« La Parole de la France ?  » VI – Regards de l’étranger à l’Est

VI – Regards

B – Regard de l’Est :

Le Regard d’un communiste vietnamien

« Vietnam » – « Une longue histoire »

Editions Thé Gioi – 2007

« Vietnam »

« Une longue histoire »

Nguyen Khac Vièn

Editions Thé Gioi – 2007

            L’auteur donne son éclairage sur l’analyse de la guerre d’Indochine dans un ouvrage volumineux comptant près de 700 pages, dont la moitié est consacrée à des annexes de documentation.

            Figure dans cette documentation nombre de pages consacrées à l’histoire du Parti Communiste en Indochine, longtemps avant cette guerre, dès le début du vingtième siècle, une histoire qui montre son implantation et son enracinement dans certains milieux intellectuels, et le début de ses succès de propagande : le Vietminh y trouva à la fois ses militants et une sorte d’évangile révolutionnaire, sur le modèle  des révolutions marxistes, léninistes et staliniennes, dans l’orbite de l’Internationale communiste.

            La première guerre franco-vietnamienne y compte une cinquantaine de pages.

            Comme nous l’avons vu, plusieurs chroniques ont décrit cette longue histoire de la presqu’île indochinoise qui ne pouvait manquer d’avoir une influence capitale sur les destinées de ce pays.

« La fondation de la République démocratique du Vietnam (1945-1946) » (p,213)

Chapitre VII

            « Après le triomphe de la révolution d’Août, porté au pouvoir par une marée révolutionnaire irrésistible, le Gouvernement provisoire insurrectionnel se présenta devant le peuple à Hanoi, le 2 septembre 1945, sur la place Ba Dinh. Le Président Ho Chi Minh devant une foule immense et enthousiaste proclama l’indépendance du pays… Après 80 années de domination coloniale, ces mots suscitaient une ferveur immense chez des millions de personnes ; après 80 années de lutte ininterrompue, voici à nouveau la patrie reconstituée en Etat indépendant. » (p,213)

     « La lutte contre les menées de Tchang Kai Check » (p,219)

    « L’agression française au Nam Bô » (p,220), c’est à dire en Cochinchine, à Saigon, laquelle fut un des derniers enjeux de la guerre. La France tentait alors de reprendre le contrôle militaire et politique de l’Indochine, mais face à sa situation fragile, son représentant Sainteny signa un accord avec le président Ho Chi Minh avec les clauses principales suivantes :

     1). Le gouvernement français reconnait la République du Vietnam comme un Etat libre, ayant son gouvernement, son parlement, son armée et ses finances, faisant partie de la Fédération indochinoise et de l’Union française. En ce qui concerne la réunion des trois Ky, le gouvernement français s’engage à entériner les décisions prises par la population consultée par référendum.

     2) Le gouvernement du Vietnam se déclara prêt à accueillir amicalement l’armée française lorsque conformément aux accords internationaux, elle relèvera les troupes chinoises.

    3) Aussitôt après l’échange des signatures, chacune des hautes parties contractantes prendra les mesures nécessaires pour faire cesser sur le champ les hostilités, maintenir les troupes sur leurs positions respectives et créer le climat favorable nécessaire à l’ouverture immédiate de négociations amicales et franches . Ces négociations porteront instamment sur les relations diplomatiques du Vietnam avec les Etats étrangers, le statut futur de l’Indochine, les intérêts économiques et culturels français au Vietnam.

     Après les accords du 6 mars, commença une lutte complexe pour les faire respecter : lutte militaire, politique et diplomatique… » (p,226)

      La situation ne s’améliora pas et «  Le président Ho Chi Minh envoya à Léon Blum (qu’il connaissait) qui venait d’être désigné comme président du Conseil français un câble pour lui demander de faire respecter les accords signés. Il ne reçut aucune réponse. » (p,228)

« La première résistance (1945-1954)

Chapitre VIII (p,230)

       « La résistance à l’agression colonialiste française, commencée dès le 23 septembre 1945 au Nam Bô, généralisée à tout le pays depuis le 19 décembre 1946, marquait une étape décisive de la lutte menée depuis près d’un siècle pour reconquérir l’indépendance et démocratiser le pays… Cependant en 1946, le Vietnam était encore isolé, l’impérialisme américain occupé à d’autres projets, ne s’était pas encore ingéré profondément dans les affaires indochinoises, le combat opposait essentiellement le peuple vietnamien au seul colonialisme français. La victoire de la révolution chinoise, la fondation de la République populaire de Chine en 1949 allait bouleverser profondément le rapport de forces  internationales. La résistance pouvait alors s’adosser au camp socialiste, briser l’encerclement qui l’enserrait. Pour essayer de remédier à son échec en Chine, l’impérialisme américain déclencha en 1950 une guerre d’agression en Corée, et intervint ouvertement en Indochine. La guerre devint une guerre franco-américaine contre le peuple vietnamien, et par-delà, contre le mouvement de libération nationale en Asie.

    Ainsi, sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur, l’année 1950 constitua un véritable tournant ; aussi distinguerons-nous deux phases principales au cours de cette « longue résistance », la première de 1946 à fin 1950 au cours de laquelle la résistance vietnamienne consolida peu à peu ses bases militaires, politiques, économiques, administratives, culturelles, et la seconde de 1951 à 1954, phase de victoires militaires importantes et décisives, et de réformes profondes sur le plan économique et social. La  victoire de Dien Bien Phu et la Conférence de Genève en 1954 clôturent cette guerre de résistance contre le colonialisme français qui dut reconnaitre l’indépendance, la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale du Vietnam. » (p,231)

     « De la bataille de Hanoi à celle du Sông Lô »

     « En déclenchant sa guerre d’agression, le commandement français voulait profiter de sa supériorité manifeste en armement, de l’excellence de ses troupes régulières pour lancer des offensives qui se termineraient rapidement par la destruction des forces armées vietnamiennes mal équipées, encore peu expérimentées, et la capture des organismes dirigeants.

    La résistance vietnamienne de son côté se basait sur sa supériorité politique ; le patriotisme des masses populaires, l’union nationale, l’héroïsme des combattants et des gens du peuple, la confiance de la population dans son gouvernement pour mener une guerre de longue durée, une guerre du peuple, avec la participation de tous, une guerre totale embrassant tous les domaines. Dès les premiers jours, la doctrine de la résistance était clairement définie par Truong Cinh dans son texte la Résistance vaincra…

     En 1946, de vastes régions libérées constituaient des arrières sûrs, en particulier le Viet Bac – région montagneuse située entre la frontière chinoise et le Fleuve Rouge – formait le berceau même de la Résistance, même si dans les régions occupées par l’ennemi, des bases de guérilla existaient, la population cachant en son sein des partisans et militants décidés, et ces bases se développant constituaient des zobes de guérilla menaçant en permanence les arrières ennemis… (p,233)

    En 1949, les ateliers d’armements réussissaient à fabriquer en série des canons sans recul… » (p,235)

      Ainsi de 1948 à 1950, une situation d’équilibre, chacune des deux parties ne réussissant guère à entamer les positions de l’autre, chacune cherchant à consolider ses arrières, à se renforcer en vue d’une nouvelle étape. » (p,236)

     L’auteur décrit la guerre économique qui fut menée contre la Résistance, et les réponses qu’elle lui donna… « La guerre économique, comme la guérilla, se déroulait sur les arrières mêmes de l’ennemi. «  (p,237)

    La victoire « des frontières ». Les nouveaux plans franco-américains

   « A la résistance vietnamienne fortement consolidée, la victoire de la révolution chinoise, puis la fondation de la République Populaire de Chine allaient apporter un stimulant puissant…

      Une aide financière et matérielle considérable fut apportée par les Américains à la France pour verrouiller solidement la frontière sino-vietnamienne, renforcer les garnisons de Lang Son, Dong Khé, That Khé et Cao Bang  situées sur la route N°4 qui court le long de la frontière.

     Mi-septembre, le commandement vietnamien décida de lancer une grande attaque contre ces positions. Le 16 septembre, le poste de Dong Khé fut enlevé, obligeant la garnison française de Cao Bang de se replier sur That Khé, une autre colonne française partit de That Khé pour accueillir celle  venant de Cao Bang. Les deux colonnes en route furent prises à partie par les forces vietnamiennes et leurs 8 000 hommes y compris leurs chefs, furent tués ou faits prisonniers. Les Français évacuèrent d’urgence Lang Son, Lao Cai, Hoa Binh. La frontière sino-vietnamienne était largement ouverte et les projets français de création de « territoires autonomes » avec les minorités ethniques des régions montagneuses du Bac Bo tombaient à l’eau… ». (p,239)

Commentaire :  un lecteur initié à l’histoire  de la colonisation française de l’Indochine se retrouvera évidemment en familiarité avec un certain nombre de traits communs ou de noms en continuité, tels que le contrôle long et difficile des zones montagneuses du Tonkin (voir Gallieni et Lyautey) en même temps qu’elles constituaient des frontières naturelles redoutables avec la Chine, la question des « minorités ethniques », le nom de Lang Son, la perméabilité de plus en  plus grande de la frontière chinoise, à partir du moment (1949) où la Chine devint le grand frère communiste du Nord…

     Malaisie et Indochine : une remarque sur le plan stratégique de cette guerre révolutionnaire : les Anglais réussirent à venir à bout d’une révolte communiste comparable en Malaisie en n’hésitant pas à mettre en œuvre des méthodes souvent très expéditives, mais surtout en raison de l’absence d’une frontière commune avec la Chine.

    « La victoire des frontières sema le désarroi chez l’ennemi… Le gouvernement français choisit de subordonner sa politique à celle de Washington. De Lattre de Tassigny considéré comme le meilleur stratège français, après être allé à Washington recevoir des instructions, prit le commandement du corps expéditionnaire pour essayer de redresser la situation. De Lattre mit en œuvre toute une série de mesures…

    Ces mesures militaires furent exécutées avec diligence pendant qu’on orchestrait toute une propagande pour faire croire que les Français combattaient surtout pour « défendre le monde libre contre la menacecommuniste », et surtout pour défendre un  « gouvernement national ». »

     « … Les efforts de de Lattre avaient donné quelques résultats. Vers la fin de 1951, le delta du Fleuve rouge était entouré d’une ceinture de 2 200 blockhaus et bunkers, le nombre de soldats fantoches passa à 112 000, et les Américains avaient fourni  aux Français des dizaines d’avions, plusieurs centaines de véhicules blindés et de pièces d’artillerie. Dans le seul delta du Bâc Bô, outre 55 bataillons d’occupation, les Français avaient concentré 46 bataillons mobiles… (p,240)

    « Nouveaux progrès de la résistance

    « Après la reconnaissance de la République démocratique du Vietnam par les pays socialistes, et la victoire des frontières, la résistance vietnamienne avait progressé rapidement. Un événement d’une importance capitale eut lieu en février 1951 : l’ouverture du II° Congrès national du Parti communiste.

      Ce congrès précise les orientations principales de la résistance pour les années à venir. Une décision capitale fut prise : le Parti communiste indochinois se scinda en trois partis nationaux assumant la direction de la lutte nationale respectivement dans les trois pays d’Indochine : Vietnam, Laos, Cambodge…. Les relations diplomatiques et internationales de la République démocratique du Vietnam ne cessaient de s’améliorer… Sur le plan économique et financier… En mai 1951 étaient décidées : la création d’une banque nationale, l’émission d’une nouvelle monnaie, un dong nouveau valant 10 anciens, l’institution d’un impôt agricole unique remplaçant tous les impôts, la création du Commerce d’Etat. (p,241)

     « Pendant que la résistance se renforçait, en face, le gouvernement fantoche de Bao Dai, malgré les intrigues des Américains, les efforts des Français, n’arrivait pas à prendre consistance. Le pouvoir effectif comme le commandement militaire restaient entre les mains des Français, Bao Dai se contentant de passer son temps en France dans les casinos des villes d’eaux. » (p,243)

     « L’échec de De Lattre de Tassigny »

    « En 1951, l’initiative était donc entre les mains de la résistance vietnamienne, malgré les nouveaux moyens, dont disposait le commandement français. Dans le Sud, la guérilla continuait, la lutte politique à Saigon et dans d’autres villes gagnait en ampleur. Le front essentiel restait cependant celui du Nord…

            Le 14 octobre 1951, de Lattre lance une grande offensive sur Hoa Binh, laquelle fut un échec tout en donnant l’occasion au Vietminh de passer à la contre-offensive avec de nouvelles forces :

    «  Trois divisions régulières avec de l’artillerie furent dirigées sur Hoa Binh, pendant que deux autres divisions s’infiltrèrent à l’intérieur du delta. Une double bataille eut alors lieu, sur le front de Hoa Binh et dans le delta…

     « Dans la nuit du 23 mars, les Français évacuèrent Hoa Binh, et la retraite leur coûta six compagnies et des dizaines de véhicules. Du 14 octobre au 23 mars, le corps expéditionnaire français eut 22 000 tués dont plus de 6 000 à Hoa Binh. De Lattre mourut de maladie avant de voir son œuvre réduite à néant. » (p,244)

    « Après l’échec d’Hoa Binh, le corps expéditionnaire était partout sur la défensive… Alors que dans la première phase de la guerre, les populations et les forces armées vietnamiennes devaient détruire les routes pour empêcher les troupes françaises d’avancer, maintenant, elles reconstruisaient des centaines de kilomètres de routes pour pouvoir mener des offensives de plus en plus importantes. (p,244,245)

     « Le Plan Navarre »

     «  L’aide américaine à la France fut portée en 1953 à 385 millions de dollars couvrant 60 % des dépenses de guerre ; en 1954, elles en couvraient 80%…(1)

    En mai 1953, un nouveau commandant en chef français, le septième depuis 1945, fut nommé par le gouvernement Laniel. Avec le Pentagone, Navarre avait élaboré un plan pour essayer de reprendre l’initiative, et en 18 mois, anéantir les forces vietnamiennes, aboutir à une paix victorieuse…. Les nouveaux moyens dont disposait le commandement français et la hardiesse de ses plans stratégiques paraissaient insuffler un nouveau dynamisme au corps expéditionnaire… D’un bout à l’autre du pays, le commandement français lançait des attaques contre Lang Son, à la frontière chinoise, à Ninh Binh, dans le sud du delta… Il semblait bien que le corps expéditionnaire français avait repris l’initiative. Pour la résistance vietnamienne, la question se posait avec urgence : comment faire échec au plan Navarre, autrement dit à cette offensive franco-américaine ? »

    Le Vietminh lance une grande réforme agraire qui l’aide à mobiliser la masse paysanne.

   « Dien Bien Phu »

   « C’était dans cette ambiance révolutionnaire que le commandement vietnamien avait mis sur pied les plans pour la campagne de l’hiver 1953-1954. Comme prévu, les coups de boutoir lancés par l’ennemi en direction de la zone libre, à Lang son, à Ninh Binh étaient sans lendemain, les forces françaises se retirant après avoir essuyé des pertes… »(p,249)

    L’auteur décrit alors cette bataille, le déroulement de la Conférence de Genève.

     « Ainsi, après neuf années de guerre, l’impérialisme français avait été obligé de reconnaitre la vanité de sa tentative de reconquête du Vietnam… » (p,256)

 Commentaire : il est inutile de préciser que cette lecture historique des événements est celle d’un membre éminent du Parti communiste indochinois, puis vietnamien.

    Rappelons à ce sujet que le livre en question consacre plus de deux cents pages à l’historique du parti communiste, des pages très instructives, car elles démontrent qu’une partie non négligeable des élites vietnamiennes étaient d’ores et déjà très perméables aux idées communistes.

     La lecture de ce livre met la lumière sur un des facteurs importants du  déroulement de cette guerre, à savoir une organisation ancienne bien structurée sur le plan idéologique et politique, et sur tout le territoire, qui permit à Ho Chi Minh de développer une action cohérente après la chute du Japon, même si le nombre de ses adhérents n’était pas très élevé, face à des partenaires ou des adversaires divisés.

   VI -Fin

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Premier trimestre 2020 – annonce de publication- Guerres d’Indochine et d’Algérie : les héritages guerres d’Indochine

Premier trimestre 2020

Annonce de publication

Je me propose de publier au cours du premier trimestre 2020 une série d’analyses et de morceaux choisis sous le titre et selon le plan ci-après :

La Parole de la France ?

Guerres d’Indochine (1945-1954) et d’Algérie (1954-1962)

Les héritages

&

  1. Introduction et prologue avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc
  2. Témoignages d’André Malraux, ancien ministre du Général de Gaulle, Maurice Delafosse, ancien administrateur colonial et africaniste, Robert Guillain, grand reporter en Extrême Orient
  3. Résumé historique de la Guerre d’Indochine
  4. Les grandes séquences historiques de la Guerre d’Indochine avec le général Gras et l’historien Hugues Tertrais
  5. Situation de l’Indochine en 1945 :
  • Vue de l’étranger avec Henri Kissinger, Graham Green et Nguyen Khac Vièn
  • Vue de France, avec Pierre Brocheux
  1.  La guerre ? Classique, révolutionnaire, subversive, populaire ?

       « Morts pour la France » ?

&

Au cours du premier semestre, quelques pages seront consacrées aux acteurs de ces deux guerres, notamment du côté français.

La  liste est longue, des officiers français qui, à la fin de la guerre d’Indochine, exercèrent des commandements à tous les niveaux, pendant la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962.

Avant  d’aborder ce sujet, citons quelques noms connus, Massu, Salan, Crépin, Cogny, Trinquier, Allard, Gilles, Vanuxem, Gambiez, Bigeard, Ducourneau, ou Beaufre…

Jean Pierre Renaud