Le livre « Les empires coloniaux »
Sous la direction de Pierre Singaravélou
Lecture critique 3
Lectures critiques 1 et 2, les 12/02/2015 et 27/02/2015
Chapitre 3 « Des empires en mouvement ? » Pierre Singaravélou
C’est à mes yeux un des chapitres les plus novateurs, car la description des migrations internationales qui ont eu lieu entre 1840 et 1940 (p,125) relativisent, tout en cadrant le sujet, le phénomène impérial :
« Ainsi, entre 1840 et 1940, il faut ajouter aux 56 millions d’européens qui ont quitté le Vieux Continent de nombreux migrants asiatiques, 30 millions d’Indiens et 51 millions de Chinois. Il n’y a jamais eu autant de migrants sur une telle période dans l’histoire du monde. »
Des migrations blanches vers les dominions ou de couleur en Asie du Sud-Est et dans l’Océan Indien, des migrations forcées et des migrations libres, des migrations civiles ou militaires, avec toutes sortes de motifs divers, mais qui ont correspondu dans un certain nombre de cas cités par l’auteur à une forme de sous-impérialisme :
« Le triomphe de l’émigration libre des travailleurs asiatiques : une forme de sous-impérialisme ? « (p,152)
Des migrations anglo-saxonnes aussi, sans commune mesure avec celles de la France !
Chapitre 4 « Reconfigurations et histoires urbaines» Hélène Blais
Ce chapitre aborde un sujet également novateur, trop souvent négligé par l’histoire, et il en montre le rôle capital, mais pourquoi ne pas avoir distingué entre les territoires à ancienne et forte civilisation urbaine tels que l’Inde et la Chine, comparés à ceux d’Afrique noire où, sauf exception, les cités n’avaient pas atteint le même stade de développement ?
Au-delà des prédations coloniales foncières décrites dans ce chapitre, n’a-t-on pas sous-estimé dans beaucoup d’analyses le rôle des pouvoirs impériaux dans la reconfiguration de la propriété des terres, passant d’un statut de propriété collective à celui de la propriété privée, notamment dans les zones touchées par la modernité urbaine ou économique ? Une propriété privée devenue un atout de développement, en même temps qu’une nouvelle source d’inégalité ?
Les villes coloniales bâties à l’européenne ont constitué par ailleurs un des truchements les plus efficaces du passage d’un type de société indigène, close à celle d’une société d’échange, ouverte sur le monde extérieur, avec des effets ambigus de ségrégation comme de mimétisme, car dans la plupart des cas les quartiers européens étaient juxtaposés aux quartiers indigènes, beaucoup plus dans les colonies britanniques que dans les colonies françaises.
Quant à la présence des femmes, l’auteure propose le constat suivant :
« Les femmes colonisées comme les femmes européennes sont très minoritaires en ville et sont restées pour cette raison, longtemps invisibles pour les historiens du fait urbain. Elles ont pourtant joué un rôle significatif, en investissant des lieux spécifiques comme la rue, le marché, les fêtes ou les associations d’entraide. » (p,210)
Dans l’empire tropical, peu nombreuses furent les femmes européennes qui prirent le risque d’y séjourner, avant que n’intervienne la révolution de l’hygiène publique et des communications, mais effectivement, et en tout cas, en Afrique noire les femmes colonisées jouèrent un rôle majeur d’animation commerciale, et sur certaines côtes, elles contrôlaient une partie des échanges commerciaux, un rôle évidemment très visible.
Je serais tenté d’écrire que la ville de type européen a peut-être été, dans ces régions d’Afrique noire, le truchement numéro un de la modernité coloniale.
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés
Suite du 3, demain ou après-demain : « L’Etat colonial » de Sylvie Thenault