« Islamisation des cités : mythe ou réalité ?
Le récent rapport « Banlieue de la République » souligne l’influence croissante de l’islam dans les cités. Sa publication et ses répercussions médiatiques provoquent des réactions nombreuses et contradictoires »
Le Monde du 14 octobre 2011 : Décryptages Débats (pages 18 et 19) Réactions Tribalat, démographe, Leyla Arslam, coordinatrice de l’enquête, Mauger, sociologue, et Guilly, géographe
Constats ou discours ?
Avant-propos
Toujours curieux d’analyser l’évolution culturelle, religieuse, économique, et sociale de mon pays, je lis, j’écoute, je vois, et m’intéresse aux journaux et émissions télévisés.
Depuis quelques années, mon attention se porte particulièrement sur tout ce qui se rapporte aux problèmes d’immigration et des quartiers sensibles, et en ce qui concerne ce dossier, mon intérêt ne date pas d’aujourd’hui.
Or, je suis très frappé par l’à peu près à la fois des discours et des constats que beaucoup de spécialistes, anthropologues, ethnologues, sociologues, politologues, et même historiens…, veulent nous faire partager.
Sont joyeusement mélangés les résultats des recherches, quand il y a effectivement résultat, et les opinions personnelles, le plus souvent politiques.
Peut-être suis-je dans l’erreur, mais mon constat personnel est que beaucoup de chercheurs et de médias sont dans le déni des faits, de la réalité, de la vérité des chiffres.
Tel me semble être tout à fait le cas en matière d’immigration, de cohabitation religieuse ou culturelle !
Toujours plus de lettres que de chiffres, et d’opinions plus que de faits ?
Le contenu de ce rapport
Ce rapport a effectivement un contenu dérangeant, mais il a ouvert un débat salutaire sur la situation de la société française, la mesure et les effets des flux d’immigration, venus notamment d’Afrique, le difficile arbitrage entre le social et le culturel, et effectivement entre le culturel religieux et le culturel laïc.
Un débat d’autant plus utile que le citoyen a souvent eu le sentiment qu’il n’était pas « convenable » de l’ouvrir.
C’est ainsi que dans le journal le Monde du 23/03/10, une journaliste du Monde publiait une critique sommaire du livre « Les yeux grands fermés » de Mme Tribalat, démographe, sous le titre « Sociologie souverainiste » (Voir notre écho sur le blog du 7/04/10)
Ouvrons en effet tout grands nos yeux, et la République s’en portera beaucoup mieux !
Quid des constats et des discours ?
Le constat : Mme Tribalat note plusieurs caractéristiques du dossier qui méritent réflexion : 4 millions de musulmans en 2008, un chiffre qui, en tant que tel, ne pose pas problème, mais qui est affecté d’au moins deux facteurs importants : une dynamique démographique qui n’a rien à voir avec celle des autres religions traditionnelles de France, « une France en état de déchristianisation avancée », et la concentration de ses effectifs sur certains territoires, notamment dans nos quartiers sensibles.
Le discours : Le titre de cet article est très provocateur, « L’islam reste une menace. Les élites minimisent les dangers de son expansion », mais il convient à présent que le « beau » monde de l’Institut Montaigne, qui est à l’origine de l’enquête Kepel ne s’en tienne pas à cette enquête, et propose et mette en œuvre des solutions.
Le constat : une dernière remarque de Mme Tribalat, remarque que je partage :
« Si l’islam est encore une religion minoritaire, il a déjà changé nos vies dans un domaine vital à la démocratie, la liberté d’expression… »
Mme Leyla Arslam, coordinatrice de l’enquête Kepel, écrit :
Le discours : « La religion est un marqueur d’intégration », un titre qui, dans le débat ouvert, est en lui-même paradoxal, sinon, et tout autant, dérangeant.
Une hésitation à faire nôtre la phrase « L’intensification de l’identité musulmane doit ré-enchanter un quotidien perçu comme difficile, pour donner un sens à la « galère », mais une adhésion entière à sa conclusion, son constat :
Le constat : « Mais ce qui dérange réellement, c’est la situation des quartiers qui appelle à une réflexion collective. Car dans une France urbaine qui vieillit, laisser des quartiers de jeunes en situation d’exclusion et de ségrégation constitue un intolérable gaspillage pour l’ensemble du pays. »
Avec toutefois deux réserves :
Si la République décidait enfin d’exister véritablement dans ces quartiers, rien ne serait possible sans limiter au maximum les flux d’immigration de type humanitaire !
Et seule la nouvelle histoire de France en cours de construction pourra nous dire si l’islam de France est compatible avec nos institutions républicaines et la laïcité.
L’analyse Mauger est plus classique, en tout cas dans son titre « Retrouvons la question sociale occultée. Le problème ethnique est un faux fuyant ».
Le constat : Le sociologue prend ses distances avec un courant intellectuel français qui trouve son inspiration dans les pratiques culturelles anglo-saxonnes, et note fort justement qu’
« Aux formes traditionnelles d’organisation populaire des « banlieues rouges » se sont en effet substituées de nouvelles formes d’encadrement associatif et/ou religieux : des grands frères aux imams importés des ghettos noirs des Etats Unis, la culture hip-hop s’est imposée auprès des jeunes des cités pour au moins trois raisons : d’une part parce qu’elle fait appel à des propriétés langagières et corporelles censées leur appartenir en propre ; d’autre part parce que les rappeurs se sont faits avec plus ou moins de succès, les porte-parole des jeunes des cités ; enfin, et peut-être surtout, parce qu’habilitée par la culture dominante, la culture hip-hop apparait sinon comme une possibilité d’accès à la richesse et à la gloire médiatique, du moins comme un outils de réhabilitation symbolique ».
Le discours : l’auteur prend ses distances avec le « modèle anglo-saxon », mais conclut curieusement sur une note tout à fait ambigüe :
« C’est dire que l’importation du modèle culturel anglo-saxon n’est pas sans écho. Métamorphosant la question sociale en question raciale, elle conduit à substituer à une vision du monde social divisé en classes celle d’une mosaïque de communautés ethnicisées et, ce faisant, à renforcer les divisions au sein des classes populaires. »
Importation ? Vraiment ? Sur quelles bases d’enquêtes ?
M.Guilluy, géographe, intitule son analyse « La fable de la mixité urbaine. Essor du séparatisme culturel. »
Le constat : « Plus que son contenu, c’est d’abord la sur médiatisation du rapport de l’Institut Montaigne qui est frappante. », mais ce n’est peut-être pas inutile dans le cas d’espèce !
Car plus loin : « La question de l’islam ne serait pas aussi présente si elle ne s’inscrivait pas dans un contexte démographique, celui de la croissance forte et récente du nombre de musulmans en France et en Europe. », effectivement, mais nous sommes en France !
Le discours :
Le géographe écrit encore : « L’importance des réactions suscitées par le rapport Kepel révèle en filigrane le malaise de la société française face au surgissement d’une société multiculturelle impensée »
Quelques mots qui comptent en effet : croissance forte et récente, surgissement, impensée !
Que veut dire l’expression « une société multiculturelle impensée » ? Est-ce qu’on pense vraiment une société, ou la vit-on ? Multiculturelle ou multi-religieuse ? Et si c’est le cas, pourquoi ne pas faire référence au statut des religions dans notre République laïque ! Inutile donc de la penser !
S’il s’agit d’un constat, quelle en est la démonstration géographique ?
Le discours : « La réalité est que, depuis la fin des années 1970, ce modèle assimilationniste a été abandonné quand l’immigration a changé de nature en devenant familiale et extra-européenne (pour beaucoup originaire de pays musulmans) Alors que l’on continuait à s’enorgueillir des mariages mixtes, les pratiques d’évitement explosaient »
Un géographe écrit « explosaient » : s’agit-il d’une observation de géographe ?
Et encore, le discours : « Aujourd’hui, le séparatisme culturel devient la norme… La promesse républicaine qui voulait que « l’autre », avec le temps, se fonde dans un même ensemble culturel, a vécu. Dans une société multiculturelle, « l’autre » reste « l’autre. Cela ne veut pas dire « l’ennemi » ou « l’étranger », cela signifie que sur un territoire donné l’environnement culturel peut changer et que l’on peut devenir culturellement minoritaire. C’est ce constat, en partie occulté, qui explique la montée des partis populistes dans l’ensemble des pays européens. »
Pourquoi ne pas remarquer que le qualificatif multiculturel est d’une très grande ambiguïté, et qu’il serait préférable de ne pas « occulter » son véritable sens, qui est en France, un multiculturalisme religieux et non religieux, à trois entrées, le premier ancien, le christianisme, le deuxième non religieux, plus récent, c’est-à-dire la laïcité républicaine, et le troisième très récent, l’islam ?
L’auteur a en vérité de la peine à démêler dans son propos le constat et la conséquence qu’il en tire, son discours qui s’applique naturellement aux « thèses frontistes », car il écrit en conclusion :
« Si un islam identitaire travaille les banlieues, l’adhésion pour les thèses frontistes d’une part majoritaire de la France périphérique souligne que la question sociale est désormais inséparable de la question culturelle. ».
En résumé, un ensemble de contributions qui ont le mérite d’éclairer les éléments d’une problématique religieuse, économique, et sociale dans ses principales composantes, sauf à noter qu’elle existe principalement dans un certain nombre de territoires qui sont souvent définis en termes de quartiers difficiles.
La donne religieuse est venue compliquer les solutions à trouver et à mettre en œuvre pour que les quartiers défavorisés puissent retrouver le chemin de la République, car les politiques ont choisi la facilité, tout d’abord en fermant les yeux sur les difficultés de ces quartiers, puis en donnant des gages aux politiques de la diversité, de la non- discrimination, car elles coûtaient moins cher, et avaient l’avantage de ne pas affronter le véritable dossier des conditions d’accès à l’égalité sociale et économique.
Aucune des quatre contributions ne propose d’ailleurs de solutions, de chemin d’avenir, à nos quartiers difficiles, et il reviendrait naturellement à un club de réflexion comme l’Institut Montaigne de franchir cette deuxième étape : un diagnostic, c’est bien, une thérapeutique, c’est encore mieux !
Les constats sont connus, les discours tout autant, mais ce dont la France a besoin, c’est d’action. C’est en tout cas mon propre « discours » !
Jean Pierre Renaud