Les Défis de la France de 2021 ?

 Au cours des vingt et trente dernières années, la France a changé en profondeur parce qu’elle a ouvert ses frontières à tous les vents sur le plan économique, mais tout autant sur les plans démographique et culturel.

            Chaque jour, les faux savants, les demi-savants, mais avant tout les ignorants, et très souvent les demi-habiles ou les cupides d’argent ou de notoriété, nous rabattent les oreilles de dé ou de post colonial, du dernier woke de service venu des Etats Unis, ou encore de diversité, reine de la terre et des cieux…Leur ambition à tous est de clouer notre pays au pilori pour mieux asseoir leurs fausses puissances.

            Trop, c’est trop, et cela suffit ! Arrêtez vos conneries ! Revenez sur le terrain, le terrain de la France et du bon sens !

            Je fais partie des Français qui ont incarné la diversité dans les années 60, ce qui était plutôt rare en France, dans une France qui ignorait quartiers sensibles, manifs pseudo-religieuses, propagande musulmane s’insinuant dans toutes les fentes de la culture, de la politique, et de la société.

            Je puis témoigner du bon accueil que ma famille fit à une jeune femme venue de la Grande Ile, alors qu’il n’en fut pas de même pour moi sur ses plateaux d’origine. J’eus l’occasion de recueillir le même type de témoignage au cours des années suivantes auprès de parents ou d’amis.

            On ne peut pas dire que dans ce pays, les relations humaines étaient radieuses entre ses communautés, notamment entre celles des plateaux et celles des côtes, sans évoquer les andevo, les anciens esclaves, pas plus qu’elles ne l’étaient au Togo, entre le Nord et le Sud, ou encore entre douars, et même entre clans en Algérie…

Deux documents récents doivent aider les Français à comprendre et  à situer les enjeux actuels et futurs de notre pays, le livre de Jérôme Fourquet « L’archipel » avec la montée en puissance incontestable de la population d’origine arabo-musulmane, et le livre de Pierre-André Taguieff « L’imposture décoloniale » avec le « postcolonial business » … plus austère.

En 2008, j’avais moi-même publié un livre sous le titre « Supercherie coloniale »

Pourquoi ne pas assaisonner enfin cette lecture avec celle de la chronique intitulée « L’Opéra de Paris rattrapé par la bataille sur la diversité » par Ariane Bavelier (Le Figaro du 31/12/2020) ?

Je publierai quelques réflexions sur cette « bataille » des ignorants et des manipulateurs, pour au moins une raison, un vrai goût pour le ballet que je découvris tardivement en raison de ma « diversité provinciale ».

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Empires coloniaux France Grande Bretagne: réactions de lecteurs ou lectrices Angleterre: réaction

Empires coloniaux France Grande Bretagne: les comparaisons historiques sur mon blog;

Qu’en pensent lecteurs ou lectrices,assez nombreux qui les ont consultées? Je n’en sais rien, car je n’ai enregistré aucune réaction positive ou négative.

J’avais fait le même constat en ce qui concerne mes chroniques consultées plus de deux mille fois sur les « sociétés coloniales »

De la part d’un chercheur « franc-tireur »

Les Sociétés Coloniales résultat des courses au 1er octobre 2013

Les Sociétés Coloniales

Agrégation CAPES 2013

Résultat des courses au 1er octobre 2013

            J’ai publié une série de textes sur ce blog qui contenaient mes analyses, critiques, et réflexions sur le thème retenu cette année pour les concours d’Agrégation et du CAPES. (6 contributions d’un total de 11 414 mots) (1)

            J’avais en effet relevé l’inscription de ce sujet dans les épreuves de ces concours, un thème qui nourrit mes lectures, mes réflexions, et mes expériences de vie depuis mes études à l’Ecole Nationale de la France d’Outre- Mer.

            La carrière préfectorale m’avait éloigné, presque définitivement, des mondes de l’outre-mer, mais à partir de ma retraite, du temps qu’elle me laissait, et des lectures que je pouvais faire, ou des émissions de télévision que je regardais, une question me taraudait de plus en plus, celle de la puissance de certains groupes de chercheurs, le plus souvent sollicités ou soutenus par des médias d’information ou d’édition, qui produisaient un discours et des images ne correspondant pas à la connaissance que j’avais moi-même des sujets traités, trop souvent en termes de propagande.

            Telle a été la raison de cette publication, et je remercie tous les lecteurs et toutes les lectrices qui, depuis le début de cette publication,  ont bien voulu consulter ces textes depuis le mois de mars.

            Le 2 juillet dernier, j’avais donné un  premier résultat des courses, un total de consultations identifiées comme telles par le site Over-Blog.com, de 1 035, dont 506 en juin.

               A la date du 1er octobre 2013, ce chiffre a atteint 1 428 consultations (135 en juillet, 102 en août, et 156 en septembre), une sorte de récompense du travail effectué, quel qu’ait pu être l’accueil critique fait à ces lectures, car les commentaires ont été aussi rares que discrets.

              Une récompense dont je me félicite d’autant plus, que comme certains le savent, je ne suis pas un historien « patenté » mais de l’espèce d’un électron entièrement libre dans ses analyses, ses questions, et ses réflexions.

            Avec le regret toutefois d’avoir bénéficié le plus souvent de commentaires de nature presque subliminale !

         Sur le théâtre et en scène, toujours « l’inconscient collectif colonial » cher à certains historiens et historiennes ?

Jean Pierre Renaud

(1)  Le 18/01/13 : le sujet – 11/02/13 : le puzzle géant – le 5/03/13 : les citations – le 20/03/13 : les ethnies – les 10 et 15/05/13 : problématique et conclusions

Gallieni et Lyautey, ces inconnus! A Madagascar: la vie mondaine d’une société coloniale réduite à sa plus simple expression

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

A Madagascar, avec Lyautey et le colonel Charbonnel

17

La vie mondaine d’une société coloniale réduite à sa plus simple expression

      Un cadrage démographique utile et nécessaire

      En 1905, la population non malgache dont l’effectif avait augmenté après la conquête, comptait 16 500 personnes, dont 7 800 Français pour un peu plus de moitié réunionnais), 1 900 étrangers (dont 1 000 Mauriciens), 2 800 Indiens, 450 Chinois, 67 Arabes et 3 500 Africains.

      Ces seuls chiffres situent les enjeux d’une vie mondaine réduite à sa plus simple expression, d’autant plus que la population française était concentrée dans la capitale, et donnent une image plutôt très réduite de la société coloniale de l’époque.

            Le 2 janvier 1901, le colonel Lyautey est à Fianarantsoa, siège de son commandement supérieur du sud de Madagascar. Il écrivait à sa sœur :

            « Ouf ! Après ces deux jours de corvée.

En voici le détail :

         Le 31 décembre, au bal dix- neuf femmes, dix- sept françaises et deux indigènes, au moins quatre- vingt hommes. Je me tenais en grande tenue, entouré de mes officiers pour recevoir les invités… Tout était délicieusement orné d’une profusion de fleurs, de plantes. Un entrain étonnant, avec un tenue parfaite, quelques jolies femmes et quelques toilettes très bien.

       A minuit, j’ai mené tous les invités au buffet et j’ai porté le toast de la nouvelle année. A une heure le cotillon a commencé, étonnant comme objets. Jusque- là, ma dignité m’avait retenu mais au cotillon, j’ai dansé sans arrêter. Clôture à quatre heures du matin par une bataille de fleurs et un souper.
            Le 1er janvier, à 7 h.30, j’étais debout

      A 8 heures à la messe

      A 8 heures 30, en grande tenue, sabre, croix, tout le tremblement pour les réceptions qui ont commencé par les missions catholiques, dix jésuites, six frères, cinq sœurs, et tous leurs élèves qui ont rempli le jardin. Allocution, grandes effusions, des Pères, musique des élèves et défilé. Ensuite les missions protestantes, françaises, norvégiennes, anglaises : même cérémonial.

     A 10 heures, le corps des officiers présenté par le colonel Vallet

    A 10h 30, les fonctionnaires présentés par M. Besson, puis la Chambre de Commerce, les colons, les hauts fonctionnaires indigènes et leurs femmes. Après le déjeuner, mes sous-officiers sont venus prendre la café.

     A 3 heures, les confréries catholiques

     A 2 heures 30, les affranchis, anciens esclaves libérés, chants chœurs, cadeaux.

     A 3 heures, les notables protestants indigènes

     A 3 heures 30 le corps des sous-officiers de la garnison. A 4 heures, je montais avec mes officiers pour aller rendre officiellement ma visite au gouverneur de la province et au commandant d’armes.

     Enfin, à 5 heures, je rentrais chez moi et je me mettais en veston sans plus rien vouloir entendre ni dire.

     Cela faisait près de vingt-quatre heures sans interruption sur les jambes d’amabilités, de frais, d’allocutions. Ouf ! » (LSM/p, 52)

Commentaire : 

–       Le nombre d’Européens était très faible, et la Chambre de Commerce d’une importance minime.

–       Cette description montre bien l’omniprésence des missions à Fianarantsoa

–       Le public  de la réception n’atteste pas de la ségrégation qui existait à la même époque dans les colonies britanniques.

      A l’exemple de son « maître », le général Gallieni, le colonel Lyautey était toujours en mouvement, à la fois comme chef des opérations de pacification militaire et de pacification civile, c’est-à-dire de la mise en place d’une administration moderne, de la création de routes ou d’écoles, tout en contrôlant la mise en application des instructions données à ses subordonnés.

    Le 2 juillet 1901, il est à Fort Dauphin où il réunit la Chambre consultative, une institution tout nouvelle de représentation économique, mais dont l’assiette était alors tout à fait limitée.

    A ma sœur,

    4 juillet 1901, à Fort Dauphin,

     « …Le soir je donne un bal à la Résidence ; Charbonnel, Alglave, Grandidier, ont déménagé la maison qu’on arrive à bien orner. Conversat tient le buffet ; beaucoup de fleurs, l’éclatant bougainvillier domine ; on sort les dolmans, les bottines vernies et les gants blancs. Tout cela pour neuf dames, début froid, puis entrain croissant jusqu’à 2 heures du matin. C’est la première fois qu’on danse à Fort Dauphin. Le piano a été emprunté à la mission. … »

    5 juillet, Lyautey récidivait :

   «  Les contrastes continuent. Hier soir j’ai donné un bal. Buffets, souper, lanternes vénitiennes ; on a dansé jusqu’à 2 heures du matin. Bottines vernies, dolmans de grande tenue, gants blancs : sommes-nous bien les mêmes qui, il y a huit jours, en loques, gymnastiquions dans les rochers, attentifs aux embuscades et aux coups de sagaie ? Charme de cette vie ! Il faut, en Europe, évoquer les temps de Cyrano ou l’épopée impériale, pour retrouver cette combinaison constante du danger et de la fête, ce voisinage si proche de l’effort le plus rude et de la vie la plus policée.

    Je vous quitte pour aller faire un tennis avec de charmantes Fort-Dauphinoises. » (LSM/p131)

     Le 21 juillet, le général Gallieni arrivait à Tuléar sur un bateau de guerre, « l’Infernet », un beau croiseur de troisième classe, pour une des nombreuses inspections périodiques qu’il effectuait par la mer, tout autour de l’île.

      1er, 2, 3, 4, 5, et 6 août

      « Séjour du Général à Tuléar.

      Coup de feu, nuit de travail, secrétaires sur les dents. Toujours lui avec son activité électrisante. Re-Chambre consultative, la plupart des choses accordées, crédits ouverts.

Vin d’honneur, bal, dix dames. » (LSM/p,168)

    Bref commentaire : en dehors du travail, le bal traditionnel, mais avec un choix tout à fait réduit de danseuses.

     Il est évident que la vie mondaine des garnisons de cette époque était tout à fait limitée, de rares colons et commerçants, et avant tout des officiers et sous-officiers : une société coloniale lilliputienne.

    Est-il d’ailleurs possible de parler véritablement de vie mondaine et de société coloniale ?

Jean Pierre Renaud

Avertissement à mes lecteurs :

     Je publierai sur ce blog, avant le 14 juillet, une contribution des morceaux choisis de la série « Gallieni et Lyautey, ces inconnus », consacrée à la société coloniale féminine et en septembre, une dernière contribution consacrée aux relations métropole et colonies.

Réflexions sur les sociétés coloniales- Conclusion-Deuxième Partie

Réflexions sur les sociétés coloniales

Conclusion sur la problématique des sociétés coloniales françaises

Deuxième partie

La première partie a été publiée sur le blog du 10 mai 2013  (définition du concept, les scènes, le scénario, la politique coloniale (début))

Les indications techniques du scénario

      Le scénario reposait sur plusieurs indications techniques, une administration coloniale de type napoléonien dotée de tous les pouvoirs, l’obligation pour les nouvelles colonies de financer elles-mêmes leur développement, un statut des indigènes standard afin de simplifier et de faciliter la gestion des nouveaux territoires, un régime douanier protectionniste.

       Première indication technique, une administration coloniale de type despotique : les gouverneurs généraux disposaient quasiment de tous les pouvoirs, étant donné qu’il leur appartenait de faire application ou non, sur leur territoire, des lois ou décrets applicables en métropole.

    La France avait créé de toutes pièces une administration coloniale calquée sur l’administration française avec un découpage en colonies et en cercles. Au fur et à mesure des années, l’appareil administratif des fédérations et des colonies devint de plus en plus bureaucratique, alors que le maillage de l’administration de brousse était assez léger.

     A Paris, le ministère des Colonies ne fut jamais un ministère convoité, et la mobilité ou l’instabilité des gouvernements de la Troisième République, de l’ordre de six mois en moyenne,  laissait encore plus d’initiative et de pouvoir aux gouverneurs,   de véritables proconsuls de la République.

     Le pouvoir colonial : certains diraient, mais de façon un peu caricaturale, que l’administration coloniale fonctionnait comme une administration de type dictatorial, au mieux despotique, mais selon les territoires, les époques, et les hommes, la situation concrète était bien différente.

       Il serait possible d’avancer avec la même assurance que, dans beaucoup de cas de figure, l’irruption de l’administration coloniale n’a pas changé grand-chose dans le fonctionnement de la plupart des sociétés locales.

     La problématique du pouvoir a suivi plusieurs sortes de chemins, le premier, géographique, pour simplifier, de la côte vers l’hinterland,  le deuxième chronologique, le choc de la colonisation diffusant ses effets en suivant la courbe de la chronologie, et le troisième, celui de l’acculturation progressive et partielle de la population, très majoritairement dans les nouvelles villes, posant un défi de plus en plus grand à une soi-disant  politique d’assimilation qui ne trouvait pas son compte civique dans le Code de l’Indigénat.

      Deuxième indication technique, celle déjà rappelée du financement des colonies, avec la loi du 3 avril 1900, et un concours zéro de la métropole, sauf à garantir des emprunts.

     Indiquons que sur ce plan, la France imitait ce que faisait la Grande Bretagne dans son empire, mais les ressources des colonies anglaises n’avaient pas grand-chose à voir avec les françaises.

     Troisième indication technique, le Code de l’Indigénat

    S’il est vrai que le Code de l’Indigénat donnait à l’administration coloniale un outil de maintien de l’ordre public facile, il n’avait pas toujours une rudesse différente de celle des mœurs de certaines sociétés locales, et il n’était pas l’outil de travail préféré de l’administration coloniale, sauf dans certaines circonstances telles que le travail forcé local pour de bonnes (corvées) ou mauvaises raisons (portage, recrutement pour les plantations de Côte d’Ivoire ou de Madagascar par exemple…).

     La définition qu’en propose le « Dictionnaire de la colonisation française » (page 367) a un côté surréaliste par rapport au « moment colonial » et à la diversité des « situations » coloniales :

    « Connu sous le nom du Code de l’Indigénat, c’est un ensemble juridique et réglementaire répressif à l’encontre des seuls indigènes appliqué par l’administration en violation du principe fondamental de séparation des pouvoirs. Il prévoit des sanctions collectives, autre violation des principes du droit métropolitain. Il a symbolisé l’arbitraire le plus total »

     Le même dictionnaire précise qu’en Indochine, il a été supprimé en 1903, et assoupli, en Afrique noire, en 1938.

     En face du Code de l’Indigénat, l’administration coloniale mettait en œuvre, autant que possible, et pour autant qu’elle les connaisse, les coutumes, c’est-à-dire un droit coutumier qui variait selon les territoires et leurs peuples, qu’elle s’efforçait de respecter, sorte de contrepoids, que beaucoup de chercheurs feignent d’ignorer.

     La pratique concrète du pouvoir n’avait donc pas toujours le caractère « répressif » décrit plus haut.

     La référence au principe fondamental de la séparation des pouvoirs mériterait à elle seule un commentaire, alors que dans la France d’aujourd’hui, il a encore bien de la peine à être garanti.

     Un premier exemple pour aider à comprendre le type de problématique que rencontrait l’administration coloniale : l’ancien administrateur  Delavignette racontait qu’en Haute Volta (Burkina Fasso), il avait fait mettre en prison un homme qui avait tué sa femme. A sa libération, et de retour dans son village, l’intéressé revint remercier Delavignette en lui apportant un cadeau pour l’avoir si bien traité pendant ses années de prison.

     De façon plus subtile, le maintien du Code de l’Indigénat était non seulement un élément de l’ordre public, mais avant tout de l’ordre social, c’est-à-dire d’une ségrégation des droits qui existait entre les indigènes et les Français, notamment dans les villes qui comptaient le plus d’acculturés.

     Il symbolisait l’échec d’une politique coloniale incapable d’ouvrir la voie de la citoyenneté aux nouveaux « lettrés », et c’est sur ce terrain que la légitimité ou non de ce code est la plus critiquable, car elle méconnaissait les promesses démagogiques de la France, en même temps qu’elle rendait de plus en plus difficile l’association des nouveaux lettrés à la gestion  de leur pays, et c’est toute la question du truchement colonial dont l’importance a trop souvent été ignorée.

     Omnipotence du pouvoir colonial mais très souvent contrebalancée par celui du truchement indigène, du rôle des « lettrés » dans le fonctionnement concret du pouvoir colonial.

II – Les autres acteurs de la scène coloniale

      Henri Brunschwig observait la montée inexorable des lettrés en Afrique noire.

     Nous avons évoqué cet aspect important des institutions coloniales, en posant entre autres la question : qui manipule qui dans la société coloniale ? Des types de manipulation qui évoluaient en fonction des chronologies diverses de l’acculturation des territoires.

     Quels étaient les véritables acteurs du théâtre colonial, la société indigène ou la société européenne ?

     Comme nous l’avons déjà noté, l’administration coloniale fut pendant longtemps un acteur clé de la scène coloniale, disputant ou partageant ses pouvoirs avec les intérêts économiques locaux, lorsqu’ils commencèrent à exister dans les colonies qui disposaient d’atouts économiques et d’accès géographique facile.

     Les sociétés coloniales d’origine européenne furent peu nombreuses, hors Algérie, comme nous l’avons déjà dit, et elles étaient avant tout urbaines, et très « passantes », fondamentalement différentes de la société métropolitaine, même si elles ressemblaient souvent étrangement dans la construction de leurs lieux de vie, et dans la vie quotidienne elle-même, à celle de nos villes de province, à la différence près, capitale pour beaucoup de ses membres, souvent des « petits blancs », celle d’une sorte de conscience de nouvelle classe sociale supérieure à celle des indigènes que contribuait à favoriser effectivement le statut juridique auquel ils étaient soumis.

    C’est une des raisons qui expliquait pourquoi un indigène, soldat ou étudiant, venu en France, n’y ressentait pas le rapport de ségrégation qu’il connaissait en Côte d’Ivoire, au Soudan, à Madagascar, ou en Indochine.

     Les sociétés coloniales d’origine européenne constituaient souvent des sortes de kystes sociaux en bordure des sociétés indigènes démographiquement dominantes, et les sociétés coloniales d’origine européenne de la brousse étaient souvent réduites à leur plus simple expression : l’administrateur colonial, avec ou sans épouse, le médecin militaire avec ou sans épouse, le gendarme, le garagiste quand il y en avait un, éventuellement un commerçant d’origine étrangère.

     Le dernier roman de Paule Constant, « C’est fort la France ! », dont l’histoire se déroule après la deuxième guerre mondiale dans le cercle de Batouri, au Cameroun, donne une assez bonne image de ce type de société coloniale de brousse.

     Scènes variées à l’infini, avec des sociétés d’origine européenne souffrant en règle générale de deux faiblesses initiales, mais durables, l’hostilité des climats et l’absence de communications.

     La brousse fut longtemps un monde hostile aux blancs, et ce n’est pas par hasard que les européens s’installèrent et s’agglutinèrent sur les côtes et dans les nouvelles villes que la colonisation  y fit naître.

     En 1914, les grandes villes de l’Afrique de l’Ouest que nous connaissons, Dakar, Conakry, Abidjan, ou Lomé étaient à peine sorties de terre, pour ne pas citer des villes de l’hinterland qui ressemblaient à peine aux bourgs de nos campagnes les plus délaissées.

    En 1930, et à Madagascar, il n’était possible de rejoindre l’île que par bateau, et après un voyage de l’ordre de trente jours. Les européens, mais surtout les femmes européennes y vivaient avec la conscience d’être coupées du monde, dans une sorte de vase clos.

     Au cours de la première phase, les officiers et les aventuriers ont joué le premier rôle, mais rien n’aurait déjà été possible sans le concours des tirailleurs, des interprètes, de certains chefs de village ou de rois locaux, dans un climat d’insécurité publique généralisée qui favorisait l’intrusion française dans ces nouveaux territoires.

   Dans les phases suivantes, l’administration coloniale étendit son pouvoir dans tous les secteurs d’activité, mais en se gardant bien de toucher aux coutumes locales, lorsqu’elles étaient compatibles avec la conception du droit français, notamment en matière de droit criminel.

    Le plus souvent, c’est d’ailleurs cette administration, coloniale qui dans beaucoup des colonies fut à l’origine de la création des premiers grands équipements économiques, et ne trouva le concours d’un capitalisme national ou international que dans les colonies qui disposaient d’atouts économiques, comme ce fut le cas en Indochine, ou de possibilités de développement de cultures tropicales, en Guinée, Côte d’Ivoire, ou Madagascar.

    Les chercheurs spécialistes pourraient sans doute apporter toutes précisions utiles sur les grandeurs économiques, notamment capitalistiques, qui ont sous-tendu aux différentes époques citées les fameuses sociétés coloniales, et éclairer le rôle des pôles de développement capitalistique chers à François Perroux, lorsqu’ils ont existé.

    L’ouvrage collectif intitulé « L’esprit économique impérial » n’a pas apporté la preuve que « l’esprit économique impérial » des entreprises françaises ait beaucoup soufflé dans la plupart des colonies, et se soit donc traduit en termes de résultats de développement économique et d’investissement.

     Comme je l’ai indiqué dans un commentaire de lecture joint en annexe, les analyses qui y sont généralement présentées souffrent le plus souvent d’un manque d’analyse macroéconomique dans un domaine qui appellerait effectivement des évaluations, des comparaisons entre grandeurs financières ou économiques, entre petits ou grands agrégats.

    A lire ce pavé rédactionnel, on en tire la conclusion que l’impérialisme français n’a généralement pas été convaincant, sauf dans une colonie privilégiée, l’Indochine, anglaise.

L’impérialisme français serait donc à ranger, pour ceux qui en défendraient l’existence et l’efficacité coloniale, au rang des mythes comme ceux que l’économiste Bairoch a analysés dans le livre « Mythes et paradigmes de l’histoire économique »

      Deux types de sociétés coloniales coexistaient, l’européenne concentrée dans les villes, et très diffuse en brousse, avec le maillage toujours présent d’un commerce de traite, et les sociétés indigènes elles-mêmes, la composante de plus en plus importante des lettrés ou des évolués devenant au fur et à mesure des années, le véritable truchement de la colonisation.

    Dans l’ensemble des colonies et sur toute la période coloniale, il convient de considérer que les véritables acteurs de la scène coloniale ont été les « lettrés », les « évolués », qu’ils appartiennent à l’administration coloniale au sens le plus large, de l’armée à l’enseignement ou à la santé, les membres des églises, les anciens chefs ou nouveaux chefs  des territoires coloniaux, et les employés des entreprises privées.

Ce sont ces « évolués » qui ont assumé le changement colonial au fur et à mesure de leur croissance dans les sociétés coloniales.

      Dans le Togo des années 1950, avant l’indépendance, peuples du nord et peuples du sud faisaient le grand écart.

    Au nord vivaient côte à côte des peuples nus, animistes, et des peuples habillés, musulmans, les Tchokossis, qui se rencontraient par exemple à l’occasion du marché de Sansanné-Mango, ce qui ne voulait pas dire que les Gam-Gam ou les Tamberna ne disposaient pas de leurs propres codes religieux et sociaux, en juxtaposition de l’ordre public colonial et des codes religieux de l’ethnie dominante, les Tchokossis.

     Cette dernière ethnie comptait déjà une petite minorité de lettrés, mais il fallait aller sur la côte pour y trouver la grande majorité d’entre eux, mais à l’évidence, les uns et les autres ne vivaient pas dans le même monde.

     Au fur et à mesure des années, et surtout à partir des années 1920, les effectifs de lettrés grossirent, comme nous l’avons vu dans le cas de Madagascar, mais l’Indochine disposait incontestablement d’une élite autochtone qui ne trouva pas dans la politique française l’issue politique à laquelle elle avait droit, soit l’assimilation, soit l’association à une gestion des affaires de la colonie, précédant l’autonomie et l’indépendance.

     Rappelons que dans les années 1940,  Madagascar comptait de l’ordre de 300 000 personnes acculturées, avec environ et seulement 2 000 malgaches ayant accédé à la citoyenneté française

     Henri Brunschwig avait écrit qu’il n’y aurait jamais eu de colonies si le télégraphe n’avait pas existé, et pourquoi ne pas le paraphraser en écrivant qu’il n’y aurait jamais eu de colonisation sans le concours d’un truchement autochtone.

III – Echec ou succès pour la pièce coloniale ?

     S’il s’agissait de projeter dans les colonies un modèle de la société française dans les colonies, l’échec fut patent, tant pour les sociétés coloniales d’origine européenne le plus souvent réduites à singer celles de métropole, dans ses personnages les plus balzaciens, que pour les sociétés autochtones, dans leurs éléments « évolués » de plus en plus nombreux, que le pouvoir colonial refusait d’associer à la gestion de leurs territoires sur un pied d’égalité.

       Les sociétés coloniales d’origine européenne, dans leur composition et leur mode de vie, n’étaient pas de nature à diffuser en dehors des centres urbains où elle était concentrée la modernité qu’elle croyait et disait représenter ou incarner.

     A la réserve près de la sorte de modèle urbain qu’elles avaient contribué à créer et qui pouvait être regardé comme l’exemple de ce qu’il était possible de généraliser ailleurs, avec sa palette d’équipements de voirie, de santé, d’écoles, et de distribution d’eau et d’électricité.

Les évolués de plus en plus nombreux venaient en effet s’agglutiner dans les villes nouvellement créées, et occuper les emplois très divers que la colonisation politique ou économique avait suscités.

      C’est peut-être ce mouvement d’urbanisation qui a été un des facteurs les plus importants du changement colonial.

      Dans chaque « situation coloniale », la France jouait une pièce différente avec des acteurs différents, mais avec toutefois quelques éléments communs, sorte de décor standard pour toutes les colonies : une ségrégation territoriale de fait dans les villes, des sociétés coloniales européennes urbaines, sortes de kystes coloniaux, avec à leurs côtés, la ou les sociétés autochtones de la brousse, les véritables infrastructures coloniales, et au- dessus, la superstructure bureaucratique européenne qui donnait l’illusion de la modernité coloniale.

    Les véritables sources de rupture des systèmes des croyances et des pouvoirs autochtones, de leur ouverture aux  échanges et à la découverte du monde extérieur, reposèrent avant tout sur la création de voies de communications modernes qui n’existaient dans aucune de ces colonies.

      Autre source de rupture capitale, l’établissement de la paix publique dans les colonies, une paix publique qui n’existait pas dans la plupart de ces territoires !

     En gros, le scénario de l’ordre colonial, d’une paix publique rétablie dans l’ensemble des territoires a en effet plutôt bien fonctionné en Afrique et à Madagascar jusqu’en 1939, un ordre colonial servi par la mise en place de superstructures bureaucratiques, des formes d’Etats qui ne furent réputés nationaux qu’après les indépendances.

      Le scénario de l’assimilation, de l’accession des évolués à la citoyenneté, fut dès le départ un échec.

     La colonisation mit en route un processus d’acculturation et d’ouverture au monde extérieur facilité par la réalisation de grands équipements de communication, par un ensemble d’actions de santé publique, de scolarisation, de socialisation, de développement économique, mais ce furent les sociétés indigènes qui accompagnèrent et soutinrent le mouvement, beaucoup plus que les sociétés d’origine européenne.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Réflexions sur les sociétés coloniales avec quelle problématique? 1ère partie

Réflexions sur les sociétés coloniales

Avertissement de l’auteur :

            Je n’avais pas prévu de publier l’analyse que j’avais faite des sociétés coloniales françaises de la période 1870-1960, hors celle de l’Algérie, un cas tout à fait particulier.

            Je suis revenu sur le terrain de ma formation universitaire d’origine il y a une dizaine d’années, en réaction, je dois le dire, aux textes ou aux discours qui avaient très souvent la faveur des médias, textes ou discours  imprégnés trop souvent d’idéologie, ou plus simplement d’ignorance.

            Le thème des sociétés coloniales a toujours été pour moi à la fois un sujet d’interrogation et d’invitation à la connaissance, et compte tenu du choix qui a été fait de ce sujet pour les concours du Capes et de l’Agrégation, il m’a semblé utile de livrer une partie de mes analyses sur ce blog.

            Les articles que j’ai consacrés à ce thème sur ce blog depuis le début de l’année ont été bien fréquentés, et m’incitent donc aujourd’hui à publier ce qui pourrait être la première conclusion de mes recherches sur le sujet.

            Cette publication est naturellement faite à l’attention des lectrices ou des lecteurs de mes contributions précédentes.

Conclusion sur la problématique des sociétés coloniales françaises

     Avec un aveu préliminaire capital, comment avoir l’ambition, sur un  tel sujet, aussi varié dans le temps que dans l’espace, de proposer une esquisse de conclusion ?

Première partie

    Les réflexions qui suivent constituent la conclusion d’une étude des sociétés coloniales françaises, étude articulée sur le plan ci-après :

I  – Le théâtre des sociétés coloniales

1-    Des sociétés coloniales aux caractéristiques liées étroitement à leur chronologie, c’est-à-dire à l’histoire.

2-    Des sociétés coloniales formées d’un nombre, souvent restreint, d’Européens.

3-    Des sociétés coloniales étroitement conditionnées par le potentiel géographique et économique de chacune des colonies

4-    Un éclairage sur la nature des sociétés locales face à ces nouvelles sociétés coloniales

II –  Les acteurs des sociétés coloniales

5-    Un éclairage sur la nature de ces sociétés coloniales elles-mêmes, d’origine européenne, à partir du vécu de quelques témoins.

III –  La problématique

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            Pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité sur le sujet, il me parait utile de rappeler le ou les sens de l’expression « société coloniale » ! De quoi parlons-nous ?

    S’agit-il de la société d’origine européenne, de la société indigène, de la juxtaposition ou de la coopération des deux types de société, en précisant que les composantes des deux types de société sont à prendre en compte, selon les territoires et selon les époques ?

    Et le concept de société à l’occidentale, tel que nous le comprenons, n’était pas celui qui correspondait à la société coloniale du terrain, qui pourrait être étudiée comme une pièce de théâtre avec son intrigue ou ses intrigues de pouvoir colonial, ses acteurs, dont les rôles principaux n’étaient pas obligatoirement tenus par des européens, et ses échecs ou ses succès.

   Une société coloniale comme fruit du travail du colonisateur ou du colonisé ?

   Au cours de la période 1870-1914, quoi de commun et de comparable entre  la société coloniale du Soudan, de l’Oubangui-Chari, de Madagascar, ou de l’Indochine, et celles de métropole, parisienne ou provinciale ? Et ultérieurement, entre les colonies entre elles et celles de métropole, selon les périodes examinées ?

   Pourquoi ne pas déranger quelque peu les analyses habituelles des sociétés coloniales, en avançant l’hypothèse que, dans beaucoup de cas, ce sont les sociétés indigènes locales qui ont façonné sur la durée les sociétés coloniales, les sociétés coloniales d’origine européenne continuant à vivre dans leur monde enkysté ?

&

            Le mieux est de donner à nouveau et tout d’abord la parole à Henri Brunschwig afin de tenter de conclure sur les caractéristiques de la société coloniale de la première période, car le propos qu’il tient, vaut sans doute pour les autres colonies que celles d’Afrique noire, tout au moins pour la période antérieure à 1914 :

    «  Au cours de ces enquêtes, nous avons d’abord constaté qu’il y avait très peu de Blancs dans l’Afrique noire française vers 1914.  Rien de comparable à l’Afrique du Sud et à l’Algérie, où les Blancs formaient des minorités compactes et jalouses de leurs privilèges. Ils allaient dans ces régions malsaines non pour les coloniser, mais pour en revenir. Ils n’y faisaient pas souche et se préoccupaient en général plus de leurs intérêts individuels – promotion ou enrichissement – que de mission civilisatrice.

    Si peu nombreux qu’ils fussent, ils apparaissent profondément divisés. Les militaires méprisaient les civils ; les administrateurs dominaient les agents des divers services, cependant plus compétents qu’eux ; les fonctionnaires dédaignaient les commerçants et les colons, les catholiques rivalisaient avec les protestants.

    En métropole, une doctrine coloniale s’élaborait. Alliant les principes humanitaires de la Révolution française et des missions religieuses aux techniques modernes, elle promettait aux Noirs un niveau de vie supérieur et un accueil égalitaire dans la société blanche. Prétendant respecter les droits de l’homme et celui des peuples à disposer d’eux-mêmes au sein d’une prochaine association d’Etats autonomes, elle entretenait la bonne conscience de l’opinion publique en face du fait colonial. La France, apparemment, pratiquait une politique généreuse, différente de celle de ses rivaux. Elle n’eut en réalité de système colonial que sur le papier. » (page, 209)

            A lire ces quelques réflexions, certains pourraient se demander comment aussi peu de blancs ont pu provoquer autant de bouleversements dans les territoires colonisés, et la ou les thèses d’après lesquelles «  l’ordre » public colonial  n’aurait pas pu se maintenir sans le concours des fusils à tir rapide, ou sans la sorte de joug que faisait peser le Code de l’Indigénat sur les populations soumises, réduisent un peu trop le champ de la problématique de la colonisation et des sociétés coloniales, c’est-à-dire de leur fonctionnement.

            Il convient de rappeler à ce sujet les propos tenus aussi bien par le même historien que par l’ancien administrateur colonial Delavignette, dont nous avons fait état plus haut, à savoir le rôle des acteurs autochtones de la scène coloniale.

            Rétroactivement et pour le citoyen d’aujourd’hui, et comme nous l’avons déjà souligné, il est difficile de comprendre la nature et le fonctionnement de sociétés coloniales françaises très diverses, selon leur chronologie et leur cadre géographique, économique et humain, et en disposant des outils statistiques d’évaluation nécessaires.

            A lire beaucoup d’études historiques sur ces sujets, l’histoire coloniale souffre d’une vraie carence d’analyses quantitatives, aussi bien en termes de stock que de flux.

        C’est une histoire qui éprouve la plus grande peine à sortir du domaine des idées et à proposer des critères d’évaluationde mesure des dynamiques démographiques, politiques ou économiques internes, applicables pour l’ensemble de ces sociétés, tant les « situations » coloniales étaient diverses, en dépit d’un décor légal et administratif qui se voulait standard.

      Ces réserves importantes faites, est-il possible d’esquisser les éléments d’une comparaison entre elles, en présentant les traits qui paraissent pouvoir être partagés par les différentes sociétés coloniales ?

    Rien n’est moins sûr, mais nous tenterons d’éclairer à nouveau cet essai de synthèse à partir de la thématique bien connue du théâtre classique, avec les trois unités de lieu, d’action et de temps, dans quel théâtre, sur quelle scène, et avec quel scénario ou intrigue ? Avec quels acteurs, la société coloniale ou la société autochtone ? Avec quels résultats ?

     Conclusions de synthèse ou pistes de la réflexion proposée, qui a beaucoup d’égards, dans le contexte actuel de certaines doctrines de recherche historique, sont incontestablement dérangeantes, tant elles font appel à des concepts d’analyse de coopération ou de collaboration ?

     Il convient de rappeler en effet que certains chercheurs n’ont pas hésité à comparer la « collaboration » française des années 1940-1945 à celle des évolués ou lettrés qui accompagnèrent la colonisation française.

Les scènes :

    Contrairement au théâtre classique, l’intrigue coloniale se déroulait sur les scènes les plus diverses, géographiquement, entre côtes ou hinterland, forêts, savanes ou déserts, plaines côtières, plateaux, ou montagnes, économiquement entre côtes avec fleuves accessibles ou arrière-pays inaccessible, entre territoires riches ou pauvres, et plus souvent pauvres que riches, culturellement, entre pays de l’islam, du fétichisme, de l’animisme, du confucianisme, ou du christianisme, entre populations côtières déjà « contaminées »  par le contact de l’étranger et celles de l’hinterland qui n’avaient pas encore eu l’occasion de voir un blanc en chair et en os, et encore moins une blanche.

    Comment ne pas noter également qu’au fur et à mesure d’une meilleure connaissance des civilisations et des cultures rencontrées, de la prise de conscience de la relativité des différentes civilisations, le dogme des « races supérieures » de Jules Ferry se trouvait de plus en plus mis en question ?

    Au cours d’un débat célèbre sur l’expédition du Tonkin, Clemenceau avait déjà, et très sérieusement, mis ce dogme en question.

    Les sociétés indigènes avaient une composition très différente dans leur croyances, leur fonctionnement social, leurs mœurs, certaines plus ouvertes que d’autres à la colonisation, à l’acculturation européenne, majoritairement le long des côtes ou des axes de communication, d’autres closes, très longtemps refermées sur elles-mêmes.

    Le pouvoir colonial était donc, dès le départ, privé de pouvoir offrir des solutions standard à ce kaléidoscope humain.

Le scénario, la politique coloniale :

    Sur ces scènes les plus variées, plus ou moins accueillantes, quelle était l’intrigue, le scénario du pouvoir colonial, s’il en existait un, le rôle que les gouvernements français entendaient jouer dans les colonies qu’une folle fringale de conquête avait données au pays, en un mot, quelle était la politique coloniale de la France ?

    Les partisans des conquêtes coloniales le plus souvent situés à la gauche de l’échiquier parlementaire, les Jules Ferry, Faure, Freycinet, Rouvier, Lebon, Hanotaux et Etienne…affichaient de grandes ambitions, la promotion d’une civilisation européenne annoncée comme supérieure, l’ouverture de nouveaux marchés, le prestige de la France que la défaite de 1870 avait bien rabaissé, et faisaient miroiter à la myriade des peuples d’outre-mer, et pendant longtemps à une toute petite minorité de lettrés la perspective de l’assimilation, d’accès à la citoyenneté française.

    Après la Révolution Française de 1789, un nouveau rêve ?

    Il serait possible de décrire la politique coloniale comme une intrigue, un scénario de pure forme, abstrait, écrit par des auteurs qui ignoraient la plupart du temps les « situations coloniales » et le « moment colonial », une politique des formes, des constructions bureaucratiques, toutes en apparence aux yeux du petit public des initiés, alors que sur le terrain de la « situation coloniale » il en était évidemment tout autrement.

   La Grande Bretagne n’a pas éprouvé ce type d’état d’âme en matière de politique coloniale, étant donné qu’elle n’a jamais fait miroiter aux yeux des peuples indigènes qu’elle avait sous sa férule directe, ou indirecte le plus souvent, une accession à la citoyenneté britannique.

    La politique coloniale de la métropole n’était donc qu’une politique « sur le papier », pour reprendre l’expression d’Henri Brunschwig.

   Il parait difficile d’analyser le rôle de la métropole, et de ses scénarios, sans les inscrire dans chacune des périodes différentes que furent les années 1870-1914, 1914-1918, 1918-1939, 1939-1945, et 1945-1960, et de tenter de comprendre pourquoi la société coloniale européenne ne fut pas souvent, sinon jamais, le modèle réduit de la société métropolitaine, sa représentation, c’est-à-dire un échantillon représentatif, pas plus qu’un aiguillon de modernité coloniale.

   1870-1914 : comment qualifier la politique de la métropole à cette époque ?   Ignorante tout d’abord des régions, des peuples et des civilisations qu’elle entendait précisément civiliser, car les gouvernants et les conquérants partageaient le plus souvent la fameuse idéologie des races supérieures de Jules Ferry.

    Une métropole, ou plutôt des gouvernements généralement de gauche, pris d’une sorte de folie conquérante, mais ils n’étaient pas les seuls, à nouveau en rivalité avec l’Angleterre, comme le cas s’était déjà produit au cours des siècles précédents, une folie que les gouvernements était disposés à payer à crédit, comme ce fut le cas pour financer l’expédition désastreuse de Madagascar en 1895.

     Une situation d’autant plus paradoxale que la France était riche et qu’elle avait remboursé dans un temps record la dette de plusieurs milliards de francs or de la défaite que la Prusse lui avait imposé de payer !

   Afin de limiter définitivement le coût de ses aventures coloniales, la Chambre des Députés vota la loi du 3 avril 1900 qui lui interdisait de subventionner les nouveaux budgets des colonies, et cette interdiction dura jusqu’à la deuxième guerre mondiale.

    La France se lançait d’autant plus volontiers dans les aventures coloniales qu’elle changeait de gouvernement tous les six mois, et que la France « profonde, » comme certains le diraient de nos jours, celle des villages, ne prêtait d’intérêt aux colonies qu’à l’occasion de tel ou tel exploit colonial, collectif ou individuel.

   Au résultat, en 1914, la France se trouva à la tête d’un empire géographique gigantesque plus riche en kilomètres carrés qu’en hommes et en ressources économiques. Les gouvernements et l’élite de cette époque aurait pu et dû se poser la question : un empire colonial pour quoi faire ? Alors que les Français répugnaient à émigrer, et qu’ils ne s’adonnaient pas au commerce international, comme les Anglais ou les Allemands, etc…

    Guerre 1914-1918 : les gouvernements français ne se privèrent pas de ponctionner les colonies, en hommes et en matières premières, pour subvenir aux besoins colossaux de la métropole en guerre contre l’Allemagne.

    Est connu l’appel massif fait aux tirailleurs, l’appui très efficace que le ministre Diagne donna à ce recrutement en Afrique noire. Est beaucoup moins connue la résistance diffuse ou organisée que certains peuples y opposèrent, notamment dans la Haute Volta de l’époque.

    Pendant la guerre, les colonies furent donc mises à contribution de leurs matières premières au profit de la défense de la métropole.

    1919-1939 : de façon tout à fait étrange, cette contribution aux armes de la France ne se traduisit par aucun changement dans sa politique coloniale !

 Il est possible d’avancer toutes sortes d’explications de cette politique de l’autruche, une ignorance persistante, un entêtement dans la croyance aux races dites supérieures, l’incompétence, la puissance des groupes de pression capitalistes, la mauvaise foi, l’incapacité des élites françaises à assumer l’héritage colonial, une incapacité causée par la saignée de la guerre, le laminage des élites, le retour de l’insécurité internationale en Europe, la crise économique, ou tout simplement l’indifférence de l’opinion publique à l’égard du patrimoine colonial ?

   Un groupe de chercheurs s’est illustré en tentant d’accréditer la thèse d’après laquelle la France aurait alors « baigné » dans une culture coloniale ou impériale, mais le groupe en question n’a jamais démontré, chiffres en mains, cet état de l’opinion publique.

   Rappelons simplement que Lyautey, le grand parrain de la fameuse Exposition Coloniale de 1931, laquelle devait emporter l’adhésion du peuple français, reconnaissait qu’en dépit de son succès populaire, elle n’avait pas modifié l’indifférence de l’opinion publique envers la chose coloniale.

   En résumé, les sociétés coloniales pouvaient continuer à voguer de leurs propres ailes, sur les mêmes bases juridiques et administratives qu’au cours de la période des fondations coloniales.

   Il faudra attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour que la politique coloniale prenne un virage.

   Le plus surprenant fut que rien ne changeait, qu’il s’agisse de gouvernements de droite ou de gauche, comme ce fut le cas avec le Front Populaire en 1936.                   

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Les sociétés coloniales avec un brin d’impertinence historique – Coolies, engagistes et domestiques indonésiennes en Arabie saoudite- Exercice de citation et de discussion

Les sociétés coloniales avec un brin d’impertinence historique !

Coolies, engagistes (1850-1950) et domestiques indonésiennes en Arabie saoudite (2013)

Exercice de citations et de discussion : critère colonial, postcolonial, ou multiséculaire ? Les chimères de l’histoire coloniale ?

            Nous avons déjà commenté le livre qui a été consacré à la préparation du CAPES et de l’agrégation d’histoire.

            L’ouvrage consacre une contribution fouillée à l’histoire des sociétés coloniales au travail 1850-1950 Esclavages, engagistes et coolies.

            Quelques propositions de citations du texte : tout d’abord sur l’esprit de la réflexion et ensuite sur le contenu de la réflexion :

            L’esprit de la réflexion

            Introduction

« De tout temps, en tous lieux, la colonisation est décrite comme violente, militairement, éthiquement, politiquement, culturellement, parfois même physiquement. L’action de coloniser sous toutes les formes qui en découlent, introduit des déséquilibres sociaux profonds, d’hybridations dont sont porteuses les sociétés coloniales. N’en déplaise à ses thuriféraires, les sociétés qui en sont issues sont toutes porteuses du déséquilibre primal qu’introduit cette transaction hégémonique qui accouche violemment d’un système complexe à dimensions multiples, influant sur les sociétés des colonisés comme sur celles des colonisateurs et qui agit encore au-delà sur des indépendances sur les colonies et les métropoles par effet de réverbération. » (page 163)

L’auteur décrit les mouvements internationaux de population sous l’angle historique des sociétés coloniales :

«  Ainsi, dès le XIXème siècle, les migrations de travailleurs liées à l’engagisme – numériquement plutôt sino-indien – constituent un mouvement migratoire d’une importance considérable pour l’histoire mondiale et celle des sociétés coloniales. Elles sont au moins aussi importantes que les vastes mouvements de populations  européennes du XIXème siècle s’installant dans ce que l’on appelle alors des « colonies de peuplement » comme l’Afrique du sud britannique, le Südwestafrika allemand ou l’Algérie française… » (page 164)

Dans ce texte, il manque peut-être une définition des sociétés coloniales qui sont les cibles choisies par l’auteur pour décrire les phénomènes historiques, tout en notant l’expression tout à fait curieuse utilisée par un historien pour apprécier, je dirais objectivement, techniquement, ce type d’histoires : « N’en déplaise  à ses thuriféraires… »

Le contenu de la réflexion

            Quelques chiffres et dates de la description historique, avec la conclusion  proposée :

                A la Jamaïque, « 254 000 esclaves vers 1830 » (page 167)

            De 1841 à 1867, « ce furent près de 35 000 Africains libres engagés sous contrats qui entrèrent dans les colonies britanniques…. » (page 169)

            Avec le coolie trade, 120 000 coolies  viennent à Cuba. (page 171)

            Les migrations chinoises : 7 millions de Chinois entrent en Malaisie entre 1840 et 1940. (page 179)

            « Quel bilan chiffré peut-on tirer de ces migrations à l’échelle du globe, résultat des chocs impériaux ? Si près de 15 millions de coolies chinois quittèrent leur pays pour travailler dans le monde entier (Canada, Australie, Etats Unis aussi,  qui mirent tous en place des politiques de quotas et en limitèrent la venue par crainte de perdre leur identité blanche), ce fut principalement en Asie du Sud Est que la diaspora chinoise fut la plus marquante. .. » (page 179)

            Discussion et questionnement sur le colonial et le postcolonial

            L’auteur place son analyse dans le champ des sociétés coloniales et des « chocs impériaux » qui seraient la cause des migrations du travail décrites.

            Questions :

            Est-il possible d’interpréter ces migrations comme étant celles d’un rapport de domination coloniale, de « transaction hégémonique » ?

1 – sans comparer l’ensemble des mouvements migratoires européens, indiens ou chinois, car, et comme indiqué, les migrations « blanches » furent également importantes au cours de la même période.

2 – sans s’interroger sur les causes de ces mouvements, c’est-à-dire l’histoire des pays d’émigration, et pas uniquement sur celle des pays de colonisation, à titre d’exemple pour l’Europe, les famines de l’Irlande, et pour la Chine, la répétition de famines tout au long de la période examinée, dont les causes ne furent pas nécessairement liées aux initiatives impériales des puissances européennes : des dizaines de millions de morts au cours des famines des années 1850 (la révolte des Taiping), puis 1876-1879,etc… ?

N’est-il pas possible de comparer certaines de ces migrations du travail avec celles des femmes indonésiennes en Arabie Saoudite ? Coloniales ou  postcoloniales, dans le champ d’un rapport de domination coloniale ?

A lire un article du journal La Croix intitulé « Le dur destin des domestiques indonésiennes en Arabie saoudite » (28/06/2012)

« Parmi 1,2 million de travailleurs domestiques indonésiens dans le royaume, nombreux ceux qui dénoncent des mauvais traitements… comme de l’esclavage moderne… »

            Jean Pierre Renaud

CAPES et Agrégation, avec un brin d’impertinence historique!

CAPES et Agrégation, avec un brin d’impertinence historique !

Les sociétés coloniales (1850-1950) : le puzzle de l’histoire coloniale ! 

            Le puzzle historique, un puzzle géant, comme un jeu intellectuel cher à certaines écoles pédagogiques ! Dans le cas présent, celui des sociétés coloniales d’Afrique, des Antilles, et d’Asie entre les années 1850 et 1950 ! C’est peut-être le choix qui a été fait dans la conception de l’ouvrage collectif dirigé par JF.Klein et C.Laux.

            Un puzzle géant composé de nombreuses pièces que les candidats au Capes et à l’agrégation d’histoire sont chargés d’interpréter et de classer selon la définition, soit du Larousse du XXème siècle en six volumes, des années 1930 :

            « Jeu de patience composé d’une infinité de fragments découpés qu’il faut rassembler pour reproduire un sujet complet »

 soit du Petit Robert :

            « Multiplicité d’éléments qu’un raisonnement logique doit assembler pour reconstituer la réalité des faits »

            Un puzzle dont les concepteurs ont peut-être caché certaines pièces, faussé volontairement d’autres, afin de renforcer l’intérêt de ce nouveau jeu.

            Puzzle ou casse-tête matériel ou immatériel,  selon la définition, en deux ou trois dimensions selon les « faiseurs de puzzle », et dans le cas présent, la troisième dimension  présente un réel intérêt, s’il s’agit de la profondeur historique, de la période de temps choisie et de celle des sociétés coloniales antérieures ou postérieures à ce calendrier.

            Et tout autant, le long et le large, s’il convient de limiter ou non le champ géographique du raisonnement, c’est-à-dire pour un cas de société coloniale déterminée dans un espace de temps également déterminé.

            Encore et enfin, pour reprendre le titre d’une des rubriques du livre de Mme Coquery-Vidrovitch « L’histoire des colonisés vus d’en bas » dans « Les enjeux politiques de l’histoire coloniale », est-ce que les pièces de ce puzzle expriment une histoire vue d’en bas ou des histoires d’en bas ?

            Et en ce qui concerne les propositions qui ont été faites par leurs auteurs pour entrer dans la composition de ce puzzle, s’agit-il des sources qu’ils ont exploitées eux-mêmes, ou d’un travail d’historiographie ?

            Les « faiseurs de puzzle » proposent donc de nous intéresser successivement à trois sous-ensembles de pièces de ce puzzle : « Politiques et encadrement des sociétés en contexte colonial », « Acteurs, groupes sociaux, résistances et accommodements dans les sociétés coloniales », et enfin, « Les pratiques culturelles dans les sociétés coloniales ».

            Le puzzle aurait pu tout aussi bien s’organiser autour de trois pôles :

le pouvoir colonial, comme dans une pièce de théâtre, avec quel message, quelle thématique, ou quelle intrigue,

 les acteurs,

le jeu lui-même, convaincant ou non, et pour quel résultat : bide ou succès ?        

             Au cours de leur tentative de recomposition de ce puzzle historique, les candidats à ces concours ne manqueront donc pas de trouver sur leur route d’assez nombreux pièges que leur ont sans doute tendus les concepteurs de cet ouvrage collectif.

            A titre personnel, et avec une formation universitaire différente de celle d’un historien, et uniquement en ce qui concerne les contributions dont les sujets me sont un peu familiers, deux sortes de pièges me sont apparus, les premiers d’une nature générale, les seconds dans quelques-uns des cas particuliers analysés.

I – Quelques pièges de nature générale, en conservant à l’esprit le fil rouge du raisonnement logique qui doit conduire à la réalité des faits :

Grandeurs économiques et financières, statistiques et évaluation : des grandeurs mesurables, fiables, et comparables ?

Il est difficile d’analyser des sociétés coloniales, et encore plus de les comparer entre elles, sans avoir à sa disposition tout un ensemble d’indicateurs statistiques statiques ou dynamiques, en termes de flux, portant sur la démographie, l’économie, les structures économiques et sociales, l’immigration…, et cela en fonction évidemment d’une chronologie, avec toujours l’addition de la situation coloniale et de son moment.

Ajouterai-je que dans un certain nombre de ces sociétés coloniales les séries statistiques disponibles, si elles existent, n’auront pas toujours une fiabilité assurée. Pour ne prendre que l’exemple de l’Afrique occidentale, les chiffres de la population ont mis beaucoup de temps à être connus, ne serait-ce qu’en raison des difficultés concrètes de recensement, et du fait que la population n’avait pas « envie » de se faire recenser, puisqu’elle donnait alors prise aux impôts de capitation.

Une des contributions procède à un long examen des migrations de travail, mais il n’est pas très facile de les interpréter sans disposer de séries statistiques solides et sans les mettre en rapport avec d’autres migrations de travail telles que celles des migrations blanches des mêmes époques, comparables ou non, entre autres, d’origine anglo-saxonne. Etats Unis, Australie, Afrique du Sud, et Nouvelle Zélande ont accueilli tout au long du XIXème siècle des millions d’anglo-saxons, dont une partie, pour les Etats Unis venait de « la colonie »  d’Irlande.

De même, et dans un tout autre domaine, celui de la littérature ou du cinéma qui concernent plus les métropoles que les sociétés coloniales, il est difficile de porter une appréciation sans avoir à sa disposition un certain nombre d’indicateurs tels que le poids de l’édition de type « colonial » par rapport à l’édition de type « métropolitain », nombre d’ouvrages, thèmes, tirages, etc… .. aux différentes époques considérées.

Le même type de remarque méthodologique pourrait être faite pour la presse qui n’a pas, en tout cas à ma connaissance, ou qu’on m’en pardonne, fait l’objet d’un travail d’inventaire et d’évaluation qui permettrait d’affirmer comme l’ont fait certains chercheurs que la France baignait dans une culture coloniale, à une époque coloniale française dont les bornes chronologiques ne sont d’ailleurs pas les années 1850-1950, mais 1870-1960, et de façon plus rigoureuse pour l’Afrique noire, 1900-1960.

Cette thèse n’a pas encore été démontrée, comme je m’en suis expliqué dans le livre « Supercherie coloniale ».

Comment ne pas être surpris, comme je l’ai été, de voir un historien connu autant qu’apprécié, traiter longuement dans un livre de « L’idée coloniale en France de 1871 à 1962 », sans avoir fait procéder à une analyse statistique de la presse qui accréditerait l’influence effective de cette idée, tout au long de la période examinée ?

Il en est de même pour le cinéma. Dans le cas de la France, le cinéma colonial n’a pas beaucoup concerné l’Afrique noire, et les films diffusés avant 1939, n’ont pas été nombreux.t

En l’absence de chiffres comparables, il est donc difficile de faire des comparaisons !

Aliénation économique ou aliénation coloniale, selon le moment et le lieu ?

Autre remarque générale, liée au concept de situation coloniale, en matière d’entreprise, et donc de capitalisme colonial !

Il est difficile d’analyser une situation aliénée du travail, sans la rapporter à une autre situation aliénée du travail, dans le même continent à une étape comparable de développement, par exemple entre Indochine, Chine ou Inde, ou dans des étapes comparables de développement capitaliste, par exemple en France.

Pour reprendre une expression assez connue que nous trouverons plus loin : comment pouvait-on être coolie en Chine ?

Ordre colonial et truchement colonial

Dernière remarque générale, celle de la place et du rôle, au titre des acteurs et des groupes sociaux, ceux du truchement colonial, qu’on les appelle les lettrés, les évolués, ou les nègres blancs comme ce fut le cas en Afrique noire.

La dissertation intitulée « Ordre et maintien de l’ordre en situation coloniale » évoque le sujet, celui des intermédiaires, mais il est dommage que le texte n’ait pas été plus précis sur ce point, au lieu de perdre un peu le lecteur dans des considérations ou observations au demeurant intéressantes, mais en pratiquant une sorte de télescopage historique qui va des tournées de « maintien de l’ordre » des commandants de cercle aux fonctions des SAS, que j’ai bien connues, en passant au travail du renseignement et à l’évocation du rôle du célèbre Lawrence d’Arabie que l’auteur place gaiement dans une réflexion originale, mais crédible ? relative à une nouvelle stratégie fondée sur l’emploi des désordres dans les sociétés coloniales ?

Diable ! Lawrence d’Arabie revisité à ce point ? Dans quel type de société coloniale ?

Le texte était plutôt engageant au départ, en notant que le nouvel ordre colonial créait « un ordre colonial moins manichéen qu’il n’y parait. » (page126), s’il n’avait pas été un peu trop « tendance », au moins dans sa conclusion, en proposant un mot cher à certains chercheurs, l’impensé, ici, « l’impensée globale du désordre colonial. » (page 131)

Les pièges particuliers du puzzle historique

Dans la première partie, « Politiques et encadrement des sociétés en contexte colonial », les thèmes traités entrainent à l’évidence un grand risque de télescopage historique, de l’échec inévitable et peut-être programmé de la résolution du casse-tête, du fait de la variété des sujets et des époques, et à cet égard, il est possible de se poser la question de l’utilité de la pièce « Vichy » : où la mettre ?

Il manque peut-être à la pièce photographique du port de Tamatave, pour que le puzzle puisse fonctionner, un rapide état des communications à Madagascar,  à la date de 1895, c’est-à-dire le degré zéro.

Dans la deuxième partie du puzzle, « Acteurs, groupes sociaux, résistances et accommodements dans les sociétés coloniales », la pièce « Races et cultures d’entreprise. Travailler chez Denis Frères dans la Cochinchine des années 1930 » doit-elle se rapporter au concept moderne de culture d’entreprise, sans anachronisme ? Alors même que le concept d’analyse ne trouve pas toujours facilement, et même de nos jours, une application dans beaucoup de nos entreprises ?

Afin de pouvoir mesurer toute la relativité de la description, une citation :

« Ces derniers points montrent que « la culture d’entreprise », vue comme un ensemble de codes de reconnaissance dont l’assimilation est nécessaire pour faire partie  d’un groupe est ici biaisée par le rapport colonial. » (page 190)

Questions sur cette pièce du puzzle ? Un rapport colonial différent de celui qui existait dans la Chine voisine ? Différent également de celui qui existait encore dans beaucoup de nos entreprises à des époques de développement comparable en France, avec des salariés en condition aliénée, prolétaire, comparable, entre autres dans nos campagnes profondes, ou dans nos grands bassins industriels ?

Compte tenu de son importance et de sa grande influence, le  groupe de pression des compradors chinois, par ailleurs évoqué, dont la présence était antérieure à celle des Français, pourrait fournir une comparaison intéressante avec la hiérarchie raciale décrite.

Une pièce du puzzle colonial ou capitaliste ?

Dans les années 1930, et en France, il serait sans doute possible de trouver des exemples d’aliénation au travail, qu’il s’agisse des journaliers agricoles, travailleurs précaires,  embauchés à la fête de la Saint Jean, pour combien de temps ? Ou d’ouvriers ou ouvrières dans nos usines textiles ?

Dans la troisième partie, « Les pratiques culturelles dans les sociétés coloniales », quelques remarques sur une des pièces du puzzle, « La promotion sociale des indigènes au sein de la société coloniale à Madagascar, itinéraire du premier évêque malgache, Mg Ignace Ramarosandratana » (page 246)

Tout d’abord, et comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, parmi les pièces du puzzle rapportées aux acteurs, une ou plusieurs pièces sont manquantes relatives au groupe de plus en plus nombreux des intermédiaires de la colonisation et du truchement colonial, les lettrés, les évolués, ou les acculturés.

Dans le cas particulier de l’évêque, l’auteur note dès le départ : « Dans tous les cas, c’est bien l’impasse de la politique d’assimilation qui se révèle » (page 246)

.Je serais tenté de dire tout d’abord, à la condition sine qua non qu’il y ait jamais eu, sauf dans les discours, une politique d’assimilation.

Une deuxième remarque relative à l’intitulé d’une partie de la pièce « Prêtre, une position dans la société coloniale » : n’était-ce pas aussi le cas dans une société qui a priori n’était pas coloniale, la société française des siècles passés ?

Et pourquoi ne pas ajouter qu’à notre époque, il continue à en être encore ainsi, et quelquefois, dans la grande île ?

Troisième remarque relative au contexte de la pièce du puzzle : avant même la conquête de Madagascar par la France, l’île a été un champ de compétition entre missions protestantes et catholiques, une compétition qui continue de nos jours, avec une incidence importante sur le fonctionnement du pouvoir politique, avec quelquefois dans les villages des plateaux la construction d’une église face à un temple.

Difficile donc de ne pas analyser ce facteur, comme la description en est faite, comme un des facteurs importants de la situation politique de l’époque, avec les positions sans doute inévitables de tergiversation ou de manipulation de la part d’une administration coloniale théoriquement férue de laïcité : s’agissait-il d’un enjeu de position sociale ou d’un enjeu du pouvoir colonial ?

Une dernière remarque relative au « Chapitre 7 Sociétés coloniales au miroir de la littérature L’exemple impérial français. »

Nous avons déjà évoqué plus haut la difficulté de l’évaluation à la fois des vecteurs et de l’effet produit sur l’opinion publique par la littérature, alors que les premiers sondages d’opinion publique n’ont eu lieu en France qu’à la veille de  la deuxième guerre mondiale.

Prudemment, l’auteur esquisse les termes d’une approche du sujet, à partir de sa définition, de son évolution, et de son contenu, à savoir s’il s’agit de littérature coloniale ou exotique, et c’est là une partie importante de la question.

Rôle de propagande coloniale ou de contre-propagande coloniale ? à voir le nombre de romans qui n’ont jamais rien caché des réalités coloniales.

Est abordée également la question capitale du regard, avec la transposition du « Comment peut-on être Persan ? Ou comment peut-on être Français », entre civilisés, non civilisés, décivilisés… ?

Quel regard ? Celui du colonisateur ou celui du colonisé ? Le regard inversé du colonisateur, comme ce fut de plus en plus, et semble-t-il, le cas ?

En guise de conclusion d’analyse de ce puzzle historique, nous ferons nôtre le « Pour ne pas conclure » de l’auteur de cette pièce du puzzle :

«  Avec l’Histoire, la littérature en général, et coloniale en particulier, entretient des liens que l’on pourrait qualifier de dangereusement séduisants. Dangereux parce qu’elle n’est pas une duplication des faits historiques, dont elle est en quelque sorte décrochée, par le temps et par les sujets. Séduisants parce que l’on peut y lire l’histoire des projections des écrivains sur cette histoire, avec illusions, rêves, mensonges et témoignages. Souvent caricaturée, la littérature coloniale mérite d’être interrogée de façon renouvelée, comme c’est le cas aujourd’hui, pour la redécouvrir dans toute sa complexité qui témoigne des sociétés qu’elle s’attache à décrire. »

Histoire des idées ou histoire des faits, histoire des lettres ou histoire des chiffres ?

Vaste chantier aussi excitant sans doute sur le plan intellectuel que celui du puzzle dont la recherche de lien logique est proposée aux candidats comme exercice de préparation!

Jean Pierre Renaud

PS : dans les semaines qui viennent, nous proposerons à nos lecteurs et  à nos lectrices, car j’espère qu’il y en a, deux textes consacrés à Charles Péguy, et à Clio,le premier, avec pour thème « l’histoire ou les histoires », le deuxième, avec pour thème « l’Orient ou les Orients » vus par le grand peintre Gustave Courbet.