Histoire et Mémoire? Histoire coloniale et Mémoire coloniale ? Mémoire collective et Inconscient Collectif

Histoire et Mémoire ?

Histoire coloniale et Mémoire coloniale ?

Mémoire Collective et Inconscient Collectif ?

Mémoire collective ou histoire « immédiate » ?

La France a-t-elle une « mémoire collective coloniale », de même qu’un « inconscient collectif colonial » ?

            Comme je l’ai déjà écrit, un courant contemporain d’historiens et de chercheurs a mis l’éclairage sur l’importance de la mémoire « historique », au risque d’entamer la confiance que l’on peut accorder aux recherches historiques les plus sérieuses, notamment en avançant l’idée ou le principe d’une mémoire collective « coloniale », et même d’un inconscient collectif « colonial ».

            J’ai traité ce sujet sur le blog à plusieurs reprises, notamment le 15 avril 2010, en résumant la leçon que proposait Maurice Halbwachs dans son livre « La mémoire collective », en relevant la critique de fond que suscitait le discours de l’historien Stora sur l’existence ou non d’une mémoire collective coloniale, de même que le discours tenu à la Mairie de Paris dans un colloque intitulé « Décolonisons les imaginaires ».

Dans un article publié sur le blog, le  15/04/2010, je m’attachais à :à définir ce qu’est la mémoire collective selon les critères d’Halbwachs, son véritable initiateur, ci-après (contribution 1) , à proposer au lecteur trois analyses concrètes de textes ou de situations évoquées par des historiens ou d’autres intellectuels, « La guerre des mémoires » de l’historien Stora, d’une part (contribution 2), et le colloque de la Mairie de Paris du 12/03/09 sous le titre « Décolonisons les imaginaires », d’autre part (contribution 3).             

1-  Histoire ou mémoire collective ?

Contribution 1  Le débat postcolonial avec l’éclairage Hallbwachs

            A lire articles ou livres de chercheurs, sociologues ou historiens, notre mémoire collective jouerait un rôle primordial dans l’approche et la compréhension de notre histoire coloniale.

            Une mémoire collective investie d’un rôle clé, quelques exemples :

            Premier exemple, le livre « La guerre des mémoires ».

             Citons des échantillons des textes dans lesquels il est fait référence à ce concept.

            « La guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), «  la fracture coloniale, c’est une réalité » (p.33), le « refoulement de la question coloniale » (p.32), « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective jusqu’à aujourd’hui une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer (p.32), « les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            Deuxième exemple, le livre « L’Europe face à son passé colonial »

            A la page 144, un historien note « une explosion mondiale des mémoires », et un autre écrit à la page 219 : «  La mémoire coloniale constitue depuis plusieurs années un sujet primordial dans le débat public français. »

            Troisième exemple, le livre « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy ».

            Un historien illustre à plusieurs reprises le concept : « une vision largement partagée par nos concitoyens (p.113) », « ces stéréotypes », « cette façon de voir les Africains est bien présente dans la mentalité française (p.116) », « combien le discours de Dakar « colle » à une opinion majoritaire en France » (p.122), « au service de l’anéantissement de ces clichés et stéréotypes si profondément ancrés dans une certaine vision de l’Afrique. » (p.123)

            Quatrième exemple, le livre « Mémoire année zéro ».

            Brillant essai d’un auteur habile à manier les concepts de mémoire, d’histoire, et d’identité nationale, à donner le vertige intellectuel au lecteur, j’écrirais volontiers d’une excellente facture « ENA ».

            Dans cet essai riche en citations, références, jugements et perspectives,  l’auteur écrit : « A côté de l’histoire, la mémoire était un instrument commode et populaire. La mémoire est collective (1). Les souvenirs sont individuels. (p.24) » La note (1) de la page 39 renvoie au livre « La mémoire collective » de Maurice Halbwachs, sans autre plus de précision.

            A la même page 39, l’auteur écrit : « On le voit : notre mémoire collective est en crise… »

            L’auteur nous entraîne dans un exercice de haute voltige intellectuelle autour du concept de mémoire, sans attacher, semble-t-il, une grande importance à la définition stricte des concepts manipulés, notamment sans asseoir ses raisonnements sur la définition rigoureuse de la mémoire collective qu’en a proposée Halbwachs.

            A partir de quelle définition et quelle mesure, ces appréciations et assertions sont-elles formulées, donc sur quel fondement ? Telle est la question

A force de lire articles et livres portant sur l’histoire coloniale, sur le passé colonial de la France, je me suis posé la question de savoir ce qu’était cette fameuse mémoire collective, nouvelle panacée de certains intellectuels, comme nous l’avons vu.

            J’ai donc été à la rencontre de l’inventeur, sauf erreur, de la théorie de la mémoire collective, c’est-à-dire Maurice Halbwachs, et donc de son livre fondateur, comme certains disent de nos jours.

            Rien ne vaut en effet, même pour un historien amateur, d’aller à la source.

            Qu’est-ce que nous dit cet auteur ? Dans un ouvrage austère, mais très bien écrit, Halbwachs analyse tous les aspects de la mémoire collective et en décrit les conditions de base, c’est-à-dire : une mémoire collective qui ne peut être définie que par rapport à :

            un espace (lequel ?),

            un groupe déterminé (lequel ?),

            un temps historique (lequel ?).

             Le sociologue ne manque pas de préciser qu’une mémoire collective a une durée de vie limitée (laquelle ?).

            Les héritiers du grand sociologue ont été inévitablement confrontés à la mesure de cette fameuse mémoire collective, en proposant méthodes, et outils de mesure quantitative, au moyen d’enquêtes statistiques fiables.

            Le constat : dans les textes des livres cités, nous n’avons trouvé ni définition du concept, ni indication de sources d’enquêtes statistiques, qui pourraient accréditer le discours de ces chercheurs.

            Je conclurai donc en faisant appel à la sagesse du bon vieux Descartes, comment ne pas douter, en tout cas pour l’instant, du fondement de ces affirmations, tant qu’elles ne s’appuieront pas sur des démonstrations conceptuelles et statistiques ?

            Pourquoi ne pas se demander entre autres si la fameuse mémoire collective française n’est pas plutôt branchée sur l’Europe, allemande, anglaise ou italienne, plutôt que coloniale ? A démontrer !

            Quelques citations éclairantes pour finir :

            « C’est à l’intérieur de ces sociétés que se développent autant de mémoires collectives originales qui entretiennent pour quelque temps le souvenir d’évènements qui n’ont d’importance que pour elles, mais qui intéressent d’autant plus leurs membres qu’ils sont peu nombreux. »  (page 129)

            « La mémoire collective, au contraire, c’est le groupe vu du dedans, et pendant une période qui ne dépasse pas la durée moyenne de la vie humaine, qui lui est, le plus souvent, bien inférieure. » ( p,140)

            « Chaque groupe défini localement a sa mémoire propre, et une représentation du temps qui n’est qu’à lui. » (p, 163)

&

Mes recherches personnelles m’avaient conduit à m’interroger, notamment dans le  livre « Supercherie Coloniale » sur le discours mémoriel du collectif de chercheurs de l’équipe Blanchard, d’après lesquels la France de la Troisième République, puis de la Quatrième, aurait été imprégnée de culture coloniale puis impériale, plongée dans un « bain colonial », sans en avoir apporté les preuves scientifiques suffisantes, sans proposition d’une méthodologie de l’existence de la mémoire collective en question.

            Le chapitre IX de ce livre a résumé questions et critiques sous le titre «  Le ça colonial ! L’inconscient collectif ! Freud au cœur de l’histoire coloniale. Avec l’Algérie, l’alpha et l’oméga de la même histoire coloniale » (page 235 à 281)

Mes conclusions n’ont pas changé, faute pour les historiens et les mémorialistes de proposer une méthode scientifique de calcul qui permette effectivement d’y procéder :

  1. Comment parler de « mémoire collective » coloniale sous la Troisième République alors que l’instrument statistique des sondages n’a commencé à être utilisé en France, qu’après 1945 ? Et pour la période antérieure « coloniale » à partir de quels vecteurs de mémoire collective supposée ?
  2. Comment parler aussi d’un « inconscient collectif » colonial existant sous la Quatrième ou Cinquième République, sans s’être donné les moyens de le mesurer par des enquêtes d’opinion sérieuses, comme il est possible de le faire depuis de nombreuses années ?

A la condition sine qua non qu’on puisse scientifiquement l’ausculter et le mesurer ?

  1. Question : à partir des travaux de l’Observatoire B2V, et du livre « La mémoire entre sciences et société », la situation a-r-elle évolué avec les instruments statistiques nécessaires pour évaluer la mémoire collective du passé, ou encore l’inconscient collectif du même passé, grâce aux travaux de cet Observatoire ?      

Après avoir lu un article de Pascale Senk dans le Figaro du 20 mai 2019 sous le titre « Quand l’imaginaire collectif nous ébranle », et l’interview de Francis Eustache intitulée « La mémoire collective est en pleine expansion », ma curiosité a de nouveau été éveillée par ce sujet, et donc par ce livre.

Pascale Senk faisait référence à la publication d’un ouvrage collectif dirigé par Francis Eustache, intitulé « La mémoire, entre sciences et société » (Observatoire B2V des Mémoires- Le Pommier poche), avec la collaboration de six scientifiques, une psycho gérontologue, une neurologue, un spécialiste d’intelligence artificielle, un neurobiologiste, un historien, et un philosophe.

Ce livre de plus de 700 pages a évidemment un contenu austère pour un lecteur non spécialisé dans les disciplines traitées tout au long de très nombreux chapitres distribués dans cinq parties :  « Mémoire et oubli » (p,15 à 133) – « Mémoire et émotions » (p,133 à 277) – « Ma mémoire et les autres » (p,277 à 406) – « Les troubles de la mémoire : prévenir, accompagner »  (p,406 à 537) – « La mémoire du futur » (p, 537 à 671).

Le sous-titre de l’’article de Pascale Senk cadrait bien le sujet : « Catastrophes, attentats, faits divers… Face à l’actualité, notre vie psychique a aussi une dimension collective », de même que sa conclusion :

« Reste que de puissantes images nous imprègnent et constituent une autre forme d’imaginaire collectif se construisant en permanence : un héros donnant sa vie pour d’autres, des avions s’encastrant dans des buildings ou une cathédrale qui brûle. Combien de temps agiront-elles en chacun de nous, et pour les générations suivantes ? Nous l’ignorons. »

Dans l’interview de Francis Eustache, neuropsychologue de la mémoire humaine, et à la question : « Le Figaro – Pour vous qui travaillez sur la mémoire la notion d’inconscient collectif est-elle pertinente ?

Oui, car aujourd’hui les différentes disciplines étudiant la mémoire se rejoignent. Pendant longtemps, la psychologie et les neurosciences, d’une part, les sciences sociales, d’autre part, travaillaient de manière séparée. Aux premières l’étude de la mémoire individuelle, typique, ou malade ; aux secondes, la mémoire collective, avec un focus sur le fait que certains événements étaient occultés car ils n’avaient pas de signification sociale, mais finissaient par ressurgir. A Caen par exemple, les conséquences des bombardements alliés, ont longtemps été passées sous silence. Il a fallu soixante-dix-ans pour que l’on mentionne les victimes (25 000 victimes civiles). Mais les Normands qui avaient vécu cela avaient en fait deux mémoires : l’une familiale, beaucoup ayant perdu un ou plusieurs membres de leur famille sous ces bombardements ; l’autre collective, qui parlait de reconstruction et d’accueil des libérateurs. Différents types de mémoire peuvent donc cohabiter en chacun. »

  • Sont-elles transmissibles ?

« En tout cas, lorsqu’elles correspondent à des blessures indélébiles, leur récit saute souvent une génération…

Est-ce l’émotion qui « imprime » ces mémoires ?

Oui, quand l’histoire collective, rejoint un vécu personnel, cela crée une émotion surprenante qui nous dépasse. Nous cherchons à décrypter scientifiquement, par l’imagerie cérébrale, l’observation des neuro-cognitions et des enquêtes d’opinion par exemple, ces liens entre ces deux dimensions mnésiques. D’autant plus qu’avec les caisses de résonance que sont devenus les médias, les événements sont amplifiés. La mémoire collective est en pleine expansion.

Vous travaillez notamment sur la mémoire des attentats du 13 novembre 2015 … »

Pourquoi ne pas se demander si les deux concepts d’’inconscient collectif et de mémoire collective sont synonymes ?

Première partie  

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Propagande postcoloniale contre propoagande coloniale ? « Fragments du jeu académique postcolonial » par Vincent Chambarlhac

L’ACHAC/BDM, fausse ou vraie sirène postcoloniale ?

Le moteur d’une subversion postcoloniale.

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La sirène ACHAC/BDM

« Fragments du jeu académique postcolonial (à propos d’un collectif, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine, ACHAC)

Vincent Chambarlhac – CAIRN INFO

            « Pour emblématique qu’il soit, le débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 vaut palimpseste, effaçant parce que le réécrivant le texte des polémiques intellectuelles qui contribuèrent à la structuration de la controverse coloniale. Partant, il ne s’agit pas pour autant de restituer un sens caché à ce débat (1), mais plutôt d’évoquer à grands traits un faisceau de pratiques universitaires, éditorialistes et militantes qui concourent à cette structuration dont le nœud gordien serait le lien tissé entre le passé colonial et le présent républicain. Soit l’irruption  des postcolonial studies dans le champ académique. Si l’essentiel de mon propos vise à restituer à une part des acteurs de ce débat leur rôle singulier, le politique dans sa version parlementaire et partidaire demeure en hors-champ de l’analyse. Dans la genèse intellectuelle du débat, ces jeux d’acteurs se saisissent à mes yeux dans l’horizon du postcolonialisme comme enjeu conceptuel simultanément universitaire et militant, à l’orée des années 1990 dans le monde anglo-saxon (2), aujourd’hui en France. Embrasser l’ensemble du champ français du postcolonialisme outrepasse évidemment le cadre de cet article : il se restreint à la part active prise dans le développement de ce champ par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et plus largement le collectif qu’est l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (ACHAC) dans son lien avec l’histoire contemporaine. Dans l’historiographie française, leurs publications, et les stratégies qui les animent, constituent à mes yeux une part des débats en cours sur le postcolonial.

            L’hypothèse d’un transfert culturel ouvre l’analyse : elle n’est pas inédite, reprend un argument souvent brandi dans les débats. Cette hypothèse débouche sur la saisie de deux logiques complémentaires. L’une se situe aux confins des pratiques universitaires et médiatiques ; elle désigne autant un projet qu’une manière de se situer dans le champ de l’histoire universitaire. La seconde désigne l’appropriation politique de la problématique postcoloniale dans l’espace public, et postule que celle-ci participe de l’inscription du postcolonial dans le jeu académique. Toutes deux signalent des lieux et des passeurs par quoi et par qui les débats adviennent, se structurent et s’arriment au champ historique dans la récurrence des polémiques.

L’HYPOTHÈSE D’UN TRANSFERT CULTUREL

        «Sur le fond, ce qui se joue dans ce débat sur le fait colonial tient à ce que l’histoire de ce passé fait aux universaux républicains. Cette position travaille finalement peu le monde colonial : seule importe la métropole. Lié au présentisme des enjeux mémoriels, ce questionnement de la République à partir du fait colonial convoque les apports des postcolonial studies anglo-saxonnes. Ce mouvement, qui commence à partir du débat des années 1990, se déploie à partir de la culture comme objet. Significativement, l’une des premières manifestations de cette irruption des problématiques des postcolonial et cultural studies dans l’historiographie française est la longue recension que Christophe Prochasson donne de l’ouvrage d’Hermann Lebovics pour les Annales HSS (3) ce livre est finalement traduit chez Belin en 1995. Pour Christophe Prochasson, « le retour à une histoire politique passe par la publication » de tels ouvrages (4). C’est dans la conjoncture du renouvellement de l’histoire politique par l’histoire culturelle que se déploient l’appel aux travaux anglo-saxons et, dans le cas présent, la question du postcolonialisme. La situation peut se lire dans la problématique de l’appel au profane : en recourant aux travaux anglo-saxons, une partie des historiens français se distingue dans la reconfiguration en cours du champ historiographique par l’histoire culturelle (5)…

        On peut ainsi risquer l’hypothèse, à propos de la question coloniale, d’un transfert culturel paradoxal… L’irruption des thématiques propres au postcolonial studies bouscule en partie l’histoire du fait colonial naguère pratiquée à partir de l’histoire politique et de l’histoire sociale. Déplaçant sur le sol métropolitain la prise en compte du fait colonial, elle fragilise l’équilibre des découpages jusque-là dominants où l’histoire coloniale occupait un secteur historiographique marginal.(6) Cet appel au profane présuppose l’hybridation des synthèses prévalant, multiplie les controverses possibles puisqu’elle postule dans la trame du national (réduite spatialement au métropolitain) la part du colonial, soit l’argument emblématique des racines coloniales de la république au sens de l’histoire politique.(7)…

          Ici, le rôle de l’ACHAC et des publications qui lui sont liées paraît déterminant. Son action se déploie à la charnière de ces deux logiques. L’une est militante et universitaire ; éditoriale la seconde se marque davantage à partir de 2003 des  signes propres au spectaculaire. Cumulées, ces logiques concourent simultanément à la légitimation universitaire d’une part des travaux d’un collectif au titre du postcolonialisme, et à l’évidence prescriptive de ces thématiques dans l’espace public. Dans son rapport à la société, l’historien parait ici thaumaturge puisque légitimant scientifiquement les nécessités d’une politique de la reconnaissance ; dans son rapport l’historiographie, l’historien paraît là challenger. La possibilité des polémiques et l’impossibilité des controverses naissent de ce positionnement singulier. » (11)    

         Commentaire :   

         Ce quime frappe dans cette analyse fort intéressante du type de problématique historique ou mémorielle rencontrée,  de la nature d’historicité racontée, c’est en arrière-plan, la question d’une historicité légitimée par sa scientificité, et dans le cas présent sa représentativité, sa validation dans une histoire quantitative dans le contexte historique métropolitain de la période coloniale, dénombrement des vecteurs et de leurs effets, mesure de la mémoire « coloniale » post-indépendance,  et d’un transfert supposé entre populations.

        Transfert culturel ou politique, pourquoi pas, mais comment en effet tirer une conclusion, une prescription, à partir du moment où les historiens, les sociologues, les anthropologues, les politologues, et ici les sémiologues, « bâtissent » une histoire ou une mémoire, en fondant   interprétation, mais pis, « prescription », sans évaluation scientifique des sources de validation ?

       Car, tel est bien le cas du discours pseudo-historique tenu par ce collectif.

        Les lecteurs de ce blog qui ont eu la curiosité de lire mes analyses des œuvres d’Edward Said, ont constaté que je posais la question de base du « quantitatif », à savoir si les « structures d’influence » supposées avaient été effectivement mesurées. Indiquons en passant que les travaux d’Edward Said se situent à un autre niveau d’exigence intellectuelle que ceux de ce collectif.

        L’auteur poursuit :

       « Une trajectoire historiographique

        L’ACHAC participe depuis 1989 d’une manière souvent déterminante à la promotion du concept de culture coloniale. La structure de l’association articule le monde de la recherche (Bancel, Blanchard et alii), des écrivains (Daeninck), des cinéastes et des artistes militants, et reproduit en partie la morphologie anglo-saxonne des postcolonial-studies. Son action repose sur des supports variés : l’exposition, le livre, l’article, le documentaire vidéo, la radio…  A l’ACHAC, on peut adjoindre, au moins pour son savoir-faire l’agence les Bâtisseurs de mémoire créée par Pascal Blanchard qui considère l’histoire comme un vecteur de communication au service des entreprises. Les travaux de l’ACHAC ont graduellement balisé l’irruption des thématiques postcoloniales. Ils se déportent progressivement de l’Afrique à la métropole, interpellant alors la République par le biais de la question coloniale. »

         Commentaire :                  

       Le texte ci-dessus est intéressant parce qu’il pose  plusieurs problèmes : – sur le qui fait quoi entre l’associatif, ou le public, et le privé, c’est-à-dire sur le mélange des genres, d’autant plus que Pascal Blanchard était répertorié dans un laboratoire du CNRS de Marseille ?

  • Sur le sens à donner à la dernière phrase sur le déport progressif de l’Afrique à la métropole… par le biais de la question coloniale »   

      A proprement parler, le déport n’a pas été fait de l’Afrique à la métropole, mais de la métropole à la métropole, à partir d’un corpus de représentations coloniales diffusées en métropole, des représentations qui n’avaient pas été manipulées par le Colloque savant de janvier 1993, comme le fit l’ACHAC.

        L’auteur découpe trois étapes :

       « Trois étapes marquent ce processus

        Dans une première phase, les travaux de l’ACHAC procèdent de la mission fondatrice de l’association, organisant autour de la bibliothèque de documentation internationale (BDIC) et de ses fonds des expositions sur l’Afrique coloniale. Le choix d’une entrée par la culture coloniale implique l’étude des représentations métropolitaines sur le fait colonial. Le catalogue d’exposition prend ainsi comme cible la propagande coloniale, mais aussi dans le sillage d’Edward Said, le regard des Occidentaux sur l’Orient, et ce jusqu’en 1962. L’empire colonial français fut également en 1997, l’objet d’une exposition.

       A partir de ce capital, une inflexion décisive se dessine avec la publication d’un ouvrage collectif consacré aux zoos humains. Ici, la traduction spatiale s’achève. La métropole seule importe comme cadre géographique des représentations coloniales, et la séquence chronologique embrassée par le titre (De la Vénus hottentote aux reality shows) signifie la pertinence d’une grille de lecture postcoloniale. Ce travail sur les zoos humains fut préparé par la publication d’un ouvrage portant sur la continuité de l’indigène à l’immigré. Les travaux d’Abdelmalek Sayad innervent cette problématique. L’essentiel de cette translation tient à sa dimension anthropologique où les représentations du corps, ses usages, deviennent le lieu déterminant de l’analyse. La problématique se noue à la discrimination positive, où le corps vaut marqueur social ; elle établit également un pont avec la question de l’esclavage. Au cours de cette seconde étape, l’approche s’institutionnalise scientifiquement par la création du groupe de recherche GDR CNRS 2332 « Anthropologie des représentations du corps » créé en janvier 2001 dans lequel entre l’Agence des Bâtisseurs de mémoire, représentée par Pascal Blanchard et Eric Deroo. Au cours de cette seconde étape, les problématiques employées se resserrent, à partir du concept de culture coloniale, sur la question du rapport à la métropole en termes de représentations. Les objections de Claude Liauzu à ces travaux désignent cette réduction du fait colonial au seul registre des représentations métropolitaines. A ce stade également, l’argument de la culture coloniale s’entend dans la configuration plus ample du succès d’une histoire des représentations dans le champ historique où Sylvain Venayre décèle la fin de la soumission du monde mental au social. Le propos de Claude Liauzu procède en partie du refus de cette fin, comme d’une historiographie aux paradigmes érigés avant le tournant culturaliste.

        La troisième étape voit la systématisation de cette entrée sur le fait colonial maintenant placé au cœur du récit national républicain. L’argument d’une République coloniale publié sous forme  d’essai prolonge la trilogie des Editions Autrement sur la culture coloniale. La publication en 2005 de l’ouvrage consacré à la culture coloniale clôt momentanément cette étape. Avec ce dernier opus, la grille postcoloniale se donne comme une clé d’explication possible de la question sociale contemporaine…Cinq ans plus tard, le volume Ruptures coloniales. Les nouveaux visages de la sociétéfrançaise  procède du même mouvement…

            Cette relecture de l’histoire politique au miroir du colonial emprunte nombre de ses arguments au questionnement des colonial studies anglo-saxonnes comme en  témoignent les entrées de Ruptures postcoloniales. Les racines intellectuelles d’un collectif s’affirment face à la polémique dans le champ scientifique ouverte par l’irruption de ce postcolonialisme académique.

      Ainsi ramassée, cette trajectoire historiographique nouée autour des publications de Nicolas Bancel et de Pascal Blanchard montre comment ceux-ci peuvent apparaître comme des passeurs dans le cadre d’un transfert culturel des problématiques postcoloniales. Peu à peu autour de leurs publications, s’ébauche un système éditorial qui construit progressivement leur position dans le champ universitaire à partir d’une critique sans cesse plus resserrée des représentations républicaines. En ce sens, leurs travaux s’apparentent à l’émergence d’une nouvelle génération de  chercheurs légitimant ces nouveaux champs de recherche par l’appel aux cultural studies. Les controverses universitaires suscitées par ces travaux construisent également par leur médiatisation, la réputation de ces chercheurs. Cette stratégie part des marges de l’institution universitaire (l’ACHAC, l’agence les Bâtisseurs de mémoire), elle trouve des points d’appui dans le monde universitaire anglo-saxon et se nourrit de chantiers proches tel celui de l’esclavage pour proposer in fine une autre écriture du récit républicain. Ce système éditorial ne set pas seulement cette position historiographique. La stratégie qui anime son progressif développement structure pour  partie la réception des problématiques postcoloniales dans l’espace public, ouvrant ainsi intellectuellement la voie à une appropriation large de ces travaux, questionnant le rôle social de l’historien dans la CitéLes enjeux politiques de l’histoire coloniale (de Mme Coquery-Vidrovitch , sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard ne cessent ainsi de scander dans l’espace public la question du postcolonialisme depuis 2005. Nécessairement celle-ci n’est donc pas uniquement académique, accolant ainsi systématiquement à la figure du chercheur celle du militant. L’assomption des propositions historiographiques de l’ACHAC tient à ce moment politique où la colonisation est convoquée dans l’espace public.

             Commentaire :

             Comparé à ces historiens entrepreneurs d’un nouveau genre, et pour les initiés, l’historien Lavisse était un ange !

        Il faut dire les choses, et pas à demi-mot, face à beaucoup de ces chercheurs qui ignorent beaucoup de choses, sur l’histoire coloniale et postcoloniale, mis à part le cas de l’Algérie, grâce, entre autres, au zèle médiatique et mémoriel de Benjamin Stora, animateur du modèle de propagande des Raisins Verts, que j’ai qualifié ainsi dans une de mes chroniques, l’agit prop d’un nouveau Trotskisme, faute de l’autre !

        Est-ce qu’ils ne sont pas définitivement fâchés avec les chiffres, ceux de l’histoire quantitative ? Ont-ils eu la curiosité, comme je l’ai fait, de tenter de mesurer l’activité des vecteurs d’une culture coloniale supposée, ainsi que de leurs effets qui n’a jamais existé ?

        Histoire, mémoire ou plutôt politique, car ce collectif fait semblant d’ignorer l’importance des flux d’immigration régulière et irrégulière qui sont venus dans notre pays depuis près de trente années, dont une majorité d’entre eux ignoraient presque tout de leur histoire coloniale.

         Il faut donc dire que ce collectif surfe depuis le début sur un créneau politique nouveau, un nouveau « marché », comme les analyses sérieuses l’ont démontré, en pratiquant un mélange des genres entre associatif, public et privé, surprenant et choquant pour tout connaisseur des affaires publiques.

       Le nom de baptême que l’auteur a décerné à Mme Coquery-Vidrovitch m’est allé droit au cœur : « sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard », car il s’agit bien d’une « sorte de guerre » masquée, qui ne dit pas son nom, mais qui sait y faire dans la marchandisation de l’histoire, à supposer quand même qu’il s’agisse bien d’histoire.

      Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? – 2

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

2

En prologue 2

            Les qualificatifs que j’attribuerais volontiers à la plupart de ces textes, sont leur caractère ostentatoire, emphatique, approximatif, idéologique et politique, trop souvent éloignés de la rigueur, en même temps que de la prudence, qu’imposeraient les sujets traités.

           Je me pose une fois de plus la question, comme je l’ai déjà fait dans la longue analyse que j’ai consacrée au livre de Sophie Dulucq sur l’écriture de l’histoire coloniale, de savoir si l’histoire postcoloniale ne souffrait pas des mêmes défauts de niveau universitaire.

Introduction (1)

Descartes : « Le Discours de la Méthode »

« Les préceptes »

« Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle…

Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. »

Une citation clé, compte tenu de l’absence quasi-complète de l’histoire quantitative dans ces travaux

Pourquoi ces textes de chercheur impénitent et impertinent ?

Le combat contre la désinformation postcoloniale, c’est-à-dire une nouvelle forme de subversion nationale

            Je suis né dans une famille de Franche Comté fidèle à la devise de notre province « Comtois, rends-toi, nenni ma foi », et après avoir fait de solides études universitaires, j’ai choisi de servir la France et le service public de mon pays.

            Je déplore depuis plusieurs dizaines d’années la gouvernance laxiste de notre pays, et je suis effaré par les discours idéologiques que certains groupes de chercheurs postcoloniaux déroulent sur notre histoire coloniale, avec le soutien de groupes de pression, notamment celui que j’ai qualifié de « modèle de propagande des  raisins verts », celui du sillon maghrébin, qui ont encore de l’audience dans le monde de la politique, des médias, et des éditeurs.

            Les textes ci-après ont donc l’ambition de résumer mes réflexions sur ces sujets très sensibles en suivant le plan énoncé plus haut, en me demandant en définitive si le roman historique n’était pas devenu un modèle de recherche historique plus rigoureux que les romans postcoloniaux mémoriels ou idéologiques que l’on nous projette sur le passé ou sur le présent de la France.

            Il est vrai toutefois que les spécialistes semblent avoir beaucoup de mal à distinguer dans l’extrême variété des textes publiés, ceux qui relèvent ou non de la science « historique » avec d’autant plus de difficultés que  la mode des mémoires semble déstabiliser l’univers des historiens.

            Récemment, dans le Figaro Magazine des 16 et 17 février 2018, Pierre Nora déclarait «  La dictature de la mémoire menace l’histoire », mais peut-être faudrait-il l’interroger sur les responsabilités qui ont été les siennes à ce sujet, en tant qu’historien et grand éditeur.

            Depuis une dizaine d’années, je me suis replongé dans l’histoire coloniale – un nouveau bain colonial – que j’avais étudiée au cours de mes études universitaires, après avoir lu les livres publiés – une vraie avalanche ! – par un groupe de chercheurs appartenant à ce que j’ai baptisé plus tard du nom de « collectif Blanchard and Co ».

          De façon tout à fait étrange dans le milieu des historiens, et entre historiens, Mme Coquery-Vidrovitch avait, elle, baptisé son animateur du nom d’« historien entrepreneur », ce qu’il a été ou est devenu effectivement.

         Culture coloniale ? Culture impériale ? Fracture coloniale ? République coloniale ? Mémoire coloniale ?

          Cette profusion d’appellations « pompeuses » interpellait tout à la fois ma compréhension de ces concepts, mes propres lectures des récits coloniaux, ma formation universitaire, et enfin mon passé professionnel.

        L’ensemble de ces textes propose une lecture postcoloniale de notre histoire,  qui revêt toutes les caractéristiques d’un « modèle de propagande » tel que l’a décrit Chomsky, le « modèle de propagande des raisins verts », l’expression que j’ai choisie pour dénommer un autre groupe de pression de propagande postcoloniale. 

         Le lecteur pourra se reporter à l’analyse que j’ai proposée sur ce blog, le 19 septembre 2017, sous le titre « Pouvoir et subversion »

        Depuis 2010, et à plusieurs  reprises sur ce blog, j’ai eu l’occasion de critiquer les « produits culturels » de ce collectif de chercheurs.

         Il s’agit d’un « modèle de propagande » fondé sur une idéologie de détestation du passé colonial français, pour autant qu’il ait été partagé par le peuple français, et semble avoir l’ambition d’incarner une nouvelle forme d’histoire, celle de l’autoflagellation nationale, la guerre d’Algérie imprégnant fortement ce courant.

       Je ne dis pas que ce courant d’histoire idéologique qui s’est très largement substitué au courant marxiste, soit obligatoirement représentatif de l’histoire postcoloniale, mais on pourrait le croire, à voir son succès dans les médias.

        Est-ce que l’historien idéologue Blanchard qui se multiplie dans les médias,  n’aurait pas, par exemple, son rond de serviette sur Arte, au journal « 28 minutes » ?

          En concurrence dans les médias,  avec l’historien Stora, autre modèle du genre dans une guerre supposée, mais jamais mesurée des mémoires ?

         Les appellations de ces livres cachent en fait une lecture idéologique, plus qu’historique des faits coloniaux, et je m’en suis déjà expliqué longuement à la fois sur ce blog, et dans le livre publié en 2008, sous le titre de « Supercherie coloniale ».

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? Les Actes du Colloque de janvier 1993

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Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

Les Actes du Colloque de janvier 1993 (150 pages) : analyse

I « Mythes, Réalités et Discours » – Synthèse Mme Catherine Alcoer (page 19 à 27)

« Doctrine coloniale et opinion publique »

      «…  Si l’on peut donc parler d’une idéologie coloniale du point de vue de l’émetteur, celle-ci devient infiniment plus complexe du point de vue du sujet percevant. » (p,19)

        « L’Exposition coloniale : expression du discours politique »

          « … Nous assistons donc au même phénomène de banalisation, l’Empire est entré dans les mœurs…

        Catherine Coquery-Vidrovitch insiste sur le fait que ces représentations, ces mises en scène sont reprises dans la presse de l’époque comme autant de réalités… » (p,23)

« … Il s’agit à présent d’étudier en quoi ce que Catherine Coquery-Vidrovitch qualifie d’entreprises de mythification coloniale à propos de l’exposition de 1931, mais plus généralement l’iconographie coloniale, relève d’un discours politique, mais également quels furent ses prolongements dans l’inconscient collectif. »

       Il convient de noter 1) L’auteure  rappelle dès le départ une distinction capitale dans un tel domaine entre « l’émetteur » et le « sujet percevant » » une distinction quasiment oubliée dans le discours du collectif de chercheurs, 2) que Catherine Coquery-Vidrovitch a été une des promotrices de l’introduction de l’inconscient collectif dans ce débat savant, 3) qu’elle fut la Présidente du jury de la thèse de doctorat de M.Blanchard, une thèse qui ne fit qu’effleurer les terrains d’évaluation de la presse, 4) que l’analyse de la presse de l’époque, seul vecteur susceptible de proposer une évaluation de l’opinion publique n’a pas été effectuée.

         « Iconographie coloniale, réalité et phantasmes »

        « Comprendre, expliquer l’impact de l’iconographie coloniale auprès du public exige de prendre en considération les conditions internes et externes qui ont présidé à sa conception, d’où la difficulté méthodologique

       « Expliquer l’impact… d’où la difficulté méthodologique » (p,24)

        Il s’agit d’une des difficultés de la méthode historique, à côté de beaucoup d’autres.

        Après la guerre de 14-18, et d’abord dans le cas de l’Algérie : « …Toujours pour Gilbert Meynier, ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française qui, toute à sa nouvelle prospérité, ne semble pas convaincue de l’apport des colonies en la matière… » (p,25)

     « … L’imbrication étroite de la réalité et du fantasme dans l’iconographie coloniale et dans ses répercussions sur l’inconscient collectif amène un problème de méthodologie majeur quant à l’étude de ces images. A partir du moment où les observateurs historiens ex-colonisateurs, ce qui est le cas de la plupart de nous tous, à partir du moment où des observateurs se déclarent objectifs, distants mais possédant un bagage culturel qui lui n’est pas objectif », affirme Catherine Coquery-Vidrovitch. Elle poursuit : « je fais métier de ne pas croire à l’objectivité puisque le travail de l’historien est précisément un travail de doute. .. « (p,26)

        Jean Devisse (le directeur de la thèse de doctorat  Blanchard) souligne cependant la nécessité d’ouvrir ce dossier et non plus d’en avoir peur. « Ce qui me semble évident c’est qu’il faut un inventaire complet, total, de tous les aspects, même ceux qui nous gênent beaucoup, de tous les aspects de cette longue période que nous avons occultée. Nous n’avons pas occulté que la guerre d’Algérie (…) Le rassemblement d’images, la constitution d’un corpus, ce n’est pas de l’histoire, c’est la base de matériaux qui permet ensuite de construire une réflexion historique. »

         Le travail de l’historien devra toujours pour Jean Devisse, « faire table rase des clichés, des images mentales, transmises presque génétiquement et porteuses de désastre pour les relations entre la Nord, la France et ses territoires extérieurs. ….

        Mais  au préalable, pour analyser ces images il faut apprendre à s’en méfier et être attentif à leur prolongement dans notre inconscient. » (p,26)

       L’auteur écrivait « Nous n’avons pas occulté que la guerre d’Algérie », une observation contradictoire avec celles de Benjamin Stora, historien de l’Algérie, qui écrit dans « Images et Colonies », à la page 257 : « guerre qui contrairement aux idées tout faites, a été montrée dans la presse quotidienne (lorsqu’elle n’était pas censurée) et dans les magazines à grand tirage. »

        Problèmes de méthode sûrement, non réglés tout aussi sûrement, mais à voir l’irruption de l’inconscient  dans ce débat historique, aucun participant ne semble avoir proposé de méthode d’analyse historique ou non.

        Catherine Coquery-Vidrovitch écrivait dans sa contribution :

        L’historien, l’image et les messages «  En dernier point, j’en viens à une réflexion personnelle. Le sujet qui nous occupe ici est passionnant, les sources sont extraordinaires. J’ai donc cherché à comprendre pourquoi je n’avais pas envie de venir parler dans ce colloque qui s’annonçait pourtant extrêmement intéressant et dont je reconnaissais scientifiquement tout l’attrait.
      Pour comprendre un réflexe de ce type il faut faire la psychanalyse de l’historien. » (p,30)

        L’historienne explique cette réflexion tout à fait personnelle par son propre passé, mais elle accrédite la thèse que je défends sur certains discours postcoloniaux, à savoir qu’il est difficile, sinon impossible pour un historien dont le vécu est contemporain de l’histoire qu’il veut raconter d’être suffisamment détaché des sources consultées.

       L’historien Goubert a d’ailleurs pris une position très nuancée sur le sujet de la « fabrication » de l’histoire contemporaine.

         Dans sa contribution, l’historienne Annie Rey-Goldzeiger sur le Maghreb et la France du XIXème et du XXème siècle a également pointé le rôle supposé de l’inconscient, mais en reconnaissant son échec à proposer une méthode d’analyse : « Aussi n’essaierai-je pas de formuler une méthode sûre pour aborder ce sujet qui m’a interrogée depuis longtemps : j’ai cherché une méthode de recherche qui, je l’avoue, n’a pas été trouvée. » (p,38) 

       Ce qui ne l’a toutefois pas empêché de lui attribuer un rôle important dans son analyse historique !

       Dans le livre « Supercherie coloniale », j’ai consacré un de mes chapitres au « ça colonial », et très récemment j’ai tenté de démonter la propagande du « modèle de propagande des raisins verts », animé par des enfants de parents « coloniaux » d’Algérie ou du Maghreb.

      Ces chercheurs ont eu en effet un passé qui les a mis en rapport avec le monde colonial algérien, un passé qui ne pouvait leur être indifférent, comme ce fut également le cas pour l’historien Gilbert Meynier.

       Dans la première séquence « Mythes, Réalités et Discours », l’historien affichait ce concept d’inconscient dans le titre même de sa contribution :     « Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre- deux-guerres ». (p41)

       L’auteur précisait qu’il s’exprimait sur les « indigènes » dans le cas algérien principalement.

         «Propagande et thèmes coloniaux Le lendemain de la guerre est un temps d’incantations volontaires du Parti colonial et de ses escortes idéologiques et médiatiques. Une foule de livres… des flots de brochures, de tracts, de films destinés à exalter l’idée coloniale…. Ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française… ». (p,44) 

        « Imaginaire colonial et inconscient français »

        « Les ambitions coloniales sont parallèles à la volonté de vulgarisation concernant les colonies. Cette vulgarisation touche pourtant différemment la masse française et l’élite de la foi coloniale… Le drame est que ces images des colonies, répondant à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

       Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale ramène d’abord au pré-carré français et il doit très peu au grand large. » (p,48)

        Le lecteur est-il plus avancé ?

         Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

SUBVERSION ET POUVOIR VI – Les « raisins verts « 

VI – Le modèle de propagande des « raisins verts » : mémoire ou histoire ?

Un nouveau combustible politico-religieux ?

          Les lecteurs du blog connaissent les nombreuses questions que posent les prises de position médiatico-politiques de l’historien Benjamin Stora que j’ai classé dans la catégorie des agit-prop mémoriels.

           Avec un certain succès, à voir le nombre de ses apparitions médiatiques, Monsieur Stora a réussi, à faire passer un message sur la soi-disant mémoire collective coloniale qui  existerait de nos jours en France, tout en maniant des concepts intellectuels qui fleurent bon la psychanalyse, l’inconscient collectif dont un collectif d’historiens ou d’intellectuels, s’est targué d’y voir une des clés d’explication de notre histoire contemporaine.

        Mme Coquery-Vidrovitch a aussi proposé jadis ce type d’explication mémorielle ou psychanalytique.

         La mode de la mémoire s’est en effet emparée de l’histoire, pour ne pas dire s’est substituée trop souvent à cette dernière, dans le cas de l’histoire postcoloniale.

         Seul petit problème, les nouveaux thuriféraires de cette mémoire n’ont jamais mesuré cette mémoire collective, alors que depuis les années 1945, il existe maints instruments de mesure quantitative et qualitative.

        A ma connaissance, Monsieur Stora n’a jamais rien proposé sur ce terrain statistique, quand même plus scientifique qu’un simple discours.

       Je l’ai déjà fait remarquer à maintes reprises, mais il est vrai qu’un autre historien aussi connu, Pierre Nora, a publié une œuvre collective et magistrale, intitulée « Les lieux de mémoire », sans avoir non plus, et à ma connaissance, fait vérifier par enquête statistique la réalité ou les réalités des mémoires décrites le plus souvent avec talent, en France, et pour quel public.

       J’ai aussi critiqué ailleurs, et longuement, en particulier sur ce blog, les analyses soi-disant historiques du collectif Blanchard and Co sur la Culture coloniale ou impériale dans laquelle la France aurait « baigné » à l’époque coloniale, faute d’avoir procédé à un authentique travail d’histoire quantitative, notamment à partir de la presse de l’époque coloniale, seul instrument de mesure massif de la thèse avancée.

       Comment ne pas noter que ce mouvement mémoriel ou historique, souvent d’inspiration idéologique, a complètement oublié les travaux et les leçons des historiens des Annales, les promoteurs de « l’histoire méthodique », telle que décrite par l’historienne Sophie Dulucq (p,21), dans son livre « Ecrire l’histoire à l’époque coloniale ».

        A voir les troubles qui agitent de nos jours l’opinion publique, les troubles qui agitent nos médias, les difficultés qu’il y a à distinguer le vrai du faux, cette propagande mémorielle, car il faut bien désigner ces discours mémoriels par le mot propagande, la France a bien du souci à se faire, faute de réaction, d’opposition, de  contradiction, et à dire vrai, de résistance.

        Foin des mémoires fictives, délétères et autoflagellantes !

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

SUBVERSION ET POUVOIR ?

Les subversions ? Les manipulations ! Le grand désordre !

Une esquisse d’éclairage sur les processus de renversement de l’ordre républicain.

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Cette chronique sera publiée au fur et à mesure des jours

Sommaire

En prologue – La France est-elle l’objet d’une subversion ?- Le nouveau théâtre d’opérations des subversions –  Les machineries du théâtre d’opérations – Les « modèles de propagande » – Trucs et truquages – Le modèle de propagande des « raisins verts » : mémoire ou histoire ? – Face à ces défis.

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« En plein jour, je l’abuse par le jeu des drapeaux et des étendards, et, le soir, je l’égare par des battements de tambour. Alors, tremblant de frayeur, il divisera ses forces par mesure de précaution. »

 Sun Tzu

La parabole des « raisins verts »

          En prologue     

         Pourquoi ces réflexions sur la situation de la France face à une subversion multifactorielle, fruit d’un ensemble de manipulations de toute nature, intellectuelle, politique, religieuse, sociale, économique, historique, et de nos jours médiatique, dont l’objectif est une prise de pouvoir ?

            Subversion au singulier ou subversions au pluriel ?

            A l’occasion d’un  commentaire des positions mémorielles de M.Stora, j’ai fait appel récemment à la référence biblique des « raisins verts » et cette appellation singulière me parait justifiée, compte tenu du rôle médiatique très troublant que ses membres, la plupart issus du sillon maghrébin, ont joué dans cette nouvelle forme de subversion multiculturelle, en tant qu’enfants d’acteurs ou de témoins des situations coloniales dénoncées, algériennes avant tout, en investissant avec un certain succès le mémoriel, médiatique, et politique (blog du 3 avril 2016).

            Dans le livre « Le choc des décolonisations », l’historien Pierre Vermeren utilise à ce sujet l’expression de « matrice algérienne », et nous y reviendrons plus loin dans l’analyse du théâtre d’opérations.

            Très tôt, j’ai été sensibilisé aux thématiques de la subversion, pour avoir lu, entre autres, les « Œuvres Choisies » de Mao-Tsé-Tung, m’être intéressé aux guerres révolutionnaires, subversives, marxistes, ou tiers-mondistes, celle notamment du Vietminh, puis à celle que j’ai « fréquentée », si je puis dire, en Algérie, dans les années 1959-1960.

            J’ai eu, en particulier, l’occasion de comparer à la fois sur le plan intellectuel et sur le terrain, les théories de la guerre subversive exposées par le colonel Trinquier et, d’une façon moins convaincante, par le capitaine Galula, en notant la faiblesse d’une partie des analyses et recommandations stratégiques, notamment en raison d’une compréhension erronée des objectifs de cette subversion que l’on combattait, l’objectif numéro Un de ce type de stratégie étant la conquête de la population, et la prise de pouvoir grâce à son soutien effectif.

            Afin de mieux connaître les tenants et aboutissants de la subversion en général, ou de telle ou telle subversion en particulier, il convient de s’intéresser au contenu des stratégies militaires et politiques, indirectes et directes, celles anciennes, décrites par Sun-Tzu, ou par Clausewitz, et celles modernes analysées par Beaufre, Gambiez, ou Liddell Hart.

           Les domaines de l’information et de la propagande font évidemment l’objet des stratégies indirectes de manipulation, telles celles décrites par Chomsky dans le livre « La fabrique de l’opinion publique » (1988).

        Plus largement et en profondeur, le philosophe et sinologue François Jullien a décortiqué les chemins stratégiques proposés dans la philosophie chinoise, avec les concepts de « potentiel », de « position », de « disposition », de « propension », ou autres chemins de « détour », notamment dans le livre « La propension des choses- Pour une histoire de l’efficacité en Chine ».

          Le chapitre 2 de cet ouvrage analyse la proposition : « La position est le facteur dominant (en politique). », en notant qu’il s’agit d’un des sujets majeurs de toute analyse stratégique, d’où l’importance des positions que sont susceptibles de prendre les subversions, bonnes ou mauvaises.

      Pourquoi ne pas citer l’exemple actuel d’un Qatar théocratique, lequel, en prenant le contrôle du PSG, avec la complicité de notre Establishment de gauche et de droite, bénéficie de l’aura et de l’image de la capitale de la République Française ?

            Il y a près de vingt ans, j’avais commis un petit livre d’analyse et de réflexion, intitulé « Chemins Obliques », sur les différents champs d’application des stratégies indirectes, dont le contenu avait alors intéressé le général Gambiez, que j’avais rencontré.

            A la page 108, j’avais noté que quel que soit le champ d’études retenu : « Nous ne sommes jamais très loin du champ des stratégies indirectes. »

            L’ouvrage passait en revue tous les domaines de notre vie, qui au-delà de la guerre, pouvaient être l’objet d’une stratégie indirecte, c’est-à-dire de toutes les tromperies, de processus insidieux, en ce qui concerne la politique nationale ou internationale, l’information, l’art, ou l’amour…

            Il n’est pas inutile de rappeler que dans l’attaque directe, votre adversaire tente de vous vaincre, à titre principal, dans un face à face, à visage découvert (Verdun 1916), alors que dans l’attaque indirecte, il tente de vous vaincre en vous déstabilisant, à visage à la fois découvert et masqué, à front renversé (Vietminh ou FLN).

Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

Stora, les « raisins verts », mon blog et les marabouts ?

A nouveau, ma surprise de lire le 5 juin dernier le commentaire d’un lecteur ou d’une lectrice, faisant sa pub pour inciter des lecteurs à consulter un marabout : le commentaire portait sur la troisième chronique que j’ai publiée, le 3 avril 2017, sur la guerre d’Algérie,  dont l’intitulé est :

« Qu’est-ce qui fait courir Monsieur Stora ? »

Je concluais ce texte par des citations des prophètes de la bible qui évoquent le rôle des « raisins verts » dans la vie des pécheurs.

Question : y-a-t-il un rapport quelconque entre les marabouts, les « raisins verts » et Stora ?

Je n’ai évidemment pas publié ce commentaire.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie, suite et fin

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite et fin (e)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289)

        Un titre poétique pour un chapitre au contenu dérangeant, portant sur les nouvelles formes de propagande ou de contrôle de l’information qui touche l’ancien domaine colonial de la France.

       A l’heure actuelle : « Les acteurs et les pôles de pouvoir sont multiples. Entre la France et ses anciennes colonies, lobbys, groupes d’intérêt et de pression sont très divers : Etats, et services de renseignement, collectivités locales, médias (presse et télévision)…Or ces acteurs tentent peu ou prou d’influencer médias et auditeurs selon leurs intérêts. Fabriquer les opinions est un métier… L’information est une denrée que les régimes autoritaires veulent contrôler par tous les moyens. La présence durable et des contacts sur place sont irremplaçables : séjourner dans un grand hôtel avec les correspondants étrangers forge une information très différente. « (p,290)

        Une manipulation d’autant moins difficile avec une presse aux mains des grands groupes industriels que l’auteur décrit :

        « La plupart des médias français sont aux mains de 11 groupes privés… « Des médias audiovisuels très dépendants du service public » (p,292),avec pour résultat : « Pour toutes ces raisons, les régimes autoritaires contrôlent l’information diffusée en France et en langue française. Ce n’est pas pour eux une option, mais parfois une question de survie. Et certains médias français en profitent au passage pour renflouer leurs caisses. » (p,295)

      Comme le note l’auteur un peu plus loin et en ce qui concerne certains journalistes :

      « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine, qui éclate au cours de l’été 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes français en charge des affaires internationales et du Maroc, ont bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du Maroc sur le Sahara ? » (p,302)

      « …. Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec ses dirigeants oblige. » (p,297)

       Dans certaines affaires, les services de l’Etat ne sont pas en reste : « Du Biafra à la révolution tunisienne, la manipulation par les services de l’Etat français ? » (p,299)

Chapitre XVIII « L’immigration, porte ouverte sur le monde ou bonne conscience européenne ? » (p,305)

      L’auteur a eu raison de souligner à la page 306 une situation qui explique le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies, hors leur exotisme :

        « Depuis 1830, la France colonise sans peupler : les paysans y sont riches et dotés de terres ; l’excédent démographique est capté par Paris et les régions industrielles ; et la Grande Guerre tue ou mutile 1 homme valide sur 4 »

           Riches ? Par rapport à qui, où et quand ? D’autres facteurs étaient en jeu.

          Je ne m’attarderai pas sur le contenu de ce chapitre, sauf à remarquer que l’auteur donne quelques informations sur des sujets tabous ou ignorés, par exemple,  en ce qui concerne les Antilles :

         « Le nombre des Antillais de métropole double entre 1954 et 1962, puis augmente de 50% entre 1962 et 1968. En 1968, on dénombre 61 000 personnes devenues 800 000 en fin de siècle…. » (p,312)

          L’auteur évoque également le regroupement familial et je fais partie de ceux qui s’étonnent de la prudence, pour ne pas dire du silence des autorités sur ces flux mal contrôlés :

        « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question… « (p,314)

        Des flux qui, à mes yeux, n’ont pas contribué à faciliter l’intégration de certains groupes de population qui habitent dans les quartiers sensibles.

         L’analyse consacrée  aux flux algériens est éclairante, mais conduit à se demander pourquoi la politique d’immigration algérienne a quasiment toujours bénéficié d’une mansuétude de la part de notre pays, pour ne pas dire d’un privilège à l’égard des ressortissants d’un pays qui n’a pas noué de saines relations avec la France, et alors qu’une des raisons légitimes de la politique du général de Gaulle, quant au largage de l’Algérie, était précisément la volonté que notre pays ne devienne pas un jour, compte tenu des mouvements démographiques prévisibles, la colonie de l’Algérie, une dynamique qui parait bien engagée, compte tenu notamment du rôle des intellectuels venus de la matrice algérienne, un rôle fort bien décrit par l’auteur.

        « L’histoire des migrations en France, a fortiori des Algériens, est souvent écrite par des intellectuels venus ou passés par Alger … Abdelmalek Sayad, assistant de Pierre Bourdieu… René Gallissot… Benjamin Stora… » (p,318)

         « Le discours de Français Hollande du 15 décembre 2014, dans une Cité nationale de l’histoire de l’immigration dirigée par Benjamin Stora, renvoie au premier acte de sa campagne présidentielle en 2011, la commémoration des cinquante ans du 17 octobre 1961, auquel l’historien de l’Algérie n’est pas étranger. La volonté affirmée de « réconcilier » Paris et Alger participe de ce mouvement complexe…

        Cette surreprésentation des intellectuels et hommes politiques liés à l’Algérie dans la sphère étroite de la politique multiculturelle française révèle le silence persistant des « sujets » de cette politique, les immigrés récents et leurs descendants, exception faite de plusieurs intellectuels originaires des DOM. Elle dit quelque chose de la volonté des générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, et par sa désintégration, de reconstruire une cité idéale sur ses décombres. Avec le recul, l’Algérie française apparaît à ces intellectuels et hauts fonctionnaires comme une société ségrégative, injuste, inégalitaire, raciste et autoritaire, un anti modèle à dépasser. » (p320)

        J’ai souligné l’expression générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, parce qu’elle ne traduit pas à mes yeux les réalités historiques, sauf à dire que depuis plusieurs dizaines d’années, les Français sont manipulés par une nouvelle propagande insidieuse et beaucoup plus importante que ne fut jamais la propagande coloniale elle-même, beaucoup plus limitée et inefficace, fondée sur les « mirages exotiques », alors que la propagande distillée par ces groupes de pression cherche à investir les consciences et à manipuler notre histoire de France.

          L’expression « générations marquées au fer rouge » à rapprocher d’une autre expression qui se veut historique alors qu’elle n’a jamais été mesurée, celle de « mémoire qui saigne ».

        L’historien politique Stora a la paternité de cette expression historiquement saignante, c’est le cas de le dire.

Conclusion « Le legs singulier de la France coloniale »

         L’auteur souligne bien la situation française des colonies avec toutes les contradictions dont la France d’aujourd’hui souffre encore : les conquêtes coloniales ont largement été le fruit d’une alliance entre le sabre et le goupillon, la franc-maçonnerie dans les superstructures des colonies, mâtinée de christianisme à ses bases, faites de coups politiques relevant du fait accompli montés par la gauche républicaine ou entérinés par elle, à l’exemple de Jules Ferry au Tonkin, en 1883, ou de Mahy, originaire de la Réunion, en 1883, à Madagascar, lequel fut un bref ministre de la Marine et des colonies du 29 janvier 1883 au 21 février 1883.

        La gauche des décolonisations n’a pas été à la hauteur des enjeux en Indochine, à Madagascar, et en Algérie : c’est le gouvernement de Guy Mollet qui fit voter l’envoi du contingent en Algérie, un contingent dont je fis partie.

         « L’empire colonial a été une affaire d’élites. Les élites françaises, royales, impériales et républicaines ont agi à destination des élites colonisées. De sorte que les Français, en tant que peuple, n’ont été concernés qu’à trois reprises par leur empire, l’exposition coloniale de 1931 demeurant un simple spectacle. Une première fois lors de la venue des troupes coloniales en métropole en 1914 et 1939 ; une seconde fois lors de la guerre d’Algérie, quand l’envoi de 2 millions de soldats et des attentats en métropole ont fait connaître l’Algérie; et une troisième fois par l’installation en métropole de millions de  ressortissants de l’ancien empire, la question n’ayant d’ailleurs jamais été débattue. Mais de l’empire et de ses sociétés, ils n’ont toujours su que ce que les élites, leur gouvernement et les médias voulaient bien en dire. » (p,323)

      Je partage cette conclusion : paradoxalement, notre pays est devenu une sorte de nouvelle colonie du monde moderne, et je ne pense pas que la France coloniale, celle décrite à grands coups de brosse idéologique, par certains chercheurs,  réduite à une petite  élite ait jamais pu imaginer que notre pays allait devenir lui, une colonie de peuplement, alors qu’en dehors de l’Algérie, la France n’avait jamais pratiqué la colonisation de peuplement.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Troisième Partie « La France, les Français et leurs anciennes colonies » p,221 à 234)

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Tous droits réservés

Troisième Partie

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Après avoir décrit le fiasco des décolonisations (I), puis la situation des décolonisés sous l’empire de leurs élites (II), l’historien analyse la situation de la France, des Français, et des anciennes colonies. (III)

      Comme je l’ai indiqué la décolonisation était inscrite dans l’histoire qui s’est effectivement déroulée, celle du « cours des choses » que beaucoup de membres de l’élite coloniale avaient prédit, ne serait-ce déjà que l’africaniste connu des spécialistes, Delafosse, et des bons connaisseurs de l’Afrique, lesquels proposaient l’association au lieu de l’assimilation.

        Il n’était pas facile pour les officiers de la conquête de manifester leur scepticisme sur ses buts, mais il en fut qui l’osèrent, je pense au colonel Frey qui exprima plus que de l’hésitation sur le bien- fondé de la conquête du Soudan, de nos jours le Mali, dans les années 1886-1888, une conquête dont il fut un des acteurs, je pense aussi au capitaine Toutée à l’occasion de sa mission politique et géographique vers le Niger, dans les années 1894-1895..

       Plutôt que d’aller à Madagascar, Lyautey, en ce qui le concerne, aurait préféré que la France s’attache à l’Indochine, le « joyau », respecte les institutions séculaires de l’Annam, de son Empereur, fils du ciel, plutôt que de les chambouler en remplaçant les mandarins par des résidents coloniaux.

       Un « cours des choses » qui toucha tous les empires » coloniaux, et qui se conclut généralement par un fiasco, même pour l’Empire des Indes, la Chine, ou l’Afrique du Sud pour ne citer que quelques-unes des terres coloniales les mieux loties.

        En ce qui concerne l’Afrique noire, je crois avoir démontré que les analyses de Frédéric Cooper sont trop décalées, historiquement, par rapport aux situations coloniales concrètes de l’après deuxième guerre mondiale en Afrique noire.

        En ce qui concerne la deuxième partie (II), son contenu illustre bien la difficulté qu’il y avait, compte tenu des caractéristiques de ces mêmes situations coloniales, en tout cas en Afrique noire, en termes de géographie physique, humaine, politique, économique, religieuse, culturelle, ethnique.

      La description qu’en fit le géographe Richard-Molard après la deuxième guerre mondiale suffisait à en montrer la très grande complexité.

    L’historien décrit toutes les dérives qui ont suivi les décolonisations, lesquelles découlaient largement de ces situations coloniales et de leur héritage, en termes d’Etat, de populations et d’élites.

       Je choisirais volontiers comme symbole de l’échec d’une certaine élite, Senghor, sorti de Normale Sup, un catholique d’exception élu grâce au soutien de la Confrérie musulmane des Mourides.

        Il se convertit à la solution du parti unique, une sorte de symbole de l’écart gigantesque qui existait entre des peuples qui n’étaient pas des nations et leurs petites élites, ou celui d’Houphouët-Boigny qui réussit à réaliser une certaine coagulation ivoirienne fondée sur un réseau de planteurs de cacao, mais surtout sur l’ethnie puissante que constituait le peuple Baoulé, en surfant sur une idéologie marxiste alors à la mode en métropole.

     Ai-je besoin d’ajouter que Mitterrand joua un rôle important dans la  « récupération » de ce leader, alors qu’il fut un des artisans de l’échec meurtrier de la décolonisation en Algérie.

      La troisième partie contient des analyses tout à fait intéressantes, d’autant plus qu’elles n’hésitent pas à mettre le doigt sur des incongruités historiques trop souvent méconnues.

        Le chapitre XIII ouvre le bal, mais à mes yeux, son titre même « Amnésie coloniale, mauvaise conscience, et beaux discours » souffre d’un biais courant et ambigu dans ce type d’analyse, c’est-à-dire qu’elle parait fondée sur un postulat, celui d’une « culture coloniale » des Français qui n’a jamais existé, et qui n’a jamais été mesurée, ne serait-ce que dans la presse, et qu’en même temps pour avoir existé, elle aurait été l’objet d’une « amnésie ».

     « Amnésie » pour qui ? Pour quelle amnésie ? Sur quel terrain colonial ? L’Algérie ?

     Les pages que l’auteur consacre aux politiques et surtout aux milieux intellectuels, montrent bien que c’est essentiellement l’Algérie qui leur a servi de toile de fond, leur rôle très actif dans le réveil d’une mémoire française qui aurait été coloniale.

       L’historien Stora en est, me semble-t-il un bon représentant, et c’est d’ailleurs son évocation qui ouvre ce chapitre (p,223), avec la référence de son livre « La gangrène et l’oubli » (1991), mais l’auteur souligne plus loin :

      « Cependant, il faut cesser de penser qu’il y alors en France ni débat ni réflexion sur cette guerre coloniale… » et plus loin, en titre de paragraphe « L’histoire coloniale engloutie par la guerre d’Algérie ».(p,224)

      Tout à fait !

     Il s’agit de l’objection la plus importante qui peut être faite au travail médiatique de Stora, finir par faire croire aux jeunes Français, et cela n’a pas l’air de bien marcher de nos jours, que l’Algérie fut l’alpha et l’oméga de la colonisation française, et lorsque j’écris « l’Algérie », il conviendrait de lire la « guerre d’Algérie ».

        Plus loin, l’historien cite le nom d’un autre intellectuel qui fit partie de cette nouvelle vague de propagande, lequel nous a entraînés récemment dans la désastreuse guerre de Libye:

     « La France passe en quelques années du mythe de la France résistante, installé par de Gaulle, à celui de la France collaborationniste porté par la jeune génération d’intellectuels, comme Bernard Henry-Lévy. C’est sur fond de retournement idéologique lié à l’irruption sur la scène publique de la génération nées après la guerre (Celle de 68 ?), que la mémoire coloniale» qui continue de « saigner », selon les mots de Benjamin Stora, refait surface. Bernard Henry-Lévy et lui-même appartiennent d’ailleurs à la génération d’intellectuels issus d’Algérie. » (p,232)

    Si mes informations sont exactes, l’intéressé ou sa famille auraient encore des intérêts en Afrique du Nord.

       Question : mémoire « coloniale » ou mémoire « algérienne » ? Que personne n’a d’ailleurs eu le courage de tenter de mesurer.

          Une mémoire qui « saigne » ? Diable ! Celle de Stora ?

         L’auteur note « La France des années 1960 ne veut plus entendre parler des colonies, inconnues des nouvelles générations. » (p,231)

         Je ne suis pas sûr que les anciennes générations aient plus entendu    « parler des colonies » avant les années 1939-1945, ce qui n’est pas démontré, sauf à quelques grandes occasions qui ont fait la une des actualités de l’époque, Fachoda ou guerre 14-18, la grande Exposition Coloniale de 1931, s’étant inscrite beaucoup plus dans le cycle des Grandes Expositions alors à la mode en Europe.

         Ainsi que je l’ai déjà écrit, les histoires coloniales et postcoloniales, avant tout, souffrent d’une  grande carence d’analyse de la presse, seul grand vecteur de mesure de l’opinion publique de l’époque.

     Ce livre nous donne à maintes reprises l’occasion de constater le rôle important que la mouvance des intellectuels issus de la matrice algérienne a joué dans ce que j’appellerais volontiers une  propagande coloniale inversée, beaucoup plus importante et plus efficace que ne fut la propagande du « temps des colonies », celle « adorée » par le collectif Blanchard end Co.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vemeren Troisième partie – Suite

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

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Troisième Partie

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

Suite

       A mes yeux, la mise en lumière de ce courant de pensée très influent, trop influent, pour ne pas dire de propagande repentante et auto-flagellante, de nature idéologique, le plus souvent amarrée à la gauche, une gauche héritière de la gauche des conquêtes coloniales et de l’échec meurtrier de la guerre d’Algérie.

      « La nouvelle guerre des mémoires après 2000 » (p,233)

       L’auteur donne à nouveau la parole à M.Stora, mais c’est l’évocation de la deuxième guerre civile d’Algérie, celle des années 1990, « Cette terrible guerre sans visage, qui fait 200 000 morts, réactive, dix ans après la guerre civile libanaise (1975-1990), la mémoire des violences et des clivages idéologiques du temps colonial », une guerre encore plus « sans nom » que la première, et cette fois complètement masquée, qui est éclairante, sans partager l’avis de M.Stora sur les élections présidentielles de 2002, avec la surprise Le Pen : « Sans aller jusqu’à estimer, comme Benjamin Stora, que cette situation emprunte directement à la guerre d’Algérie, on ne peut faire l’économie de cette réflexion. » (p,234)

       Une réflexion du mémorialiste Stora que je ne partage pas du tout, car une fois de plus, l’historien en question ne fait état d’aucune enquête sérieuse d’opinion sur la question.

      L’auteur souligne à nouveau le rôle des intellectuels issus de la « matrice » algérienne : « Les intellectuels anticolonialistes venus d’Algérie sont très en pointe sur ces débats, notamment au sein des colonnes du Monde. Des activistes comme les Indigènes de la République vont même jusqu’à abolir la distance historique entre la période coloniale et l’actualité française du début du XXIème siècle…. La nouvelle guerre des mémoires est inséparable d’une histoire coloniale dans laquelle les héritiers, voire les témoins  de l’Algérie française, sont les principaux acteurs. » (p,235)

       Toujours le même constat, la quintessence historique de l’Algérie en lieu et place de toutes les autres colonies !

        L’auteur note à juste titre « Des formations politiques durablement marquées, oui, mais toujours par la guerre d’Algérie » (p,235) :

        « Pour les socialistes français, la guerre d’Algérie est le naufrage  qui a emporté la vieille SFIO…avec la réapparition de Mitterrand :

       Le paradoxe est qu’il est porté au pouvoir par la génération d’après-guerre, qui, ignorant son passé, soutient un ancien partisan de l’Algérie Française. La responsabilité de la guerre est pourtant imputable à la classe politique de la IVème République dont il est issu. » (p,236)

       J’ajouterai, dont il a été un des acteurs les plus remuants et les plus influents dans les changements fréquents de gouvernement.

      J’élargirai mon propos en indiquant que ce fut la gauche républicaine qui se lança dans les grandes conquêtes coloniales des années 1880-1900, que la gauche du Front Populaire dans les années 1935-1936 a été incapable d’orienter une politique de décolonisation pourtant nécessaire, et qu’elle récidiva dans son action  « réactionnaire » avec la guerre d’Indochine, la répression de Madagascar (1947, avec Moutet), et enfin avec le désastre de la guerre d’Algérie.

    La gauche du Programme Commun (1981-1995) nous a laissé en héritage une Françafrique pour le moins ambigüe, le néocolonialisme, et une histoire de France de la repentance et de l’autoflagellation nationale.

     Le chapitre XIV « Les élites postcoloniales en métropole : entre revanche sociale, utopie et corruption » (p,239)

     L’auteur a tout à fait raison d’appeler notre attention sur le rôle des élites rapatriées dans la vie nationale, et cette évocation est très éclairante sur l’évolution française :

     « La réussite et l’influence des élites rapatriées sont rarement abordées, comme si elles étaient un non-objet d’histoire…. Mais rien n’a presque été écrit sur la réussite et la réinsertion des élites pieds noirs et coloniales en métropole. Faut-il parler d’élites postcoloniales, d’héritiers ou de descendants des colonisateurs, et comment délimiter cette population ? Le risque d’arbitraire existe. Il revient à l’historien de proposer des termes justes.

    On peut chiffrer les personnes de retour de l’empire, les classer, définir des groupes de pieds noirs, fonctionnaires, militaires… Faut-il incorporer leurs descendants ? En 1991, (toujours Stora !) Benjamin Stora estime que 7 millions de métropolitains vivants ont été personnellement touchés par la guerre d’Algérie (2 millions de militaires, 2 millions de pieds noirs et leurs enfants, 3 millions d’algériens immigrés et harkis) un chiffre repris par l’ambassadeur de France à Alger…

     Quelle est l’influence de ce groupe sur « l’idéologie française », au sens où Bernard Henry-Lévy l’a définie ? Ce groupe a-t-il pesé sur la scène politique et intellectuelle, sur les milieux d’affaires, sur la représentation du monde des Français métropolitains ? » (p,240)

      L’auteur montre bien l’influence de ce groupe de pression, mais une fois de plus, il s’agissait plus de la matrice algérienne que de l’impériale au sens large, comme l’indique d’ailleurs la liste des membres de ce groupe qui figure dans la paragraphe : « Dispersion et importance de la scène artistique-médiatique » (p,245)

          Mais plus intéressantes sont encore les pages consacrées à :

     « Les trois temps d’une prise du pouvoir idéologique et intellectuel en France » (p,246)

      Le passage de ce livre éclaire tout à fait cette « prise de pouvoir idéologique et intellectuel en France », une situation le plus souvent ou trop souvent ignorée.

      Comment ne pas attribuer à ce nouveau « pouvoir », non issu du suffrage universel, une grande partie des dérives de victimisation, de repentance, ou d’auto-flagellation de notre histoire de la France ?

     Les pages 246,247, et 248 en donnent la liste.

     L’auteur cite d’abord Camus : « Figure tutélaire des intellectuels antitotalitaires et libertaires avant la lettre, il subit le magistère anticolonialiste de Jean Paul Sartre qui exerce avec brutalité son ascendant sur la gauche marxiste et indépendantiste…. Lors de la remise de son prix Nobel à Stockholm, il a prévenu : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. » Savait-il que la déconstruction était à l’œuvre ?

Les intellectuels nés, passés par, ou venus d’Algérie, occupent des positions clés dans les années 1960 et 1970 au sein de l’intelligentsia française et de ses grandes institutions. » (p,246)   

Jean Pierre Renaud