Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020) Vive l’Indépendance de la France !

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020)

Vive l’Indépendance de la France !

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Avant tout commentaire, et avant de se forger une opinion, il est difficile de parler de mémoire collective,  sans faire référence à l’ouvrage « fondateur », un qualificatif goûté par certains chercheurs, « La Mémoire collective » de Maurice Halbwachs, mort en déportation, publié après sa mort.

J’en ai proposé un résumé sommaire sur le blog du 15 avril 2010.

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« Initiatives mémorielles… organisationnelles… politiques…cet impensé… »

« Ventre Saint Gris » ! Comme aurait juré Henri IV !

 Presque 60 ans plus tard !

Vive enfin l’Indépendance de la France !

Les Confidences du Président à Arthur Berdah, journal du Figaro du 6 novembre 2020, page 8, sous le titre « Islamisme : ce que Macron a en tête »

Le Président a chargé Monsieur Stora, historien et mémorialiste de la Guerre d’Algérie  de lui faire un rapport sur le sujet en décembre prochain :

« Cette étape ouvrira ensuite la voie à des initiatives mémorielles, des initiatives organisationnelles pour la jeunesse et une série d’initiatives politiques »… « sur le sujet, toutes prévues entre 2021 et 2022. » (Comme parhasard !) « On n’a pas réglé le problème de la guerre d’Algérie parce qu’on n’a pas réglé cet impensé de l’histoire contemporaine française… »

            Pourquoi cette mission confiée à un historien-mémorialiste qui fait partie de la mouvance maghrébine des enfants dont les dents sont encore ou ont été « agacées » par Les Raisins Verts qu’ont mangé leurs parents en Algérie est une fois de plus incongrue ? Une mouvance intellectuelle qui ne pouvait qu’être placée sous le signe biblique des « Raisins Verts » : on récolte ce qu’on sème…

            Pour continuer à agiter un monde qui a très largement disparu et que des groupes de pression ont intérêt à manipuler pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’histoire ?

L’historien indien Sanjay Subrahmanyam introduit le chapitre IV « Nationalisme, identité et histoire universelle »,  dans le livre « Faut-il universaliser l’histoire ? (2020) »:

« La question de savoir pourquoi l’on choisit d’étudier l’histoire est bien trop souvent liée à celles concernant la personne qui a fait ce choix et son champ d’étude. » (page 89)

Propos d’un historien un brin dérangeant ! Son livre « Leçons indiennes » a fait l’objet d’une analyse critique le 3 juin 2016.

            L’historien Pierre Goubert confiait qu’il avait choisi d’étudier le Moyen Age afin d’éviter précisément ce mélange des genres entre histoire, mémoire et vécu.

            Il est évident que le Président a fait le choix d’un homme dont le parcours n’est pas de nature à faire naître la confiance dans l’ ensemble des initiatives qu’il lui recommandera : un historien qui depuis de longues années a ses petites et grandes entrées dans le microcosme politique parisien des princes, de préférence à gauche, qui nous gouvernent.

            Pour avoir été officier SAS du contingent pendant la guerre d’Algérie, sans que ma famille n’ait eu d’intérêt à défendre au Maghreb,  je ne suis pas du tout prêt à adhérer à ce type de manipulation politique : pourquoi me réconcilier et avec qui ? Avec la jeunesse algérienne qui manifeste depuis quelques années pour plus de liberté dans son pays, plus de 50 ans après l’indépendance de l’Algérie ?

Revenons au cœur de notre sujet : comment adhérer à la défense d’une thèse mémorielle, et non historique, ou même idéologique, à partir du moment où cette thèse n’a pas été fondée jusqu’à présent par une ou plusieurs enquêtes statistiques, comme il en pleut chaque jour dans les médias depuis plusieurs dizaines d’années ?

            Monsieur Stora a longuement exposé cette thèse mémorielle dans un petit livre intitulé « La Guerre des Mémoires », publié en 2007.

            J’ai analysé longuement les constats et raisonnements de son auteur, et publié à l’époque une critique de l’ouvrage sur le blog « Etudes coloniales » le 11/11/2007. Je l’ai publiée à nouveau sur ce blog le 20 janvier 2016 dans le cadre d’une synthèse sur le modèle de la propagande postcoloniale, celle développée notamment par les historiens Blanchard, Lemaire, et Bancel, laquelle souffre de la même carence  quantitative d’analyse des sources historiques et de leurs effets.

            Tout à fait curieusement, et sauf erreur, dans un livre truffé de chiffres et d’enquêtes sur « L’archipel français » de Jérôme Fourquet, le post-colonial est quasiment absent : la fameuse « Fracture coloniale » des trois historiens Blanchard-Bancel-Lemaire s’est évanouie, de même que les « saignements de mémoire ». de Monsieur Stora, page 90.

Je publie à nouveau cette analyse comme un des éléments de réponse à la décision tout à fait étrange et inacceptable de la désignation de l’historien mémorialiste à la tête d’une mission de réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie.

Je précise que cette analyse critique ne porte pas sur les travaux d’un historien en cette qualité, mais sur le rôle, pour ne pas dire la « mission » idéologique et politique qu’il s’est donnée sur le sujet.

Le lecteur est bien obligé de constater que l’auteur se répand en propos sur la ou les mémoires, sans avancer aucun chiffre les accréditant.

Le lecteur trouvera en postface un certain nombre de références de chroniques que j’ai publiées sur le sujet et sur ce blog.

L’Observatoire B2V des Mémoires a publié en 2019 un livre intitulé « La mémoire, entre sciences et sociétés », sous la direction de Francis Eustache, un ouvrage savant, volumineux, qui ne s’inscrit pas vraiment dans l’héritage scientifique de Maurice Halbwachs : ces travaux ne font pas beaucoup avancer, à mes yeux en tout cas, la méthodologie statistique et scientifique d’analyse de la mémoire collective dans le domaine de l’histoire.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Leçons indiennes » Itinéraires d’un historien » Sanjay Subrahmanyam- Troisième partie et fin

« Leçons indiennes »

« Itinéraires d’un historien »

« Delhi .Lisbonne. Paris. Los Angeles »

Sanjay Subrahmanyam

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Troisième partie et fin
Mélanges
         Racisme, islam, hindouisme…

       Leçons, 5 « Orgueil et préjugés de V.S.Naipaul », 12 « Le roman, l’islam et les versets sataniques », 16 « Le 11 septembre, l’islam et les Etats Unis », 20 «  Un miroir indien pour Israël »

          Quelques mots sur Naipaul qui n’est pas en odeur de sainteté chez l’auteur, le titre de la leçon 5 suffirait à l’exprimer, et une seule citation :

               « Sur un autre bord, à distance, le protestantisme attire, mais une bonne part de ce protestantisme ne s’accommode guère du métissage culturel, c’est plutôt un  système du tout ou rien. En outre, les Indiens vivant hors de l’Inde – c’est bien connu- sont facilement racistes quand il s’agit des autres peuples de couleur : la rhétorique anti noire qui imprègne les écrits de Naipaul (y compris le premier chapitre de ce livre) n’est une fois encore, que le symptôme d’un plus large malaise qui s’étend de l’Afrique au New Jersey. » (p,88)

           En reprenant un titre connu de Jane Austen, l’auteur a choisi un titre tout à fait révélateur de son jugement  sur Naipaul.

           Quelques mots également sur les autres sujets sensibles qui sont traités dans les autres leçons, le grave différend qui continue à opposer en Inde la majorité des citoyens de religion musulmane et de religion hindoue- inutile de rappeler la tragédie qui a suivi l’indépendance de l’Inde, considérée souvent comme un succès britannique -, le jugement sans appel de l’auteur sur la signification du 11 septembre ;

           « Au fond, contrairement à ce qui a été affirmé au lendemain du 11 septembre, le choc majeur auquel on a alors assisté n’était pas entre tradition et modernité ou entre religion et sécularisme. Les Etats Unis ont bien plutôt été attaqués comme puissance chrétienne, et, malheureusement, ils ont endossé ce rôle avec toujours plus d’empressement. » (p,266)

    Leçon 19 «  Un Parisien ambigu »

        Le lecteur  ne m’aurait sans doute pas pardonné de ne pas évoquer le contenu de cette leçon, un contenu effectivement ambigu, pour reprendre le qualificatif du titre, mais aussi dans un autre sens.

          « La capitale m’attirait. Je voudrais évoquer ici le souvenir de cette attraction pour Paris – une attraction très ambiguë. La manière quelque peu singulière dont je découvris la ville vaut d’être contée. » (p,298)

               La description que fait l’auteur de Paris et de la vie parisienne est déroutante et pose la question de l’objectivité dont peut faire preuve l’observateur lorsqu’il débarque dans une capitale qu’il ne connaissait pas, même lorsque cet observateur, tel l’auteur, parait muni de tous les sacrements susceptibles de lui éviter de commettre le péché très partagé du fameux ethnocentrisme.

                   Il y a dans cette leçon un parfum du « Comment peut-on être Persan ? »  de Montesquieu, mais il parait difficile d’entériner telle ou telle observation, quand il s’attache à souligner l’importance dans la vie parisienne du fait divers, des exploits de grands criminels, ou quand il écrit :

             « Paris est aujourd’hui massivement une ville d’immigration «  (p,300), ou

             « En 1988, comme c’est toujours le cas aujourd’hui, Paris était en grande partie une ville de Maghrébins et pour les Maghrébins. «  (p,301)

         Mieux fondé parait être son jugement sur la contradiction qui habite le parisien entre une soi-disant solidarité collective et son individualisme forcené :

         « Ceux qui applaudissent les bandits branchés et les rois de l’évasion expriment, de manière troublante, l’esprit d’une cité dans laquelle chacun semble ne vivre que pour soi-même, à l’abri de cette justification typiquement française : Moi, monsieur, je paie mes impôts …

       Mes derniers exemples sur la tension entre discours de solidarité collective et réalité d’individualisme débridé devraient paraître plus légers, mais ils n’en reposent pas moins sur l’amère vérité de l’expérience. ». (p,311)

          Et pour finir sur une note tout à fait parisienne, les chiens des parisiens :

       « Mais c’est dans leur relations avec les chiens que les Parisiens se révèlent sous leur vrai jour » (p,312),  dont la possession s’est « démocratisée » depuis vingt ans, avec une vraie référence historique tout à fait justifiée, celle de l’arrivée des « chiraclettes » (p,314)

     La leçon 21 « A travers trois continents »

       Cette dernière leçon a un contenu très varié compte tenu de l’expérience internationale de cet historien.

         A la question :  « Dans quelle mesure avez-vous été – comme d’autres jeunes intellectuels indiens – influencé par les idées maoïstes ou par le marxisme soviétique, ou encore par le discours critique surgi en mai 1968 ? »

     Longue réponse de l’auteur, dont j’ai retenu les propos ci-après :

         « Personne ne peut écrire une histoire qui soit totalement dénuée d’implication politique. En tout cas je cherche à établir une distinction entre mes écrits plus «populaires » et ceux scientifiques, réservant les sujets explicitement politiques  pour les premiers. Il arrive néanmoins que cette frontière se brouille. » (p,332)

          A la question : « Dans votre carrière universitaire, on observe un déplacement. Après vous être centré sur des phénomènes historiques de nature résolument économique, vous avez évolué vers une approche de plus en plus politique et culturelle. Avez-vous changé votre manière de faire de l’histoire ? »

        Longue réponse de l’auteur dont j’ai extrait les propos ci-après :

        « Pourtant, je crois pouvoir dire que je me suis déplacé sur plus de terrains et que j’ai brassé des matériaux plus diversifiés que la moyenne de mes contemporains. L’autre grande difficulté a été de réguler cet éclectisme par un certain degré de cohérence intellectuelle, de manière à ne pas combiner artificiellement des méthodes et des perspectives qui, en réalité, sont radicalement hétérogènes et à ne pas dire un jour le contraire de ce qu’’on a dit la veille » (p,336)

        A la question : « Comment situer Explorations in Connected History ? Quels sont les avantages de la méthode que vous y adoptez ? Comment le local s’insère-t-il dans un plus large espace. Les « histoires connectées » sont-elles un moyen d’envisager la globalisation ? »

      Un petit extrait :

       « C’est juste une manière de dire qu’il vaut peut-être mieux appréhender l’histoire du Portugal dans son propre contexte qu’en comparant le Portugal à la Grande Bretagne et en voyant le dernier au miroir du premier. Si l’on fait ce genre de comparaison, le Portugal devient un cas de régime bourgeois qui a échoué, ou un exemple du retard de l’industrialisation et du développement capitaliste. Un exercice stérile. » (p,338)

      A la question : «  Fukuyama, qui avait parlé de la « fin de l’histoire », s’est mis à écrire sur le « retour de l’histoire » après le 11 septembre. Cette obsession de l’histoire est-elle un trait occidental ? »

     Un petit extrait :

    « Le plus inquiétant, me semble-t-il, est « l’ auto-orientalisation » de certains intellectuels indiens dans le cadre des études postcoloniales : ils insistent sur le fait que l’ « histoire » est une vision  purement occidentale et qu’eux-mêmes devraient vivre en dehors de l’histoire. » (p,342)

     A la question : «  Quel écho rencontre en Inde la reconfiguration des rapports de l’Occident avec le monde musulman ?

      Un extrait :

      «  Le problème en l’occurrence, c’est que beaucoup de mouvements politiques de droite, en Inde, partagent la peur et la haine de l’islam avec une partie des médias et des conservateurs occidentaux. Cet état de fait remonte au mouvement nationaliste indien et à la théorie des deux nations, au nom de laquelle des idéologues comme V.D. Savarkar ont soutenu que les hindous et les musulmans ne pourront jamais coexister dans le même espace politique. » (p342)

        Question raccourcie : « …Pensez-vous que l’historien peut encore intervenir dans la formation d’une mémoire historique collective ? »

         Un extrait :

       « Mais je sais avec certitude que l’histoire n’est pas ce qu’en disent tant de théoriciens postcolonjaux qui la dépeignent comme une stratégie néfaste, oppressive, hégémonique inventée par l’Occident » (p,345)

      A la question : «  Quels sont, selon vous, les avantages et les désavantages d’être « de l’intérieur » quand on fait l’histoire d’un pays donné, ou pour utiliser le vocabulaire de l’anthropologie, d’être un participant-observateur qui maitrise les codes culturels ? Est-il préférable d’être de « l’extérieur » ?  

        Un extrait :

        « … il n’y a pas pour autant de différence évidente entre une approche « de l’intérieur » ou « de l’extérieur ». En ce sens, nous sommes bien loin de la situation en anthropologie.. » (p,345)

      A la question : « Comment voyez-vous ce que d’aucuns appellent la nouvelle « hégémonie » des intellectuels indiens, en particulier pour ce qui concerne le monde universitaire occidental ?

        Un extrait :

        « … J’admets volontiers que, dans l’ éveil des Etudes subalternes, il y a eu une onde de choc et un effet de réseau, si bien que les universités américaines ont rivalisé entre elles pour recruter des spécialistes qui enseignent l’histoire postcoloniale et l’histoire sur le mode « subalterne ».(p,350)

       Ma propre question : il est peut-être dommage qu’une des leçons n’ait pas porté sur le système des castes en Inde, un système qui aurait peut-être éclairé d’une certaine façon une des faces persistantes de l’histoire indienne, reliée incontestablement au discours que les intellectuels indiens tiennent sur le « subaltern ».

         Une observation : est-ce qu’on ne peut pas comparer cette discrétion, pour ne pas dire cette impasse historique, à celle que semblent commettre certains chercheurs africains sur une des faces cachées de leur histoire, c’est-à-dire l’esclavage interne ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Leçons indiennes » Sanjay Subrahmanyam – Lecture critique – Deuxième partie

« Leçons indiennes »

« Itinéraires d’un historien »

« Delhi .Lisbonne. Paris. Los Angeles »

Sanjay Subrahmanyam

Lecture critique

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Deuxième partie
Occident et Empire

            L’OCCIDENT – Leçon 2 « Retour vers le futur : pourquoi l’Occident domine le monde ? »

(pages 31 à 41)

             L’auteur a dans sa ligne de mire deux intellectuels Morris et Pomeranz.

           Le concept historique d’Occident est depuis longtemps un sujet de controverse, et l’auteur écrit :

           «  Les questions que pose Morris expose lui-même explicitement sont : 1) pourquoi « l’Occident » domine-t-il actuellement le monde ? 2) Combien de temps cette domination est-elle censée durer ? » (p,33)

         Un espace ou une idéologie ?

          Morris : « Il entend donc traiter de l’Occident et de l’Orient comme appellations géographiques, sans jugement de valeur – du moins à l’en croire » (p,35)

         Pomeranz : « Pomeranz ne se préoccupe non pas de l’Occident mais de l’Europe occidentale et même d’une région qu’il définit assez précisément »

        Morris « Comme contretype de ce matériau occidental, Morris a décidé de choisir un autre lieu. Son choix s’est tourné vers la Chine, (bien qu’on croie comprendre qu’il ne lit ni le chinois ni le japonais. » (p,36)

       « C’est la cueillette des cerises transposée à l’histoire, pour ne pas dire plus. » (p,37)

         « La mentalité binaire qui caractérise l’ouvrage tout entier. Mais depuis quand les historiens sont-ils effrayés par la complexité ? »

         Les appréciations de l’auteur sont violentes :

           « …une sorte de charabia …, pseudo-science naïve,… Il comporte un étalage d’érudition dont la fonction s’apparente aux poignées de confettis jetés en l’air pour distraire le spectateur pendant l’avancée du défilé… Peut- être est-ce vraiment une blague que nous joue un professeur érudit de grand talent qui a décidé de se métamorphoser, l’espace d’un instant, en un croisement de Nostradamus et de Bécassine. » (p,40)

         Fin de leçon : le lecteur partage le doute du professeur sur la nature et la définition relative de ce qu’est l’Occident, mais était-ce le seul but de la leçon ?

         UN EMPIRE ?

         Un autre sujet tout aussi sensible et polémique, celui de la signification historique du concept  d’empire, abordé par la Leçon 8 « Qu’est-ce qu’un Empire ? », un sujet très à la mode.

       En France, certaines écoles historiques n’ont-t-elles pas tendance à considérer que l’empire est avant tout un concept colonialiste ?

        En 1866, quoi de commun entre l’Empire du Brésil et l’Empire Ottoman ?

         L’auteur consacre sa réflexion au livre de John Darwin « Après Tamerlan » consacré à « l’histoire globale de l’empire depuis 1405 ». Il n’est pas interdit de se demander ce que l’auteur entend exactement par « empire ». John Darwin n’affronte pas cette question directement. Mais on peut y réfléchir en posant deux questions corollaires. En premier lieu, qu’est-ce qui n’est pas empire (et par conséquent exclu de cet ouvrage ) ? En second lieu, quels sont les autres termes qui vont de pair avec « empire », dans un de ces couples d’oppositions complémentaires dont les historiens et les spécialistes de sciences sociales raffolent, comme « empire » opposé à « Etat nation ? » (p,136)

      Le livre : «  Il met en avant trois vastes thèmes : l’évolution de la connexion globale vers la globalisation ; le rôle de l’Europe et des empires européens dans ces transformations de longue durée ; la « résilience » – peut-être faudrait-il dire le pouvoir résiduel – des Etats non-européens et des autres acteurs dans le processus.

       Ces thèmes sont à leur tour liés avec ce que John Darwin choisit d’appeler – « les quatre postulats de base » qui émergent rapidement dans l’ouvrage et sont les suivants :

  1.     la mutation historique produite par et à travers les empires après 1400 fut conjoncturelle et réversible, non pas linéaire, cumulative, et téléologique ;
  2.      dans ces six siècles, l’Europe doit constamment être replacée dans le plus vaste ensemble de l’Eurasie, afin d’échapper au piège de l’exception européenne ;
  3.       l’idée d’ « Europe » en elle-même doit être soumise à une constante interrogation pour distinguer ses diverses acceptions, comme « espace géographique, communauté socio-politique et programme culturel » ;
  4.       l’empire est une réalité largement répandue et pas uniquement une réalité européenne ; en fait, c’est « le mode par défaut d’organisation politique au long du plus clair de l’histoire », plutôt que «  le péché originel des peuples européens ». (p,136)

       « En quoi les trois premiers de ces quatre points sont-ils réellement des « postulats » – non des hypothèses ou des spéculations ? Ce n’est pas immédiatement évident. Toutefois, pris globalement, ils permettent de situer assez précisément John Darwin dans un  champ historiographique en tension : il n’est ni de ceux qui affichent une version triomphaliste de la mission universelle d’ l’Europe, ni le fervent partisan d’un certain style d’études postcoloniales. Ses interprétations ne se prêtent pas au politiquement correct. Pour autant, il ne succombe pas au radicalisme inverse du politiquement incorrect. Ce livre est en bref, une tentative de judicieux équilibre, ce qui peut évidemment susciter des ennemis de tous bords. » (p,137)

         Il est noté que l’histoire globale n’est pas nouvelle, voir Hérodote.

       « Reprenant au départ l’idée de « trois grandes zones de civilisation », à savoir la Chine, le monde islamique et l’Europe… (page 140

    … Rappelons que, dans « Une grande divergence » (2000 ; traduction française de 2010), Kenneth Pomeranz, spécialiste de la Chine, établit d’abord la quasi-équivalence, au XVIIIème siècle, entre les niveaux de développement socio-économique de l’Angleterre, berceau du décollage industriel européen, et ceux de la vallée du delta du Yangzi…Sa thèse n’a pas été sans provoquer de vives discussions…(p, 141)

      « … Nombre d’assertions et d’hypothèses stimulantes feront sans doute de ce livre, dans la prochaine décennie, un point de départ et de référence  pour des essais et des réflexions sur l’histoire globale… N’en demeurent pas moins quelques troublants problèmes conceptuels.

      Prenons, pour commencer, le terme « empire ». Nous l’avons vu, John Darwin ne se soucie guère de le définir, le considérant peut-être comme une notion qui relève du sens commun ou dont il suffirait de rechercher la définition dans l’Oxford English Dictionnary…

     De toute « évidence, les empires doivent être distingués d’autres formes politiques qui existent dans l’espace, comme les cités-Etats, les royaumes d’une pièce, ou les républiques ou les Etats-nations – dont certains ont en fait une assez courte histoire, même s’ils projettent encore leur ombre sur les débats actuels

      Au premier abord, c’est une question d’échelle, mais les choses ne sont pas si simples……

      Le raisonnement doit être explicité. L’empire implique une complexité politique, une diversité culturelle – le plus souvent, ethnique et linguistique – parmi les populations sujettes. La forme typique que prend cette complexité politique est une palette de dispositifs politiques et administratifs hétérogènes au travers de l’espace, s’accompagnant de phénomènes de souveraineté superposée. L’empire ottoman aux XVIème et XVIIème siècles en est un excellent exemple.…

       L’empire ici en vient à signifier diversité, tolérance et droit à la différence, à l’inverse de l’Etat-nation avec son penchant intrinsèque de l’homogénéité dans les domaines linguistique, religieux et autres… » (p,144,145)

       « Le problème, c’est que les empires peuvent être radicalement différents les uns des autres. Nous pouvons provisoirement en esquisser une vague classification pour la période postérieure à 1 400, même si c’est un peu à la manière de Borges :

  1.       Les empires qui pensent qu’ils sont des empires… Cette catégorie, la plus évidente, inclut les Ottomans, les Habsbourg, les Moghols, etc   …
  2.      Les Etats qui prétendent être des empires, bien qu’il y ait de bonnes raisons de douter du bien-fondé de leurs prétentions. Les danois au XVIIème siècle en sont un bon exemple, quelque peu obscur, mais sans doute peut-on aussi classer dans cette catégorie le Brésil du XIXème siècle.
  3.       Les empires qui nient être des empires. La Compagnie anglaise des Indes orientales vient immédiatement à l’esprit, comme la Compagnie hollandaise des Indes orientales, en certaines de ses incarnations. Si l’on accepte la classification de John Darwin, c’est là que devraient se retrouver les Etats Unis.
  4.       Le cas sur lesquels on n’arrive pas à trancher. Ainsi de l’Iran safaride ou de la Chine des Ming par opposition à la Chine des Qing. Autant de pouvoirs dont les traits impériaux semblent faiblement constitués.
  5.    Les empires continentaux d’un seul bloc, opposés aux empires avec des possessions séparées par de larges étendues d’eau.
  6.     Les empires constitués de petits territoires dispersés sur un vaste espace, comme l’empire portugais du XVI ème siècle.

       On voit maintenant la difficulté qu’il y a à manipuler la catégorie « empire » et la nécessité d’arriver à un accord qui prenne en compte cette difficulté plutôt que d’en nier l’existence. Il est vrai qu’«empire » est plus facile à manipuler que, par exemple, « globalisation », ou « modernité », en ceci qu’elle est beaucoup plus une abstraction et qu’à certains égards, elle est conjointement relativiste et universaliste. Ce qui complique un peu plus le problème, c’est qu’au XVème ou au XVIème siècle, l’entité qui était expressément opposée à l’empire était le royaume autonome (qui pouvait avoir ou ne pas avoir une base ethnique) alors qu’au XXème siècle, c’était l’Etat –nation (dont les citoyens avaient tous une  nationalité « commune ». (p,147)

          Je me suis beaucoup étendu sur les citations de l’auteur, ses raisonnements, ses définitions, sa classification, ses réflexions stimulantes, mais à dire la vérité, j’éprouve une certaine déception à ne pas y avoir trouvé de réponse au classement qui pourrait être proposé pour les empires coloniaux des 19 et 20ème siècles, sauf à dire qu’implicitement ils rentrent dans telle ou telle catégorie proposée, alors qu’il d’agit d’un sujet qui parait être encore un objet de vives controverses dans certains milieux de chercheurs.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Leçons indiennes » « Itinéraires d’un historien » Sanjay Subrahmanyam

« Leçons indiennes »

« Itinéraires d’un historien »

« Delhi .Lisbonne. Paris. Los Angeles »

Sanjay Subrahmanyam

Alma Editeur

Lecture critique
Première partie

            Il s’agit d’un livre tout à fait intéressant pour de multiples raisons, le ton irrévérencieux des textes, leur style souvent dérangeant et décoiffant, au moins tout autant que leur contenu, riche, encyclopédique, quasi-planétaire, une réflexion et des témoignages touche-à-tout sur l’histoire des idées, des hommes, les débats passés ou encore actuels sur les grandes problématiques du monde, historiques ou non, intellectuelles, politiques, ou religieuses.

            Ce livre démystifie beaucoup de sujets d’histoire et oblige le lecteur à regarder un peu plus loin que le bout de son nez, le fameux ethnocentrisme que la plupart des historiens, sinon les intellectuels du monde entier, ont en partage, avec leurs modes, leurs courants, leurs partis pris.

            Car, il est toujours très difficile d’échapper à son égo, à sa subjectivité, au nombrilisme, quel que soit le continent.

            Dans une de ses leçons, le « provincialisme » de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales en prend pour son grade, et, à lire ce livre, tout laisse à penser que la France n’occupe qu’une place modeste dans les recherches historiques postcoloniales.

            « J’avais très peu d’étudiants en doctorat à Paris, car les sujets que j’étudiais étaient jugés marginaux. Quand Serge Grunitzky et moi avons proposé des changements au cœur de la structure de l’EHSSS, de sorte que les « aires culturelles » soient mieux intégrées à l’histoire, notre proposition a été rejetée sans ménagement par l’administration et par beaucoup d’historiens spécialistes de l’Europe. Je crois que la partie historique de l’EHSS est en train de commencer à payer le prix de son provincialisme et de son incapacité à suivre le rythme des évolutions… » (p, 349, Leçon 21 « A travers trois continents » »

            Tout en estimant que l’histoire postcoloniale française a un caractère un peu trop franchouillard, je n’hésiterai toutefois pas à me demander si l’auteur ne souffre pas lui-même de cette maladie « nombriliste » qu’il dénonce au fil des pages, dans l’écriture de sa leçon parisienne, (Leçon19 « Un Parisien ambigu »), et peut-être aussi certaines de ses réflexions qui ne peuvent échapper à son lieu de naissance indienne, à sa vie d’intellectuel indien.

            A la lecture de la leçon 4 « L’histoire politique indienne et Guha », la découverte d’un autre livre à lire : « La fin des terroirs » d’Eugen Weber, un ouvrage qui démontre, à mon avis, avec un certain succès, que la nation française n’a véritablement commencé à exister qu’à la fin du dix-neuvième siècle, et au début du vingtième.

            L’auteur relie cette référence à la problématique discutée et discutable de la fabrication de la « nation indienne ».

            « Weber est surtout connu pour son étude sur la manière dont la nation française moderne se construisit entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle. C’est une interprétation qui met en jeu routes et chemins de fer, écoles et instituteurs sévères et qui se centre sur la production d’une « francité » uniforme, à la fois comme réalité et comme mythe, englobant les divers terroirs qui existaient encore en 1870. On peut y voir soit une version de la théorie de la modernisation… 

… Aucun maître ouvrage comparable à celui de Weber n’existe à ce jour pour l’Etat-nation qu’est l’Inde moderne, en partie parce que les historiens du sous-continent on généralement évité de s’aventurer au-delà de 1947, laissant cette tâche aux politologues, aux sociologues, et aux touche à tout omniscients. »  (page 56 et 57)

         Au risque de déflorer une partie du sujet, les historiens qui se sont  fait une belle notoriété en décrivant dans un de leurs ouvrages « Culture coloniale »  que la France s’était « imprégnée de culture coloniale » au cours de la période 1871-1914 feraient bien de mettre en accord leur discours trompeur avec la situation qui était encore celle de la France à la fin du dix-neuvième siècle.

            En premier jugement, donc un livre désaltérant sur le plan intellectuel, un ton souvent incisif, et quelques détours dans les coulisses de l’édition et des publications.

            Nous allons à présent évoquer quelques- unes de ces leçons indiennes,  en regroupant notre lecture par quelques-uns des grands thèmes qui touchent à des sujets sensibles de l’histoire du monde, à la fois dans leur contenu, et dans la façon dont les historiens la racontent.

            L’Inde est le premier thème d’analyse et de réflexion  qui occupe au moins huit  leçons sur vingt et une, lesquelles nourrissent largement la critique historique de l’auteur.

            La réflexion commence avec la leçon 1 :

 La «  civilisation indienne » est-elle un mythe ?

A lire toutes les pages qui sont consacrées à l’Inde et au Sud Est Asiatique, le lecteur prend la mesure de l’écart qui semble séparer, sans doute aux yeux d’un ignorant, les travaux de recherche historique coloniale et postcoloniale consacrés à l’impérialisme britannique des Indes comparativement avec les travaux consacrés à l’impérialisme français, un écart qui s’appuie sur un appareil universitaire important, aussi bien à Dehli qu’à Londres, ou à Chicago.

.Des historiens indiens, souvent anglicisés, dialoguent, débattent entre eux, échangent des propos agressifs, qu’ils soient restés en Inde ou qu’ils se soient expatriés dans des universités anglo-saxonnes, ou qu’ils fassent encore partie de la cohorte des historiens anglo-saxons reconnus compétents sur l’histoire coloniale ou postcoloniale du Royaume Uni.

Un des débats porte sur la question de comprendre comment la civilisation indienne, pour autant qu’elle ait existé, s’est positionnée par rapport à l’impérialisme anglais, décrite par certains intellectuels sous les traits d’une « Inde comme civilisation, vite synonyme d’une Inde close » (page 22)

La leçon 3 «  Le sécularisme et le bienheureux village indien » ouvre un débat parallèle sur ce que certains intellectuels appellent le « sécularisme », un concept très différent de la laïcité à la française, et à cette occasion, l’auteur épingle violemment Ashis Nandy sur son ignorance à la fois du passé de l’Inde et de l’Europe :

         « C’est donc une profonde erreur de partir du principe que le sécularisme est un mot courant dans l’usage politique occidental, qui aurai été transféré en Inde, comme une « idée importée ». En réalité, le terme a en Inde un poids politique qu’il n’a jamais eu en Occident et a acquis un sens profond que de nombreux Européens ne comprennent même pas…(p,43)

     …  A croire que, pour être un « grand penseur », il faut d’abord être un grand ignorant. Comment ne pas désigner ainsi quelqu’un qui peut affirmer en toute insouciance que –comme le fait Nandy – que l’Inde n’a jamais eu d’historiens avant la période coloniale ? Sans doute Abu’l Fazl venait-il de la planète Mars ?…(p,44)

       Cela réclame évidemment plus de travail que de vendre de la guimauve qui passe pour de l’intelligence dans les cercles « indigénistes »…

      Nandy est désormais – maintenant que Nirad Chadheri a disparu – notre seul vrai penseur colonial. Peut-être un romantique colonial, mais un colonial tout de même, d’une mentalité profondément coloniale….(p,45)

      …Cela ne signifie pas pour autant qu’il faudrait s’abstenir de débattre du sécularisme en Asie du Sud, bien au contraire. Mais ce débat, ne saurait s’enfermer avec profit dans les termes de cette fausse alternative, pas plus que dans les termes d’une opposition tout aussi fausse entre les productions conceptuelles d’on ne sait quelle Inde éternelle, d’une parfaite pureté chérie, et de haïssables importations d’origine étrangère. » (p,53)

           Plusieurs débats d’idées et d’histoire courent à travers les lignes de plusieurs leçons indiennes, le rôle respectif des intellectuels immigrés du monde anglo-saxon ou des intellectuels restés sur le continent indien, la lutte entre les historiens marxistes et les libéraux à la Delhi School (Leçon 17 « Jours tranquilles à la D.School »), le rôle de l’impérialisme anglais dans la modernisation de l’Inde, la place qui est faite à l’histoire de l’Inde ancienne par rapport à la moderne, le regard des historiens tourné à juste titre ou non, de façon pertinente ou non, vers la vie du petit peuple, avec le succès qu’a connu le « subalternisme » (p,167), ou avec l’expression à la mode de « Subaltern Studies », un thème de réflexion et de critique qui irrigue la leçon 10 «  Les civilisations souffrent-elles du mal des montagnes ? et la leçon 13 « Le marché mondial et l’histoire de l’Inde »

           Le contenu de la leçon 10 est décoiffant dans sa critique d’une théorie historique d’après laquelle, en tout cas déjà dans le Sud-Est asiatique, l’expansion des Etats dans les plaines aurait trouvé constamment ses limites dans les difficultés, sinon l’incapacité qu’ils ont eue à imposer leur domination dans les régions de montagne, ce qu’un historien, Scott a baptisé du nom de « Zomia ».

        « Sur « Zomia », Scott a une thèse « simple, suggestive et sujette à controverse ». Jusqu’à présent, avance-t-il, la plupart de ces minorités ethniques ont été étudiées par les anthropologues aussi bien que par les décideurs politiques comme des vestiges du passé, les survivants d’une époque révolue. Au contraire, affirme-t-il, « les peuples des collines doivent être bien plutôt perçus comme des communautés de fugitifs, d’esclaves marrons qui sur un arc de deux millénaires, ont fui l’oppression des projets de construction étatique à l’œuvre dans les vallées –esclavage, conscription, corvées, épidémies et guerres ». (p,169)

       L’auteur cite la source de l’anthropologue français Clastres (les Indiens Guyaqui), et note :

      « Pour ce qui est de la traque des intentions, nous avons vu que Scott s’allie à un courant en pleine croissance parmi les anthropologues de l’Asie du Sud-Est (mais dominant aussi partout dans le monde qui affirme que « les Etats, en fait, créent les tribus » (p,177)

     L’auteur ne ménage d’ailleurs pas Clastres dans son propos :

      « Ecrivant au début des années 1960, Clastres avait lui-même tendance à voir les Guyaki comme des vestiges d’un monde disparu, un petit groupe (deux cents-cinquante ou trois cents personnes, selon son estimation) qui aurait éclairé les origines d’un groupe bien plus large d’Indiens Guarani. Par la suite, il changea radicalement son point de vue et se lança dans une polémique féroce contre ceux qui voyaient la question sous cet angle évolutionniste – et donc affirma- t- il,  ethnocentrique. Peut-être cela avait-il à voir avec son expérience sur les barricades du Quartier latin comme soixante huitard… (page 170)

       Comment ne pas souligner qu’il parait effectivement difficile sur le plan scientifique de tirer des conclusions sur la nature du pouvoir dans l’histoire de l’humanité en fondant son raisonnement sur des populations indiennes comptant plusieurs dizaines, centaines, et quelquefois milliers de membres.

      Résistances ou non, importance effective de la géographie des lieux, montagne ou forêts impénétrables contre l’expansion des Etats, il parait évident que les minorités ethniques ont été modelées, sinon crées par tel ou tel Etat, colonial ou pas, mais dans le cas français, sur une durée assez courte qui a peu à voir avec l’Asie du Sud-Est.

       Le contenu de la Leçon 13 « Le marché mondial et l’histoire de l’Inde» est tout aussi intéressant en dévoilant les coulisses des modes historiques, qu’elles aient pour origine, les éditeurs eux-mêmes ou les écoles de chercheurs.

        Le texte d’ouverture de la leçon mérite d’être cité :

       « Permettez- moi de commencer par une longue anecdote, qui va faire office de libre exemplum ethnographique. Il y a quelques années, alors que j’étais dans une université américaine, j’ai assisté à un « job-talk » : il s’agit d’une conférence destinée en priorité aux membres du département qui recrute un nouveau professeur, mais néanmoins ouverte à un plus large public…. Ces interventions sont d’étranges procédures… Elles ne se pratiquent pas, en règle générale, à Paris, Oxford, ou Lisbonne, pas plus qu’à Delhi ou Chennai…. »

        Deux cas de figure, l’un ciblé sur un candidat déjà retenu, l’autre choisissant entre plusieurs candidats, et dans le cas présent l’anecdote concerne la deuxième procédure :

       « Les questions fusèrent et il fut immédiatement évident qu’elles n’avaient rien à voir avec celles d’un séminaire de recherche à l’anglaise. Il n’y eut pas de discussion sur des faits concrets. Les sources et les archives ne furent même pas citées. L’exposé portait sur l’Inde coloniale et la domination britannique. Les auditeurs n’étaient préoccupés que par l’opinion personnelle de l’orateur, sa généalogie intellectuelle, bref de son identité académique. Finalement, une personne extérieure au département d’histoire, mais adepte autoproclamée du courant connu sous le nom d’ « Etudes postcoloniales » leva la main. « Il y a maintenant deux écoles dans l’histoire indienne, déclara-t-elle avec assurance, les Etudes subalternes et l’Ecole de Cambridge. J’aimerais savoir où vous vous situez par rapport à elles. …» (p,224)

         Les Etudes Subalternes devinrent à la mode dans les universités américaines, car elles  étaient fondées sur le postulat qu’elles devaient porter sur les dominés, un domaine à la fois méprisé, mais difficile à saisir :

      « Je me rappelle avec quel plaisir et quelle fierté les membres du collectif « Subaltern Studies me dirent – j’étais alors doctorant à Delhi – que même les poids lourds du monde universitaire américain étaient maintenant en relation avec eux et que, si certains de leurs articles avaient été acceptés, d’autres avaient été rejetés sans façon. C’était j’imagine un moment d’ivresse postcoloniale…. » (p,228)

      « … En d’autres termes, pour que les Etudes subalternes puissent entrer en force dans le monde universitaire américain, elles ont dû prendre le « tournant culturel » et pas du tout du bout des lèvres. Sans quoi, on n’aurait pas pu les distinguer de banales recherches sur les paysans latino-américains : face à la profusion des révoltes paysannes au Nicaragua ou en Bolivie, quelques rébellions au Bihar ou en Andhara n’auraient rien changé au tableau. La « différenciation du produit » était désormais de rigueur : Ranajit Guha ne pouvait être confondu avec le sous-commandant Marcos ! Pour le dire sur le mode de la tradition orale, si Gayatri Spivak était Ry Cooder, les Etudes subalternes étaient le Buena Vista Social Club. » (p,233)

          Dans cette leçon, l’auteur montre toute l’ambiguïté de certaines modes historiques, l’importance du marché des recrutements, des revues, et des éditions, et dans le cas présent, celle du marché américain.

          Conclusion :

     «  En bref, les nouvelles conditions du marché laissent à penser que, parfois et à l’instar des dominés, les historiens ne peuvent pas parler » (p,239)

        Pour la bonne compréhension de l’expression Etudes subalternes, rien ne vaut que de citer la note de la page 95 :

        « Le Subaltern Studies Group « SSG) « Groupe d’études subalternes », réunit de nombreux chercheurs d’Asie du Sud étudiant les sociétés postcoloniales et/ou postimpériales, en Asie du Sud mais aussi plus largement, dans ce que l’on a désigné comme le tiers-monde. Leurs recherches se concentrent sur ceux dont ils estiment que la voix n’est pas entendue et l’action peu ou pas prise en compte. Dans la postérité de Gramsci, les Subaltern Studies s’intéressent particulièrement aux personnes discriminées du fait de leur ethnie, de leur classe, de leur genre, de leur sexe, de leur religion, etc. Le chef de file de ce courant a été l’Indien Ranajit Guha. »

             Pour avoir lu de nombreux récits d’officiers, d’administrateurs, de chercheurs, ou de lettrés, sur l’histoire coloniale, je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de novateur dans ce discours à la mode sur les Subaltern.

           Je me rallierais volontiers à ce qu’écrit  à ce sujet, Jean-François Bayart, dans son livre «  Les études postcoloniales- Un carnaval académique ».

            Juste un mot sur la Leçon 11 « Churchill et la théorie du grand homme en histoire ».

         Il est évident qu’il est plus rentable pour un éditeur, et plus utile pour un historien ou un intellectuel, de publier un livre sur la vie d’un grand homme que sur le petit peuple des dominés, mais dans le cas présent, nous ne nous attacherons pas à rappeler la consanguinité de Churchill avec l’impérialisme anglais, mais à l’usage historique qu’en a fait  Mukerjee dans son livre « La guerre secrète de Churchill » :

        «  De son propre aveu, Mukerjee n’est pas une historienne mais une journaliste de formation scientifique qui, de manière désarmante, note que pour écrire son livre, elle a dû « apprendre les bases de l’histoire mondiale ».(p,193)

       La journaliste a su utiliser le personnage du grand homme pour traiter le sujet qui lui tenait à cœur la grande famine du Bengale des années 1943-1944, donc pour simplifier mon propos et le rattacher aux lignes précédentes, a trouvé une astuce pour faire des Subaltern.Studies à l’ombre d’un grand homme.

Deuxième partie, la semaine prochaine

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Français et Africains ? » frederick Cooper Epilogue

« Français et Africains ? »

Frederick Cooper

Epilogue

            Les lecteurs qui ont eu le courage de lire le livre très fouillé de Frederick Cooper, ou mon analyse critique de la thèse qu’il défend sur la décolonisation de l’Afrique noire, ont peut-être eu l’impression d’être submergés par un débat qu’on a plutôt l’habitude de trouver dans des enceintes universitaires, avec des enjeux de droit public, de droit constitutionnel, de droit international propres à nourrir de belles joutes politico-juridiques.

            A lire le texte Cooper, le lecteur a pu aussi en tirer la conclusion que les débats qui ont animé la décolonisation sont restés dans un monde d’abstractions, même si ces abstractions pouvaient trop souvent cacher des intérêts très concrets.Premier détour de pensée avec une interprétation stratégique de la décolonisation : une propension naturelle à la décolonisation

         Pourquoi tout d’abord ne pas passer cette thèse savante au crible des grands concepts de la stratégie, tels que la position, la disposition, la situation, la propension des choses, tels que définis par Sun Tzu ou par Clausewitz, en éclairant ce type d’analyse par la lecture moderne des livres du sinologue François Jullien sur le même type de sujet, notamment le « Traité de l’efficacité » ?

         Dans le cas de la décolonisation, en faisant appel à la fois à des concepts stratégiques ou à des concepts chinois tels que « Le cours spontané des choses » (p,116), ou « L’eau est ce qui se rapproche le plus de la voie » (p,201), tout incline à penser que l’évolution historique des relations entre la France et l’Afrique noire ne pouvait guère être différente de ce qu’elle a été.

        Il existait une propension des choses à la décolonisation telle qu’elle s’est déroulée.

        Cette interprétation a déjà été esquissée dans ma lecture critique.Deuxième détour avec le « cours des choses », ou la « voie » réelle

            Concrètement, ce type de débat ne pouvait traduire les réalités du moment, l’état des relations humaines existant, sur le terrain, à tel ou tel moment, entre les Français et les Africains, en résumé, les situations coloniales de l’Afrique de l’ouest et de la métropole, pour ne pas parler de l’Algérie, des protectorats et autres colonies.

            Il s’est agi de palabres interminables tenus dans les hautes sphères des pouvoirs, incompréhensibles, aussi bien en France qu’en Afrique noire, pour l’immense majorité de leurs habitants.

            Dans les années 1950, la Maison de la France d’Outre- Mer,  à la Cité Internationale universitaire du boulevard Jourdan, accueillait la fine fleur des nouvelles élites africaines venues faire leurs études à Paris.

            Nombreux ont été les témoins, pour ne pas dire les spectateurs, qui ont pu assister à des assemblées générales successives, interminables, et houleuses, très politisées, au cours desquelles des étudiants africains se livraient à des joutes oratoires effrénées et passionnées.

       A tour de rôle, les orateurs stigmatisaient le colonialisme et encensaient le marxisme-léninisme ou le maoïsme. On sait ce qu’il en est advenu dans la plupart des anciennes colonies, une fois venus au pouvoir la plupart de ces étudiants.

       Pour ne citer qu’un exemple de rédemption coloniale, l’histoire malgache a connu un amiral rouge qui a tenté de faire une expérience de développement maoïste à la chinoise, une entreprise sans aucun lendemain.

      Le même dirigeant « révolutionnaire » coule encore des jours heureux dans une grande ville de la vieille Europe.

       Pour reprendre une expression à mon avis malheureuse que semble affectionner Mme Coquery-Vidrovitch, « history from below » (p,17),  « histoire vue d’en bas » (p,35), « vue par le bas » (p, 41), pour ne citer que quelques-unes des expressions tirées de son petit livre sur « Les enjeux politiques de l’histoire coloniale », je dirais volontiers que le livre de Frederick Cooper est le fruit d’une histoire d’en haut, une histoire des idées des grands lettrés de l’époque, aussi bien pour les Français que pour les Africains, ce que l’intéressé ne nie d’ailleurs pas.

         Dans un livre très intéressant, « La fin des terroirs », Eugen Weber proposait le même type de critique historique à l’encontre de la plupart des historiens qui ont étudié la France de la fin du dix-neuvième siècle, plus tournés vers le monde des villes, pour ne pas dire d’abord Paris, celui des minorités lettrées, que vers celui des campagnes encore arriérées de France.

      Dans la préface de ce dernier livre, Mona Ozouf note : 

        « … comment par exemple, un livre aussi informé que celui d’Antoine Prost sur l’enseignement, se demande- t-il, a-t- il pu faire l’impasse sur les obstacles que les langues minoritaires opposaient, sous la III° République encore, à l’alphabétisation de la France. » (p,V)

        Ce n’est qu’à la fin du dix-neuvième siècle, notamment grâce à l’école publique, puis avec la première guerre mondiale, que la France vit naître une certaine unité nationale.

       Dans un de leurs livres, « Culture coloniale », les chercheurs de l’école Blanchard ont eu l’impudence scientifique d’intituler une partie de leur ouvrage, tout approximatif : « 1 Imprégnation d’une culture (1871-1914) », un titre que leurs auteurs seraient bien en peine de justifier par une exploitation sérieuse des sources historiques de l’époque.

            En deçà ou au-delà, de ces très savantes palabres, comment parler des belles histoires de relations humaines qui ont existé entre Africains et Français tout au long de la période coloniale, car comme l’écrivait Hampâté Bâ, tout ne fut pas que blanc ou que noir dans cette histoire commune ?

            De belles histoires humaines dans les villes ou dans la brousse, très souvent, dans les commandements des cercles (les préfectures), dans l’armée, dans les écoles, dans les missions, dans les entreprises, dans les hôpitaux, les dispensaires, aussi bien dans la brousse que dans les nouvelles cités, etc …,

            Il faut avoir lu beaucoup de récits d’officiers, d’administrateurs de la première phase de l’exploration et de la conquête, ceux par exemple de Binger juché sur son bœuf pour traverser une Afrique occidentale encore à peine ouverte sur le monde extérieur, de Péroz sur le Niger dans l’empire de Samory ou dans le delta du Tonkin au contact de ses habitants, de Baratier lors de son expédition vers Fachoda, pour comprendre ce que fut cette histoire à hauteur d’homme et la qualité des relations humaines qui furent alors nouées.

            Au cours de la période de colonisation elle-même, les exemples de ces relations humaines furent innombrables.

            Pour reprendre un des mots préférés de Frederick Cooper, il existait à la base, de très multiples « connexions » humaines, de vraies relations d’affection entre êtres humains, et aussi, pourquoi ne pas le dire, de belles histoires d’amour.

            Je conclurais volontiers en écrivant que c’est l’existence de ce tissu très dense de bonnes relations humaines qui explique plus que tout le dénouement pacifique de ces relations coloniales avec l’Afrique de l’ouest, à l’exception du Cameroun, et de Madagascar, si on rattache cette grande île à l’Afrique.

            Comment expliquer autrement que les affreux commandants de cercle et chefs de subdivision, tous également colonialistes, bien sûr, aient pu survivre dans la brousse, même la nuit, dans des résidences grandes ouvertes, seulement protégés,  à quelque distance,  par un gendarme ou quelques gardes-cercles ?

            En ultime conclusion, il est effectivement possible de se poser une des questions que Frederick Cooper soulève dans son avant-propos :

       « Les lecteurs constateront peut-être également un certain « sénégalo-centrisme » (p,11), j’ajouterais, effectivement et sûrement, en même temps qu’un vrai penchant pour une histoire d’en haut, comme l’auteur en fait mention dans son avant-propos, à la page 10 :

      « Ce livre est une étude des élites politiques, des acteurs français et africains se confrontant mutuellement et tentant de mobiliser des partisans dans un contexte où les travailleurs, les agriculteurs et les étudiants, hommes et femmes votaient en nombres sans cesse croissants écrivaient des articles dans la presse africaine, et organisaient des meetings et des manifestations qui contestaient la nature du pouvoir politique. »

       Nous avons proposé aux lecteurs toute une panoplie de sources historiques qui relativisent beaucoup le propos.

       Dans quelle catégorie d’histoire classer le livre de Frederick Cooper ?

       L’auteur écrivait dans son avant-propos :

      « Ceci est un livre sur la politique, en un double sens. Premièrement, c’est un livre sur la politique en tant qu’art des individus et des organisations à amener les gens à faire des choses qu’ils ne voulaient pas, un livre qui montre comment l’entrée de gens différents dans le débat politique changea le cadre dans lequel la politique se déroulait. » (p,9)

          A lire cet ouvrage, il parait difficile d’y voir des gens « faire des choses qu’ils ne voulaient pas » et changer « le cadre dans lequel la politique se déroulait », alors que les situations coloniales, leurs acteurs de l’époque, et que le scénario de la décolonisation suivait imperturbablement son « cours ».

        Une lecture des faits et des idées ? Un essai historique d’interprétation des diplomaties constitutionnelles ? Une interprétation, ou même une exégèse, d’une histoire des relations internationales qui aurait pu tourner autrement ? En faisant l’impasse sur le contexte historique de l’époque, « d’en haut », et d’ « en  bas » ? Avec en plus, cet aveu de « sénagalocentrisme »

       Sommes-nous encore dans l’histoire ? Ou dans l’exégèse politique ?Troisième détour par les « voies » postcoloniales

       Pourquoi ne pas saisir en effet cette occasion pour s’interroger sur la pertinence scientifique et historique de certains discours postcoloniaux ?

      En ma qualité de chercheur historien, libre de toute allégeance, en tout cas, je m’y efforce, j’éprouve presque plus que de la réserve à l’endroit d’une certaine histoire postcoloniale tout à la fois idéologique, anachronique, et  donc non pertinente.

        Que les lecteurs ne se méprennent pas sur le sens de ma lecture critique ! Il ne s’agit pas de ranger la thèse très étoffée et très documentée de Frederick Cooper dans la catégorie de quelques-uns des livres qui sont proposés dans l’histoire postcoloniale, lesquels souffrent soit d’insuffisance ou même d’absence de sources solides, soit d’anachronisme, soit de préjugé idéologique, soit enfin de pertinence scientifique, par défaut d’évaluation des faits analysés, de leurs effets sur l’opinion  publique, ou encore des grandeurs financières ou économiques analysées.

         Donc, ni clés marxistes à découvrir dans ce type de thèse, ni clés d’idéologie humanitariste, d’autoflagellation nationale, laquelle aurait pris la place du marxisme !

        Comment qualifier autrement que d’histoire postcoloniale approximative, celle de l’équipe Blanchard and Co, à partir du moment où les recherches affichées n’accréditent pas un discours effectivement fondé sur des sources statistiques éprouvées ? Comme le savent les sémiologues, il est possible de faire tout dire aux images, et encore plus les historiens, quand elles sont sorties de leur contexte historique, et en ignorant leurs effets sur l’opinion.

       Pourquoi ne pas citer aussi une histoire théoriquement solide, scientifiquement prouvée par un luxe de corrélations et d’outils mathématiques, telle que celle racontée par Mme Huillery, mais avec un manque de pertinence scientifique de certains de ces outils de corrélation, mâtiné d’un fort soupçon de recherche idéologique ? Un soupçon d’autant plus fort que sa thèse enjambe un « trou noir » statistique d’une trentaine d’années,  en gros entre les années 1960 et 1990.

          Il n’est pas vrai en effet, comme l’écrit l’auteure, que la France ait été le fardeau de l’Afrique Occidentale Française, pour reprendre une de ses expressions de langage idéologique, car tel était son but, pourquoi ne pas l’écrire ?

       L’historien d’origine indienne,  Sanjay Subrahmanyam, notait dans son dernier livre « Leçons indiennes » que les maisons d’édition américaines recherchaient des produits qui plaisent au marché, et il est possible de se demander s’il n’en est pas de même dans notre pays.

       Comment ne pas citer certains « produits » d’édition riches en images coloniales, souvent mal interprétées, mal cadrées historiquement, et à leur diffusion et à leurs effets jamais évalués aux époques de leur diffusion?

       Je m’en suis expliqué longuement dans le livre « Supercherie coloniale ».

       Citons un seul exemple tiré du numéro de la revue « l’Histoire » intitulée « La fin des Empires coloniaux » (octobre décembre 2010), dans un article signé Jean Frémigaci et intitulé «  Madagascar : la grande révolte de 1947 » (pages 64 à 67). 

      Cette revue reproduit une photo intitulée «  Le travail forcé » (page 67)

      Avec pour commentaire : « La chaise à porteurs, instrument et symbole de la domination coloniale. Le travail forcé fut généralisé dans l’île entre 1916 et 1924 puis à nouveau pendant la Seconde Guerre mondiale (carte postale vers 1910). »

      On y voit coiffé du casque colonial blanc, un administrateur ou un officier  tout de blanc vêtu,  juché sur un filanzana, la chaise à quatre porteurs malgache qu’empruntait l’aristocratie de ce pays pour se déplacer, bien avant l’arrivée des Français, en signalant  qu’à l’époque de la conquête (1895- 1896), et encore longtemps plus tard, il n’existait dans la Grande Ile, ni pistes, ni routes, et encore moins de lignes de chemin de fer.

      Comment ne pas noter enfin pour apprécier toute la valeur de ce type de manipulation historique, qu’à la même époque, la  chaise à porteur ne faisait pas le déshonneur de l’Asie, pas plus d’ailleurs que les pousse-pousse que les responsables de cette revue ont d’ailleurs pu admirer ces dernières années sur la plus belle avenue du monde, nos Champs Elysées, ne font aujourd’hui le déshonneur de la France ?

       Le vent du large des historiens : pour conclure sur un mode détendu, une certaine pertinence historique nous viendrait, peut-être de nos jours de l’étranger, des rives du grand Ouest, ou de celles du continent indien, libre de toute attache liée aujourd’hui à un passé colonial ignoré de la grande majorité des Français et des anciens peuples colonisés, donc loin des explications franco-françaises fondées sur un « inconscient collectif », jamais sondé, (Coquery-Vidrovitch), ou sur une « mémoire collective », jamais mesurée, (Stora), des explications hypothéquées, soit par la guerre d’Algérie, soit par l’esprit de repentance .

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés