Face à l’épidémie (XXIème), la légende japonaise de Narayama (XIXème) ?

A partir du développement de l’épidémie, de l’incapacité de notre système de santé à faire face à la  vague de la contagion, les médecins furent rapidement confrontés à un choix cornélien entre malades susceptibles ou non de supporter la lourde thérapeutique respiratoire mise en jeu.

            Concrètement, un tel choix revenait à faire un tri entre malades, et compte tenu, en moyenne, de l’état de santé de plus en plus fragile des personnes les plus âgées de décider de la vie et de la mort d’une partie d’entre eux.

            Les statistiques de décès dans nos EHPAD en ont fourni la statistique funèbre.

            Au fur et à mesure du déroulement de l’épidémie, ce type de débat a été ouvert ou refermé, mais sera inévitablement rouvert, compte tenu de sa grande charge émotionnelle et du choix de société au sein de laquelle nous souhaitons  vivre et mourir, en deçà ou au-delà des croyances religieuses que nous pouvons avoir ou non.

            La culture japonaise m’a depuis longtemps passionné, la distance que nous avions et que nous avons encore avec les codes culturels et sociaux du Japon.

      En 1983, j’avais été voir le superbe film « La ballade de Narayama » de Shôhei Inamamura, lequel faisait revivre l’ancienne tradition du Japon vouant à la mort dans les villages pauvres les vieux de plus de 70 ans, à partir d’un roman de Shichirô Fukazawa (1956).    

     Le film faisait revivre la chronique d’un village pauvre où la coutume  exigeait que les habitants arrivant à l’âge de 70 ans s’en aillent mourir volontairement au sommet de Narayama « la montagne aux chênes » : ils étaient aidés par leur fils aîné. C’était là que se rassemblaient les âmes des morts.

   Le réalisateur nous fait revivre le quotidien de Orin-yan et de son village, avec son fils Tatsuhu, pendant la dernière année de son séjour dans le monde des vivants.

     Les traditions et la culture dans le Japon pauvre de cette époque étaient naturellement obsédées par la subsistance possible ou impossible de ses communautés, confrontées donc à ces choix permanents de vie ou de mort, inscrits dans la tradition du sacrifice.

    Cette histoire n’est elle pas beaucoup plus proche de nous qu’elle n’en parait, avec les choix assumés ou non de vie ou de mort ?

      Le vrai débat, engagé sans le dire, ne consistait-il pas, comme dans une vraie guerre, à admettre que chaque offensive ou défensive comptait un certain pourcentage de blessés et de morts, l’enjeu entre confinement ou non confinement étant en réalité celui du nombre de morts que l’on acceptait dans cette culture du risque ?

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    La littérature japonaise m’avait fait découvrir un récit d’Ôgai Mori sur la culture japonaise des siècles passés et sur celle des sacrifices.

     Les lecteurs intéressés pourront faire une petite incursion dans l’histoire japonaise avec l’Incident de Sakkai dont j’ai fait le récit sur le blog du 23/9/2011 sous le titre «  Choc des cultures, des civilisations, des religions, l’incident de Sakai entre la France et le Japon. »

    A l’occasion de l’ouverture forcée des ports japonais au commerce de l’Occident, dans la deuxième moitié du XIXème siècle ouvrant l’ère de la Meije, la Marine Française avait fait connaissance avec la culture militaire du Japon et ses traditions de sacrifice, notamment celui du Seppuku, ce que nous appelons communément le hara-kiri.

    Le Japon avait organisé une cérémonie de la réparation qui consistait au seppuku de 20 soldats impliqués dans l’incident. Dès le premier mort, les marins français quittèrent en courant le lieu du sacrifice.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Le film japonais « Hara Kiri » de Takeshi Miike

Salles d’art et d’essai

       Aux yeux du Français, qui a une certaine connaissance de la tradition et de l’histoire du Japon, le titre seul sonne comme un grand coup de gong !

            L’idée de ce film se voulait dérangeante, en montrant que le sacrifice suprême des samouraïs, autrement dit, le seppuku, pouvait faire l’objet d’un détournement, c’est-à-dire ne représenter qu’une conception de l’honneur tout à fait formelle, et ridicule, sordide dans ce film.

            L’intrigue brièvement résumée : deux samouraïs démobilisés à la suite de la pacification du Japon par le Shogun, au XVIIIème siècle, le père d’une fille jolie et attachante, mariée avec le fils d’un de de ses amis samouraïs, décédé, samouraï aussi, une petite famille pauvre dont les ressources ne permettent pas de faire appel à un médecin pour soigner le nouveau-né gravement malade, issu du mariage entre sa fille et le fils de son ancien ami.

            Dans le désespoir, le jeune père de famille décide de se lancer dans l’aventure du hara-kiri pantomime, celle d’un suicide simulé, aux fins de recueillir l’aumône. Le bruit courait que cette mode nouvelle existait. Le problème est que la pantomime tourne mal, très mal, dans le clan encore vivant de samouraïs où il s’est présenté, car on l’a pris au sérieux.

            Le beau-père décide de récidiver, mais avec l’ambition de démontrer à la face du même clan, tout entier réuni, l’hypocrisie de cette tradition, et quitte à affronter les samouraïs de ce clan, à périr dans une autre sorte d’honneur.

            Un film intéressant, avec souvent de belles images du Japon, mais le réalisateur nous inflige malheureusement, dès l’entrée, un vrai festival d’un seppuku interminable du jeune samouraï, puisqu’il s’exécute avec un sabre en bois (le hara-kiri pantomime), d’où force séquences d’horreur et d’hémoglobine. Et en finale, pour l’honneur du beau-père, un autre festival de combat d’épées et de sabres à un contre plusieurs dizaines, interminable, avec le même seppuku, servi par un égal sabre en bois.

            Il est possible de préférer la description littéraire, sobre, et chirurgicale du seppuku collectif de l’incident de Sakai, en 1868, racontée par Mori Ogaï, à cette mise en scène beaucoup trop grandiloquente de ce film.

 Dommage parce que l’idée d’un détournement de la tradition du hara- kiri, celle d’un honneur trop haut ou trop  mal placée, était séduisante. (Voir l’évocation de l’incident de Sakai sur le blog du 23 septembre 2011)

Jean Pierre Renaud avec sa concubine préférée