Taubira entre « francité » et « ethnicisation » de la France ?

Taubira entre « francité » et « ethnicisation » de la France ?

            Dans le journal Le Monde du 15 mai 2014, M.Jean-Loup Amselle, anthropologue, a publié une tribune intitulée :

« Christiane Taubira face à la droite et l’extrême droite

Honteux procès en francité »

      Le premier paragraphe du texte situe les faits :

            «  Les reproches faits récemment par la droite et l’extrême droite à Christiane Taubira, garde des sceaux, de ne pas avoir chanté La Marseillaise lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage le 10 mai, renvoient à un vieux débat sur le récit national. 

            A la lumière de cette controverse, il apparait que ce qui est reproché à notre garde des sceaux, c’est à la fois d’avoir fracturé le récit national en ayant œuvré en faveur de l’édiction d’une loi mémorielle sur l’esclavage, et donc d’avoir mis en exergue l’existence d’un sous-groupe de descendants d’esclaves au sein de la République française. Celle-ci conçue comme une et indivisible, n’admet en son sein que des citoyens vus comme des individus identiques. La ministre a en outre aggravé son cas en omettant d’entonner l’hymne national, en assimilant cette pratique à du « karaoké d’estrade » et en avouant qu’elle n’en connaissait pas toutes les paroles. »

             M.Amselle a raison de protester contre la campagne politique souvent haineuse qui est faite à l’encontre Mme Taubira, même s’il est possible de s’interroger sur la pertinence de la démonstration intellectuelle que propose l’auteur.

             L’anthropologue ne mettrait-il pas trop d’emphase, sinon d’exagération, dans la critique qu’il propose sur le sujet de la « francité », en y  voyant tout à la fois, une « suspicion de nationalité », un renvoi « à une citoyenneté à deux vitesses », une République française qui « perd son attribut d’universalité », etc…

          Il est possible en effet de se poser la question de savoir si le vocable « francité » ne couvre pas une nouvelle ethnie postcoloniale, pure invention de la nouvelle ethnologie postcoloniale : une sorte de juste retour des choses.

        Est-ce que le véritable débat ne devrait pas plutôt porter sur son propos relatif au « karaoké d’estrade » ?

       L’auteur met sur le même plan la garde des sceaux et les footballeurs de l’équipe de France, une ministre de la république française et des footballeurs.

        Une telle « assimilation », cette fausse égalité que l’auteur leur confère, reviendrait à dire  qu’un ministre de la République française investi de responsabilités publiques nationales a le droit de se moquer d’un des grands symboles de la République, une « infraction » politique d’autant plus grave de la part d’une garde des sceaux.

      Quant à la défense anthropologique de l’auteur, je suis sûr que les deux équipes qui viennent de disputer la finale de la Coupe de France au Stade de France,  Rennes et  Guingamp ont été de nature à rassurer l’auteur : issues toutes les deux d’une très ancienne colonie du royaume de France, elles semblent avoir bien accueilli la présence et le concours de footballeurs issus de l’outre-mer qui les a aidé à disputer le titre, et pour la plus petite à l’emporter.

      Je renvoie le lecteur au petit mot que m’adressa en 2003, avant sa mort, un ami, issu d’une « ethnie »  bretonne, ancien ingénieur général de l’armement, artisan de la mise au point des premières fusées nucléaires de nos sous-marins, au dos d’une carte postale de vacances à Crozon, en écrivant :

      « Cette carte est destinée à illustrer votre prochain ouvrage sur les colonies, à la rubrique « Bretagne ». La France lui a imposé sa langue, mis en place des gouverneurs étrangers et traité sa population comme si elle appartenait aux races inférieures. »

      Jean Pierre Renaud

Indépendance de la Justice : le leurre Taubira !

   A plusieurs reprises déjà, nous avons abordé ce sujet sensible, celui de l’indépendance nécessaire du parquet, c’est-à-dire des procureurs et des procureurs généraux, à l’égard du pouvoir exécutif.

        La dernière circulaire de la Garde des Sceaux montre qu’il n’y a rien de changé sous le soleil de France, c’est-à-dire qu’un ministre pourra toujours continuer à donner des instructions au Parquet, tout en affirmant qu’il respecte la séparation des pouvoirs et l’indépendance du Parquet.

      Quel est le procureur hiérarchiquement soumis au Garde des Sceaux – dont la carrière en dépend – qui ne saurait comprendre le sens d’une demande pressante de renseignement sur une affaire dite sensible ?

       Un article du journal Le Monde du 12 février 2014, intitulé « Les procureurs s’inquiètent de l’intérêt de la chancellerie pour les affaires sensibles », met en lumière ce risque évident de dérive.

        « Rôle du préfet judiciaire

      «  Les parquets généraux doivent informer la chancellerie «  régulièrement, de manière complète et en temps utile » des procédures significatives et devront répondre avec diligence aux demandes d’information ponctuelles du garde des sceaux » Ultime précaution « pour les affaires les plus sensibles, l’envoi d’un courriel devra être systématiquement doublé d’un appel ».

       Afin d’illustrer ce type de dérive « préfectorale », une anecdote :

    Elle concerne un Préfet de la région d’Ile de France de bonne réputation qui n’interférait pas directement dans le traitement des affaires, mais qui avait l’habileté de téléphoner à tel ou tel de ses collaborateurs ou collaboratrices pour leur demander s’ils connaissaient tel ou tel dossier qu’il se faisait résumer, étant bien entendu que le collaborateur ou la collaboratrice en question  continuait à traiter le dossier en question en toute indépendance, vraiment ?

      Alors que le « système » chiraquien prospérait sans que des conseillers de Paris socialistes très connus fassent beaucoup d’ennuis au Maire de Paris !

       En définitive, il n’y a effectivement rien de nouveau sous le soleil, étant donné que tout au long des années passées, les dossiers susceptibles d’avoir un écho politique ou médiatique, faisaient l’objet d’une information permanente de la Chancellerie par les Parquets.

     Le même journal du 6 mars 2014 (page 7), en apporte des preuves supplémentaires dans ses articles sur les écoutes Buisson.

    A citer un extrait d’une conversation Goudard Buisson, Buisson s’interroge :

   « Il s’interroge sur la capacité du nouveau secrétaire général de l’Elysée, Xavier Musca, à savoir « se mouiller » autant que Claude Guéant pour les« affaires du parquet ». Tu vois l’avantage de Guéant, là depuis trois mois, c’est qu’il connaissait un petit peu les dossiers, notamment pour les affaires auprès du parquet… »

    Aussi longtemps que le cordon ombilical ne sera pas coupé entre la Chancellerie et les Procureurs, le cinquante-troisième engagement du nouveau Président : « Je garantirai l’indépendance de la Justice » restera donc lettre morte !

Jean Pierre Renaud

La Justice Française à l’heure Taubira

Le Monde : l’interview du 20 septembre 2012 à propos de sa circulaire sur la nouvelle politique pénale et « L’ŒIL DU MONDE du 21 septembre 2012 sur la Justice

            La nouvelle Garde des Sceaux y a critiqué à juste titre le « tout carcéral » et y a annoncé quelques orientations, notamment sur le fonctionnement du Parquet.

            Mme Taubira a l’immense avantage de débarquer dans un milieu judiciaire stigmatisé, sous la Présidence précédente, dans sa condition de « petit pois », et elle bénéficie donc d’un préjugé favorable du même type que M.Hollande dont l’élection s’est faite en grande partie sur le rejet de M. Sarkozy.

A charge pour elle de concrétiser et de pérenniser cet avantage.

            A cet égard, les propositions qu’elle fait sur le fonctionnement et le statut du Parquet méritent réflexion :

            A la question du journaliste :

            « Vous vous interdisez de donner des instructions individuelles aux procureurs mais vous insistez pour que les procureurs généraux vous rendent compte des affaires signalées. N’y-a-t-il pas contradiction ? Ils ont prouvé qu’ils n’avaient pas besoin d’instruction pour devancer les désirs de la chancellerie. »

Elle répond :

            « Dans le passé incontestablement. Mais avec cette circulaire, je redéfinis l’architecture des relations entre le garde des sceaux, les procureurs généraux et les procureurs de la République. Dans un  Etat de droit, le garde des sceaux est responsable de la politique publique de la justice. Pour que cette politique soit pensée, construite, ajustée aux besoins, il faut des éléments sur la réalité des faits, c’est cela le sens de la remontée de l’information. Je ne peux pas être la dernière à être au courant. Désormais, chacun son rôle : au garde des sceaux la politique pénale générale, aux procureurs généraux l’animation de l’action des procureurs et à ces derniers seuls l’action publique. »

            Il existe incontestablement une contradiction entre les propos de la ministre et la mise en œuvre concrète de ses directives, car les informations recueillies sur le fonctionnement concret des parquets montrent à l’évidence que les procureurs sont harcelés par les demandes d’informations de la part des directions de la chancellerie et du cabinet du ministre, sur tout et n’importe quoi, sans compter sur ces procureur(e)s et procureur(e)s généraux toujours prêts à précéder les demandes dans l’unique souci bien compris du service public… mais plutôt avec une propension à l’obéissance anticipée aux ordres.

Les Préfectoraux seraient sans doute étonnés de constater à quel point un procureur rend compte, de peur de ne pas être couvert !

Et pourquoi ne pas se poser, aussi, la question des relations existant à Paris, entre Préfet de Police et Procureur de la République, à savoir qui exerce le véritable pouvoir de l’action pénale dans la capitale ?

Mais le problème  Numéro 1 reste en effet celui du statut du parquet pour lequel, la garde des sceaux ne propose pas de solution.

Or rien n’empêche un garde des sceaux de donner des instructions pénales générales, en laissant le soin à une autorité indépendante du parquet d’animer et de contrôler le travail des procureurs généraux et procureurs.

Et quant au dossier « L’Oeil du Monde » proposé sur la justice, son contenu est très intéressant, parce qu’il montre une fois de plus que la justice française ne dispose pas des moyens nécessaires pour faire du bon travail.

Un seul bémol toutefois relatif à la statistique comparée des dossiers : elle mériterait d’être affinée, car il parait difficile de comptabiliser de la même façon une affaire de vol de portable et un dossier tel que l’affaire dite du Médiator.

Pomme acide et son concubin préféré

Respect Mag N°31 Octobre Novembre Décembre-100% Noirs de France: Notes de lecture

Respect Mag N°31

Octobre Novembre Décembre 2011

100% Noirs de France

Notes de lecture

Le texte qui nous est propre est en caractères italiques

            Un numéro de magazine riche, intéressant, et utile par les ouvertures d’information très diversifiée qu’il propose sur le « groupe » politique, social, économique et culturel des Noirs de France.

            Compte tenu de la grande variété des thèmes de réflexion proposés, il est difficile d’en donner un compte rendu fidèle.

            Nous nous attacherons à commenter les points qui nous paraissent les plus importants : la présence effective des noirs en France, la connaissance ou non que nous avons de la question noire, le problème sensible des statistiques, la créativité noire en France, l’avenir de l’outre-mer, et la mémoire.

            Nous examinerons enfin d’autres questions « impertinentes » qui auraient, également, pu être abordées.

            1 – La présence effective des noirs en France :

M.Dolum (page 7) note à juste titre : »Alors, oui, le monde noir existe bel et bien en France. »,  et le magazine n’esquive pas la question difficile des racines.

Dans le dialogue entre M.Kelman et M.Sar, le premier est partisan d’une rupture assumée avec le continent africain, alors que le deuxième revendique une filiation non moins assumée.

Et le magazine note, en ce qui concerne la « Diaspora africaine (page 43)

« Des relations réinventées

Porté par les premières générations d’immigrés, le mythe du retour est dépassé. On invente désormais sa relation avec le continent au gré des questionnements et des urgences. »

M.Cissoko déclare « Nous sommes sans cesse renvoyés à une culture que nous ne connaissons pas. »

M.Protche déclare : « Les Afro-français sont à la fois mieux installés ici et plus proches de là-bas. »

Et M.Diawara de répondre à un moment donné : « Je ne suis ni Français, ni Malien, mais les deux. »

Ces différentes interventions situent parfaitement la complexité du problème, et à ce sujet, il aurait été possible d’esquisser peut-être la   « fracture coloniale clandestine », qui divise sans doute cette « communauté » entre noirs originaires des îles Caraïbes et noirs venus récemment d’Afrique.

Une catégorie de fracture qui n’a pas été analysée par les auteurs du livre « La Fracture coloniale », dont les thèses qui concernent la France, prêtent à discussion, en tout cas sur la base d’une analyse fondée sur une évaluation statistique sérieuse  des mémoires qui existent ou non à ce sujet.

2 – La connaissance de la question noire : suffisante ou insuffisante ?

L’historien Pap Ndiaye la trouve insuffisante (page 24) :

« Cette présence en France n’est pas suffisamment étudiée parce que les Noirs sont trop souvent considérés comme extérieurs à la société française d’hier et d’aujourd’hui. Aux Etats Unis, les « black studies » se sont développés dans le sillage du mouvement pour les droits civiques. La plus grande visibilité des Noirs de France, depuis quelques années a enfin amorcé quelques conséquences universitaires. »

Et le même constat est proposé plus loin sous la rubrique «  Universités France-USA :

« A la recherche de la question noire

L’étude de la minorité noire est monnaie courante aux Etats Unis, via les fameuses Black Studies. En France, on peine encore à assumer cet enseignement. Des approches très différentes, révélatrices d’une histoire singulière. »

 « Le déni français », tel qu’il est décrit, existe-t-il ?

La référence qu’un certain nombre de chercheurs trouvent dans les Black Studies américaines est-elle effectivement pertinente ?

Les fameuses « Black Studies » comme modèle, et toujours l’exemple américain qui serait curieusement devenu un modèle de société « multiculturelle » pour les Français ?

Alors que l’armée américaine était jusqu’en 1948, une armée de discrimination, et que la discrimination n’a disparu, l’officielle, que dans les années 1960, comme par hasard juste après la fin de la guerre d’Algérie.

Une Amérique de la discrimination raciale, comme modèle ?

Est-il possible, sérieusement, de mettre la France et les Etats Unis sur le même plan ?

D’autant moins qu’il n’est nul besoin d’avoir de solides connaissances historiques à ce sujet, pour savoir que la nation américaine n’a été le fruit, ni  d’une longue histoire comme la nôtre, ni d’une nation marquée par la traite transatlantique !

Les initiatives de la Fondation Thuram dont le magazine rend compte (page 34), ont pour but de « traquer le racisme » dès le plus jeune âge : 

« L’homme de couleur »

« Une aberration

Une fondation, des livres, des interventions en milieu scolaire… l’ancien footballeur est toujours sur le terrain pour traquer le racisme ; droit au but : l’éducation »

L’article consacré à « La palette des petits » : à Mantes la Jolie, « Respect Mag s’invite pour évoquer le thème de la couleur avec des écoliers de toutes origines, instructif ! », une initiative tout à fait intéressante.

Dans la même perspective, l’historien Durpaire formule quelques propositions pour rénover l’enseignement de la question noire.

Il est incontestablement possible de faire beaucoup mieux dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, mais comment ne pas relier cette « carence » supposée au phénomène récent de l’immigration africaine des dernières années, et au fait que les Français, contrairement à ce que nous racontent certains chercheurs, ne se sont jamais, sauf pendant de courtes périodes, passionnés pour l’Afrique coloniale.

3 – Le problème très sensible des statistiques

Pourquoi ce refus des chiffres ?

Alors que les pages consacrées au thème « Société » montrent bien que, d’ores et déjà, les portes du présent et de l’avenir sont ouvertes aux membres de cette « communauté ».

La première question de fond à régler est celle du comptage des membres vrais ou supposés de la « communauté » noire : ce numéro de Respect Mag la pose à plusieurs reprises et à juste titre, sans se cacher derrière son petit doigt.

Comment dénoncer les discriminations qui existeraient dans de nombreux domaines, notamment le politique, sans pouvoir avancer l’importance numérique d’une communauté qui s’estime discriminée ?

Tant que les représentants de la dite communauté n’auront pas le courage d’afficher, si je puis dire, la couleur, leur discours aura évidemment peu de crédit.

Dans les premières pages du magazine, la journaliste Audrey Pulvar (page 8), raconte son itinéraire de vie, sous le titre « L’exemple doit venir d’en haut », et répond à toute une série de questions, dont :

Mesurer la présence des minorités pour avoir une lecture fiable de notre réalité et pouvoir agir, vous y êtes favorable ?

Je ne suis pas contre l’idée de compter les gens. Quand je suis arrivée à France 3, c’était la première fois qu’une noire présentait un journal sur une chaine hertzienne… »

Dans la rubrique « Emploi », le magazine rapporte :

            « Discriminations ethniques

Corriger sans compter ? »

M.Kamel Hamza déclare «  Il faut cesser d’être hypocrite, tout le monde compte. », et M.Legrand, sous le titre « Mesurer pour mieux comprendre », responsable de la diversité chez l’Oréal, explique comment dans son entreprise on procède pour faire avancer la cause de la diversité.

Et plus loin, dans les sujets de société, le thème revient à la charge :

En ce qui concerne le monde politique, les personnes interviewées constatent à l’unanimité que la « communauté » noire y est insuffisamment représentée.

M.Haidari y déclare : « Il a fallu la loi sur la parité pour prendre en compte les femmes car il n’y aurait pas eu de transition par les mentalités… de la même manière, il faudra agir sur les quotas pour insérer les Noirs en politique » (page 63)

Mais dans la page 64 qui suit, M. Yangé apporte sa réponse :

« Impossible d’évaluer le nombre d’entrepreneurs, d’emplois créés, le poids d’un chiffre d’affaires. Ce qui explique en partie pourquoi cette communauté a tant de difficultés à peser dans la société : on ne sait pas ce qu’elle représente. »

Et dans le même article, tout de même quelques chiffres :

« Une étude du Cran-TNS Sofres de 2007 estime la population afro-caribéenne en France à 1,9 million de personnes ». Un chiffre inférieur à la réalité », selon Didier Mandin du cabinet Aka-a (spécialisé en études d’ethno-marketing) : il ne prendrait en compte que les adultes et exclurait la troisième génération descendante de migrants. On se rapprocherait alors plutôt de 2,5 à 3 millions. »

A noter que sur le blog du 27/11/2011), dans une chronique intitulée « Rigueur historique ou non ? »,  j’ai fait état de la différence d’appréciation assez sensible qui séparait les chiffres de la communauté noire au XVIII° siècle avancés par les deux historiens Blanchard et Ndiaye, 25.000 pour le premier contre de 4 à 5.000 pour le second.

4 – La créativité noire en France le magazine nous propose un vaste panorama de l’activité des noirs de France dans beaucoup de domaines, notamment dans la musique et l’économie, avec la carence déjà signalée dans le monde politique, mais qui demande à être confirmée par la statistique, et dans le cinéma.

5 – Présent et avenir de l’outre-mer :

Le lecteur reste un peu sur sa faim.

« A la question,

« Un changement que vous souhaiteriez… Mme Pulvar répond :

Un changement institutionnel. Je suis pour une plus grande autonomie des départements d’outre- mer. .. Moi, je suis pour l’indépendance de la Martinique ; cela n’arrivera probablement pas de mon vivant, mais je pense que c’est un horizon accessible et souhaitable. »

C’est-à-dire concrètement pour le court et moyen terme?

Dans la rubrique consacrée aux « Enjeux », Mme Taubira déclare :

« Il faut comprendre que les Outre-mer sont un ensemble de lieux, pas des appendices de la France. »

Très bien, mais que propose comme solution institutionnelle Mme Taubira, et qu’a-t-elle proposé jusqu’à présent ?

« Première piste : replacer les Outre-mer dans un contexte économique, social, politique, qui soit tourné vers leurs voisins… Autre idée : présenter aux Présidentielles de 2012 un candidat commun à tous les Outre-mer. »

Un prochain numéro de Respect Mag nous en dira sans doute plus sur les propositions de l’intéressée pour replacer « les Outre-mer dans un contexte… qui soit tourné vers leurs voisins… », car c’est effectivement une partie du problème !

Mmes Pulvar et Taubira abordent à juste titre le sujet des institutions du monde caraïbe, mais j’aimerais savoir pourquoi, tout au long des années, les élites politiques locales, Césaire y compris, n’ont pas opté pour l’autonomie, sinon pour l’indépendance ?

Qu’a proposé et que propose de précis et de concret à ce sujet, Mme Taubira pour la Guyane ? Il serait donc très intéressant de le rappeler à vos lecteurs

– La mémoire

L’historien « entrepreneur » Blanchard, selon le nom de baptême que lui a conféré l’historienne Coquery-Vidrovitch, répond à un ensemble de questions posées sous le titre « Sortir des mythologies et de la méconnaissance », vaste sujet pour un chercheur plus spécialisé dans l’image coloniale, telle que montrée en France, que dans leur évaluation statistique, chronologique, c’est à dire historique. Dans le livre « Supercherie coloniale », nous avons démontré les limites de son exercice.

L’historien Durpaire note à juste titre qu’il ne convient pas de « réduire le noir à l’esclavage », notamment dans les manuels scolairesalors que tout un courant de chercheurs la choisit comme cause historique ou mémorielle numéro un, en faisant le plus souvent l’impasse sur l’esclavage domestique Mme Vergès déclare de son côté : « Il faut décolorer le droit », c’est-à-dire, sur le plan littéraire ou juridique ?

Et à cet égard, les historiens de la « périphérie » ont trop tendance à vouloir ignorer cet esclavage domestique (voir la proportion très faible des travaux universitaires de l’Université de Dakar sur le sujet), de même qu’ils feignent, souvent et aussi,  d’ignorer, sur un tout autre plan, les structures de castes qui existaient dans beaucoup de ces sociétés, lesquelles en conservent encore des séquelles bien vivaces  de nos jours.

Comment ne pas observer que de nos jours, l’esclavage domestique a laissé au moins autant de traces, sinon plus, sur les bords du Niger ou de la Betsiboaka que la traite des esclaves, transatlantique ou arabe?

Et en ce qui concerne l’histoire de la Réunion à laquelle Mme Vergès fait référence, il serait intéressant que dans un numéro ultérieur de Respect Mag, elle nous dise ce qu’elle pense de l’impérialisme de type secondaire qu’a été celui de son île, au cours des derniers siècles, un impérialisme de type secondaire qui a nourri d’abord une traite des esclaves malgaches et a conduit ensuite à la conquête de Madagascar. De nos jours, les destinées de Madagascar sont encore beaucoup trop influencées par le groupe de pression réunionnais.

7 –  Notre questionnement « supplétif » :

Comment ne pas examiner aussi les questions posées par le magazine à la lumière des courants d’immigration africaine des trente dernières années, un mouvement quasi-continu qui a profondément transformé le visage du pays ?

Immigration choisie ou pas, il n’est pas besoin d’accuser à tout moment les Français de ne pas jouer le jeu de l’immigration officielle ou clandestine, et de classer automatiquement les Français qui manifestent une hésitation légitime à ce sujet dans la catégorie des adeptes du Front National.

Certains citoyens de France estiment, à tort ou à raison, et à mon avis, en partie à raison, que notre pays a été trop « humanitaire », pour ne pas dire laxiste et irresponsable, compte tenu des problèmes d’intégration souvent redoutables qui n’ont pas été résolus, et vos lecteurs le savent parfaitement bien.

Beaucoup des thèmes analysés par Respect Mag mériteraient de l’être à la lumière de ces transformations profondes de la société française.

Mesdames et messieurs, pourquoi ne pas vous poser aussi la question du pourquoi des regards, des attitudes, du déni que vous prêtez à toute une partie du monde blanc ?

Est-ce qu’il vous arrive de vous interroger sur les difficultés qu’ont un certain nombre de Français à bien interpréter certains aspects de vos cultures d’origine, auxquelles vous êtes attachés, notamment en matière de parentèle ?

Une parentèle subtile, étendue, souvent collatérale, complexe que beaucoup de Français ne connaissent pas, et dont ils ne comprennent pas toujours les puissants enjeux de solidarité qu’elle représente.

Et votre très grande habileté, pour ne pas dire une forme de « génie », bien supérieure à celle de la plupart des Français dits de souche, pour utiliser toutes les astuces de nos législations nationales, et bien sûr, sociales.

Dans son livre « L’Afrique Noire est-elle maudite », Monsieur Konaté, que vous ne classez pas, je l’espère, parmi les traîtres au pays, a bien décrit un certain nombre de traits de la culture africaine qui font problème, une solidarité familiale ou clientéliste excessive, un modèle familial et social archaïque, la survivance des castes….

Les métropolitains ne comprennent pas toujours les éléments de l’univers culturel et religieux de leurs immigrés africains ou maghrébins, et à cet égard, pourquoi ne pas reconnaître que beaucoup de Français s’interrogent sur la capacité de l’Islam de France à entrer dans le cadre de nos lois laïques ?

Un effort de compréhension est donc d’autant plus nécessaire que beaucoup de nos communes n’ont compté aucun noir jusqu’à l’époque moderne

Le journal la Croix a publié le 14 décembre dernier une analyse intitulée « Comment mieux accueillir les prêtres étrangers », mais dans beaucoup de paroisses de nos campagnes, on n’avait jamais vu, il y a encore vingt ou trente    ans, un prêtre noir dire la messe du dimanche dans l’église du village. Il faut en avoir conscience avant d’avoir des jugements rapides.

Quelques témoignages intéressants de religieux qui, a priori, seraient sans doute à classer dans la catégorie des humanitaires, dans ce même numéro :

Trois sœurs sénégalaises à Lisieux (page 3) : « Pendant un an, nous avons observé notre environnement. Nous avons trouvé notre place progressivement…. Ce qui a frappé sœur Thérèse-Marie « les eucharisties ne sont pas aussi joyeuses qu’en Afrique … les gens ont tendance à garder pour eux ce qu’ils vivent. Ils ne l’extériorisent pas. »

Un prêtre malgache à Paris : « Mon arrivée ne fut pas très facile, j’ai été confronté à une nouvelle culture et à de nouveaux codes, par exemple, manger autre chose que du riz, qui constitue la nourriture de base chez moi. »

N’en rajoutons pas, car il est facile d’imaginer les problèmes d’adaptation d’immigrés venus grâce à leur famille, ne sachant ni lire, ni écrire, et ne parlant pas notre langue.

Enfin, et pour conclure, je dirais volontiers trois choses :

La première : il n’est pas sûr que le coup de projecteur que veut donner la fondation Thuram sur les zoos, les exhibitions, serve beaucoup la cause de sa fondation.

N’ayant pas vu cette exposition, je suis sûr que ses organisateurs ont eu l’honnêteté intellectuelle et historique de faire état des nombreux travaux de l’Association « Images et Mémoires » qui ont porté sur une autre forme d’exhibition, moins médiatique sans doute, c’est-à-dire moins provocatrice, et en tout cas, moins caricaturale, celle des « Villages Noirs » dont l’histoire de synthèse est racontée dans le livre « Villages Noirs » (Editions Khartala-2001). Le chapitre 3 du livre « Supercherie coloniale» (Mémoires d’hommes) propose par ailleurs une lecture moins anachronique de cette mode des zoos que celle de l’équipe animée par le « conseiller » historique de Thuram.

Sans évoquer un certain état de l’Afrique noire au moment des conquêtes coloniales, terre de castes, d’esclavage, et de guerres intestines, les premiers contacts entre noirs et blancs ont été placés sous le signe de l’étrangeté, le premier blanc rencontré étant perçu comme un être fantomatique, issu d’un autre monde, sinon maléfique.

Sur le blog du 17 mars 2011, j’ai rappelé l’expérience d’«exhibé » qu’avait faite l’africaniste Delafosse en Côte d’Ivoire, en 1907, dans le village de Siemen, dans la région de Man, racontée dans le livre « Broussard ou les états d’âme d’un colonial » (1923)

Une expérience vraiment différente de celles qui sont mises en vedette par l’ancien footballeur international ?

Pour mémoire, la Côte d’Ivoire a été créée de toutes pièces par un décret de la France coloniale du 10 mars 1893.

Pour revenir à l’actualité, certains journalistes de télévision à succès ne projettent-ils pas le téléspectateur dans un décor moderne de « zoo », par exemple, chez les Nenetz  du grand Nord ou les Himbas de Namibie ?

Croyez-vous, sérieusement, et par ailleurs, que sur un autre plan, cher à des historiens « entrepreneurs », ces exhibitions aient influencé « l’inconscient collectif » des Français, pour user d’une des explications favorites d’une historienne connue ? Par je ne sais quel processus caché ou secret, jamais décrit ou évalué, s’il existait, de cet « inconscient collectif » ?

Qui a-t-il eu la chance d’en vérifier la preuve ?

Je serais tenté de répondre, à ce sujet, par le texte de l’interview de Sonia Rolland (page 55) : « Soyez fières de votre négritude », car il me semble que beaucoup trop de noirs et de noires font précisément un complexe de négritude.

La deuxième : les pages consacrées aux initiatives créatrices des Noirs de France, dans notre pays, et sur le plan international, montrent que rien n’est impossible, à la condition de le vouloir.

J’attends d’un prochain ou des prochains numéros de Respect Mag qu’il mette en valeur toutes ces initiatives, s’il ne le fait déjà.

La troisième : je serais tenté de dire que ce numéro récapitule plus les réclamations, les revendications, les récriminations que les solutions, c’est-à-dire l’avenir que les personnes qui ont été interviewées dessinent pour eux, leurs familles, et en définitive pour la France.

Et c’est peut-être la tonalité générale de ce type de discours qui cause le plus de préjudice à la défense de la cause des membres de la « communauté » noire de France !

Pourquoi ne pas oser dire que les Noirs en général, et ceux de France aussi, ont trop tendance à adopter à la fois une revendication de reconnaissance, et une « posture » de victime, de réparation, et d’assistance, qu’ils manquent de confiance en eux-mêmes, et qu’ils ne sont pas tous prêts à proclamer comme Obama « Yes, you can ! », même s’ils ont souvent tendance à s’en réclamer !

Jean Pierre Renaud