La Question Post-coloniale 3 – Chapitre 2 – L’importance des représentations géopolitiques – 1

La Question Post-coloniale 3

Chapitre 2

« L’importance des représentations géopolitiques »

(pages 63 à 123)

1

            Ce chapitre est important et il mérite un examen détaillé parce qu’il éclaire de nombreux aspects de la problématique de la géopolitique post-coloniale, telle que présentée par l’auteur.

            Il met le projecteur sur les interprétations géopolitiques que l’on peut avoir de notre passé colonial, sans toutefois répondre à une question préalable : qu’est-ce que l’auteur désigne comme des « représentations géopolitiques », car le mot et le sens de ce concept très extensif auraient justifié dès le départ d’être défini dans les cas examinés. L’auteur laisse le lecteur les retrouver et les comprendre au fur et à mesure de son analyse, une sorte de lecture anglo-saxonne à partir des cas.

J’ai été surpris de constater que l’auteur ne faisait pas référence au travail du Colloque Savant « Images et Colonies » qui s’est tenu les 20, 21, et 22 janvier 1993 et qui avait précisément pour objet cette catégorie importante des représentations, les images coloniales ou impériales : les conclusions de ce colloque n’étaient rien moins que très nuancées.

            L’auteur, comme il s’en explique longuement aux pages 115 et suivantes est issu d’une matrice maghrébine anticolonialiste dynamique et puissante qui a animé beaucoup de travaux sur les mêmes thèmes, disposait d’un bagage d’expériences et de relations dont il fait profiter le lecteur, notamment sur l’Algérie. (professeur dans un lycée d’Alger de 1950 à 1955, membre du Parti Communiste Français dont le rôle fut pour le moins ambigu au début de la guerre d’Algérie, jusqu’en 1956).

Une matrice maghrébine anticolonialiste ? Il s’agirait d’un beau sujet de thèse qui devrait intéresser un jeune chercheur soucieux de vouloir démêler le mélange des genres entre science humaine et engagement politique.

L’auteur nous y livre son itinéraire colonial, en même temps qu’il définit ses « représentations » du passé :

« J’ai en effet des rapports personnels complexes avec le phénomène colonial, puisque j’ai passé toute mon enfance au Maroc… Je suis donc né au Maroc… A la veille de la Seconde Guerre mondiale, ma famille est revenue en France où mon père est mort : j’avais 11 ans…je suis retourné au Maroc faire durant un an mes premières armes de géographe sur le terrain.

Mais, et cela me surprend encore, le mouvement pour l’indépendance des Marocains, comme celui plus tard des Algériens, m’a toujours absolument légitime, et je crois que cela ne résultait pas de mon appartenance – un temps- au Parti communiste français. Je suis en quelques sorte, depuis, depuis mon enfance (certes assez privilégiée), mais assez curieusement un colonial anticolonialiste – c’est évidemment une représentation…(page 115)

« Autre représentation : je crois que de nos jours tout homme dans de graves circonstances, est fier de sa nation (à l’exception peut-être des Allemands lorsqu’ils ont découvert les horreurs du génocide perpétrées par les hitlériens. Il se trouve que je suis français et je m’en félicite comme d’une grande chance ; j’aime ma France, nonobstant le désastre de 1940 et les guerres coloniales que j’ai dénoncées comme des opérations vouées à des échecs déshonorants. Contrairement à ce que proclament ceux qui prônent la « repentance » (jamais la leur, mais celles de leurs adversaires politiques), j’estime que ce ne sont ni la France ni la nation qui ont mené les entreprises coloniales et moins encore la traite des esclaves, mais de petits groupes d’hommes résolus… (page 115)

Je suis donc français, j’en suis très fier et allez savoir pourquoi, cela me parait expliquer la sympathie admirative que je porte à tous ceux qui luttent pour l’indépendance de leur pays, même lorsqu’ils combattaient  le mien – ou plutôt ceux qui menaient la politique de ces dirigeants contrairement à la formule usuelle, les pays ne se battent pas entre eux… »(page 116)

Commentaire : je me limiterai à l’essentiel, car le propos tenu soulève un profond malaise pour quelques-unes des nombreuses questions par ce genre de confession, ou pour user du langage quelque peu ésotérique de l’auteur, ses « représentations ».

J’ai pris acte tout d’abord de son « interprétation » d’une certaine présence française dont l’inspiration n’était pas celle de notre nation : à maintes reprises, j’ai écrit que la France n’avait eu ni culture coloniale, ni culture impériale.

Pourquoi ne pas rassurer par ailleurs l’auteur sur le nombre de Français qui partagèrent ce type de réaction, de refus du monde colonial tel qu’il existait encore entre les deux guerres, je pense par exemple à  Robert Boudry, Gouverneur général intérimaire de Madagascar entre 1939 et 1945. Je pense aussi à un camarade instituteur au Maroc dans les années 50 qui me décrivait dans ses lettres la situation d’alors… Ces exemples seraient innombrables, mais cela n’a pas empêché cet ami d’enfance d’aller faire la guerre d’Algérie au titre du contingent ?

En 1954, lors du début de l’’insurrection, en 1954, le Parti communiste partageait le même discours sur l’Algérie française que les autres dirigeants d de la SFIO ou du MRP. En 1956, les députés communistes votèrent les pouvoirs spéciaux  au gouvernement Guy Mollet…

Innombrables furent en effet les témoins de ce type de situation coloniale : citons, en 1914-1918, les tirailleurs sénégalais, Ho Chi Minh lui-même, et plus tard toute une série d’intellectuels coloniaux venus étudier en France tels que le député malgache Rabemananjara.

La deuxième guerre mondiale et l’expérience des guerres coloniales donnèrent à d’anciens combattants la même maturité civique et le refus du système colonial, à Ben Bella par exemple.

Je puis enfin rassurer l’auteur sur la « représentation » ou les « représentations » que je partageais avec mes camarades du contingent en Willaya III dans la vallée de la Soummam dans les années 1959-1960 : que faisions-nous dans ce pays ? Sinon, attendre la « quille », un cessez-le feu, en continuant toutefois le combat contre des rebelles qui étaient courageux.

Je suis loin d’être assuré que les anciens du contingent, encore vivants, puissent apprécier la description d’une guerre qui biffe purement et simplement leur existence, leurs blessés et leurs morts, et la mission qui leur avait été confiée par les autorités légitimes de la République Française.

En ce qui concerne la définition du mot représentation, revenons donc au Petit Robert, car le mot y bénéficie d’un très large spectre linguistique, pas loin d’une colonne.

            « Action de mettre devant les yeux ou devant l’esprit de quelqu’un…2° Le fait de rendre sensible (un objet absent ou un concept) au moyen d’une image, d’une figure, d’un signe, etc. »

A la page 71, l’auteur cite l’expression « Fracture coloniale » comme une « métaphore illogique ».

            Dans le contexte historique examiné, l’auteur cite en effet le livre « Fracture coloniale », publié en 2006, mais le groupe Blanchard, comme déjà indiqué, s’était illustré auparavant par la publication de deux autres ouvrages dont le contenu aurait incontestablement mieux répondu au souci d’illustration de la définition du terme « représentations », deux livres de date antérieure « Culture coloniale » et « Culture impériale » qui diffusaient une grande palette d’images couplées avec des interprétations de ces représentations du passé colonial : ce panel d’images jouait à fond la carte d’une représentativité historique non démontrée, sur une « imprégnation » coloniale non démontrée, et sur un « inconscient collectif » colonial pas plus démontré.

            Le groupe Blanchard and Co a surfé sur les « zoos humains », en utilisant un angle d’attaque incontestablement attractif, mais idéologique et politique, en s’abstrayant de toute rigueur scientifique et historique.

            Il serait intéressant de connaître le chiffre des ventes de ces livres, hors milieu universitaire.          

            L’auteur cite également le livre noir de Marc Ferro, et fait référence à la guerre des mémoires (page 68), des mémoires que l’historien et mémorialiste Stora n’a jamais eu le courage de faire mesurer, alors qu’il est l’auteur du petit livre paru sous ce titre.

            L’auteur a choisi le terme fourre-tout de représentations alors que l’expression de « propagande postcoloniale » aurait été sans doute plus appropriée, car il s’agit bien de cela.

            Revenons au texte :

            L’auteur écrit : « Dans tout raisonnement géopolitique, il ne faut pas seulement tenir compte des caractéristiques objectives, matérielles, mesurables, des populations qui vivent sur le territoire où se livre une rivalité de pouvoirs. Il faut aussi tenir compte des idées, des « représentations que chacun des groupes antagoniste (avec ses leaders) se fait à tort ou à raison, de la réalité ; de ses droits sur ce territoire comme de ce qui lui apparait comme important dans tout ce qui l’entoure, y compris au niveau mondial. Ces représentations plus ou moins subjectives sont presque toujours produites par ce que l’on peut appeler au sens le plus large des intellectuels, c’est à dire des hommes et des femmes qui réfléchissent, qui discourent, bref qui produisent des idées nouvelles et en reproduisent d’autres dont ils ne connaissent pas précisément l’histoire. » (page 64)

L’auteur revient aux « jeunes » des « grands ensembles », un sujet dont il fut un des spécialistes, évoque à nouveau une lutte de pouvoirs avec la police, en distinguant le positif et le négatif… :

« Mais ils expriment leurs insatisfactions et leurs inquiétudes par une hostilité croissante à l’encontre du pays et de la société où l’immigration de leurs grands-parents, il y a plusieurs décennies, les a fait naître. La justification de cette hostilité se fonde sur des représentations historiques qui, dans les milieux intellectuels, font de nos jours consensus dans la mesure où celles-ci réprouvent la colonisation depuis que les empires coloniaux ont disparu. Or, pour bien marquer leur différence, les jeunes intellectuels « issus de l’immigration » proclament que le colonialisme continue d’exister en France. » (page 65)

Questions : 1) nés en France ou venus après leur naissance ?

            2) « Consensus » ? La pertinence aurait voulu qu’il ait été mesuré, ce qui n’est pas écrit.

            3) S’agit-il des « grands ensembles » et non de la nation ?

            L’auteur analyse alors :

            « La diffusion de représentations accusatrices du colonialisme (page 67)

            « … Pour schématiser, on peut dire que, malgré les effets de « l’absentéisme scolaire », un certain nombre de ces jeunes vont au collège et qu’ils s’intéressent particulièrement, même de façon brouillonne et agressive, à ce que disent les professeurs d’histoire-géographie sur la colonisation et la traite des esclaves en effet, depuis une dizaine d’années, les programmes scolaires prescrivent qu’un certain nombre d’heures d’enseignement soient consacrées à ces problèmes qui sont aussi de plus en plus présents dans les manuels les enseignants en font d’autant plus état que cela les intéresse personnellement et passionne les élèves il n’en reste pas moins que, dans ces quartiers ou à proximité, la tâche des professeurs – qui sont de plus en plus des femmes – est encore plus difficile qu’ailleurs. » (page 67)

            Commentaire : cette analyse concerne les « grands ensembles », mais elle montre le rôle important des professeurs d’histoire géographie très souvent séduits par  une culture multiculturelle de gauche très influente dans l’ensemble de notre système scolaire. Il fut un temps où il s’agissait de la culture marxiste, mais faute de marxisme, on s’est rabattu sur une autre thématique à la mode, d’autant plus facilement que l’ouverture des frontières a fait sauter beaucoup de frontières culturelles, et misé sur la générosité et l’idéalisme de la jeunesse, comme de tout temps.

            Il serait sans doute possible de mettre au défi scientifique les animateurs et propagandistes de cette lecture de notre histoire de mesurer le même type de « représentations » dans les livres des 3ème et 4ème Républiques, images, nombre de pages, et lignes de texte, en tenant compte évidemment des contextes historiques correspondants, en l’absence notamment des images télévisées et de celles des réseaux sociaux.

            «  Un consensus de rejet de la colonisation depuis qu’elle a disparu.

            « Tout cela est la conséquence du développement relativement récent du vaste courant d’idées qui stigmatise la colonisation. Les quelques tentatives maladroites pour faire admettre qu’il n’y eut pas que des atrocités dans les colonies et que tout n’y fut pas constamment aussi épouvantable, suscitent de la part de certains (nouveaux venus en la matière) un surcroit d’accusations indignées et de publications vengeresses. » (page 67)

Questions : sur un sujet aussi sensible et polémique, le lecteur aurait aimé avoir plus de précisions sur les constats soulignés.

            « Consensus » : quelle évaluation ? « Vaste courant d’idées » : quelle évaluation ? « Publications vengeresses » ? Lesquelles ? Fusse en renvoi !

            Quel intellectuel aura le courage de contester les témoignages d’Hampâté Bâ dans ses nombreux livres, dont l’un de grande sagesse –« Kaidara », avec sa vision capitale des deux versions de la colonisation, la diurne et la nocturne ?

            L’histoire de l’impérialisme n’a jamais eu, ni frontière, ni époque : il s’est inscrit dans ce que la philosophie chinoise, a dénommé « le cours des choses ».

            De nos jours, comme par le passé, les « spécialistes », dénomment un certain de type de domination par l’expression gentillette de « soft power », mais le « hard power » n’est jamais loin, le totalitarisme, comme c’est le cas en Chine, en Corée du Nord, en Turquie…

            Tout au long des derniers mois, jeunes algériens et algériennes se sont mobilisés, semaine après semaine, pour contester une nomenclature dictatoriale qui ne dit pas son nom.

            « L’écho de problèmes géopolitiques extérieurs aux banlieues (page 72)

            Question : S’agit toujours plus des banlieues en général ou des « grands ensembles » ?

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Médias : des lettres ou des chiffres ? Quels chiffres ? Ou les nouveaux sophistes ?

Les ordres de grandeur et la représentativité des informations diffusées par les médias ?

            Il est évident que dans notre pays, l’information baigne dans une sorte de halo complice dominé aujourd’hui par les acteurs multiculturels, mondialistes de l’establishment parisien où le fric fait bon ménage avec la charité internationale et une mondialisation heureuse.

            Notre information souffre d’un autre défaut beaucoup plus grave, celui de la représentativité des sujets traités et des informations données.

            On oublie trop chez nous les rapports de grandeur et de force – cela nous arrange – entre les grandes, moyennes, ou petites puissances du monde actuel.

            J’aimerais par exemple que chaque matin, en se levant, le ou la journaliste se rappelle par exemple que le Parti Communiste Chinois compte presqu’autant d’adhérents, en tout cas officiels, que la population française, que beaucoup d’entreprises américaines ont un chiffre d’affaire qui dépasse celui de notre budget, ou encore qu’en 2050, l’Afrique comptera  plus de 2,5 milliards d’habitants, au lieu du 1,2 milliard actuel.

            Rappelons qu’en 2017 la Chine comptait 1,29 milliard d’habitants et l’Inde 1,33 milliard d’habitants.

Les Chaines de télévision publique ? « Publique » ou « privée » ?

            Incontestablement, il y a beaucoup de bon et de positif dans les productions des chaines publiques que nous finançons, mais elles font à mes yeux une trop large place aux jeux ou au show-biz.

            Il serait tout à fait légitime que les grandes chaines, la 2 et la 3 se voient imposer par les pouvoirs publics des quarts d’heures de citoyenneté où seraient débattus des sujets de « politique » non politique, c’est-à-dire touchant à la vie de tous les jours.

            Comment ne pas se poser enfin la question de savoir à qui appartiennent les chaines publiques, à la collectivité nationale ou aux producteurs d’images en tout genre, aux Ruquier, Delahousse, Salamé, ou Nagui…?

                        Jean Pierre Renaud