’intéresse à nos travaux, soit on fait l’inverse : comment on peut amener les gens à nos travaux » (p,107)

            …c’est l’imaginaire avec ce passé colonial qui dominait et qui faisait blocage… La narration de la genèse de l’association et de ses premiers travaux épouse une rhétorique de management : « Il fallait travailler l’opinion », nous indique-t-il. » (p,108)

            Une équipe se constitue avec Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire et Emmanuelle Collignon. Elles ne figuraient ni  l’une, ni l’autre pas dans la liste des participants au Colloque de 1993.

          «  Le travail de l’équipe s’effectue dans plusieurs lieux et selon plusieurs modalités qu’il convient de décrire pour comprendre les formes et l’ampleur de la conquête du marché. » (p,108)

Commentaire

           Accordons notre attention aux deux phrases qui paraissent bien poser les termes de la problématique postcoloniale proposée : « c’est l’imaginaire avec ce passé colonial qui dominait et faisait blocage… Il fallait travailler l’opinion…).

        Le collectif en question n’a jamais apporté aucune preuve du premier constat, et en a tiré la conclusion qu’il fallait aller sur le « marché » médiatique, auquel j’ajouterais les qualificatifs de politique et d’électoral, compte tenu des poussées d’immigration qui ont modifié notre démographie depuis une quarantaine d’années, et de leur incidence électorale.

         Je proposerais volontiers quelques sujets de thèse de doctorat d’histoire, de sociologie, de sémiologie, ou de statistiques, tels que : analyse du thème colonial dans la presse  métropolitaine pendant toute la période coloniale, une analyse statistique qui n’a jamais été effectuée – analyse sémiologique et statistique des images qui ont servi à bâtir la « source historique » du collectif –  état comparé des forces universitaires métropolitaines dédiées à l’histoire ou à la sociologie coloniale et des forces universitaires dédiées à l’histoire ou la sociologie de France ou d’Europe, avec les effectifs comparés des normaliens concernés par période et par discipline : une des questions que pose l’étude de Sophie Dulucq pour l’écriture de l’histoire coloniale.

Pourquoi ne pas constater à nouveau que les colonies n’intéressaient pas les Français, pas plus que le monde universitaire, et que le succès de ce collectif s’est nourri des épisodes migratoires que notre pays a connu ?

          Jean Pierre Renaud