Gallieni, Lyautey, Tonkin, 1892-1896 : le régime alimentaire de Gallieni

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Gallieni et Lyautey, au Tonkin, dans les années 1892-1896.

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Le régime alimentaire du colonel Gallieni

Un modèle de régime alimentaire moderne, avant la lettre : céréales, fruits, légumes et laitages

            « C’est en voyant nos tirailleurs se nourrir presqu’exclusivement de leur boule de riz, enveloppée dans une feuille de bananier, et, cependant, rester encore capables de supporter les rudes fatigues de nos colonnes et présenter moins de maladies des voies digestives que les Européens, que j’ai compris la nécessité de suivre un régime de nourriture conforme à celui des indigènes.

            Déjà, au Soudan, j’avais pu constater que les races les plus vigoureuses, celles qui nous fournissent les intrépides et robustes tirailleurs sénégalais, ou encore les Peuhls, ces marcheurs infatigables au corps souple et élancé, usaient surtout, dans leur alimentation, de mil, de riz et de laitage. Au Tonkin, les coolies annamites qui, en quelques heures, vous transportent en pousse-pousse de Hanoï à Bac-Ninh, ou aussi les solides montagnards de la haute région qui escaladent, avec une agilité extraordinaire, les mamelons, et les massifs rocheux de leur pays, ne connaissent guère la viande. Enfin, plus tard, à Madagascar, je fus à même de faire la même observation sur les bourjanes (1) qui me firent faire, à plusieurs reprises, en filanzana (1), le tour de l’île, accomplissant, pendant plus d’un mois consécutif, des étapes journalières de 60 à 70 kilomètres.

C’est pour cela que, peu à peu, pendant mes longs séjours coloniaux, je me mis au même régime que mes Soudanais, Tonkinois, et Malgaches, supprimant à peu près la nourriture carnée et me bornant aux légumes, fruits et laitages. Je me trouvai tellement bien de ce régime que je continuai à le suivre en France et que, depuis, le lui suis toujours fidèle. C’est certainement à lui que j’attribue l’excellente santé sont j’ai toujours joui, malgré un séjour de vingt-huit années aux colonies, sous les climats les plus pénibles et bien que j’eusse été exposé, pendant cette longue période, à des fatigues et à des privations tout à fait exceptionnelles. Quand j’exerçais le commandement du 13ème corps, j’allai inspecter, à Vichy, notre hôpital militaire et mes premières paroles au médecin-chef furent les suivantes :

« J’ai véritablement honte, mon cher docteur, moi qui ai vécu jusqu’à ce jour presque exclusivement dans nos colonies, de mettre les pieds pour la première fois à Vichy ! » Effectivement, rares sont les coloniaux, qui n’ont pas eu à y séjourner pour y soigner leur estomac, leur foie ou leurs intestins. »

Un commentaire rapide :

1-    Nous reviendrons plus loin sur le concept de races et sur la polémique moderne que certains chercheurs ont engagée sur la « politique des races » que défendait Gallieni au titre de sa politique militaire et civile de pacification.

2-    La station thermale de Vichy : Vichy fut le rendez-vous « incontournable », selon un certain langage moderne, des coloniaux, à l’époque des conquêtes coloniales, entre 1870 et 1914.

En tout cas en Afrique, où la France organisait ses campagnes annuelles pendant la bonne saison. Beaucoup des officiers, pour ceux qui survivaient, car beaucoup d’entre eux y sont morts, revenaient en permission en métropole, après leurs campagnes, pour s’y refaire une santé, précisément à Vichy.

3-    Et nous verrons que l’estomac de Gallieni eut beaucoup à souffrir à l’occasion des festivités françaises ou chinoises organisées sur la frontière de Chine, le maréchal Sou étant, ou la puissance invitante, ou la puissance invitée.

(1)  Un bourjane était un porteur,  car il n’existait pas de route à Madagascar, et le filanzana était la sorte de chaise à porteur que les gens riches ou les représentants du pouvoir utilisaient pour se déplacer.

Jean Pierre Renaud

Bon appétit !