A partir du développement de l’épidémie, de l’incapacité de notre système de santé à faire face à la vague de la contagion, les médecins furent rapidement confrontés à un choix cornélien entre malades susceptibles ou non de supporter la lourde thérapeutique respiratoire mise en jeu.
Concrètement, un tel choix revenait à faire un tri entre malades, et compte tenu, en moyenne, de l’état de santé de plus en plus fragile des personnes les plus âgées de décider de la vie et de la mort d’une partie d’entre eux.
Les statistiques de décès dans nos EHPAD en ont fourni la statistique funèbre.
Au fur et à mesure du déroulement de l’épidémie, ce type de débat a été ouvert ou refermé, mais sera inévitablement rouvert, compte tenu de sa grande charge émotionnelle et du choix de société au sein de laquelle nous souhaitons vivre et mourir, en deçà ou au-delà des croyances religieuses que nous pouvons avoir ou non.
La culture japonaise m’a depuis longtemps passionné, la distance que nous avions et que nous avons encore avec les codes culturels et sociaux du Japon.
En 1983, j’avais été voir le superbe film « La ballade de Narayama » de Shôhei Inamamura, lequel faisait revivre l’ancienne tradition du Japon vouant à la mort dans les villages pauvres les vieux de plus de 70 ans, à partir d’un roman de Shichirô Fukazawa (1956).
Le film faisait revivre la chronique d’un village pauvre où la coutume exigeait que les habitants arrivant à l’âge de 70 ans s’en aillent mourir volontairement au sommet de Narayama « la montagne aux chênes » : ils étaient aidés par leur fils aîné. C’était là que se rassemblaient les âmes des morts.
Le réalisateur nous fait revivre le quotidien de Orin-yan et de son village, avec son fils Tatsuhu, pendant la dernière année de son séjour dans le monde des vivants.
Les traditions et la culture dans le Japon pauvre de cette époque étaient naturellement obsédées par la subsistance possible ou impossible de ses communautés, confrontées donc à ces choix permanents de vie ou de mort, inscrits dans la tradition du sacrifice.
Cette histoire n’est elle pas beaucoup plus proche de nous qu’elle n’en parait, avec les choix assumés ou non de vie ou de mort ?
Le vrai débat, engagé sans le dire, ne consistait-il pas, comme dans une vraie guerre, à admettre que chaque offensive ou défensive comptait un certain pourcentage de blessés et de morts, l’enjeu entre confinement ou non confinement étant en réalité celui du nombre de morts que l’on acceptait dans cette culture du risque ?
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La littérature japonaise m’avait fait découvrir un récit d’Ôgai Mori sur la culture japonaise des siècles passés et sur celle des sacrifices.
Les lecteurs intéressés pourront faire une petite incursion dans l’histoire japonaise avec l’Incident de Sakkai dont j’ai fait le récit sur le blog du 23/9/2011 sous le titre « Choc des cultures, des civilisations, des religions, l’incident de Sakai entre la France et le Japon. »
A l’occasion de l’ouverture forcée des ports japonais au commerce de l’Occident, dans la deuxième moitié du XIXème siècle ouvrant l’ère de la Meije, la Marine Française avait fait connaissance avec la culture militaire du Japon et ses traditions de sacrifice, notamment celui du Seppuku, ce que nous appelons communément le hara-kiri.
Le Japon avait organisé une cérémonie de la réparation qui consistait au seppuku de 20 soldats impliqués dans l’incident. Dès le premier mort, les marins français quittèrent en courant le lieu du sacrifice.
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés