« Guerre d’Algérie: quelques réflexions » Volet 2 suite et fin : « les scénarios des deux guerres »

« Guerre d’Algérie : quelques réflexions »

Volet 2

Suite et fin

Guerre anglaise de Malaisie (1948-1960) et guerre française d’Algérie (1954-1962)

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Les scénarios des deux guerres

                Les buts de guerre étaient fondamentalement différents : dans le cas britannique, il s’agissait officiellement de lutter contre un ennemi communiste, de consolider les points stratégiques de l’empire britannique en Asie, notamment le port de Singapour, face à l’attraction nouvelle du modèle communiste chinois, tout autant que de préserver leurs ressources en  étain et caoutchouc.

             Les Anglais n’avaient pas du tout l’intention d’accorder la citoyenneté aux gens de Malaisie, mais ils tentaient d’aider à la mise en place d’institutions politiques nouvelles, capables de relayer leur pouvoir, sans perdre le bénéfice  de la poule aux œufs d’or qu’était encore la Malaisie.

               Rien de tel en Algérie où la présence d’un million de pieds noirs constituait un véritable casse-tête, un obstacle difficile à contourner compte tenu de son importance démographique, de son rôle politique, économique et financier, et pourquoi ne pas le dire de l’héritage qu’était le développement de l’Algérie, fut-il inégal, que le président Nasser reconnut lui-même, lors d’une de ses visites après l’indépendance.

               Officiellement, l’Algérie, c’était la France, et ses destinées s’inscrivaient toujours dans une perspective d’assimilation, puis d’intégration, avec une égalité des droits entre tous les habitants du territoire.

            En Malaisie, les Anglais n’ont jamais eu, ni l’intention, ni l’ambition d’accorder leur citoyenneté aux Malais ou aux Chinois de Malaisie.

                 Il ne faut pas non plus oublier deux choses, la première celle du rôle d’appoint et de charnière que jouaient souvent les députés d’Algérie dans la constitution des gouvernements de la Quatrième République, la deuxième relative au concours patriotique que les citoyens européens d’Algérie avaient spontanément apporté à la libération de la métropole, un facteur trop souvent oublié.

              Une fois la guerre engagée, à partir de 1954,  le discours politique a d’abord été, l’Algérie, c’est la France, disaient en chœur Mendès France, Mitterrand, mais au fur et à mesure de son déroulement, les objectifs devinrent moins clairs, celui de l’assimilation, une égalité entre citoyens, mutant vers l’intégration, et ce manque de clarté sur les buts de la guerre fut incontestablement une des raisons du flottement de notre politique, et en définitive du bâclage de ce dossier par de Gaulle.

            Avant la signature des Accords d’Evian, la situation du gouvernement en Algérie devint intenable, car on ne savait plus qui était contre ou pour de Gaulle, au sein même du pouvoir.

             Certains diront que l’occasion avait été manquée de confier le pouvoir à une élite algérienne pro-française, à la fois musulmane et française.

            Toujours est-il que si la rébellion touchait un maillon faible de la puissance française d’alors, elle n’était pas communiste, comme en Malaisie, et toutes les huiles politiques ou militaires qui ont déclaré que la France y combattait le communisme effectuaient une mauvaise analyse stratégique, sauf à dire que les dirigeants de cette rébellion rejoindraient à coup sûr le camp soviétique, une fois au pouvoir.

            La France éprouvait donc beaucoup plus de difficultés à fixer son ou ses buts de guerre  que la Grande Bretagne, en Malaisie.

           Toujours est-il que les deux pays mirent en œuvre des stratégies militaires de contre-insurrection très comparables, dans le cadre de l’Etat d’alerte des Anglais et  de l’Etat d’urgence des Français, mais selon des modalités et avec une intensité très différente dans la répression.

          Les Anglais mirent au point des outils de répression et de contrôle de la population à la fois très sophistiqués et très violents.

          A lire ce roman, je ne pense pas que la France n’ait jamais mis en œuvre et aussi longtemps un tel arsenal de répression, fusse avec l’emploi de la « torture », mais qui ne fut pas géographiquement et historiquement généralisé, quoiqu’on en dise ou écrive, mais je n’ai pas la compétence historique pour avancer une telle opinion.

         En Malaisie, la pendaison des terroristes, l’emprisonnement de rebelles, l’internement d’une partie d’entre eux, des techniques très sophistiquées de retournement de rebelles et de ralliement, les déplacements de population dans des camps d’internement entourés de barbelés et surveillées militairement.

        « Les prisons débordaient d’un assortiment de plus de trente mille suspects » (p,234)

           Une ambiance de suspicion généralisée avec l’utilisation de tout un ensemble de méthodes de  recherches et d’interrogatoire des rebelles ou des suspects de rébellion : 

       « On enfermait Ah Meï dans une cellule avec le suspect – toujours une jeune fille ou une femme…. Des noms, des noms, des noms » (p,140)

     L’action de ce roman se déroule beaucoup dans le camp de Todak :

      « A présent, Todak est un camp de réinstallation entouré de barbelés. C’est connu pour être un mauvais coin. »

        Les Anglais y faisaient une guerre psychologique, une expression qui eut son heure de gloire dans la guerre d’Algérie.

        Les rebelles capturés étaient classés en plusieurs catégories.

       « Il y avait les « PER », (partisans ennemis ralliés)… Les PER étaient d’un vif intérêt pour les sections de la « Guerre psychologique » et pour les étudiants américains désireux d’écrire des thèses de doctorat sur le communisme en Asie » (p,129,130

            « La bataille pour les cœurs et les esprits des habitants de Todak était déclenchée. » (p,191)

            L’auteure décrit les états d’âme d’un des officiers anglais, Luke :

            « Le malaise de Luke croissait. Même débordé de travail, traquant des hommes et des femmes pour leur credo politique, il s’interrogeait maintes fois sur ce qu’il faisait, tout  en se répétant que son devoir consistait à abattre le terrorisme, il lui arrivait de se demander pourquoi les moyens employés le bouleversaient tant. »  (p,206)

            Guerre totale ou guerre psychologique ?

            L’auteure met en scène une conversation tout à fait intéressante entre un ancien étudiant malais et un officier anglais, laquelle portait sur les méthodes de contrôle des esprits :

         « – Je vais te le dire dans un instant. Mahudin dit que le colonialisme britannique possède deux gros atouts. Le premier, c’est la comparaison avec la domination japonaise. Dans toute la Malaisie, on entend encore les gens déclarer : « Mais les Japonais étaient bien pire…

         Secundo, d’après ce que dit Mahudin, nous avons acquis une souplesse infinie. Il n’y a pas de limites aux déguisements, aux manteaux de vertu et de principe dont nous habillons les expédients qui nous servent à gouverner…

       Vous sapez notre confiance en nous-mêmes jusqu’à ce que nous n’existions que pour solliciter votre approbation. Pour vous « c’est injuste » équivaut à « ce n’est pas britannique » Vous nous gardez dans un perpétuel déséquilibre, péniblement conscients de notre infériorité, et voilà tout le secret de votre habileté et de votre pouvoir ?… (p343)

          Voilà ce que Mahudin appelle notre «  contrôle des pensées »…une hypnose d’infériorité provoquée, qui détruit confiance et initiative, et prolonge la période de tutelle que nous voudrions voir durer à jamais…

         Et je crois qu’en disant cela il a également mis le doigt sur sa propre faiblesse, car il a reçu une formation britannique dans nos écoles anglaises, et il ne peut nous échapper. Ainsi donc nous hait-il et nous aime-t-il tout à la fois » (p,344)

         Une admirable illustration d’une des formes de la domination de l’Empire britannique, vous ne trouvez pas ?

       La guerre coloniale anglaise était évidemment ambiguë, comme le soulignent les termes d’une conversation entre le général anglais et Quo Boon, le millionnaire chinois :

         « Nous faisons la guerre, une guerre à mort contre un ennemi dangereux, une bête menaçante qui rôde dans la jungle… et il nous faut toute la collaboration possible des gens de ce pays que nous protégeons contre cette bande de lâches assassins. Cette coopération, nous ne l’obtenons pas. Je sais ce que vous allez me répliquer… des arguments que j’ai déjà entendus : seul un peuple libre peut combattre le communisme…. Tant que  cette lutte anticommuniste est menée par un gouvernement colonial, c’est notre lutte, pas la vôtre. Voici pourquoi tant d’entre vous se prélassent en nous laissant tout le boulot. Vous êtes assis sur le mur. » (p, 368,369))

        C’était effectivement tout le problème, mais dans un contexte historique et politique très différent, la France rencontra le même type de difficulté, obtenir le soutien de la population, tel qu’elle put s’appuyer sur ce que certains appelaient une « troisième force », celle dont rêvait entre autres le général Challe, mais pour tout un ensemble de raisons, les jeux étaient déjà quasiment faits au moment de cette guerre.

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« Le sacrilège malais »
Pierre Boulle

            Comme annoncé en début de lecture du roman « … Et la pluie pour ma soif… », il parait intéressant de relier son contenu à celui de Pierre Boulle, dont le roman décrit ce à quoi ressemblait la Malaisie anglaise avant la deuxième guerre mondiale.

          L’intrigue de ce livre mettait en scène la vie d’un jeune ingénieur français, Maille, aux prises avec l’univers parfaitement organisé des plantations d’hévéas de Malaisie, une des richesses de la colonie, avec l’étain, que la puissance coloniale tenta de préserver après le désastre qu’y fut l’occupation japonaise.

       Une plantation d’hévéa était organisée et fonctionnait à la manière d’une industrie textile ou mécanique.

       Le lecteur pourra y faire connaissance avec le monde colonial anglais de Malaisie, les soubresauts de la conquête de la Malaisie par l’armée japonaise, le traumatisme national que fut la reddition de Singapour, fleuron de l’impérialisme anglais sur la route des Indes.

         A la défaite du Japon, les grandes sociétés capitalistes de l’archipel engagèrent la reconstruction des plantations comme si de rien n’était.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés