Les hauts fonctionnaires : l’ancien monde, le nouveau monde ou l’entre-deux monde ?
2- Troisième République avec l’ ancien haut-fonctionnaire Tardieu
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« Tardieu, un grand destin manqué »
« André Tardieu, l’incompris »
De Maxime Tandonnet, Perrin
En marge de sa photo « : « André Tardieu qui se disait vieux jeu, était pourtant en avance sur son temps. »
« Biographie Réhabilitation d’une figure politique de la III° République, esprit original et visionnaire, tombé dans l’oubli »
Le Figaro Histoire littéraire, le 10 janvier 2019, page 6
Les lecteurs ont déjà pu croiser la route d’André Tardieu dans la chronique que j’ai consacrée aux Mémoires de Joseph Caillaux, le 17 octobre 2018. Le portrait fait par Joseph Caillaux soulevait évidemment quelques questions auxquelles ce livre apporte sans doute des réponses.
Cette évocation était reliée au rôle de la presse sous la Troisième République, notamment en ce qui concerne son effet éventuel, et jamais mesuré sur l’état d’esprit colonial des Français, pour ne pas dire leur « culture coloniale », jamais mesurée non plus.
Il s’agit d’un sujet qui ne me parait pas avoir encore assez attiré l’attention des historiens, au cours de cette période, notamment dans le domaine colonial, alors qu’il s’agissait d’un des rares vecteurs d’information ou désinformation qu’il était possible de mesurer.
J’ai déjà eu l’occasion dans quelques-uns de mes écrits de faire le constat de cette carence historique notoire pour tout ce qui touche à l’histoire coloniale de la Troisième et Quatrième République.
Je publie à nouveau les pages consacrées à Tardieu, une figure de la Troisième République, car elles valent un détour de lecture :
« M.Hébrard, le directeur du Temps, vint plaider auprès de moi la cause de M.André Tardieu. Attaché au cabinet de Waldeck-Rousseau qui était lié avec les siens, nommé tout jeune inspecteur général adjoint des services administratifs du ministère de l’Intérieur, devenu par la suite inspecteur général titulaire, M.Tardieu rédigeait le bulletin de politique extérieure du Temps. Cumul critiquable, admissible cependant… à la rigueur ! Ce qui n’était pas tolérable c’est que M.Tardieu prétendit participer à des affaires internationales et qu’il soutint ou qu’il attaquât les ministres des Affaires étrangères suivant qu’ils secondaient ou qu’ils se refusaient à servir les intérêts pécuniaires de ses amis…. Ce que, en revanche, je relevais, c’était la position que M.Tardieu avait prise dans l’affaire de la N’Goko-Sangha. Il avait accepté, lui inspecteur général des services administratifs, de se faire contre l’État l’avocat stipendié de la Compagnie devant le tribunal arbitral constitué pour décider si la société concessionnaire avait droit à indemnité et pour en fixer le montant aux dépens du Trésor. Arrivant au ministère de l’Intérieur, je jugeai que je ne pouvais laisser passer sans sanction une incorrection – c’est le moins qu’on puisse dire – dont, si elle restait impunie, d’autres fonctionnaires pourraient s’autoriser pour en commettre de semblables.
M.Hébrard défendit très vivement son collaborateur… Il me fit valoir le profit que je retirerais du concours dévoué que le rédacteur de la politique étrangère dans le plus grand journal de la République ne manquerait pas de me prêter…
M.Hébrard fit valoir que ses deux prédécesseurs ne s’étaient pas formalisés de cette situation, M.M.Briand et Monis.
« Je souris. Je consentis le geste de générosité qui m’était demandé. » (p,107,108)
Tardieu était un brillant sujet, et le mélange des genres qu’il pratiquait ne l’empêchera pas de faire une belle carrière politique après la Première guerre mondiale, mélange des genres entre l’administration et la presse, entre un « journal de référence » de l’époque et le Ministère de l’Intérieur, ou entre affaires publiques et affaires privées.
Caillaux cite le dossier de la N’Goko- Sangha, qui fut un des enjeux de la négociation souvent secrète sur le Maroc entre la France et l’Allemagne (l’affaire d’Agadir) : il s’agissait d’une compagnie concessionnaire au Congo, une formule coloniale d’exploitation qui fut dénoncée, puis abandonnée, compte tenu des abus constatés notamment par Brazza.
Ajouterais-je 1) que Tardieu serait classé de nos jours, et par certains, comme un colonialiste convaincu, et 2) que l’auteur de l’ouvrage y célèbre peut-être un des grands anciens de l’Inspection Générale de l’administration.
Je n’oserais penser que son auteur ait voulu « sanctifier » à cette occasion un mélange des genres aussi célèbre que celui-là, sauf à y voir l’anticipation des nombreux mélanges des genres entre public et privé qui ont émaillé et jalonné les Républiques, l’actuelle y comprise.
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés