SUBVERSION ET POUVOIR – TRUCS ET TRUQUAGES

V –  Trucs et truquages des scènes du théâtre d’opérations de la subversion : subversion, inversion et perversion !

          Mots et slogans détournés, les mots flash qui fâchent !

        Imprécations et anathèmes ! Détournement du sens des mots ! Faux mémoriels ou historiques !

          Les couples de mots toxiques !

Le colonialisme : certains chercheurs, historiens ou mémorialistes postcoloniaux ont fait tout un plat du colonialisme, de sa violence ou de ses vices, en laissant accroire, soit par ignorance, soit par idéologie, soit tout simplement par intérêt, que l’Occident avait exercé une sorte de monopole du colonialisme à travers les âges, pratiqué une sorte de viol de peuples qui connaissaient alors une bienfaisante paix civile, religieuse, ou culturelle. 

     Ajoutons que pour ces idéologues la France a été évidemment le champion du colonialisme.

Origines et identités : comment ne pas remarquer qu’au fur et à mesure des années, dans notre pays, des minorités agissantes  se sont plaintes de voir leurs origines ou identités bafouées ? Sans avoir l’honnêteté intellectuelle de remarquer que leur pays d’accueil ou de naissance était le fruit d’un très long passé historique habitué depuis des siècles à ouvrir sa culture à d’autres cultures, à la condition qu’elles respectent nos libertés et notre droit des hommes et des femmes.

          Il faut leur dire : Soyez fier de vos origines, mais respectez tout autant les origines de la société qui vous a accueilli ou donné naissance !

Le racisme, les blancs sont racistes : vaste sujet !

       D’autant plus vaste que le sens historique de ce terme a évolué, que dans notre société le racisme est condamné, qu’à titre individuel ou familial, il existe maints exemples de l’inexistence du phénomène, sauf à dire qu’avec l’évolution démographique, l’importance des flux migratoires dans certaines de nos cités, une bonne cohabitation de populations de toutes origines n’est pas toujours facile ou pacifique, d’autant plus quand les citoyens de notre pays ont eu maintes fois l’occasion de constater que beaucoup d’étrangers entraient chez nous sans y être autorisés, en quelque sorte par effraction.

        Indiquons par ailleurs que les pays d’origine de ces contempteurs patentés ne sont pas exempts de racisme, hier et encore aujourd’hui en Afrique, en Asie, ou au Moyen Orient,  pour ne pas parler du racisme russe ou américain.

        Qui oserait prétendre que l’on ignore tout racisme sur le fleuve Niger, au Sahel, sur la Betsiboka, ou sur les rives du Maghreb ?

      Cessez donc de manipuler l’opinion publique !

L’esclavage, oui parlons de l’esclavage !

     Les esprits les plus objectifs savent que les premiers explorateurs ou officiers qui ont découvert l’Afrique, pour ne parler que de ce continent, y ont rencontré des royaumes ou des tribus qui pratiquaient encore l’esclavage  bien après l’interdiction internationale des trafics d’esclaves, pour ne pas citer d’autres pratiques encore plus révoltantes.

      L’historien Pétré-Grenouilleau a fait l’objet d’une sorte de « fatwa » intellectuelle de la part de ces groupes politico-intellectuels qui rament sur la mauvaise conscience, la réparation des péchés, et pour solde de tout compte, de la monnaie sonnante et trébuchante, à l’exemple de certains animateurs du mouvement dit des Indigènes de la République, car il ne faut pas continuer à cacher que l’esclavage  était encore vivace en  Afrique et à Madagascar, à la fin du dix-neuvième siècle.

        Qui plus est, l’histoire des trafics d’esclaves d’Afrique noire, à destination du Maghreb ou des pays arabes, a fait longtemps l’objet d’un tabou, de même que de nos jours, la prudence et la réserve que manifestent certaines universités africaines sur le sujet, en tout cas, celle de Dakar, comme c’était encore le cas il y a quelques années.

Aujourd’hui, l’islamophobie, mais il n’était pas question d’Islam, de voile, de mosquées dans nos sociétés, il y a cinquante ans.

      Cherchez en les raisons sous le nouveau masque de la propagande !

     Est islamophobe le citoyen ou la citoyenne qui est opposé  à  la transformation de notre pays démocratique et laïc en régime théocratique,  le pouvoir étant détenu par des imams venus d’ailleurs, un saut rétrograde pour le fameux « état de droit » dont se gargarisent à tout bout de champ nos hommes politiques, un état de droit qui, à la vérité, sert souvent de parapluie à l’expansion de l’islam dans notre pays, et au terrorisme.

      Islamophobe celle ou celui qui refuse de voir le statut des femmes, fruit d’un long combat, qui n’est d’ailleurs pas fini, rétrograder dans un pays de libertés.

       En France, les initiés savent qu’il y aurait plus de cinquante mille femmes excisées, et le combat pour l’égalité des sexes est permanent.

       Il n’y a que les imbéciles pour ne pas voir que depuis des années des prédicateurs influents, souvent d’origine étrangère, font pression dans nos villes pour imposer le voile aux femmes d’origine musulmane, comme signe religieux, comme aux petites filles dans nos écoles publiques.

     L’anathème d’islamophobe est lancé pour cacher le véritable objectif de cette nouvelle propagande de subversion de notre état de droit et de nos libertés, de les toucher au cœur.

     A titre d’anecdote, il fut un temps où le maire socialiste du XVIIIème arrondissement à Paris, ancien ministre de l’Intérieur, fermait les yeux sur des attroupements de prières dans la rue.

      Il est tout de même curieux de voir de belles âmes protester contre les conditions de détention de terroristes qui ont assassiné, estropié hommes, femmes et enfants, des terroristes ennemis de notre pays qui bénéficient de toutes les garanties de notre état de droit, aux frais des contribuables et de nos morts et blessés.

Les couples de mots toxiques

     Plus de cinquante ans après leur indépendance, quelques groupes de pression actifs animés aussi bien par des animateurs venus des anciennes colonies, surtout d’Afrique, de première ou de deuxième génération, que par d’autres animateurs de métropole dont les mobiles sont divers, envoient à pleine volée des couples de mots toxiques tels que repentance-assistance, ou culpabilité- réparation.

Jean Pierre Renaud   –   Tous droits réservés

« Leçons indiennes » Itinéraires d’un historien » Sanjay Subrahmanyam- Troisième partie et fin

« Leçons indiennes »

« Itinéraires d’un historien »

« Delhi .Lisbonne. Paris. Los Angeles »

Sanjay Subrahmanyam

&

Troisième partie et fin
Mélanges
         Racisme, islam, hindouisme…

       Leçons, 5 « Orgueil et préjugés de V.S.Naipaul », 12 « Le roman, l’islam et les versets sataniques », 16 « Le 11 septembre, l’islam et les Etats Unis », 20 «  Un miroir indien pour Israël »

          Quelques mots sur Naipaul qui n’est pas en odeur de sainteté chez l’auteur, le titre de la leçon 5 suffirait à l’exprimer, et une seule citation :

               « Sur un autre bord, à distance, le protestantisme attire, mais une bonne part de ce protestantisme ne s’accommode guère du métissage culturel, c’est plutôt un  système du tout ou rien. En outre, les Indiens vivant hors de l’Inde – c’est bien connu- sont facilement racistes quand il s’agit des autres peuples de couleur : la rhétorique anti noire qui imprègne les écrits de Naipaul (y compris le premier chapitre de ce livre) n’est une fois encore, que le symptôme d’un plus large malaise qui s’étend de l’Afrique au New Jersey. » (p,88)

           En reprenant un titre connu de Jane Austen, l’auteur a choisi un titre tout à fait révélateur de son jugement  sur Naipaul.

           Quelques mots également sur les autres sujets sensibles qui sont traités dans les autres leçons, le grave différend qui continue à opposer en Inde la majorité des citoyens de religion musulmane et de religion hindoue- inutile de rappeler la tragédie qui a suivi l’indépendance de l’Inde, considérée souvent comme un succès britannique -, le jugement sans appel de l’auteur sur la signification du 11 septembre ;

           « Au fond, contrairement à ce qui a été affirmé au lendemain du 11 septembre, le choc majeur auquel on a alors assisté n’était pas entre tradition et modernité ou entre religion et sécularisme. Les Etats Unis ont bien plutôt été attaqués comme puissance chrétienne, et, malheureusement, ils ont endossé ce rôle avec toujours plus d’empressement. » (p,266)

    Leçon 19 «  Un Parisien ambigu »

        Le lecteur  ne m’aurait sans doute pas pardonné de ne pas évoquer le contenu de cette leçon, un contenu effectivement ambigu, pour reprendre le qualificatif du titre, mais aussi dans un autre sens.

          « La capitale m’attirait. Je voudrais évoquer ici le souvenir de cette attraction pour Paris – une attraction très ambiguë. La manière quelque peu singulière dont je découvris la ville vaut d’être contée. » (p,298)

               La description que fait l’auteur de Paris et de la vie parisienne est déroutante et pose la question de l’objectivité dont peut faire preuve l’observateur lorsqu’il débarque dans une capitale qu’il ne connaissait pas, même lorsque cet observateur, tel l’auteur, parait muni de tous les sacrements susceptibles de lui éviter de commettre le péché très partagé du fameux ethnocentrisme.

                   Il y a dans cette leçon un parfum du « Comment peut-on être Persan ? »  de Montesquieu, mais il parait difficile d’entériner telle ou telle observation, quand il s’attache à souligner l’importance dans la vie parisienne du fait divers, des exploits de grands criminels, ou quand il écrit :

             « Paris est aujourd’hui massivement une ville d’immigration «  (p,300), ou

             « En 1988, comme c’est toujours le cas aujourd’hui, Paris était en grande partie une ville de Maghrébins et pour les Maghrébins. «  (p,301)

         Mieux fondé parait être son jugement sur la contradiction qui habite le parisien entre une soi-disant solidarité collective et son individualisme forcené :

         « Ceux qui applaudissent les bandits branchés et les rois de l’évasion expriment, de manière troublante, l’esprit d’une cité dans laquelle chacun semble ne vivre que pour soi-même, à l’abri de cette justification typiquement française : Moi, monsieur, je paie mes impôts …

       Mes derniers exemples sur la tension entre discours de solidarité collective et réalité d’individualisme débridé devraient paraître plus légers, mais ils n’en reposent pas moins sur l’amère vérité de l’expérience. ». (p,311)

          Et pour finir sur une note tout à fait parisienne, les chiens des parisiens :

       « Mais c’est dans leur relations avec les chiens que les Parisiens se révèlent sous leur vrai jour » (p,312),  dont la possession s’est « démocratisée » depuis vingt ans, avec une vraie référence historique tout à fait justifiée, celle de l’arrivée des « chiraclettes » (p,314)

     La leçon 21 « A travers trois continents »

       Cette dernière leçon a un contenu très varié compte tenu de l’expérience internationale de cet historien.

         A la question :  « Dans quelle mesure avez-vous été – comme d’autres jeunes intellectuels indiens – influencé par les idées maoïstes ou par le marxisme soviétique, ou encore par le discours critique surgi en mai 1968 ? »

     Longue réponse de l’auteur, dont j’ai retenu les propos ci-après :

         « Personne ne peut écrire une histoire qui soit totalement dénuée d’implication politique. En tout cas je cherche à établir une distinction entre mes écrits plus «populaires » et ceux scientifiques, réservant les sujets explicitement politiques  pour les premiers. Il arrive néanmoins que cette frontière se brouille. » (p,332)

          A la question : « Dans votre carrière universitaire, on observe un déplacement. Après vous être centré sur des phénomènes historiques de nature résolument économique, vous avez évolué vers une approche de plus en plus politique et culturelle. Avez-vous changé votre manière de faire de l’histoire ? »

        Longue réponse de l’auteur dont j’ai extrait les propos ci-après :

        « Pourtant, je crois pouvoir dire que je me suis déplacé sur plus de terrains et que j’ai brassé des matériaux plus diversifiés que la moyenne de mes contemporains. L’autre grande difficulté a été de réguler cet éclectisme par un certain degré de cohérence intellectuelle, de manière à ne pas combiner artificiellement des méthodes et des perspectives qui, en réalité, sont radicalement hétérogènes et à ne pas dire un jour le contraire de ce qu’’on a dit la veille » (p,336)

        A la question : « Comment situer Explorations in Connected History ? Quels sont les avantages de la méthode que vous y adoptez ? Comment le local s’insère-t-il dans un plus large espace. Les « histoires connectées » sont-elles un moyen d’envisager la globalisation ? »

      Un petit extrait :

       « C’est juste une manière de dire qu’il vaut peut-être mieux appréhender l’histoire du Portugal dans son propre contexte qu’en comparant le Portugal à la Grande Bretagne et en voyant le dernier au miroir du premier. Si l’on fait ce genre de comparaison, le Portugal devient un cas de régime bourgeois qui a échoué, ou un exemple du retard de l’industrialisation et du développement capitaliste. Un exercice stérile. » (p,338)

      A la question : «  Fukuyama, qui avait parlé de la « fin de l’histoire », s’est mis à écrire sur le « retour de l’histoire » après le 11 septembre. Cette obsession de l’histoire est-elle un trait occidental ? »

     Un petit extrait :

    « Le plus inquiétant, me semble-t-il, est « l’ auto-orientalisation » de certains intellectuels indiens dans le cadre des études postcoloniales : ils insistent sur le fait que l’ « histoire » est une vision  purement occidentale et qu’eux-mêmes devraient vivre en dehors de l’histoire. » (p,342)

     A la question : «  Quel écho rencontre en Inde la reconfiguration des rapports de l’Occident avec le monde musulman ?

      Un extrait :

      «  Le problème en l’occurrence, c’est que beaucoup de mouvements politiques de droite, en Inde, partagent la peur et la haine de l’islam avec une partie des médias et des conservateurs occidentaux. Cet état de fait remonte au mouvement nationaliste indien et à la théorie des deux nations, au nom de laquelle des idéologues comme V.D. Savarkar ont soutenu que les hindous et les musulmans ne pourront jamais coexister dans le même espace politique. » (p342)

        Question raccourcie : « …Pensez-vous que l’historien peut encore intervenir dans la formation d’une mémoire historique collective ? »

         Un extrait :

       « Mais je sais avec certitude que l’histoire n’est pas ce qu’en disent tant de théoriciens postcolonjaux qui la dépeignent comme une stratégie néfaste, oppressive, hégémonique inventée par l’Occident » (p,345)

      A la question : «  Quels sont, selon vous, les avantages et les désavantages d’être « de l’intérieur » quand on fait l’histoire d’un pays donné, ou pour utiliser le vocabulaire de l’anthropologie, d’être un participant-observateur qui maitrise les codes culturels ? Est-il préférable d’être de « l’extérieur » ?  

        Un extrait :

        « … il n’y a pas pour autant de différence évidente entre une approche « de l’intérieur » ou « de l’extérieur ». En ce sens, nous sommes bien loin de la situation en anthropologie.. » (p,345)

      A la question : « Comment voyez-vous ce que d’aucuns appellent la nouvelle « hégémonie » des intellectuels indiens, en particulier pour ce qui concerne le monde universitaire occidental ?

        Un extrait :

        « … J’admets volontiers que, dans l’ éveil des Etudes subalternes, il y a eu une onde de choc et un effet de réseau, si bien que les universités américaines ont rivalisé entre elles pour recruter des spécialistes qui enseignent l’histoire postcoloniale et l’histoire sur le mode « subalterne ».(p,350)

       Ma propre question : il est peut-être dommage qu’une des leçons n’ait pas porté sur le système des castes en Inde, un système qui aurait peut-être éclairé d’une certaine façon une des faces persistantes de l’histoire indienne, reliée incontestablement au discours que les intellectuels indiens tiennent sur le « subaltern ».

         Une observation : est-ce qu’on ne peut pas comparer cette discrétion, pour ne pas dire cette impasse historique, à celle que semblent commettre certains chercheurs africains sur une des faces cachées de leur histoire, c’est-à-dire l’esclavage interne ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Empire colonial anglais et Empire colonial français: 2ème Partie

© 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.  

Empire colonial anglais et Empire colonial français (19 et 20ème siècles)

La première partie a été publiée le 21/01/2014

Deuxième Partie :

A Londres ou à Paris, des stratégies et des politiques impériales semblables ou différentes ?

A – Une esquisse de comparaison générale

            A lire un petit livre publié en 1945, paré de belles illustrations en couleur, d’un auteur peu connu, Noel Sabine, intitulé » « L’Empire colonial britannique», mais sans prétention historique, et à confronter sa description rapide à celle qu’un historien confirmé, Kwasi Kwarteng, dans le livre « Ghosts of Empire», livre qui a fait l’objet d’une lecture critique sur ce blog, et sur le contenu duquel nous nous appuierons pour étayer certaines de nos réflexions, l’analyste pourrait facilement conclure que la constitution de l’Empire britannique fut le fruit d’un pur hasard, servie par une poignée d’hommes distribués sur la planète, et concourant chacun, de leur côté,  à l’édification d’un empire, presque sans le savoir.

             Un « hasard » qui se serait tout de même étendu sur plus d’un siècle ?

            La création de cet empire planétaire et puissant pourrait effectivement servir à illustrer une des théories de stratégie asiatique, connue sous le nom du taoïsme, avec le cours des choses.

Le cours des choses

         Toute stratégie doit donc pouvoir discerner le vrai cours des choses et s’y adapter pour contrôler si possible la marche des événements.

         Personnellement, je pense que ce type d’analyse stratégique rend assez bien compte de la marche passée du monde et des séquences de dominations historiques qui l’ont marqué, soit parce qu’une doctrine religieuse s’imposait, ou une civilisation supérieure, ou encore, une puissance militaire dotée d’armes nouvelles ou disposant de chefs de guerre exceptionnels.

        Dans le cas présent, ma faveur va à l’explication analysée par l’historien Headrick dans son livre « The tools of Empire », car c’est l’explosion des technologies nouvelles, quinine, vapeur, câble, télégraphe, armes à tir rapide…qui a donné aux puissances européennes les outils, c’est-à-dire les armes de la puissance coloniale, d’une puissance coloniale qui n’a pas exercé très longtemps son pouvoir, ce qu’on feint d’ignorer, dans le cas général, entre soixante et quatre- vingt années.

        Une sorte de cours des choses technologique que le génie britannique, la disposition anglaise pour « the money », le business, toujours le business, a su canaliser, tirer profit, inscrire dans un code de nouvelle puissance coloniale.

        En comparaison, la création de l’Empire français serait la reproduction imparfaite d’un modèle politique et administratif de type centralisé, d’une philosophie abstraite de rêve égalitaire, d’un cours des choses standardisé.

          Nous verrons donc que l’Empire britannique n’est pas uniquement le fruit du hasard, même si un auteur comme Noel Sabine en dresse ce portrait.

       «  C’est l’aboutissement, non pas de projets longuement mûris, mais d’une évolution progressive et presque fortuite. » (p,7)

        En ce qui concerne les habitants du Royaume Uni : « Il est curieux qu’à aucune époque on ne constate chez eux une impulsion dynamique gagnant les couches profondes de la nation et les poussent à fonder un empire » (p,7)

      « De même que la création de l’empire britannique –  si toutefois il est permis d’appeler création un processus qui s’est accompli au petit bonheur – est l’œuvre d’hommes relativement peu nombreux, de même les problèmes qui en découlent n’ont jamais intéressé qu’un petit nombre de personnes, laissant indifférente la masse de la population des Iles Britanniques. » (p,8)

      L’auteur décrit bien la philosophie de cet impérialisme fondé sur deux principes directeurs, en oubliant peut-être le troisième, le principe capital sans doute, le « business », les affaires, c’est-à-dire «money », sur lequel nous reviendrons plus loin :

     1) laisser à celui qui est sur place toute latitude pour mettre en œuvre la politique dont les grandes lignes lui ont été simplement indiquées,

    2) éviter de substituer des institutions nouvelles aux anciennes, mais plutôt adapter celles qui existent  aux besoins modernes.

     Le même auteur relève qu’il est « difficile de distinguer un fil conducteur suivant et définissant nettement ce qui constitue la politique coloniale … Il est peut-être trompeur de parler de « politique coloniale », comme s’il était possible de suivre une seule et même ligne de conduite à l’égard de populations, de conditions et de problèmes aussi variés que ceux de l’empire colonial britannique ; par politique coloniale, j’entends plutôt des principes et une certaine manière de voir qui ont progressivement évolué, et au moyen desquels le Gouvernement britannique s’attaque aujourd’hui à l’étude des problèmes coloniaux. »(p,28,29)»

       A la différence de Paris, Londres n’a jamais cherché à tout réglementer, mais le gouvernement britannique eut très tôt à sa disposition un instrument gouvernemental capable de suivre les affaires coloniales, celles tout d’abord des plantations, puis de l’empire lui-même, avec la création du Colonial Office, en 1835.

     La France ne disposa d’un instrument politique du même genre, le ministère des Colonies, qu’en 1894, une administration qui eut d’ailleurs beaucoup de mal à exister politiquement, à avoir du poids au sein des gouvernements.

Jusque-là, et en ce qui concerne l’Afrique et l’Asie, le domaine colonial fut l’affaire de la Marine et des amiraux.

       Tout au long de la première moitié du dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne mit en œuvre une politique impériale fondée tout d’abord sur la lutte contre le trafic d’esclaves et en faveur du free trade, et elle s’appuyait au fur et à mesure du temps, sur de nouvelles conquêtes territoriales, en ne perdant jamais de vue le distinguo fondamental entre les colonies de peuplement blanc, devenues les dominions, et les autres colonies.

       En ce qui concerne ces dernières, Londres faisait toujours valoir deux préoccupations, d’abord le business, avec le moins d’implication politique locale.

         Quelques-unes des citations que nous avons reprises dans la lecture critique du livre de M.Kwasi Kwarteng       « The Ghosts » méritent d’être rappelées, car elles fixent clairement les objectifs de l’impérialisme anglais.

Sir Charles Napier, qui fut peu de temps Gouverneur Général des Indes, déclarait dans les années 1872 :

« in conquering India, the object of all cruelties was money » (The Ghosts, page 96)

       M.Kwasi Karteng notait à ce sujet:

« This was cynical, but then was a large element of the truth in the claim. »

      Le même historien notait par ailleurs, en ce qui concerne l’Afrique :

      “The colonial mission in Africa according to the Prime Minister, was about of money and commerce

      Lord Salisbury, Premier Ministre déclarait en effet, en 1897:

« The objects we have in our view are strictly business object » (The Ghosts, page 278)

    Dans le livre « Ghosts of Empire », l’auteur, Kwasi Kwarteng, défend ce type d’interprétation, comme nous l’avons noté dans l’analyse de lecture que nous avons publiée sur ce blog.

     Sa démonstration est notamment fondée sur les portraits très fouillés qu’il a proposés pour un certain nombre de grands acteurs de l’Empire britannique, des acteurs recrutés dans la même classe sociale et fiers de leur modèle de société, qu’ils estimaient supérieur à tous les autres.

    « The individual temper, character and interests of the people in charge determined policy almost entirely throughout the British Empire. There simply no master plan. There were different moods, different styles of government. Individuals had different interest; even when powerful characters, sitting in White Hall, were trying to shape events of empire. More often than not, there was very little central direction from London. The nature of parliamentary government ensured that ministries came and went; policies shifted and changed, often thanks to the verdict of the ballot box, or even because of a minor Cabinet reshuffle.” (Ghosts of Empire, p,160)

      En examinant sur la longue durée historique, les différents éléments de la politique impériale anglaise en action et en résultats, nous constatons qu’il en existait tout de même bien une, dont les traits étaient très différents de ceux de la française, pour autant qu’il y en ait eu une.

     Pour emprunter une expression d’Adam Smith, le grand théoricien du libéralisme, il serait tentant de dire que l’empire britannique a été le fruit d’une «  main invisible »,  celle de l’économiste Adam Smith, celle de la liberté des échanges, mais au service d’une puissance économique et militaire, et d’une marine qui n’avaient pas d’équivalent au monde tout au long du dix-neuvième siècle, et donc du business, son objectif premier.

      Dans un tel contexte, et avec cet état d’esprit, « nous sommes les meilleurs », nul besoin de trop définir une politique coloniale, de vouloir promouvoir tel ou tel modèle d’administration coloniale, et la grande réussite de l’empire anglais fut de le construire à la fois systématiquement et au coup par coup.

      Même au cours de la période de  l’impérialisme anglais la plus tonitruante, à la fin du dix-neuvième siècle, alors que l’opinion publique semblait partager les ambitions coloniales de ses dirigeants, en rivalisant avec les autres puissances européennes pour se partager l’Afrique, Londres ne perdait pas le nord, ou plus exactement le sud, avec la poursuite de ses objectifs stratégiques de long terme, différents selon qu’il s’agissait de colonies de peuplement ou de colonies d’exploitation, ce que nous avons déjà souligné, et le contrôle de ses voies de communication sur toute la chaine stratégique de Londres vers l’Asie, par Gibraltar, Malte, Suez, Le Cap, Ceylan, Singapour et Hong Kong.

      La conquête des territoires d’Afrique tropicale qui n’étaient pas destinés à un peuplement d’immigration a conduit la Grande Bretagne à formaliser sa politique, notamment avec la doctrine de l’indirect rule que Lugard mit en œuvre au Nigéria, mais cette doctrine n’était pas nouvelle, car elle avait déjà été largement mise en œuvre dans l’Empire des Indes.

      Elle connut un certain succès vraisemblablement grâce à l’écho médiatique que l’épouse de Lugard, une femme de presse renommée, lui donna.

      Que l’on parle de « dual mandate » ou d’« indirect rule », la conception était la même, sauf à comprendre qu’il y avait deux niveaux de commandement superposé, l’indigène, et l’anglais, ce dernier étant voué à l’accession du territoire administré à la modernité, aux échanges du commerce au moins autant qu’à la « civilisation ».

      Une fois les deux empires coloniaux constitués, les deux métropoles pilotèrent deux systèmes de gestion très différents, mais elles avaient fixé la même ligne rouge à ne pas franchir, c’est-à-dire le principe du « financial self-suffering », pour les Anglais, et la loi du 3 avril 1900, pour les Français, c’est-à-dire l’autosuffisance financière imposée aux nouveaux territoires sous domination.

      Compte tenu de l’inégalité importante qui existait entre les ressources des territoires qui composaient les deux empires, et sur le fondement de ce principe, la France rencontra beaucoup plus de difficultés pour développer ses  colonies que la Grande Bretagne.

     L’empire anglais était constitué d’un ensemble de solutions disparates allant de la colonie administrée, c’est-à-dire l’exception, au territoire impérial que la métropole laissait gérer par les autorités locales, l’Inde représentant la quintessence de la mosaïque des solutions coloniales anglaises.

     L’historien Grimal le décrivait de la sorte :

    « La doctrine du gouvernement en cette matière, c’était de ne pas en avoir et de procéder empiriquement selon les lieux et les circonstances : de là l’extrême variété des systèmes administratifs utilisés et les dénominations multiples des territoires placés sous l’autorité britannique. Cette disparité apparente comportait néanmoins quelques principes communs : chaque territoire constituait une entité, ayant sa personnalité propre et un gouvernement responsable de ses affaires et de son budget : l’autorité appartenait à un gouverneur, assisté de Conseils consultatifs, formés essentiellement de fonctionnaires. «  (page 212)

       A l’inverse, l’Empire français était organisé sur le même modèle administratif  de la tradition centralisée de l’Etat napoléonien, l’élément d’organisation de base étant la colonie, avec un gouverneur, ou le groupement de colonies (AOF, AEF, Indochine), avec un gouverneur général exerçant tous les pouvoirs.

      La forme institutionnelle du pouvoir que la France donna à l’Indochine et à Madagascar est tout à fait symbolique de la conception qui présidait alors à l’organisation du pouvoir colonial.

     En Indochine, la puissance coloniale avait la possibilité de mettre en pratique une sorte d’indirect rule à l’anglaise, mais très rapidement, les résidents et gouverneurs se substituèrent aux représentants de l’Empereur d’Annam, alors que leur administration mandarinale était déjà très développée.

     A Madagascar, Gallieni eut tôt fait de mettre au pas la monarchie hova et de décréter l’instauration d’un régime colonial de marque républicaine.

      Il existait alors au moins un point commun entre les Anglais et les Français : les acteurs de terrain bénéficiaient d’une très large délégation de pouvoirs, dans un cadre républicain apparent beaucoup plus que réel pour les Français, et dans un cadre d’esprit monarchique et libéral pour les Anglais.

     Modèle soi-disant égalitaire de l’administration coloniale française contre modèle des classes aristocratiques supérieures, celui qu’incarnaient les administrateurs coloniaux britanniques, mais comme le remarquait M.M’Bokolo dans son livre « L’Afrique au XXème siècle », sur le terrain concret les différences entre les deux styles d’administration coloniale étaient beaucoup moins marquées :

    « Ainsi sont devenues classiques les distinctions entre l’assimilation et l’administration directe sous la version française ou portugaise et l’administration indirecte (indirect rule) chère aux Britanniques. En fait, compte tenu de l’immensité et de la diversité des empires coloniaux, les puissances de tutelle se trouvèrent en face de situations identiques et adoptèrent des solutions pratiques très proches : démantèlement des monarchies et des grandes chefferies, sauf là où, comme au Maroc, en Tunisie, au Bouganda, en Ashanti (Gold Coast), à Zanzibar, etc…, des accords de protectorat avaient été conclus, maintien, voire création, de petites chefferies, utiles courroies de transmission dans des territoires où le personnel européen était souvent peu nombreux ; ségrégation de fait entre les communautés indigènes et les Européens. Partout, prédominaient des méthodes autoritaires, teintées ici et là de paternalisme. En dehors des lointains ministères, souvent peu au courant des réalités locales, et de la bureaucratie centrale des gouvernements généraux, le pouvoir sur le terrain appartenait à l’administrateur européen, véritable « roi de la brousse », ayant son mot à dire sur tout et un pouvoir de décision dans les questions administratives, mais aussi en matière de justice, de police, et sur des problèmes plus techniques, touchant par exemple à la voirie, l’instruction et à la santé…) (page 42) »

      La différence capitale se situait dans la conception même du rôle de la puissance coloniale, l’anglaise n’ayant jamais envisagé une évolution politique et citoyenne au sein du Royaume Uni, la française promettant, complètement coupée des réalités coloniales, de conduire les indigènes à une égalité des droits au sein des institutions françaises.

B – Les différences impériales les plus marquantes

     L’analyse qui précède montre déjà, qu’au-delà de la dichotomie qui existait dans l’empire britannique entre les colonies de peuplement et les colonies d’exploitation, les deux empires ne partageaient pas les mêmes caractéristiques, historiques, géographiques, ou économiques.

     La Grande Bretagne s’était taillé la part du lion dans les possessions dont les atouts économiques étaient les plus grands, et déjà notoires, avec la place capitale de l’Inde dans le dispositif colonial, et le contrôle stratégique des voies de communication vers l’Asie qu’elle s’était assuré.

     Ces deux seuls éléments constitutifs de l’Empire britannique, l’Empire des Indes et la voie impériale vers l’Asie, suffiraient à eux seuls à exclure toute comparaison pertinente entre les deux Empires.

Les éléments les moins dissemblables des deux empires étaient situés en Afrique tropicale, mais comme le soulignait l’historien Grimal, en dépit de la réserve que la puissance gouvernementale anglaise s’était fixé :

     « Celle-ci fut progressivement contrainte à dépasser la limite qu’elle s’était fixée : le refus de toute implication politique » (page 128)

    Une certaine confusion existait dans les buts poursuivis par les deux puissances, mais il a toujours été clair que la politique anglaise poursuivait inlassablement son ambition du tout pour le business, alors que dans les motivations françaises, les préoccupations de conquête des marchés avaient beaucoup de mal à s’imposer face à celles de la puissance, ou du rayonnement supposé de sa civilisation qu’elle estimait être la meilleure, pour ne pas dire supérieure.

     Je dirais volontiers que la France avait l’ambition de projeter son modèle de civilisation supposée sur le terrain, ses « valeurs » qu’elle estimait universelles, tirées de la Déclaration des Droits de l’Homme, alors que la Grande Bretagne, sûre qu’elle incarnait un modèle de civilisation supérieure, ne faisait qu’escompter qu’on l’imiterait, le transposerait.

     D’une autre façon, la distinction entre les deux types d’institutions coloniales  recouvrait celle plus banale entre l’esprit « juridique » français, et l’esprit « pragmatique » anglais.

     Les deux puissances avaient pris au moins la même précaution, celle de ne pas prendre en compte sur les budgets des métropoles le financement du développement de leurs colonies, principe du « financial self suffering » chez les Anglais et loi du 3 avril 1900, chez les Français.

     La profusion des taches de couleur coloniale anglaise ou française sur la planisphère pouvait faire illusion, mais elles ne couvraient pas le même type de « marchandise » coloniale.

     L’empire anglais était un véritable patchwork institutionnel, un ensemble inextricable de solutions adaptées à chaque « situation coloniale », une architecture du cas par cas, une gestion directe à titre exceptionnel telle qu’en Birmanie ou à Hong Kong, mais le plus souvent une gestion indirecte laissant exercer le pouvoir par autant de sortes d’’institutions de pouvoir local qui pouvaient exister dans l’empire.

     Dans l’Empire des Indes, la puissance coloniale s’était réservée la charge de l’ordre public et des relations internationales, mais laissait tel rajah ou tel maradjah gouverner son royaume à sa guise, sauf quand il mettait en danger la paix britannique.

       Londres y pratiquait ce que l’historien appelait « le despotisme bienveillant de l’Inde » (p,220)

Donc rien à voir avec le modèle des institutions coloniales françaises où, comme au temps de Napoléon, les gouverneurs devaient marcher du même pas et mettre en œuvre le même modèle applicable à toutes les « situations coloniales », quelles qu’elles soient, alors qu’elles étaient évidemment très différentes.

Patchwork des institutions coloniales anglaises, certainement, mais dans  la deuxième « main invisible » anglaise, celle des hommes qui administraient les colonies, et le livre de M.Kwasi Karteng en confirme le rôle et l’importance.

      Une main invisible qui mettait en musique celle du fondateur de l’école libérale, Adam Smith.

     Résidents ou administrateurs, tous issus de la même classe sociale, c’est à dire sur le même moule, ils incarnaient le respect de la monarchie, et par-dessus tout, ils estimaient qu’en toute circonstance :

    1) ils étaient les meilleurs,

    2) et que leur modèle économique et social était également le meilleur.

C- Ressemblances et dissemblances coloniales ?

         Dans le livre que j’ai consacré à l’analyse de ce que l’on appelait « le fait accompli colonial » à l’occasion des grandes conquêtes coloniales de la France, en Afrique, au Tonkin et à Madagascar (« Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », et dans l’introduction, figurait à la page 12 la reproduction d’une page de caricatures en couleur de la revue satirique allemande Simplicissimus de l’année 1904 :

      en haut « Comme ça, la colonisation allemande » avec un alignement de girafes sous la menace d’un crocodile tenu en laisse par un soldat allemand,

     au milieu « Comme ça, la colonisation anglaise », un soldat anglais qui passe un noir sous le rouleau d’une machine d’imprimerie pour fabriquer de l’argent,

      et en bas deux caricatures : à gauche, « Comme ça, la française » avec un soldat qui tire le nez à un noir, et en arrière- plan, un soldat  blanc et une noire qui se frottent le nez – à droite « Comme ça, la colonisation belge » avec un soldat belge qui fait rôtir un noir à la broche pour son diner.

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  Une contribution allemande à l’écriture de l’histoire coloniale: Simplicissimus 1904 ( © 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.)

      Ces clichés très caricaturaux ont toutefois le mérite de situer l’état d’esprit général des colonisateurs de l’époque de la conquête, mais il est nécessaire naturellement d’approfondir la comparaison franco-britannique.

     S’il était possible de résumer l’analyse qui précède, les traits les plus caractéristiques pourraient en être les suivants :

–       Une histoire coloniale anglaise beaucoup mieux enracinée en métropole et outre-mer que l’histoire coloniale française.

–       Un empire anglais qui fut le fruit d’un plus grand nombre d’opérations de conquête militaire que l’empire français, et beaucoup plus puissantes aussi.

–       Un patchwork institutionnel chez les Anglais, créé au coup par coup, face au système uniforme des Français.

–       Une politique de gestion indirecte dans l’empire britannique au lieu d’une gestion politique en prise directe dans l’empire français, mais avec beaucoup de nuances sur le terrain, compte tenu du rapport existant entre les superficies coloniales et l’effectif des administrateurs coloniaux.

–       Un empire français manquant de solidité face à un empire britannique puissant au sein duquel prédominaient les Indes et la voie impériale vers l’Asie.

–       Un empire anglais à double face, avec d’un côté les colonies de peuplement blanc dans les pays à climat tempéré, et de l’autre côté, les colonies de peuplement de couleur dans les pays à climat tropical,  alors que l’empire français, mis à part le cas de l’Algérie, était uniformément un empire de couleur et de climat tropical.

–       Une décolonisation anglaise au moins aussi difficile que la française, et beaucoup plus violente dans les anciennes colonies de peuplement, telles que l’Afrique du Sud, le Kenya, ou la Rhodésie. La seule comparaison, mais plus limitée géographiquement, étant celle de l’Algérie.

–       La relative réussite d’une communauté internationale née de l’empire anglais, le Commonwealth, sans comparaison avec ce que fut la tentative d’Union ou de Communauté française, mais qui bénéficia dès le départ d’un atout clé, celui de la communauté de langues et de mœurs des anciennes colonies de peuplement blanc.

Il nous faut à présent tenter de procéder à une comparaison des types de relations humaines, et c’est naturellement une gageure, qui pouvaient exister entre les anglais ou les français et les indigènes dans les deux empires, et des philosophies politiques qui inspiraient ou non l’évolution de leurs politiques coloniales.

D – Racisme, discrimination,  ségrégation, citoyenneté, démocratie ?

       Dans ce domaine des mots et de leurs sens, il n’est pas inutile de rappeler que les mots « racisme » ou « raciste » ont fait l’objet de définitions différentes et relatives au fur et à mesure du temps.

        En 1932, année on ne peut plus coloniale aux dires de certains chercheurs, voir «  la grande Exposition Coloniale de 1931 », Le Larousse en six volumes ne proposait pas de définition du mot racisme et renvoyait à ce sujet au mot raciste dans les termes ci-après :

      « Raciste, nom donné aux nationaux socialistes allemands qui prétendent représenter  la pure race allemande, en excluant les juifs, etc… »

       De nos jours, le Petit Robert (édition 1973) est plus prolixe :

      Racisme : « Théorie de la hiérarchie des races qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres »

     Raciste : « Personne qui soutient le racisme, dont la conduite est imprégnée de racisme. »

     Incontestablement, la colonisation a longtemps exprimé une forme de racisme, mais pas toujours dans le sens moderne que l’on donne au mot, mais qui trouvait en partie son origine, et à cette époque, dans une théorie soi-disant scientifique qui classait les supposées cinq races du monde en classes supérieures et en classes inférieures.

    Les propos de Jules Ferry, Président du Conseil, distinguant les races supérieures et les races inférieures auxquelles il convenait d’apporter la civilisation, propos dénoncés par Clemenceau, citant entre autres les civilisations d’Asie, témoignent bien de l’état d’esprit qui imprégnait alors une partie de l’élite politique française, mais il serait possible de rappeler, en ce qui concerne Clemenceau, que les Chinois qualifiaient de leurs côtés les nez longs de « barbares », et que dans beaucoup de régions du globe le même type de discrimination raciale existait aussi.

       « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ?

      Et pourquoi ne pas mettre l’héritage du Siècle des Lumières dans l’acte d’accusation ?

     Il s’agit donc d’un sujet qu’il nous faut aborder avec beaucoup de précautions afin de tenter de situer les différences d’appréciation et de comportement entre Anglais et Français

     Rappelons tout d’abord qu’à l’occasion des premiers contacts, les premiers échanges entre peuples différents faisaient apparaître un tel écart entre modes de vie, coutumes, et croyances,  entre les sociétés ayant déjà accédé à la modernité, celles du colonisateur, et celles l’ignorant complètement, qu’il était sans doute difficile pour un blanc de ne pas se considérer comme un être supérieur, ou tout au moins comme membre d’une société supérieure.

      Précaution et prudence parce que souvent cette appréciation de la relation avec l’autre, une relation de type non « raciste » dépendait tout autant de l’explorateur, officier, ou administrateur blanc, qu’il s’agisse de Duveyrier chez les Touareg, ou de Philastre en Indochine, pour ne pas revenir sur les propos de Clemenceau à la Chambre des Députés, en réfutation de ceux de Jules Ferry.

      Il convient toutefois de noter que dans l’histoire des sociétés du monde et de la même époque, entrées ou non dans la modernité, ou en voie d’y entrer, colonisées ou non, il n’était pas rare de voir des peuples se considérer aussi comme disposant d’un statut social supérieur, en Europe, avec les Romains ou les Germains, en Asie, ou en Afrique, sur les rives du Gange, du Zambèze, du Niger, ou de la Betsiboka.

     Toujours est-il que les coloniaux anglais ont toujours considéré qu’ils faisaient partie d’une « race » supérieure et qu’ils se gardèrent bien de faire miroiter aux yeux de leurs administrés la perspective d’une égalité politique, comme l’ont fait les coloniaux français.

      Chez les Britanniques, ce comportement des résidents coloniaux était d’autant plus naturel qu’ils étaient issus de l’aristocratie anglaise.

        L’historien indien K.M.Panikkar le relevait dans son livre « Asia and Western Dominance » :

      «  La supériorité raciale fut un dogme officiel de la colonisation anglaise jusqu’à la première guerre mondiale » (page 143)

          Le même historien retrouvait ce racisme chez les Français en Indochine qui, selon ses mots, auraient imité les Britanniques et caractérisait l’attitude anglaise en citant une phrase de Kitchener :

        «  Ce racisme lucide et délibéré se retrouvait dans tous les domaines. ».

      Si le racisme a existé dans les colonies françaises, et il a effectivement existé, les deux qualificatifs de « lucide » et de « délibéré », seraient inappropriés.

      La devise anglaise aurait pu être, chacun chez soi, et la paix civile sera toujours assurée grâce à la bonne intelligence des autorités indigènes locales, alors que la devise française était celle d’une égalité annoncée, mais fictive jusqu’au milieu du vingtième siècle.

       Dans l’empire anglais, existait le système du «  colour bar » poussé à l’extrême en Afrique du Sud ou en Rhodésie, les clubs réservés aux anglais, un habitat colonial anglais soigneusement étudié pour que chacune des communautés soit chez elle.

      Dans les quatre composantes coloniales de l’Afrique du Sud, le système du « Colour Bar », c’est-à-dire la discrimination des noirs et la séparation stricte entre blancs et noirs, avait été généralisé en 1926, dans une Afrique du Sud à laquelle le Royaume Uni avait accordé un statut de dominion depuis 1910 !

        Lors de son passage à Johannesburg, en 1931, le géographe Weulersse relevait que dans les mines d’or il y avait 21 000 ouvriers blancs en regard de 200 000 Noirs et qu’

       « Une telle masse de main d’œuvre à vil prix était une menace constante pour les travailleurs blancs…. On inventa la « Barrière de couleur », la « Colour bar »… en dessous du prolétariat blanc, on créa une sorte de sous-prolétariat pour ne pas utiliser un terme plus violent. Et pour le Colour Bar Act voté en 1926, cet ingénieux système est devenu la loi fédérale de l’Union, applicable dans tous les Etats, et dans toutes les industries, fermant à l’ouvrier indigène toute possibilité de progrès mais offrant à la discrétion de l’employeur une admirable et docile masse de « cheap labour ».

        Dans un registre beaucoup moins sévère, et à l’occasion d’un retour d’Asie, et séjournant en Inde, Albert Londres racontait qu’il se faisait accompagner par son assistant indien dans les lieux publics anglais qu’il fréquentait, et qu’il transgressait de la sorte les codes de vie sociale anglaise de la colonie.

       Le cas de Hong Kong pourrait être cité comme le modèle de ce type de ségrégation, étant donné que jusqu’à la fin du vingtième siècle et à son rattachement à la Chine, anglais et chinois, quelle que soit leur classe sociale, cohabitaient mais ne se mélangeaient pas, même dans les clubs les plus huppés de la colonie.

      Rien de semblable dans les colonies françaises, mais une ségrégation plus nuancée, qui ne disait pas son nom, à la fois pour des raisons concrètes de genre et de niveau de vie, et de gestion politique du système.

     Le Code de l’Indigénat en vigueur pendant des durées variables selon les colonies instituait bien une forme de ségrégation raciale que n’est jamais venu atténuer un accès large à la citoyenneté française.

    Toutes les analyses montrent que la citoyenneté française n’a été accordée qu’au compte-goutte, mais l’empire britannique ne vit aucune de ses communautés bénéficier de l’égalité citoyenne, comme ce fut le cas des quatre communes de plein exercice du Sénégal, et aucun territoire anglais des Caraïbes ne bénéficia, comme les Antilles françaises, d’une amorce de représentation politique au Parlement français.

    Si par indigénat on entend le pouvoir qu’avaient les administrateurs d’infliger une peine de prison pouvant atteindre quinze jours et une amende pour des infractions diverses, c’était selon Adu Boahen, un système propre à la colonisation française. (Histoire générale de l’Afrique VII Unesco, page 244)

     Mais si comme c’est le plus souvent le cas, on faisait appel au mot « indigénat » pour décrire le fait que les colonisés n’avaient pas le même traitement judiciaire que les colonisateurs, il s’agissait d’une pratique générale, anglaise ou française.

     Simplement, les Français mettaient plus la main à la pâte que les Anglais, qui s’abritaient derrière les autorités indigènes qu’ils contrôlaient.

     Le Code de l’Indigénat avait le mérite de la simplicité, outre le fait que pendant toute la période de pacification, sa rigueur apparente ou réelle n’était pas très éloignée des mœurs de beaucoup de peuples de l’hinterland qui n’avaient subi encore aucune acculturation européenne

     Avec quelques touches historiques qui ne sont bien sûr pas obligatoirement représentatives, les relations humaines entre dominants et dominés n’étaient pas les mêmes.

      A Madagascar, le 31 décembre 1900, à Fianarantsoa, Lyautey organisa un bal qui réunissait un petit nombre de femmes, 19 au total, dont deux femmes indigènes.

     L’historien Grimal décrit bien le système anglais :

     «  Ainsi les agents de l’autorité britannique ne venaient pas en Afrique pour y transporter leurs propres institutions démocratiques et parlementaires, mais pour y maintenir l’ordre et assurer le statu quo. Ils étaient les pions dans une école. Si l’un d’eux faisait  preuve d’une intégrité particulière, d’un intérêt passionné pour le « bon » gouvernement, c’était tant mieux. Mais, en aucun cas, les indigènes n’avaient à être encouragés à adopter l’English way of life, ni la culture, ni l’activité économique, ni les institutions. » (page 214)

     La comparaison entre les colonies tropicales anglaises d’Afrique occidentale et celles d’Afrique orientale montre bien que la politique coloniale anglaise était tout à fait différente, selon qu’il s’agissait de territoires favorables au peuplement blanc ou non. Dans ces derniers territoires, le Colonial Office eut beaucoup de mal à assurer un arbitrage entre Blancs et Noirs, d’autant plus que l’immigration anglaise s’était effectuée en spoliant les terres appartenant aux communautés noires.

    Les Français se donnaient eux l’illusion de vouloir assimiler des peuples indigènes très différents de religion, de culture, et de niveau de vie, et les agents de l’autorité française avaient la mission de promouvoir cette vision idyllique du monde. Autant dire que cette mission était impossible, et les réformes mises en œuvre après la deuxième guerre mondiale, ouvrant la voie à l’égalité politique entre citoyens de métropole et citoyens d’outre-mer n’étaient pas en mesure de soutenir une égalité en droits sociaux que la métropole était bien incapable de pouvoir financer

     Après 1945, la création de l’Union Française ne fut donc qu’un feu de paille, et ne pouvait être qu’un feu de paille, un très lointain reflet d’un Commonwealth dont les racines étaient fondamentalement différentes, la nature des partenaires, ainsi que le fonctionnement.

    En 1945, la fédération de l’Afrique Occidentale Française comptait 13 députés à l’Assemblée Nationale, et 19 Conseillers au Conseil de la République, alors qu’aucun territoire colonial anglais n’avait de représentation au Parlement Britannique, mais cette représentation ne résista pas au puissant mouvement de décolonisation qui intervint dans les années 1960.

     En résumé, il est très difficile de proposer une conclusion générale à une comparaison entre relations humaines et coloniales anglaise et française, étant donné qu’il conviendrait de procéder à des analyses qui tiennent  compte une fois de plus des « situations coloniales » et du « moment colonial».

    Qu’il s’agisse des Français ou des Anglais, les relations ont évolué selon les époques (conquête, première guerre mondiale, entre-deux guerres, deuxième guerre mondiale, guerre froide entre Etats Unis et URSS, etc…).

    Elles ont évolué aussi en fonction des participants (un rajah, un chef, un aristocrate, n’est pas traité par les anglais comme un paysan de la brousse ;  un « petit blanc » dans une ville n’a pas le même comportement qu’un administrateur chargé d’un cercle en Mauritanie, etc….

    Toute conclusion générale ne peut donc avoir qu’un caractère arbitraire à la fois en raison une fois de plus du « temps colonial » et de la « situation coloniale ».

    Un des grands leaders de l’indépendance africaine, celle du Ghana, Kwame Nkrumah, n’écrivait-il pas dans « Autobiography of Kwame Nkrumah (Panaf Edition 1973, first published 1957) en rapportant des souvenirs de sa visite d’un chantier d’un grand barrage hydro-électrique proche de Douala au Cameroun :

     « One thing I remember very vividly about the occasion – probably because it was the first time that i have ever it happen in any colony – was the way all the workers, both European and African, climbed into the waiting lorries when the lunch buzzer sounded. This complete disregard of colour on the part of european workers greatly impresses me.”

       Et pourquoi ne pas ajouter que, comparé au système du  « Colour Bar », le Code de l’Indigénat, n’empêchait pas un type de rapports humains qui n’avait pas un aspect aussi excessif, pour ne pas dire totalitaire.

      Rappelons,  pour conclure ce type de réflexions, que jamais, tout au long de son histoire coloniale, le Parlement britannique n’accueillit en son sein des députés de couleur, comme ce fut le cas en France, pour ne citer que ces deux exemples, la présence  de Victor Mazuline, d’un député de couleur, et fils d’esclaves, venu de Martinique dans l’Assemblée Constituante de 1848, et celle du ministre sénégalais Diagne qui entra à la Chambre des Députés en 1914.

Jean Pierre Renaud

© 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.

Identité nationale, racisme, le Monde du 13/03/10, p,14

Dans un article intitulé « Quand le foot libère la parole des détenus sur la racisme », le Monde fait un compte rendu d’une réunion de détenus à la maison d’arrêt de Villefranche sur Saône, le 10 mars dernier. Je ne suis pas sûr que le contenu de l’article éclaire beaucoup le sens du titre. Le menu intellectuel proposé était incontestablement difficile.
 Le lecteur reste sur sa faim jusqu’à la fin lorsqu’est abordée la composition du public des maisons d’arrêt.


Un détenu, micro à la main demande au procureur présent, interlocuteur tout désigné pour ce dernier sujet : « Il n’y a que des Noirs et des Arabes dans les prisons. Le procureur riposte : « je ne peux pas laisser dire ça. » Mais il reconnait que, pour certains délits « comme les vols », il y a une surreprésentation de certaines populations ethniques. Cela s’explique, c’est complexe, mais la couleur de la peau n’a rien à voir. »

Question: est-ce que le Monde ne devrait pas proposer à ses lecteurs une bonne analyse de cette situation, si elle est exacte, avec des chiffres précis et une interprétation sérieuse de ses causes, avec sans doute en arrière plan, la faillite de la politique des quartiers dits « sensibles ».

Racisme, mémoire coloniale: une contribution

La Fondation Lilian Thuram « Education contre le racisme » a fait effectuer par Louis Harris 2, en janvier 2010, un sondage sur le thème de  » l’éducation contre le racisme »;
Quelques résultats peuvent éclairer cette fameuse mémoire coloniale que beaucoup invoquent pour preuve de maintes dérives, sans jamais apporter la preuve de son existence, de son contenu et de son étendue.

A la question: Savoir spontané du premier sujet faisant référence à des personnes de couleur noire à l’école:

L’esclavage: 24%
En histoire: 22%
En géogrphie: 18%
Par la colonisation: 7%

A la question: Savoir assisté du premier sujet faisant référence à des personnes noires de couleur à l’école:

de l’esclavage: 52%
de la colonisation: 21%

Intéressant, non? Mais il conviendrait d’aller plus loin dans la connaissance en mesurant le poids de la mémoire coloniale dans notre mémoire collective.