Le livre « Les empires coloniaux » – Lecture critique 3 « L’Etat colonial »

Le livre « Les empires coloniaux »

Sous la direction de Pierre Singaravélou

Lecture critique 3, suite

Chapitre 5 « L’Etat colonial » Sylvie Thénault

           Un chapitre qui suscite évidemment la curiosité d’un lecteur qui a eu une formation de droit public, qui a servi l’Etat, et qui enfin, a eu l’occasion professionnelle et privée de se faire une petite idée de l’Etat colonial et de son fonctionnement concret.

         Notons tout d’abord qu’il s’agit d’une synthèse fouillée, mais à partir d’une historiographie abondante exploitée peut-être avec un brin d’ethnocentrisme qui ne dit pas son nom.

        Les premières lignes de la réflexion formulent dès le départ une question légitime, car c’est bien là le cœur du sujet :

       « L’Etat colonial existe-t-il ? Pour provocante qu’elle soit la question est posée dans l’historiographie, et la réponse est parfois négative. Toute définition formaliste de l’Etat, relative à l’organisation des institutions, conduit ainsi à nier l’existence d’Etat aux colonies…. »

      Quelle définition donner à cet Etat dont les formes ont été effectivement et historiquement tellement variées selon la nationalité du colonisateur, la situation coloniale ou le moment colonial, sous des formes juridiques et institutionnelles de toute nature et en mouvement permanent ?

        Ceci dit, j’ai envie de dire dès le départ que l’Etat, en tant que forme d’institution politique de type unitaire, qu’il s’agisse de l’empire britannique ou de l’empire français, est peut-être le seul héritage de longue durée, avec la langue, qui ait survécu après la décolonisation.

       Quelles peuvent être les caractéristiques pertinentes d’une analyse comparative et critique ?

        « Une projection métropolitaine vers l’outre-mer » (p,228) ?

        A la condition qu’ait existé une volonté de projection politique de la forme d’Etat qui existait en métropole, comme ce fut en partie le cas en Afrique noire française après la seconde guerre mondiale, et qu’elle fut concrètement possible sur le plan financier ! 

      Projection d’une bureaucratie plutôt que d’un Etat, en tout cas un Etat bureaucratique dans le cas de la France ? Il n’est qu’à lire les opinions qu’émettaient à ce sujet Gallieni et Lyautey.

       Au cours de la première moitié du vingtième siècle, quoi de commun entre les émirats du nord de la Nigéria, du Sokoto et de Kano,  qui permirent à Lugard de défendre l’idée de « l’indirect rule » ou les chefferies des villages d’une forme d’Etat colonial d’une Côte d’Ivoire qui ne connut d’existence qu’en 1893 ?

       Quoi de commun entre ce type d’Etat éparpillé, sorte de poussière d’Etat de la forêt, avec l’Etat colonial unitaire de la Côte d’Ivoire qui lui a succédé, et enfin son héritier, l’Etat indépendant des années 1960 ?

     A la fin du dix-neuvième siècle, les Emirats du Sokoto et de Kano n’avaient pas d’équivalent dans le bassin du Niger, qu’il s’agisse de ceux des Almamy Ahmadou ou  Samory.

       Au « moment colonial » des conquêtes, en Indochine, Lyautey défendit  l’idée de la préservation de la monarchie de l’Annam, alors qu’à Madagascar, le gouverneur général Gallieni, dont il admirait l’action, mit par terre une monarchie merina, bien moins structurée que celle d’Annam, qui commençait à placer la grande île sur une trajectoire de modernité.

        Au résultat, en Indochine comme à Madagascar, la France mit en place des administrations bureaucratiques directes, mais qui auraient été inefficaces sans l’appui de truchements indigènes très divers, ne serait-ce que le recours le plus souvent indispensable à des interprètes.

         On savait grosso modo à quoi correspondait un régime monarchique d’Europe, mais outre-mer, que savait-on des formes d’organisations en place, de leur fonctionnement, de leur inspiration souvent religieuse, sinon magique, à la base ?

        Etat moderne ou non ? Dans son livre sur « La domination occidentale en Asie », M.Panikkar relevait qu’elle lui avait légué « l’idée de l’Etat moderne » (page 428)

     « L’Etat colonial au concret (p,231-chapitre 5)

     2-1 Un Etat sous-administré » : l’analyse souligne bien le rôle des peuples coloniaux :        « C’est dans ces conditions que le sujets coloniaux furent massivement impliqués dans l’Etat colonial »

      Pourquoi ne pas dire que, sans les sujets coloniaux, il n’y aurait pas eu d’Etat, et donc que sa    nature leur était très largement due ?

     2-2 « et coercitif » effectivement, mais avec de telles variantes qu’il parait difficile de se contenter de cette seule notation, moins encore en y ajoutant l’existence d’un « réseau coercitif », à quel moment et où ?

      Pensez-vous qu’entre 1918 et  1960 les administrateurs effectuaient leurs tournées en utilisant la chicote ?

     La réflexion sur l’ethnographie coloniale laisse  rêveur :

     «  C’est dans ces conditions que les administrateurs coloniaux participèrent largement à l’élaboration d’une ethnographie propre à servir la domination, en étudiant les langues, la religion, les pratiques culturelles ou encore l’organisation sociale de leurs administrés : ces connaissances étaient considérées comme nécessaires à leur gouvernement quotidien et, en particulier, au recrutement d’intermédiaires servant de relais à l’autorité coloniale. »  (p,239)

      Questions à l’auteure : à son avis, combien d’administrateurs dont les affectations changeaient souvent, parlaient un dialecte local ? Alors qu’ils étaient le plus souvent entre les « mains » de leurs interprètes ou des chefs de village !

       Pourquoi à votre avis, un parti comme le RDA, celui de M. Houphouët-Boigny a pu aussi facilement dans sa Côte d’Ivoire natale en faire rapidement une administration parallèle, et une véritable machine de guerre politique ?

     C’est par ailleurs faire injure, à mon humble avis, aux administrateurs peu nombreux qui ont apporté leur pierre à la connaissance de ces peuples nombreux dont on ignorait même l’existence.

      Qui exerçait donc et réellement le pouvoir colonial ?

      S’agissait-il, sauf exception de l’ethnographie des administrateurs ou de celle des traditions écrites qui existaient dans les états musulmans, ou des  traditions orales qu’on leur rapportait au sein des peuples sans écrit, avec la collaboration des griots ?

Pourquoi ne pas remarquer aussi que le regard historique occidental a beaucoup de peine à échapper au filtre de ses lunettes de jugement, alors que toute une partie de l’analyse et donc de la comparaison relevait d’un monde « invisible », qui échappait de multiples façons, souvent magiques, à l’Etat colonial ?

     Ce concept, tel que nous avons l’habitude de le comprendre ou de l’utiliser, parait tout à la fois trop maniable et trop ambigu : que voulait dire l’Etat sur le Niger, sur le Fleuve Rouge, sur la Betsiboka dans les années 1900 ? A Madagascar, chez les Merinas des plateaux ou chez les Baras ou les Antandroy du sud ?

      Quelle forme pouvait revêtir un « Etat » dans une société animiste ou dans une société déjà marquée par l’Islam ? Dans un territoire fractionné de la forêt ou dans un espace dégagé du Sahel ? Dans un territoire de petits chefs coutumiers ou dans un territoire doté déjà d’une armature d’Etat, telle par exemple celle des émirs du Sokoto ou de Kano, en Nigéria, des cours impériale ou royale d’Hué ou de Tananarive?

    Jusque dans les années 1950-60, et au nord du Togo, quelle perception les populations locales qui, pour certaines d’entre vivaient encore à l’état nu, pouvaient-elles avoir de l’Etat ? Lorsqu’elles venaient au marché du chef-lieu,  à Sansanné-Mango, les images de quelques cases de type européen, quelques écoles, une petite mosquée, et dans le cours des jours, selon les années, les recensements,  et chaque année la levée de l’impôt de capitation à payer. Peut-être la conscience que l’existence d’une route les reliant à la côte et d’autres pistes constituaient le véritable changement, c’est-à-dire celui de l’Etat colonial, ou encore, les tournées de l’administrateur de la France d’Outre-Mer, le Commandant de Cercle, ou de celles, aussi rares, des infirmiers ou des agents de quelques services  techniques.

        Dans le nord Togo des années 1950, quels pouvaient bien être les signes de cet Etat colonial pour les populations Tamberma des montagnes de l’Atakora qui vivaient encore dans leurs habitations forteresses à l’état nu, à l’écart des étrangers ?

     Pourquoi donc ne pas mettre en doute les capacités qu’aurait eues le pouvoir colonial de mettre en place une forme d’Etat nouveau et moderne, sinon une superstructure d’Etat, sur une période historique relativement courte, de l’ordre de cinquante ou soixante ans  en Afrique noire ?

      L’auteure a tout à fait conscience de la difficulté de la tâche en intitulant une de ses parties

      «  3. Un Etat qui fait polémique » (page 246)

       « Intériorisation subjective de ses acteurs » : lesquels ? A voir ! (p,249)

       « les limites de la domination » : sûrement ! (p,250)

         Quant à « l’invention de la tradition » présentée comme un des outils de l’autorité coloniale, je dirais simplement que l’histoire actuelle dite « subalterne » devrait se féliciter de disposer de ce type de documentation bien ou mal collectée, dans toutes les régions d’Afrique de civilisation orale qui confiaient à leurs griots le soin de conserver et de transmettre l’histoire de leur peuple. Comment ne pas trouver que cette interprétation souffre par trop de parti pris, pour ne pas dire d’ignorance ?

         Le débat engagé dans les pages qui suivent sur la coercition dans le passage intitulé «  Un sujet épineux entre tous : la transmission de l’Etat colonial » est à mes yeux largement « déconnectée » des réalités de l’administration coloniale, et je dirais volontiers des histoires « connectées » qui, à travers de multiples récits, ne proposent pas un récit historique linéaire ou standard,  quelles que fussent les régions et les époques.

      Ce chapitre a donc  le mérite de proposer une lecture historique du « fait » Etat qui met en lumière, sans toujours le définir, et pouvoir le définir, le rôle trop souvent ignoré ou minimisé des élites locales de lettrés, des  truchements indigènes, dans le fonctionnement de « L’Etat colonial », qui en définitive ne l’était pas vraiment, sauf dans des superstructures bureaucratiques boursoufflées, telles celles de l’administration coloniale française, et dans certains outils de gouvernance.

       Les capitales des fédérations coloniales souffraient effectivement de boursouflure bureaucratique,  à Dakar, Tananarive, ou Hanoï.

       L’appréciation qu’un haut fonctionnaire colonial portait sur ce type d’organisation religieuse, politique, ou sociale me parait bien refléter la prudence dont il faut faire preuve dans la manipulation de nos concepts européens, pour ne pas dire ethnocentriques.

      M.Delavignette, ancien gouverneur colonial, fort de son expérience d’administrateur colonial en Afrique, et de ses observations du terrain écrivait en effet :

      « Il y a autre chose. Pour bien entendre le fait bourgeois dans la société coloniale, il faut voir que la colonie, loin d’être une aventure anarchiste, constitue avant tout une chose d’Etat.

La nature même des pays indigènes exigeait que la colonie fût chose d’Etat. Il n’y a jamais eu en Afrique tropicale de bons sauvages, de naturels vertueux qui vécussent dans une anarchie heureuse. Les peuplades que nous appelons primitives possédaient un Etat qui réglait, avec une stricte minutie, les rapports entre les individus et le Pouvoir. Rien de moins favorable à l’individualisme que la vie en tribu. La colonie n’a été que la substitution d’un Etat à un autre. Elle n’a pu s’imposer aux pays qu’à la condition de leur apporter un autre Etat à la place de l’ancien. Et sous sa forme coloniale l’Etat apparaît aux pays africains comme il est apparu jadis aux provinces françaises d’Europe. Il rassemble les terres, centralise l’administration et cherche l’unité.

    Par la colonie, des pays africains sont tirés vers la notion d’Etat moderne…Dans aucune colonie du Tropique africain, l’Etat ne se borne au rôle de gendarme ; partout il s’essaie à celui de Providence …» (Service Africain 1946, page 45).

     En résumé, je serais tenté de dire qu’il est difficile d’analyser ce sujet avec pertinence, sans tenter de faire apparaître des similitudes et des différences entre les multiples formes de l’Etat colonial, sans oublier la dimension souvent religieuse de tous ces Etats, embryonnaires ou pas, qui ont meublé les empires, allant des sociétés animistes et magiques de la forêt tropicale aux grandes constructions théocratiques du Sahel, de l’Annam, ou de Madagascar, et dans le cas français, la cristallisation des Etats coloniaux dans les villes ou dans les territoires les plus accessibles et les plus acculturés.

       J’ajouterai que ce type d’analyse comparative historique ne peut faire l’impasse des temps coloniaux.

      Je ne suis pas sûr que l’historiographie actuelle propose un compte rendu représentatif des réalités coloniales des différentes époques et des différents territoires, et dans le cas de l’Afrique noire, il est possible de dire que la métropole a effectivement projeté une superstructure  bureaucratique très visible dans les villes côtières, et coûteuse, mais que la brousse a très longtemps échappé à cette emprise.

      Il y a eu effectivement transmission de ce type de superstructure coloniale aux nouveaux Etats indépendants, et les gouvernements issus des indépendances ont renforcé  le poids bureaucratique de ces superstructures favorables au maintien ou au développement du clientélisme.

       Comment ne pas noter en conclusion, qu’avant même l’indépendance de son pays, Modibo Keita, leader politique du Mali, avait déjà institué le parti unique, et préfiguré une dictature qui se coula très facilement dans les anciennes superstructures unitaires de l’Etat colonial, une des rares garanties du pouvoir qu’il était en mesure d’exercer, notamment en raison de la reconnaissance internationale de ce type d’Etat ?

       Senghor, au Sénégal, Sékou Touré en Guinée, et Houphouët- Boigny  en Côte d’Ivoire, firent de même.

       Dernière remarque : pour rendre compte de l’histoire de la décolonisation, certains chercheurs utilisent le double concept d’un Etat-Nation qui aurait émergé de ce processus.

       Il me parait difficile de recourir à ce double concept, dans le cas de l’Afrique noire française, en tout cas, parce qu’il ne reposait pas sur la réalité des sociétés coloniales visées.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française » Mme Huillery, MM Cogneau, Piketty – Chapitre 2 suite et fin

« HISTOIRE COLONIALE, DEVELOPPEMENT ET INEGALITES DANS L’ANCIENNE AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE »

Thèse de Mme Elise Huillery

Sous la direction de Denis Cogneau et de Thomas Piketty

27 novembre 2008

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Thèse Huillery

Rappel de publication des notes précédentes : annonce de publication, le 10 juillet 2014 – avant- propos, le 27 septembre 2014 – Chapitre 1, les 10 et 11 octobre 2014 – Chapitre 3, le 5 novembre 2014 – Chapitre 4, le 6 novembre 2014

Chapitre 2, première partie, le 2 décembre 2014

Notes de lecture critique

VI

Chapitre 2

Deuxième partie : suite et fin

« LE COÛT DE LA COLONISATION POUR LES CONTRIBUABLES FRANÇAIS ET LES INVESTISSEMENTS PUBLICS EN AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE » (p,71)

Le 10 juillet 2014, nous avons annoncé la publication de nos notes de lecture critique en concluant ainsi :

« Avec deux énigmes historiques à résoudre :

La première : Avec ou sans « concession » ?

La deuxième : Avec quelles « corrélations » ? »

  1. I.     Réalité des investissements publics en Afrique Occidentale Française (page 107)

          L’auteure introduit à nouveau son analyse, un tantinet polémique, en considérant comme acquise la thèse qu’elle défend, à savoir :

         «  Pour l’AOF, ce sont les populations locales elles-mêmes qui se sont financé elles-mêmes presque la totalité de leurs propres équipements, comme nous venons de le voir….

          Même s’il est maintenant acquis que ce sont les contribuables africains qui ont financé les écoles, les dispensaires et les routes d’Afrique Occidentale Française, il reste que c’est l’administration coloniale qui a décidé et organisé les investissements publics. «  (p,107)

          L’auteure fait donc le constat suivant :

      « Toujours est-il que la colonisation a bel et bien été à l’origine, non pas financièrement mais institutionnellement, de la construction d’écoles publiques, d’hôpitaux, de dispensaires et d’infrastructures à l’occidentale ; «  (p,108)

          De quoi parlons-nous ? De quels investissements ? De ceux de la Fédération de l’AOF ou de ceux des colonies la composant ?

Questions

         Le texte ci-dessus joue à nouveau sur la fausse continuité historique qui aurait existé tout au long de la colonisation de l’AOF, alors qu’à plusieurs reprises, l’auteure avait relevé qu’il existait bien, jusqu’en 1945, un principe d’autofinancement des colonies par elles-mêmes (la loi de 1900).

     Paradoxalement, et comme je l’ai écrit dans mes analyses sur les sociétés coloniales, le propos de l’auteure sur l’ensemble de la période coloniale se trouverait confirmé, mais sur un plan plus large, par le fait que sans le truchement  des « évolués » des colonies, il n’y aurait pas eu de colonisation.

        Jusqu’en 1945, la puissance coloniale s’était en effet bien gardée de subventionner le développement des territoires coloniaux, et sans le concours des populations africaines et l’impulsion des « colonialistes », publics ou  privés, et des « évolués »,  l’Afrique Occidentale Française aurait fait peut-être fait du sur place.

      Par ailleurs en effet, est-ce que, dans l’équation financière et économique, pour ne pas dire humaine, de la relation France AOF, l’investissement immatériel ne devait pas se voir reconnaître un prix ?

       Une fois, l’auteure reconnait le rôle important des administrateurs coloniaux  et une autre fois elle en souligne le coût exorbitant !

        Un concept  d’investissement immatériel que l’auteure analyse plutôt succinctement plus loin.

  1. A.   Quel a été le volume des investissements publics coloniaux ?

        De quels investissements parlons-nous ?

      Dans les quatre domaines de l’éducation, de la santé, des infrastructures et de l’aide à la production ?

       En matière d’éducation, et en fournissant des chiffres, l’auteure reconnait que des efforts ont été faits, mais que : « La France n’a pas réellement entrepris d’accomplir ce que les idéologies appelaient sa « mission civilisatrice » dans le territoire de l’AOF, ou ne s’est tout au moins pas donné les moyens. » (p,109)

        Le graphique 12 montre au moins que les années 1940-1950 marquent une rupture dans la progression des effectifs d’enseignants, tout en étant surpris qu’il n’ait pas été possible de trouver le chiffre du parc des écoles existantes après 1939.

        L’auteure fait le même type de remarque pour la santé, tout en fournissant des chiffres qui montrent à nouveau une rupture, logique, avec le FIDES, après 1945, en écrivant : « Mais cela ne représente toujours pas grand-chose par rapport aux besoins et aux revendications humanistes affichées en France. » (p,110)

     Question : est-ce que les efforts effectués dans le domaine de la santé n’ont pas eu une influence à la fois sur la santé, les épidémies notamment, qui ravageaient souvent ces territoires, et sur la démographie de l’AOF ?

      Les « colonialistes » sont-ils encore responsables des épidémies qui ravagent de nos jours certains territoires africains ?

        Il n’est qu’à lire les rapports que les Gouverneurs Généraux de l’AOF présentaient à leurs Conseils de Gouvernement en fin d’exercice budgétaire, pour  être convaincus de l’efficacité des mesures sanitaires de cette époque coloniale.

      En ce qui concerne les travaux publics, le tableau 4 cite un montant total d’investissements publics de 227 millions de francs 1914, dont plus de la moitié (52,4%) aurait été effectuée entre 1941 et 1956

        Ces chiffres sont véritablement surprenants, sauf à penser qu’ils ne concernent que les investissements laissés à l’initiative des colonies, et cela laisse à penser que la définition des investissements selon la catégorie choisie, fédéraux ou territoriaux, serait flottante.

        Les chiffres antérieurs à 1941 seraient en effet inférieurs au montant des deux premiers emprunts de l’AOF, le premier de 60 millions de francs en 1903, et le deuxième de 100 millions de francs en 1910 !

       L’analyse des comptes rendus d’exécution des budgets faits par les Gouverneurs Généraux de l’AOF entre les années 1920 et 1930 donnent des chiffres bien supérieurs.

         Il convient de noter que le graphique  13 montre une fois de plus, avec la rupture de ligne des années 1945, que les relations coloniales France AOF avaient basculé dans un autre monde.

         L’auteure conclut : « La composition des dépenses budgétaires est l’illustration du type d’économie mis en place par les autorités françaises : une économie de traite. » (p ;112)

      Une conclusion qui parait être par trop caricaturale, compte tenu des imprécisions qui paraissent affecter les évaluations des investissements publics, outre le fait que les autorités françaises auraient eu le choix de mettre en place tel ou tel type d’économie, comme dans les systèmes totalitaires de l’époque, tel par exemple le système soviétique ou nazi.

  1. B.   Quels ont été les transferts de capital humain de la France vers l’AOF ?

     Vaste sujet !

     Ce type de transfert est  très difficile à évaluer :

     – comment chiffrer ce transfert dans la création et le fonctionnement d’un pôle de développement, selon la définition de François Perroux ?

         –  l’auteure s’intéresse au poids respectif des africains et des européens dans les effectifs du personnel de l’éducation et de la santé, et observe :

         « Outre que les enseignants et les médecins étaient fort peu nombreux, les transferts de capital humain dans leur ensemble n’ont donc pas été déterminants pour le développement de l’économie locale. » (p,114)

        Une remarque qui parait manquer de cohérence avec le résultat des travaux de corrélation dont elle fait état dans le même ouvrage.

        – comment chiffrer la valeur ajoutée de la construction d’Etats qui n’existaient pas, de la mise à disposition d’une langue de communication commune qui n’existait pas dans le patchwork linguistique de l’Afrique occidentale précoloniale ?

            L’historien indien Panikkar a écrit des choses tout à fait intéressantes à ce sujet pour l’Inde  impériale anglaise, alors qu’ « âge égal », l’ouest africain ne soutenait absolument pas la comparaison avec le continent indien.

  1. Le coût des investissements publics coloniaux : à l’origine de leur rareté ?

       Les quelques pages d’analyse sommaire du sujet proposé ne convainquent pas, étant donné, que pour l’auteure, les « investissements publics coloniaux » sont constitués par les personnels français, les administrateurs coloniaux, les médecins, les enseignants, et sur le même plan les investissements laissés à l’initiative des administrateurs coloniaux

         L’auteure note «  Le paradoxe des budgets territoriaux était le suivant : alimentés par des ressources locales prélevées dans une économie à faible revenu, ils supportaient les charges d’une administration française dont les salaires et le mode de vie s’alignaient sur ceux d’une économie à haut revenu. … Par exemple, la solde d’un administrateur de cercle de 1ère classe au début des années 1910 était de 14 000 Francs par anplus les indemnités d’éloignement, indemnités de résidence, frais d’abonnement et frais de déplacement qui élevaient leur revenu à environ 18 000 Francs par an. » (p,114)

         Et l’auteure croit pouvoir affirmer : « Mais comme nous l’avons vu, l’aide publique française versée à l’AOF, loin d’avoir compensé les charges que le personnel français a fait peser sur les finances publiques territoriales, n’a même pas couvert les charges de bureaux des huit gouvernements locaux. Il est donc certain que la somme des salaires versés aux fonctionnaires français par les contribuables de l’AOF est sans commune mesure avec l’aide publique versée par la France à l’AOF. » (p,117)

        Rien de moins ! Alors que nous avons tout au long de notre lecture critique fait peser un doute sérieux sur les concepts manipulés, sur les calculs effectués, sur les cohérences d’analyse, et sur la validité historique de la thèse centrale qui est défendue.

        La colonisation française avait le grand défaut d’être trop bureaucratique, et les Lyautey et Gallieni s’en plaignaient déjà au début de la période coloniale, en Indochine et à Madagascar, mais dans une Afrique noire fractionnée à outrance, manquant de relais de commandement pour la modernisation, la France a commis des excès de bureaucratie centrale à Dakar et dans les colonies, sur le modèle centralisé métropolitain.

      L’exemple de l’administrateur de 1ère classe est caricatural.

      Au début des années 1910, je ne suis pas sûr que l’auteure ait été candidate pour servir dans une des brousses de l’AOF, même dans les nouvelles capitales administratives de l’hinterland, qu’il s’agisse de Niamey ou de Bamako, compte tenu des conditions de vie et de santé qui étaient celles d’alors, outre celles du climat

       Il est tout de même difficile de dénoncer le coût excessif de l’administration à partir de cet exemple, en considérant qu’un Européen expatrié ne pouvait avoir cette rémunération.

     J’ai déjà cité les propos de l’ancien gouverneur Delavignette sur la longévité tout relative  des administrateurs, et seuls les ignorants peuvent considérer que les Français de l’époque coloniale, en tout cas jusque dans les années 1940, avaient des conditions de séjour que connaissent de nos jours les touristes de l’outre-mer, ou encore les collaborateurs ou collaboratrices des ONG.

      A peu près aux mêmes dates, et en 1906, un député avait droit à une rémunération annuelle de 15 000 francs : est-ce que l’auteure croit qu’il fut possible de recruter des administrateurs coloniaux en les sous-payant, alors que leurs salaires ne tenaient pas compte de leur durée de vie plus courte ?

       Une appréciation sans doute plus justifiée aurait été celle qui aurait critiqué, en l’analysant le poids comparatif des bureaucraties centrales de la fédération et des colonies, écrasantes par rapport aux administrations légères de la brousse.

        Pourquoi et pour une fois, ne pas résister à la mode anachronique à laquelle semble céder l’auteure, en l’invitant à se documenter sur les rémunérations et compléments de rémunération accordés de nos jours aux fonctionnaires en service dans les DOM-TOM ?

     IV. Conclusion

    « L’AOF n’a pas été un tonneau des Danaïdes pour l’Etat français qui lui a prêté une très petite part de ses ressources publiques et ne lui a quasiment rien donné. La France n’a pas été pour l’AOF le pilier sans lequel elle aurait sombré dans la misère puisque les prêts français n’ont représenté qu’une petite partie de ses ressources, et les dons quasiment rien. Par contre, la France a été un poids financier conséquent pour l’AOF, le personnel français installé sur son territoire ayant absorbé une part importante des ressources locales.

       La colonisation en AOF n’a donc pas été pour la France une si mauvaise affaire : outre que l’AOF a offert de nouveaux débouchés à certains biens de consommation, une source d’approvisionnement protégée en matières agricoles, et des occasions de placement de capitaux intéressants notamment dans les secteurs bancaire et commercial, l’AOF n’a presque rien coûté aux contribuables et a financé les salaires de plusieurs milliers de fonctionnaires venus de métropole…(p,119)

        En dehors de la dernière période de colonisation (1945-1956) car :

« Tout le reste du temps, la rentabilité économique de la colonisation française en AOF ne semble pas faire de doute étant donné la nullité de son coût. «  (p119 et 120)

       Cette affirmation contient beaucoup  d’outrecuidance, compte tenu de toutes les incertitudes qui ont été relevées, en ce qui concerne le fonctionnement du système, le sens des concepts financiers et économiques manipulés, le postulat d’une continuité historique qui n’a pas existé, l’absence d’analyse du commerce extérieur, etc….

        L’auteure d’expliquer enfin :

       «  Pourquoi les travaux précédents n’aboutissaient pas aux mêmes conclusions ? (page 120)

       Première raison : les travaux antérieurs ne portaient que sur des « périodes restreintes » et ne pouvaient donc donner de conclusion globale.

        Deuxième raison : l’absence de prise en compte des transferts publics de l’AOF vers la France.

       Troisième raison : «  La troisième raison est qu’aucun des travaux existants ne différencie les prêts et dons versés par la France à ses colonies, assimilant les prêts et les avances à de l’aide publique alors même qu’ils ne contenaient pas d’éléments de concessionnalité. »

      Quatrième raison : Jacques Marseille et Daniel Lefeuvre se sont focalisés sur l’Algérie

      Cinquième raison qui concerne les travaux de Jacques Marseille « est que les déficits commerciaux des colonies vis-à-vis de la France sont uniformément assimilés à des transferts de capitaux, principalement publics, de la France, vers les colonies. Dans le cas de l’AOF, ceci est faux. Notre travail a donc permis d’éclaircir la question du financement global de la colonisation en AOF, résultat partiel qui demanderait à être complété par les autres territoires de l’ancien empire français. (p,120

        L’auteure écrit donc : « Nombreux sont encore les habitants des Etats de l’ancienne Afrique Occidentale Française qui pensent devoir à la France leurs écoles et leurs routes… Puisse ce travail leur permettre de réaliser que ce sont leurs propres ressources, financières et humaines, qui ont permis la réalisation de la quasi-totalité de ces équipements. Puissent-ils également réaliser que la colonisation leur a fait supporter le coût d’un personnel français aux salaires disproportionnés et de services chers et mal adaptés. Le bilan économique de la colonisation pour les anciennes colonies est impossible à établir par manque de contrefactuel, mais il ne fait pas beaucoup de doute qu’il soit négatif étant donné la nullité de ses gains. »   (p,120)

     Questions et conclusions:

    La première concerne un « bilan économique … impossible à établir » ? Comment faire un tel constat, alors que l’auteure s’est bien gardée de chiffrer l’évolution du commerce extérieur, des budgets, des infrastructures …? De proposer des évaluations en distinguant entre la période de la loi de 1900 et celle du FIDES ? De situer les ordres de grandeur économique et financière respectifs entre la métropole et l’AOF au cours de la période coloniale ? etc…

     La deuxième  porte sur la fragilité, l’ambiguïté, pour ne pas dire le manque d’appropriation des concepts d’analyse utilisés dans le domaine économique et financier, l’absence de définition des flux d’argent public examinés : il ne s’agissait pas de prêts publics, donc de charges ou réelles pour les contribuables français ; en ce qui concerne les avances, il aurait fallu dire quelle était leur fonction et leur fonctionnement ; en ce qui concerne les caisses de réserve, il aurait fallu expliquer ce à quoi elles servaient, etc… .

        La troisième met en cause la cohérence entre certains des chiffres cités et ceux qui figurent dans l’ouvrage de « La Zone Franc », avec des écarts qu’il conviendrait de justifier et confirmer.

      La quatrième porte sur l’historicité de cette thèse : elle a un caractère anachronique à un double titre, en ne distinguant pas les périodes examinées et surtout en imposant un mode de calcul d’une « concessionnalité » datant de 1969 à l’ensemble des flux décrits dont le terme était celui de l’année 1957.

       Cette thèse ne s’inscrit donc pas dans l’histoire financière et économique des relations entre la France et l’AOF, ce qui signifie qu’elle souffre d’un anachronisme de base.

       La cinquième porte sur l’arrogance d’un discours qui est censé s’inscrire sur un plan scientifique, et sur le ton politique et polémique trop souvent utilisé, un discours qui entend donner une leçon d’histoire, à la fois aux héritiers français ou africains de l’ouest de l’histoire des relations coloniales entre la France et l’AOF, une leçon on ne peut plus fragile, qui confine avec une propagande postcoloniale à la mode.

&

          Je terminerai en disant, tout cela est bien dommage !

         Que de travail et de compétence mis au service d’une cause historique qui ne l’est pas, alors que cette thèse pouvait être l’occasion d’une contribution utile à une meilleure connaissance de l’histoire économique coloniale, qui souffre traditionnellement d’un manque d’intérêt pour un tel sujet.

Jean Pierre Renaud

Demain 4 décembre 2014, mes conclusions générales

Empire colonial britannique et Empire colonial français: conclusions générales

XIXème et XXème siècles : Empire colonial britannique et Empire colonial français

Esquisse de tableau comparatif à grands traits : deux empires semblables ou différents ?

Quels héritages ?

Lilliput face à Gulliver !

Rêve ou réalisme ?

Empirisme ou théorie ?

Quelles conclusions générales est-il possible de tirer de la comparaison entre l’Empire britannique et l’Empire français ?

            Comme je l’ai indiqué au tout début de cette analyse comparative, la tâche était ambitieuse, à l’image du travail inlassable d’une termite à l’assaut de sa pyramide, mais au terme de notre examen, il est possible de se poser la bonne question, à savoir si les bases mêmes de cette comparaison ne la rendaient pas inopérante.

            La comparaison est d’autant plus difficile en effet, sinon impossible, qu’elle se déroule sur une longue période – quel moment colonial ? –  et dans des territoires géographiques on ne peut plus variés – quelle situation coloniale ? –  tellement les territoires avec leurs atouts et leurs handicaps, les épisodes de la colonisation, les manières coloniales de faire des Britanniques et des Français, leurs objectifs véritables, la conception de l’avenir qu’ils proposaient aux uns et aux autres, étaient différents, et encore plus les réactions infiniment variées des peuples « colonisés ».

            Alors aussi que l’Empire des Indes parait avoir « cannibalisé » cette histoire ! Et j’ajouterais volontiers qu’il en a été de même pour l’Algérie.

            Autre sujet d’interrogation et de doute à partir du moment où notre analyse a laissé dans l’ombre la comparaison historique entre grandeurs économiques et financières des deux empires en question.

            Au sein de son empire, la France n’a jamais trouvé la poule aux œufs d’or que constituait l’Inde, ni des territoires en capacité de se transformer rapidement en dominions.

                Une carence que nous regrettons d’autant plus qu’il s’agit d’une des critiques que nous faisons le plus souvent à la plupart des travaux des histoires coloniales et postcoloniales.

            Et qui plus est, alors que, comme toute histoire, elle est devenue non seulement un enjeu pour les historiens, mais plus encore pour les politiques.

            Comment distinguer entre le roman devenu « national » et la réalité des situations coloniales rencontrées ou racontées ?

            On voit bien qu’après une assez forte imprégnation marxiste des écoles d’historiens, un courant humanitariste s’est saisi des mêmes écoles, faisant un large écho aux constructions ou reconstructions des histoires dites de « la périphérie », très largement teintées à la fois d’un regard moins ethnocentrique, mais aussi de mauvaise conscience de la part des métropoles et de revendication d’assistance de la part de certaines anciennes colonies, en réparation des dommages que l’Occident leur aurait causé.

            Effet de loupe historique, comme dans le cas de l’Algérie, dont l’histoire laisse dans l’ombre tout un pan de  l’histoire coloniale, tout en lui imprimant la marque de l’histoire algérienne !

            Désintérêt aussi de plusieurs générations d’historiens pour l’histoire coloniale, un parent pauvre de la recherche, laissant le champ libre par exemple à des historiens « entrepreneurs » qui surfent sur les médias, d’autant plus facilement qu’ils se font l’écho, à tort ou à raison, et en France, en tout cas, des revendications, fondées ou non, formulées par des groupes de pression nourris par l’immigration.

            A cet égard, comment ne pas évoquer, à titre d’exemple le débat récurrent que certains historiens, politologues, sociologues, anthropologues, … et naturellement politiques,  ouvert sur la question de la « collaboration » des autorités indigènes, des « évolués » en général, avec les pouvoirs coloniaux ?

            Une « collaboration » que certains chercheurs teintent en France de la couleur de la collaboration entre Français et Allemands pendant l’occupation des années 1940-1945 !

 Il est d’ailleurs de plus en plus à la mode de parler des nazis plutôt que des allemands.

            Collaboration ou truchement inévitable ? Car à la vérité, et dans la plupart des cas, il s’agissait d’une collaboration qui s’inscrivait dans un truchement qui s’imposait, sauf dans les colonies de peuplement, entre un petit nombre de Blancs et un grand nombre de gens de couleur, une collaboration qui s’imposait au fur et à mesure des années avec le concours d’évolués de plus en plus nombreux.

            Il est évident que cette caractéristique était plus marquée dans les territoires de grande superficie que peu de Blancs administraient, par exemple dans l’ancienne Afrique Occidentale ou Equatoriale Française, en Nigéria du Nord, ou dans le Soudan anglo-égyptien.

            Ou encore « accommodement » ?, le terme utilisé par M.A. Adu Boahen, auquel nous avons fait une large référence ? Ce dernier a bien récapitulé les différents traits et types de collaboration rencontrés en Afrique, et de la nécessité, pour que le colonialisme existe et subsiste, qu’il puisse faire appel à un truchement indigène local, sans obligatoirement jeter un opprobre de principe sur ce type de relation.

            Comme nous l’avons rappelé dans un de nos textes, Henri Brunschwig écrivait quelque chose comme « pas de colonisation sans télégraphe », et nous l’avons paraphrasé en disant « pas de colonisation sans truchement ».

            Un seul exemple de l’incarnation d’un truchement réussi, celui du grand lettré Hampäté Bâ ! Un « collabo » ?

Le chemin choisi pour notre conclusion

            Pour la synthèse de nos conclusions, nous proposons de faire appel au même chemin que celui que nous avons emprunté pour nos réflexions sur les sociétés coloniales publiées sur ce blog, c’est-à-dire celui du théâtre, avec une récapitulation des scènes, des pièces avec leurs intrigues et leurs acteurs, et enfin des succès ou échecs des pièces en question, la question sensible des legs coloniaux.

Les scènes du théâtre colonial, c’est-à-dire les « situations coloniales » et les « moments coloniaux »

            Il est très difficile de comparer les scènes britanniques et les scènes françaises, tant elles étaient différentes en tailles géographiques, en caractéristiques démographiques, en potentiel économique, en évolution des types de gouvernances indigènes qui existaient ou n’existaient pas.

            Comme nous l’avons vu avec l’exemple de l’Empire des Indes, il y avait peu de choses en commun entre ce quasi-continent, cet empire secondaire anglais, et cette sorte de « cour » de l’Asie que pouvait représenter pour la France, le joyau que constituait l’Indochine, dans une tout autre échelle géographique, humaine et économique ?

            Pour retenir un autre exemple, sur les rives du canal de Mozambique, quoi de commun entre les colonies d’Afrique Australe et Madagascar ?

            De l’ordre de 570 000 kilomètres carrés à Madagascar contre 1 220 000 kilomètres carrés pour les quatre Etats de l’Union Sud-Africaine, soit le double, mais avec une population blanche sans comparaison : à Madagascar, 6 880 blancs en 1902, pour une population de l’ordre de cinq millions d’habitants, et dans l’Union sud-Africaine de l’année 1904, 1 116 801 blancs  pour une population de l’ordre de 6 millions d’habitants, dont 579 741 dans la colonie du Cap, 297 277 dans l’Etat du Transvaal, 142 679 dans celui d’Orange, et 97 109 dans l’Etat du Natal.

          Dans l’Union sud-africaine, une grosse industrie minière d’or et de diamant s’était déjà développée et avait donné naissance à des villes importantes.

         Autre indication, celle de la population blanche en AOF ou en Indochine : en 1913, 18 069 en AOF et 13 000 en Indochine.

            Le domaine colonial le plus comparable a été celui de l’Afrique tropicale qui a longtemps interdit l’immigration blanche, mais il était ouvert à l’échange international, côté anglais avec le grand fleuve Niger, et fermé, côté français, au même échange international, côté français, avec un fleuve Sénégal et son hinterland inaccessible.

            Pour le reste du continent africain, et à l’exception de l’Algérie, devenue colonie de peuplement, rien de comparable, ni en taille, ni en ressources, ni en flux d’immigration, entre les deux empires, avec la naissance ou le renforcement de colonies de peuplement blanc en Afrique Australe, au Kenya, en Rhodésie, et en Afrique du Sud, des colonies de peuplement qui avaient vocation à devenir des dominions du Commonwealth, comme ce fut le cas du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande. 

            Comment comparer le décor social qui régnait dans les deux empires ?

          Côté anglaisl’existence d’un décorum social très typé dans la plupart des colonies, un décorum bâti de toutes pièces, une stricte séparation entre les maîtres et les serviteurs, des lieux de vie séparée, et presque partout l’existence de « clubs » naturellement réservés aux Britanniques, avec l’exaltation aristocratique et quotidienne de la pratique des sports.

            L’exemple de Hong Kong est intéressant à cet égard : jusqu’à la fin du vingtième siècle, anglais et chinois cohabitèrent de façon séparée, sans aucune passerelle sociale.

              Côté français, et à la différence de ces scènes coloniales anglaises  socialement bien ordonnées et corsetées, les scènes coloniales françaises étaient plutôt décontractées, pour ne pas dire « débraillées ».

          Cela tenait beaucoup aux conceptions coloniales mises en œuvres, rêve d’égalité et d’assimilation pour la France, et pour l’Angleterre, réalité de deux mondes séparés sur un modèle aristocratique, avec le choix d’administrateurs qui, sur le terrain, « fabriquaient » l’une ou l’autre forme de colonisation.

            Dans un de ses récits de voyage, le géographe Weulersse rapportait la conversation qu’il eut avec un Français travaillant à Ibadan (Nigéria), dans les années 1930 :

            « Le héros de Kipling qui, perdu dans la jungle, seul dans sa case de feuillage, chaque soir revêtait son smoking, incarne bien l’idéal britannique. La colonisation anglaise porte faux-col, la nôtre se ballade, souriante, en débraillé. »

L’intrigue coloniale

            Au cours de l’exécution du premier acte de l’intrigue, c’est-à-dire la conquête militaire, les deux puissances coloniales usèrent des mêmes moyens militaires, des mêmes technologies (armes à tir rapide,  télégraphe, machines à vapeur, quinine…) pour imposer leur domination, la violence, avec des adversaires très différents, capables ou non de manifester des résistances d’intensité très variables en force et en durée, des résistances fort bien décrites dans l’ouvrage de l’Unesco.

            Certains auteurs ont pu dire qu’en Inde, en Asie en général, et en Afrique, l’Europe avait en face d’elle, pour des raisons d’inégalité de puissance, de divisions ou guerres intestines, des partenaires ou des adversaires qui étaient disponibles pour une domination coloniale.

      Comparées aux opérations de conquête militaire anglaises, les opérations françaises eurent beaucoup moins d’ampleur à la fois par le nombre des théâtres d’opération et par la puissance des moyens utilisés.

     Rien de comparable entre la conquête du Tonkin et celle du Soudan Egyptien par Kitchener !  Rien de comparable non plus entre la longue lutte anglaise contre  .les Ashantis en Gold Coast, et celle des Français contre les Sofas de Samory dans le bassin du Niger, ou contre les Amazones du  roi Behanzin au Dahomey !

        L’Empire Britannique put rapidement compter sur les ressources civiles et militaires de l’Inde, un Empire des Indes, en second du premier, pour renforcer les expéditions militaires que la Grande Bretagne menait en Asie en dehors des frontières de l’Inde.

            Tel fut le cas, comme nous l’avons vu, en Ethiopie, et en Birmanie !

         Des deux côtés, les guerres coloniales firent beaucoup de victimes, déstabilisèrent les sociétés locales, provoquèrent des flux d’émigration, mais sur le plan militaire, les guerres des Boers n’eurent pas d’équivalent dans l’empire français, à la fois par les moyens de guerre modernes mis en œuvre et par des méthodes de pacification qui confinèrent à une forme de génocide.

           Sans commune mesure entre les deux empires furent, également et à la fois, les flux d’émigration de population blanche d’origine anglo-saxonne vers les nouvelles conquêtes de l’Empire et les appropriations de terres indigènes, telles qu’elles furent pratiquées par les Anglais en Australie, en Nouvelle Zélande, en Afrique Australe et Orientale.

L’intrigue elle-même

           Au dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne avait atteint un niveau de puissance économique sans égal par rapport à la France. Bénéficiant de la maîtrise des mers du globe, d’un réseau commercial efficace, elle était fort bien placée pour se lancer à la conquête du monde et constituer un empire colonial qui s’ajoutait au premier, celui des siècles passés.

        En comparaison, la France était restée une puissance de type continental et agricole, tournée sur elle-même, une France des villages.

         Money and business, gagner de l’argent en faisant du commerce

       La Grande Bretagne persévérait  dans la consolidation de son modèle de « business » international et mondial, tout en mettant la main sur tel ou tel territoire du monde qui représentait pour elle une chance supplémentaire de puissance économique, tels que l’Afrique du Sud  ou la Nouvelle Zélande, et continuait à verrouiller ses voies de communication vers l’Empire des Indes et l’Asie, l’Egypte, Singapour, et Hong Kong.

         Quelques-unes des citations que nous avons reprises dans la lecture critique du livre de M.Kwasi Kwarteng « Ghosts of Empire» méritent d’être rappelées, car elles fixent clairement les objectifs de l’impérialisme anglais.

         Sir Charles Napier, gouverneur des Indes, déclarait dans les années 1872 :

       « in conquering India, the object of all cruelties was money » (Ghosts, page 96)

       L’historien notait à ce sujet:

      « This was cynical, but then was a large element of the truth in the claim. »

        Le même historien notait par ailleurs, en ce qui concerne l’Afrique :

     “The colonial mission in Africa according to the Prime Minister, was about of money and commerce

        Lord Salisbury, Premier Ministre déclarait en 1897:

      « The objects we have in our view are strictly business object » (Ghosts, page 278)

        Au moins les choses étaient claires au plus haut niveau de l’Etat du Royaume Uni, mais elles ne l’étaient pas du tout au plus haut niveau de la République Française, les acteurs d’une politique coloniale flottante mélangeant allégrement tous les objectifs imaginables, les bonnes ou mauvaises raisons de se lancer à la conquête du monde, l’ouverture de marchés, – mais la France n’avait pas la fibre commerçante -, la propagation d’une civilisation qu’elle estimait la meilleure au monde, ou encore son rêve d’assimilation et d’égalité qu’elle faisait miroiter aux yeux des peuples indigènes.

       A la vérité, alors que l’expansion  impériale anglaise ne trouvait pas son inspiration et son souffle dans une nouvelle volonté de puissance internationale, – elle l’exerçait déjà –  la France, après sa défaite dans la guerre franco-prussienne des années 1870-1871,  y trouvait une raison de revanche politique en fondant un nouvel empire colonial.

         L’intrigue impériale française était constituée d’un cocktail de facteurs au sein desquels le politique comptait plus que l’économique, quoiqu’en aient dit les défenseurs des conquêtes coloniales de la fin du siècle, Jules Ferry étant par exemple le défenseur des industries textiles des Vosges, un brin obsolètes, qu’il entendait protéger.

         Alors bien sûr, les deux métropoles se piquaient du désir de faire bénéficier le monde entier des bienfaits de la civilisation, le « fameux fardeau » de la race blanche, mais les deux métropoles ne l’entendaient pas de la même oreille.

        L’intrigue anglaise faisait confiance au modèle de vie anglais, incontestablement le meilleur du monde – nous sommes naturellement les meilleurs -, que les peuples indigènes auraient bien sûr le désir d’imiter et d’adopter, alors que l’intrigue française propageait une volonté d’égalité entre les peuples, le rêve de l’assimilation.

      Anglais et Français n’avaient pas la même conception du jeu de l’intrigue coloniale, les premiers n’entendant pas, en tout cas le moins possible se mêler des affaires indigènes, alors que les deuxièmes mettaient en œuvre une certaine politique indigène, hésitant beaucoup moins que leurs collègues anglais à interférer dans les affaires indigènes,  à voir dans les chefs des pays colonisés des agents subordonnés de l’autorité coloniale.

         Administration indirecte des Britanniques et administration directe des Français, selon le gigantisme des territoires, les différences n’étaient pas toujours aussi sensibles que le voulait la théorie de l’indirect rule, mais il est vrai que l’application du Code de l’Indigénat impliquait le pouvoir des administrateurs français dans la vie locale, alors que les pratiques répandues de discrimination raciale, poussées à l’extrême avec le système du Colour Bar tenait soigneusement les officers anglais à l’écart de la vie indigène.

      Il ne serait peut-être pas exagéré de dire que l’intrigue coloniale anglaise se déroulait dans un jeu qui s’affichait en termes qui seraient aujourd’hui qualifiés de racistes, alors que l’intrigue coloniale française se défendait officiellement de l’être, tout en étant concrètement et historiquement discriminatoire et en définitive raciste.

Les acteurs

Les grands acteurs du théâtre colonial

        Tout d’abord les officiers, dans la phase de conquête et de pacification

      Au cours de la première période, l’armée tint évidemment les premiers rôles, souvent composée en grande partie de troupes recrutées sur place, et nécessairement recrutées sur place dans les régions tropicales.

       Comment ne pas signaler que les deux puissances coloniales n’auraient pas pu se lancer à la conquête d’aussi vastes territoires sans le concours de tirailleurs recrutés sur place, tels que les Gurkhas des Indes ou les tirailleurs sénégalais d’Afrique occidentale ?

          Des armées de nature professionnelle le plus souvent commandées par des officiers de carrière qui étaient volontaires pour servir outre-mer, animés par l’esprit d’aventure, la recherche de la gloire, mais aussi par l’envie de servir leur pays.

       Parmi les plus connus, quelques-uns d’entre eux, Kitchener ou Lugard, chez les Anglais, Gallieni ou Lyautey, chez les Français.

       Ce sont les officiers qui mirent en place la première organisation de ces territoires, laissant progressivement la place et le pouvoir à des administrateurs civils.

      Dans un deuxième temps, et au fur et à mesure de la pacification, les officers anglais et les administrateurs coloniaux français, et aux côtés des officers le plus souvent de grands acteurs du monde économique, c’est-à-dire de grandes sociétés capitalistes, beaucoup plus actives dans l’empire britannique.

      Il convient de noter que ces acteurs déployaient en effet leur activité dans un contexte administratif très différent, centralisateur et bureaucratique chez les Français, et décentralisé et pragmatique chez les Anglais.

    La bureaucratie coloniale française fut le plus souvent écrasante, pour au moins deux raisons, le goût des Français pour tout réglementer, d’une part, et d’autre part par le fait que dans la plupart des colonies françaises, compte tenu de leur état et de leurs ressources, en l’absence de moteurs de colonisation privée, l’administration pourvoyait à tout.

    Le livre « Ghosts of Empire »  décrit à grands traits les caractéristiques des officers coloniaux anglais, issus le plus souvent de l’aristocratie, grande ou petite, qui maintenaient encore plus qu’à domicile, les distances qu’ils conservaient avec le peuple, ce qui n’était pas le cas des administrateurs français, d’origine sociale variée, mais concrètement, et selon les circonstances, il n’est pas démontré que les différences aient été très grandes.

    La pratique coloniale anglaise du chacun chez lui contrastait avec la pratique coloniale française qui laissait croire que les colonisateurs et les colonisés pouvaient immédiatement vivre sur un pied d’égalité en faisant l’impasse sur les deux éléments de l’intrigue qui constituaient le fond du décor, c’est-à-dire la « situation coloniale » et le « moment colonial »

Les acteurs de second rang

Les colons, individus ou sociétés

     C’est incontestablement dans ce domaine que la comparaison entre les deux Empires est la plus difficile.

      A titre individuel, le colon fut une denrée plus rare dans l’Afrique tropicale française que dans l’Afrique tropicale anglaise, et si l’on fait entrer en ligne de compte les colonies anglaises des Afriques Australe et Orientale, considérées comme des colonies de peuplement, toute comparaison est impossible, sauf à y introduire l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, mais dans un rapport de population de colons bien inférieur à celui des colonies anglaises.

     Quant aux sociétés commerciales ou industrielles coloniales, les Françaises faisaient pâle figure avec les Anglaises, le commerce africain étant par exemple très largement dans les mailles de sociétés britanniques.

    Dans le riche Empire des Indes ou à Hong Kong, les grandes sociétés anglaises ont pu déployer leur activité tout au long de la durée de vie de l’empire.

    Le livre « L’esprit économique impérial » a montré les limites relatives des succès des entreprises françaises dans l’expansion de l’Empire.

    Aucune des colonies françaises, à l’exception peut-être de l’Indochine, n’a bénéficié d’un développement économique ou industriel comparable à celui très tôt enregistré dans les  Indes ou en Afrique Australe

    L’Algérie entrerait en ligne de compte dans cette comparaison, si sa situation juridique de département français n’était pas venue la « fausser ».

Les populations blanches des sociétés coloniales, des acteurs ?

      Comme je m’en suis expliqué longuement dans les analyses que j’ai proposées sur le thème des sociétés coloniales, il est recommandé, avant toute chose, de se mettre d’accord sur la définition d’une société coloniale.

      A la fin du dix-neuvième siècle, les sociétés coloniales des différents territoires avaient des caractéristiques fort différentes, dues en partie à la présence plus ou moins importante d’immigrés blancs, importante dans les colonies de peuplement anglaises en Australie ou en Afrique Australe, comparable au seul cas français de l’Algérie, et faible notamment dans les colonies tropicales d’Afrique, qu’elles soient françaises ou britanniques.

    A noter en Indochine une minorité chinoise importante, et au Natal, une minorité indienne qui n’était pas négligeable et au sein de laquelle Gandhi commença à acquérir la grande notoriété internationale qui fut la sienne.

    Jusqu’à la moitié du vingtième siècle, il y avait peu de points communs en Afrique entre les sociétés coloniales de l’ouest africain français ou anglais et celles d’Afrique Centrale et Australe où s’était développée une grande industrie minière internationale.

     Comme je l’ai indiqué dans mes réflexions, la question peut se poser de savoir si, dans les territoires de climat tropical, où la population blanche était peu nombreuse, cette société coloniale vivant souvent en kyste, a eu véritablement un rôle.

    Dans les territoires où la même population blanche était nombreuse, les colonies de peuplement anglais, cette dernière a eu un rôle majeur dans leur modernisation, mais au moins autant dans l’établissement d’un état de relations discriminatoires tendues, notamment dans les colonies de l’Afrique Australe, où la proportion de populations noires était importante.

Les  véritables acteurs du changement

           D’une façon générale, il serait possible de dire que dans la plupart des colonies où la population blanche était peu nombreuse, ce sont les Asiatiques ou les Noirs qui ont les véritables acteurs du développement de leur pays, sans le concours desquels il n’aurait pas été possible, et que dans celles de peuplement blanc possible et encouragé, le même développement fut le résultat le plus souvent de l’exploitation de la main d’œuvre noire par le capitalisme anglais.

Succès ou échec de la pièce de théâtre ?

Legs et héritage 

       Dans les pages qui précèdent, nous nous sommes fait l’écho du regard que des historiens africains, un historien indien, et  deux historiens allemands, dans une version plus récente, ont porté sur l’héritage du colonialisme.

      Il est évident qu’il convient de placer toute appréciation de cette période dans le cours de l’histoire du monde, de ses phases successives de puissances dominantes, en raison de facteurs religieux, militaires, économiques, souvent grâce à une innovation qui leur a donné les outils de la conquête.

     A cet égard, pourquoi ne pas rapprocher la période coloniale de la période de la Renaissance, l’explosion de nouvelles technologies fournissant aux puissances européennes les outils et la capacité de dominer le monde ?

      Mais sans remonter à l’Antiquité, la Chine impériale et un Islam conquérant s’étaient déjà illustré dans la conquête du monde.

 L’historien Adu. B. Boahen caractérisait la période coloniale comme un « interlude » historique,  un choc qui n’avait fait qu’accélérer la transition du continent africain dans un autre âge, que les Occidentaux qualifient volontiers de modernité.

         Comme nous l’avons répété, en histoire coloniale, il est nécessaire de faire du cas par cas, « situation coloniale » par situation coloniale, et « moment colonial » par moment colonial, mais cette prudence historique n’empêche pas de rechercher les caractéristiques générales des dominations anglaise et française, et des legs qu’elles ont laissé dans les territoires dominés.

       Les analyses historiques qui constituent le livre publié par l’Unesco en 1987 sous le titre « Histoire générale de l’Afrique » proposent une lecture plutôt nuancée de l’histoire coloniale des deux empires, tout en relevant que le colonialisme a eu un tel un impact politique, économique et social qui a complètement déstabilisé les sociétés africaines.

     Comme déjà indiqué, M.A.Adu Boahen caractérisait la période coloniale en écrivant : « épisode ou interlude » ? (p,864), et dans un de ses commentaires précédents, il écrivait :

     « Aucun sujet n’est probablement aussi controversé que l’impact du colonialisme sur l’Afrique » (p, 838)

      Comment résumer l’héritage colonial à l’issue du temps relativement court de la colonisation à l’échelle de l’histoire de l’Afrique ? Succès ou échec de l’entreprise coloniale ?

     Nous avons tenté de résumer le bilan qu’en faisaient les historiens retenus par l’Unesco pour raconter l’histoire du colonialisme, mais sur le seul continent africain, un bilan effectué au cours d’une période qui suivait de peu la décolonisation, mais Der Spiegel Geschichte nous a proposé un regard plus actuel sous la question : « Was Bliebt ? »

     Un bilan ancien : il est évident qu’en ouvrant, par la violence ou non, les différents continents aux échanges économiques et politiques, les puissances occidentales ont complètement déstabilisé les sociétés locales, des gouvernances indigènes de type très varié, mais un tel bouleversement n’a été ni uniforme, ni simultané.

    Il ne pouvait s’agir que d’un choc violent, armé ou non, compte tenu de l’inégalité généralisée qui existait entre adversaires ou partenaires, inégalité en moyens civils ou militaires, et des écarts souvent gigantesques entre modes de vie ou de culture.

    Pour ne citer qu’un exemple dans l’univers des relations internationales du dix-neuvième siècle, celles de l’Océan Pacifique, les premiers contacts entre la France et le Japon, un Japon fermé à tout échange international, ont été d’une rare violence.     

J’ai publié sur ce blog une chronique consacrée à l’incident de Sakhaï, entre la marine française et l’armée japonaise.

La paix civile:

    Aussi bien M.Panikkar que M.Adu Bohaen reconnaissent que la domination occidentale a eu pour résultat l’établissement d’une paix civile.

    Les historiens les moins partisans reconnaissent en effet,  et au moins, qu’une fois la conquête réalisée, et pendant toute la période qui a précédé les convulsions politiques nées de la deuxième guerre mondiale, le continent connut une période de paix civile.

La création de grandes infrastructures:

   Au crédit de la colonisation, attribué par les historiens cités, il est possible de mettre la création d’un réseau de communications diversifié (pistes, voies ferrées, lignes télégraphiques), quoiqu’inégal, et souvent réalisé grâce aux sacrifices imposés à la population indigène, qui n’existait pas auparavant, même si certains auteurs reprochent aussi à ces infrastructures d’avoir été, avant tout, conçues pour l’exploitation économique de l’empire.

   Il est toutefois difficile, sur ce plan, de comparer des territoires aussi différents que l’Inde, capable dès le début du vingtième siècle, de disposer d’un premier réseau de voies ferrées et maritimes, et l’Afrique occidentale où à la même époque, aucune voie de communication ne reliait les côtes du Sénégal ou du golfe de Guinée au bassin du Niger, pour ne pas citer Madagascar qui, à la fin du dix-neuvième siècle, transportait encore par porteurs, les fameux « bourjanes », voyageurs ou marchandises, entre la côte de Tamatave et la capitale Tananarive.

Des villes nouvelles:

      Tout autant, et peut-être plus que la création de voies de communication, la construction de villes nouvelles fut sans doute un des facteurs majeurs d’une révolution dans les mœurs d’Afrique, et le livre de l’Unesco  a raison de ne pas faire l’impasse sur ce facteur de changement et de développement difficile à évaluer, même si le même facteur mettait en place ou consacrait des pratiques de discrimination plus ou moins fortes et persistantes selon les territoires.

     Nous avons vu que M.Panikkar montrait toute l’importance de cette nouvelle urbanisation, qui a été, comme nous l’avons déjà souligné un des grands facteurs de l’ouverture de ces pays aux échanges, à l’acculturation d’une partie de plus en plus importante de la population qui a été un des facteurs majeurs du truchement colonial.

Une économie monétaire et  des investissements:

     C’est sans doute en Afrique que l’introduction d’une monnaie commune a été un des facteurs les plus puissants du changement, comme le reconnaissait M.Adu Boahen.

      En ce qui concerne les investissements, l’héritage a  été très inégal selon les territoires, pour des raisons d’atouts économiques existants ou non, selon les époques, et surtout selon les territoires.

      L’Inde avait au moins un siècle d’avance sur l’Afrique, et en Afrique même, la découverte de grandes richesses minières en Afrique méridionale et centrale par les Anglais et les Belges a attiré très tôt le grand capitalisme international.

     L’Afrique de l’Ouest n’est entrée dans cet âge du grand capitalisme qu’après la deuxième guerre mondiale, notamment en Mauritanie et en Guinée.

Un nouvel état de droit:

     Il est toujours difficile de porter une appréciation scientifique sur l’expression état de droit, car selon les religions ou les cultures, selon les pays et selon les époques, l’expression peut recevoir des sens très différents.

    L’historien Panikkar reconnait à l’Empire indien le legs d’un état de droit unifié :

« C’est le droit qui gardera sans doute de façon la plus durable l’empreinte occidentale », le « système juridique », « l’égalité de tous devant la loi » (p,430)

    Ce legs doit être compris comme celui d’un droit qui se superposait aux coutumes locales, comme c’était le cas aussi dans les colonies françaises, mais également avec une dimension discriminatoire, étant donné que les indigènes ne disposaient pas d’une égalité des droits avec les européens.

    En Inde, le nouveau système juridique cohabitait avec le régime des castes, mais dans certaines régions d’Afrique, il existait également un régime atténué des castes entre nobles et manants.

La création d’Etats:

     Les deux historiens mettent au crédit de la domination occidentale la création d’Etats modernes et de leur bureaucratie

      Ces nouveaux Etats ont été souvent créés, en tout cas en Afrique, au travers des frontières poreuses des communautés ethniques traditionnelles, mais la décolonisation n’a pas remis en cause le statu quo, sauf dans le cas de l’Inde.

    Le sous-continent indien érigé en Etat unique par les Anglais a vu son unité brisée à l’indépendance avec la constitution de trois Etats, à l’est et à l’ouest, les deux islamiques du Bangladesh et du Pakistan, et au centre du sous-continent, l’Union Indienne

En 2013, quel regard ?

     Comme nous l’avons vu, la revue Der Geschichte du journal Der Spiegel a proposé son regard sur le legs de l’Empire britannique en donnant la parole aux deux historiens que nous avons cités.

    Les legs reconnus seraient en définitive plutôt limités, la langue anglaise et l’existence du Commonwealth.

    Incontestablement, la langue anglaise jouit d’un rayonnement mondial qui n’est pas celui de la langue française, parce que très tôt elle s’est inscrite dans un langage des affaires au moins autant que de culture, sinon plus.

   En face d’un Commonwealth dont les bases furent fondées dès le début du vingtième siècle, avec le concours de dominions blancs puissants, après le feu de paille de l’Union, puis de la Communauté française, la Francophonie fait pâle figure, mais quid de son influence réelle dans les affaires du monde ?

    Récemment, la Gambie a décidé de quitter le Commonwealth en l’accusant d’être « une institution néocoloniale », faisant passer le nombre de ses membres à 53 Etats.

    Je serais tenté de dire que les effets de l’impérialisme anglais ou français se situeraient de nos jours beaucoup plus dans les métropoles que dans les anciens territoires colonisés, en raison des courants d’immigration relativement importants qu’ont fait naître ou favoriser les relations impériales anciennes, notamment la langue.

    Il n’est pas démontré que les populations d’origine immigrée connaissent mieux l’histoire de leur passé, pas plus d’ailleurs que la population en général, mais elles sont réceptives à une forme de nouvelle propagande coloniale qui tend à les convaincre qu’elles ont un droit irréfragable à réparation, et donc à assistance, d’où le surgissement ou l’entretien d’ambiances de revendications

    Dans le cas de la France, les séquelles de la guerre d’Algérie dans l’opinion publique contribuent à oblitérer presque complètement toute mémoire coloniale.

    Je soulignerai volontiers qu’en dépit de mes nombreuses demandes de sondages approfondis et sérieux sur l’existence ou non d’une mémoire coloniale, et si oui laquelle, aucune institution ou média n’ont eu le courage jusqu’à présent de se lancer dans l’aventure.

     Est-ce qu’il n’en serait pas de même du refus officiel des statistiques dites ethniques, c’est-à-dire du refus  de pouvoir mesurer les discriminations qui affecteraient tel ou tel groupe de citoyens français, par rapport au poids qu’ils représenteraient dans la population française ? Une position très largement inspirée par des groupes de pression de type ethnique ?

    Et pour conclure sur le sujet, et ne pas être accusé aussitôt de développer une argumentation de type colonialiste, pourquoi ne pas donner la parole à un historien, grand spécialiste indien de l’histoire « connectée », Sanjay Subrahmanyam, dans les termes de la présentation de son interview par le journal Le Monde des 8 et 9 septembre 2013, intitulée «  Une terre d’asile vraiment ? »

     A la question : « Estimez- vous que la France a toujours du mal à assumer son passé, surtout son passé colonial ?

–       Est-ce que la France a plus de difficultés à assumer son passé colonial que les autres puissances impériales ? Qui parle aux Etats Unis de ce qui s’est passé aux Philippines aux XIX° et XX° siècles ? Personne, pas plus que l’on  a assumé la guerre du Vietnam dans ce pays.

     La comparaison doit se faire aussi avec l’Angleterre : d’un côté, les Anglais ont mieux digéré leur passé colonial, mais de l’autre, les Français ont une attitude moins dure envers les populations issues de leur ex-empire colonial. Le niveau de racisme que j’ai ressenti en Angleterre envers les Indiens et les Pakistanais est bien supérieur à ce qu’on vit avec les Maghrébins en France. Dans bien des milieux en Angleterre, on n’a aucune idée de ce qui s’est passé dans les colonies, et on croit parfois qu’il s’agissait d’une belle aventure.

 La vraie question est de savoir comment on enseigne ce passé… »

     Toute la question est là, l’enseignement du passé.

     En France, ce passé colonial, hors celui de l’Algérie, mais surtout de la guerre d’Algérie, n’a jamais passionné les foules, d’autant moins qu’un certain discours idéologique qui tend à faire croire qu’il aurait existé en France une culture coloniale, ou même impériale, n’a pas encore apporté la preuve statistique, par tout autre moyen que de belles images coloniales brandies comme preuves, qu’un tel état d’esprit de l’opinion  aurait effectivement existé.

    Comment ne pas compter sur des études approfondies de la presse de la période coloniale, qui n’existent pas à ma connaissance, des études qui mesureraient la place faite par la presse de province ou de Paris aux questions coloniales?

      Pour l’instant, je maintiens donc le point de vue d’après lequel la France n’a jamais été un pays colonial.

     Historiquement, seule une petite élite politique, économique et religieuse, a su et pu entrainer le pays dans ce type d’aventure.

   Comment ne pas mettre en parallèle les conquêtes coloniales de la Troisième République avec les expéditions militaires de maintien de la paix de la Cinquième République qui ont encore la faveur des gouvernements français, pour des raisons de prestige, d’un rôle international qui leur serait dévolu ?

     François Hollande est à cet égard le digne successeur de Jules Ferry qui décida de partir à la conquête du Tonkin, comme hier, en décidant de son propre chef d’engager la France dans la nouvelle guerre du Mali, puis dans celle de la Centrafrique

     De même que Sarkozy, pour la Libye !

Jean Pierre Renaud – Droits réservés

Quatrième partie: Legs de l’Empire britannique en Asie, aux Indes avec M.Panikkar et de l’Empire français au Viêt-Nam avec M.Brocheux

Quatrième partie

Legs de l’Empire britannique en Asie

Le regard d’un historien indien : M.Panikkar

« L’Asie et la domination occidentale »

(Le Seuil 1953)

Le regard d’un historien français sur le legs français au Viêt-Nam, Pierre Brocheux

La troisième partie a été publiée le 3 mars 2014

1 – Le regard indien

                        Le livre de M.Panikkar date sans doute un peu, mais il a le mérite d’avoir été écrit par un historien indien, quelques années seulement après l’indépendance de l’Inde en 1947, c’est-à-dire dans une période encore profondément marquée à la fois par le colonialisme, les violences de cette indépendance, la guerre froide entre l’Est et l’Ouest, et enfin par la montée en puissance dans le Tiers Monde de l’esprit de Bandoeng.

           C’est dire que son analyse historique, son réquisitoire anticolonialiste, son regard sans complaisance, ont d’autant plus d’intérêt que le bilan qu’il fait de l’Empire anglais des Indes n’est pas complètement négatif pour la longue présence anglaise en Inde.

           La préface d’Albert Béguin qui ne passait pas, à la même époque, pour un intellectuel colonialiste est intéressante en ce qu’elle marque à la fois les points forts du réquisitoire Panikkar, de son « procès de la colonisation », mais tout autant ses fragilités, en relevant notamment « sa partialité d’historien passionné ».(p,24)

           La lecture de cet ouvrage en convaincra plus d’un, si besoin était, qu’il est difficile, sinon impossible de faire rentrer dans un travail de comparaison entre les deux empires anglais et français, tout autant l’Inde que les colonies de peuplement anglaises devenues des dominions.

       Le champ de comparaison le moins contestable concerne les différences d’approche institutionnelle et humaine entre les deux systèmes de domination coloniale, tant il existait un écart gigantesque, de toute nature, entre les deux empires. Dans l’Empire des Indes, les Anglais étaient dans un autre monde, et cet Empire des Indes cohabitait avec l’Empire britannique dans son ensemble, l’irriguant de ses richesses et dominant à son tour les terres les plus proches de l’Asie.

      Dans le livre « The tools of Empire », l’historien anglais Headrick a bien décrit les caractéristiques de cet empire britannique secondaire, un empire secondaire dont la France n’a jamais disposé, en tout cas à la même échelle.

       Le livre ne consacre que quelques lignes à quelques colonies « secondaires » de la domination occidentale en Asie  par rapport à l’Inde, c’est-à-dire la Birmanie, l’Indonésie, et l’Indochine, alors qu’il consacre beaucoup de pages à la Chine et au Japon.

Notre lecture critique portera successivement sur :

         –       la démarche historique de M.Panikkar

      –      la description qu’il fait des effets du choc colonialiste anglais en Asie et   aux      Indes.

1 – La démarche historique :

           L’historien décrit la constitution de ce nouvel empire et son fonctionnement, mais son propos sur l’écriture de l’histoire indienne, rendue possible, grâce au colonialisme, est tout à fait intéressant.

             Sa constitution

             L’historien rappelle le lointain passé de la domination anglaise aux Indes, la période de conquête qui se situa entre les années 1750 et 1858« L’âge de la conquête » avec le règne absolu de la Compagnie anglaise des Indes, et la captation du commerce asiatique aux dépens des  concurrents portugais ou hollandais, tout au long du siècle.

        L’auteur relève qu’après la défaite de Napoléon, en 1815, l’Angleterre fut « comme le colosse du monde », régnant sur l’industrie et le commerce maritime de la planète.

        1858 a marqué une date capitale, étant donné qu’à la suite de la violente révolte dite des Cipayes, le gouvernement anglais reprit la main des affaires indiennes, nationalisa la Compagnie, et nomma un Secrétaire d’Etat spécialisé.

        L’historien notait, qu’à cette époque, il existait déjà une puissante classe indienne de marchands dans l’Inde du nord. (p,100)

        Après « l’âge de la conquête »,  « l’âge de l’Empire » (1858-1914)

     « L’histoire de l’Inde au cours de cette période est dominée par la transformation graduelle de l’administration anglaise sous l’influence de facteurs économiques et géographiques. « Possession » et colonie au début, l’Inde anglaise se transforma par lentes étapes, en un « empire » qui continuait certes à dépendre de Londres, mais qui revendiquait hautement ses droits propres et qui forçait souvent le gouvernement de la métropole à suivre une politique qui n’était pas entièrement de son goût… » (p, 137)

          Le nouvel Empire des Indes, du fait de sa puissance humaine et économique,  – une Inde « vache à lait de l’Angleterre » – ,  de sa marine, de son armée, avait naturellement une influence sur la politique étrangère britannique, en Perse, en Chine, et en Afghanistan.

        L’historien décrit le fonctionnement de l’administration anglaise, son recrutement élitiste :

     « De cette administration pratiquement « toute blanche » dépendait une bureaucratie indigène, recrutée à l’échelle régionale et étroitement surveillée… Ainsi l’Anglais n’avait jamais de rapports directs avec la population elle-même » (p,139)

        Cette administration développait son autorité différemment sur tout le territoire du véritable continent qu’était l’Inde, car l’Inde des princes représentait les 2/5èmes du territoire, mais :

      « L’Inde anglaise et l’Inde des princes ne formaient plus ainsi qu’une seule réalité politique immensément puissante et contrôlée par Londres. » (p,140)

       « A partir de 1875, l’Inde devint un véritable Etat impérial, clé de tout le système politique de l’Asie du Sud. «  (p, 150)

          « L’Empire indien de l’époque était un Etat à l’échelle d’un continent » (p,154)

         Avec la naissance aussi d’une « Inde d’Outre-Mer » entrainée par« l’émigration massive des Indiens vers la Malaisie, l’île Maurice, et même vers les Fidjis… » (p,155)

        Une autre forme de colonisation dont le legs existe encore aujourd’hui dans ces terres d’émigration.

        Rappelons que Gandhi commença sa croisade pour l’indépendance de l’Inde au Natal, où il se trouvait.

       L’auteur notait que cette puissance avait toutefois une contrepartie :

    « L’’Inde de son côté, apprit qu’une politique impériale coûtait cher, car toutes les guerres de l’Orient étaient, jusqu’au dernier centime, financées par elle. » (p, 151)

          Son fonctionnement

        L’auteur décrit avec précision le type de relations coloniales, placées sous le timbre du prestige de la race anglaise, qui existait alors entre une petite minorité d’Anglais et la masse indienne des dizaines de millions d’habitants.

        « Le racisme anglais est une réalité aussi indiscutable et peut-être aussi importante que cette exploitation économique. » (p,142)… Ce racisme lucide et délibéré se retrouvait dans tous les domaines. » (p,143

        La haute administration anglaise, le Civil Service, de grande réputation, « une sorte de confrérie gouvernementale » dont les membres « Juchés sur leur piédestal »  y faisaient toute leur carrière, et mettaient en pratique « une étiquette compliquée ».

    « Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que les Européens de l’Inde soient restés totalement étrangers à la vie du pays. Un fossé infranchissable les sépara de la population jusqu’à leur départ. » (p,146)

      Les Anglais bâtirent une solide bureaucratie indienne, étant donné qu’ils ne pouvaient assurer leur domination qu’en s’appuyant sur cette participation indienne, la masse de ces nouveaux lettrés qui servirent de truchement à la domination anglaise, et qui nourrirent rapidement le recrutement des mouvements nationalistes indiens de la fin du siècle.

L’historien formule une remarque tout à fait intéressante sur le fonctionnement de la haute administration anglaise, le Civil Service gardant à l’égard des gens du business la même distance qu’avec les « petits » bureaucrates indiens.

      « Le Civil Service se refusait en effet à subir l’influence des intérêts commerciaux et industriels et son refus était hautement proclamé par toute la classe sociale qui formait son terrain de recrutement…

       ll n’y avait ainsi aucune alliance entre le Civil Service et le big business ; la bureaucratie britannique n’avait aucun intérêt dans l’exploitation de l’Inde. » (p,149)

      Cette remarque est à première vue paradoxale, mais n’illustre- t-elle pas, quasiment à la perfection, l’analyse que nous faisions dans la deuxième partie de notre exercice de comparaison entre les deux empires, quant à l’intervention de la fameuse main invisible, celle d’un libéralisme qui n’avait besoin que d’un bon cadre juridique de paix et de liberté pour pouvoir prospérer, à partir du moment, et ce fut le cas en Inde, où les initiatives des entrepreneurs trouvaient un terrain favorable à la création de richesses et à leur enrichissement.

      Il est évident que les « situations coloniales » sous l’angle de leurs atouts et de leurs communications favorables induisaient des solutions de domination coloniale tout à fait différentes : quoi de commun par exemple entre une Afrique de l’ouest encore coupée du monde et une Inde depuis longtemps connectée au même monde, à la fin du dix-neuvième siècle ?

     La première guerre mondiale de 1914-1918 a marqué une rupture  dans l’histoire des Indes, comme dans celle de toutes les colonies : plus rien ne fut comme avant.

     L’historien dénomme cette période « L’Europe en recul » et examine dans le chapitre premier « La guerre civile européenne et ses répercussions » », une guerre qui a donné à des milliers de soldats indiens à faire connaissance avec le monde occidental et ses « sahib ».

     L’historien cite à ce sujet les propos d’un ancien gouverneur général socialiste de l’Indochine, Varenne, dans un livre paru en 1926 :

      « Tout a changé depuis quelques années, les idées et les hommes… l’Asie elle-même s’est transformée… »

    Et il ajoute :

    « Varenne avait incontestablement raison. Le soldat indien qui avait combattu sur la Marne revenait chez lui avec de tout autres idées sur le sahib que celles inculquées par des années de propagande. Les travailleurs indochinois du Sud de la France rapportèrent en Annam des idées démocratiques et républicaines qu’ils auraient été bien en peine d’avoir auparavant. Il est curieux de noter que, parmi les Chinois qui vinrent également en France à la même époque, se trouvait un jeune homme du nom de Chou En- lai qui s’apprêtait à devenir communiste et qui fut, d’ailleurs expulsé pour l’activité manifestement subversive qu’il déployait dans les groupes  de travailleurs chinois. » (p,240)

      La deuxième guerre mondiale, avec l’effondrement des puissances  coloniales, le rayonnement de la nouvelle puissance américaine, la doctrine de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, puis la guerre froide, concurremment avec le développement des ressources du sous-continent indien et des mouvements nationalistes ne pouvaient que déboucher sur l’indépendance du pays, ce qui se produisit en 1947.

       « La création d’une nouvelle histoire », la démarche historique de M.Panikkar est d’autant plus intéressante qu’elle débouche sur la reconnaissance d’un des legs positifs de la domination coloniale, lié à la naissance d’un nationalisme indien,  l’éclosion d’une histoire de l’Inde :

         « Ce culte de la nation exigeait dans la plupart des cas la création d’une nouvelle histoire, puisqu’une nation ne peut exister sans une histoire qui donne un sens à son unité… ce sont les savants européens qui fournirent les premiers matériaux d’une histoire indienne… L’exemple de l’Indonésie est encore plus frappant…iI est indéniable en ce sens que les savants et penseurs européens, par des travaux tout désintéressés, permirent à l’Inde, à Ceylan et à l’Indonésie de penser en termes de continuité historique. » (p,431,432)  

       Point n’est besoin de faire remarquer que le constat fait par M. Panikkar pourrait valoir pour beaucoup d’autres territoires qui accédèrent à leur indépendance.

       En ce qui concerne l’Afrique, à la différence d’une Afrique morcelée, sorte de mosaïque humaine et politique, le même constat était difficile à faire, d’autant plus que le découpage colonial, au travers d’anciennes communautés ethniques ou religieuses, a généralement créé des « nations » souvent artificielles.

2 – Les effets du choc colonialiste :

       L’historien se livre à un examen discursif des relations nouées entre l’Orient et l’Occident au cours des siècles dont il est résulté un enrichissement mutuel de la pensée et de l’art, tout en notant que ces relations ont changé de nature avec la domination occidentale :

       «  C’est que la rencontre inégale de l’Europe et de l’Asie avait fait naître un racisme blanc. De nombreux observateurs ont remarqué qu’au XVIII° siècle, il n’y avait aucun préjugé de couleur parmi les Européens de Chine et de l’Inde ; on peut même dire qu’à cette époque les Chinois étaient encore respectés, et que les Indiens n’avaient pas encore à souffrir de l’orgueil et du racisme européens. La naissance du racisme a eu des causes multiples, mais la principale est sans aucun doute la domination politique que les Européens exercèrent au milieu du XIX° siècle et qu’ils  regardèrent bientôt comme leur droit le plus naturel. Le simple fait que ce racisme ait été assez peu marqué dans les pays restés indépendants, comme le Japon ou même le Siam, prouve à l’évidence son origine politique. » (p,420)

     L’auteur conclut que la domination occidentale sur l’Asie a complètement bouleversé l’histoire de ces pays, créé un véritable choc pour le meilleur et pour le pire, car le bilan que M.Panikkar effectue de la domination coloniale anglaise est en définitive assez nuancé.

     Au bilan, la création d’infrastructures, l’investissement de capitaux dans l’économie indienne, la formation de personnel, la naissance de mouvements humanitaires et libéraux qui sont venus contrecarrer l’exploitation capitaliste :

      « Ils pensaient que l’on pouvait se livrer sans danger à l’humanitarisme et propager parmi les peuples asiatiques les techniques qui libéreraient l’homme blanc d’une partie de son lourd fardeau » (p,427)…

        Les peuples asiatiques acquirent ainsi une expérience administrative et pénétrèrent le mécanisme du gouvernement moderne…. (p,427)

Un Etat moderne

        Au contraire des anciens Etats asiatiques :

     « Au contraire, le système que la Couronne institua dans l’Inde et que toutes les autres administrations coloniales furent bien obligées d’imiter, n’apportait pas seulement l’idée de l’Etat moderne, mais mettait en place tous les éléments nécessaires pour le réaliser. (p,428)

       « Bien que les Indiens, les Chinois et les Japonais aient aimé proclamer la supériorité de leurs propres cultures, ils ne pouvaient se dissimuler l’incomparable valeur du savoir occidental, non plus que l’immense force – sinon la stabilité – de l’organisation économique et sociale de l’Europe. » (p,435)

La prééminence d’un nouveau droit

       Dans la même conclusion générale de l’ouvrage, et en choisissant les legs colonialistes qu’il estimait les plus importants figure la mise en place du système juridique anglais britannique, c’est-à-dire un système national fondé sur le principe de l’égalité des citoyens devant la justice :

      « C’est le droit qui qui gardera sans doute de façon la plus durable l’empreinte occidentale … Il est donc à peu près certain que les nouvelles relations instituées par les systèmes juridiques de type occidental ne seront pas bouleversées avant longtemps. «  (,p,436)

         L’auteur estimait alors que :

      «  Il est donc à peu près certain que les nouvelles relations de type occidental ne seront pas bouleversées avant longtemps » (p,437)

       L’historien n’est pas du tout du même avis quant à la pérennité des structures politiques mises en place par l’empire, et sur l’avenir d’un régime démocratique qui s’est substitué à l’ancien despotisme oriental

Une nouvelle civilisation urbaine

           Une autre observation historique tout à fait intéressante à mes yeux, parce qu’il s’agit d’un facteur de changement, pour ne pas dire de modernité, trop souvent ignoré, ou minimisé, un facteur qui est au cœur du processus de la domination occidentale et de l’acculturation nouvelle des populations colonisées, c’est-à-dire le facteur urbain, la création ou le développement des villes.

        M.Panikkar relève tout d’abord qu’ :

      « Il existait une grande civilisation urbaine dans l’Inde, la Chine et le Japon avant l’arrivée des Européens ». (p,439)

      Il compare les processus d’urbanisation européenne des premiers âges de l’Europe à l’initiative de la  Rome antique à ceux que la domination occidentale a provoqués en Asie :

       « L’Asie fut le théâtre d’un processus identique, et la création des grandes villes restera sans doute le principal monument de l’Europe en Orient. 

       C’est la civilisation urbaine qui a créé les puissantes classes moyennes de l’Inde, de la Chine et des autres pays asiatiques ». (p,439)

        Ainsi qu’elle l’a fait à une moindre échelle et dans un calendrier différé en Afrique noire !

Enfin dernière innovation « impériale », la création d’Etats :

      « Une autre conséquence de la domination européenne a été aussi l’intégration de vastes territoires dans de grands Etats nationaux d’un genre nouveau jusque-là dans l’histoire asiatique… pour la première fois de son histoire, l’Inde formait un seul Etat qui vivait sous la même Constitution et les mêmes lois. » (p,440)

      Et pour terminer cette petite lecture critique de ce livre fort instructif, une notation qui en surprendra sans doute plus d’un, parmi ceux qui ont une certaine connaissance de l’histoire coloniale, quant aux effets et legs liés à « l’occidentalisation » ou non des territoires coloniaux :

       « Il faut cependant se rappeler qu’au cours de toute l’histoire des relations entre l’Europe et l’Asie, on ne tenta jamais d’imposer une idéologie aux peuples asiatiques. Si donc l’Asie a été marquée par l’Europe, c’est parce qu’elle lui a résisté, et parce qu’il était nécessaire, pour la combattre, de se pénétrer de ses techniques et de son savoir. Et c’est justement parce que l’Europe n’a pas tenté « d’occidentaliser » l’Asie que l’assimilation des techniques et des idéologies européennes est sans doute définitive, et portera ses fruits même dans plusieurs siècles. » (p,446)

        En lisant cette analyse incomplète et nécessairement imparfaite, le lecteur aura pu prendre la mesure de l’écart qui pouvait exister entre les deux empires, mais tout autant dans les appréciations, pour ne pas dire jugements, qu’il était possible de porter sur les legs laissés par le colonialisme en Afrique et en Asie.

        Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de publier un  extrait d’une encyclopédie d’Elisée Reclus qui eut son heure de succès, intitulée « Nouvelle géographie universelle – La terre et les hommes » tome VIII L’inde et l’Indochine 1883 Librairie Hachette », un texte que m’a communiqué mon vieil et fidèle ami Auchère :

           « L’Angleterre s’est donné pour mission, disent ses hommes d’Etat, de civiliser les Hindous et de les élever graduellement à la dignité d’hommes libres ; mais, en attendant que cette œuvre s’accomplisse, la riche Grande Bretagne vit aux dépens du pauvre Hindoustan : les cadets de l’aristocratie anglaise sont les parasites de leurs sujets les malheureux rayot. Sans parler des millions qui sont employés chaque année à subvenir dans les Indes mêmes aux dépenses des gouvernants anglais, à l’entretien de l’armée et de quelques vaisseaux, une somme variant de 360 à 450 millions de francs est envoyée chaque année en Angleterre comme part contributive aux charges du gouvernement britannique. De 1857 à 1882, neuf milliards de francs ont été ainsi prélevés sur la production des Indes au profit de ses conquérants. » (p,707, 708)

           Rien de comparable pour la France, même si les frais d’administration des colonies étaient à la charge des colonies elles-mêmes.

         Par ailleurs, cette somme de 9 milliards est à mettre en regard avec le budget de la République française qui était de l’ordre de 3 milliards de francs en 1883.

2 – Legs de la France au Viêt-Nam :

 Le regard de l’historien Pierre Brocheux

     Deux sources de documentation utilisées :

       –       un article paru dans la revue « Jaune et Or » de l’Ecole Polytechnique (1997), intitulé « Le legs français à l’Indochine »

       –       le livre « Histoire du Viêt- Nam contemporain « (2011)

        Il est évident que dès le départ, toute comparaison éventuelle doit tenir compte d’une différence gigantesque d’échelle géographique et humaine entre les deux territoires, à l’époque coloniale, entre une Indochine française dont la population comptait de l’ordre de l’ordre de 20 millions d’habitants par comparaison aux 400 millions d’habitants de l’Inde.

       Cette remarque préalable faite, trois différences capitales distinguent les deux colonies :

       Première différence : Les Indes anglaises ont constitué un empire à elles-seules, compte tenu de leur puissance et de leur richesse, un empire britannique « secondaire ». Certains auteurs ont d’ailleurs qualifié l’Inde de « poule aux œufs d’or » ou encore de « vache à lait ».

   Deuxième différence : avant l’intrusion française, et la colonisation, la presqu’ile d’Indochine constituait déjà un Etat relativement bien organisé, le royaume d’Annam, et disposait d’une administration royale ramifiée de lettrés.

L’Annam  continuait à verser un tribut annuel à l’Empereur de Chine, mais il s’agissait d’un lien assez symbolique.

     Troisième différence : A la différence des Indes, à l’arrivée des Français, le royaume d’Annam disposait déjà d’une histoire ancienne et commune à la Cochinchine, à l’Annam et au Tonkin, au cours de laquelle de grands personnages s’étaient illustrés au cours des siècles, dont les deux sœurs Trung et Triêu Thi Trinh, célébrées encore de nos jours, qui luttèrent pour l’indépendance de leur pays, contre la Chine au début du premier millénaire.

       Dans son article « Le legs français à l’Indochine », Pierre Brocheux introduit la réflexion en écrivant :

       « Les Français tendirent deux cordes à leur arc : celle de l’exploitation des ressources économiques et celle de la civilisation des hommes. »

Les ressources –

      L’historien décrit les résultats obtenus sur le plan économique, la  création d’un réseau ramifié de voies de communication par route (32 000 kilomètres macadamisées en 1943) et par rail (3 019 kilomètres en 1938), le développement des rizières, des plantations d’hévéa, des mines de charbon, et d’industries de transformation textiles ou alimentaires, sous la houlette de l’administration coloniale et de la Banque d’Indochine, très puissante, la seule banque coloniale à avoir été autorisée à battre monnaie.

      Dans son livre, Pierre Brocheux relève que la France a alors installé un système de production capitaliste, mais sans détruire le tissu artisanal dynamique qui existait alors.

          A noter par ailleurs, le rôle trop souvent passé sous silence de la communauté chinoise dans l’économie indochinoise, compte tenu de son poids, Pierre Brocheux utilise le terme de condominium franco-chinois :

      « En dépit des obstacles posés par le condominium économique franco-chinois, une classe d’entrepreneurs vietnamiens tenta de se faire une place au soleil. » (p,71)

La civilisation – 

       La deuxième corde de l’arc citée par l’historien, un effort important en matière de santé publique, avec la formation de personnel (367 médecins et 3 623 infirmières en 1939), la création d’hôpitaux (10 000 lits), et d’établissements, un institut Pasteur en 1891, une école de médecine en 1902, et enfin  des campagnes de vaccination massives.

      En parallèle, un effort non négligeable de scolarisation et la création d’une université, avec pour résultat la création d’une nouvelle élite de lettrés et de fonctionnaires.

     Seul problème, mais majeur le choc de civilisation que la France a imposé à une aussi vieille civilisation, sans que la France n’offre de véritable perspective politique à son élite !

Ce que relève à juste titre l’historien !

     « Quel bilan ?

     L’histoire de l’Indochine française fut celle d’une modernisation  à l’européenne imposée aux peuples indochinois, les Français ne surent ou ne voulurent pas prendre la mesure des changements qu’ils avaient eux-mêmes introduit ni en tirer des conséquences évolutives. Ainsi, faute d’avoir dirigé l’évolution ou de l’avoir devancée, ils furent entrainés et écrasés par elle » (p,5)

    Dans son livre, l’historien Brocheux utilise une expression plus forte, et à notre avis, pertinente, en choisissant pour titre de son chapitre 4 :

« De l’agression culturelle et de son bon usage. »

     Car il s’est bien agi d’une agression coloniale multiforme, comme le furent toutes celles, d’origine anglaise, américaine, russe, portugaise, italienne, ou allemande, qui jalonnèrent la fin du dix-neuvième siècle en Afrique ou en Asie.

     Il s’agit du vieux débat qu’avaient engagé les premiers gouverneurs sur la question de savoir s’il fallait instaurer en Indochine un véritable protectorat ou laisser l’administration coloniale imposer de plus en plus sa marque sur la colonie.

     Nous avons déjà évoqué cette question sur ce blog, notamment dans les chroniques intitulées «  Gallieni et Lyautey ces inconnus ! »

      Dans les années 1930, le gouverneur général Varenne, défendit à nouveau une évolution de notre gouvernance coloniale, mais sans succès.

      Dans l’« Epilogue » de son livre, Pierre Brocheux fait une lecture nuancée du legs colonial de la France :

     « L’histoire contemporaine du Viêt Nam illustre la résilience d’un fait national séculaire. Le moment colonial fut un intermède relativement court mais fécond en transformations de l’économie, de la société et de la culture. Dans ce dernier registre, les changements ont été déterminants parce qu’ils ont donné naissance à la modernité vietnamienne, une mutation largement inspirée par la civilisation occidentale mais qui n’a pas fait « sortir le Viêt Nam de l’Asie pour le faire entrer dans l’Occident ». Choisir préside à la transculturation et à l’enculturation : que prendre à la culture dominante pour faire évoluer sa propre culture ? Dans le registre matériel, il n’y a pas de dilemme technologique : sciences modernes, techniques industrielles s’imposent (c’est la « potion magique ») et leurs applications engendrent des transformations économiques pouvant être rapides. En revanche, dans la sphère spirituelle, particulièrement dans le registre philosophique et politique, le choix est plus délicat, plus problématique et les changements beaucoup plus lents.

        Qui peut mieux qu’un Vietnamien ayant participé au combat pour la libération nationale de son pays, évaluer l’effet déterminant de la domination française sur son pays :

       « Revenons vers le passé avec une vue large, objective, tolérante et passons en revue ce que la colonisation française a légué à notre peuple. Il nous faut avant tout reconnaître que les colonisateurs français avaient débarqué dans notre pays en pleine domination du régime féodal absolutiste. Il aurait fallu un authentique Meiji pour sortir notre pays des ténèbres millénaires des us et coutumes et croyances arriérées. Il nous suffit de comparer les cent ans du protectorat français avec les mille ans de domination chinoise pour mieux voir, pour comprendre plus à fond l’influence des deux civilisations comme les supports positifs pour notre peuple de ces deux régimes colonialistes. En cent ans, les apports des Français ne le cédèrent en rien à ceux des mille ans de domination chinoise. »

(Dâng Van Viêt -Mémoires d’un colonel Viêt Minh 1945-2005, p,217-218)

Pierre Brocheux Histoire du Vietnam contemporain, pages 251, 252

Post Scriptum

        Il y a quelques années, je me suis rendu au Vietnam en compagnie de mon épouse avec plusieurs objectifs : faire la connaissance d’un pays pour lequel j’avais toujours nourri à la fois de la curiosité et de l’attirance, confronter certains lieux de la conquête militaire et de la colonisation avec le résultat de mes recherches historiques, notamment sur la fameuse « retraite » de Langson en 1883, ou sur la révolte du Dé Tham dans le delta du Tonkin (1890-1908), et pourquoi ne pas le dire ?

        Répondre à la question : que reste-t-il de la colonisation française au Tonkin, à Hanoï, ou en Annam, à Hué, l’ancienne capitale impériale.

      De ce voyage sans doute trop rapide, ma conclusion était celle de la disparition quasi-complète de la colonisation française, mis à part, à Hanoï ou à Hué, quelques beaux bâtiments officiels de l’ancienne colonie, et surtout les célèbres villas coloniales, et naturellement le fameux pont Paul Doumer, datant du proconsulat de l’intéressé, toujours vivant !

     La citation qui a été faite plus haut propose évidemment une autre mesure du legs colonial que la France a pu laisser au Vietnam, dans un pays qui a été complètement dévasté par les deux guerres qui s’y sont succédé.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Empire colonial anglais et Empire colonial français: 2ème Partie

© 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.  

Empire colonial anglais et Empire colonial français (19 et 20ème siècles)

La première partie a été publiée le 21/01/2014

Deuxième Partie :

A Londres ou à Paris, des stratégies et des politiques impériales semblables ou différentes ?

A – Une esquisse de comparaison générale

            A lire un petit livre publié en 1945, paré de belles illustrations en couleur, d’un auteur peu connu, Noel Sabine, intitulé » « L’Empire colonial britannique», mais sans prétention historique, et à confronter sa description rapide à celle qu’un historien confirmé, Kwasi Kwarteng, dans le livre « Ghosts of Empire», livre qui a fait l’objet d’une lecture critique sur ce blog, et sur le contenu duquel nous nous appuierons pour étayer certaines de nos réflexions, l’analyste pourrait facilement conclure que la constitution de l’Empire britannique fut le fruit d’un pur hasard, servie par une poignée d’hommes distribués sur la planète, et concourant chacun, de leur côté,  à l’édification d’un empire, presque sans le savoir.

             Un « hasard » qui se serait tout de même étendu sur plus d’un siècle ?

            La création de cet empire planétaire et puissant pourrait effectivement servir à illustrer une des théories de stratégie asiatique, connue sous le nom du taoïsme, avec le cours des choses.

Le cours des choses

         Toute stratégie doit donc pouvoir discerner le vrai cours des choses et s’y adapter pour contrôler si possible la marche des événements.

         Personnellement, je pense que ce type d’analyse stratégique rend assez bien compte de la marche passée du monde et des séquences de dominations historiques qui l’ont marqué, soit parce qu’une doctrine religieuse s’imposait, ou une civilisation supérieure, ou encore, une puissance militaire dotée d’armes nouvelles ou disposant de chefs de guerre exceptionnels.

        Dans le cas présent, ma faveur va à l’explication analysée par l’historien Headrick dans son livre « The tools of Empire », car c’est l’explosion des technologies nouvelles, quinine, vapeur, câble, télégraphe, armes à tir rapide…qui a donné aux puissances européennes les outils, c’est-à-dire les armes de la puissance coloniale, d’une puissance coloniale qui n’a pas exercé très longtemps son pouvoir, ce qu’on feint d’ignorer, dans le cas général, entre soixante et quatre- vingt années.

        Une sorte de cours des choses technologique que le génie britannique, la disposition anglaise pour « the money », le business, toujours le business, a su canaliser, tirer profit, inscrire dans un code de nouvelle puissance coloniale.

        En comparaison, la création de l’Empire français serait la reproduction imparfaite d’un modèle politique et administratif de type centralisé, d’une philosophie abstraite de rêve égalitaire, d’un cours des choses standardisé.

          Nous verrons donc que l’Empire britannique n’est pas uniquement le fruit du hasard, même si un auteur comme Noel Sabine en dresse ce portrait.

       «  C’est l’aboutissement, non pas de projets longuement mûris, mais d’une évolution progressive et presque fortuite. » (p,7)

        En ce qui concerne les habitants du Royaume Uni : « Il est curieux qu’à aucune époque on ne constate chez eux une impulsion dynamique gagnant les couches profondes de la nation et les poussent à fonder un empire » (p,7)

      « De même que la création de l’empire britannique –  si toutefois il est permis d’appeler création un processus qui s’est accompli au petit bonheur – est l’œuvre d’hommes relativement peu nombreux, de même les problèmes qui en découlent n’ont jamais intéressé qu’un petit nombre de personnes, laissant indifférente la masse de la population des Iles Britanniques. » (p,8)

      L’auteur décrit bien la philosophie de cet impérialisme fondé sur deux principes directeurs, en oubliant peut-être le troisième, le principe capital sans doute, le « business », les affaires, c’est-à-dire «money », sur lequel nous reviendrons plus loin :

     1) laisser à celui qui est sur place toute latitude pour mettre en œuvre la politique dont les grandes lignes lui ont été simplement indiquées,

    2) éviter de substituer des institutions nouvelles aux anciennes, mais plutôt adapter celles qui existent  aux besoins modernes.

     Le même auteur relève qu’il est « difficile de distinguer un fil conducteur suivant et définissant nettement ce qui constitue la politique coloniale … Il est peut-être trompeur de parler de « politique coloniale », comme s’il était possible de suivre une seule et même ligne de conduite à l’égard de populations, de conditions et de problèmes aussi variés que ceux de l’empire colonial britannique ; par politique coloniale, j’entends plutôt des principes et une certaine manière de voir qui ont progressivement évolué, et au moyen desquels le Gouvernement britannique s’attaque aujourd’hui à l’étude des problèmes coloniaux. »(p,28,29)»

       A la différence de Paris, Londres n’a jamais cherché à tout réglementer, mais le gouvernement britannique eut très tôt à sa disposition un instrument gouvernemental capable de suivre les affaires coloniales, celles tout d’abord des plantations, puis de l’empire lui-même, avec la création du Colonial Office, en 1835.

     La France ne disposa d’un instrument politique du même genre, le ministère des Colonies, qu’en 1894, une administration qui eut d’ailleurs beaucoup de mal à exister politiquement, à avoir du poids au sein des gouvernements.

Jusque-là, et en ce qui concerne l’Afrique et l’Asie, le domaine colonial fut l’affaire de la Marine et des amiraux.

       Tout au long de la première moitié du dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne mit en œuvre une politique impériale fondée tout d’abord sur la lutte contre le trafic d’esclaves et en faveur du free trade, et elle s’appuyait au fur et à mesure du temps, sur de nouvelles conquêtes territoriales, en ne perdant jamais de vue le distinguo fondamental entre les colonies de peuplement blanc, devenues les dominions, et les autres colonies.

       En ce qui concerne ces dernières, Londres faisait toujours valoir deux préoccupations, d’abord le business, avec le moins d’implication politique locale.

         Quelques-unes des citations que nous avons reprises dans la lecture critique du livre de M.Kwasi Kwarteng       « The Ghosts » méritent d’être rappelées, car elles fixent clairement les objectifs de l’impérialisme anglais.

Sir Charles Napier, qui fut peu de temps Gouverneur Général des Indes, déclarait dans les années 1872 :

« in conquering India, the object of all cruelties was money » (The Ghosts, page 96)

       M.Kwasi Karteng notait à ce sujet:

« This was cynical, but then was a large element of the truth in the claim. »

      Le même historien notait par ailleurs, en ce qui concerne l’Afrique :

      “The colonial mission in Africa according to the Prime Minister, was about of money and commerce

      Lord Salisbury, Premier Ministre déclarait en effet, en 1897:

« The objects we have in our view are strictly business object » (The Ghosts, page 278)

    Dans le livre « Ghosts of Empire », l’auteur, Kwasi Kwarteng, défend ce type d’interprétation, comme nous l’avons noté dans l’analyse de lecture que nous avons publiée sur ce blog.

     Sa démonstration est notamment fondée sur les portraits très fouillés qu’il a proposés pour un certain nombre de grands acteurs de l’Empire britannique, des acteurs recrutés dans la même classe sociale et fiers de leur modèle de société, qu’ils estimaient supérieur à tous les autres.

    « The individual temper, character and interests of the people in charge determined policy almost entirely throughout the British Empire. There simply no master plan. There were different moods, different styles of government. Individuals had different interest; even when powerful characters, sitting in White Hall, were trying to shape events of empire. More often than not, there was very little central direction from London. The nature of parliamentary government ensured that ministries came and went; policies shifted and changed, often thanks to the verdict of the ballot box, or even because of a minor Cabinet reshuffle.” (Ghosts of Empire, p,160)

      En examinant sur la longue durée historique, les différents éléments de la politique impériale anglaise en action et en résultats, nous constatons qu’il en existait tout de même bien une, dont les traits étaient très différents de ceux de la française, pour autant qu’il y en ait eu une.

     Pour emprunter une expression d’Adam Smith, le grand théoricien du libéralisme, il serait tentant de dire que l’empire britannique a été le fruit d’une «  main invisible »,  celle de l’économiste Adam Smith, celle de la liberté des échanges, mais au service d’une puissance économique et militaire, et d’une marine qui n’avaient pas d’équivalent au monde tout au long du dix-neuvième siècle, et donc du business, son objectif premier.

      Dans un tel contexte, et avec cet état d’esprit, « nous sommes les meilleurs », nul besoin de trop définir une politique coloniale, de vouloir promouvoir tel ou tel modèle d’administration coloniale, et la grande réussite de l’empire anglais fut de le construire à la fois systématiquement et au coup par coup.

      Même au cours de la période de  l’impérialisme anglais la plus tonitruante, à la fin du dix-neuvième siècle, alors que l’opinion publique semblait partager les ambitions coloniales de ses dirigeants, en rivalisant avec les autres puissances européennes pour se partager l’Afrique, Londres ne perdait pas le nord, ou plus exactement le sud, avec la poursuite de ses objectifs stratégiques de long terme, différents selon qu’il s’agissait de colonies de peuplement ou de colonies d’exploitation, ce que nous avons déjà souligné, et le contrôle de ses voies de communication sur toute la chaine stratégique de Londres vers l’Asie, par Gibraltar, Malte, Suez, Le Cap, Ceylan, Singapour et Hong Kong.

      La conquête des territoires d’Afrique tropicale qui n’étaient pas destinés à un peuplement d’immigration a conduit la Grande Bretagne à formaliser sa politique, notamment avec la doctrine de l’indirect rule que Lugard mit en œuvre au Nigéria, mais cette doctrine n’était pas nouvelle, car elle avait déjà été largement mise en œuvre dans l’Empire des Indes.

      Elle connut un certain succès vraisemblablement grâce à l’écho médiatique que l’épouse de Lugard, une femme de presse renommée, lui donna.

      Que l’on parle de « dual mandate » ou d’« indirect rule », la conception était la même, sauf à comprendre qu’il y avait deux niveaux de commandement superposé, l’indigène, et l’anglais, ce dernier étant voué à l’accession du territoire administré à la modernité, aux échanges du commerce au moins autant qu’à la « civilisation ».

      Une fois les deux empires coloniaux constitués, les deux métropoles pilotèrent deux systèmes de gestion très différents, mais elles avaient fixé la même ligne rouge à ne pas franchir, c’est-à-dire le principe du « financial self-suffering », pour les Anglais, et la loi du 3 avril 1900, pour les Français, c’est-à-dire l’autosuffisance financière imposée aux nouveaux territoires sous domination.

      Compte tenu de l’inégalité importante qui existait entre les ressources des territoires qui composaient les deux empires, et sur le fondement de ce principe, la France rencontra beaucoup plus de difficultés pour développer ses  colonies que la Grande Bretagne.

     L’empire anglais était constitué d’un ensemble de solutions disparates allant de la colonie administrée, c’est-à-dire l’exception, au territoire impérial que la métropole laissait gérer par les autorités locales, l’Inde représentant la quintessence de la mosaïque des solutions coloniales anglaises.

     L’historien Grimal le décrivait de la sorte :

    « La doctrine du gouvernement en cette matière, c’était de ne pas en avoir et de procéder empiriquement selon les lieux et les circonstances : de là l’extrême variété des systèmes administratifs utilisés et les dénominations multiples des territoires placés sous l’autorité britannique. Cette disparité apparente comportait néanmoins quelques principes communs : chaque territoire constituait une entité, ayant sa personnalité propre et un gouvernement responsable de ses affaires et de son budget : l’autorité appartenait à un gouverneur, assisté de Conseils consultatifs, formés essentiellement de fonctionnaires. «  (page 212)

       A l’inverse, l’Empire français était organisé sur le même modèle administratif  de la tradition centralisée de l’Etat napoléonien, l’élément d’organisation de base étant la colonie, avec un gouverneur, ou le groupement de colonies (AOF, AEF, Indochine), avec un gouverneur général exerçant tous les pouvoirs.

      La forme institutionnelle du pouvoir que la France donna à l’Indochine et à Madagascar est tout à fait symbolique de la conception qui présidait alors à l’organisation du pouvoir colonial.

     En Indochine, la puissance coloniale avait la possibilité de mettre en pratique une sorte d’indirect rule à l’anglaise, mais très rapidement, les résidents et gouverneurs se substituèrent aux représentants de l’Empereur d’Annam, alors que leur administration mandarinale était déjà très développée.

     A Madagascar, Gallieni eut tôt fait de mettre au pas la monarchie hova et de décréter l’instauration d’un régime colonial de marque républicaine.

      Il existait alors au moins un point commun entre les Anglais et les Français : les acteurs de terrain bénéficiaient d’une très large délégation de pouvoirs, dans un cadre républicain apparent beaucoup plus que réel pour les Français, et dans un cadre d’esprit monarchique et libéral pour les Anglais.

     Modèle soi-disant égalitaire de l’administration coloniale française contre modèle des classes aristocratiques supérieures, celui qu’incarnaient les administrateurs coloniaux britanniques, mais comme le remarquait M.M’Bokolo dans son livre « L’Afrique au XXème siècle », sur le terrain concret les différences entre les deux styles d’administration coloniale étaient beaucoup moins marquées :

    « Ainsi sont devenues classiques les distinctions entre l’assimilation et l’administration directe sous la version française ou portugaise et l’administration indirecte (indirect rule) chère aux Britanniques. En fait, compte tenu de l’immensité et de la diversité des empires coloniaux, les puissances de tutelle se trouvèrent en face de situations identiques et adoptèrent des solutions pratiques très proches : démantèlement des monarchies et des grandes chefferies, sauf là où, comme au Maroc, en Tunisie, au Bouganda, en Ashanti (Gold Coast), à Zanzibar, etc…, des accords de protectorat avaient été conclus, maintien, voire création, de petites chefferies, utiles courroies de transmission dans des territoires où le personnel européen était souvent peu nombreux ; ségrégation de fait entre les communautés indigènes et les Européens. Partout, prédominaient des méthodes autoritaires, teintées ici et là de paternalisme. En dehors des lointains ministères, souvent peu au courant des réalités locales, et de la bureaucratie centrale des gouvernements généraux, le pouvoir sur le terrain appartenait à l’administrateur européen, véritable « roi de la brousse », ayant son mot à dire sur tout et un pouvoir de décision dans les questions administratives, mais aussi en matière de justice, de police, et sur des problèmes plus techniques, touchant par exemple à la voirie, l’instruction et à la santé…) (page 42) »

      La différence capitale se situait dans la conception même du rôle de la puissance coloniale, l’anglaise n’ayant jamais envisagé une évolution politique et citoyenne au sein du Royaume Uni, la française promettant, complètement coupée des réalités coloniales, de conduire les indigènes à une égalité des droits au sein des institutions françaises.

B – Les différences impériales les plus marquantes

     L’analyse qui précède montre déjà, qu’au-delà de la dichotomie qui existait dans l’empire britannique entre les colonies de peuplement et les colonies d’exploitation, les deux empires ne partageaient pas les mêmes caractéristiques, historiques, géographiques, ou économiques.

     La Grande Bretagne s’était taillé la part du lion dans les possessions dont les atouts économiques étaient les plus grands, et déjà notoires, avec la place capitale de l’Inde dans le dispositif colonial, et le contrôle stratégique des voies de communication vers l’Asie qu’elle s’était assuré.

     Ces deux seuls éléments constitutifs de l’Empire britannique, l’Empire des Indes et la voie impériale vers l’Asie, suffiraient à eux seuls à exclure toute comparaison pertinente entre les deux Empires.

Les éléments les moins dissemblables des deux empires étaient situés en Afrique tropicale, mais comme le soulignait l’historien Grimal, en dépit de la réserve que la puissance gouvernementale anglaise s’était fixé :

     « Celle-ci fut progressivement contrainte à dépasser la limite qu’elle s’était fixée : le refus de toute implication politique » (page 128)

    Une certaine confusion existait dans les buts poursuivis par les deux puissances, mais il a toujours été clair que la politique anglaise poursuivait inlassablement son ambition du tout pour le business, alors que dans les motivations françaises, les préoccupations de conquête des marchés avaient beaucoup de mal à s’imposer face à celles de la puissance, ou du rayonnement supposé de sa civilisation qu’elle estimait être la meilleure, pour ne pas dire supérieure.

     Je dirais volontiers que la France avait l’ambition de projeter son modèle de civilisation supposée sur le terrain, ses « valeurs » qu’elle estimait universelles, tirées de la Déclaration des Droits de l’Homme, alors que la Grande Bretagne, sûre qu’elle incarnait un modèle de civilisation supérieure, ne faisait qu’escompter qu’on l’imiterait, le transposerait.

     D’une autre façon, la distinction entre les deux types d’institutions coloniales  recouvrait celle plus banale entre l’esprit « juridique » français, et l’esprit « pragmatique » anglais.

     Les deux puissances avaient pris au moins la même précaution, celle de ne pas prendre en compte sur les budgets des métropoles le financement du développement de leurs colonies, principe du « financial self suffering » chez les Anglais et loi du 3 avril 1900, chez les Français.

     La profusion des taches de couleur coloniale anglaise ou française sur la planisphère pouvait faire illusion, mais elles ne couvraient pas le même type de « marchandise » coloniale.

     L’empire anglais était un véritable patchwork institutionnel, un ensemble inextricable de solutions adaptées à chaque « situation coloniale », une architecture du cas par cas, une gestion directe à titre exceptionnel telle qu’en Birmanie ou à Hong Kong, mais le plus souvent une gestion indirecte laissant exercer le pouvoir par autant de sortes d’’institutions de pouvoir local qui pouvaient exister dans l’empire.

     Dans l’Empire des Indes, la puissance coloniale s’était réservée la charge de l’ordre public et des relations internationales, mais laissait tel rajah ou tel maradjah gouverner son royaume à sa guise, sauf quand il mettait en danger la paix britannique.

       Londres y pratiquait ce que l’historien appelait « le despotisme bienveillant de l’Inde » (p,220)

Donc rien à voir avec le modèle des institutions coloniales françaises où, comme au temps de Napoléon, les gouverneurs devaient marcher du même pas et mettre en œuvre le même modèle applicable à toutes les « situations coloniales », quelles qu’elles soient, alors qu’elles étaient évidemment très différentes.

Patchwork des institutions coloniales anglaises, certainement, mais dans  la deuxième « main invisible » anglaise, celle des hommes qui administraient les colonies, et le livre de M.Kwasi Karteng en confirme le rôle et l’importance.

      Une main invisible qui mettait en musique celle du fondateur de l’école libérale, Adam Smith.

     Résidents ou administrateurs, tous issus de la même classe sociale, c’est à dire sur le même moule, ils incarnaient le respect de la monarchie, et par-dessus tout, ils estimaient qu’en toute circonstance :

    1) ils étaient les meilleurs,

    2) et que leur modèle économique et social était également le meilleur.

C- Ressemblances et dissemblances coloniales ?

         Dans le livre que j’ai consacré à l’analyse de ce que l’on appelait « le fait accompli colonial » à l’occasion des grandes conquêtes coloniales de la France, en Afrique, au Tonkin et à Madagascar (« Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », et dans l’introduction, figurait à la page 12 la reproduction d’une page de caricatures en couleur de la revue satirique allemande Simplicissimus de l’année 1904 :

      en haut « Comme ça, la colonisation allemande » avec un alignement de girafes sous la menace d’un crocodile tenu en laisse par un soldat allemand,

     au milieu « Comme ça, la colonisation anglaise », un soldat anglais qui passe un noir sous le rouleau d’une machine d’imprimerie pour fabriquer de l’argent,

      et en bas deux caricatures : à gauche, « Comme ça, la française » avec un soldat qui tire le nez à un noir, et en arrière- plan, un soldat  blanc et une noire qui se frottent le nez – à droite « Comme ça, la colonisation belge » avec un soldat belge qui fait rôtir un noir à la broche pour son diner.

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  Une contribution allemande à l’écriture de l’histoire coloniale: Simplicissimus 1904 ( © 2014 J-P. RENAUD. Tous droits réservés.)

      Ces clichés très caricaturaux ont toutefois le mérite de situer l’état d’esprit général des colonisateurs de l’époque de la conquête, mais il est nécessaire naturellement d’approfondir la comparaison franco-britannique.

     S’il était possible de résumer l’analyse qui précède, les traits les plus caractéristiques pourraient en être les suivants :

–       Une histoire coloniale anglaise beaucoup mieux enracinée en métropole et outre-mer que l’histoire coloniale française.

–       Un empire anglais qui fut le fruit d’un plus grand nombre d’opérations de conquête militaire que l’empire français, et beaucoup plus puissantes aussi.

–       Un patchwork institutionnel chez les Anglais, créé au coup par coup, face au système uniforme des Français.

–       Une politique de gestion indirecte dans l’empire britannique au lieu d’une gestion politique en prise directe dans l’empire français, mais avec beaucoup de nuances sur le terrain, compte tenu du rapport existant entre les superficies coloniales et l’effectif des administrateurs coloniaux.

–       Un empire français manquant de solidité face à un empire britannique puissant au sein duquel prédominaient les Indes et la voie impériale vers l’Asie.

–       Un empire anglais à double face, avec d’un côté les colonies de peuplement blanc dans les pays à climat tempéré, et de l’autre côté, les colonies de peuplement de couleur dans les pays à climat tropical,  alors que l’empire français, mis à part le cas de l’Algérie, était uniformément un empire de couleur et de climat tropical.

–       Une décolonisation anglaise au moins aussi difficile que la française, et beaucoup plus violente dans les anciennes colonies de peuplement, telles que l’Afrique du Sud, le Kenya, ou la Rhodésie. La seule comparaison, mais plus limitée géographiquement, étant celle de l’Algérie.

–       La relative réussite d’une communauté internationale née de l’empire anglais, le Commonwealth, sans comparaison avec ce que fut la tentative d’Union ou de Communauté française, mais qui bénéficia dès le départ d’un atout clé, celui de la communauté de langues et de mœurs des anciennes colonies de peuplement blanc.

Il nous faut à présent tenter de procéder à une comparaison des types de relations humaines, et c’est naturellement une gageure, qui pouvaient exister entre les anglais ou les français et les indigènes dans les deux empires, et des philosophies politiques qui inspiraient ou non l’évolution de leurs politiques coloniales.

D – Racisme, discrimination,  ségrégation, citoyenneté, démocratie ?

       Dans ce domaine des mots et de leurs sens, il n’est pas inutile de rappeler que les mots « racisme » ou « raciste » ont fait l’objet de définitions différentes et relatives au fur et à mesure du temps.

        En 1932, année on ne peut plus coloniale aux dires de certains chercheurs, voir «  la grande Exposition Coloniale de 1931 », Le Larousse en six volumes ne proposait pas de définition du mot racisme et renvoyait à ce sujet au mot raciste dans les termes ci-après :

      « Raciste, nom donné aux nationaux socialistes allemands qui prétendent représenter  la pure race allemande, en excluant les juifs, etc… »

       De nos jours, le Petit Robert (édition 1973) est plus prolixe :

      Racisme : « Théorie de la hiérarchie des races qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres »

     Raciste : « Personne qui soutient le racisme, dont la conduite est imprégnée de racisme. »

     Incontestablement, la colonisation a longtemps exprimé une forme de racisme, mais pas toujours dans le sens moderne que l’on donne au mot, mais qui trouvait en partie son origine, et à cette époque, dans une théorie soi-disant scientifique qui classait les supposées cinq races du monde en classes supérieures et en classes inférieures.

    Les propos de Jules Ferry, Président du Conseil, distinguant les races supérieures et les races inférieures auxquelles il convenait d’apporter la civilisation, propos dénoncés par Clemenceau, citant entre autres les civilisations d’Asie, témoignent bien de l’état d’esprit qui imprégnait alors une partie de l’élite politique française, mais il serait possible de rappeler, en ce qui concerne Clemenceau, que les Chinois qualifiaient de leurs côtés les nez longs de « barbares », et que dans beaucoup de régions du globe le même type de discrimination raciale existait aussi.

       « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ?

      Et pourquoi ne pas mettre l’héritage du Siècle des Lumières dans l’acte d’accusation ?

     Il s’agit donc d’un sujet qu’il nous faut aborder avec beaucoup de précautions afin de tenter de situer les différences d’appréciation et de comportement entre Anglais et Français

     Rappelons tout d’abord qu’à l’occasion des premiers contacts, les premiers échanges entre peuples différents faisaient apparaître un tel écart entre modes de vie, coutumes, et croyances,  entre les sociétés ayant déjà accédé à la modernité, celles du colonisateur, et celles l’ignorant complètement, qu’il était sans doute difficile pour un blanc de ne pas se considérer comme un être supérieur, ou tout au moins comme membre d’une société supérieure.

      Précaution et prudence parce que souvent cette appréciation de la relation avec l’autre, une relation de type non « raciste » dépendait tout autant de l’explorateur, officier, ou administrateur blanc, qu’il s’agisse de Duveyrier chez les Touareg, ou de Philastre en Indochine, pour ne pas revenir sur les propos de Clemenceau à la Chambre des Députés, en réfutation de ceux de Jules Ferry.

      Il convient toutefois de noter que dans l’histoire des sociétés du monde et de la même époque, entrées ou non dans la modernité, ou en voie d’y entrer, colonisées ou non, il n’était pas rare de voir des peuples se considérer aussi comme disposant d’un statut social supérieur, en Europe, avec les Romains ou les Germains, en Asie, ou en Afrique, sur les rives du Gange, du Zambèze, du Niger, ou de la Betsiboka.

     Toujours est-il que les coloniaux anglais ont toujours considéré qu’ils faisaient partie d’une « race » supérieure et qu’ils se gardèrent bien de faire miroiter aux yeux de leurs administrés la perspective d’une égalité politique, comme l’ont fait les coloniaux français.

      Chez les Britanniques, ce comportement des résidents coloniaux était d’autant plus naturel qu’ils étaient issus de l’aristocratie anglaise.

        L’historien indien K.M.Panikkar le relevait dans son livre « Asia and Western Dominance » :

      «  La supériorité raciale fut un dogme officiel de la colonisation anglaise jusqu’à la première guerre mondiale » (page 143)

          Le même historien retrouvait ce racisme chez les Français en Indochine qui, selon ses mots, auraient imité les Britanniques et caractérisait l’attitude anglaise en citant une phrase de Kitchener :

        «  Ce racisme lucide et délibéré se retrouvait dans tous les domaines. ».

      Si le racisme a existé dans les colonies françaises, et il a effectivement existé, les deux qualificatifs de « lucide » et de « délibéré », seraient inappropriés.

      La devise anglaise aurait pu être, chacun chez soi, et la paix civile sera toujours assurée grâce à la bonne intelligence des autorités indigènes locales, alors que la devise française était celle d’une égalité annoncée, mais fictive jusqu’au milieu du vingtième siècle.

       Dans l’empire anglais, existait le système du «  colour bar » poussé à l’extrême en Afrique du Sud ou en Rhodésie, les clubs réservés aux anglais, un habitat colonial anglais soigneusement étudié pour que chacune des communautés soit chez elle.

      Dans les quatre composantes coloniales de l’Afrique du Sud, le système du « Colour Bar », c’est-à-dire la discrimination des noirs et la séparation stricte entre blancs et noirs, avait été généralisé en 1926, dans une Afrique du Sud à laquelle le Royaume Uni avait accordé un statut de dominion depuis 1910 !

        Lors de son passage à Johannesburg, en 1931, le géographe Weulersse relevait que dans les mines d’or il y avait 21 000 ouvriers blancs en regard de 200 000 Noirs et qu’

       « Une telle masse de main d’œuvre à vil prix était une menace constante pour les travailleurs blancs…. On inventa la « Barrière de couleur », la « Colour bar »… en dessous du prolétariat blanc, on créa une sorte de sous-prolétariat pour ne pas utiliser un terme plus violent. Et pour le Colour Bar Act voté en 1926, cet ingénieux système est devenu la loi fédérale de l’Union, applicable dans tous les Etats, et dans toutes les industries, fermant à l’ouvrier indigène toute possibilité de progrès mais offrant à la discrétion de l’employeur une admirable et docile masse de « cheap labour ».

        Dans un registre beaucoup moins sévère, et à l’occasion d’un retour d’Asie, et séjournant en Inde, Albert Londres racontait qu’il se faisait accompagner par son assistant indien dans les lieux publics anglais qu’il fréquentait, et qu’il transgressait de la sorte les codes de vie sociale anglaise de la colonie.

       Le cas de Hong Kong pourrait être cité comme le modèle de ce type de ségrégation, étant donné que jusqu’à la fin du vingtième siècle et à son rattachement à la Chine, anglais et chinois, quelle que soit leur classe sociale, cohabitaient mais ne se mélangeaient pas, même dans les clubs les plus huppés de la colonie.

      Rien de semblable dans les colonies françaises, mais une ségrégation plus nuancée, qui ne disait pas son nom, à la fois pour des raisons concrètes de genre et de niveau de vie, et de gestion politique du système.

     Le Code de l’Indigénat en vigueur pendant des durées variables selon les colonies instituait bien une forme de ségrégation raciale que n’est jamais venu atténuer un accès large à la citoyenneté française.

    Toutes les analyses montrent que la citoyenneté française n’a été accordée qu’au compte-goutte, mais l’empire britannique ne vit aucune de ses communautés bénéficier de l’égalité citoyenne, comme ce fut le cas des quatre communes de plein exercice du Sénégal, et aucun territoire anglais des Caraïbes ne bénéficia, comme les Antilles françaises, d’une amorce de représentation politique au Parlement français.

    Si par indigénat on entend le pouvoir qu’avaient les administrateurs d’infliger une peine de prison pouvant atteindre quinze jours et une amende pour des infractions diverses, c’était selon Adu Boahen, un système propre à la colonisation française. (Histoire générale de l’Afrique VII Unesco, page 244)

     Mais si comme c’est le plus souvent le cas, on faisait appel au mot « indigénat » pour décrire le fait que les colonisés n’avaient pas le même traitement judiciaire que les colonisateurs, il s’agissait d’une pratique générale, anglaise ou française.

     Simplement, les Français mettaient plus la main à la pâte que les Anglais, qui s’abritaient derrière les autorités indigènes qu’ils contrôlaient.

     Le Code de l’Indigénat avait le mérite de la simplicité, outre le fait que pendant toute la période de pacification, sa rigueur apparente ou réelle n’était pas très éloignée des mœurs de beaucoup de peuples de l’hinterland qui n’avaient subi encore aucune acculturation européenne

     Avec quelques touches historiques qui ne sont bien sûr pas obligatoirement représentatives, les relations humaines entre dominants et dominés n’étaient pas les mêmes.

      A Madagascar, le 31 décembre 1900, à Fianarantsoa, Lyautey organisa un bal qui réunissait un petit nombre de femmes, 19 au total, dont deux femmes indigènes.

     L’historien Grimal décrit bien le système anglais :

     «  Ainsi les agents de l’autorité britannique ne venaient pas en Afrique pour y transporter leurs propres institutions démocratiques et parlementaires, mais pour y maintenir l’ordre et assurer le statu quo. Ils étaient les pions dans une école. Si l’un d’eux faisait  preuve d’une intégrité particulière, d’un intérêt passionné pour le « bon » gouvernement, c’était tant mieux. Mais, en aucun cas, les indigènes n’avaient à être encouragés à adopter l’English way of life, ni la culture, ni l’activité économique, ni les institutions. » (page 214)

     La comparaison entre les colonies tropicales anglaises d’Afrique occidentale et celles d’Afrique orientale montre bien que la politique coloniale anglaise était tout à fait différente, selon qu’il s’agissait de territoires favorables au peuplement blanc ou non. Dans ces derniers territoires, le Colonial Office eut beaucoup de mal à assurer un arbitrage entre Blancs et Noirs, d’autant plus que l’immigration anglaise s’était effectuée en spoliant les terres appartenant aux communautés noires.

    Les Français se donnaient eux l’illusion de vouloir assimiler des peuples indigènes très différents de religion, de culture, et de niveau de vie, et les agents de l’autorité française avaient la mission de promouvoir cette vision idyllique du monde. Autant dire que cette mission était impossible, et les réformes mises en œuvre après la deuxième guerre mondiale, ouvrant la voie à l’égalité politique entre citoyens de métropole et citoyens d’outre-mer n’étaient pas en mesure de soutenir une égalité en droits sociaux que la métropole était bien incapable de pouvoir financer

     Après 1945, la création de l’Union Française ne fut donc qu’un feu de paille, et ne pouvait être qu’un feu de paille, un très lointain reflet d’un Commonwealth dont les racines étaient fondamentalement différentes, la nature des partenaires, ainsi que le fonctionnement.

    En 1945, la fédération de l’Afrique Occidentale Française comptait 13 députés à l’Assemblée Nationale, et 19 Conseillers au Conseil de la République, alors qu’aucun territoire colonial anglais n’avait de représentation au Parlement Britannique, mais cette représentation ne résista pas au puissant mouvement de décolonisation qui intervint dans les années 1960.

     En résumé, il est très difficile de proposer une conclusion générale à une comparaison entre relations humaines et coloniales anglaise et française, étant donné qu’il conviendrait de procéder à des analyses qui tiennent  compte une fois de plus des « situations coloniales » et du « moment colonial».

    Qu’il s’agisse des Français ou des Anglais, les relations ont évolué selon les époques (conquête, première guerre mondiale, entre-deux guerres, deuxième guerre mondiale, guerre froide entre Etats Unis et URSS, etc…).

    Elles ont évolué aussi en fonction des participants (un rajah, un chef, un aristocrate, n’est pas traité par les anglais comme un paysan de la brousse ;  un « petit blanc » dans une ville n’a pas le même comportement qu’un administrateur chargé d’un cercle en Mauritanie, etc….

    Toute conclusion générale ne peut donc avoir qu’un caractère arbitraire à la fois en raison une fois de plus du « temps colonial » et de la « situation coloniale ».

    Un des grands leaders de l’indépendance africaine, celle du Ghana, Kwame Nkrumah, n’écrivait-il pas dans « Autobiography of Kwame Nkrumah (Panaf Edition 1973, first published 1957) en rapportant des souvenirs de sa visite d’un chantier d’un grand barrage hydro-électrique proche de Douala au Cameroun :

     « One thing I remember very vividly about the occasion – probably because it was the first time that i have ever it happen in any colony – was the way all the workers, both European and African, climbed into the waiting lorries when the lunch buzzer sounded. This complete disregard of colour on the part of european workers greatly impresses me.”

       Et pourquoi ne pas ajouter que, comparé au système du  « Colour Bar », le Code de l’Indigénat, n’empêchait pas un type de rapports humains qui n’avait pas un aspect aussi excessif, pour ne pas dire totalitaire.

      Rappelons,  pour conclure ce type de réflexions, que jamais, tout au long de son histoire coloniale, le Parlement britannique n’accueillit en son sein des députés de couleur, comme ce fut le cas en France, pour ne citer que ces deux exemples, la présence  de Victor Mazuline, d’un député de couleur, et fils d’esclaves, venu de Martinique dans l’Assemblée Constituante de 1848, et celle du ministre sénégalais Diagne qui entra à la Chambre des Députés en 1914.

Jean Pierre Renaud

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