La France et les Touaregs ou l’actualité de l’histoire – Tahoua 1901 avec les Ouliminden

La France et les Touareg ou l’actualité de l’histoire

En 1901, la France et les Touareg à Tahoua, entre fleuve Niger et lac Tchad, avec le colonel Péroz et le commandant Gouraud

L’âme du peuple Touareg !

            Avec la guerre du Mali, les Touareg sont à nouveau à la mode, et un Etat malien qui n’existe plus, doit, une fois de plus, rechercher une solution humaine et institutionnelle pour associer le destin des tribus Touareg à celui du Mali.

            Pourquoi ne pas revenir sur un épisode historique qui en a dit long sur l’âme de ce peuple ?

            A la fin du dix-neuvième siècle, le gouvernement français poursuit son objectif colonial d’assurer la continuité territoriale entre l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale.

C’est dans ce cadre qu’il charge le colonel Péroz, assisté du commandant Gouraud, le futur général, de mettre en place le nouveau territoire du « Niger-Tchad ».

            Le gouvernement lance donc le colonel Péroz à l’aventure, sans moyens. En 1898, une autre colonne, celle de Voulet-Chanoine, était passée à l’histoire  des horreurs coloniales, en raison également, et en partie, du manque des moyens accordés par le gouvernement.

Le colonel Péroz accomplit sa mission dans de bonnes conditions, bien que très difficiles, alors que sa colonne devait traverser un  désert inconnu et privé de toute ressource en eau.

Dans cette actualité qui remet au goût du jour les destinées du peuple Touareg, un épisode mérite d’être raconté brièvement, celui d’un accrochage meurtrier entre les troupes commandées par le colonel Péroz et plusieurs tribus Touareg.

Le colonel en a fait le récit.

A Tahoua, avec les Touareg

«  Après plusieurs alertes, nous arrivons le sixième jour à Tahoua…. Les Touaregs Ouliminden, Kelgress, et Ifisen, s’y approvisionnent en grains… notre venue les a chassés dans le désert. Je me suis fait un point d’honneur de conduire pacifiquement cette campagne. La guerre dans ces contrées… Celui qui a comme moi, vécu les heures sombres de nos luttes contre les grands chefs noirs, Samory, Ahmadou, Tiéba, peut aisément reconstituer, en son esprit les épouvantes de l’invasion hunnique dans les Gaules.

Par  mille moyens divers, je m’étais efforcé d’entrer en relations avec les tribus Touaregs qui nomadisent dans le Sahara méridional. Je voulais les persuader de mes intentions pacifiques, de mon vif désir de respecter leur hégémonie sur leurs noirs vassaux, à la seule condition qu’ils reconnaissent la suprématie de la France et qu’ils nous payassent en hommes un très léger impôt. Enfin, je reçus la réponse des chefs Ouliminden :

« Gloire à Dieu le Tout-puissant, le Juste, l’Eternel, qu’il fasse descendre sa bénédiction sur la tête de Mahomet, son prophète, et que celui-ci se répande sur les fronts inclinés de vrais croyants.

Cette lettre est destinée au chef des Français.

Nous sommes dispersés dans le désert. Nous sommes pauvres. Nous avons faim, nous avons soif ; mais nous nous portons bien, car nous sommes libres. Nous échangions nos troupeaux contre les  grains et les étoffes sur les marchés des noirs azbins. Nos chameaux venaient paître et se refaire dans le pays des hommes noirs. Et ceux-ci nous payaient tribut. Il en était ainsi pour nous ; il en a été ainsi pour nos pères et les pères de nos pères. Maintenant, depuis l’arrivée des Français, nous sommes errants dans le désert, souffrant de la faim et de la soif, car nos vassaux se sont révoltés contre nous. Mais Dieu nous aide et nous soutient ; il nous donne la force de supporter tous ces maux.

Le chef des Français nous a écrit : « Soumettez-vous à moi et vos maux cesseront ».Les chefs des tribus se sont  réunis et ont écouté la lecture de la lettre du chef des Français et ils ont décidé de demander à nos femmes ce qu’elles pensaient de cette lettre.  

Et celles-ci ont répondu :

« O hommes, pourquoi délibérez-vous. Ces Français sont-ils vos vainqueurs. Vous êtes-vous mesurés contre eux la lance et le bouclier à la main, et Dieu, vous ayant retiré sa protection, les plus braves d’entre vous sont-ils restés morts sur le terrain et les autres ont-ils dû fuir couverts de blessures et hors  d’état de soutenir la lutte ? Et si vous n’avez pas mesuré vos armes contre celles des français, pourquoi parlez-vous de soumission

On ne se soumet qu’à son vainqueur ; ainsi ont parlé nos femmes ; salut »

Et il revint donc au commandant Gouraud de mener le tournoi meurtrier

Il fallait donc qu’en quelque brillant tournoi, en une joute sanglante, dans des passes d’armes où la lutte est sans merci, se décidât le sort des tribus Touaregs. La faim, la soif, la misère ne comptaient pour rien au regard de ce sentiment d’honneur chevaleresque, enrubanné par les encouragements héroïques de leurs femmes. Et la joute eut lieu, à la mare de Zanguébé d’abord, ensuite à Galma..

De notre côté, cent dix fusils ; mais à leur tête, un jeune chef de bataillon de trente-deux ans, connu de tous les Africains pour sa valeur, le commandant Gouraud, à ses côtés, l’élite de mes officiers et des sous-officiers du bataillon. Les Touaregs étaient huit cents… »

L’affrontement fut sanglant, à cheval ou au corps à corps et beaucoup de Touaregs y furent blessés ou tués ;

« L’honneur est satisfait. Les femmes ne refuseront plus à ceux qui survivent même s’ils nous acceptent comme maîtres.

Pauvres nobles Touaregs ! Ont-ils été assez calomniés par nous : « faux, menteurs, traîtres, lâches, fourbes, voleurs ! » Sauf Duveyrier et de Polignac, qui, du reste, seuls alors, ils les avaient vu d’assez près pour les connaître, tous les écrivains qui ont parlé d’eux les ont traité de si piteuse sorte. Et cependant, est-il au monde une race primitive plus intéressante par la droiture de ses sentiments, la valeur chevaleresque, l’esprit inné de compassion et de justice. »

&

Extrait de texte tiré du chapitre 22 «  Le colonel Péroz à la tête du 3ème Territoire Niger-Tchad (1900-1901) »,  dans le livre «  Confessions d’un officier des troupes coloniales- Marie Etienne Péroz »  Présentation et commentaire par Jean Pierre Renaud – editionsjpr.com

Jean Pierre Renaud

Le Mali et la France! Nomades Touareg contre paysans africains à Tombouctou, une histoire qui se répète?

Le Mali et la France !

Nomades Touareg contre paysans africains à Tombouctou, une histoire qui se répète ?

Retour sur notre histoire coloniale avec en 1894, la prise de Tombouctou et le désastre militaire deTacoubao (77 morts dont onze officiers)

Complément historique à la chronique du 14 avril 2012 sur ce blog

            La conquête du Soudan, en gros le Mali actuel, est à mettre au compte des aventures coloniales de la Troisième République, d’une politique confuse, sans qu’on sache le plus souvent quels furent les motifs de ces conquêtes, nouveaux marchés, propagation d’une civilisation dite supérieure, évangélisation, volonté de puissance après la défaite de 1870, ainsi que le notait le grand historien colonial Henri Brunschwig, ou tout simplement fruit des initiatives d’acteurs politiques, militaires ou économiques, dont les initiatives heureuses ou malheureuses furent entérinées par le pouvoir politique.

            Car ces initiatives d’acteurs du terrain, ou des gouvernements, ce qu’on a appelé « le fait accompli » colonial furent nombreuses, et c’est cette problématique coloniale qui a fait l’objet de recherches historiques de ma part en ce qui concerne, la conquête du Soudan, du Tonkin, de Madagascar, et de Fachoda : à savoir si la conquête procédait du fait accompli d’un officier des troupes coloniales, d’un gouverneur, ou tout simplement d’un ministre des Colonies qui s’abstenait de donner des instructions, ou en donnait d’ambiguës, ou entérinait le fait accompli d’un acteur de terrain. (1)

            Il se trouve que dans le cas du Soudan, et notamment de la conquête du Haut Niger, ce que j’ai appelé « une conquête en cachette », l’histoire fait ressortir un cocktail de faits accomplis aussi bien au niveau des ministres que des officiers exécutants sur le terrain, et notamment le rôle du colonel Archinard, sorte de proconsul au petit pied, en particulier dans les épisodes qui concernent la conquête de Ségou et de Tombouctou, entre 1885 et 1895, analysés dans la partie intitulée « Cap sur Tombouctou »

     A partir du moment où le ministre entérinait un fait accompli, il l’assumait complètement.

     A la séance de la Chambre du 4 mars 1895le député Le Hérissé stigmatisait la façon de procéder du gouvernement et corroborait l’analyse d’Archinard :

    « Si nos gouvernants avaient eu alors l’intention de ne pas marcher sur Tombouctou, si le sous secrétariat d’Etat avait eu la volonté de dire aux militaires du Soudan : vous n’irez pas plus loin ; il aurait pu télégraphier au colonel Combes : arrêtez- vous, n’allez pas au-delà de Djenné et de Ségou.

  Au lieu de cela, au lieu de donner des ordres nets et précis, que fait le Gouvernement ? Il envoie au colonel supérieur, le 7 août 1893, une dépêche conçue dans des termes les plus vagues et les plus insignifiants :

               Soyez très prudents, n’écoutez les ouvertures que si elles vous paraissent sérieuses ;

               Dans le langage habituel du ministère des Colonies, cela signifiait : allez faites ce que vous pourrez ; réussissez, nous serons avec vous ; et si vous ne réussissez pas, nous vous blâmerons et vous désavouerons. »

                Il est vrai qu’il existait dans l’exercice du commandement de l’époque une grande inertie, liée aux conditions de transmission des ordres et des comptes rendus, aux conditions de transport des hommes et de leurs approvisionnements.

               Succès ou échecs dépendaient beaucoup de la clarté et de la pertinence de la communication politique et militaire d’engagement de la campagne.

               Une fois le coup parti, les ministres n’avaient plus qu’à former le vœu que tout se passe bien.

               L’analyse du qui faisait quoi à Paris ou dans les territoires à conquérir, à la fois dans la communication des ordres et dans les comptes rendus, dans les différents contextes techniques de la communication matérielle des époques considérées était au cœur des recherches du livre cité.

               On rapporte qu’après avoir donné ses ordres, le général Moltke, partait à la pêche à la mouche (Guerre franco-prussienne de 1870).

             Pendant la guerre 1914-1918, et la deuxième guerre mondiale,  les commandements civils et militaires continuèrent à être confrontés à ce type de situation.

               Les ministres de la Marine et des Colonies pouvaient d’autant plus aller pêcher à la ligne que la conquête du Soudan s’effectuait en cachette du Parlement et de la presse, ce qui ne fut pas du tout le cas de la conquête du Tonkin et de Madagascar.

               Entre 1880 et 1895, la France partit successivement à la conquête du Sénégal, du Haut Sénégal, puis du Niger et de son bassin, avec  des étapes à Kayes, Bamako, Ségou, et enfin Tombouctou.

               Avec leurs nouvelles canonnières remontées à Koulikouro, sur le fleuve Niger, parce qu’elles y avaient été transportées en pièces détachées, quelques officiers de marine prirent l’initiative de se lancer à la conquête de Tombouctou, encouragés ou couverts par Archinard, dont un des rêves était effectivement la prise de Tombouctou, encore considérée à l’époque comme une ville mystérieuse.

               Pour résumer, un officier de marine, le lieutenant Boiteux,  débarqua à Tombouctou, fut pris pour cible par un parti touareg, une colonne, en pirogue, vint à son secours, sous les ordres du lieutenant- colonel Bonnier, et après avoir débarqué se fit surprendre au bivouac par un parti Touareg, le 15 janvier 1894, à Toucabao.

               Bilan : 77 morts dont onze officiers, deux sous-officiers, et 64 tirailleurs.

               Noter qu’une autre colonne commandée par le colonel Joffre, le Joffre devenu célèbre, devait atteindre la ville mystérieuse après le désastre.

               La morale de cette histoire ?

               Et tout cela, dans quel but ? Pour faire cocorico à Tombouctou ou pour trouver un « Eldorado » qui n’y existait pas. Paul Doumer (2) posa plus tard la bonne question :

                « Pourquoi étions- nous allés à Tombouctou ? »

               Il est évident que la crise actuelle du Mali et l’occupation du nord du pays par des partis arabes et Touareg reproduit une problématique locale de conflits permanents et récurrents entre tribus Touareg et peuples paysans du bassin du Niger, avec une extension géographique et politique moderne liée aux initiatives des groupes terroristes d’Al Quaida, mais est-ce que le fond du problème n’est pas celui de l’incapacité des gouvernements du Mali à prendre en compte les aspirations politiques des tribus Touareg, dont la culture a toujours été fortement enracinée et leur fierté proverbiale?

               Avec aussi une problématique historique de conflits entre peuples maures, bambaras, ou malinkés.

               En précisant qu’avant que la France ne vienne y faire une longue « incursion » coloniale, de l’ordre de soixante ans, le bassin du Niger a connu un certain nombre d’empires islamiques puissants, notamment au XIXème siècle, « L’Empire Peul du Macina » (1818- 1853),  celui de Cheikou Amadou, à Hamdallay, ou ceux des El Hadj Omar, Ahmadou, ou Samory.

               Et en indiquant enfin que les frontières de l’Etat actuel du Mali sont celles que la communauté internationale a entérinées lors de l’indépendance des anciennes colonies françaises d’Afrique.

               Jean Pierre Renaud

(1)  «  Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large – Rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales de la France (1870-1900) » (prix de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer)  editionsjpr.com

(2)  Paul Doumer : homme politique de la Troisième République, franc-maçon et radical, gouverneur général  de l’Indochine (1896-1902), plusieurs fois ministre, président du Sénat (1927), Président de la République (1931), assassiné en 1932. Quatre de ses fils furent tués pendant la première guerre mondiale (1914-1918)

Les Touaregs à Tombouctou: 1894-2012, une histoire qui se répète!

Tout au long de la période des conquêtes coloniales de la France (1880- 1914) sur la frange sud du Sahara, dans la région géographique, au sens large, du bassin du fleuve Niger, la France eut maille à partir avec des partis Touaregs, mais pas uniquement la France conquérante.

            Car, parallèlement, au cours des siècles, les relations entre éleveurs nomades et paysans sédentaires, ont toujours été conflictuelles, les Touaregs venant périodiquement razzier les villages africains.

            Lorsque les Français prirent la ville sainte et mystérieuse de Tombouctou, à la suite des initiatives intempestives du colonel Archinard, et à l’occasion du « fait accompli » d’un officier de marine, la colonne du colonel Bonnier fut anéantie par un parti Touareg : ce fut le désastre de Tacoubao, le 15 janvier 1894,  dans la proximité de Tombouctou. (1)

Bilan : tués, 11 officiers, 2 sous-officiers, 64 tirailleurs.

Et pour la petite histoire, 1) les Français découvrirent alors une cité dont la réalité était assez loin de son mythe, 2) le futur maréchal Joffre, avec sa colonne de secours, fut alors de cette aventure coloniale.

A l’époque, les Touaregs jouaient déjà un rôle important dans la vie de la vieille ville sainte.

Mais les Touaregs proposaient aussi, hier comme aujourd’hui, un incontestable modèle de vie, fait d’exigence et de rigueur, incontestablement digne de respect et de reconnaissance.

Jean Pierre Renaud

(1)    J’ai relaté et analysé cet épisode dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » ( editionsjpr.com)