1895-1896: un épisode tragique de la conquête de Madagascar, Gallieni fait fusiller le ministre de l’Intérieur- 2° partie

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895-1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France, fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar

Deuxième partie du commentaire

Première partie sur le blog du   15 avril 2011

Le portrait du Prince de la Paix

« Il s’appelait Rainandriamampandry. On pourrait écrire avec traits d’union. Rain – Andria – Mampandry : parce que conformément à l’usage de la langue malgache, qui est, comme disent les philologues, agglutinante, ce nom propre est un conglomérat de mots empruntés à la langue usuelle. Il a donc un sens ;  Rain est un préfixe honorifique de courtoisie ; Andriamampandry signifie Prince de la Paix. Celui qui le portait était en effet un grand seigneur, tout à fait au sommet de la hiérarchie politique et administrative, « seizième honneur », pour adopter la tradition courante, non sans quelque regret… »

L’auteur a donc retenu, par commodité, la traduction de ce nom pour évoquer le personnage, et expliquait :

« Cette liberté qu’on se trouve amené à prendre avec un nom propre doit se concilier avec le plus grand respect pour l’homme qui l’a porté honorablement toute sa vie et dans sa mort violente. Prince de la paix a certainement laissé à Tananarivo des descendants qui ne peuvent pas manquer d’être légitimement fiers de lui, et dont on serait désolé de froisser la piété filiale. 

Si l’un d’eux fait jamais à ces quelques pages, l’honneur de les lire, il ne méconnaîtra pas, j’espère, qu’elles sont imprégnées au fond de sympathie déférente.» (page 69)

L’auteur proposait donc de tenter de comprendre ce haut personnage à partir de ses mémoires qu’il a eu la chance de pouvoir consulter.

Il introduisait donc le sujet en écrivant : « C’est Prince de la Paix qu’il s’agit de comprendre et il a été fusillé en 1896. »

L’auteur notait que le Prince de la Paix fut un écrivain en même temps qu’un homme politique, car il noircit donc beaucoup de livres, « le produit de ses veilles » :

« Quand on a parcouru ces gros livres, ils ouvrent un jour curieux sur l’âme d’un Malgache, élève des missionnaires, à la fin du XIX° siècle. »

« Son père était un haut fonctionnaire, à l’enterrement duquel on a tué un nombre incalculable de bœufs ; le corps était enveloppé de 60 suaires de soie, et 5.000 Francs en piastres ont été déposés dans le tombeau. »

L’auteur racontait donc :

« Moi aussi j’ai touché aux « grandes affaires », comme on disait au XVIIème siècle…J’ai été témoin de ce drame ; j’ai même appartenu, par la situation administrative que j’occupais alors, à cette catégorie de témoins que l’illusion d’une responsabilité oblige à nommer acteurs.

Chez un homme qui a passé le reste de sa vie sur la tour d’ivoire, dans une mémoire encombrée d’érudition livresque, cet épisode a laissé un lot de souvenirs incongrus qui font un contraste ridicule avec le reste…

Avouer que je fus, dans des circonstances graves, un administrateur d’une ineptie amusante, c’est risquer, il est vrai, d’atteindre indirectement celui qui m’a désigné pour ces hautes fonctions, mais celui-là, bien entendu et comme d’habitude j’imagine, c’est le hasard qui est au-dessus de tout discrédit….

Cela se passait dans le courant de 1896, si je ne me trompe, pendant l’insurrection qui suivit la conquête. Elle amena un changement de gouverneur, à M.Laroche succéda le général Gallieni, et le proconsulat militaire fut inauguré par la condamnation à mort et l’exécution du ministre malgache de l’intérieur et d’un prince de la famille royale. Cette exécution fit quelque bruit à l’époque et alimenta des polémiques de presse, aux uns elle parut un crime militaire monstrueux et inutile ; aux autres un geste énergique, équitable et bienfaisant. Naturellement tout fut oublié en quinze jours, on ne peut pas imaginer que ce détail d’histoire coloniale ait retenu plus longtemps l’attention publique.

Le prince malgache exécuté, qui se nommait Ratsimamanga, et qui n’était rien moins qu’oncle de la reine, m’était à peine connu, il avait chez les Malgaches une très mauvaise réputation, justifiée par ses mangeries, il n’avait pas beaucoup de tête et pas beaucoup de cœur…

La victime de premier plan fut certainement le ministre de l’intérieur, Prince de la Paix.

J’étais moi-même directeur des affaires indigènes par intérim, le ministre de l’intérieur malgache de l’intérieur était mon collaborateur ; dans les six mois qui ont précédé sa mort, je l’ai vu au bureau tous les jours matin et soir, je lui ai serré la main très régulièrement quatre fois par jour, et j’ai eu souvent avec lui de longues conversations amicales. La veille de son exécution, je faisais fonction d’interprète au conseil de guerre. En cette qualité, j’ai dû lui traduire la sentence de mort ; la salle du conseil était toute petite, on se touchait, je lui communiquai son arrêt comme on cause, les yeux dans les yeux, à trente centimètres de sa figure extrêmement connue. Je n’y ai vu aucune trace d’émotion, sauf trois petites gouttes de sueur qui perlèrent brusquement sur son front, et il répondit simplement « oui, oui » avec sa petite voix douce habituelle…

Je n’ai pas la prétention d’avoir compris Prince de la Paix au moment même de nos relations quotidiennes… Ainsi est-il advenu que je n’ai pas vu l’homme véritable au moment où je l’avais sous les yeux…

Dans cette période dangereuse  de troubles et de réorganisation qui suit immédiatement une conquête coloniale, que ç’ait été précisément moi qui fus chargé, en collaboration avec Prince de la Paix, de diriger la politique intérieure à Madagascar, je crois me souvenir que, dans ce temps-là, ça me paraissait après tout assez naturel. Aujourd’hui, quand je me reporte à ce passé lointain, j’ai bien le sentiment vif d’une disproportion considérable jusqu’au comique ente la tâche et la préparation professionnelle de l’ouvrier…

Le ministère malgache de l’Intérieur, au contrôle duquel j’étais préposé, fut installé dans le Palais « Au-dessus des désirs » (Tsy-azom-paniry). Ce n’était pas un édifice somptueux, mais il se dressait dans l’enceinte sacrée des palais, tout au sommet du roc de Tananarivo. On y avait à ses pieds presque toute l’Emyrne, l’immense plaine des rizières, et le cercle lointain des montagnes…

Vers le temps où j’eus le devoir très pénible de traduire à Prince de la Paix, mon collaborateur indigène, sa condamnation à mort, je fus moi-même mis à pied. Je m’imaginais alors que ces deux sentences, d’une sévérité inégale, étaient la punition du même crime, l’impéritie. Je sais aujourd’hui que je me trompais.. »

L’ancien directeur des affaires indigènes par intérim n’apprit la vérité que beaucoup d’années plus tard ! Innocence de sa part ou impéritie, allez savoir !

« Il appert que le palais « Au-dessus des désirs » n’a pas seulement favorisé inconsciemment l’insurrection par sa passivité officielle ; il a consacré beaucoup d’activités officieuses à l’organiser consciemment.

Prince de la Paix, mon collaborateur et ami, signait sa correspondance clandestine du pseudonyme « le Patriote ». Cela se dit en malgache Ra-tia-tanin-drazana, et ce substantif est à lui tout seul une petite phrase compliquée : cela signifie « le monsieur qui aime le pays et ses ancêtres »…

Pour Prince de la Paix, mon collaborateur et ami, l’usage d’un pseudonyme était une mesure de prudence bien naturelle. Mais ce pseudonyme était transparent, car les lettres étaient accompagnées de promotions et de brevets, expédiés en bonne et due forme, d’après les traditions de la chancellerie ; et le caractère officiel de toute la correspondance était donc patent…

J’essaie bien de me défendre contre la précision de ces révélations tardives. Le ministre de l’Intérieur fut exécuté pour connivence avec l’insurrection…

J’admets donc que feu mon collaborateur et ami s’est bien décidément moqué de moi outrageusement, et je lui pardonne de tout cœur…

De tout cela se dégage maintenant une figure toute nouvelle de Prince de la Paix, des détails biographiques épars s’harmonisent pour dresser l’image d’un homme extrêmement respectable…

Pendant la guerre de 1884, il commandait les forces malgaches à la côte Est, et il maintint ses positions de Farafate contre les attaques indécises de l’Amiral Miot…

Parmi tant de fonctionnaires peu estimables, Prince de la Paix avait tout de même la réputation d’avoir été, à tout prendre, probablement le plus honnête. C’est à ce titre qu’il fut nommé par le gouvernement français ministre de l’Intérieur, et au même titre exactement, il était naturel qu’il trahît l’étranger pour son pays…

Dans cet effondrement de l’indépendance malgache, où les dévouements et les énergies ont fait défaut, Prince de la Paix est le seul homme qui ait risqué sa vie délibérément.

Ç’aurait été une raison peut-être pour la lui laisser. »

Deux hauts fonctionnaires intervinrent auprès de Gallieni pour lui conseiller la clémence :;

« Messieurs, leur aurait répondu le Général, je vous remercie de votre conseil, mais je n’ai pas l’intention de le suivre »,

 mais, «  Plus tard, lorsqu’il connut le pays, il lui serait arrivé de dire à son Directeur des Finances et à son Directeur des Domaines :

« C’est vous qui aviez raison, Messieurs, j’ai regretté de ne pas vous avoir écoutés. »

« Avec un peu plus de chance le vieux Prince de la Paix aurait donc pu sortir vivant de l’épreuve redoutable. Il eût passé quelques années qui lui restaient à vivre dans l’apparat de ses dignités. On peut se demander si ces quelques années en valaient la peine. Il est permis de préférer pour lui la mort violente du héros, dans un moment de la vie de son peuple où l’héroïsme était rare. »

Deux simples commentaires :

Un jugement terrible sur le comportement de l’élite malgache de l’époque de la conquête.

Une décision du général Gallieni qu’il faut analyser et interpréter, alors qu’il ignorait tout de ce pays, qu’il avait été nommé à son nouveau poste dans un contexte d’insurrection, et enfin qu’il a toujours témoigné au cours de sa vie coloniale d’un amour sans doute trop exclusif de la nouvelle République française.

Et à observer le comportement des élites actuelles de ce beau et attachant pays – toujours dans un régime de transition, deux ans après un coup d’Etat -, il est possible de se demander si le premier commentaire n’a pas conservé toute sa valeur.

La France serait d’ailleurs bien inspirée de rappeler son ambassadeur à Madagascar, sauf pour l’auteur ou les auteurs du Coup d’Etat de février 2009, à cesser leurs palinodies et à accepter des élections libres et démocratiques sous le contrôle d’institutions internationales, et cela, dans un délai de quelques  mois !

Jean Pierre Renaud

Les caractères gras sont de ma responsabilité

PS : Le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » (Jean Pierre Renaud, Editions JPR) propose, entre autres (Soudan, Tonkin, et Fachoda), une analyse du déroulement de l’expédition de Madagascar sous l’angle de la communication technique, politique et militaire entre gouvernement et  chef militaire de l’expédition. En clair, quels ordres étaient donnés ? Comment ? Par qui étaient-ils exécutés ? Question : les généraux n’en faisaient-ils qu’à leur tête, en pratiquant la politique du « fait accompli » ?

Eclats de vie coloniale : Madagascar

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895- 1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar.

Première partie du commentaire

Pourquoi ?

 La source historique:

« Trois Héros

Le Général Laperrine – Le Père de Foucauld – Prince de la Paix »

Par E.F.Gautier Professeur à l’Université d’Alger »

Le sacrilège colonial ?

La singularité « colonialiste » du professeur Gautier

            Ce petit livre de 139 pages a été publié par les Editions Payot, en 1931, date de la grande Exposition coloniale de 1931, laquelle aurait, d’après certains chercheurs, marqué en profondeur la mentalité des Françaisen confirmant la culture coloniale qui, grâce au « matraquage » de la propagande coloniale, aurait imprégné la mentalité des Français, à un degré tel, qu’ils seraient encore porteurs, « sans le savoir », de « stéréotypes coloniaux », portés par « l’inconscient collectif » cher  à l’historienne Coquery-Vidrovitch. 

            Le petit livre en question a été écrit par un universitaire français, Emile-Félix Gautier, qui s’est illustré par ses recherches sur Madagascar et le Sahara.

            Sorti de l’Ecole Normale, en 1884, il réussit à se faire donner, en 1892, une mission d’exploration géographique à Madagascar. Il y passa trois ans à parcourir à pied  les régions encore inconnues de l’ouest de la grande île.

            En 1895, la conquête de Madagascar mit fin à sa mission, et il se retrouva directeur intérimaire des Affaires indigènes, avant de devenir directeur de l’enseignement entre 1896 et 1899.

            C’est dans ce poste d’intérimaire qu’il côtoya le ministre de l’Intérieur malgache, dont il raconte la destinée tragique.

Son ouvrage est tout à fait singulier, pour sa date de publication déjà évoquée, mais pour deux autres raisons majeures :

–       Il est tout à fait étrange de voir ce ministre fusillé par Gallieni, dont il retient le nom traditionnel « Prince de la Paix », rangé dans la catégorie des Trois héros (pour la moitié de ses pages), alors que les deux autres sont le général Laperrine, mort dans un accident d’avion, en 1917, le conquérant militaire du Sahara, et Charles de Foucauld, ermite à Tamanrasset, assassiné en 1916, quatre-vingt ans avant l’assassinat en Algérie, des moines de Tibihérine. Gallieni fit fusiller le même jour un oncle de la reine, le prince Ratsimamanga.

–       Seul point commun apparent : les trois héros sont morts de mort violente !

–       Le portrait du Prince de la Paix qu’il propose n’est pas du tout négatif, bien au contraire, et c’est sans doute en reconnaissant le courage national de ce haut dignitaire malgache, dans les circonstances difficiles de la conquête de son pays, qu’il ose le ranger aux côtés des deux autres héros. Il lui reconnait l’honneur de son double jeu en présence de l’occupant.

Donc, un  ouvrage tout à fait singulier à plusieurs titres !

Le théâtre historique de la conquête

            Revenons un instant sur l’histoire des relations entre la France et Madagascar avant la conquête coloniale de 1895.

Jusqu’à la révolution technologique du dix-neuvième siècle (vapeur, électricité, télégraphe et câbles, armement, industries, canal de Suez, etc…) les puissances occidentales s’étaient depuis longtemps intéressé aux richesses de l’Orient et de l’Asie, et de grandes compagnies de commerce avaient rivalisé pour y implanter des comptoirs, notamment anglaises et hollandaises.

Mais la révolution technologique en question produisit une révolution dans les relations entre nations, l’Occident disposant alors des moyens nécessaires pour  assurer une domination coloniale sur les pays dits « arriérés ».

Après un bref épisode « heureux », la France avait été éliminée des Indes, mais elle avait continué à entretenir des relations politiques et commerciales sur la route des Indes, notamment dans l’Océan Indien, avec la persistance de la rivalité coloniale historique franco-anglaise.

Les navires français avaient fréquenté les côtes malgaches, tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, et la France s’était implantée définitivement dans l’île de la Réunion, une île de colons, souvent très entreprenants, pour ne pas dire « colonialistes » à l’égard de leur grand voisin malgache.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’un passage éclair, quinze jours en tout, d’un colon réunionnais au ministère de la Marine et des Colonies, M.de Mahy, que la France se lança dans les premières opérations de conquête de la grande île, en 1885.

Cette campagne ne fut pas un succès et se solda par un traité boiteux et ambigu entre la monarchie Hova et la République française, traité qui posa en fait les bases du contentieux qui allait servir de prétexte à la France pour intervenir à Madagascar, en 1895.

Le lecteur notera au passage qu’au cours de cette campagne un des rares nobles de la monarchie malgache à s’être brillamment illustré en résistant vaillamment aux troupes françaises, à Farafate,  sur la côte orientale de Tamatave, fut le fameux ministre de l’Intérieur fusillé en 1896, M. Rainandriamampandry, dont l’histoire tragique est ici racontée succinctement.

En 1895, la France s’était donc lancée dans la folle aventure coloniale de la conquête de Madagascar, sous la conduite du général Duchesne, une conquête de plus, une expédition coûteuse pour les épargnants français, mais surtout coûteuse en vies humaines.

L’historien Brunschwig notait que « l’expédition Duchesne fut criminelle », car les pertes, principalement pour cause de maladies, furent considérables, un soldat sur trois, et surtout dans les unités recrutées en métropole : le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs avaient perdu la moitié de leur effectif.

Il était d’ailleurs tout à fait exceptionnel que les gouvernements de la Troisième République fassent appel, pour ces conquêtes, et même partiellement, à des contingents de troupes métropolitaines.

Toujours est-il que Tananarive tomba aux mains des Français le 30 septembre 1895, et que le gouvernement français fit rapidement voter par la Chambre des Députés l’annexion de Madagascar : la monarchie était donc devenue une fiction.

Pour expliquer, mais surtout justifier ce processus, le ministre Hanotaux avait utilisé une formule surprenante « les événements ont marché », formule qui illustrait parfaitement les pratiques coloniales du fait accompli, lesquelles n’étaient pas toujours celles des généraux, comme je l’ai démontré dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large ». (1)

Problème pour le nouvel occupant des lieux, la population malgache résistait et l’île s’embrasait. Le général Gallieni remplaça donc l’ancien résident Laroche et reçut la mission de pacifier la nouvelle colonie. Il débarqua à Tananarive le 28 septembre 1896, un peu plus d’un an après la conquête.

C’est dans ce contexte historique que M.Gautier, directeur des affaires indigènes par intérim, travailla aux côtés de celui qu’il baptisa du nom de Prince de la Paix, le ministre de l’Intérieur très éphémère du proconsul Gallieni ou de la reine Ranavalonana III, car il y avait bien une fiction institutionnelle.

La juxtaposition des trois noms, Laperrine, de Foucauld et prince de la Paix est d’autant plus surprenante que le livre a été publié en 1931.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900) »

Le blog  publiera la deuxième partie de cette chronique dans  la semaine du 25 avril 2011

1896: Gallieni fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar

Eclats de vie coloniale : Madagascar

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895- 1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar.

Première partie du commentaire

Pourquoi ?

 La source historique:

« Trois Héros

Le Général Laperrine – Le Père de Foucauld – Prince de la Paix »

Par E.F.Gautier Professeur à l’Université d’Alger »

Le sacrilège colonial ?

La singularité « colonialiste » du professeur Gautier

            Ce petit livre de 139 pages a été publié par les Editions Payot, en 1931, date de la grande Exposition coloniale de 1931, laquelle aurait, d’après certains chercheurs, marqué en profondeur la mentalité des Françaisen confirmant la culture coloniale qui, grâce au « matraquage » de la propagande coloniale, aurait imprégné la mentalité des Français, à un degré tel, qu’ils seraient encore porteurs, « sans le savoir », de « stéréotypes coloniaux », portés par « l’inconscient collectif » cher  à l’historienne Coquery-Vidrovitch. 

            Le petit livre en question a été écrit par un universitaire français, Emile-Félix Gautier, qui s’est illustré par ses recherches sur Madagascar et le Sahara.

            Sorti de l’Ecole Normale, en 1884, il réussit à se faire donner, en 1892, une mission d’exploration géographique à Madagascar. Il y passa trois ans à parcourir à pied  les régions encore inconnues de l’ouest de la grande île.

            En 1895, la conquête de Madagascar mit fin à sa mission, et il se retrouva directeur intérimaire des Affaires indigènes, avant de devenir directeur de l’enseignement entre 1896 et 1899.

            C’est dans ce poste d’intérimaire qu’il côtoya le ministre de l’Intérieur malgache, dont il raconte la destinée tragique.

Son ouvrage est tout à fait singulier, pour sa date de publication déjà évoquée, mais pour deux autres raisons majeures :

–       Il est tout à fait étrange de voir ce ministre fusillé par Gallieni, dont il retient le nom traditionnel « Prince de la Paix », rangé dans la catégorie des Trois héros (pour la moitié de ses pages), alors que les deux autres sont le général Laperrine, mort dans un accident d’avion, en 1917, le conquérant militaire du Sahara, et Charles de Foucauld, ermite à Tamanrasset, assassiné en 1916, quatre-vingt ans avant l’assassinat en Algérie, des moines de Tibihérine. Gallieni fit fusiller le même jour un oncle de la reine, le prince Ratsimamanga.

–       Seul point commun apparent : les trois héros sont morts de mort violente !

–       Le portrait du Prince de la Paix qu’il propose n’est pas du tout négatif, bien au contraire, et c’est sans doute en reconnaissant le courage national de ce haut dignitaire malgache, dans les circonstances difficiles de la conquête de son pays, qu’il ose le ranger aux côtés des deux autres héros. Il lui reconnait l’honneur de son double jeu en présence de l’occupant.

Donc, un  ouvrage tout à fait singulier à plusieurs titres !

Le théâtre historique de la conquête

            Revenons un instant sur l’histoire des relations entre la France et Madagascar avant la conquête coloniale de 1895.

Jusqu’à la révolution technologique du dix-neuvième siècle (vapeur, électricité, télégraphe et câbles, armement, industries, canal de Suez, etc…) les puissances occidentales s’étaient depuis longtemps intéressé aux richesses de l’Orient et de l’Asie, et de grandes compagnies de commerce avaient rivalisé pour y implanter des comptoirs, notamment anglaises et hollandaises.

Mais la révolution technologique en question produisit une révolution dans les relations entre nations, l’Occident disposant alors des moyens nécessaires pour  assurer une domination coloniale sur les pays dits « arriérés ».

Après un bref épisode « heureux », la France avait été éliminée des Indes, mais elle avait continué à entretenir des relations politiques et commerciales sur la route des Indes, notamment dans l’Océan Indien, avec la persistance de la rivalité coloniale historique franco-anglaise.

Les navires français avaient fréquenté les côtes malgaches, tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, et la France s’était implantée définitivement dans l’île de la Réunion, une île de colons, souvent très entreprenants, pour ne pas dire « colonialistes » à l’égard de leur grand voisin malgache.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’un passage éclair, quinze jours en tout, d’un colon réunionnais au ministère de la Marine et des Colonies, M.de Mahy, que la France se lança dans les premières opérations de conquête de la grande île, en 1885.

Cette campagne ne fut pas un succès et se solda par un traité boiteux et ambigu entre la monarchie Hova et la République française, traité qui posa en fait les bases du contentieux qui allait servir de prétexte à la France pour intervenir à Madagascar, en 1895.

Le lecteur notera au passage qu’au cours de cette campagne un des rares nobles de la monarchie malgache à s’être brillamment illustré en résistant vaillamment aux troupes françaises, à Farafate,  sur la côte orientale de Tamatave, fut le fameux ministre de l’Intérieur fusillé en 1896, M. Rainandriamampandry, dont l’histoire tragique est ici racontée succinctement.

En 1895, la France s’était donc lancée dans la folle aventure coloniale de la conquête de Madagascar, sous la conduite du général Duchesne, une conquête de plus, une expédition coûteuse pour les épargnants français, mais surtout coûteuse en vies humaines.

L’historien Brunschwig notait que « l’expédition Duchesne fut criminelle », car les pertes, principalement pour cause de maladies, furent considérables, un soldat sur trois, et surtout dans les unités recrutées en métropole : le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs avaient perdu la moitié de leur effectif.

Il était d’ailleurs tout à fait exceptionnel que les gouvernements de la Troisième République fassent appel, pour ces conquêtes, et même partiellement, à des contingents de troupes métropolitaines.

Toujours est-il que Tananarive tomba aux mains des Français le 30 septembre 1895, et que le gouvernement français fit rapidement voter par la Chambre des Députés l’annexion de Madagascar : la monarchie était donc devenue une fiction.

Pour expliquer, mais surtout justifier ce processus, le ministre Hanotaux avait utilisé une formule surprenante « les événements ont marché », formule qui illustrait parfaitement les pratiques coloniales du fait accompli, lesquelles n’étaient pas toujours celles des généraux, comme je l’ai démontré dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large ». (1)

Problème pour le nouvel occupant des lieux, la population malgache résistait et l’île s’embrasait. Le général Gallieni remplaça donc l’ancien résident Laroche et reçut la mission de pacifier la nouvelle colonie. Il débarqua à Tananarive le 28 septembre 1896, un peu plus d’un an après la conquête.

C’est dans ce contexte historique que M.Gautier, directeur des affaires indigènes par intérim, travailla aux côtés de celui qu’il baptisa du nom de Prince de la Paix, le ministre de l’Intérieur très éphémère du proconsul Gallieni ou de la reine Ranavalonana III, car il y avait bien une fiction institutionnelle.

La juxtaposition des trois noms, Laperrine, de Foucauld et prince de la Paix est d’autant plus surprenante que le livre a été publié en 1931.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900) »

Le blog  publiera la deuxième partie de cette chronique dans  la semaine du 25 avril 2011