« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie – suite c

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite (c)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Sont cités Derrida, Althuser, Cixous, Rancière, Badiou, Braudel, Charles-André Julien, Lacoste, Bourdieu, Bernard-Henri Lévy, Jambert, Stora…

           « La critique radicale du système républicain français, et par extension de l’Occident, est un legs compl                                                                             exe du XXème siècle.  A la génération suivante, après 2010, la déconstruction est à son tour la cible de nouveaux idéologues et polémistes. S’il est difficile de statuer sur l’ampleur et le devenir de cette nouvelle critique idéologique, au moins peut-on remarquer que ses principaux promoteurs Eric Zemmour ou Robert Ménard, gardent un  gros tropisme algérien, du fait de leurs origines… La capacité de cette terre à produire de l’idéologie est peu commune. » (p,248)

           Pourquoi ne pas rapprocher cette dernière phrase avec le titre du livre de Sudhir Hazareesingh  « Ce pays qui aime les idées » Histoire d’une passion française » ?

          Sauf que dans ce beau débat des idées, silence sur les Gardes rouges de Mao, sur la génocide cambodgien, ou encore sur l’écroulement du rêve marxiste,  pour ne pas dire de la dictature marxiste !

          L’historien enchaine sur la liste des politiques qui ont partagé le même sillon idéologique : »De François Mitterrand à François Hollande : le lourd passif des générations d’après 1981 » (p248)

        « Mai 1968 fait surgir à Paris une nouvelle génération sur la scène politique et sociale, qui entre dans les palais nationaux en 1981 », avec des hommes et des femmes qui ont une filiation avec l’Algérie : Daniel, Julliard, Guillebaud, avant que ne viennent Plenel, Amar, Elkabbach…

            « L’alternance de 1981 amène au sein du monde politique une génération porteuse de la mémoire algérienne, et des combats perdus ou inachevés que l’on pensait enterrés. Des militants, intellectuels et responsables nés dans l’empire colonial s’imposent au parti socialiste. » (p,249)

      Sont cités Dray, Attali, Guigou, Mélenchon, Strauss-Kahn, Quilès, Bartolone, Delanoë, Royal…

        « Ils forment un groupe invisible, relié par des préoccupations, des héritages, une vision de la France et du monde qui les distingue et les soude. Conscients ou inconscients de cet héritage colonial, de ses rêves, de ses fantasmes et de son fiasco. Ils poursuivent ce combat par d’autres voies. » (p,249)

          Cette analyse appelle de ma part deux réserves, la principale étant celle de la confusion conceptuelle qu’elle est susceptible d’entretenir entre le domaine algérien, par extension, le domaine maghrébin, et le domaine colonial en général, une des objections majeures que j’ai formulée à maintes reprises sur le discours mémoriel ou historique que tient, depuis des années, Monsieur Stora dans les médias, historien à la fois politique et médiatique, la seconde portant sur le rôle de l’inconscient dans cette affaire.

         Mes lecteurs savent combien je suis très réservé sur cette irruption de l’inconscient dans notre histoire de France, notamment lorsqu’il qu’il s’agit de « l’inconscient collectif » cher à Mme Coquery-Vidrovitch , laquelle a eu aussi, sauf erreur, des affinités avec ce groupe intellectuel.

       Extension du domaine algérien, oui, car l’auteur est un très bon connaisseur de la Tunisie, mais surtout du Maroc, et la page qu’il consacre à ces deux territoires l’illustre bien :

        « Repli sur le Maroc et la Tunisie, pour le meilleur et pour le pire » (p,253)

       « Forts de cette histoire algérienne puissante et cruelle, le Maroc et la Tunisie ont joué leur partition, en détournant en partie vers leur territoire et leur économie les mannes refusées par l’Algérie. De nombreux pieds noirs et juifs algériens aisés ont investi au Maroc et en Tunisie, et y ont pris leurs habitudes touristiques ou de villégiature.

          La liste est longue des personnalités et réseaux que le Maroc et la Tunisie sont parvenus au fil des décennies, à séduire et à fidéliser, pour leur plus grande protection en France, dans le cadre de ce que l’on qualifierait aujourd’hui de lobbying… Les journalistes font l’objet d’une approche particulière, car leur influence est durable et leur rôle de médiateur est irremplaçable….

      « Les amis du Maroc » ont peut-être modifié leurs habitudes, mais la conspiration du silence et de l’amitié est demeurée intacte. Sous Mohammed VI, les personnalités de très haut niveau qui côtoient le Maroc, au Parti socialiste, au centre, à l’UMP et au Front national, n’ont peut-être jamais été aussi puissantes et nombreuses dans l’establishment politique français. Journalistes, hommes politiques, grands patrons, auxquels s’ajoute désormais la « tribu » des stars franco-marocaines, déploient une commune passion marocaine. » (p,254)

         En ce qui concerne ces dernières années, j’y ajouterais volontiers la liste des ministres ou secrétaires d’Etat qui ont la double nationalité, française et marocaine.

        La description qui est faite de ces relations est tout à fait éclairante, et renvoie par exemple pour le Maroc à une interview du même auteur, qui dans le Figaro ou le Monde, soulignait le rôle du Rif dans le trafic du haschich en France, avec sa corrélation, le nombre de nos jeunes que la consommation de hasch conduit dans nos hôpitaux.

         Ajouterais-je en finale que les élites postcoloniales qui sont en cause sont celles dont les origines sont liées à l’ancien monde colonial et au nouveau monde néocolonial.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie – suite d

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite (d)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

         Chapitre XV « L’effet générationnel : rejet colonial, ignorance de l’Afrique et illusions tiers-mondistes » (p,257)

        Arrêtons-nous un instant sur le titre et sur les mots « effet générationnel », « rejet colonial », « ignorance de l’Afrique » :

      « ignorance de l’Afrique » certainement, mais aujourd’hui comme au soi-disant beau « temps des colonies » ! « L’effet générationnel » n’est pas lié à une nostalgie des colonies, mais aux effets de la désastreuse guerre d’Algérie qui a conditionné le mental de la plupart des acteurs idéologiques et médiatiques de la période en question, avec cette mauvaise conscience qu’ils ont diffusé, instillé, sur fond de marxisme encore en vogue, de maoïsme révolutionnaire, ou de tiers-mondisme partagé.

       Régis Debray en fut un des héros, et il devrait éprouver au moins la satisfaction de voir que certains bureaux de tabac vendent des briquets à l’effigie de son ancien ami Che Guevara que personne ne connait aujourd’hui.

        Le propos de Philippe Bernard, journaliste du Monde est intéressant à citer :

       « Un quart de siècle après, relire « Le sanglot de l’homme blanc » (Seuil, 1983) est une expérience fascinante. A quelques pages près, ce traité de la culpabilité occidentale se parcourt à la fois comme une œuvre prémonitoire et comme un livre d’actualité. Droit à la différence contre égalité, autodénigrement postcolonial contre refus de la repentance, et bien sûr, Sanglot de l’homme blanc contre responsabilisation des pays du Sud : les principaux débats qui agitent la société française, et singulièrement la gauche, depuis vingt-cinq ans sont non seulement annoncés, mais décortiqués et tranchés. » (Le Monde du 14 août 2008) (p,265)

      « Rejet colonial » ? Oui, et toujours si l’on admet que l’Algérie coloniale renferme toute l’histoire coloniale, ce qui n’est évidemment pas le cas.

     L’auteur n’échappe pas toujours au mirage algérien, en écrivant :

     « Dans les années 1960, pieds noirs et rapatriés ont plongé dans le silence de la société française. A de rares exceptions près, leur expérience sociale et économique de l’empire se dissout, ne profitant pas à une société longtemps indifférente, ni aux élites. 1962 est une coupure générationnelle…. La mondialisation qui se poursuit…. Dans ce nouveau monde, l’Afrique et le sud de la Méditerranée devient des objets d’engagement, de déploration, mais aussi de sensationnalisme. » (p,258)

        J’ai souligné quelques-uns des mots utilisés, car ils sont de nature à entretenir une confusion dans les interprétations historiques : 1) il y eut peu de rapatriés, en dehors de ceux d’Algérie, 2) l’empire, quand, pour qui, et où ? 3) Afrique, sud de la Méditerranée ou Algérie ?

        Le chapitre raconte rapidement les aventures des pieds rouges, celles des Français ou des Françaises qui sont venus à l’aide du nouveau régime algérien, celui du FLN, de brèves aventures :

      « La plupart de ces pieds rouges quittent en silence ce pays rétif. Soumis à la surveillance des autorités, parfois traqués, voire battus ou expulsés, ces gêneurs déplorent un chauvinisme arabe, le communautarisme musulman qui les rejette. Puis à partir de l’été 1965, ils assistent au retour de la torture à grande échelle, exercée par la Sécurité militaire. Cela révolte les pieds rouges encore présents, même si certains y voient une phase robespierriste. Nombreux sont ceux qui retrouvent sans joie leur pays. Ils avaient cru le quitter sans retour, ils y reviennent  dans l’indifférence et l’incompréhension générales. Eux aussi ne sortent du silence qu’à partir des années 1990. » (p,261)

         L’auteur avait noté auparavant : « Ils veulent néanmoins y croire. Coupés de l’opinion française et portés par une gauche pro-algérienne, ils doivent réprimer leurs doutes, même si des voix s’élèvent… » (p,259)

        « Critique idéologique du tiers-mondisme » (p,264), « critique économique de l’aide au développement » (p,266), « La désillusion vis-à-vis de l’aide publique et des ONG »(p,268), « L’Afrique vue  de loin, entre mauvaise conscience, misérabilisme et sensationnalisme » (p,270), « Comment la France a perdu l’Afrique ? »(p,273)

         J’hésiterais une fois de plus à conclure ce type d’analyse par l’appellation « Afrique »,  parce que l’expression « perte » de l’Afrique,  précisément à lire l’ensemble des analyses qui ont été faites, et en dehors de l’Algérie, et de la guerre d’Algérie, n’a jamais concerné qu’une toute petite élite, et mériterait, à elle seule,  plus d’un commentaire.

         Rien à voir entre l’ancienne Afrique noire française et le Congo Belge,  et encore moins avec l’Empire des Indes !

Chapitre XVI « Illusion économique et mirage touristique » (p,273)

     « Quel est le regard que les Français portent sur l’économie de leurs anciennes colonies ? »

     Cette première phrase est surprenante pour un Français qui pense et continue à penser que les Français n’ont jamais eu l’esprit colonial, et qu’une toute petite élite de spécialistes, politiques ou économiques, pour ne pas écrire capitalistes, savaient à peu près ce en quoi consistait cette économie.

       Leur demander aujourd’hui ce qu’ils pensent du sujet a donc peu de sens : de quels Français s’agit-il ?

          La question est encore plus surprenante pour un lecteur qui a une certaine culture historique et économique des colonies : je renverrai simplement à la lecture du gros livre de plus de 800 pages, intitulé « L’esprit économique impérial », sous la direction de Hubert Bonin, Catherine Hodeir et Jean François Klein, (2008 – SFHOM), un livre que j’ai commenté.

         Cet ouvrage est une démonstration, s’il en était besoin, du poids marginal que l’économie coloniale eut dans l’économie française, sans évoquer les effets négatifs de certaines niches métropolitaines protégées en dehors de toute évolution nécessaire.

         « « Du « repli sur l’empire » des années 1930, décennie noire pour l’économie française (avec un commerce extérieur marginal pour la France), à la création par étapes d’une zone franc en Afrique, entre 1939 et 1972, (elle n’existait pas alors ?), l’héritage d’un isolat économique est manifeste. L’Indochine a été une colonie d’exploitation économique (notamment pour l’opium et le caoutchouc), Madagascar et l’Afrique ont été très peu investies économiquement (hormis quelques huileries et sucreries) Dans ces territoires, la population européenne était infime. L’Algérie était un cas à part. (ce futeffectivement tout le problème). La population européenne nombreuse et plus aisée que les « indigènes » y possède un niveau de vie inférieur à la métropole. Seuls le Maroc, qui bénéficie du régime de la porte ouverte depuis 1906, et secondairement la Tunisie et le Liban (ancienne colonie ?), sont livrés à des intérêts financiers et capitalistes. Mais les effets d’entrainement et de développement restent concentrés dans le temps et l’espace (à Casablanca, Tunis et Beyrouth). »

         L’auteur rappelle les travaux de Jacques Marseille d’après lequel les colonies « n’ont pas fait l’objet de gros investissements métropolitains avant les années 1950… », lequel estimait que « le déficit global de la colonisation en Afrique est estimé à 70 milliards de francs or (franc courant 1913) pour la France, soit trois fois le montant de l’aide Marshall qu’elle a reçue. D’où le titre de son ouvrage : le « divorce » entre capitalisme français et empire colonial… » (p,273,274)

        J’ai expliqué ailleurs que dès les années 1900, le principe de financement de l’équipement des colonies était celui de l’emprunt (identique au régime anglais), garanti éventuellement par le Trésor français, et que ce fut la création du FIDES qui, grâce à des fonds publics, et non privés, (avec la contrepartie Marshall) qui permit de financer l’équipement de l’Afrique noire.

        Comment ne pas reconnaître toutefois que les richesses et les capacités de développement de ces territoires n’étaient pas comparables avec celles de la Gold Coast (Ghana), de la Nigéria, ou du Congo Belge, pour ne pas parler des Indes anglaises ?

         L’auteur note à juste titre qu’il s’agissait d’un capitalisme de niche, de « coups et de rente », en tout cas pour la période postérieure à 1945.

       Triste bilan donc !

       « Aucun pays développé »

       « Au début du XXIème, le bilan économique des pays autrefois colonisés par la France est médiocre… Enfin, parmi les 25 derniers pays du monde, qui possèdent un produit intérieur brut à parité de pouvoir d’achat inférieur à 1 301 dollars en 2009, on compte 9 anciennes colonies françaises d’Afrique… Sur les 25 pays les plus pauvres du monde, une majorité de13 sont francophones. » (p,282)

        J’ai envie de dire : cherchez l’erreur ou relisez l’ouvrage du géographe  Richard-Molard sur l’Afrique Occidentale, ou encore le livre d’un autre géographe Weulersse consacré à son voyage en Afrique de l’ouest au centre, et du centre au sud, afin de comparer la situation coloniale et internationale de l’Afrique noire des années 1930.

         Ajoutez à ces ingrédients structurels l’explosion démographique des cinquante dernières années, qu’évoque d’ailleurs l’auteur, et vous aurez quelques éléments de compréhension de l’évolution décrite.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Lecture critique : deuxième partie

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

II

Deuxième partie (pages 103 à 223)

« Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites » (p,103)

« Des violences de la décolonisation à un tiers-mondisme sans scrupule. »

            Une partie très riche en contenu, peut-être trop riche.

        L’auteur a déjà abordé le sujet, mais est-ce que les mots utilisés, les appréciations,  pour décrire les situations coloniales des années 1960, les mots « élites », le titre du chapitre VI « Désintégration des espérances du « décolonisé (p,11), les « illusions perdues » (p,113) la tonalité générale de ce chapitre, traduisent bien les situations concrètes de ces territoires, compte tenu de tout un ensemble religieux, culturel, et politique qui structurait alors ces territoires, avec des élites plutôt maigres et des « citoyens » qui dans leur immense majorité ne savaient pas ce qu’était un Etat national ou une démocratie.

        Après cinquante ans d’indépendance, une première conclusion est proposée par l’auteur :

        « Un demi-siècle d’indépendance ne suffit pas à réaliser quatre objectifs concomitants : une scolarisation généralisée ; le maintien d’un niveau d’enseignement suffisant ; la formation efficace et en nombre d’une élite de cadres ; la formation professionnelle de techniciens et d’ouvriers spécialisés. La crise de l’enseignement et le chômage des diplômés, devenu depuis les années 1980 un véritable drame social au Maghreb, occulte le fait que les secteurs intermédiaires de la formation sont encore plus mal lotis que les filières supérieures. » (p,119)

       L’auteur en tire la conclusion concrète :

     « Du nationalisme à l’émigration ou comment « voter avec ses pieds » (p,119)

       Il serait intéressant de connaître les nouveaux Etats qui se fixèrent ces quatre objectifs.

        Le chapitre VII montre la complexité de toute analyse avec un « Etat bien patrimonial », la corruption, que Jean-François Bayart analyse en termes d’allégeance et de soumission, lequel « va jusqu’à affirmer qu’il n’y a pas de « corruption », puisqu’elle fait partie du système d’allégeance et de rétribution privative. Cette analyse est tout aussi pertinente au nord de l’Afrique. » (p123)

      L’auteur intitule son chapitre VIII : « Permanence et domination des sujétions personnelles » (p,137)

      Ce chapitre donne un bon exemple de l’immense écart, sauf sur la côte et dans leurs nouvelles cités, entre ces nouvelles élites et leurs peuples, celles que l’auteur appelle « les nouveaux colons ».

       Le chapitre est introduit par l’évocation du rôle de Fanon, mais il serait intéressant de pouvoir mesurer quelle fut alors son audience, aussi bien en France qu’en Afrique, laquelle fut, à mon avis, plutôt limitée.

      Combien a-t-il vendu de livres avant les indépendances ? Quelle place a-t-il occupé dans la presse française ?

     La description qui est faite du monde africain après les indépendances en relève à la fois les particularités et les difficultés rencontrées pour entrer dans ce que nous appelons le monde moderne : « confusion latente entre les figures de l’autorité religieuse, paternelle, étatique et policière », les « figures anciennes de la soumission », « le patriarcat », « la suspicion de clanisme, voire d’ethnicisme en politique est forte » (p, 148), etc…

        Dans le chapitre IX « Des indépendances aux « nouveaux colons », les pièges de l’acculturation » (p,153), l’auteur donne quelques exemples de la griserie qui saisit ces élites une fois au pouvoir, pris dans les turbulences, les lumières, et les ombres d’une nouvelle société internationale qu’ils découvraient, entre autres, la jetset.

        « Chausser les habits et investir le palais du colonisateur » (p,158), « Frayer avec les fonctionnaires et les élites gouvernementales internationales » (p,161), « La tentation de la jetset de Paris à Marbella »

         J’ai retenu évidemment la citation qui est faite de la relation Bouteflika- Jean Seberg… (p,163), l’attraction du monde de Marrakech avec le tandem Bergé-Saint Laurent…mais plus intéressante me semble être l’évocation du rôle du Ministère de la Coopération dans cette évolution :

       « Pour les Africains, les capitales et les modes de vie occidentaux représentent un saut qualitatif et culturel encore plus grand que pour les Méditerranéens. Mais en période de guerre froide, les représentants du tiers monde sont choyés par leurs alliés. La rue Monsieur, siège du ministère de la Coopération, installe un  système de clientélisme avéré. De mauvaises habitudes se prennent, à tel point que sous Giscard ou Mitterrand, nombre d’ambassadeurs de pays africains pauvres se font payer des extras, voire leur salaire et leur train de vie par la coopération ou le gouvernement français. » (p,162)

       L’auteur conclut ce chapitre en posant la question : « Une seconde indépendance, le tournant arabiste des années 1970 ? » et vingt années plus tard en écrivant :

      « La guerre civile algérienne des années 1990, djihadistes contre « nouveaux colons » (p168)

      La « décennie noire »… une guerre à huis clos. Les images de cette guerre de 200.000 morts publiées dans les médias internationaux sont rares…. Les journalistes étrangers étaient interdits d’accès au pays. (p,168)

       Un seul commentaire sur le black-out complet de cette deuxième guerre civile, sans comparaison avec celle des années 1954-1962, que certains auteurs ont appelé la guerre sans nom.

       Il ne semble pas que le chiffre des algériens qui se réfugièrent en France ait jamais été publié, alors qu’il fut important.

      Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Lecture critique: deuxième partie fin

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Deuxième Partie (pages 103 à 223)

II

 Suite

             Le contenu du chapitre XI « Servitude volontaire ou silence contraint des intellectuels ? » (p,187) est très intéressant parce qu’il met le doigt sur un des aspects souvent ignorés des relations, pour ne pas dire les complicités, les connivences, entre intellectuels français et intellectuels maghrébins,  entretenant des réseaux d’influence plus facilement dans l’ancienne métropole que dans leur propre pays, comme ce fut déjà le cas avant les indépendances.

       Je serais tenté de dire que ces réseaux transfrontières d’intellectuels ont toujours eu plus d’influence dans notre pays que dans les anciens ou nouveaux territoires   sortis de la mouvance française.

      « Le rôle des intellectuels marxistes et coopérants européens » (p,189)

       « Après les indépendances, une nouvelle  génération de jeunes intellectuels européens s’engage au service des nouveaux Etats, directement ou par le biais de la coopération. Le catholicisme et le communisme sont deux viviers d’engagement pointés par Catherine Simon dans son livre sur les pieds-rouges d’Algérie, mais c’est identique en Afrique. Dans le monde arabo-berbère, la connexion entre marxistes s’opère avec le intellectuels restés sur place), tandis qu’en Afrique, la jonction passe par les missions, écoles et dispensaires religieux répartis sur de vastes territoires, agents essentiels et à leur insu de la francophonie. » (p190)

        L’auteur donne la liste des intellectuels marqués par leur engagement : Pierre Bourdieu, René Gallissot, Annie Rey-Goldzeiger, Monique Gadant, l’agronome Paul Pascon à Rabat, André Nouchi àTunis, etc..

         « Les marxistes ne sont pas seuls au Maghreb, où travaillent ardemment jésuites et Pères blancs, le père Gilbert Grandguillaume à Alger. Cette coopération de jeunes professeurs chrétiens est plus fréquente en Afrique, où vivent Jean-Pierre Chrétien, Henri Médard, Claude-Hélène Perrot. « (p,190)

        L’auteur décrit « Le difficile compagnonnage avec les régimes autoritaires » (p,191), un compagnonnage qui s’est bien  souvent très mal passé et conclus par un échec.

          L’auteur intitule un de ses paragraphes « La répression » (p,199), et cite la répression de Kénitra au Maroc, le cas de plusieurs ressortissants algériens ou marocains : « Mohammed Harbi, idéologue marxiste de la révolution algérienne, ou l’ingénieur centralien Anis Balafrej, fils  du Premier Ministre , sont torturés comme des inconnus… Mohammed Harbi s’évade et s’exile en 1973. » (p,199)

      Comme chacun sait, Monsieur Harbi a déroulé une belle carrière dans un pays qui fit la guerre au FLN dont il fut un cadre influent, et ce n’est pas la moindre surprise de ceux qui tentent de comprendre l’histoire de l’Algérie.

       Le chapitre XII évoque l’évolution du monde arabe et musulman, « Les espérances du « printemps arabe Un monde à reconstruire », la fausse interprétation qu’en font les gouvernements occidentaux, la corruption et la duplicité de certains de nos partenaires, le cas de la chaine Al-Jazira, « la chaine d’information du Qatar, soutien du mouvement international des Frères musulmans. » (p,204

        Comme le note l’auteur, c’est en Tunisie que le mouvement de dominos a démarré : « Pour la première fois depuis la guerre, on a voté librement en Tunisie (23 octobre 2011), en Egypte, et même en Libye. Ce n’est pas la démocratie, mais une de ses conditions.

       Le contenu de ce chapitre est tout à fait intéressant parce qu’il éclaire la grand ambigüité de notre politique étrangère à l’égard des pays arabes et musulmans :

        « Les pays qui soutiennent les Frères, la Qatar, sa chaîne Al6Jazira et ses capitaux, la Turquie d’Erdogan, ses capitaux et ses armes, rêvant à un ottomanisme frèriste, ou les Wahhabites d’Arabie Saoudite et leurs pétrodollars, saisissent l’occasion de se débarrasser du nationalisme arabe et de ses avatars bassistes et militaires qu’ils ont toujours détesté. »(p,208)

       « Il faut une franche dose d’optimisme et d’occultation pour affirmer en 2015 que l’islamisme décline. » (p,211)

      Les pages que l’auteur consacre à la politique française (p,214 et suivantes) illustrent l’aveuglement de nos gouvernements pour ne pas dire l’ignorance, ou l’incompétence, ou pour user d’une expression modérée de l’auteur,  la « lisibilité » :

       « La lisibilité de ces événements et de la politique française dest difficile. »(p,216)

       L’auteur cite quelques noms de Français ou de Françaises qui jouèrent un rôle ambigu dans ce jeu biaisé des connivences, Bernard-Henri Lévy, Antoine Sfeir, Michèle Alliot-Marie, ou Delanoë.

     La France de Sarkozy se serait-elle engagée dans cette affaire idiote de Libye sans le rôle médiatique de BHL ?

      Et en finale de ce chapitre :

     « Indifférence et ignorance prospèrent. Après la chute de Morsi et de Marzouki, le Maghreb et la Tunisie replongent dans le silence pré-révolution, sauf événement spectaculaires, et souvent terroristes. La remise d’un doctorat honoris causa en avril 2015 au président tunisien Béji Caïd Essebi à l’Université de Paris Sorbonne est brièvement évoquée. Mais qui s’en soucie vraiment à Paris ? Qui  s’intéresse à la construction d’une démocratie ? A Paris aussi, ce sont principalement les affaires et les relations économiques qui priment. » (p219)

         Je serais tenté de conclure : n’est-ce pas trop demander à notre pays ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Lecture critique

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Comme annoncé, je me propose de publier successivement cette lecture, en fonction des capacités techniques du site. (Tous droits réservés)

&

            Il s’agit d’un livre fort intéressant pour le lecteur curieux de mieux connaître le processus de la décolonisation française et de ses résultats.

            Cette lecture avait à mes yeux d’autant plus d’intérêt que dans les années 1950, j’avais vu fonctionner le Togo « colonial », que je fus un des acteurs de terrain de la guerre d’Algérie, une guerre dite de décolonisation, et qu’en 1961, il m’avait été donné de voir fonctionner un Madagascar devenu indépendant.

            A mes yeux, ces trois territoires n’étaient pas la France.

            L’ouvrage, riche en analyses et en éclairages sur une période qui va de 1960 aux années 2000, soulève de multiples questions sur les problématiques décrites et les constats historiques proposés par l’auteur.

            Avant d’aller plus loin, attardons-nous quelques instants sur l’introduction et sur une des questions capitales, à savoir le rôle que les élites ont joué dans les processus décrits, qu’elles soient du Nord ou du Sud, je cite en soulignant les quelques mots clés qui éclairent ce type d’analyse:

        « les élites du Nord n’ont jamais regardé en face les sociétés du Sud, leurs impasses et les mensonges sur la décolonisation sans les peuples…. La culpabilité postcoloniale a aggravé la situation du Sud.

            Pendant que des millions, et bientôt des milliards d’hommes vivaient sous le joug des dictatures du Sud, les élites du Nord, consciemment ou  inconsciemment, ont masqué à leurs opinions publiques la situation des décolonisés, comme elles l’avaient fait à l’époque coloniale. La colonisation avait été l’affaire des chefs politiques, économiques et militaires, pour laquelle les peuples d’Europe étaient tenus d’acquiescer, voire de s’enthousiasmer. Sans transition, la décolonisation et le néocolonialisme, par le truchement des élites amies du Sud, a emprunté une voie analogue. Les sociétés du Sud et du Nord ont poursuivi leurs trajectoires parallèles …, jusqu’à cet improbable « printemps arabe » de 2012, qui a permis d’entendre pour une fois, la voix du Sud. Attachons-nous à suivre les méandres et la mécanique de ces événements. » (p,12,13)

            Afin d’éclairer ma première remarque, je continuerai à citer : Chapitre IV « Sous le couvercle de la guerre froide » « Sans que l’opinion française ne le réalise vraiment, les conflits de décolonisation sont devenus des conflits de guerre froide. »  (p,63)

            Enfin une dernière citation complémentaire à la fin du livre :               « Conclusion Le legs singulier de la France coloniale » « L’échec des décolonisations françaises est-il singulier ? Faut-il le comparer à la destinée des colonies anglaises. Sans doute. Il n’y a pas d’équivalent de l’Inde, même sur une étendue moindre… « (p,321)… L’empire colonial  a été une affaire d’élites. Les élites françaises, royales, impériales, puis républicaines, ont agi à destination des élites colonisées. De sorte que les Français, en tant que peuple, n’ont été concernés qu’à trois reprises par leur empire (troupes coloniales en 1914-1918 et 1939-1945, guerre d’Algérie, et migrations) … la question n’ayant d’ailleurs jamais été débattue. Mais de l’empire et de ses sociétés, ils n’ont toujours su que ce que les élites, leur gouvernement et les médias voulaient bien leur en dire. » (p,323)

Je partage ces conclusions, et je continue à penser que les livres qu’une certaine « histoire postcoloniale » a publiés sur la soi-disant culture coloniale ou impériale de la France manquent complètement de pertinence scientifique, comme je l’ai démontré dans le livre « Supercherie coloniale » : il s’agit d’une des formes les plus insidieuses d’une nouvelle propagande postcoloniale.

Je ne suis pas sûr qu’il soit possible de mettre sur le même plan les élites des régimes politiques qui se sont succédé dans notre pays, de même qu’il soit possible de mettre sur le même plan  les processus de décolonisation anglais et français, compte tenu de leurs situations coloniales respectives, sur tous les plans, mais je partage l’appréciation que porte l’auteur sur le rôle des élites, des gouvernements, de l’opinion publique, aussi bien dans la colonisation que dans la décolonisation : j’ai écrit ailleurs à de multiples reprises que la France, c’est-à-dire le peuple français n’a jamais été colonial, n’avait eu la fibre coloniale, et que ce fut à l’occasion de la guerre d’Algérie, et de la mobilisation du contingent, que le peuple fut confronté aux réalités coloniales, le constat que fait l’auteur à la page 323.

            En France, il s’agissait plus d’un groupe de pression colonial, un lobby colonial, avec plusieurs composantes politiques, militaires, économiques, et religieuses, que de l’élite métropolitaine à proprement parler.

        A plusieurs reprises, et par ailleurs, l’auteur relève que l’opinion  publique n’a jamais été vraiment concernée par la question coloniale :

      « Vus de métropole, les événements qui se déroulent dans les colonies parviennent de manière atténuée, la censure le disputant au désintérêt. » (p23)

      Comment ne pas dire à nouveau, que l’histoire postcoloniale supposée non « servile » n’a jamais à ma connaissance pris la peine de « mesurer » en espace et en contenu la presse de l’époque coloniale pour nous dire ce qu’il en était véritablement de la culture coloniale des Français.

      Les trois sujets d’histoire coloniale évoqués, les élites, la presse, l’opinion publique souffrent à mon avis d’une grande carence de recherche historique pertinente, une carence qui encourage toutes les manipulations, souvent idéologiques, de certains chercheurs postcoloniaux.

            Avant d’aller plus loin, et après avoir lu ce livre et d’autres livres sur le sujet est-ce que la vraie question que posait la décolonisation, en tout cas en Afrique noire française, parce qu’il en était différemment en Asie, n’était pas, que compte tenu des structures physiques et humaines de tous ces territoires, religieuses, culturelles, et linguistiques, le patchwork humain qu’ils présentaient face à un niveau des ressources faibles ou difficiles à mettre en œuvre, le challenge d’une décolonisation heureuse était chose impossible.

            Le lecteur constatera à la fin de mon exercice pourquoi je ne partage pas toutes les analyses du dossier des décolonisations.

            L’ouvrage comprend trois parties :

  1. Le fiasco des décolonisations (p,1 à 105)
  2. Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites (p, 105 à 223)
  3. La France, les Français et leurs anciennes colonies (p,223 à 321)

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » – « Le fiasco des décolonisations » -Pierre Vermeren Première Partie

Le choc des décolonisations

Première Partie

I « Le fiasco des décolonisations » (p,15)

          L’auteur brosse l’évolution historique de la décolonisation des anciennes colonies françaises et conclut au fiasco, pourquoi pas ?

          Mais pouvait-il en être autrement en Afrique noire, compte tenu de l’état de l’ensemble de ses structures en 1960, comme évoqué plus haut ?

       Tout tourne en effet autour du diagnostic qu’il était alors possible de porter sur la situation de ces pays, leurs situations coloniales, sujet sur lequel j’ai publié quelques chroniques.

        Il m’est arrivé de citer les analyses du géographe Richard-Molard sur une  Afrique de l’Ouest qu’il connaissait, son immensité, sa diversité, son éparpillement humain, une sorte d’anarchie qui ne disait pas son nom.

     La France mit en place une sorte de superstructure bureaucratique, artificielle, un Etat colonial, qui ne tenait pas bien compte des réalités ethniques, et qui ne pouvait en tenir compte, mais était-il possible de faire autrement ?

     D’où « La balkanisation de l’Afrique française » (p,48) et ses dérives à partir des années 1960 :

     « La colonisation a vécu, discrètement poussée par une France qui veut tourner la page, et se débarrasser de la question coloniale à l’ONU. Mais ses dirigeants comptent bien garder une marge de manœuvre et de puissance au sein de chaque territoire. En Afrique, les utopies fédéralistes se sont évaporées face aux séductions de l’Etat-nation et des privilèges qu’il confère (gouvernement, palais et ministères, limousines et indemnités, capitale, représentations diplomatiques et onusienne, aide internationale…) Partout, l’heure est à la construction de l’Etat et de sa bureaucratie militaro-administrative. » (p,49)

         Il est évident que, faute pour ce type d’Etat de pouvoir s’adosser à une structure de cohésion religieuse, idéologique, ou monarchique, à un vécu collectif fait de croyances et de mythes communs, le potentiel de dérives autoritaires ou dictatoriales, favorisé par la mosaïque de ses peuples, était élevé.

       L’auteur montre bien comment ce type d’adossement a  pu fonctionner au Maroc, et je continue à penser qu’il aurait pu en être aussi ainsi avec la monarchie malgache et l’empire d’Annam, faute pour la France d’avoir, toujours et partout, voulu répéter son modèle centralisé de gouvernance.

      Rappelons par ailleurs que jusqu’en 1945, la politique coloniale de l’avant FIDES était fondée sur le principe de l’autofinancement colonial, comme celle des Anglais, et qu’en 1960, le nombre des acculturés, c’est-à-dire celui des élites locales, était très faible.

      Les Etats coloniaux ne constituaient pas ce qu’on appelait des Etats-nations, compte tenu de la faiblesse des facteurs de cohésion religieuse et culturelle, économique et  sociale, pour autant d’ailleurs que l’Europe, l’Asie, les Amériques ou l’Union Soviétique puissent exhiber de leur côté ce type d’Etat.

      Comparativement, est-il possible de donner la date à laquelle la France elle-même devint un véritable Etat Nation ?

     « L’armée, pilier de l’Etat postcolonial » (p, 58)

      Le « modèle colonial » ?

     « Car au-delà de l’aspect institutionnel, le modèle colonial s’impose dans les têtes et dans les corps. L’armée incarne l’autorité et la souveraineté dont se réclame le nouvel Etat indépendant…. L’aspect mimétique est majeur dans cet avènement, car l’adoption du modèle militaire se fait toujours sur le mode l’armée coloniale (formation, uniforme, grade, commandement, armement…. L’«interopérabilité » reste la norme avec l’ancienne armée coloniale. » (p,59)

« …le modèle colonial s’impose dans les têtes et dans les corps » ? C’est peut-être beaucoup dire ! Faute d’autre chose !

       Peu de temps après les indépendances, les élites de ces nouveaux Etats mirent leurs pays sous le régime du parti unique, même au Sénégal, avec Senghor, un catholique, alors que le Sénégal vivait sous l’ombrelle de cohésion religieuse de la Confrérie des Mourides. L’auteur écrit : « Chef d’un régime présidentiel à poigne, nous verrons que Senghor demeure un chef d’Etat atypique » : j’ajouterais dans une situation postcoloniale et ancienne situation coloniale également atypique, l’ancienneté de la colonisation, l’existence des quatre communes de plein exercice, une bureaucratie puissante, celle de l’ancienne AOF, un Etat relié au monde extérieur, etc… (p,55)

      L’auteur note plus loin ; « L’exception sénégalaise, un allié modéré dans la guerre froide… un cas unique dans le pré carré » (p,75)

       Le Sénégal n’est pas représentatif des autres Etats d’Afrique noire.

      Les partis uniques s’adossèrent d’abord aux syndicats qui constituaient, lors de l’indépendance, une des rares structures socio-écomico-politiques de niveau national.

       L’auteur évoque des situations coloniales différentes de celles de l’Afrique noire, celles du Maghreb, hors Algérie, où l’évolution put s’appuyer sur d’autres points d’appui que les syndicats ou l’armée, notamment au Maroc, que l’auteur connait bien.

       Face à ces partis uniques d’abord à base syndicale, l’armée constituait le seul contre-pouvoir, et ce sont les élites militaires qui s’emparèrent rapidement du pouvoir, dans un contexte de guerre froide (Chapitre IV « Sous le couvercle de la guerre froide » (p,63) , de la Françafrique (« Naissance de la France-Afrique ou Françafrique » (p, 68)…le bras armé d’Elf Aquitaine (arrosant les partis politiques), d’un clientélisme socio-culturel très prégnant en Afrique, le tout débouchant avec Mitterrand sur les mirages de la Conférence de la Baule (1990). (Chapitre V Depuis La Baule, liberté des élites, silence et violence pour les peuples. (p,83) « Est-ce un faux semblant ou un tournant ? (p,84)… « Un quart de siècle après La Baule, la marche forcée vers la démocratie n’a pas eu lieu. » (p,84)

     L’auteur note à propos des dérives de la Françafrique : « Cet aspect financier est essentiel dans le discrédit de la Françafrique depuis la fin de la guerre. » (p,72)… le Gabon « pivot des intérêts mafieux » (p,73)

     Un de mes vieux camarades de promotion, bon connaisseur des relations entretenues à cette époque entre la France et ses anciennes colonies, me faisait récemment remarquer qu’il y a eu, historiquement, plusieurs formes de Françafrique.

    A la page 63, l’auteur écrit :

     « Sans que l’opinion française ne le réalise vraiment, les conflits de décolonisation de la France sont devenu des conflits de guerre froide…. Puis l’Algérie devient à son tour un conflit secondaire de guerre froide, surtout après Suez en 1956, même si les choses sont indirectes… Pour les officiers français de retour d’Indochine après Diên Biên Phu, le FLN est une organisation « communiste. » (p,63,64)

     L’auteur cite le rôle de la stratégie contre-insurrectionnelle alors mise en œuvre, et souligne le rôle de l’officier David Galula dans la définition de ce type de stratégie. Comme je l’ai écrit ailleurs sur ce blog, 1) le capitaine Galula n’a jamais servi en Indochine, mais il fréquenta le continent chinois pendant plusieurs années, les premières années de la révolution communiste, 2) Galula n’a pas été un des concepteurs les plus importants de cette doctrine, et le mérite qui lui est attribué est sans doute dû au fait que son épouse fut une journaliste américaine bien  introduite.

      « Jusqu’en 1989, l’ancien empire colonial est un des champs clos de la guerre froide » (p,64)

       « La France devient le premier acteur de la guerre froide en Afrique ».(p,66)

        La description de cette évolution aurait été encore plus intéressante avec une comparaison avec la décolonisation britannique, ou d’autres, qu’il serait difficile de qualifier de décolonisation heureuse, voir la guerre de Malaisie, le désastre de la séparation de l’Inde musulmane de l’Inde hindouiste, l’apartheid de l’Afrique du Sud…

      L’auteur consacre de bonnes pages aux suites de la guerre d’Algérie : « Le brutal désengagement de la France en Algérie » (le chaos) p,40,41), « Règlements de compte et chasse aux harkis » (p, 42), « Le temps des colonels » (p,43)

       Sont également intéressantes les pages consacrées à la deuxième guerre civile de l’Algérie dans les années 1992-2000, (page 89), , 96,97) « La « décennie noire » d’Algérie plante un nouveau décor au sud de la Méditerranée » (p, 96,97) avec ses 200.000 morts.

    Une information intéressante, car la même chape de plomb du FLN règne sur cet épisode aussi dramatique que sur la guerre d’Algérie, une première guerre civile qui ne disait pas son nom non plus.

     « La lutte contre l’islamisme, nouvelle martingale de l’autoritarisme dans le monde arabe » (p,87)

       Enfin, et pour couronner le tout, l’auteur décrit les effets négatifs de la mondialisation libérale sur ces nouveaux Etats. (p,90) : « Après quinze ans de mondialisation marchande (1995-2005), les dégâts humains en Afrique et au Moyen Orient ont été parfois dramatiques  au sortir de la guerre froide, et les populations restent loin de la classe moyenne mondiale. » (p,95)                                 

        L’auteur conclut son tour d’horizon par le « génocide rwandais » et les « guerres du Congo » (6 millions de morts et 4 millions de personnes déplacées (1994-2003) (p, 101), qui durent encore.

Jean Pierre Renaud

Curiosité de lectures et information des lecteurs


            Over-blog produit chaque mois des statistiques sur le nombre des visites, des pages vues, et des pages les plus visitées.

            Ces informations m’ont permis, en très gros, de voir quels étaient les sujets qui suscitaient le plus de curiosité de la part de mes « visiteurs » ou lecteurs, mais sans rien savoir des motifs de ces consultations.

            Quelques-unes de mes constations au cours des années 2011- 2017 :

        Ont connu de nombreuses visites, mes lectures critiques des œuvres d’Edward Saïd, mes analyses des « sociétés coloniales » et de leur concept historique, et plus récemment mon analyse comparative entre les deux empires coloniaux anglais et français, plus de 1 500 pages les plus visitées en 2016, et 1 907, entre le 1er janvier et le 1er mai 2017.

        Je serais évidemment heureux de connaître les raisons de cette curiosité :  Simple curiosité ? Recherche universitaire ? Culture historique… ?

         D’autres chroniques, en fonction des critères statistiques d’over-blog ont suscité moins de curiosité : mon analyse critique de la thèse historique d’Elise Huillery, que j’ai considérée comme « décalée » sur l’AOF, et plus récemment, celles du livre de Sophie Dulucq sur « Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale », dont les analyses nuancées posent la question toute simple de la « servilité » intellectuelle en matière d’histoire.

         Selon les mêmes critères statistiques, ma lecture critique de « La Fin des terroirs » d’Eugen Weber, ne parait pas avoir attiré beaucoup d’attention, alors qu’il s’agit d’une œuvre qui apporte la démonstration d’une relative proximité entre les indigènes des colonies et les indigènes de France jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, pour reprendre l’appellation d’un certain mouvement politique.

        Il en a été de même pour ma lecture critique du livre de Frederick Cooper « Le colonialisme en question », un livre intéressant, mais dans un registre d’analyse par trop irénique à mes yeux.

      Dans les semaines à venir, je me propose de publier mon analyse critique du livre de Pierre Vermeren, « Le choc des décolonisations », en indiquant que je partage une bonne partie de ses analyses, notamment celle du rôle « idéologique » important dans la France actuelle de la matrice intellectuelle d’Algérie et du Maghreb.

Jean Pierre Renaud

 » Le 19 mars 1962″ avec Guy Pervillé et autres auteurs

« Le 19 mars 1962 » ?

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ?

Plus d’un demi-siècle plus tard !

A propos des « raisins verts » de la Bible

1962 : « Accords d’Evian » et guerre d’Algérie

  1.  « Les Accords d’Evian » avec l’historien du « dedans » Guy Pervillé,
  2.  « Le 18 mars 1962 Les accords d’Evian » avec l’historien « d’ailleurs », Belkacem Recham, selon le livre « Histoire de France vue d’ailleurs »,(page 535)
  3. « Les raisins verts » : Benjamin Stora historien ou mémorialiste, sur la petite musique biblique des « raisins verts » de la « matrice » algérienne,
  4. « Les mémoires dangereuses » ou les mémoires « littéraires », « dangereuses » dans un dialogue entre Benjamin Stora et Alexis Jenni, Prix Goncourt, au Club de Médiapart.

&

            Je me propose de publier ultérieurement la lecture critique d’un livre de témoignage sur toute la période qui a précédé la guerre d’Algérie, celle qui lui a succédé, et « théoriquement » conclue par les Accords d’Evian, un témoignage historique, au jour le jour, qui vaut largement toutes les déconstructions ou constructions historiques ou mémorielles qui ont fleuri après les faits : il s’agit du livre « Carnets d’Algérie » (1965), signé par Robert Buron, ancien ministre, chrétien de gauche, témoin et acteur incomparable de la période en question.

« Le 19 mars 1962 » ?

Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ?

Plus d’un demi-siècle plus tard !

A propos des « raisins verts » de la Bible

1962 : « Accords d’Evian » et guerre d’Algérie

&

Premier épisode, l’histoire vue du « dedans »

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

Préambule

            Pour avoir été un des modestes acteurs de la guerre d’Algérie en qualité d’officier SAS du contingent,  dans la vallée de la Soummam, au cours des années 1959-1960, y avoir servi la France et l’Algérie, sur décision d’un gouvernement socialiste incapable de dénouer le conflit par des réformes radicales, j’ai approuvé la venue du Général de Gaulle au pouvoir et sa politique algérienne jusqu’aux accords d’Evian, parce qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’en finir avec un conflit de plus en plus ingérable.

            J’ai souligné, jusqu’aux accords d’Evian, parce qu’à partir de cette date, mon désaccord fut total avec la façon dont ces accords furent appliqués.

        J’ai écrit ailleurs que j’avais été dire ce désaccord à un camarade de promotion affecté au Cabinet du Général, notamment au sujet des massacres de harkis que nous laissions faire.

         Depuis cette date, sauf à titre exceptionnel, je n’ai pas porté d’attention particulière à telle ou telle histoire racontée par des historiens, ou à la multitude de témoignages d’anciens d’Algérie qui ont tissé ou tissent encore une sorte de mémoire de cette guerre, sans que l’on sache toujours faire le tri entre le vrai et le fictif.

       J’éprouve tout autant, à tort ou à raison,  la plus grande méfiance à l’égard des historiens professionnels marqués directement ou indirectement par leurs lieux historiques de naissance, qu’ils le veuillent ou non, surtout lorsqu’ils excipent de leur métier d’historien, l’authenticité qu’ils revendiquent sur les discours de mémoire qu’ils tiennent dans les médias.

       Tel est entre autres le cas de Benjamin Stora qui illustre tout à fait cette proximité. Je l’ai déjà critiqué pour ses prises de position  répétées dans le domaine sensible des mémoires que l’on peut si facilement manipuler, sans chercher à savoir si elles existent bien, c’est-à-dire en les mesurant, ce que l’on sait faire de nos jours.

         C’est la raison pour laquelle les lecteurs pourront trouver à la suite de mon commentaire du livre de Guy Pervillé, qui ne fait pas partie, à ma connaissance, des historiens ou intellectuels issus de la matrice algérienne décrite par l’historien Vermeren, un additif « concurrent » consacré à l’analyse rapide des Accords d’Evian proposée par le livre « L’histoire de France vue d’ailleurs » de Jean-Noël Jeanneney et de Jeanne Guérout dans le « 18 mars 1962 Les accords d’Evian » de Belkacem Recham (page 535 à 547).

        Pourquoi ne pas rappeler à cette occasion que le père de l’historien Jeanneney fut un des acteurs clés de la mise en route des fameux accords d’Evian ? N’aurait-il pas des choses à nous dire plus de soixante ans après ?

       C’est pour les mêmes raisons que les lecteurs pourront trouver également plus loin, une réflexion sur la question de savoir si le positionnement politique ou idéologique de Benjamin Stora, tel que je l’analyse, ne soulève pas celle de la scientificité supposée de ce type de discours, quels que puissent être par ailleurs ses qualités supposées d’historien, dont je ne suis pas juge.

      La quatrième contribution que je propose à la lecture est relative au positionnement littéraire, idéologique, ou politique, au choix, que soulève le contenu de deux livres récents qui ont reçu le prix Goncourt, Alexis Jenni pour « L’art français de la guerre »  et Jérôme Ferrari pour « Le sermon sur la chute de Rome ».

      Ces deux exemples sont intéressants à cet égard, car ils soulèvent la question des comparaisons qu’il  devrait être possible d’effectuer avec d’autres œuvres brillantes, également couronnées dans le passé, par un prix Goncourt

        Cette contribution fait en effet écho au dialogue qu’ont entretenu Messieurs Stora et Jenni sur le thème « Les mémoires dangereuses » dans le cadre du Club de Médiapart, à la date du 25 février 2016.

       Je noterai simplement pour l’instant, que d’autres auteurs, titulaires du même prix, avaient une réelle expérience des guerres qu’ils racontaient, sans imaginer rétroactivement ce qu’était une guerre concrète, ou des situations coloniales concrètes, c’est-à-dire vécues, comme c’est le cas dans les deux œuvres citées.

            Jean Pierre Renaud

« Le 19 mars 1962 », le livre de Guy Pervillé – Suite et fin

« 19 mars 1962 » ?

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

&

Autres réflexions

           Première réflexion sur la date des Accords d’Evian, le 19 mars 1962 : cette date est depuis l’origine un sujet de controverse, et il est évident que pour l’immense majorité des hommes du contingent, cette date clôturait cette guerre, une guerre qui n’a jamais été conclue en effet par un accord de paix.

       Le livre explique bien pourquoi cette guerre n’était pas finie.

         Deuxième réflexion, le livre en montre bien les raisons, notamment les graves carences du nouveau pouvoir algérien qui n’a jamais honoré sa signature, tout autant que le sabotage de tout accord par l’OAS.

        Troisième réflexion : le gouvernement du Général de Gaulle, et le Général lui-même, n’ont pas été à la hauteur pour maîtriser la mise en application respectée de ces accords, sur le terrain, pour au moins cinq raisons que l’on voit bien dans l’ouvrage, et une sixième que j’évoquerai :

  1. Le refus d’accueillir en France les harkis et moghaznis qui avaient rejoint notre cause pendant cette guerre, ainsi que leurs familles.
  2. La désignation d’un ambassadeur, M. Jeanneney, que son expérience professionnelle et politique ne désignait pas spécialement pour faire appliquer vigoureusement ces accords par le nouveau pouvoir FLN, entre les mains de la mouvance extérieure du GPRA.
  3. L’objectif principal du Général, qui fut de tout faire, pour ne pas dire tout accepter, afin de préserver jusqu’à la fin de l’année 1966, la possibilité pour la France de poursuivre  ses essais nucléaires au Sahara, et accessoirement, y exploiter le pétrole, avec pour corollaire, continuer à transfuser l’Algérie indépendante avec nos francs et à faire bénéficier ce nouvel Etat de dérogations exceptionnelles, pour ne pas dire laxistes, dans le domaine de l’immigration.

Ces dérogations continuent encore sous une forme atténuée, si je ne m’abuse.

La lecture des pages 175 et 176, avec le compte-rendu de la rencontre du 13 mars 1964 entre le Général et le nouveau Président Ben Bella en est une des illustrations.

  1. Réconciliation ou relation internationale entre deux Etats ? Je vous avouerai que je n’ai jamais compris la politique française après l’indépendance de l’Algérie. Les Algériens avaient choisi leur destin. Rapidement, le régime algérien fut celui d’une dictature du FLN.

Pourquoi De Gaulle n’a-t-il pas choisi le type de relations internationales qui était celui de la France avec l’URSS ou la Chine ? Sauf à dire que son objectif numéro 1 avait toujours été celui de la préservation, le plus longtemps possible des sites nucléaires du Sahara, en fermant les yeux sur le ratage complet de la mise en application des Accords d’Evian ?

Je me suis déjà exprimé à de multiples reprises sur un tel sujet, en affirmant que je n’ai jamais vu pourquoi nous, anciens soldats appelés, pas plus que les citoyens français, nous devrions faire repentance.

  1. La cinquième est celle de l’imbroglio dans lequel était plongée une armée française en pleine crise, avec, à Alger, la question du qui était qui ou quoi, entre les « loyalistes », les révoltés, ceux de l’OAS, et ceux qui ne savaient plus quoi penser, avec le souci du général d’y mettre fin le plus vite possible, sauf nouvelle crise nationale majeure à venir, c’est à dire en clair : il fallait « dégager » au  plus vite !

Comme la plupart de mes collègues, nous étions favorables à une évolution politique majeure de l’Algérie, mais pas à celle qui s’est produite sous la conduite d’un FLN venu de l’étranger, avec son armée des frontières, incapable de faire régner la paix civile dans ce territoire, et de respecter les Accords d’Evian, sans que notre pays ait fait ce qu’il fallait pour l’obliger à le faire.

6 – Plus de cinquante ans après ces accords, j’ai eu la mauvaise curiosité d’aller consulter dans les Archives militaires de Vincennes les Journaux de Marches et d’Opérations du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui ont suivi mon retour en France, dans les années 1961 et 1962, et je vous avouerai que leur lecture m’a démoralisé.

      Une armée française qui avait ramené la paix civile dans cette région de la Petite Kabylie, à laquelle on donne l’ordre de se replier successivement vers la côte pour s’y embarquer, laquelle exécute loyalement les accords diplomatiques en question, sans que le gouvernement gaulliste fasse ce qu’il fallait pour obliger le FLN à les appliquer. Au fur et à mesure du retrait, le FLN n’avait qu’à lever le petit doigt pour inciter les soldats français d’origine musulmane encore en service dans les postes militaires à se soulever et à les faire tomber aux mains du FLN, les uns après les autres.

          La vallée de la Soummam, comme beaucoup d’autres régions d’Algérie, fut alors un lieu de tortures et de massacres des harkis et des moghaznis qui avaient rejoint l’armée française après 1954, jusqu’en 1962.

        Le rapport du sous-préfet d’Akbou Robert en a récapitulé à l’époque une partie dans la vallée de la Soummam.

       L’armée française a obéi au gouvernement du Général et donc appliqué les accords d’Evian, ce qui n’a pas été le cas du FLN.

      Ce livre montre bien le processus de désagrégation qui a suivi les accords d’Evian, l’impuissance du gouvernement algérien, en même temps que celle du gouvernement français, avec la mise en place d’une dictature politique et militaire servie par l’armée des frontières.

         Je terminerai en évoquant tout d’abord un des points les plus sensibles de ces accords, celui des crimes de guerre, car effectivement ces accords avaient par avance amnistié tous les crimes de guerre commis par les deux parties, et il est évident qu’il y en a eu, comme dans toute guerre de type révolutionnaire ou non, et c’est cette amnistie injustifiable qui a permis à trop de chercheurs ou de mémorialistes français de laisser croire que la France, en Algérie, n’a été que saloperie.

        Le fait qu’une chape de plomb pèse en Algérie sur toute cette histoire n’est pas de nature à apaiser les mémoires, souvent frelatées, d’autant moins qu’on trouve beaucoup moins de belles âmes pour exalter violences, crimes ou tortures de la deuxième guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie dans le années 1992-2000, et la mise en place d’un régime policier de type dictatorial.

        Je voudrais dire enfin que je n’ai jamais compris cette volonté de réconciliation, d’une repentance qui ne dit pas son nom, toujours affirmée par qui ? Le plus souvent par le groupe des intellectuels sortis de la « matrice » algérienne, ou par ceux qui flattent une histoire française de l’autoflagellation, ceux que j’ai appelés « les fossoyeurs » de l’histoire de la France

    Pour avoir beaucoup travaillé sur l’histoire coloniale et la décolonisation, je fais partie de ceux qui mettent en cause tout au long de ce processus la ou les gauches françaises, responsables des conquêtes coloniales de la Troisième République, tout autant que du « fiasco des décolonisations », selon l’expression de l’historien Vermeren.

                     Le cas de l’Algérie en est une des caricatures les plus funestes avec le tournant de guerre que le gouvernement Mollet Mitterrand  a fait prendre à la France, avant le retour du Général au pouvoir, en 1958.

            Alors tout ça pour cela ! Nous avons servi la France et souvent l’Algérie, nous y avons exposé nos vies, certains de  nos camarades y ont laissé la leur, et nous entendons à longueur d’année et depuis des années un discours sur la torture – tous nous aurions donc torturé -, – nous aurions été les seuls à exercer la violence dans un contexte de guerre -, nous devrions faire repentance -, mais en même temps, –  prôner une réconciliation – ?

            Avec qui devrions-nous nous réconcilier, nous, anciens soldats appelés du contingent ?

            Avec qui nos gouvernements devraient-ils se réconcilier ? Les gouvernements  d’une dictature FLN  qui continue ?

         Jamais jusqu’à nos jours, c’est-à-dire plus de soixante après les faits, et à ma connaissance, l’Algérie du FLN n’a donné l’occasion à une quelconque personnalité algérienne, respectée, intègre, capable d’incarner le partenariat  légitime d’une réconciliation entre les deux Etats.

            Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

(1) Il est bien dommage que le texte des Accords d’Evian n’aient pas été joints. Oserais-je dire que c’est la première source que j’y ai recherché.

Trois livres pour l’été !

Si vous croyez que tous les livres d’histoire n’exaltent pas obligatoirement un roman national, quel que soit le pays, ou un roman non national, dans le cas de la France, lisez le livre de Pierre Vermeren intitulé « Le choc des décolonisations ». (Odile Jacob)

            Et si vous croyez par ailleurs que certains romans historiques n’ont peut-être rien à envier à certains livres d’histoire, lisez «  Le lecteur de cadavres »  d’Antonio Garrido. (Le livre de poche)

            Enfin, un petit livre très pédagogique pour tenter de comprendre ce qu’est l’islam, « « Comprendre l’islam

                                                                ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien » d’Adrien Candiard . (Champs)

Jean Pierre Renaud