Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? Les sources de ce discours- 5 (A)

La Propagande coloniale  5 (A)

Les sources de ce discours

La première source possible d’un tel discours aurait pu être l’analyse très documentée de l’historien Charles-Robert Ageron parue dans la Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer du premier trimestre 1990, intitulée « Les colonies devant l’opinion publique française (1919-1939).

            L’auteur écrivait :

            « L’objet de cet essai est une étude d’opinion publique : peut-on savoir si les Français, dans leur ensemble, s’intéressaient à leurs colonies entre 1919 et 1939 ; s’ils y étaient favorables, hostiles et indifférents ? Peut-on apprécier quel intérêt les attachait éventuellement à leur empire colonial et quelles furent les variations de ce qu’on appelait volontiers leur «  conscience coloniale » ?

            Certes à cette époque, les techniques de sondage de l’opinion, déjà courantes dans les années trente aux Etats-Unis, sont à peine connues en France et une telle recherche peut paraître vaine sur le plan scientifique puisque nous ne disposons sur ce sujet que de quelques sondages, fort imparfaits et tardifs, en 1938 et 1939. Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire » de l’opinion, celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de sa recherche. Ce que l’on peut recenser en fait d’opinion publique, c’est soit l’opinion de la classe politique, soit l’action des groupes de pression…(RFOM,p,31)

            Lorsque nous pourrons développer cette recherche, celle-ci exigera sans doute des méthodes appropriées pour le traitement, par étude du contenu, de la presse d’information et d’opinion, des revues de culture générale et des revues coloniales, des ouvrages scolaires et des manuels d’enseignement supérieur…

            Peut-être devra-t-on tenter aussi de recourir à quelques sondages rétrospectifs auprès d’échantillons représentatifs des générations anciennes. Mais il ne peut s’agir là que d’une tâche de longue haleine et d’un travail d’équipe.

            C’est précisément dans l’espoir d’éveiller l’intérêt de quelques chercheurs ou étudiants que nous avons voulu présenter ici, beaucoup plus modestement, une première approche, tel qu’il nous apparaît après une enquête rapide à travers la presse coloniale et non coloniale et après une recension critique des témoignages fournis par les spécialistes du « parti colonial » sur l’audience de l’idée coloniale. (RFOM,p,32) …

            Dans ce terrain non défriché, il eut été plus habile de s’en tenir à la classique prospection des sources et à leur présentation, illustrée d’exemples, d’une problématique et d’un échantillon de méthodes. Nous avons pensé qu’il était plus loyal de dire simplement ce que nous savions et ce que nous ne savions pas, réservant à l’enseignement d’un séminaire recettes et hypothèses de travail, indication de pistes et souhaits de recherches précises. » (RFOM,p,33)

Il nous a paru utile de citer presque in extenso ce texte qui expose clairement et honnêtement les problèmes de méthode rencontrés pour aborder le sujet, problèmes que nous avons déjà longuement évoqués et qui mettent en cause les fondements scientifiques du discours tenu par ce collectif de chercheurs.

            Car ce collectif de chercheurs a fait l’impasse sur les problèmes méthodologiques qu’ils auraient dû résoudre préalablement, afin d’être en mesure de présenter concepts et théories qui seraient censés donner une représentation historique de l’opinion publique des périodes analysées.

            L’historien donnait son avis sur les résultats de la fameuse propagande coloniale dans l’opinion publique :

            « En 1918, le parti colonial réclamait « un service de propagande coloniale doté de tous les moyens nécessaires »…

            Mais en 1920, le puissant groupe colonial qui s’était constitué dans la Chambre bleu-horizon ne parvint pas plus à faire inscrire au budget les crédits nécessaires à cette propagande de grand style que le ministre A.Sarraut déclarait pourtant indispensable. » (RFOM,p,35)

La presse coloniale ne touchait pas le grand public, et le député radical Archimbaud, inamovible rapporteur du budget des colonies, dénonçait lui-même l’apathie gouvernementale dans ce domaine.

            Dans les années Vingt, « les coloniaux et les colonisés étaient gens d’une autre planète, la masse de l’opinion française  demeurant dans son indifférence antérieure. »

La grande presse jugeait « invendable » la propagande coloniale.

            La situation changea entre 1927 et 1931 avec le lancement d’une grande campagne de propagande coloniale qui trouvera son couronnement dans la grande Exposition de 1931. La presse d’information s’associa pour la première fois à la propagande coloniale.

            Mais l’historien de rappeler ce que déclarait, en juillet 1928, le directeur de la Ligue maritime  et coloniale, présentée comme un des moteurs de la propagande coloniale, au sujet des résistances des milieux d’enseignants :

            « Le milieu qui a charge de forger la mentalité française, c’est à dire le corps enseignant, est celui qui y est demeuré jusqu’à présent le plus étranger, à quelques exceptions près. » (RFOM,p,48)…

            Le parti colonial disposait maintenant de l’appui du, gouvernement Tardieu (1930)….Il n’est pas jusqu’au ministère des Colonies où, pour la première fois, on ne s’occupât de propagande impériale. » (RFOM,p,51)

            Alors que la fameuse Agence générale des colonies et que les agences économiques des territoires existaient depuis au moins dix ans, que ces outils de propagande étaient à l’entière disposition de ce ministère ! Le lecteur n’y retrouvera sûrement pas les descriptions exubérantes qu’en a faites plus haut l’historienne Lemaire.

            Quant à l’exposition de 1931 qui a déjà été évoquée, et en dépit des campagnes de propagande et de son succès immédiat, rappelons le jugement de Lyautey qui en avait été le patron et un des initiateurs: « Ce fut un succès inespéré »,  disait-il le 14 novembre 1931, mais dès 1932, il ajoutait « qu’elle n’avait en rien modifié la mentalité des cerveaux adultes, ni ceux des gens en place qui n’étaient pas par avance convaincus. » Telle parait bien être la juste conclusion qui se confirma, nous le verrons, dans les années suivantes. » (RFOM,p,52)

            Comme on le voit ici encore, on est loin des descriptions de la propagande que cette historienne a faites précisément pour cette période chronologique de 1919-1931 ! En ajoutant qu’il ne reste plus beaucoup de temps à nos brillants propagandistes coloniaux pour faire mieux, étant donné que quelques années plus tard la France allait entrer dans une ère de turbulences internationales, une situation qui va conduire les gouvernements, et derrière eux une partie seulement de l’opinion publique, à soutenir la cause impériale, ultime recours de la République en face de l’ennemi.

            Entre 1932 et 1935, la propagande aurait en effet été inefficace si l’on en croit l’analyse Ageron dans le titre IV « Le recul de l’idée coloniale dans l’opinion publique, »

Et, et plus loin d’analyser dans le titre V « L’évolution de l’opinion à travers Le salut par l’empire.

            L’analyse historique Ageron est évidemment en contradiction avec celle l’historienne Lemaire, mais il convient d’examiner si d’autres sources postérieures peuvent accréditer le discours Lemaire.

                             JPR – TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? 5 (B) – Propagande coloniale -Les sources – le Colloque de janvier 1993

Propagande coloniale  5 (B)

Le Colloque de janvier 1993

L’historien Meynier y signa une contribution intitulée « Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre-deux guerres. »(C,p,41)

            « L’objet de cette communication est de faire ressortir par un exemple, les images mises en œuvre par le colonisateur français au moment de la guerre de 1914-1918 et au cours de la période de l’entre-deux guerres sur les « indigènes » dans le cas algérien principalement. Il est d’étudier en quoi la production de ces images relève d’une conscience française volontariste, c’est-à-dire d’un projet politique. Mais en quoi aussi, ce projet provient d’un  inconscient à l’œuvre dans les représentations françaises, en quoi il est inséparable de fantasmes travaillant telle ou telle partie de la société française, et qui ne se réduisent pas forcément au seul champ colonial. » (C,p,41)

Vaste sujet d’étude historique comme peut le constater le lecteur, mais aussi sans doute la surprise de voir surgir dans ce champ à la fois les images et l’inconscient !

            Notons que la communication limitait sa réflexion « dans le cas algérien principalement ».

            L’historien notait : « Une foule de livres de vulgarisation font honte aux Français de leur peu de foi coloniale. Sous la houlette d’Albert Sarraut, éclosent des flots de brochures, de tracts, de photos, de films destinés à exalter l’idée coloniale.  (Sans autre précision, ni évaluation)…

            Ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française…

            Au Parlement, les débats coloniaux continuent à ne pas faire recette.

            Compte tenu de ce constat et des images officielles proposées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan, lorsqu’on évoque les colonies ? » (C,p,43)

            Quittons provisoirement le propos de cet historien dans son analyse de l’imaginaire français et de l’inconscient français, pour aller directement à sa conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent des stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français, et il doit très peu au grand large. »(C,p,48)

       Est-ce qu’en écrivant ce type de propos, le grand historien, à l’exemple d’autres, n’a pas entrouvert la boite de Pandore d’où sont sortis les maux surtout inconscients dont souffre aujourd’hui notre histoire postcoloniale ?    

    Sans oublier que l’historien visait le cas algérien, un exemple de l’importance de la « matrice » algérienne très influente qu’a décrite récemment l’historien Vermeren dans le livre « Le choc des décolonisations ».

            La conclusion du Colloque (C,p,141) rappelle qu’environ six cents images de toute nature ont été présentées et commentées. Elle s’inscrit dans la ligne de pensée du discours que nous critiquons, sous la signature de deux historiens, Gilles Manceron et Jean-Barthélémi Debost, que nous avons déjà croisé sur les livres scolaires et sur les affiches Elle conclut naturellement  à la filiation entre les images produites hier et celles diffusées aujourd’hui, tout en se posant la question de l’origine des images et de leurs  effets :

                « Image et propagande

            Autres questions :

                « « Quand y-a-t-il eu une production délibérée d’images de propagande ? Quel a été le rôle précis du parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré par exemple, que le parti colonial et l’Agence de la France d’outre-mer pour le ministère des colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse….

            Quand on évoque la propagande, il faut aussi essayer d’en distinguer les cibles. »(C,p,145)

Il est donc difficile d’en tirer un enseignement qui aurait fait progresser la connaissance de la propagande coloniale au cours de la période examinée. Comment enfin ne pas évoquer au sujet de la presse un souvenir professionnel ? Comment ignorer que dans beaucoup de journaux, en province ou ailleurs,  les journalistes se contentent de démarquer soit un bulletin de l’AFP, soit un communiqué du ministre ou du préfet, ou tout simplement d’une entreprise ou d’un groupement professionnel.

            Je ne résiste pas à vous conter une anecdote professionnelle qui concerne la Lozère et son classement en Zone Spéciale d’Action Rurale dans les années 60.

            Nous avons vu débarquer un jour un journaliste du Monde qui venait faire un papier sur le cas de ce département. Quelle n’a pas été notre surprise de voir ce professionnel être venu comme un  réalisateur de cinéma prendre tout simplement le décor d’un article déjà écrit à Paris !

            Dans le livre Images et Colonies, le livre paru dans le sillage du Colloque :

            L’historien Meynier y a fait paraître un article intitulé « L’organisation de la propagande » :

            Dans l’introduction de l’ouvrage, l’historien Blanchard n’avait pas fait dans le détail, en décrivant  à force de diffusion et de matraquage, un message capable de séduire un vaste public et en écrivant comment les français ont pu être séduits e/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande. (IC,p,8)

            Le lecteur aura relevé « pendant près d’un siècle », rien de moins ! Et le « matraquage » !

            Dans sa communication, l’historien Meynier manifestait une plus grande prudence :

            « Cette propagande qui met les colonies en images devrait être organisée par rapport au public- aux publics-  qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement, les matériaux manquent à l’historien pour en juger avec sûreté. » (IC,p,113)

            Déjà la douche froide !

            L’historien analysait successivement tout un ensemble de supports possibles de propagande, programmes scolaires, associations et groupements privés, organismes politiques. En ce qui concerne les 87 manuels d’histoire examinés, la part des colonies y restait modeste. Il donnait un sous-titre évocateur à la suite de son analyse :

         « Propagande et mise en image des colonies entre credo colonial et exotisme de masse »passage où il notait « que dans les cartes postales, destinées à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte encore plus encore que dans les autres productions. » En ce qui concerne les jouets,  c’est encore l’exotisme qui l’emportait. (IC,p,121)…

            « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est encore principalement un exotisme de masse » (IC,p,123)

Et en conclusion :

            « Mais bien après l’apogée de la propagande coloniale qui, pour le moment, ne releva guère d’une politique mais plutôt d’un air du temps relié à des images récurrentes amplifiées. « (IC,p,124)

Donc grande prudence de l’historien, tout à fait justifiée compte tenu de l’étroitesse du corpus examiné, 30 affiches, 76 images de magazines ou de livres à thème colonial, 116 cartes postales.

Notre conclusion intermédiaire : rien qui plaide précisément en faveur du matraquage d’une propagande coloniale qu’un bon historien a bien de la peine à décrypter et à situer.

          Nous ne nous attarderons pas sur la contribution de N.Bancel et G.Mathy intitulée « La propagande économique au cours de la période 1945-1962 » pour trois raisons :

            – Carence complète de la démonstration statistique du propos illustrée par les observations contradictoires suivantes :

            « Il est très difficile d’établir le chiffrage précis, à la fois de la diffusion des publications semi-officielles du Ministère et de l’impact de la diffusion  de cette iconographie par la presse. L’étude d’un corpus partiel permet d’affirmer que la propagande coloniale étatique a presque entièrement submergé l’iconographie des périodiques non spécialisés. » (IC,p,222)

Comment peut-on oser le mot submerger après avoir avoué son incapacité à apporter une quelconque démonstration statistique, qui était possible en analysant méthodiquement et non superficiellement la presse ?

            – Outrecuidance de l’analyse et des jugements :

            « L’appauvrissement du discours et des représentations coloniales, qui avaient forgé l’inconscient collectif colonial, marque la ligne historique qui sépare l’avant de l’après-guerre. » (IC,p,222) « L’hégémonie de la propagande coloniale (IC,p,224) Pour cerner de près les réalisations et sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie, nous devons revenir aux sources écrites » (IC,p,227) « Ces images témoignent d’un impérieux ethnocentrisme qui contredit tous les discours sur le respect des cultures et de l’histoire africaines martelés par la propagande. » (IC,p,229) Les images sur l’économie du continent africain qui martèlent dans les mémoires française son infériorité constituent une des facettes de l’idéologie du progrès » (IC,p/230)

            Le lecteur aura relevé les verbes forts forger et marteler. Il doit savoir que cette analyse s’inscrit dans une période où la France a fait un gros effort d’investissement public et non privé, et de planification pour le développement du continent africain. Les gouvernements successifs ont voulu mettre en scène leurs réalisations par une propagande adaptée qu’il conviendrait d’évaluer avec précision dans son volume financier, comparativement à des campagnes de publicité privée, ainsi que dans ses effets sur l’opinion.

            Précisons par ailleurs que cet effort financier n’aurait pas été possible en l’absence du Plan Marshall !

            – Une grande difficulté d’interprétation historique compte tenu de la brièveté de la période politique examinée, neuf années entre la Libération et la guerre d’Algérie, agitée par des conflits coloniaux. D’autant plus que l’Union française avait juridiquement succédé à l’Empire.

            Le lecteur constatera que cette analyse boursouflée est en complète contradiction avec le contenu de la suivante.

JPR –  TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale – 5 (C) – L’Agence des colonies

5 (C)

Propagande coloniale (C)

L’Agence des colonies

            La troisième contribution d’Images et Colonies est précise et rigoureuse : « Un acteur de la propagande coloniale : l’Agence des colonies. »  d’E.Rabut (IC,p,232)

L’auteure a exploité les archives du centre d’Aix en Provence, comme l’a fait sans doute l’historienne Lemaire, et comme je l’ai fait moi-même.

Mme Rabut y faisait l’historique de cette institution avec précision en soulignant dès le départ : « L’évolution des structures, marquée de nombreux soubresauts, reflète les interrogations sur les voies de l’efficacité dans le domaine de l’information coloniale. »(IC,p,232)

            D’abord un Office colonial, puis l’Agence générale des colonies créée par décret du 29 juin 1919, comprenant un service administratif et un service de renseignements. Celui-ci centralisait la documentation fournie par les agences économiques des grands territoires, Indochine, Madagascar, AOF, AEF, Territoires sous mandat, dans les années qui ont suivi la guerre 14-18.

         Par décret du 17 mai 1934, et pour des raisons d’économies, l’Agence fut supprimée. Elle réapparut, comme nous l’avons déjà vu, sous une autre forme, avec le Front Populaire, sous un nouveau nom, et surtout avec une mission tout à fait différente, le Service intercolonial d’information. En 1941, le régime de Vichy a ranimé l’ancienne agence ministérielle, l’Agence de la France d’outre-mer, laquelle sera supprimée en 1953.

            La vie de cette institution n’a donc pas été celle d’un long fleuve tranquille et cet historique fait déjà peser un doute sérieux sur la valeur des jugements abrupts qui ont été portés sur l’efficacité de l’agence en matière de propagande coloniale.

            La même auteure décrit les activités de l’Agence générale et des agences économiques des territoires, statistiques économiques, renseignements, demandes d’emploi, participation aux expositions coloniales, propagande. L’Agence générale disposait d’une bibliothèque ouverte au public et d’un musée commercial.

            Les relations avec la presse sont rapidement évoquées, avec un doute sur leur efficacité, mais nous reviendrons plus loin sur ce dossier

            Nous allons montrer ce qu’il convient de penser des jugements péremptoires que l’historienne Lemaire a porté sur la propagande coloniale et sur le rôle qu’aurait joué l’Agence générale de colonies, chef d’orchestre (avait-il au moins une baguette ?), chargée de manipuler l’opinion, une fabrique de l’opinion, grâce au martèlement du discours, au brouillage des ondes, à son omniprésence dans le temps, et dans l’espace, capable de fabriquer du colonial.

            A la lumière de notre connaissance des institutions politiques, administratives et budgétaires, nous examinerons successivement les institutions et leur fonctionnement, l’évolution de leurs moyens financiers, et surtout dans une échelle des grandeurs des époques considérées, et enfin le dossier des relations avec la presse, dossier que l’historienne Lemaire a monté en épingle, et que nous n’hésiterons pas à dégonfler.

            Nous réserverons notre contrepoint au fameux grain… de riz qui aurait contribué à nous faire manger du colonial.

Les institutions : ont-elles été opérationnelles, aux fins de la propagande, dans leur organisation et dans leur fonctionnement ? Non.

L’agence générale des colonies et les agences économiques des territoires n’ont jamais constitué la machine de guerre de la propagande coloniale volontiers décrite par l’historienne Lemaire et son collectif de chercheurs. Pour qui a pratiqué assez longtemps les administrations centrales, les moyens humains des agences correspondaient au maximum à ceux d’une sous-direction d’administration centrale. Rien à voir avec les machines de propagande des Etats totalitaires !

            L’agence générale était coiffée par un conseil d’administration composé pour partie de représentants de l’Etat et pour partie de représentants des entreprises privées, les agences économiques étant pilotées elles-mêmes par des représentants des administrations coloniales de l’AOF, de l’AEF, de l’Indochine, de Madagascar et des Territoires sous mandat.

            Il convient d’ailleurs de noter qu’en 1926, l’Agence générale comprenait quatre services, un service commun, un service de renseignements, un service administratif, et le service administratif des ports de commerce, Marseille, Bordeaux, Nantes et Le Havre. Au total, 160 personnes, avec une partie de personnels techniques, dont la moitié était affectée dans les ports.(FM/Agefom/408) 

            La structure des agences était celle décrite par Mme Rabut, avec en général, deux services un service administratif et un service de renseignements, avec une fonction de documentation, de relations avec la presse, et ultérieurement de propagande.

            En 1937, année du renforcement de la propagande gouvernementale, après le hiatus des années 1934-1937, les agences économiques de Madagascar, d’AOF, d’AEF, et des territoires sous mandat, comptaient respectivement, 8, 8, 7, et 9 cadres.

            Les rapports d’activité récapitulaient minutieusement, sur un mode militaire, les chiffres mensuels d’activité, nombre de visiteurs, demandes d’emploi, demandes d’information commerciale et industrielle, placement de capitaux, débouchés, exposition d’échantillons de produits…

            En 1932, l’agence de Madagascar reçut 1 006 visiteurs et rédigea 4 719 correspondances, dont 447 pour obtenir de l’information sur les débouchés et 591  sur l’industrie et le commerce. Elle examina 1 538 demandes d’emploi (FM/Agefom/C834)

            Les activités de l’agence d’AOF étaient moins importantes, avec un nombre total de visiteurs de 397 seulement en 1933, et 1 546 demandes de renseignements. (FM/Agefom/C744)

            Le système était plutôt hybride, les agences économiques faisaient partie du réseau d’agences piloté par l’Agence générale, quand elle a existé, mais agissaient comme donneurs d’ordre de commandes de prestations auprès de l’agence générale. Chacune des agences disposait de son propre budget alimenté par les ressources des budgets des différents territoires.           

            Ces budgets n’étaient pas considérables, comme nous le verrons.

            Il convient de noter enfin que le domaine de compétence de l’agence générale des colonies n’a jamais porté sur l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, alors que ces territoires représentaient plus de la moitié du commerce colonial de l’époque.

            Quant au tissage plus ou moins réussi d’un réseau de propagande coloniale, il est exact que les gouvernements, mais surtout dans les années 30 ont donné des instructions aux préfets pour les inciter à faire de la propagande, à faciliter la création de comités de propagande coloniale placés sous la houlette des chambres de commerce et d’industrie ou des unions patronales, surtout dans les années 1936 et 1937.

Pour qui connaît le fonctionnement de l’administration  préfectorale, ce type d’action fait partie du lot quotidien des fonctions des Préfets, mobilisés au coup par coup, en fonction de la conjoncture et de la politique des gouvernements. Il en a toujours été ainsi.

            D’ailleurs, les ministres des Colonies avaient contribué à la mise en place de ce qu’on appellerait volontiers une hiérarchie parallèle, selon les bons préceptes communistes, mais qui n’a jamais eu l’efficacité des hiérarchies parallèles communistes, et sans doute non plus celle de la hiérarchie maçonne, très puissante alors. Hiérarchie parallèle animée par les chambres de commerce et les unions patronales, mais comme les nécessités de la conjoncture et d’une action commune en font créer régulièrement dans l’histoire politique, administrative et économique du pays.

            Les archives (FM/Agefom/851) nous donnent la trace d’instructions ministérielles précises à ce sujet.

            En 1925, une circulaire ministérielle de M André Hesse avait prévu l’organisation sur tout le territoire métropolitain, de comités de propagande qui devaient avoir pour but d’intensifier la vulgarisation de l’idée coloniale.

            Le 30 mai 1930, dans la perspective de la grande exposition coloniale de 1931,  le Sous-Secrétaire d’État aux Colonies Delmont réunit à Paris les délégués des comités de propagande coloniale et des associations coloniales, lesquels existaient dans la plupart des grandes villes françaises. L’ordre du jour était : organisation des comités de propagande coloniale et création d’un lien entre ces comités.

            Ces comités étaient pour la plupart constitués de représentants des chambres de commerce ou d’entreprises intéressées par l’outre-mer.

            A titre d’exemple, le Comité de propagande coloniale de Cherbourg était constitué d’un Comité d’honneur composé du Préfet de la Manche, du Sous-Préfet de Cherbourg, du Maire de Cherbourg, du Président et d’un Vice-Président de la Chambre de Commerce, et son conseil d’administration de représentants des entreprises de la Manche.

            A la réunion ministérielle, il fut envisagé de susciter des comités départementaux, mais avant tout de créer une commission permanente des groupements d’action coloniale.

            Au cours de la séance, le représentant du comité de Bergerac exposa qu’il n’avait pas obtenu auprès des membres du corps de l’enseignement, tout l’appui qu’il aurait désiré pour faire connaître les colonies aux jeunes gens des écoles. Il demandait que le Ministre de l’Instruction Publique donne des instructions à ses subordonnés pour qu’à l’avenir, il n’y ait plus de malentendus. Le représentant de Dijon s’associa à cette demande.

            Le représentant du comité de Lyon y rappela les efforts faits par la Chambre de Commerce, 141 000 euros par an (valeur 2002, un budget très modeste.

            A la fin de la réunion :

            « Le ministre rappelle aux délégués des comités que l’essentiel, c’est de créer autour d’eux une mentalité, une foi coloniale et pour atteindre ce but, les collaborateurs les plus importants sont les instituteurs et les professeurs de collège qui peuvent agir sur l’esprit des enfants…Lorsque cette mentalité coloniale sera créée, la propagande verra ses fruits centupler et le public saura, tout comme en Hollande, que nos colonies permettent non seulement le placement des hommes, mais aussi celui des capitaux (vifs applaudissements) »

            Le lecteur aura constaté, qu’en 1930, la propagande coloniale n’avait pas encore eu les effets escomptés par certains sur l’opinion publique, et que le corps enseignant ne manifestait pas un enthousiasme débordant pour la cause coloniale, alors que nous avons démontré que les livres scolaires n’accordaient pas non plus une grande place aux colonies.

            Le 7 juillet 1930, le Sous-Secrétaire d’Etat aux Colonies adressait une circulaire à Messieurs les Présidents des Comités d’Action Coloniale en leur transmettant le procès-verbal de la réunion du 30 mai, au cours de laquelle il y fut décidé la consolidation, et là, où besoin sera, la réorganisation des comités actuellement existants, voire la création de comités nouveaux, ainsi que la création d’un organisme fédéral, la Commission permanente des Groupements d’Action Coloniale.

            Le ministre écrivait :

            « Je signale par une circulaire adressée ce jour aux Préfets, l’importance de vos Comités, en même temps que je leur envoie copie du procès-verbal de notre réunion, et que je les prie de vous accorder tout leur appui moral et matériel. Signé A.Delmont »

Les Comités locaux d’action coloniale continuèrent à exister au cours des années ultérieures, comme l’indique une circulaire ministérielle du 20 février 1934 qui adresse aux agences économiques des colonies la liste de ces groupements, en invitant les agences à entrer en liaison avec ces comités, en les invitant à vous faire connaître les entreprises  agricoles, industrielles, et commerciales de leur secteur, susceptibles d’acheter les produits des territoires que vous représentez ou d’y écouler les leurs. (FM/Agefom/40)

            Les archives fournissent beaucoup d’échantillons des correspondances échangées entre l’administration, les agences, et les comités. Leur contenu porte sur les informations de toute nature qui alimentaient ce réseau économique, organisation du réseau, relais d’information, liste d’entreprises et liste de produits exportés ou importés, etc…

JPR  –  TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale – 5 (D) – L’avis d’un expert

5 (D)

Propagande coloniale (D)

L’avis d’un expert

            A la session parlementaire de 1928, le député Archimbaud, longtemps rapporteur inamovible du budget des colonies à la Chambre, appelait le pays à faire un effort de propagande « pour parvenir à créer en France une mentalité impériale, le premier effort devait être tenté par la presse, le second par l’école, à tous les degrés d’enseignement… le gouvernement doit tendre à obtenir de la grande presse quotidienne qu’elle accorde à l’information coloniale la place qu’elle mérite, et que les honneurs de la première page ou des « leaders » ne soient pas uniquement réservés à l’exposé des grands scandales coloniaux. » (ASOM)

            A la session de 1930, le même rapporteur du budget consacrait une partie de son exposé à la propagande coloniale :

            « Quelle ignorance le Français moyen n’a-t-il pas à l’endroit de cet admirable domaine ! Que de préjugés à vaincre ! »

            Le rapporteur proposait que la bonne propagande touche l’enfant, le Français au régiment, l’industriel et le commerçant.

            « A l’heure actuelle, les questions de propagande coloniale sont entièrement laissées à l’activité des agences relevant des gouvernements coloniaux. Grâce aux moyens financiers dont elles disposent, les agences ont pu jouer un rôle incontestable. Il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a actuellement aucune coordination dans l’effort de propagande…

            Les questions de propagande revêtent une trop grande importance pour qu’elles ne soient pas placées immédiatement sous l’autorité du Ministre et il est regrettable qu’il n’existe pas encore au Ministère des Colonies un service de propagande, comme il est regrettable qu’un service bien organisé de la colonisation, disposant de crédits suffisants, n’ait pas encore été organisé au sein de ce même département. » (ASOM)

A la lecture de ces textes, le lecteur constatera qu’en 1930, à la veille de la fameuse exposition de 1931, aucun chef d’orchestre n’existait pour la propagande coloniale, contrairement aux assertions de l’historienne Lemaire, qu’il n’existait pas de service de propagande au sein du gouvernement, et qu’un rapporteur du budget des Colonies constatait à la fois l’insuffisance notoire de la propagande et le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies. Il faudra attendre les années 1937 pour qu’il y soit remédié, mais dans une conjoncture tout à fait particulière celle de l’avant-guerre. Nous rappelons que la fameuse Agence générale a été supprimée, sans être remplacée, entre 1934 et 1937 !

            L’Agence n’a jamais été, en tout cas jusqu’en 1931, une « machine à informer et à séduirel’épicentre de l’information coloniale », ou alors un petit épicentre, l’Agence n’a jamais « inondé », elle n’a jamais été capable de « manipuler l’opinion ou de marteler un discours, ni de fabriquer du colonial, » et n’a jamais eu de « stratégie ».

            Il n’y a pas eu de « réseau tentaculaire d’individus, de marchands d’influence  que sont les journalistes », et contrairement au dire de l’historienne, « l’ensemble de cette propagande savamment organisée (n’) a (pas) contribué à bâtir une chape de plomb qui rendit impossible la faculté de penser le réel  de la domination coloniale. »

Comment une telle chose aurait-elle été possible ? Alors que les agences déployaient une activité qui avait plus avoir avec le travail d’une représentation diplomatique ou d’une agence d’information, dont le rapporteur du budget des Colonies reconnaissait qu’elle n’était pas suffisante en matière de propagande, et cela jusqu’en 1931.

            Les agences firent un travail remarquable de documentation générale et économique sur les territoires qu’elles représentaient, mais s’agissait-il de propagande ?

        Des crédits de propagande crédibles ? Dans une échelle de grandeurs crédible ? Encore non !

Nous allons à présent nous intéresser aux budgets de l’agence générale et des agences économiques des colonies, afin de mesurer leur capacité financière d’action en matière de propagande coloniale, car comme nous l’avons déjà relevé, les agences développaient une activité variée, et l’examen rapide de leurs budgets permettra de démontrer que les crédits de propagande étaient très modestes.

            Les subventions des agences  à la presse métropolitaine et coloniale feront, plus loin, l’objet d’un examen particulier, compte tenu de leur caractère sensible, et de l’interprétation qu’en donne l’historienne.

            Tout d’abord, les crédits de l’agence générale des colonies : il faut savoir que le budget de l’agence générale était alimenté par les budgets des colonies, ainsi que les budgets des différentes agences économiques, AOF, AEF, Indochine, Madagascar, et territoires sous mandat. Cela ne coûtait donc pas trop cher au contribuable de métropole, et donc au budget de l’Etat !

            J’ai rappelé à plusieurs reprises sur ce blog que la France, comme l’Angleterre, avait décidé de laisser aux colonies le soin de se financer elles-mêmes.

            En 1923, le budget de l’agence générale était de 1,3 million euros (2002), et en 1926, quasiment du même montant (FM/408). Le budget de l’agence ne représentait pas plus de 0,09 % du budget du ministère des Colonies, 142 millions euros, et plus de 95% des recettes de ce budget provenaient des contributions des colonies associées à chacune des agences économiques. Le budget du ministère des colonies représentait lui-même 0,007 % du budget de l’Etat. (Archives/Finances)

            En 1926, les budgets de l’Indochine, de l’AOF, et de Madagascar, y contribuaient respectivement pour 416 224 euros, 370 480 euros, et 268 137 euros.

            En 1926, l’essentiel du budget de l’agence était consacré aux dépenses de personnel, et le budget des ports de commerce représentait 38% du budget de l’agence.

            Indiquons au lecteur, que le crédit dédié à la propagande coloniale, participation aux foires, expositions et conférences se montait à 10 540 euros.     

          Vraiment pas de quoi inonder le pays de propagande coloniale ! (FM/Agefom/408, chap.16 du budget).

            Rappelons que le commerce extérieur de la France en 1930 (exportations, plus importations) était de 17 500 millions d’euros, dont pour le commerce colonial, polarisé sur l’Algérie, 2 891 millions d’euros. (Empire colonial et capitalisme français, J.Marseille)

            La propagande coloniale au sens strict représentait une fraction infinitésimale du commerce extérieur, dans l’ordre des fractions de millièmes.

            En 1937, année au cours de laquelle le gouvernement décida d’intensifier la propagande coloniale, le budget de cette propagande était de 1,9 million d’euros (FM/Agefom/908), à comparer au chiffre du budget du ministère des colonies, soit 0,005 % de 360 millions euros (Archives/Finances). Le ministère lui-même représentait 0,016 % du budget de l’Etat.

            L’ensemble de ces chiffres situe les ordres de grandeur que l’historien est bien obligé de prendre en compte pour porter un jugement historique sur la propagande coloniale.

            Examinons à présent les budgets des agences économiques pour mesurer leur poids relatif sur le plan financier et économique, et voir la part qu’elles accordaient au poste documentation propagande.

            En 1933, le budget de l’agence de l’AOF était de 681 000 euros. Le poste publicité et propagande se montait à 76 000 euros. Sur ce crédit, les subventions  à la presse de métropole étaient de 56 000 euros. Le montant du budget de l’agence représentait 5,6% du budget de l’AOF, ce qui n’était pas négligeable pour la fédération, mais beaucoup moins significatif sur le plan métropolitain. (FM/Agefom/744)

             Pour donner un exemple, en 1931, année de l’Exposition coloniale, la Ville de Paris avait consacré plus d’un million d’euros à ses réceptions, fêtes et cérémonies. Le budget de la Ville était alors de plus de 2 milliards d’euros, à comparer aux 1,2 millions d’euros du budget de l’AOF.

            En 1934, le budget de l’agence de l’AEF était d’environ 524 000 euros, dont 83 000 euros pour la propagande et les expositions, et le budget de la fédération était de l’ordre de 57,7 millions d’euros, soit 9,9% du budget fédéral, un chiffre relativement important, mais qui marquait à la fois le besoin de cette fédération de se faire connaître, et la disproportion existant dans l’échelle des valeurs entre métropole et colonies. (FM/Agefom/408 et 901)

            Ces budgets étaient sans commune mesure avec les budgets métropolitains, même s’ils pouvaient faire illusion dans leur rapport avec les budgets coloniaux. L’analyse des subventions à la presse confirme cette appréciation et démontre que la presse métropolitaine et coloniale n’était certainement pas en mesure de propager la bonne nouvelle coloniale grâce aux subventions qui lui étaient versées par les agences économiques des colonies.

            Nous ne reviendrons pas sur les affirmations trompeuses de l’historienne quant au rôle et à l’efficacité de l’Agence dans les années 1871-1931, dans Culture coloniale, alors que nous avons vu qu’elle n’avait existé qu’à partir de 1919, et que son activité était loin d’être à la hauteur des jugements rétroactifs de l’historienne.

            Comment est-il possible d’écrire dans ce livre au sujet de cette Agence, et pour la même période :

            « Elle fut par conséquent l’un des plus grands outils fédérateurs de l’opinion publique. » (CC,p,142)

            Et grâce à elle : « Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était-elle parfaitement intériorisée. « (CC,p,147)

JPR – TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? 5 (E) – Agence des colonies et presse française

L’Agence des colonies et la presse française – 5 (E)

            La presse a-t-elle fait œuvre de propagande coloniale ?

 Dans le livre suivant, Culture impériale, et pour la période 1931-1961, même discours de l’historienne :

            « C’est la raison pour laquelle l’apogée colonial des années 1930 se traduit par une véritable promotion de l’idée impériale menée par la République, via son agence de propagande officielle, et largement relayée au sein de la société par le monde scolaire ou d’autres acteurs, en particulier la presse ou le cinéma. » (CI,p,45)

            L’historienne rappelle que l’Agence générale des colonies avait disparu, sans en donner la période, France entre 1934 à 1937, année de création par le Front Populaire du Service Intercolonial d’Information et de Documentation.

            L’historienne donne l’exemple de la presse comme indice de « l’intrusion de l’Empire dans les foyers métropolitains » au cours de ces années, et cite une liste de journaux qui, à la fin des années 1930, étaient destinataires d’articles et de subventions, en écrivant :

            « Cette énumération est loin d’être complète, mais elle révèle l’importance de l’emprise propagandiste sur l’information écrite, qu’elle soit strictement coloniale ou à vocation plus générale, le rapport des montants de subvention étant à peu de choses égal, ce qui atteste de la volonté de toucher le plus large public et non pas seulement une partie de la population déjà sensibilisée. Ainsi avons-nous pu relever cent soixante- dix titres différents qui ont été subventionnés sur les fonds de la propagande coloniale officielle entre 1936 et 1938. Autant dire que ce vaste panel a largement contribué à l’ancrage de l’élément colonial au sein de la société  française, puisqu’on retrouve aussi bien les grands quotidiens ou hebdomadaires de la presse générale ou « coloniale » que les journaux affectant tous les genres et traitant de politique, de religion, d’économie et de finance, mais aussi d’agriculture, de cuisine, s’adressant aux jeunes, aux hommes, aux femmes et à toutes les catégories professionnelles. » (CI,p,51,52)       

Littérature que tout cela ! En donnant l’illusion de la précision intellectuelle et en osant une conclusion historique hardie, une de plus, celle de l’ancrage  de l’élément colonial au sein de la société française ! Rien de moins !

Le lecteur est donc invité à  confronter un tel discours aux pièces à conviction des archives.

            La liste de journaux fournie est, à quelques différences près, conforme au procès-verbal du 29 janvier 1937 et aux suivants de la commission ministérielle qui se réunissait pour attribuer des subventions aux journaux. La liste citée correspondait en gros à moins de la moitié du lectorat de la presse parisienne, et au quart de la presse parisienne et provinciale, cette dernière faisant jeu égal avec la presse parisienne en tirage. Ce n’était évidemment pas mal, mais que représentaient ces subventions pour ces journaux, car il faut donner à la fois donner quelques chiffres et rappeler le fonctionnement administratif du système des subventions.

            En 1928, deux commissions  centrales furent créées, l’une pour attribuer des subventions à des établissements métropolitains de propagande coloniale, directement ou indirectement, les comités de propagande coloniale, la deuxième aux journaux. En 1930, l’attribution des subventions aux journaux et revues fut rendue à l’initiative des gouverneurs généraux et gouverneurs, en précisant qu’il s’agissait des crédits prévus aux budgets locaux pour la propagande coloniale effectuée dans la métropole. ; (FM/Agefom/412-Circulaire ministérielle du 16/04/1935)

            Les deux commissions étaient composées de représentants du ministère et des agences économiques des colonies et territoires.

            En 1937, la presse coloniale reçut au total 184 000 euros pour onze titres (FM/Agefom/412, PV du 29/01/37).

            Les budgets des colonies y contribuèrent pour les montants suivants :

Indochine :      37 000 euros

            AOF :             63 382 euros

            AEF :             33 346 euros

            Madagascar : 37 130 euros

            Territoires :   13 142 euros

D’après le procès-verbal du 26 février 1937, et pour 1936, le total des subventions attribuées à la presse coloniale et métropolitaine avait été de 555 000 euros, le budget prévu pour 1937 étant quasiment identique.

            Dans le même procès-verbal, on relève que le crédit de subvention prévu en 1937 pour les établissements de propagande était de 233 000 euros.

            Situons à présent ces chiffres dans des échelles de grandeur économiques ou financières crédibles, avant de les situer dans le contexte du financement concret de la presse de cette époque, et sans doute encore de la nôtre.

            Tout d’abord par rapport au commerce extérieur des colonies et territoires avec la France. (Revue Economique Française, p.127)

            Ces subventions représentaient par rapport au chiffre du commerce extérieur de 1936, 0,46% pour l’Indochine, 0,82% pour l’AOF, et 1,20% pour Madagascar, ce qui n’était pas considérable en matière de propagande, pour ne pas dire de publicité publique, par rapport aux chiffres d’affaires de leur commerce extérieur avec la métropole.

            Il convient de rappeler que le commerce du Maghreb, Algérie, Maroc, Tunisie, représentait à lui seul, de l’ordre de la moitié du commerce de la France avec l’Empire.

            Il n’est pas superflu non plus de se poser la question de savoir s’il s’agissait de propagande coloniale ou de publicité pour des produits coloniaux, car l’historienne entretient à ce sujet une grande confusion.

            Pour fixer les idées, indiquons qu’en 1937, la Ville de Paris consacrait 1,137 million d’euros à ses réceptions, fêtes et cérémonies, sur un budget de 2,635 milliards d’euros.

            Le lecteur verra plus loin confirmées  les observations faites par les experts sur le peu de coopération que la grande presse manifestait pour la propagande coloniale, et sur le fait que, sans subvention, la presse coloniale aurait disparu.

            Mais il nous faut à présent aller au cœur du fonctionnement concret de la presse de l’époque.

            Citons tout d’abord un extrait des conclusions du Colloque de 1993 qui atteste de la méconnaissance du milieu concret de la presse par certains historiens, de la candeur aussi, et de la sous-évaluation de la paresse journalistique :

            « Quel a été le rôle du Parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré, par exemple, que le Parti colonial ou l’Agence de France d’outre-mer pour le ministère des Colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse. » (C,p,145)

            Mais beaucoup de journalistes ont toujours trouvé plus facile de reproduire purement ou simplement les papiers qu’on leur fournissait gratuitement, quitte à leur donner un léger coup de patte, que de rédiger eux-mêmes leurs articles. Communiqués officiels ou non, dépêches d’agences, ont toujours été les bienvenus dans beaucoup de journaux. Même de nos jours, combien de journaux ne font qu’adapter des dépêches de l’agence France Presse ou Reuters au goût du journal ?

            Les procès-verbaux de la commission citée plus haut font état à la fois de subventions et de rémunérations de correspondants des journaux.

            L’historienne Lemaire relève cette situation dans ses contributions, mais elle était loin d’être surprenante, compte tenu de la grande difficulté que les gouvernements rencontraient pour faire passer de la propagande coloniale dans leurs journaux, comme le notait plus haut l’historien Ageron.

            Il faut citer in extenso un extrait du projet de circulaire du ministre des Colonies, Marius Moutet, extrait qui ne figure pas dans le texte officiel de la circulaire n° 1294 du 11 mai 1937, laquelle valait instruction aux gouverneurs généraux et gouverneurs pour la propagande coloniale, texte sur lequel nous reviendrons.

            Le rédacteur du projet de circulaire écrivait :

            « Venons-en à la question de la presse proprement dite. C’est peut-être la plus délicate de toutes… qu’il s’agisse d’abonnements ou de subventions, il serait puéril de dissimuler que la presse coloniale éditée en France tire la plupart de ses ressources de nos contributions budgétaires, et que la presse métropolitaine, pour autant qu’elle veuille bien s’intéresser aux questions coloniales, considère comme une contrepartie nécessaire le fait de recevoir, de vos budgets, sous une forme ou sous une autre, un concours financier, et d’évoquer le témoignage d’un gouverneur général des colonies qui écrivait : « j’ai la tristesse de constater que les journaux considèrent nos subventions comme une sorte de tribut rendu en hommage à leur puissance et ne comportant aucune obligation de leur part. » (FM/Agefom/908)

Dans sa circulaire ministérielle du 11 mai 1937, le ministre (SFIO) donnait les raisons de la création du nouveau Service Intercolonial d’Information :

            « L’information, l’éducation coloniale du peuple français est une nécessité…On s’est installé dans des habitudes administratives, l’action de la propagande reste modeste, traditionnelle, habituelle ;…Il faut enfin, faire prendre à notre pays, à notre population toute entière, jusque ses couches profondes, jusque dans sa spontanéité populaire, conscience de sa valeur coloniale ou plutôt de sa mission d’enseignement des peuples attardés, il faut révéler à la France sa famille humaine toute entière dans sa multiple variété, dans son étroite solidarité… Certes le dessein est vaste, généreux, il requiert désintéressement, foi, vocation et l’effort d’une génération, mais en traçant le chemin, en marquant la direction, nous aurons amorcé une œuvre qui se réalisera avec certitude. » (FM/Agefom//908)

En mai 1937, il ne semblait donc pas que la situation de la propagande coloniale fut celle décrite par l’historienne, c’est-à-dire mirobolante, alors qu’il restait moins de trois ans avant le début de la deuxième guerre mondiale, qui allait tout changer et tout bouleverser.

            Notons en passant que le discours Moutet n’avait pas beaucoup évolué par rapport à celui de Jules Ferry.

            La circulaire en question fixait des objectifs à atteindre dans plusieurs domaines, la presse, la radio, la documentation photographique, le cinéma, objectifs qui furent poursuivis par le régime de Vichy et la Quatrième République, mais la France était alors entrée dans un autre monde, un nouveau monde

            La consultation de ces sources montre qu’il n’est pas possible de prendre au mot les propos et jugements péremptoires de l’historienne, qui ne correspondent absolument pas à la réalité historique de l’époque.

JPR  – TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? 5 (F) – Regards indiscrets sur la presse

 Regard indiscret sur la presse de l’entre-deux guerres- 5 (F)

            Complétons cette analyse critique en proposant un éclairage sur le fonctionnement concret de la presse entre les deux guerres, à partir notamment des analyses de l’Histoire Générale de la Presse (PUF 1972).

            Dans le monde d’aujourd’hui comme dans celui de l’entre-deux guerres, et compte tenu de son influence, la presse n’a jamais été une société de blancheur et de candeur. Les journaux étaient toujours à la recherche à la fois de lecteurs, et aussi de sources de financement complémentaires, publicité, subventions ou fonds secrets.

            En 1892, le scandale de Panama  avait montré dans toute son ampleur les subventions occultes versées aux journaux, et le Trésor russe n’avait pas ménagé son soutien à la presse française pour faciliter le placement des fameux emprunts russes en 1905, avec des complicités identifiées dans le système politique de l’époque.

            Entre 1919 et 1939, les journaux continuèrent à solliciter des soutiens financiers d’origine diverse. L’usage des fonds secrets se perpétuait : en 1933, le journal de Briand recevait une subvention mensuelle de 56 000 euros, soit un total annuel de 672 000 euros, montant supérieur au crédit de 550 000 euros que nous avons cité plus haut pour le total des subventions  à la presse métropolitaine et coloniale. (HGP/p, 488)

            Dans les années 1930, le gouvernement grec versa des subventions à la presse française, au Figaro, et au Temps.

            Quel que soit l’angle de l’analyse, on voit bien que les budgets consacrés à la propagande coloniale n’étaient pas à la hauteur des enjeux : presque anodins en ce qui concerne la presse métropolitaine, et transfusionnels pour la presse coloniale, dont les tirages étaient modestes, avec des résultats très mitigés, pour ne pas dire négligeables sur l’opinion publique.

            Arrêtons-nous encore un instant sur un cas concret, celui du Petit Parisien, cité par l’historienne. D’après les procès-verbaux de la commission officielle, ce quotidien reçut une subvention de 39 000 euros en 1937. Le prix de vente au numéro était en 1937 de 52 centimes d’euro, ce qui correspond  à l’achat officiel de 75 000  numéros, alors que le tirage quotidien de ce journal était de l’ordre du million. Donc une contribution anecdotique, pour ne pas dire anodine !

            Rapporté au chiffre d’affaires annuel du quotidien, cette subvention était purement homéopathique.

            Le lecteur aura donc pu se convaincre de la distance qui sépare les propos outranciers de l’historienne et la réalité historique : on voit mal avec l’organisation décrite, les budgets dédiés à la propagande coloniale, comment la Troisième République aurait pu réussir à fabriquer du colonial, à convaincre les marchands d’opinion, à obtenir le ralliement populaire au credo colonial. Non, vraiment, trop c’est trop, c’est vouloir faire prendre aux Français des vessies pour des lanternes historiques !

&

« En contrepoint, un grain … de riz et un grain …d’histoire !

Ouf ! Nous avons échappé à la publicité d’Uncle Ben’s et à l’Empire américain dans nos assiettes !

            Mais le lecteur n’échappera pas à notre travail de décorticage du riz indochinois !

            Dans le livre Culture Impériale (CI,p,75), l’historienne nous livre, sous le titre « Manipuler : A la conquête des goûts », son analyse de la propagande impériale à travers quelques cas de produits coloniaux, le thé et le riz, avec pour le riz un sous-titre ravageur

            « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (CI,p,82)

Rien de moins !

            Et dans sa conclusion :

            « De toute évidence, au cours des années 1930-1940, la propagande a accaparé les Français dans leur vie quotidienne et tenté de faire passer l’idée coloniale de la pensée aux actes ? Cette démarche n’était pas neutre puisqu’elle visait à imposer la notion de France impériale dans les pratiques journalières afin de nouer puis de consolider les liens avec l’Empire, avec les « autres » France. Leur consommation aujourd’hui banalisée, constitue l’un des indices de cette culture impériale qui a imprégné pour toujours, jusque dans les assiettes, les mœurs et les habitudes quotidiennes  des Français. (CI,p,91)

Je ne sais pas si Madame Lemaire a interrogé ses parents à ce sujet, mais je n’ai moi-même conservé aucun souvenir d’avoir vu du riz dans mon assiette. Alors faut-il faire appel à mon inconscient ? Mais allons à présent au fond des choses ;

            L’historienne rappelle qu’un comité du riz a été créé en octobre 1931, et que celui-ci « avait choisi d’aller à la rencontre des Français afin de transformer leurs goûts et de les « convertir » au produit. Or la seule façon de faire connaître un produit dont on ignore la saveur était d’offrir au maximum de personnes la possibilité d’en consommer avec la préparation adéquate. Ainsi le Comité a-t-il consacré une large part de son budget à cette tactique.

            Il lui fallait aussi « Façonner les goûts des jeunes consommateurs (CI,p,87)… Les jeux n’échappaient pas à la stratégie globale. Un très bel exemple nous est donné par un jeu de l’oie, pour la réalisation duquel une somme de trois cents mille francs sur le budget de 1932 fut accordée à hauteur d’un million d’exemplaires. Il était porteur de l’ensemble des messages de la campagne… Ce jeu a connu une diffusion importante dans la mesure où un demi-million d’exemplaires ont été distribués dans les principales écoles primaires des trois cent cinquante villes de France ayant une population supérieure à dix mille habitants. » (CI,p,88)

Plus loin, l’historienne écrit : « En effet, au-delà de la publicité commerciale, la propagande était décelable dans les orientations politiques des slogans…. La marque de l’idéologique était prégnante et le slogan transformait alors le programme politique en énoncé. « (CI,p,89)

Le décorticage du riz

L’historienne est beaucoup plus avare de chiffres que de paroles : les seuls cités concernent le fameux jeu de l’oie, 300 000 francs en 1932, soit 150 000 euros (2002).

            Rappelons que le budget de l’agence économique de l’Indochine était de plus de 416 000 euros en 1926, et que sur cette base l’opération jeu de l’oie aurait coûté 36% de son budget, ce qui n’est pas démesuré, compte tenu du poids considérable du riz dans les comptes de l’Indochine, aussi bien pour le budget fédéral que pour son commerce.

            Rappelons également qu’en 1937, la même agence consacra 37 000 euros à la seule presse coloniale. En 1935, le budget de la fédération était de l’ordre de 345 millions d’euros, dont plus de la moitié des ressources provenait du commerce du riz.

            150 000 euros par rapport à 345 millions d’euros, l’effort de publicité était négligeable.

            Quant au chiffre qu’il représente par rapport au chiffre du commerce extérieur total (importations  et exportations de l’Indochine, la conclusion est encore plus éclairante, 150 000 par rapport à 646 millions d’euros en 1935, ou à 902 millions en 1936 et 278 millions pour les exportations. Comme disent les journalistes : il n’y a donc pas photo !

            Il n’a pas toujours été possible de faire des comparaisons à même date, mais les écarts sont tels qu’ils ne sont pas de nature à mettre en cause cette démonstration.

            Quelques mots encore sur l’importance capitale du riz pour l’économie et la vie même de l’Indochine, confrontée en permanence aux aléas de la conjoncture internationale du commerce du riz, de la concurrence des autres pays asiatiques, et en métropole, à celle du blé dont le prix venait en concurrence de celui du riz. (Le commerce franco-colonial-R.Bouvier-1936)

Cet exemple est d’autant plus surprenant  que le riz de mauvaise qualité importé d’Indochine pour soutenir ses cours localement allait dans nos basse-cours.

        Conclusion : cette analyse démontre que la propagande coloniale était plutôt chétive, et qu’elle avait peu de chance  de donner une culture coloniale à cette France coloniale réduite à sa plus simple expression.

            Jr reviens sur le vecteur de la presse, qui s’il avait fait l’objet de  recherches statistiques sérieuses aurait sans doute confirmé les observations faites plus haut. En tout cas, c’est ce que nous avons fait en consultant les quelques mémoires universitaires qui ont été défendus sur le sujet.

            (Chap VII, pages 173 à 209, Sup col)

JPR – TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? Quatrième partie et fin

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ?

Quatrième et dernier mouvement du chemin d’analyse et de réflexion, comme  annoncé sur ce thème

Résumé et plein phare sur le cœur de cible historique, la « propagande coloniale »

Source, le livre  « Supercherie coloniale »

&

En prologue

       De quelle histoire postcoloniale est-il question ? Celle racontée par le modèle de propagande Blanchard and Co !

       Il n’est évidemment pas dans mes intentions d’affirmer que cette catégorie d’histoire est représentative de l’histoire postcoloniale dans son ensemble.

        Il est superflu d’indiquer que je ne suis pas un historien de formation, mais que j’ai toujours été passionné par l’histoire. Je suis revenu vers l’histoire coloniale et postcoloniale, en grande partie par curiosité intellectuelle, pour compléter ma culture générale, mais tout autant, afin de mieux comprendre et juger les discours que tiennent certains historiens à la mode qui surfent sur une histoire postcoloniale qui dénature l’histoire coloniale.

       Mes études universitaires, puis les fonctions que j’ai exercées dans la fonction publique, m’ont inculqué une rigueur intellectuelle que je n’ai pas trouvée dans les ouvrages que j’ai analysés.

         L’histoire postcoloniale du modèle de propagande Blanchard and Co soulève maintes questions sur l’écriture de l’histoire postcoloniale, comparables à celles énoncées et analysées dans le livre de Sophie Dulucq « Écrire l’histoire à l’époque coloniale », un ouvrage qui a fait l’objet de ma lecture critique sur ce blog.

       J’y relevais notamment que la question de « servilité » de cette catégorie d’histoire se posait effectivement, mais par rapport à quel pouvoir ?

      Dirais-je en passant, qu’après avoir lu, et souvent annoté de nombreux récits publiés à l’époque coloniale, le plus souvent par des explorateurs, des officiers, des administrateurs, et par des spécialistes, j’en ai conservé le souvenir de récits d’histoire que je qualifierais de « brut de décoffrage », souvent bien rédigés, qui se contentaient de nous faire part des faits et observations de toute nature qu’ils effectuaient alors dans leurs pérégrinations civiles ou militaires ?

       Elles étaient loin d’être « fabriquées » et représentent encore de nos jours une sorte d’encyclopédie coloniale incomparable, fut-elle quelquefois ou souvent entachée d’un certain regard de supériorité blanche !

        Une encyclopédie écrite et en images, à consulter la multitude de croquis, de dessins, de cartes, et de photographies, un potentiel de récits et d’images qui ne paraissent pas avoir trouvé leur place historique dans les livres critiqués !

       La richesse de ces sources a été complètement mise de côté par ce collectif de chercheurs, qui ont choisi comme source historique un échantillon d’images de type métropolitain, supposé représentatif, ce qui n’est pas le cas.

      Est-ce que ces travaux d’histoire postcoloniale ne sont pas à ranger, comme tous les autres, dans la catégorie des histoires qui correspondent aux situations successives de l’histoire de France ? Avec toujours le cordon ombilical du pouvoir ou d’un pouvoir qui tient les manettes, l’Église et la monarchie, puis la République laïque et ses hussards, puis le pouvoir idéologique du marxisme, du tiers-mondisme, et de nos jours le multiculturalisme.

        La « servilité » est toujours omniprésente, et sert d’une façon ou d’une autre les pouvoirs régnant dans chacune des situations historiques décrites !

      De nos jours, il s’agit du marché médiatique auquel les éditeurs sont évidemment sensibles, tant ils ont de peine à rentabiliser les ouvrages en sciences humaines, en concurrence sur les réseaux sociaux, à tel point que la « mémoire »  remplace souvent l’« histoire » avec un grand H.

       La véritable question posée n’est-elle pas celle du pouvoir ou des pouvoirs de l’Université face à ces nouvelles concurrences ?

        En ce qui concerne les thèses d’histoire postcoloniale, et compte tenu de leur impact idéologique, pourquoi n’exigerait-on pas qu’elles ne soient pas frappées d’un secret de la confession qui enveloppe le travail et les conclusions des jurys, c’est-à-dire le manque de transparence sur la scientificité supposée de ces  thèses d’histoire ?

       Une suggestion pour finir ce prologue ! Pourquoi ne pas disposer d’un deuxième volet de l‘écriture de l’histoire à l’époque postcoloniale sous le titre « Écrire l’histoire à l’époque postcoloniale » ?

      Le lecteur trouvera ci-après un résumé récapitulatif des critiques qu’ont appelées de ma part les discours du « modèle de propagande  ACHAC-BDM », en mettant naturellement l’accent sur le dossier de la propagande coloniale.

         Ce type de récapitulation n’évitera évidemment pas quelques redites des analyses déjà publiées sur ce blog.

Jean Pierre Renaud  (JPR) –  Tous droits réservés (TDR)

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? – 1 – Ivresse des mots et mots-chocs

1

IVRESSE DES MOTS  ET MOTS-CHOCS

         Avant d’aborder le cœur du sujet, pourquoi ne pas citer quelques-uns des  éléments du langage historique auquel il est fait appel ?

        Je rappelle que ces derniers ont été publiés dans les livres suivants : Culture coloniale (2003) (CC), La République coloniale (2003) (RC), Culture impériale (2004) (CI), La Fracture coloniale (2005 (FC), L’illusion coloniale (2006) (IC), avec pour références du « Colloque » de 1993 (C) et du livre « Images et Colonies (IC).

            Sommes-nous ici dans l’histoire coloniale ou dans la médecine de Molière ?

            Introduisons ce petit inventaire à la Prévert, en citant une phrase de La République Coloniale (p,144) : « long serait le florilège de ce qui, dans les discours, poursuit de façon souterraine des régimes d’énonciation structurés pendant la période coloniale. »

A la lecture des ouvrages cités, il est difficile de résister à l’avalanche de leurs mots ou d’expressions, vous invitant rarement au rêve, souvent en coups de feu, un florilège de mots et d’expressions franchement abstrus, pour ajouter à ce mot un qualificatif du grand Hugo, qualificatif aujourd’hui un peu pédant.

            Prenons le risque, non historique, de proposer cette esquisse, en laissant le soin aux spécialistes, aux lexicologues, d’effectuer un travail complet sur le registre de ces mots et expressions.

            Des mots en mal d’évasion ! « Le bain colonial » (C,p,14, Introduction Blanchard-Chatelier (p,14/C) (179/CC), une expression souvent utilisée, alors que dans son acception commune, un bain ne dure jamais très longtemps, sauf dans certaines industries. La profusion des métaphores, des paraboles, des allégories, et le fantôme permanent de l’Autre, toujours l’Autre, la figure indéfinie.

         Le lecteur se rappelle sans doute mon évocation du fandroana, le bain royal des Reines de Madagascar : s’agit-il d’asperger les lecteurs d’une eau lustrale postcoloniale ?

            Une autre formule se veut heureuse : « la colonie est propre, parce que lavée plus blanc ». (IC,p,255)

            Une formulation poétique, mais combien subversive ! « Evanescence idéale des femmes aux seins toujours nus, à l’épiderme foncé (IC,p,255). Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, sur la manipulation des cartes postales mauresques, sur la méconnaissance du nu africain, tout autant que de l’habillé que l’on trouvait aux mêmes époques en Indochine, à Madagascar, ou en Afrique.

            Il ne faut pas avoir lu beaucoup de récits d’explorateurs, d’officiers, ou d’administrateurs qui n’étaient pas obligatoirement « colonialistes », pour l’avoir constaté à maintes reprises. Je le constatais ces dernières semaines et à nouveau dans le récit de la Croisière Noire Citroën en 1924-1925.

            « Nudité, érotisme,… animalité… restent une constante de l’impensé blanc » (IC, p,255). Les blancs étaient donc tous des obsédés sexuels, en tout cas tous ceux qui se trouvaient aux colonies, même les missionnaires ? Pour assouvir leurs fantasmes sexuels ! Les bordels de métropole leur manquaient tant ?

            Si l’anthropologue Gilles Boëtsch feuilletait le livre consacré au dessinateur et peintre, en même temps que bon petit Français, Patrick Jouanneau « MarocAlgérie, Tunisie – Dessins-Aquarelles- Peintures » (Editions Baconnier/Copagic) », il trouverait sans doute ce livre très frustrant, faute de « Mauresques aux seins nus »

            Des mots et expressions en coups de feu !

       L’Agence des colonies (sa propagande) « inondait » (CC,p,139) – « stakhanoviste » (IC,p,230) – « marteler » (IC,p,230) – « pour déconstruire le récit de la République Coloniale » (RC, V) – « le révisionnisme colonial actuel » (RC,p,36) –  « l’impensé colonial » (RC,p,150) – « ce qui signifie que la pensée républicaine n’est pas ontologiquement coloniale » (RC,p,104) – « une société de l’antimémoire coloniale » (RC,p,147) – « la déconstruction des impensés » (FC,p,182) – « érotisation et prédation sexuelle » (FC,p,200) – « à la mémoire du sang qui a abreuvé les villages algériens » (FC,p,236).

            Quelques autres mots savants ou pédants, et décidément abstrus !

          Quelques perles tout d’abord ! « richesses (Chrématistique) », «  formes excessives de jouissance (pléonexia) » (FC,p,143) « les aspects les plus galliques » (FC,p,148) « le vacillement sémantique du mot jeune » (FC,p,280).

        Il y a de quoi effectivement vaciller !

            Dans la description historique supposée de l’époque coloniale : « un espace désormais quadrillé, contrôlé, normé (CC,p,179)- « l’idéal type de l’anthropophage (CC,p,149) – « la majorité des Français ont connu… à travers le prisme déformant de cette iconographie – il semble que ces images soient devenues des réalités… pour une majorité de Français qui ne doutent pas de leur véracité » (C,p,15, Introduction Blanchard Chatelier) – « la torture : elle fut consubstantielle de la colonisation dès ses origines » (RC,p,155) – « sur des dispositifs d’animalisation et de bestialisation de l’autre (FC,p,141) – « la perception de l’autre résulte d’un bricolage identitaire où la mémoire fonctionne comme  filtre » (FC,p,233)

        Comprenne qui pourra un langage aussi obscur ! Mais s’agit-il encore d’histoire ?

         L’ambition du trio d’historiens : « il est temps de décoloniser les images » (IC,p,8) – « et de déconstruire » (RC,p,9)

            Le résultat de la colonisation : « elle a fait rêver cinq générations de Français » (RC,p,11) – « il faut sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie (IC,p,227) – « comment construire une mémoire ? » (RC,p,140) – « une réécriture de cette  histoire tronquée pour rendre compatible l’incorporation de la mémoire à l’imaginaire social » (RC,p,153) – « la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps » (FC,p,200)

         Ou Satan es-tu là ?

       « –Dans la partition sexuée de l’indigénisation contemporaine. » (FC,p,204).

         Tentons à présent d’entrer dans le corps du sujet, c’est-à-dire de plonger dans le « bain colonial » critique.

                 Jean Pierre Renaud   (JPR) –  Tous droits réservés (TDR)

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? Exemples de critique historique : livres de la jeunesse et cinéma

Quelques exemples de critique historique, avant d’aborder le thème principal de la propagande coloniale.

         1 – Les livres de la jeunesse – Un sujet capital pour qui apprécie à sa juste valeur le formatage intellectuel qui peut en résulter, un formatage dont les « hussards noirs » de la Troisième République avaient fort bien compris le sens et l’importance.

        Les chercheurs de ce collectif développent à ce sujet un discours tonitruant qui tendrait à démontrer que l’école laïque de Jules Ferry aurait réussi à modeler l’imaginaire « colonial » des jeunes cerveaux au cours de la Troisième République :

      « Modeler l’esprit des écoliers. Les textes et plus encore les images des manuels scolaires de la 3ème République ont modelé l’esprit de plusieurs générations d’écoliers. » (CC/94)

       Seul problème, les travaux du Colloque savant ne permettaient pas d’en tirer une conséquence aussi simpliste, comme l’historien bien connu Gilbert Meynier le notait lors de ce colloque :

        « L’organisation de la propagande : en fait, sur un échantillon de quatre-vingt-sept manuels d’histoire, la part des colonies reste très modeste si elle ne régresse pas, comme l’a montré Patrick Haus (Mémoire de maîtrise, Nancy, 1990)-(IC, p,113)

      « Le même historien joignait à la page 124 une annexe 2 intitulée : « Pourcentage de la place des colonies dans les manuels d’histoire ». Les chiffres concordent avec ceux d’une étude faite par MM. Carlier et Pédroncini.

         Ces derniers auteurs avaient calculé que ce thème représentait quelques pour cents au cours de la période 1870-1940, dans l’enseignement primaire, supérieur, et secondaire.

        Dans les pas de l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, le même collectif faisait un sort au Petit Lavisse, le petit livre scolaire bien connu, mais les espaces consacrés au colonial, en textes comme en vignettes, représentaient dans l’édition de l’année 1930 moins de 5% sur un total de 182 pages : une culture coloniale à 5% ?

      Dans un  article intitulé « Les colonies devant l’opinion publique française », paru dans la Revue Française d’Outre-Mer, numéro 286, l’historien Charles Robert Ageron écrivait en 1990 :

       « L’étude des colonies avait certes déjà sa place dans l’enseignement, mais une place bien minime… Elle ne l’était pas à coup sûr pour forger cette mentalité coloniale ou impériale que souhaitaient les apôtres de l’idée coloniale »

        Il serait tout à fait intéressant d’avoir le même type de statistique  des livres scolaires patronnés par Sandrine Lemaire, et de mesurer les effets d’une déconstruction coloniale supposée. (Chap I, p, 31 à 63- Sup Col.)

       2 – Le cinéma colonial   Le cinéma colonial a-t-il bien existé et quelle place a-t-il occupée dans l’agenda du cinéma français de l’époque coloniale ?

       « Leur discours :

        Sous le titre « Rêver, l’impossible tentation du cinéma colonial » dans le livre Culture Coloniale, et dans la partie consacrée à la fixation d’une appartenance (après 1914) le critique de cinéma Barlet et l’historien Blanchard, en décrivant la situation du cinéma, écrivent :

         « En s’inscrivant dans la construction d’une  identité nationale, le cinéma colonial a de toute évidence puissamment contribué à la conceptualisation d’un  imaginaire en permanente évolution et encore à l’œuvre dans la France contemporaine. Il a surtout touché un vaste public qui, avec ces westerns coloniaux, va découvrir un monde, une épopée, un espace de conquêtes in connu. Une sorte d’initiation à la France coloniale, ludique et romanesque, où les rôles entre les « gentils » administrateurs, colons, médecins, missionnaires, légionnaires… et les « méchants indigènes » rebelles, fanatiques religieux… sont parfaitement répartis. » (CC, p, 122)

      J’ai souligné les expressions grandiloquentes ou trompeuses : « construction d’une identité nationale » : rien que ça !

       « Conceptualisation d’un imaginaire » dans ce cinéma colonial tout à fait limité en productions dans le temps et des espaces visités ?

      « Vaste public », alors que les deux auteurs se sont bien gardés de donner quelques chiffres documentés sur les films « coloniaux », en distinguant les époques, leur champ géographique, Maghreb ou Afrique, ainsi que les chiffres d’entrées de spectateurs qui ont pu être enregistrés dans les cinémas de l’époque.

       Plus loin, les mêmes auteurs écrivent : « La rhétorique du cinéma colonial découle d’un code proprement manichéen. » (CC,p,124)

        Plus loin encore : « Les schèmes coloniaux se déploient souterrainement dans les consciences, s’ancrent en silence dans les mentalités. «  (CC,p,183)

      Rien que cela ! Nous y voilà ! Le ça colonial !

      Ce qui n’empêchait pas le même historien, en 2005 de déclarer en toute cohérence intellectuelle et « sans doute » historique :

      A l’occasion du Cycle « Colonies » au Forum des Images, l’historien Blanchard a eu l’occasion de s’exprimer sur le cinéma colonial. Il y déclarait le 13 avril 2005 :

     « Toutefois il est certain que cette production est en marge du cinéma français, comme porteuse d’une malédiction en rapport avec le contexte de l’époque. Elle est donc peu diffusée, cachée, et même en grande partie « oubliée ».

      Le lecteur aura noté « oubliée », adjectif qui figurait dans le livre Boulanger. »

      Pierre Boulanger avait publié un livre fort bien documenté sur ce sujet, intitulé « Le cinéma colonial de l’Atlantide à Lawrence d’Arabie » (1975).

     Les lecteurs intéressés pourront consulter les pages que j’ai consacrées à cette critique que je concluais ainsi :

      « Et en conclusion, une grave insuffisance de chiffrage des pellicules et de leur audience comparative ! A croire que la nouvelle école de chercheurs est fâchée avec la statistique ! Absence complète d’évaluation de l’écho presse, ou radio à partir de 1935, que ces films ont reçu à chacune des périodes considérées ! » (Chapitre V, page 142, Sup Col)

     Et à partir d’un corpus très modeste, avant tout maghrébin, des affirmations et conclusions dont le lecteur pourra apprécier la pertinence, l’audace, sinon la mystification.

      Cette école de chercheurs a encore beaucoup de chemin à parcourir pour démontrer, et dans la rigueur de la recherche historique et du raisonnement, que le cinéma a été « un acteur de premier plan du mythe en construction de la culture coloniale en France ». »

JPR – TDR

Propagande postcoloniale contre propoagande coloniale ? « Fragments du jeu académique postcolonial » par Vincent Chambarlhac

L’ACHAC/BDM, fausse ou vraie sirène postcoloniale ?

Le moteur d’une subversion postcoloniale.

2

La sirène ACHAC/BDM

« Fragments du jeu académique postcolonial (à propos d’un collectif, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine, ACHAC)

Vincent Chambarlhac – CAIRN INFO

            « Pour emblématique qu’il soit, le débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 vaut palimpseste, effaçant parce que le réécrivant le texte des polémiques intellectuelles qui contribuèrent à la structuration de la controverse coloniale. Partant, il ne s’agit pas pour autant de restituer un sens caché à ce débat (1), mais plutôt d’évoquer à grands traits un faisceau de pratiques universitaires, éditorialistes et militantes qui concourent à cette structuration dont le nœud gordien serait le lien tissé entre le passé colonial et le présent républicain. Soit l’irruption  des postcolonial studies dans le champ académique. Si l’essentiel de mon propos vise à restituer à une part des acteurs de ce débat leur rôle singulier, le politique dans sa version parlementaire et partidaire demeure en hors-champ de l’analyse. Dans la genèse intellectuelle du débat, ces jeux d’acteurs se saisissent à mes yeux dans l’horizon du postcolonialisme comme enjeu conceptuel simultanément universitaire et militant, à l’orée des années 1990 dans le monde anglo-saxon (2), aujourd’hui en France. Embrasser l’ensemble du champ français du postcolonialisme outrepasse évidemment le cadre de cet article : il se restreint à la part active prise dans le développement de ce champ par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et plus largement le collectif qu’est l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (ACHAC) dans son lien avec l’histoire contemporaine. Dans l’historiographie française, leurs publications, et les stratégies qui les animent, constituent à mes yeux une part des débats en cours sur le postcolonial.

            L’hypothèse d’un transfert culturel ouvre l’analyse : elle n’est pas inédite, reprend un argument souvent brandi dans les débats. Cette hypothèse débouche sur la saisie de deux logiques complémentaires. L’une se situe aux confins des pratiques universitaires et médiatiques ; elle désigne autant un projet qu’une manière de se situer dans le champ de l’histoire universitaire. La seconde désigne l’appropriation politique de la problématique postcoloniale dans l’espace public, et postule que celle-ci participe de l’inscription du postcolonial dans le jeu académique. Toutes deux signalent des lieux et des passeurs par quoi et par qui les débats adviennent, se structurent et s’arriment au champ historique dans la récurrence des polémiques.

L’HYPOTHÈSE D’UN TRANSFERT CULTUREL

        «Sur le fond, ce qui se joue dans ce débat sur le fait colonial tient à ce que l’histoire de ce passé fait aux universaux républicains. Cette position travaille finalement peu le monde colonial : seule importe la métropole. Lié au présentisme des enjeux mémoriels, ce questionnement de la République à partir du fait colonial convoque les apports des postcolonial studies anglo-saxonnes. Ce mouvement, qui commence à partir du débat des années 1990, se déploie à partir de la culture comme objet. Significativement, l’une des premières manifestations de cette irruption des problématiques des postcolonial et cultural studies dans l’historiographie française est la longue recension que Christophe Prochasson donne de l’ouvrage d’Hermann Lebovics pour les Annales HSS (3) ce livre est finalement traduit chez Belin en 1995. Pour Christophe Prochasson, « le retour à une histoire politique passe par la publication » de tels ouvrages (4). C’est dans la conjoncture du renouvellement de l’histoire politique par l’histoire culturelle que se déploient l’appel aux travaux anglo-saxons et, dans le cas présent, la question du postcolonialisme. La situation peut se lire dans la problématique de l’appel au profane : en recourant aux travaux anglo-saxons, une partie des historiens français se distingue dans la reconfiguration en cours du champ historiographique par l’histoire culturelle (5)…

        On peut ainsi risquer l’hypothèse, à propos de la question coloniale, d’un transfert culturel paradoxal… L’irruption des thématiques propres au postcolonial studies bouscule en partie l’histoire du fait colonial naguère pratiquée à partir de l’histoire politique et de l’histoire sociale. Déplaçant sur le sol métropolitain la prise en compte du fait colonial, elle fragilise l’équilibre des découpages jusque-là dominants où l’histoire coloniale occupait un secteur historiographique marginal.(6) Cet appel au profane présuppose l’hybridation des synthèses prévalant, multiplie les controverses possibles puisqu’elle postule dans la trame du national (réduite spatialement au métropolitain) la part du colonial, soit l’argument emblématique des racines coloniales de la république au sens de l’histoire politique.(7)…

          Ici, le rôle de l’ACHAC et des publications qui lui sont liées paraît déterminant. Son action se déploie à la charnière de ces deux logiques. L’une est militante et universitaire ; éditoriale la seconde se marque davantage à partir de 2003 des  signes propres au spectaculaire. Cumulées, ces logiques concourent simultanément à la légitimation universitaire d’une part des travaux d’un collectif au titre du postcolonialisme, et à l’évidence prescriptive de ces thématiques dans l’espace public. Dans son rapport à la société, l’historien parait ici thaumaturge puisque légitimant scientifiquement les nécessités d’une politique de la reconnaissance ; dans son rapport l’historiographie, l’historien paraît là challenger. La possibilité des polémiques et l’impossibilité des controverses naissent de ce positionnement singulier. » (11)    

         Commentaire :   

         Ce quime frappe dans cette analyse fort intéressante du type de problématique historique ou mémorielle rencontrée,  de la nature d’historicité racontée, c’est en arrière-plan, la question d’une historicité légitimée par sa scientificité, et dans le cas présent sa représentativité, sa validation dans une histoire quantitative dans le contexte historique métropolitain de la période coloniale, dénombrement des vecteurs et de leurs effets, mesure de la mémoire « coloniale » post-indépendance,  et d’un transfert supposé entre populations.

        Transfert culturel ou politique, pourquoi pas, mais comment en effet tirer une conclusion, une prescription, à partir du moment où les historiens, les sociologues, les anthropologues, les politologues, et ici les sémiologues, « bâtissent » une histoire ou une mémoire, en fondant   interprétation, mais pis, « prescription », sans évaluation scientifique des sources de validation ?

       Car, tel est bien le cas du discours pseudo-historique tenu par ce collectif.

        Les lecteurs de ce blog qui ont eu la curiosité de lire mes analyses des œuvres d’Edward Said, ont constaté que je posais la question de base du « quantitatif », à savoir si les « structures d’influence » supposées avaient été effectivement mesurées. Indiquons en passant que les travaux d’Edward Said se situent à un autre niveau d’exigence intellectuelle que ceux de ce collectif.

        L’auteur poursuit :

       « Une trajectoire historiographique

        L’ACHAC participe depuis 1989 d’une manière souvent déterminante à la promotion du concept de culture coloniale. La structure de l’association articule le monde de la recherche (Bancel, Blanchard et alii), des écrivains (Daeninck), des cinéastes et des artistes militants, et reproduit en partie la morphologie anglo-saxonne des postcolonial-studies. Son action repose sur des supports variés : l’exposition, le livre, l’article, le documentaire vidéo, la radio…  A l’ACHAC, on peut adjoindre, au moins pour son savoir-faire l’agence les Bâtisseurs de mémoire créée par Pascal Blanchard qui considère l’histoire comme un vecteur de communication au service des entreprises. Les travaux de l’ACHAC ont graduellement balisé l’irruption des thématiques postcoloniales. Ils se déportent progressivement de l’Afrique à la métropole, interpellant alors la République par le biais de la question coloniale. »

         Commentaire :                  

       Le texte ci-dessus est intéressant parce qu’il pose  plusieurs problèmes : – sur le qui fait quoi entre l’associatif, ou le public, et le privé, c’est-à-dire sur le mélange des genres, d’autant plus que Pascal Blanchard était répertorié dans un laboratoire du CNRS de Marseille ?

  • Sur le sens à donner à la dernière phrase sur le déport progressif de l’Afrique à la métropole… par le biais de la question coloniale »   

      A proprement parler, le déport n’a pas été fait de l’Afrique à la métropole, mais de la métropole à la métropole, à partir d’un corpus de représentations coloniales diffusées en métropole, des représentations qui n’avaient pas été manipulées par le Colloque savant de janvier 1993, comme le fit l’ACHAC.

        L’auteur découpe trois étapes :

       « Trois étapes marquent ce processus

        Dans une première phase, les travaux de l’ACHAC procèdent de la mission fondatrice de l’association, organisant autour de la bibliothèque de documentation internationale (BDIC) et de ses fonds des expositions sur l’Afrique coloniale. Le choix d’une entrée par la culture coloniale implique l’étude des représentations métropolitaines sur le fait colonial. Le catalogue d’exposition prend ainsi comme cible la propagande coloniale, mais aussi dans le sillage d’Edward Said, le regard des Occidentaux sur l’Orient, et ce jusqu’en 1962. L’empire colonial français fut également en 1997, l’objet d’une exposition.

       A partir de ce capital, une inflexion décisive se dessine avec la publication d’un ouvrage collectif consacré aux zoos humains. Ici, la traduction spatiale s’achève. La métropole seule importe comme cadre géographique des représentations coloniales, et la séquence chronologique embrassée par le titre (De la Vénus hottentote aux reality shows) signifie la pertinence d’une grille de lecture postcoloniale. Ce travail sur les zoos humains fut préparé par la publication d’un ouvrage portant sur la continuité de l’indigène à l’immigré. Les travaux d’Abdelmalek Sayad innervent cette problématique. L’essentiel de cette translation tient à sa dimension anthropologique où les représentations du corps, ses usages, deviennent le lieu déterminant de l’analyse. La problématique se noue à la discrimination positive, où le corps vaut marqueur social ; elle établit également un pont avec la question de l’esclavage. Au cours de cette seconde étape, l’approche s’institutionnalise scientifiquement par la création du groupe de recherche GDR CNRS 2332 « Anthropologie des représentations du corps » créé en janvier 2001 dans lequel entre l’Agence des Bâtisseurs de mémoire, représentée par Pascal Blanchard et Eric Deroo. Au cours de cette seconde étape, les problématiques employées se resserrent, à partir du concept de culture coloniale, sur la question du rapport à la métropole en termes de représentations. Les objections de Claude Liauzu à ces travaux désignent cette réduction du fait colonial au seul registre des représentations métropolitaines. A ce stade également, l’argument de la culture coloniale s’entend dans la configuration plus ample du succès d’une histoire des représentations dans le champ historique où Sylvain Venayre décèle la fin de la soumission du monde mental au social. Le propos de Claude Liauzu procède en partie du refus de cette fin, comme d’une historiographie aux paradigmes érigés avant le tournant culturaliste.

        La troisième étape voit la systématisation de cette entrée sur le fait colonial maintenant placé au cœur du récit national républicain. L’argument d’une République coloniale publié sous forme  d’essai prolonge la trilogie des Editions Autrement sur la culture coloniale. La publication en 2005 de l’ouvrage consacré à la culture coloniale clôt momentanément cette étape. Avec ce dernier opus, la grille postcoloniale se donne comme une clé d’explication possible de la question sociale contemporaine…Cinq ans plus tard, le volume Ruptures coloniales. Les nouveaux visages de la sociétéfrançaise  procède du même mouvement…

            Cette relecture de l’histoire politique au miroir du colonial emprunte nombre de ses arguments au questionnement des colonial studies anglo-saxonnes comme en  témoignent les entrées de Ruptures postcoloniales. Les racines intellectuelles d’un collectif s’affirment face à la polémique dans le champ scientifique ouverte par l’irruption de ce postcolonialisme académique.

      Ainsi ramassée, cette trajectoire historiographique nouée autour des publications de Nicolas Bancel et de Pascal Blanchard montre comment ceux-ci peuvent apparaître comme des passeurs dans le cadre d’un transfert culturel des problématiques postcoloniales. Peu à peu autour de leurs publications, s’ébauche un système éditorial qui construit progressivement leur position dans le champ universitaire à partir d’une critique sans cesse plus resserrée des représentations républicaines. En ce sens, leurs travaux s’apparentent à l’émergence d’une nouvelle génération de  chercheurs légitimant ces nouveaux champs de recherche par l’appel aux cultural studies. Les controverses universitaires suscitées par ces travaux construisent également par leur médiatisation, la réputation de ces chercheurs. Cette stratégie part des marges de l’institution universitaire (l’ACHAC, l’agence les Bâtisseurs de mémoire), elle trouve des points d’appui dans le monde universitaire anglo-saxon et se nourrit de chantiers proches tel celui de l’esclavage pour proposer in fine une autre écriture du récit républicain. Ce système éditorial ne set pas seulement cette position historiographique. La stratégie qui anime son progressif développement structure pour  partie la réception des problématiques postcoloniales dans l’espace public, ouvrant ainsi intellectuellement la voie à une appropriation large de ces travaux, questionnant le rôle social de l’historien dans la CitéLes enjeux politiques de l’histoire coloniale (de Mme Coquery-Vidrovitch , sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard ne cessent ainsi de scander dans l’espace public la question du postcolonialisme depuis 2005. Nécessairement celle-ci n’est donc pas uniquement académique, accolant ainsi systématiquement à la figure du chercheur celle du militant. L’assomption des propositions historiographiques de l’ACHAC tient à ce moment politique où la colonisation est convoquée dans l’espace public.

             Commentaire :

             Comparé à ces historiens entrepreneurs d’un nouveau genre, et pour les initiés, l’historien Lavisse était un ange !

        Il faut dire les choses, et pas à demi-mot, face à beaucoup de ces chercheurs qui ignorent beaucoup de choses, sur l’histoire coloniale et postcoloniale, mis à part le cas de l’Algérie, grâce, entre autres, au zèle médiatique et mémoriel de Benjamin Stora, animateur du modèle de propagande des Raisins Verts, que j’ai qualifié ainsi dans une de mes chroniques, l’agit prop d’un nouveau Trotskisme, faute de l’autre !

        Est-ce qu’ils ne sont pas définitivement fâchés avec les chiffres, ceux de l’histoire quantitative ? Ont-ils eu la curiosité, comme je l’ai fait, de tenter de mesurer l’activité des vecteurs d’une culture coloniale supposée, ainsi que de leurs effets qui n’a jamais existé ?

        Histoire, mémoire ou plutôt politique, car ce collectif fait semblant d’ignorer l’importance des flux d’immigration régulière et irrégulière qui sont venus dans notre pays depuis près de trente années, dont une majorité d’entre eux ignoraient presque tout de leur histoire coloniale.

         Il faut donc dire que ce collectif surfe depuis le début sur un créneau politique nouveau, un nouveau « marché », comme les analyses sérieuses l’ont démontré, en pratiquant un mélange des genres entre associatif, public et privé, surprenant et choquant pour tout connaisseur des affaires publiques.

       Le nom de baptême que l’auteur a décerné à Mme Coquery-Vidrovitch m’est allé droit au cœur : « sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard », car il s’agit bien d’une « sorte de guerre » masquée, qui ne dit pas son nom, mais qui sait y faire dans la marchandisation de l’histoire, à supposer quand même qu’il s’agisse bien d’histoire.

      Jean Pierre Renaud