Mali, Centrafrique, le néocolonialisme français? Nouveaux atours de la Françafrique ?

Mali, Centrafrique, le néocolonialisme français ?

Les raisons bonnes ou mauvaises  des interventions à répétition de la France en Afrique !

Nouveaux atours de la Françafrique ?

            La dernière décision du Président de la République de faire intervenir les troupes françaises en Centrafrique, le « j’ai décidé » a suscité des réactions diverses dans le monde politique ou géopolitique, telles que celles publiées par Le Monde, le 4 décembre 2013, sous le titre «  Néocolonialisme français en Afrique », ou dans la Croix, le 5 décembre 2013, sous le titre « Les interventions françaises ».

            Il parait  intéressant et utile de récapituler les arguments échangés par un homme politique (de Villepin), un anthropologue (Amselle), deux politologues ( Marchal et Galy) , un humanitaire (Bolopion), et un géopolitologue, le patron actuel de l’IRIS (Boniface).

               Une France néocolonialiste?

            M.Bolopionl’humanitaire serait sans doute le seul à tenir un discours qui pourrait mettre tout le monde d’accord, une intervention justifiée par la terreur qui règne dans un pays. Pourquoi la France ? Et en a-t-elle le droit, le devoir, et les moyens ? Une France humanitaire sur la terre entière ?

            Il ne s’agirait donc pas de néocolonialisme.

       Des deux politologues,  le premier, M.Marchal, défend une position qui dénie tout néocolonialisme dans l’intervention française, mais critique le manque de vision de notre pays, « la courte vue des interventions françaises », « une gestion à la petite semaine », le deuxième, M.Galy,  reconnait clairement dans cette intervention « la dernière aventure coloniale »,  « une de ces manifestations dont la Françafrique a le secret depuis cinquante ans : allégeance et préparation d’interventions militaires »

          M.Amselle, l’anthropologue, nous propose, en prenant le cas du Mali, une ouverture sur la structure des sociétés africaines traditionnelles étrangères aux concepts d’état et de société civile qui sont les nôtres, puisqu’elles seraient fondées sur les concepts des clans et des lignages, une appellation savante de ce que d’aucuns dénommeraient ethnies ou tribus, et d’après lui :

         « Or le lien politique en Afrique est régi essentiellement par des principes de prédation et de redistribution du type clientéliste. »

         Une affirmation qui parait bien sévère à la fois dans le constat et dans les conséquences qu’il en tire, car toute l’immense zone du Sahel a longtemps bénéficié de la force structurante d’un Islam plutôt modéré et tolérant, et les structures traditionnelles n’étaient pas obligatoirement synonymes de « prédation et de redistribution clientéliste ».

        Pourquoi par ailleurs des pays comme le Sénégal, le Ghana, le Niger, la Nigéria, ou le Cameroun, ont réussi, en dépit de l’existence des clans et des lignages,  à maintenir tant bien que mal, sinon à renforcer,  un  Etat issu de la colonisation ?

Les analyses de MM Villepin et Boniface s’inscrivent dans un contexte de réflexion plus large.

         M. de Villepin évoque « une recolonisation bienveillante », une autre formulation donc d’une sorte de néocolonialisme, non ?

         Il note toutefois : « Il faut dire ici une vérité criante : la France est la plus mal placée pour intervenir en  Centrafrique. »

         Mais son analyse cadre bien le sujet, à savoir la nécessité de faire entrer toute initiative française à la fois dans un cadre international (l’ONU), ce qui a été fait, mais également dans un cadre européen, ce qui n’a pas été fait.

       M.de Villepin critique ce type  de stratégie, «  celle d’un engrenage régional » et constate  qu’ «  en vérité, la France n’a pas de politique africaine. »

      M.Boniface, géopolitologue,  légitime l’intervention française en la situant dans le cadre plus large de la politique étrangère française à l’égard de la Palestine et de l’Iran, mais en la justifiant essentiellement par l’impératif de l’urgence et par le fait que la France était la seule puissance capable d’intervenir aussi vite sur des théâtres d’opérations qu’elle connait bien.

     Il écrit : « Tout ceci reste encore dans la limite de ses moyens actuels et rappelle la nécessité de respecter scrupuleusement la loi de programmation militaire »

      Cela reste évidemment à démontrer ! Qui connait en effet le coût actuel de l’opération Serval au Mali et les coûts induits sur notre appareil de défense, alors que la France est endettée jusqu’au cou, et qu’elle finance donc ces guerres en s’endettant encore un peu plus (1)  et qu’elle a toujours l’ambition d’être une puissance atomique ?

     Le legs politique que cite l’auteur, à ce sujet, celui du respect de principes gaullo-mitterrandistes qui auraient régi notre politique africaine laisse un peu rêveur, compte tenu de l’héritage des réseaux Foccart ou Penne, ceux précisément de la Françafrique.

      Les questions qui peuvent être posées contre cette nouvelle intervention française en Centrafrique sont les suivantes :

      1   – Avec sa dette publique colossale, un pays en crise, la France aurait donc encore les moyens d’intervenir seule et à crédit ?

      2   – Une France seule, sans l’Europe ? Pourquoi le Président de la République n’a-t-il pas pris le soin de demander l’avis et l’engagement du Conseil Exécutif de l’Europe sur l’opportunité de cette intervention ?

     3 –   Pourquoi la France devrait-elle porter ce « nouveau fardeau de l’homme blanc », sans que l’Algérie n’y prenne part et responsabilités dans le cas du Mali, et ailleurs, sans le concours des autres membres permanents du Conseil de Sécurité, notamment la Chine, nouvelle puissance du monde africain ?

     4 –  Pourquoi la France n’imiterait-elle pas la Grande Bretagne qui s’est bien gardée jusqu’à présent, mis à part le cas limité, en temps, en Sierra Leone, de mettre la main dans les autres guerres civiles qui affectent encore quelques- uns de ses anciens territoires, par exemple l’ancien Soudan Anglo-Egyptien, où se poursuit toujours une guerre, ouverte ou larvée entre les populations arabes du nord, musulmanes, et les populations noires, chrétiennes ou animistes du sud ?

    Comment en définitive ne pas trouver dans ce type d’intervention fût-elle humanitaire, comme un parfum de néocolonialisme qui ne dit pas son nom ?

       Comment ne pas être choqué par l’étendue des pouvoirs du chef d’un Etat qui n’est pas démocratique, étant donné que la Constitution, modifiée en 2008, autorise par avance cet excès de pouvoir ?

     « Vu l’urgence, j’ai décidé, d’agir immédiatement… Cette intervention sera rapide… »

      Comme sous Louis XIV donc !

      Exit le Parlement, même lorsque la France fait la guerre ?

     Comment ne pas constater aussi que notre politique africaine, et plus largement, la politique française dans son ensemble, n’ont plus les pieds sur terre, et qu’elles continuent à se déployer dans un monde qui n’est plus ?

Jean Pierre Renaud, ancien haut fonctionnaire

(1)  Un général chiffrait le coût unitaire de ce type d’intervention par soldat pour une année, à la somme de 100.000 euros. A ce tarif, le budget Mali et Centrafrique dépasserait déjà le milliard d’euros.