Les Tartufferies françaises sur l’immigration: on continue!

Ou pourquoi ne pas avoir le courage de dire la vérité aux Français et aux Françaises, au risque de nourrir « les fantasmes, les frustrations, et la colère » dont parle Mme Memona Hintermann, membre du Conseil Supérieur de l’audiovisuel ?

Et de nourrir la clientèle des extrêmes !

Petit guide de lecture de la presse : l’exemple du Journal Le Monde du 4 février 2014

Deux pleines pages, à gauche : « Rien ne va plus à l’école », à droite, « Les enfants des pauvres sont-ils condamnés à l’illettrisme ? »

 Dans la page de gauche, il faut lire attentivement le reportage pour comprendre qu’une partie du problème est liée à l’origine géographique des parents de ces enfants.

            Le titre de la page droite est donc non seulement trompeur, mais il stigmatise les pauvres, alors que la pauvreté n’est pas synonyme d’illettrisme.

       Les jours suivants, le même journal publie d’autres articles sur le même sujet, qui est effectivement important, mais il faut attendre le journal du 7 février pour avoir une analyse plus précise du sujet : à la page 7, un encadré en noir avec le titre « Davantage d’échec scolaire pour les enfants d’immigrés »

            Une enquête TeO « a ainsi permis de dresser un premier portrait des quelques 5,5 millions d’immigrés en France. TeO a ainsi permis de mettre en exergue, par exemple, que les descendants d’immigrés étaient 13% à sortir de l’école sans diplôme contre 8% pour l’ensemble des Français. »

 L’article précisait au début « Les données chiffrées mesurant l’intégration des immigrés et de leurs enfants sont rares en France, du fait de l’interdiction des statistiques ethniques. »

             Est-ce que la France, c’est-à-dire les pouvoirs publics, l’exécutif et le législatif, vont enfin avoir le courage de lever cette interdiction stupide qui confine au ridicule, étant donné qu’elle nie un problème d’intégration réel dans notre pays, mais dont on refuse d’en mesurer l’ampleur et les effets ?

            Alors, tout discours sur les quartiers sensibles, et l’annonce gouvernementale de création d’un nouvel organisme, rattaché au Premier Ministre, ne changera pas grand-chose tant qu’on refusera la vérité du « thermomètre », c’est-à-dire la mesure du problème, toute arrière- pensée mise à part. Il semble tout de même difficile de prôner l’invisibilité tout en prônant du même pas la visibilité, c’est à dire la non-discrimination, comme paraissait le proposer l’historien Pap Ndiaye dans son livre sur la condition noire.

           Toutefois une note rassurante, celle de Mme Mémona Hintermann, nouveau membre du Conseil Supérieur de l’audiovisuel « Sur la diversité, je ne reculerai pas, sinon je ne sers à rien », dans le supplément Télévisions Le Monde des 9 et 10 février 2014.

          A la question qui lui était posée sur la diversité, le faible pourcentage de la représentation du handicap à la télévision, 0,4%,  Mme Mémona Hintermann de répondre :

            « …De même, les Noirs, les Arabes. Il serait temps, comme les Américains ou les Britanniques, d’engager un véritable débat sur ces questions de façon décomplexée et dépassionnée.

         Notamment sur les statistiques ethniques pour lesquelles vous êtes favorable ?

      En effet, car tout le problème est là. Dernièrement, quelqu’un m’a dit : « Avec  17% de non-blancs représentés dans la fiction, ils auront bientôt atteint le quota ! » 

    «  Quel quota ? Ai-je rétorqué puisqu’il n’y a aucune donnée. Cela montre bien qu’un outil statistique manque cruellement pour savoir où nous en sommes. Sinon, nous continuerons à entretenir les fantasmes, les frustrations et la colère… »

 Décidément la France est un  drôle de pays qui condamne à tout bout de champ le racisme et les discriminations, mais qui refuse la vérité des chiffres, c’est à dire la mesure de ces dérives par rapport au nombre de personnes concernées au sein de la population française !

             Qui a peur des chiffres, de la vérité ?

           Une sorte d’establishment politico- médiatico- humanitaire qui fait le jeu des extrêmes, faute d’avoir le courage d’examiner, à la lumière du bien commun, à la fois la situation générale du pays et celle de nombreuses communautés de vie qui n’en peuvent plus mais…

Jean Pierre Renaud

Respect Mag N°31 Octobre Novembre Décembre-100% Noirs de France: Notes de lecture

Respect Mag N°31

Octobre Novembre Décembre 2011

100% Noirs de France

Notes de lecture

Le texte qui nous est propre est en caractères italiques

            Un numéro de magazine riche, intéressant, et utile par les ouvertures d’information très diversifiée qu’il propose sur le « groupe » politique, social, économique et culturel des Noirs de France.

            Compte tenu de la grande variété des thèmes de réflexion proposés, il est difficile d’en donner un compte rendu fidèle.

            Nous nous attacherons à commenter les points qui nous paraissent les plus importants : la présence effective des noirs en France, la connaissance ou non que nous avons de la question noire, le problème sensible des statistiques, la créativité noire en France, l’avenir de l’outre-mer, et la mémoire.

            Nous examinerons enfin d’autres questions « impertinentes » qui auraient, également, pu être abordées.

            1 – La présence effective des noirs en France :

M.Dolum (page 7) note à juste titre : »Alors, oui, le monde noir existe bel et bien en France. »,  et le magazine n’esquive pas la question difficile des racines.

Dans le dialogue entre M.Kelman et M.Sar, le premier est partisan d’une rupture assumée avec le continent africain, alors que le deuxième revendique une filiation non moins assumée.

Et le magazine note, en ce qui concerne la « Diaspora africaine (page 43)

« Des relations réinventées

Porté par les premières générations d’immigrés, le mythe du retour est dépassé. On invente désormais sa relation avec le continent au gré des questionnements et des urgences. »

M.Cissoko déclare « Nous sommes sans cesse renvoyés à une culture que nous ne connaissons pas. »

M.Protche déclare : « Les Afro-français sont à la fois mieux installés ici et plus proches de là-bas. »

Et M.Diawara de répondre à un moment donné : « Je ne suis ni Français, ni Malien, mais les deux. »

Ces différentes interventions situent parfaitement la complexité du problème, et à ce sujet, il aurait été possible d’esquisser peut-être la   « fracture coloniale clandestine », qui divise sans doute cette « communauté » entre noirs originaires des îles Caraïbes et noirs venus récemment d’Afrique.

Une catégorie de fracture qui n’a pas été analysée par les auteurs du livre « La Fracture coloniale », dont les thèses qui concernent la France, prêtent à discussion, en tout cas sur la base d’une analyse fondée sur une évaluation statistique sérieuse  des mémoires qui existent ou non à ce sujet.

2 – La connaissance de la question noire : suffisante ou insuffisante ?

L’historien Pap Ndiaye la trouve insuffisante (page 24) :

« Cette présence en France n’est pas suffisamment étudiée parce que les Noirs sont trop souvent considérés comme extérieurs à la société française d’hier et d’aujourd’hui. Aux Etats Unis, les « black studies » se sont développés dans le sillage du mouvement pour les droits civiques. La plus grande visibilité des Noirs de France, depuis quelques années a enfin amorcé quelques conséquences universitaires. »

Et le même constat est proposé plus loin sous la rubrique «  Universités France-USA :

« A la recherche de la question noire

L’étude de la minorité noire est monnaie courante aux Etats Unis, via les fameuses Black Studies. En France, on peine encore à assumer cet enseignement. Des approches très différentes, révélatrices d’une histoire singulière. »

 « Le déni français », tel qu’il est décrit, existe-t-il ?

La référence qu’un certain nombre de chercheurs trouvent dans les Black Studies américaines est-elle effectivement pertinente ?

Les fameuses « Black Studies » comme modèle, et toujours l’exemple américain qui serait curieusement devenu un modèle de société « multiculturelle » pour les Français ?

Alors que l’armée américaine était jusqu’en 1948, une armée de discrimination, et que la discrimination n’a disparu, l’officielle, que dans les années 1960, comme par hasard juste après la fin de la guerre d’Algérie.

Une Amérique de la discrimination raciale, comme modèle ?

Est-il possible, sérieusement, de mettre la France et les Etats Unis sur le même plan ?

D’autant moins qu’il n’est nul besoin d’avoir de solides connaissances historiques à ce sujet, pour savoir que la nation américaine n’a été le fruit, ni  d’une longue histoire comme la nôtre, ni d’une nation marquée par la traite transatlantique !

Les initiatives de la Fondation Thuram dont le magazine rend compte (page 34), ont pour but de « traquer le racisme » dès le plus jeune âge : 

« L’homme de couleur »

« Une aberration

Une fondation, des livres, des interventions en milieu scolaire… l’ancien footballeur est toujours sur le terrain pour traquer le racisme ; droit au but : l’éducation »

L’article consacré à « La palette des petits » : à Mantes la Jolie, « Respect Mag s’invite pour évoquer le thème de la couleur avec des écoliers de toutes origines, instructif ! », une initiative tout à fait intéressante.

Dans la même perspective, l’historien Durpaire formule quelques propositions pour rénover l’enseignement de la question noire.

Il est incontestablement possible de faire beaucoup mieux dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, mais comment ne pas relier cette « carence » supposée au phénomène récent de l’immigration africaine des dernières années, et au fait que les Français, contrairement à ce que nous racontent certains chercheurs, ne se sont jamais, sauf pendant de courtes périodes, passionnés pour l’Afrique coloniale.

3 – Le problème très sensible des statistiques

Pourquoi ce refus des chiffres ?

Alors que les pages consacrées au thème « Société » montrent bien que, d’ores et déjà, les portes du présent et de l’avenir sont ouvertes aux membres de cette « communauté ».

La première question de fond à régler est celle du comptage des membres vrais ou supposés de la « communauté » noire : ce numéro de Respect Mag la pose à plusieurs reprises et à juste titre, sans se cacher derrière son petit doigt.

Comment dénoncer les discriminations qui existeraient dans de nombreux domaines, notamment le politique, sans pouvoir avancer l’importance numérique d’une communauté qui s’estime discriminée ?

Tant que les représentants de la dite communauté n’auront pas le courage d’afficher, si je puis dire, la couleur, leur discours aura évidemment peu de crédit.

Dans les premières pages du magazine, la journaliste Audrey Pulvar (page 8), raconte son itinéraire de vie, sous le titre « L’exemple doit venir d’en haut », et répond à toute une série de questions, dont :

Mesurer la présence des minorités pour avoir une lecture fiable de notre réalité et pouvoir agir, vous y êtes favorable ?

Je ne suis pas contre l’idée de compter les gens. Quand je suis arrivée à France 3, c’était la première fois qu’une noire présentait un journal sur une chaine hertzienne… »

Dans la rubrique « Emploi », le magazine rapporte :

            « Discriminations ethniques

Corriger sans compter ? »

M.Kamel Hamza déclare «  Il faut cesser d’être hypocrite, tout le monde compte. », et M.Legrand, sous le titre « Mesurer pour mieux comprendre », responsable de la diversité chez l’Oréal, explique comment dans son entreprise on procède pour faire avancer la cause de la diversité.

Et plus loin, dans les sujets de société, le thème revient à la charge :

En ce qui concerne le monde politique, les personnes interviewées constatent à l’unanimité que la « communauté » noire y est insuffisamment représentée.

M.Haidari y déclare : « Il a fallu la loi sur la parité pour prendre en compte les femmes car il n’y aurait pas eu de transition par les mentalités… de la même manière, il faudra agir sur les quotas pour insérer les Noirs en politique » (page 63)

Mais dans la page 64 qui suit, M. Yangé apporte sa réponse :

« Impossible d’évaluer le nombre d’entrepreneurs, d’emplois créés, le poids d’un chiffre d’affaires. Ce qui explique en partie pourquoi cette communauté a tant de difficultés à peser dans la société : on ne sait pas ce qu’elle représente. »

Et dans le même article, tout de même quelques chiffres :

« Une étude du Cran-TNS Sofres de 2007 estime la population afro-caribéenne en France à 1,9 million de personnes ». Un chiffre inférieur à la réalité », selon Didier Mandin du cabinet Aka-a (spécialisé en études d’ethno-marketing) : il ne prendrait en compte que les adultes et exclurait la troisième génération descendante de migrants. On se rapprocherait alors plutôt de 2,5 à 3 millions. »

A noter que sur le blog du 27/11/2011), dans une chronique intitulée « Rigueur historique ou non ? »,  j’ai fait état de la différence d’appréciation assez sensible qui séparait les chiffres de la communauté noire au XVIII° siècle avancés par les deux historiens Blanchard et Ndiaye, 25.000 pour le premier contre de 4 à 5.000 pour le second.

4 – La créativité noire en France le magazine nous propose un vaste panorama de l’activité des noirs de France dans beaucoup de domaines, notamment dans la musique et l’économie, avec la carence déjà signalée dans le monde politique, mais qui demande à être confirmée par la statistique, et dans le cinéma.

5 – Présent et avenir de l’outre-mer :

Le lecteur reste un peu sur sa faim.

« A la question,

« Un changement que vous souhaiteriez… Mme Pulvar répond :

Un changement institutionnel. Je suis pour une plus grande autonomie des départements d’outre- mer. .. Moi, je suis pour l’indépendance de la Martinique ; cela n’arrivera probablement pas de mon vivant, mais je pense que c’est un horizon accessible et souhaitable. »

C’est-à-dire concrètement pour le court et moyen terme?

Dans la rubrique consacrée aux « Enjeux », Mme Taubira déclare :

« Il faut comprendre que les Outre-mer sont un ensemble de lieux, pas des appendices de la France. »

Très bien, mais que propose comme solution institutionnelle Mme Taubira, et qu’a-t-elle proposé jusqu’à présent ?

« Première piste : replacer les Outre-mer dans un contexte économique, social, politique, qui soit tourné vers leurs voisins… Autre idée : présenter aux Présidentielles de 2012 un candidat commun à tous les Outre-mer. »

Un prochain numéro de Respect Mag nous en dira sans doute plus sur les propositions de l’intéressée pour replacer « les Outre-mer dans un contexte… qui soit tourné vers leurs voisins… », car c’est effectivement une partie du problème !

Mmes Pulvar et Taubira abordent à juste titre le sujet des institutions du monde caraïbe, mais j’aimerais savoir pourquoi, tout au long des années, les élites politiques locales, Césaire y compris, n’ont pas opté pour l’autonomie, sinon pour l’indépendance ?

Qu’a proposé et que propose de précis et de concret à ce sujet, Mme Taubira pour la Guyane ? Il serait donc très intéressant de le rappeler à vos lecteurs

– La mémoire

L’historien « entrepreneur » Blanchard, selon le nom de baptême que lui a conféré l’historienne Coquery-Vidrovitch, répond à un ensemble de questions posées sous le titre « Sortir des mythologies et de la méconnaissance », vaste sujet pour un chercheur plus spécialisé dans l’image coloniale, telle que montrée en France, que dans leur évaluation statistique, chronologique, c’est à dire historique. Dans le livre « Supercherie coloniale », nous avons démontré les limites de son exercice.

L’historien Durpaire note à juste titre qu’il ne convient pas de « réduire le noir à l’esclavage », notamment dans les manuels scolairesalors que tout un courant de chercheurs la choisit comme cause historique ou mémorielle numéro un, en faisant le plus souvent l’impasse sur l’esclavage domestique Mme Vergès déclare de son côté : « Il faut décolorer le droit », c’est-à-dire, sur le plan littéraire ou juridique ?

Et à cet égard, les historiens de la « périphérie » ont trop tendance à vouloir ignorer cet esclavage domestique (voir la proportion très faible des travaux universitaires de l’Université de Dakar sur le sujet), de même qu’ils feignent, souvent et aussi,  d’ignorer, sur un tout autre plan, les structures de castes qui existaient dans beaucoup de ces sociétés, lesquelles en conservent encore des séquelles bien vivaces  de nos jours.

Comment ne pas observer que de nos jours, l’esclavage domestique a laissé au moins autant de traces, sinon plus, sur les bords du Niger ou de la Betsiboaka que la traite des esclaves, transatlantique ou arabe?

Et en ce qui concerne l’histoire de la Réunion à laquelle Mme Vergès fait référence, il serait intéressant que dans un numéro ultérieur de Respect Mag, elle nous dise ce qu’elle pense de l’impérialisme de type secondaire qu’a été celui de son île, au cours des derniers siècles, un impérialisme de type secondaire qui a nourri d’abord une traite des esclaves malgaches et a conduit ensuite à la conquête de Madagascar. De nos jours, les destinées de Madagascar sont encore beaucoup trop influencées par le groupe de pression réunionnais.

7 –  Notre questionnement « supplétif » :

Comment ne pas examiner aussi les questions posées par le magazine à la lumière des courants d’immigration africaine des trente dernières années, un mouvement quasi-continu qui a profondément transformé le visage du pays ?

Immigration choisie ou pas, il n’est pas besoin d’accuser à tout moment les Français de ne pas jouer le jeu de l’immigration officielle ou clandestine, et de classer automatiquement les Français qui manifestent une hésitation légitime à ce sujet dans la catégorie des adeptes du Front National.

Certains citoyens de France estiment, à tort ou à raison, et à mon avis, en partie à raison, que notre pays a été trop « humanitaire », pour ne pas dire laxiste et irresponsable, compte tenu des problèmes d’intégration souvent redoutables qui n’ont pas été résolus, et vos lecteurs le savent parfaitement bien.

Beaucoup des thèmes analysés par Respect Mag mériteraient de l’être à la lumière de ces transformations profondes de la société française.

Mesdames et messieurs, pourquoi ne pas vous poser aussi la question du pourquoi des regards, des attitudes, du déni que vous prêtez à toute une partie du monde blanc ?

Est-ce qu’il vous arrive de vous interroger sur les difficultés qu’ont un certain nombre de Français à bien interpréter certains aspects de vos cultures d’origine, auxquelles vous êtes attachés, notamment en matière de parentèle ?

Une parentèle subtile, étendue, souvent collatérale, complexe que beaucoup de Français ne connaissent pas, et dont ils ne comprennent pas toujours les puissants enjeux de solidarité qu’elle représente.

Et votre très grande habileté, pour ne pas dire une forme de « génie », bien supérieure à celle de la plupart des Français dits de souche, pour utiliser toutes les astuces de nos législations nationales, et bien sûr, sociales.

Dans son livre « L’Afrique Noire est-elle maudite », Monsieur Konaté, que vous ne classez pas, je l’espère, parmi les traîtres au pays, a bien décrit un certain nombre de traits de la culture africaine qui font problème, une solidarité familiale ou clientéliste excessive, un modèle familial et social archaïque, la survivance des castes….

Les métropolitains ne comprennent pas toujours les éléments de l’univers culturel et religieux de leurs immigrés africains ou maghrébins, et à cet égard, pourquoi ne pas reconnaître que beaucoup de Français s’interrogent sur la capacité de l’Islam de France à entrer dans le cadre de nos lois laïques ?

Un effort de compréhension est donc d’autant plus nécessaire que beaucoup de nos communes n’ont compté aucun noir jusqu’à l’époque moderne

Le journal la Croix a publié le 14 décembre dernier une analyse intitulée « Comment mieux accueillir les prêtres étrangers », mais dans beaucoup de paroisses de nos campagnes, on n’avait jamais vu, il y a encore vingt ou trente    ans, un prêtre noir dire la messe du dimanche dans l’église du village. Il faut en avoir conscience avant d’avoir des jugements rapides.

Quelques témoignages intéressants de religieux qui, a priori, seraient sans doute à classer dans la catégorie des humanitaires, dans ce même numéro :

Trois sœurs sénégalaises à Lisieux (page 3) : « Pendant un an, nous avons observé notre environnement. Nous avons trouvé notre place progressivement…. Ce qui a frappé sœur Thérèse-Marie « les eucharisties ne sont pas aussi joyeuses qu’en Afrique … les gens ont tendance à garder pour eux ce qu’ils vivent. Ils ne l’extériorisent pas. »

Un prêtre malgache à Paris : « Mon arrivée ne fut pas très facile, j’ai été confronté à une nouvelle culture et à de nouveaux codes, par exemple, manger autre chose que du riz, qui constitue la nourriture de base chez moi. »

N’en rajoutons pas, car il est facile d’imaginer les problèmes d’adaptation d’immigrés venus grâce à leur famille, ne sachant ni lire, ni écrire, et ne parlant pas notre langue.

Enfin, et pour conclure, je dirais volontiers trois choses :

La première : il n’est pas sûr que le coup de projecteur que veut donner la fondation Thuram sur les zoos, les exhibitions, serve beaucoup la cause de sa fondation.

N’ayant pas vu cette exposition, je suis sûr que ses organisateurs ont eu l’honnêteté intellectuelle et historique de faire état des nombreux travaux de l’Association « Images et Mémoires » qui ont porté sur une autre forme d’exhibition, moins médiatique sans doute, c’est-à-dire moins provocatrice, et en tout cas, moins caricaturale, celle des « Villages Noirs » dont l’histoire de synthèse est racontée dans le livre « Villages Noirs » (Editions Khartala-2001). Le chapitre 3 du livre « Supercherie coloniale» (Mémoires d’hommes) propose par ailleurs une lecture moins anachronique de cette mode des zoos que celle de l’équipe animée par le « conseiller » historique de Thuram.

Sans évoquer un certain état de l’Afrique noire au moment des conquêtes coloniales, terre de castes, d’esclavage, et de guerres intestines, les premiers contacts entre noirs et blancs ont été placés sous le signe de l’étrangeté, le premier blanc rencontré étant perçu comme un être fantomatique, issu d’un autre monde, sinon maléfique.

Sur le blog du 17 mars 2011, j’ai rappelé l’expérience d’«exhibé » qu’avait faite l’africaniste Delafosse en Côte d’Ivoire, en 1907, dans le village de Siemen, dans la région de Man, racontée dans le livre « Broussard ou les états d’âme d’un colonial » (1923)

Une expérience vraiment différente de celles qui sont mises en vedette par l’ancien footballeur international ?

Pour mémoire, la Côte d’Ivoire a été créée de toutes pièces par un décret de la France coloniale du 10 mars 1893.

Pour revenir à l’actualité, certains journalistes de télévision à succès ne projettent-ils pas le téléspectateur dans un décor moderne de « zoo », par exemple, chez les Nenetz  du grand Nord ou les Himbas de Namibie ?

Croyez-vous, sérieusement, et par ailleurs, que sur un autre plan, cher à des historiens « entrepreneurs », ces exhibitions aient influencé « l’inconscient collectif » des Français, pour user d’une des explications favorites d’une historienne connue ? Par je ne sais quel processus caché ou secret, jamais décrit ou évalué, s’il existait, de cet « inconscient collectif » ?

Qui a-t-il eu la chance d’en vérifier la preuve ?

Je serais tenté de répondre, à ce sujet, par le texte de l’interview de Sonia Rolland (page 55) : « Soyez fières de votre négritude », car il me semble que beaucoup trop de noirs et de noires font précisément un complexe de négritude.

La deuxième : les pages consacrées aux initiatives créatrices des Noirs de France, dans notre pays, et sur le plan international, montrent que rien n’est impossible, à la condition de le vouloir.

J’attends d’un prochain ou des prochains numéros de Respect Mag qu’il mette en valeur toutes ces initiatives, s’il ne le fait déjà.

La troisième : je serais tenté de dire que ce numéro récapitule plus les réclamations, les revendications, les récriminations que les solutions, c’est-à-dire l’avenir que les personnes qui ont été interviewées dessinent pour eux, leurs familles, et en définitive pour la France.

Et c’est peut-être la tonalité générale de ce type de discours qui cause le plus de préjudice à la défense de la cause des membres de la « communauté » noire de France !

Pourquoi ne pas oser dire que les Noirs en général, et ceux de France aussi, ont trop tendance à adopter à la fois une revendication de reconnaissance, et une « posture » de victime, de réparation, et d’assistance, qu’ils manquent de confiance en eux-mêmes, et qu’ils ne sont pas tous prêts à proclamer comme Obama « Yes, you can ! », même s’ils ont souvent tendance à s’en réclamer !

Jean Pierre Renaud

Rigueur historique ou non? Respect Mag N°31 -100%Noirs de France -Interview historien Blanchard

Rigueur historique ou non ?

Respect Mag N°31

100% Noirs de France

« Sortir des mythologies et de la méconnaissance »

Interview de l’historien P.Blanchard

Oui, mais avec quels chiffres ?

             Un numéro de magazine au contenu intéressant, et sans doute utile, sur lequel nous reviendrons ultérieurement sur le blog, compte tenu des questions qu’il pose.

            Pour l’instant, arrêtons- nous sur le contenu de l’interview Blanchard dont l’analyse parait moins caricaturale que celle à laquelle il nous avait habitués dans les ouvrages qu’il a publiés, mais l’historien est décidément toujours fâché avec les chiffres et la statistique.

            Dans le livre « Supercherie coloniale », j’ai procédé à la critique systématique de la thèse de l’historien et de ses collègues, d’après laquelle il aurait existé en France une culture coloniale, puis impériale, pendant la période coloniale.

            Le point essentiel de cette critique portait sur l’insuffisance des instruments d’évaluation des supports de la dite culture coloniale, et des effets que la diffusion de ces supports aurait eu sur la mentalité des Français.

            L’historien parait décidément toujours fâché avec les chiffres et la statistique.

            Sur le blog du 4 février 2011, j’avais relevé dans le Lib Mag des 29 et 30/11/11, à propos des squelettes, têtes et corps qui existaient dans nos musées, que les chiffres avancés par l’historien semblaient tout à fait fantaisistes, des millions de squelettes, et des dizaines de milliers de têtes et corps.

            Récidive aujourd’hui avec la statistique des Noirs en France ?

            « A la question « Cette question en France est plus ancienne qu’on a tendance à le penser ? »

L’historien répond, à un moment donné :

«  25 000 noirs ont vécu en France  métropolitaine au XVIII° siècle. Soit beaucoup plus que des personnes de confession juive ou de migrants portugais, italiens, espagnols.»

L’historien Pap Ndiaye proposait un tout autre chiffre dans son livre « La condition noire » : en 1770, la France aurait compté de 4 à 5 000 noirs d’après les registres de police (page 116) et à la fin du XIX°siècle, d’après le même historien, il est probable que le nombre de noirs avoisinait le millier, dont quelques centaines à Paris. (page 126) (Commentaire de ce livre sur le blog du 16/05/11)

Qui a donc raison entre ces deux historiens ?

Jean Pierre Renaud

« La société piégée par la guerre des identités. Echec du multiculturalisme »- Amselle – Le Monde du 16/10/11

« La société française piégée par la guerre des identités

Echec du multiculturalisme »

Jean Louis Amselle

Le Monde du 16 septembre 2011, page 21

&

Réflexions sur cet article

            Un article très difficile à résumer, dont le contenu fait référence à des concepts  qui soulèvent  de grandes difficultés de définition, et autant de controverses.

            Quel est le sujet traité ? A-t-il été défini ? Quel est le discours Amselle sur le sujet ainsi défini ? Et enfin, quelle est la démonstration scientifique de ce discours ?

            Des mots qui claquent au vent, comme des drapeaux !

            Des grands mots qui dérangent, tout d’abord ! Un langage politique ou un langage scientifique ? Un mélange des genres donc ?

            Pourquoi, en effet, et  aussitôt, ces grands mots de « piège », de « guerre des identités », après la guerre des mémoires « coloniales » dont aucune institution n’a eu le courage, jusqu’à présent, de mesurer dans l’opinion publique française, si elle existait vraiment ?

Alors que l’historien qui a lancé, semble-t-il, cette expression dans les médias, et compte tenu des relations étroites qu’il entretient avec certains d’entre eux, aurait pu obtenir de leur part une véritable enquête statistique, sérieuse, qui nous aurait donné la possibilité de mesurer enfin cette fameuse mémoire coloniale (avec ou sans l’Algérie) qui expliquerait tellement de dysfonctionnements dans la société française.

Qui a véritablement intérêt à entretenir cette conspiration du silence ?

Des sondages d’opinion, il en pleut chaque jour, et il est bien dommage que ce type de sujet n’intéresse personne ! Serait-ce parce qu’il donne la possibilité de discourir sans démontrer ?

Il en est par ailleurs de même de l’interdit quasi religieux qui pèse sur les statistiques dites ethniques. Comment est-il possible de faire le procès de la discrimination en refusant de mesurer ce qu’il en est exactement par rapport à telle ou telle catégorie sociale, si l’on n’en a pas la mesure démographique ?

Dans leur préface au petit livre intitulé « Au cœur de l’ethnie » que Messieurs Anselme et M’bokolo ont cosigné, en se déclarant opposés à l’introduction de critères ethniques dans les recensements, ils écrivaient :

« Par un étrange retournement de situation, l’expansion coloniale qui s’est faite au nom de la « mission civilisatrice » de la France, mais qui a en fait largement reposé sur la gestion de la différence culturelle, ferait actuellement retour sur sa terre d’origine pour mettre en place un mode d’administration des « populations » fort éloignées du modèle théorique dressant le citoyen face à l’Etat. »

L’historien Pap Ndiaye a préconisé d’instaurer une visibilité qui serait en même temps invisible, et il conviendrait donc de nous expliquer comment un tel mystère est susceptible d’être résolu (voir blog du 16/5/11).

            Revenons donc au sujet de l’article :

            L’auteur ouvre son texte en écrivant :

« Le multiculturalisme, en tant qu’il est fondé sur la reconnaissance des identités singulières de race et de culture, a échoué en France et en Europe. Non pas, comme le prétendent Angela Merkel, David Cameron et Nicolas Sarkozy, parce qu’il n’est pas parvenu à  intégrer les « immigrés » Mais en raison de la fragmentation du corps social opérée partout où ce principe est appliqué ou promu par des organisations  politiques. »

Une des raisons principales de cet échec, sinon la seule, serait à rechercher chez les porte-parole des communautés intéressées :

«  De sorte qu’il n’est pas illégitime de mettre en doute l’existence, en France, des communautés « noires », « juive », « musulmane », ou « maghrébine », autrement que dans les discours de porte-parole parfois nommés ou encore autoproclamés qui s’expriment « au nom » de ces communautés en prenant en quelque sorte leurs « membres » en otages. »

Il aurait été évidemment intéressant que l’auteur propose sa définition du multiculturalisme en France, dont le contenu a peu de points communs avec celui auquel il est fait référence en permanence, l’anglais ou l’américain, dont les origines historiques n’ont rien à voir avec un soi-disant multiculturalisme français qui pourrait leur ressembler, mais en quoi ? Juridiquement, historiquement, socialement, culturellement ?

L’auteur met en cause dans cet échec, – mais y-a-t-il eu échec ? – , le rôle des porte- parole de certaines des communautés qui vivraient dans notre pays.

Pourquoi pas ? Mais jouent-ils le rôle important que leur prête l’auteur, je n’en suis pas sûr, et j’écrirais volontiers qu’il s’agit beaucoup plus d’une conviction, d’un discours que d’une démonstration, car en beaucoup de lieux, les rapports entre membres des communautés d’origine étrangère ne fonctionnent pas de la façon implicite, supposée.

Ce que l’auteur dénomme l’échec du multiculturalisme, indéfini, ressort plutôt sur certains territoires de la métropole d’un déséquilibre culturel et social entre populations d’origines différentes : comment ne pas penser, par exemple, que dans les communes où les citoyens français d’origine étrangère sont majoritaires, les ajustements ne soient pas toujours faciles ? L’immigration a été trop rapide !

L’auteur met également en cause la responsabilité des organisations  politiques qui se sont attachées à prôner la diversité plus que l’égalité, et il est exact que la gauche y a trouvé un champ politique plus ouvert, car il est plus facile de prôner la diversité que l’égalité.

Comme je l’ai déjà écrit sur ce blog, le professeur Walter Benn Michaels a dit d’excellentes choses sur le sujet, dans son petit livre « La diversité contre l’égalité ».

Trois réflexions  encore à propos de ce constat :

La première converge avec le constat, à savoir le fait que les porte- parole annexent pour eux-mêmes et leurs affidés des revendications ou des interventions qui ne sont pas partagées ou même comprises des membres des communautés qu’ils disent représenter, mais il ne s’agit là que d’une opinion, d’un « discours »..

La deuxième sent évidemment le souffre, étant donné qu’il s’agirait de reconnaître une disposition naturelle des membres de certaines de ces communautés à la « palabre », à la parole, au verbe, que beaucoup de français de « souche », encore une incongruité, n’ont jamais connu sur leur terre natale. L’auteur sait mieux que quiconque que la « parole » façonnait la plupart des sociétés africaines : elles furent, en effet, et très longtemps, tout autant des sociétés de la solidarité que du verbe, même celles touchées par une première imprégnation de l’«écrit », c’est-à-dire du Coran.

Et la troisième relative à ce qui ressemble fort à une sorte de propagande, insidieuse, beaucoup plus efficace que n’a jamais été la propagande coloniale, faite de dénonciation de crimes coloniaux, de repentance, de mauvaise conscience, d’histoires reconstruites, idéologiques, nourries d’un humanitarisme qui est venu, fort opportunément,  succéder au marxisme, de l’assimilation revendiquée de l’esclavage à la « Shoa », et donc de droits imprescriptibles à réparation.

Les porte-parole en question n’ont donc fait qu’exploiter le discours de ces « récadères » (1) modernes d’une nouvelle parole officielle de certains chercheurs, dont l’ambition est de reconstruire l’histoire des pays anciennement colonisés, d’« d’ouvrir de nouvelles voies » à l’histoire des anciennes colonies françaises, en surfant sur les nouveaux courants de l’immigration.

Comment ne pas reconnaître que ce processus politique et idéologique est enclenché sur le terrain de la réparation ?  Il vise à faire reconnaitre la légitimité d’une assistance généralisée, en même temps qu’une dépendance, aujourd’hui et souvent assumée, par des pays qui ont obtenu leur indépendance, depuis plus de cinquante ans ?

M.Anselme propose son diagnostic, mais il est légitime de se demander (discours contre discours) si dans un domaine comme celui-là, la théorie n’est pas trop éloignée du terrain social. Le multiculturalisme n’a pas attendu l’empire colonial et les indépendances pour nourrir la culture française, et de nos jours, de nouvelles formes de multiculturalisme  rythment la vie de tous les jours de nombreuses communes, à la condition qu’il ne soit pas complètement déséquilibré, mis en cause par une immigration par trop « invasive ». Les Français, d’origine africaine, et de bonne  foi, sont les premiers à reconnaître qu’un très fort esprit de solidarité de famille ou de clan caractérise encore les flux d’immigration africaine.

Il conviendrait donc, avant toute chose, de poser la bonne définition, scientifique autant que possible,  du sujet dont on débat. Le multiculturalisme a toujours existé en France, et il n’est pas mort, mais encore faut-il qu’on ne cherche pas à intoxiquer les Français par une nouvelle propagande « coloniale » !

Est-ce que la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la laïcité n’a pas posé la base d’un multiculturalisme religieux solide dans un pays qui avait connu dans son histoire de multiples conflits religieux ?

Un multiculturalisme institutionnel, à la fois religieux et culturel ?

Est-ce qu’on a fait mieux, depuis, pour la paix civile et le bien commun de la France ?

Enfin, le propos de l’anthropologue s’articule sur un constat implicite, celui des dangers de la reproduction coloniale, en France, de la discrimination qui existait dans les colonies, sauf à faire observer que, compte tenu des moyens que la France consacrait à son outre-mer, et du chantier gigantesque que représentait la mise en œuvre de l’universalisme prôné par l’auteur, et tout autant par ses lointains prédécesseurs coloniaux de la société des Lumières,  il n’était guère d’autre solution que de ne pas toucher aux croyances locales, aux coutumes, et au statut des personnes. 

Par ailleurs, n’était-ce pas pure folie, ou rêve, que de vouloir mettre dans le même moule républicain et assimilationniste toutes sortes de peuples et de cultures d’Afrique ou d’Asie ?

Comment ne pas rappeler que la Côte d’Ivoire, bien connue de l’anthropologue, créée ex nihilo par la France, à la fin du 19ème siècle, comptait de l’ordre de cinquante peuples ou ethnies, et autant de langues et coutumes ?

Historiquement, la France coloniale n’avait guère d’autre choix que de faire de « la gestion de la différence culturelle ».

Si je partage tout à fait la conclusion de l’auteur, mon cheminement intellectuel et historique n’est donc pas tout à fait le même !

En bref, discours ou démonstration ?

Jean Pierre Renaud

(1)    Dans le royaume d’Abomey, le récadère était le porte- parole du roi, et le bâton qu’il portait était le signe qu’il avait bien été investi par ce chef..

« La condition noire » de Pap Ndiaye, lecture critique, visible ou invisible, la faute des autres?

« La condition noire »

Le livre de M.Pap Ndiaye

&

Lecture critique

Visible ou invisible ?

La faute des autres ?

            Les lecteurs de ce blog ont pu prendre connaissance de mon analyse critique des propos de M.Ndiaye, historien,  à l’occasion de sa longue interview, par M.Joignot dans le Monde Magazine du 5 février 2011 (voir blog du 6 mars 2011)    )

            Afin de mieux interpréter  le discours de l’historien, je me suis donc imposé la lecture de son livre intitulé  « La condition noire », dont le contenu est au demeurant intéressant, et utile au citoyen qui a l’ambition de mieux comprendre l’état d’esprit des membres des minorités « visibles » ou « invisibles ». Cette distinction pose déjà problème : comment résoudre cette contradiction, ou ce « paradoxe minoritaire » selon l’expression utilisée par l’auteur, c’est-à-dire une proposition à la fois vraie et fausse, ou contraire à l’opinion commune ?

            On voudrait en effet qu’elles aient une visibilité politique, en même temps qu’une invisibilité sociale, non discriminée, telle que d’ailleurs décrite dans ce livre.

            L’ouvrage s’attache à traiter successivement les thèmes ci-après : le fait d’être noir, les gens de couleur, l’histoire de ces minorités, les tirailleurs et les sauvageons, penser les discriminations raciales.

            Tout est intéressant dans ce livre, étant donné qu’il nous livre une analyse, un regard, un témoignage sur « la condition » qui serait celle des noirs en France, et il pose donc des questions, car il est tout autant un plaidoyer.

            A noter en ce qui me concerne, une hésitation certaine à utiliser des références américaines, comme le fait l’auteur, alors que la ségrégation y existait encore récemment, et que les flux migratoires massifs venus d’Afrique sont également récents !

            Pourquoi vouloir ignorer que dans nos provinces la plupart des citoyens n’avaient, il y a environ trente ans, quasiment aucun contact avec des Noirs ?

            Une première interrogation relative aux chiffres cités : l’historien rencontre un obstacle inévitable, celui de la statistique des minorités visibles, étant donné l’interdiction qui est faite, en France, de procéder à des recensements qui tiendraient compte de critères d’origine ethnique.

            Il cite un sondage TNS- Sofres/Cran effectué en 2007  (et non une statistique) qui évaluerait ce type de population à 3,86 % de la population française, soit de l’ordre du 1,87 million d’habitants (page 58), une évaluation intéressante, car elle situe d’entrée de jeu les limites des enjeux proposés à la fois par la question des discriminations et par celle de la représentation politique des minorités visibles.

            L’historien donne un certain nombre de chiffres intéressants, mais qui ne dépassent pas, sauf erreur, l’année 1981, alors que chacun sait que les flux de migration ont surtout marqué les années 1990-2009.

            Ce livre évoque d’ailleurs longuement le thème des  « grandes migrations », mais sans chiffres, alors que, sur ce terrain, il existe une assez grande abondance de statistiques des flux migratoires.

C’est bien dommage, étant donné que la bonne compréhension des problèmes d’immigration, d’intégration, d’acculturation à la française, largement traités dans cet ouvrage, sont nés généralement à la suite de ces grandes migrations, trop concentrées sur le plan géographique.

Donnons acte toutefois à l’auteur du constat qu’il fait quant à la nécessité d’obtenir des statistiques liées à l’origine de la population si l’on veut évaluer sérieusement la discrimination par rapport à son poids démographique.

L’auteur reconnait en effet «  l’utilité de la mesure statistique des discriminations » (page 278).

Comment en effet opérer une telle mesure, établir une véritable comparaison, sans mesurer cette discrimination par rapport à la population concernée ?

Visibilité ou invisibilité des Noirs ?

Sauf erreur, le livre n’a pas démontré que les 4% arrondis, et cités plus haut, de population française noire ne trouvaient pas la place qui leur revenait dans nos institutions ou dans la société.

Comment d’ailleurs concilier cette contradiction à vouloir obtenir une visibilité politique en même temps qu’une invisibilité sociale ?

L’auteur parle de « paradoxe minoritaire »

L’auteur écrit : « voulant être invisibles du point de vue de notre vie sociale… Mais nous voulons être visibles du point de vue de nos identités culturelles noires, de nos apports précieux à la société et à la culture française. » (page 361)

L’auteur écrit : «  L’invisibilité noire commença avec la décolonisation » (page 331), et je ne partage pas du tout cette appréciation, pourquoi ?

Est-il possible de dire qu’historiquement les Noirs étaient visibles du temps des colonies, alors que l’histoire que nous raconte l’auteur montre qu’effectivement ils étaient peu nombreux avant les grandes migrations dont il fait état ?

Faudrait-il alors faire référence à un soi-disant imaginaire colonial qui aurait imprégné la mentalité des Français et les aurait mis en familiarité avec les noirs ?

Cela aurait à mon avis peu de sens !

Il est évident que le facteur qui fonde la relation actuelle entre blancs et noirs en France est l’immigration régulière ou non d’une minorité noire importante, avec pour conséquence, l’élaboration de nouveaux rapports sociaux inconnus de beaucoup de Français.

En résumé, si l’analyse est souvent intéressante et utile, il semble qu’elle pêche par trois biais :

–       Une mise en perspective historique insuffisante par rapport aux flux migratoires de la fin du XX° siècle et du début du XXI° siècle,

–       La croyance d’après laquelle discriminations, stéréotypes, et éventuellement racisme, ne seraient que le fait des blancs, alors que ces phénomènes existent partout dans le monde : ni discrimination, ni racisme dans les vallées du Sénégal ou du Niger ? Naturellement tout racisme est à proscrire, mais malheureusement, il n’est pas le privilège des blancs, Français ou pas !

–       Un discours qui manque d’élan positif, car c’est toujours la faute des blancs, la faute des autres !

Et je serais tenté de dire, pourquoi au lieu de toujours se plaindre, les Noirs n’auraient pas autant de raisons que les blancs d’être fiers de leur couleur ? Et d’assumer toutes leurs responsabilités de citoyens en France, quand ils le sont !

Pourquoi ne pas les inviter à reprendre l’expression célèbre d’Obama « Yes, you can ! », au lieu de dire toujours « c’est la faute des autres », c’est-à-dire des blancs ?

Jean Pierre Renaud

Immigration, Identité, Laïcité: Histoire ou Politique? Le discours Ndiaye, Monde Magazine du 5/02/11

Le Monde Magazine du 5 février 2011

En page de couverture :

« En finir avec la peur de l’autre

La leçon de l’historien PAP NDIAYE »

L’interview des pages 23 à 29

« L’identité se décline au pluriel »

Propos recueillis par Frédérick Joignot

Le discours national-populiste qui fait de l’étranger une menace trouve un nouvel écho en France et en Europe. Face à la remise en cause du multiculturalisme, l’historien Pap Ndiaye rappelle qu’il existe une manière de vivre ensemble sans verser dans le communautarisme : la république »

Question prélable :  histoire ou politique ?

S’agit-il dans le cas d’espèce de la leçon d’un historien formé à cette discipline par l’université et l’école normale supérieure de Saint Cloud?

Et dans un tel cas, des règles de rigueur que s’imposent nos universitaires pour écrire l’histoire ? Car l’interview donne l’occasion de poser, semble-t-il des questions qui ne s’inscrivent pas, précisément, dans notre histoire.

Car comme l’indique le titre, l’interview est effectuée dans la cible du « discours national-populiste », alors que le « nouvel écho » qu’il trouve en France, en tout cas, s’explique par un certain nombre de facteurs, évoqués par le texte, mais qui méritent quelquefois d’être éclairés ou commentés, parce qu’ils feignent d’ignorer précisément ces facteurs, qui pourraient être qualifiés de « faits » par un historien, et les réactions du peuple français, face à ces « faits ».

M.Joignot cadre l’interview (page 24) : « ambiance délétère de défiance envers les étrangers », « une extrême droite islamophobe progresse dans toute l’Europe » et l’historien de souligner, de son côté, « l’essor de formations national-populistes qui ne se réclament pas idéologiquement du racisme, mais font de la dénonciation véhémente de l’Autre, souvent musulman et non-blanc, leur ligne de politique principale. »

            Et de remarquer que ce courant de pensée a annexé une partie des valeurs républicaines rattachées à la laïcité ou aux droits des femmes.

Il convient donc de s’attacher aux points clés de la réflexion que propose M.Ndiaye, l’immigration, l’identité française, la laïcité, en tentant de savoir si ces réflexions font effectivement partie de la leçon d’un historien.

            Premier sujet, l’immigration – M.Ndiaye évoque rapidement les problèmes nés de l’immigration, et répond à la question-constat de M.Joignot :

« Le vieux thème de l’invasion revient aussi. On parle de réfugiés climatiques et politiques se pressant bientôt à nos frontières…(le journaliste aurait pu ajouter l’adjectif familiaux dans le cas de la France)

            M.Diaye y répond en citant des études de l’ONU d’après lesquelles les mouvements migratoires seraient beaucoup moins importants qu’on ne croit (page 25)

Il précise que d’après l’ONU : « L’Europe n’est pas menacée d’invasion » (page 25) et note que « Cette rhétorique de l’invasion, une constante de l’extrême droite, trouve un nouvel élan. »

Il parait tout de même difficile de citer les études de l’ONU pour accréditer ce type de discours, car les statistiques démographiques françaises montrent clairement que la population étrangère et d’origine étrangère a progressé dans notre pays au cours des vingt dernières années.

Le Monde du 5 mai 2010 faisait état d’une population étrangère de 6,5 millions d’habitants, mais tous les spécialistes savent que plusieurs facteurs ont modifié en profondeur la structure démographique de la France, avec notamment le mouvement des naissances, des mariages, et des naturalisations.

Qui plus est, ces études montrant que « De 1968 à 2005, la proportion de jeunes d’origine étrangère (au moins un parent immigré) est passée de 11,5% à18,1% en 2005 », mais ce que relève de plus significatif la démographe Tribalat, dans le livre « Les Yeux grands fermés », chapitre 5 : « immigration, territoires et voisinages : mesure et résultats », c’est la concentration de ce type de population dans certains départements ou villes.

L’historien lui-même le note d’ailleurs :

«  Sans nier les problèmes de coexistence dans certains quartiers, ce discours répète à l’envi qu’une partie de la population relèverait de cultures en opposition radicale, ou en tension forte avec la culture nationale, elle-même fragilisée par la mondialisation et incapable d’absorber des flux hétérogènes. » (page 26)

Un phénomène ou « fait » que M.Bronner a fort bien décrit dans son livre sur les ghettos.

            Alors vraie ou fausse « invasion » ? Journalistes, élus et chercheurs auraient tort de ne pas voir le problème en face, et peut-être encore moins un historien habitué à la dialectique de l’interprétation des faits, et tout autant des chiffres que des lettres.

Pourquoi ne pas le dire, ce sentiment d’invasion existe chez un certain nombre de nos concitoyens, car ils le ressentent ainsi dans leur quartier ou dans leur ville. Il suffit d’interroger des habitants de ces quartiers ou villes qui ont été le plus bouleversés par ces mouvements de la population, pour s’en convaincre. Et les journalistes ainsi que les Français d’origine immigrée, de bonne foi, sont les premiers à faire ce constat.

Alors, serait Front National le citoyen capable d’ouvrir encore yeux et oreilles, pour estimer, qu’à ce rythme-là, la République ne sera effectivement plus chez elle, pour autant qu’elle le soit encore dans certains de nos quartiers les plus sensibles !

Il est évident que ces mouvements démographiques ont affecté la France, modifié en profondeur sa structure culturelle, en tout cas dans certains quartiers et  villes, et  conduit un certain nombre de citoyens, beaucoup plus important qu’on ne dit ou qu’on ne croit, à éprouver un sentiment réel d’«invasion. »

Deuxième sujet, l’identité française :

            M.Ndiaye répond à la question-constat de M.Joignot ?

            « Une des constantes des discours de la droite classique comme de la nouvelle droite consiste à présenter l’Autre comme menaçant l’identité française. »

Réponse : «  Sans nier les problèmes de coexistence dans certains quartiers, ce discours répète à l’envi qu’une partie de la population relèverait de cultures en opposition radicale, ou en tension forte avec la culture nationale, elle-même fragilisée par la mondialisation et incapable d’absorber des flux hétérogènes. » (page 26)

Une telle vision suppose un bloc français homogène, un « nous » bien circonscrit. Or depuis longtemps, les historiens et les anthropologues ont montré à quel point l’identité française s’est déclinée au pluriel. Elle ne se pense pas en termes d’essence, mais de relation intersubjective. Surtout, elle a servi de point de d’appui idéologique à une politique bien réelle de stigmatisation des immigrés et de leurs descendants: rafles de sans- papiers, contrôles au faciès, etc »

Identité au pluriel, pourquoi pas ? Mais si vous interrogez les Français, vous constaterez que l’immense majorité d’entre eux se reconnaissent dans leurs villages ou leurs villes, leurs mairies, leurs écoles publiques, leurs églises et leurs temples, et avant tout, dans un milieu de vie, fait de libertés individuelles et collectives, de démocratie, d’école publique (il y a un peu plus d’un siècle), et conquête récente (1945), d’égalité entre les sexes.

Il est donc difficile d’ignorer que notre identité plurielle baigne dans ce tissu national interstitiel, civil, politique, et culturel, plus résistant qu’il ne semble, et qui peut surprendre ceux que l’historien dénomme « les Français dubitables ».

Mais avant d’en terminer sur ce deuxième sujet, ne conviendrait-il pas d’être tout de même surpris de voir certains intellectuels et chercheurs plaider, à toute occasion, la reconnaissance d’identités perdues ou en péril sur notre planète, et en même temps faire facilement litière de l’identité de la France ou d’autres peuples !

Troisième sujet : la laïcité

Et ce dernier sujet est ultra-sensible pour un Français qui connait l’histoire de son pays, les guerres de religion qui ont ensanglanté, pendant des siècles, beaucoup de ses provinces, et les dernières querelles qui ont entouré le vote de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905.

Nombreuses sont sans doute les familles françaises du sud, de l’est, et de l’ouest, dont l’histoire a renfermé, au pire le souvenir des guerres de religion, et au mieux, des souvenirs de querelles religieuses violentes et tenaces à la fin du dix-neuvième siècle, dont certaines durent peut-être encore.

Alors de grâce, que de bonnes âmes ne nous disent pas aujourd’hui, tel M.Ndiaye  que « le principe de laïcité est dévoyé en politique d’intolérance religieuse. Or la laïcité n’est pas l’intolérance…. Il existe celle militante, agressive, qui s’est manifestée en 1905…L’autre laïcité, plus ouverte, et tolérante, accepte l’existence de lieux de culte pour toutes les religions, admet que certains espaces publics puissent être temporairement occupés par des pratiques religieuses.

C’est cette attitude que l’on observe majoritairement vis-à-vis du catholicisme pour les processions, les Journées mondiales de la jeunesse chrétienne, la venue du pape, etc. La laïcité tolérante n’exige pas la disparition radicale du fait religieux dans l’espace public ; elle commande la neutralité de l’Etat à l’égard des religions et la laïcité de l’école républicaine. » (page 27)

Un simple mot : voire !

Il est possible de dire et d’écrire n’importe quoi, mais comment prendre comme élément de raisonnement, dans le cas particulier, des pratiques religieuses enracinées dans nos provinces, et encadrées par la loi de 1905, un argument en faveur de la promotion du « fait religieux dans l’espace public », alors que l’historien ne précise pas la nature du « fait religieux » en question ?

Pour résumer mon opinion personnelle, je dirais volontiers : « Ne touche pas à la laïcité française ! », parce qu’elle a été, et continue à l’être, le gage d’une paix civile et religieuse durement gagnée au cours des siècles !

Et gare aux nouvelles guerres de religion !

Jean Pierre Renaud

Les caractères gras sont de ma responsabilité

Post-Scriptum : et après la lecture éventuelle du pensum ci-dessus, proposons au Monde Magazine de publier un numéro spécial, allégé, distribué gratuitement au Mali et au Niger, et comportant une interview d’un historien de l’un ou l’autre de ces beaux pays sur le thème qu’a choisi M.Joignot pour sa  chronique du 26 février 2011 dans le même magazine, page 65, intitulée :

« Je ne pense qu’à ça  Frédéric Joignot

Le plaisir féminin et la « mâle peur »

Il s’agirait dans le cas d’espèce de lancer une interview sur le point G (grain de café ou orchidée… ?) qui a fait l’objet des plus sérieuses recherches scientifiques.