Elections européennes 2019
1951 – 2018 ?
D’Eisenhower à Trump, l’Europe existe-t-elle ?
Très récemment, Trump, le Président volcanique, a reproché à l’Union Européenne, et à juste titre à mes yeux, son manque de volonté à assumer sa propre défense, s’en remettant comme dans un long passé aux bons soins du peuple américain : une sorte de protectorat qui ne dit pas son nom !
Dans le perspective des élections européennes, il est intéressant de rappeler les constats que l’ancien Président des Etats Unis Eisenhower effectuait lors de sa prise de fonctions à la tête de l’OTAN en 1951, et après qu’il fut élu à la Présidence, en 1952.
Rappelons qu’après avoir fait l’Ecole militaire de West Point, Eisenhower fit une longue carrière militaire qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, le conduisit à prendre le Commandement des deux débarquements alliés d’Italie et de France, en Normandie, dont les succès aboutirent, en 1945, à la défaite allemande.
Après sa retraite, de 1948 à 1951, il présida aux destinées de l’Université de Columbia, date à laquelle il fut rappelé en service pour exercer les responsabilités de Commandant en Chef de l’OTAN, l’alliance de défense occidentale qu’imposa la guerre froide, face à l’URSS.
En 1952, il fut sollicité pour être candidat à la Présidence et fut élu Président.
Rappelons qu’en juin 1950, la guerre de Corée avait éclaté, une nouvelle guerre qui changeait complètement la donne entre le monde communiste et l’Occident.
Les quelques extraits de textes rédigés par Eisenhower sont tirés du livre de Kervin McCann intitulé « Un Général sans képi » (Robert Laffont 1952).
En janvier 1951, il débarquait en Europe pour prendre un commandement suprême sans armée.
Il entreprit un long et très minutieux voyage d’inspection qui lui permit de constater que tout était à faire :
« Notre espoir, continua-t-il, repose toujours sur la construction d’un édifice pacifique, lui-même fondé sur la compréhension et la tolérance, seules bases solides de la paix. Nous en devons jamais désespérer de parvenir à bâtir cet édifice… De toutes nos forces, nous nous appliquons à ériger un mur de sécurité pour le monde libre, derrière lequel puissent vivre et se développer de libres institutions. Ce mur, nous devrons le maintenir en place, en attendant que l’impérialisme communiste meure des maux inhérents à sa nature. »
Après avoir passé en revue l’incapacité et la répugnance de l’Europe à lutter contre une guerre d’agression, il résuma sa position personnelle en trois points :
« A vous, peuple d’Amérique, je répète, comme je l’ai fait devant le Congrès et le Président, ma conviction que : primo, la sauvegarde d’une libre Amérique exige notre participation à la défense de l’Europe Occidentale. Secundo, la réussite est possible moyennant l’unité d’esprit et d’action, la tâche est réalisable. Tertio, si le transfert en Europe d’unités de notre armée est essentiel, notre contribution particulière la plus importante devrait être dans le domaine des munitions et de l’équipement… » (p,219)
Il écrivait à un ami : « … Vu sous l’angle purement militaire, la chute, par force ou subversion, aux mains des communistes, du formidable système industriel de l’Europe Occidentale, y compris la masse énorme d’ouvriers spécialisés, serait pour nous une effroyable catastrophe. Si le continent eurasien devenait un bloc compact de peuples et d’industries communiste, aucune mesure militaire de notre part ne pourrait plus protéger l’Afrique…(p,223).
L’effort matériel de l’Amérique, devrait à mon avis, être limité dans le temps ; je tiens pour une erreur de pouvoir prédire et fixer cette limite, pour l’instant, quant à son exact degré. Si j’ignore pour combien de temps encore les forces d’occupation devront rester en Allemagne, je dirais cependant ceci : si dans dix ans, toutes les troupes américaines stationnées en Europe ne sont pas rentrées dans leurs foyers, alors, c’est que le projet actuel a échoué…(p,225)
Eisenhower ne sous-estimait pas toutes les difficultés qu’il fallait surmonter pour arriver à un système de défense européenne commun, et en juin 1951, il déclara :
« C’est un lieu commun que, entre associés, chaque fois qu’il faut donner toute la mesure de sa force, l’unité est la première nécessité. Sans elle, les efforts perdent de leur puissance pratique, et finalement de leur caractère décisif. Ce fait est particulièrement vrai pour l’Europe. On ne saurait trop insister sur les bienfaits qu’apporterait, en ces années de crise et de tension, aux nations du Pacte Atlantique, l’existence d’une unité profonde entre elles.
Mais dans cette partie du monde, l’Histoire, les coutumes, la langue et les préjugés se liguent pour empêcher les peuples de se fondre. Le progrès en ce sens a été, et reste, entravé par tout un entrelacs de barrières douanières, compliquées d’accords bilatéraux, de cartels multilatéraux, de pénuries locales et de monstruosités économiques. Et c’est tragique ! Des hommes libres menacés par le spectre de l’esclavage politique, se débattent, paralysés par des chaines artificiellement forgées par eux-mêmes et qu’eux seuls pourraient faire tomber ! C’est là une tâche qui met au défi les efforts des hommes d’Etat les plus sages, des meilleurs économistes, des plus brillants diplomates… L’Europe ne pourra atteindre le sommet de sa puissance matérielle à laquelle elle aurait droit grâce aux talents et au courage de ses peuples, tant qu’elle restera démembrée par des frontières territoriales….
Son unité réalisée, poursuivit-il, l’Europe pourrait édifier une sécurité suffisante et, en même temps, continuer à pousser en avant ce progrès qui est la marque distinctive de la civilisation occidentale… Et cela signifierait très vite qu’elle ne dépendrait plus de l’aide américaine…(p,242) »
Entre 1951 et 2018, la situation de l’Europe occidentale a-t-elle véritablement changé par rapport aux Etats Unis ?
L’Europe s’est dotée d’une panoplie d’instruments politiques, financiers, et économiques, qui lui donnent de nouveaux moyens de puissance, mais elle n’a pas réussi encore à se doter d’un véritable gouvernement européen groupant les pays décidés à partager les mêmes ambitions, pour ne pas dire le même idéal.
Toutes choses étant égales par ailleurs, et à situations historiques différentes, les prédictions et souhaits d’Eisenhower n’ont pas encore été complètement réalisées presque 70 ans plus tard, notamment en ce qui concerne notre défense européenne.
Il faut toutefois rappeler que c’est grâce à des chefs d’Etat comme Eisenhower que la menace communiste a pu être non seulement contenue, mais s’est écroulée en 1989, alors que de belles âmes intellectuelles ou politiques communistes ou marxistes continuaient à se faire les thuriféraires du paradis de l’homme nouveau !
Jean Pierre Renaud