Pierre Loti, romancier orientaliste, ou tout simplement pêcheur d’âmes?

 Au début de cette semaine pascale, comment résister au désir et au plaisir  de citer quelques lignes de son livre « La Galilée » ?

            Loti fit ce voyage, ou ce pèlerinage, en 1894, et son récit, à la fois poétique, très vivant, et admirablement descriptif,  baigne dans le souvenir de l’aventure du Christ.

            « La lumière baissant toujours, nous revenons sur nos pas, afin de regagner lentement Tibériade… Et nous avons devant toute cette rive du nord, que nous irons demain matin visiter avec une barque – cette rive qui fut le pays aimé de Jésus, et où s’aperçoit d’ici la coupée obscure du Jourdain, près du désert de Bethsaïda… » (1)

            Avant d’arriver à Tibériade, Loti avait fait étape à Nazareth et en avait rappelé la triste histoire, ainsi que celle du surnom que les africains musulmans donnaient alors aux blancs, les « nazaréens ».

Jean Pierre Renaud

(1)    Pierre Loti – La Galilée- Petite Bibliothèque Payot (page 89)

Humour d’un « orientaliste » français: Pierre Loti

Humour d’un orientaliste français, Pierre Loti

« La mort de Philae)

 (FBFrançois Bourin Editeur, page 102)

« Le petit âne blanc et la vieille « cookesse » anglaise »

            Avant-propos

Je n’ai aucune idée des livres de Loti que lisent, encore, et peut-être, les jeunes générations, mais dans ma jeunesse l’auteur des « Pêcheurs d’Islande » nous était familier, plus que ses récits de voyage que j’ai découvert beaucoup plus tard.

Or Pierre Loti fut un grand voyageur, un voyageur infatigable, dans sa qualité d’officier de marine, à l’époque des conquêtes coloniales, mais aussi et tout autant, comme explorateur, pèlerin en quête des civilisations anciennes d’Asie ou du Moyen orient.

Un écrivain voyageur, car ses récits de voyage en Inde, dans la désert du Sinaï, et en Egypte, sont d’une très grande qualité littéraire, et ses reportages mêlent en permanence précisions géographiques, humaines, archéologiques, religieuses, souvent avec une belle écriture poétique.

Ce qui n’empêchait pas Loti de déplorer l’invasion touristique des Cook Limited, déjà, notamment dans la vallée du Nil !  

Et de manifester la même constance d’opinion anti-anglaise, alors partagée par beaucoup des officiers de la marine française.

Le lecteur trouvera ci-après un échantillon de l’humour de l’orientaliste Pierre Loti à l’occasion de son voyage en Egypte, en 1907, dont le titre pourrait être

 Le petit âne blanc et la vieille « cookesse » anglaise :

« Nous pensions en avoir fini avec les cooks et les cookesses du luncheon. Mais hélas ! nos chevaux, plus rapides que leurs ânes, les rattrapent au retour, parmi les blés verts d’Abydos (un temple), et un embarras dans le chemin étroit, une rencontre de chameaux chargés de luzerne, nous immobilise un instant, tous pêle-mêle. A me toucher, il y a un amour de petit âne blanc qui me regarde, et d’emblée nous nous comprenons, la sympathie jaillit réciproque. Une cookesse à lunettes le surmonte, oh ! la plus effroyable de toutes, osseuse et sévère ; par-dessus son complet de voyage, déjà rébarbatif, elle a mis un jersey pour tennis, qui accentue les angles, et sa personne semble incarner la responsability même du Royaume Uni. On trouverait d’ailleurs plus équitable, tant sont longues ses jambes dénudées de tout intérêt pour le touriste – que ce fût elle qui portât l’âne.

Il me regarde avec mélancolie, le pauvre petit blanc, dont les oreilles sans cesse remuent, et ses jolis yeux si fins, si observateurs de toutes choses, me disent à n’en pas douter :

–       Elle est bien vilaine, n’est-ce-pas ?

–       Mon Dieu, oui, mon pauvre petit bourricot. Mais songe un peu, fixée à ton dos comme elle est là, tu as au moins l’avantage de ne plus la voir.

Pourtant ma réflexion, bien que judicieuse, ne le console pas, et son regard me répond qu’il se sentirait plus fier de porter, comme ses camarades, un simple paquet de cannes à sucre. »

            Dans ce passage, comme dans beaucoup de ses récits de voyage, et après avoir visité le temple d’Abydos, Loti épingle les ravages que font déjà dans ces pays à civilisations anciennes, le déferlement des touristes de la Cook Limited anglaise, et les ravages de l’expansion occidentale.

Deux cadeaux pour les fêtes de fin d’année, le film « Narcisse noir » et l’humour de Loti, « orientaliste » français.

Deux cadeaux pour les fêtes de fin d’année : dans le « noir », le film « Le Narcisse Noir » de Michael Powel, avec la belle Deborah Kerr, dans l’Himalaya, et dans le « blanc », l’humour d’un « orientaliste » français, Pierre Loti : « Petit âne blanc et vieille « cookesse » anglaise en Egypte ».

Le film « Le Narcisse noir » de Michael Powel et la belle Deborah Kerr, bonne sœur dans l’Himalaya (1947)

            Un film magique dans tous les sens du terme !

C’est l’histoire d’un groupe de cinq sœurs d’une congrégation anglicane implantée dans les Indes, encore anglaises, qui confie à l’une d’entre elles, Deborah Kerr,  la responsabilité d’installer un nouveau couvent dans une forteresse plantée sur des falaises vertigineuses d’un contrefort de  l’Himalaya. Un riche maharadja a décidé de la confier aux bonnes sœurs, à charge pour elles, de créer une école et un dispensaire au profit de ses sujets.

Installation étrange dans un  ancien harem qui a conservé quelques gravures licencieuses, vie dans une forteresse inaccessible et agitée en permanence par des vents puissants et bruyants, cohabitation éprouvante avec un monde indien mystérieux, plein de religiosité et de croyances incompréhensibles, des nonnes dont la vocation vacille au contact de leur nouvelle vie, et de cet anglais, sans doute le résident de l’époque, qui vient régulièrement les défier par sa sensualité, son animalité, tout en les aidant à s’installer..

Une ambiance entêtante entretenue par le parfum obsédant du fameux « Narcisse noir », « un parfum obsédant qui affole les sœurs d’un couvent britannique », dixit le Canard Enchaîné.

La mission des cinq sœurs se conclut par un échec, avec un épisode digne d’Hitchcock, dont Powel fut, à un moment donné, le collaborateur.

Un film intéressant à un tout autre titre, celui de l’histoire coloniale des Indes anglaises en particulier, et de l’histoire coloniale en général.

Le film fait bien ressortir la sorte d’incommunicabilité coloniale qui existait entre deux mondes de croyances et de raisonnements différents, l’univers indien et l’univers britannique. Il montre également toute l’ambigüité de ces missions religieuses dont l’ambition était de porter la bonne nouvelle dans des milieux qui n’étaient pas toujours à même de l’accueillir.

Ce film nous plonge dans les Indes coloniales, magnifiques personnages et magnifiques paysages ! Laissez-vous porter par la magie de ce film en technicolor, sans vous poser trop de questions pour savoir si ces images ont été filmées en studio ou non, tellement on se croirait sur un des contreforts de l’Himalaya.

Jean Pierre Renaud

A noter le commentaire élogieux du Canard Enchaîné, lequel n’a souvent pas mauvais goût dans le domaine du cinéma :

« Ce drame sensuel kitsch et somptueux… est un bijou qui scintille d’extravagance, d’humour et de puissance sensuelle. »

L »Orientalisme fantasmé » de Pierre Loti? L’Inde (sans les Anglais)(1886)

        Est-ce qu’on connaît encore Pierre Loti en France, comme on le connaissait dans la première moitié du XXème siècle, car son œuvre était prolifique, en même temps et souvent exotique, pour ne pas dire coloniale.

            Officier de marine, Loti participa à plusieurs des aventures coloniales de la Troisième République, au Sénégal, en Polynésie, et en Asie.

            Officier de marine lors de la prise de Hué, en 1883, il en avait fait un récit de « reporter de guerre », objectif, qui n’occultait pas les horreurs de cette expédition, récit qui lui valut d’être suspendu de la Marine par Jules Ferry.

            Ses romans exotiques sont oubliés sur le Sénégal, la Polynésie, ou le Japon, ainsi que le récit de son voyage dans « L’Inde (sans les Anglais) » qu’il y effectua en 1886. Alors qu’il rentrait du Japon, il y accomplit un long parcours d’exploration et de découverte, de Mahé, au sud, à Bénarès, sur le Gange.

            La mention « sans les Anglais » est incontestablement le signe de la détestation historique que la Royale continuait de porter aux marins de Sa Majesté.

            Son récit de voyage est d’une très grande qualité littéraire, avec un art parfait de l’écriture toujours précise, rigoureuse, ciselée. Loti décrit avec une très grande minutie, celle d’un entomologiste, les paysages et les cités qu’il découvrait, les monuments et les temples de l’Inde, toujours gigantesques et cyclopéens, les célébrations mystérieuses, souvent nocturnes, fantasmagoriques de l’Inde religieuse.

            Et il faut lire en particulier les nombreuses pages consacrées à l’Inde affamée, celle des populations paysannes des déserts du Rajahstan, la famine des paysans morts, sur le point de mourir, hommes, femmes et enfants, aux portes de cités encore florissantes et illuminées. Une indifférence naturelle face à la misère et à la mort, cette cohabitation culturelle toute hindoue entre riches et miséreux, entre vivants et morts !

            Même de nos jours, un Français éprouve encore un véritable malaise lorsqu’il rencontre cette cohabitation de misère et de richesse dans une grande ville de l’Inde, des familles entières campant sur les trottoirs, le long des rues.

            Certains chercheurs accordent une importance majeure au discours d’Edward Said dans son livre sur « L’orientalisme », lequel ouvrage aurait aidé à démonter les « constructions fantasmées » des occidentaux sur l’Orient.

            Mme Coquery-Vidrovitch  y fait référence dans un article sur le musée du quai Branly, qu’elle a publié dans le « Petit Précis…à l’usage du Président Sarkozy » (page 137).

            Le lecteur curieux pourra constater que le récit de Loti n’avait rien d’une construction fantasmée sur l’Inde de l’année 1886.

            Jean Pierre Renaud.