« Français et Africains ? » Frederick Cooper, le témoignage du diplomate Michel Auchère

« Français et Africains ? »

Frederick Cooper

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Situations coloniales et témoignages

6 d

La lecture parallèle de Michel Auchère, ancien diplomate en Europe, en Afrique, en Asie, et à l’ONU, de la décolonisation de l’Afrique noire

  1.          Une remarque préliminaire

               La décolonisation est en quelque sorte inhérente à la colonisation. L’Etat colonial a toujours été présenté comme une étape temporaire, provisoire (même si dans l’esprit des colonisateurs, le « provisoire «  était destiné à durer longtemps) avant l’émancipation politique, qui se traduirait par l’indépendance (ou son équivalent, l’assimilation complète – du type de celle réalisée par les Français dans les Antilles, en Guyane et à la Réunion)

         Le système des mandats de la SDN et celui de la tutelle des Nations Unies exprimait cette philosophie.

            L’historien Henri Brunschwig constatait dans un article publié dans une revue des années 1950 : la décolonisation « suppose le succès de la mission « civilisatrice » à laquelle prétendaient autrefois les nations européennes. »

            Aussi plutôt que des « causes » pourrait-on parler des facteurs qui ont influé sur la vitesse du processus.

  1.              Le climat international après 1945

On peut dire que de même que dans les années 1880, tout poussait à l’expansion coloniale, après 1945, tout poussait à la décolonisation.

La décolonisation était au programme des deux grandes puissances URSS et Etats Unis.

L’Organisation des Nations Unies était marquée de plus en plus par l’idéologie de la décolonisation (ses travaux et ses initiatives dans ce sens ont eu leur couronnement avec l’adoption en décembre 1960 de la « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux »)

L’indépendance des colonies a été l’une des premières revendications des pays non-alignés, à la création du mouvement à la conférence de Bandoeng en avril 1955.

Le premier jalon (africain) dans l’évolution en marche a été l’indépendance de la Gold Coast (devenue « Ghana) en 1956. Evénement qui ne pouvait qu’avoir des répercussions dans les territoires français voisins, en donnant des idées à leurs  dirigeants et les amenant à agir plus vite qu’ils ne l’auraient peut-être souhaité.

        La fin de la tutelle sur le Togo et le Cameroun, inévitable du point de vue de la communauté internationale, constituait un facteur d’accélération allant dans la même direction.

  1.           Absence d’obstacles majeurs

       Du côté des gouvernements français, les  « leçons de l’histoire » avaient été trop fortes : Dien Bien Phu, l’indépendance du Maroc et celles de la Tunisie, l’insurrection algérienne et son déroulement… pour qu’on puisse envisager un nouveau conflit de décolonisation.

       Et fait important, il n’y avait pas de population de souche européenne sur place à ménager.

        Les autres intérêts en jeu étaient d’ailleurs sans commune mesure avec ceux qui venaient d’être abandonnés. Qui peut le plus peut le moins. Et rien ne disait a priori qu’on ne pourrait pas les protéger à  l‘indépendance.

      Du côté des citoyens français qui s’intéressaient à l’AOF et à l’AEF ?

       Ceux qui en parlaient le faisaient de façon plutôt négative : le cartiérisme (« La Corrèze plutôt que le Zambèze »)

       De la part des interlocuteurs possibles africains

       Ce n’étaient pas des maquisards

       Que ce soit planifié ou non, les diverses étapes qu’avaient connues la vie administrative des territoires (Constitution de 1946, loi-cadre 1956-1957) avaient permis la mise en place de dirigeants qui avaient acquis une certaine expérience politique, et qui, ayant la plupart siégé dans des instances à Paris, connaissaient bien les rouages de la politique française.

       On se connaissait bien. Les conditions d’une décolonisation à l’amiable paraissaient réunies. De fait, c’est ce qui s’est produit, à l’exception de la Guinée.

      Les débats, qui ont le plus agité les Africains ont été ceux du cadre de l’accès à l’indépendance, celui du territoire ou celui de la Fédération (la question de la balkanisation)

  1.         Dans ces conditions, la décolonisation n’a pas été une rupture.

       La coopération a pris la suite de la colonisation. Des relations très étroites ont été longtemps maintenues. Certains ont parlé d’ « Etat franco-africain » en faisant les gros yeux. Le Président Houphouët- Boigny les a célébrés d’une certaine façon en lançant l’expression « France Afrique » (qui plus tard a été reprise de façon négative – la Françafrique – par ceux qui pensaient que la décolonisation n’était pas achevée.)

       Avec le temps, les relations entre la France et ses partenaires africains ont trouvé leur équilibre à un niveau plus bas, et même toujours plus bas du fait d’un certain déclin de la France. Le signal du décrochage de la France a été la dévaluation du franc CFA sous le gouvernement Balladur.

     Au terme de cette évolution, les relations se sont même inversées, ce que le journaliste Glaser   a décrit sous le terme « Africa-France »

     Ceci étant, et philosophiquement parlant, la « colonisation » n’étant que le reflet de l’inégalité entre les Etats, il n’est pas sûr que les Etats africains en aient fini avec elle.

     Ils le reconnaissent eux-mêmes en faisant constamment  appel aux concours extérieurs pour régler leurs problèmes (FMI pour leurs finances intérieures et extérieures, forces de maintien de la paix pour leur sécurité, ONG pour leurs services de santé …

     Michel Auchère, ancien diplomate en Asie et en Afrique, notamment au Ghana

     Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Le legs colonial britannique avec un regard allemand! Was bleibt? Der Spiegel Geschichte 5ème partie

Cinquième partie

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Cinquième et dernière partie, la quatrième ayant été publiée sur ce blog le   24 mars 2014

Mes conclusions seront publiées d’ici deux ou trois semaines

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Le legs colonial de l’empire britannique avec un regard allemand !

Was bleibt ?

Der Spiegel Geschichte NR.1/ 2013

Das Britische Empire

Traduction libre avec citations dans le texte

Tous mes remerciements à mon vieil et fidèle ami Michel Auchère qui m’a apporté une aide très précieuse pour décortiquer le plus intelligemment possible ces textes. L’analyse consacrée à la contribution de M. Osterhammel est très largement de sa main.

        Der Spiegel a publié un numéro spécial d’histoire consacré à l’Empire Britannique, un numéro tout à fait intéressant et qui a l’avantage de proposer un regard allemand sur l’histoire de cet empire, un éclairage qui a donc le mérite d’introduire une autre analyse comparative que celle que nous avons proposée dans les pages qui précèdent.

       Rappelons que l’Allemagne, après s’être engagée tardivement dans la course au clocher qui scella le sort de l’Afrique coloniale à la fin du 19ème siècle, perdit ses colonies après la première guerre mondiale des années 1914-1918.

       En page de couverture, la photographie de la reine Victoria avec un sous-titre :

« 1600-1947 : Als England die Welte regierte »

« Quand l’Angleterre gouvernait le monde »

      A  la page 5, le magazine donne l’explication de la maquette de la première page : avec des images de James Cook, le vaisseau Vanguard lors de l’attaque de l’Armada Espagnole en 1588, une filature dans le Derbyshire, des soldats britanniques dans la première guerre de l’opium en 1841.

     En bas de page, trois sous-titres : «  INDIEN – Das Juwel of Krone » (L’inde, joyau de la Coronne)  «  SEEMACHT – Herrscherin über die Ozeane »  (Puissance maritime ou domination des océans)  «  COMMONWEALTH : Was vom Weltreich übrig blieb » (Commonwealth : que reste-t-il de l’empire mondial ?)

    Une page de couverture qui résume assez bien la réalité de l’Empire britannique qui a d’abord été celui de l’Empire des Indes, « le joyau de la Couronne ». La date choisie de l’année 1947 est celle de l’indépendance des Indes, avec la partition entre l’Inde hindouiste et l’Inde musulmane.

    Le choix de cette date est d’autant plus curieux que l’année 1947 n’a pas scellé la fin de l’empire britannique, comme nous le verrons dans le corps même des analyses de ce numéro spécial qui contient beaucoup d’images et de photographies, sauf à considérer que l’empire britannique se résumait à celui des Indes..

   .Le chapitre 1 (page 6 à 58) intitulé « AUFSTIEG Die amérikanischen Kolonien » décrit « la montée en puissance des colonies américaines » de l’empire britannique concentré sur l’Amérique du 18ème siècle, les colonies de peuplement, avec la rivalité franco-anglaise.

    Le chapitre 2 (page 58 à 110) intitulé « Blüte Das Weltreich », c’est-à-dire « l’apogée de l’empire », date le début de cette apogée à la victoire de Trafalgar qui donna à l’Angleterre la maîtrise des mers du globe.

    Il s’agissait du deuxième empire anglais.

   Ces pages décrivent bien l’importance et le rôle des Indes, sans négliger quelques autres territoires colonisés par l’Angleterre, tels que l’Australie ou le Canada, et montrent bien le rôle un peu secondaire que jouèrent les colonies de l’Afrique tropicale, à la différence de celles de l’Afrique du sud ou de l’est où émigrèrent de nombreux anglais.

     Le point est important étant donné que l’empire français était très largement cantonné dans l’Afrique tropicale, mise à part la situation très spéciale de l’Afrique du nord, où le cas de l’Algérie est évidemment susceptible de justifier une comparaison franco-anglaise.

    Les analyses décrivent sans concession la colonisation anglaise, qu’il s’agisse du pillage des Indes par l’East India Company (« Lizenz zum plündern » (page 68), des horreurs de la révolte des Cipayes en 1857, la « barbarie des deux côtés », de la violence des deux guerres de l’opium contre la Chine, de l’expulsion de leurs terres des aborigènes d’Australie ou des noirs d’Afrique du Sud ou d’Afrique orientale (Rhodésie ou Kenya)

     Le chapitre 3 (page 110 à 142) intitulé « Abstieg Vom Empire zum Commonwealth » (« descente de l’empire vers le Commonwealth »), avec en première analyse « Kampf für Freiheit » (« Combat pour la liberté ») (page 110 à 113), en précisant qu’il s’agit de l’Inde.

    La revue contient également quelques portraits des personnages qui ont compté dans l’Empire britannique, tout d’abord et évidemment la reine Victoria, mais aussi Drake, Nelson, Thomas Cook, celui de l’Agence bien connue, Cecil Rhodes, et le célèbre Kipling.

    L’analyse comparative des deux empires que nous avons tenté de faire ne couvrait pas le même champ historique, puisqu’elle concernait les années 1880-1960, mais cette dernière a l’avantage de faire ressortir les racines du deuxième empire britannique, celui qui est au cœur de la rétrospective « Der Spiegel », une approche institutionnelle pragmatique, la pose de jalons territoriaux et maritimes solides sur la route des Indes, la maitrise des océans.

    Notre propos se limitera donc au contenu de ce document qui concerne la période du deuxième empire britannique, celle des mêmes années 1880-1960.

   L’interview d’un historien spécialisé, le professeur Peter Wende introduit ce document, et un essai du professeur Jürgen Osterhammel propose une conclusion.

    Le professeur Wende a publié en 2008 « Der Bristische Empire. Geschichte eines Weltreichs »

    Le professeur Osterhammel a publié en 2009 « Die Verwandlung der Welt. Eine Geschichte des 19.Jahrshunderts »

     Au cours de l’analyse des propos du professeur Wende, nous citerons le nom de l’auteur de la contribution de M, Von Olaf Ilhau, intitulée « Das Juwel der Krone », journaliste à « Der Spiegel », qui a publié « Weltmacht Indien. Die neue Heraus-forderung des Westens »

L’interview du professeur Wende :

      Le professeur Wende défend la thèse la plus courante d’après laquelle l’empire britannique n’aurait pas été le résultat d’une volonté systématique de conquête, d’aucun plan qui aurait abouti à la distribution d’une multitude de petites ou grandes taches roses ou bleues sur le globe terrestre.

    Spiegel Herr Professeur Wende, der britiche Historiker John Robert Seeley hat im spâten 19. Jahrhundert gesagt, Groszbritannien habe sein Empire “in einem Anfall von Geistesabwesenheit” erworben. Weltmacht aus Versehen?

    –       Monsieur le Professeur Wende, l’historien britannique John Robert Seeley a dit à la fin du dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne a acquis son Empire « en l’absence de réflexion ». Puissance mondiale par étourderie ?

     Wende« Er meinte, dass es nie einen Masterplan zur Schaffung eines Empire gab – und in diesem Sinn hat er volkommen recht. »

–       Cela signifie, qu’il estimait qu’il n’y avait pas de plan global pour la création d’un Empire, et dans ce sens, il a parfaitement raison.

      Nous avons vu que l’analyse qu’avait faite Kwasi Kwarteng du rôle des acteurs de l’empire britannique, dans « Ghosts of Empire », de même que l’histoire du même empire faite par l’historien Grimal pouvait laisser croire que l’empire colonial de la Grande Bretagne fut largement le fruit du hasard.

    Ce ne fut pas tout à fait le cas, car dans les colonies de peuplement ( Etats Unis, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud), la métropole n’avait guère d’autre chose à faire qu’à canaliser les mouvements d’émigration et à réguler les nouveaux rapports qui s’établissaient  entre ces colonies, pièces du futur Commonwealth, et dans les autres colonies, à donner à chacune des conquêtes coloniales qui furent l’œuvre des ressortissants britanniques bâtis ou recrutés sur le même modèle social, c’est-à-dire la classe aristocratique, une solution institutionnelle qui devait lui conserver les mains libres.

     Le professeur Wende fait référence à Palmerston pour comparer l’empire britannique à l’empire romain, des Anglais inspirés et animés du même esprit de supériorité que les citoyens romains !

   L’interview note que la Grande Bretagne créa un ministère des colonies en 1854, une initiative qui avait évidemment une signification politique, au moins dans les intentions. En France, il fallut attendre la fin du 19ème siècle pour voir la création d’une institution politique du même genre.

    Comment ne pas observer enfin que l’Empire des Indes joua un rôle clé dans la constitution du nouvel empire, un rôle d’empire secondaire, ainsi que la construction persévérante d’un réseau mondial de communications articulé sur une chaine de points de communication stratégiques disposés sur tous les continents, et allant pour l’Asie, de Londres au Golfe Persique, à Singapour, et à Hong Kong ?

    Dans les années 1880, le commandement militaire français du Tonkin fut longtemps dans l’obligation de faire transiter ses communications par des câbles anglais, et dans la première phase de l’expédition de Madagascar, le commandement français souffrit du même type de servitude.

   Le professeur explique clairement qu’après la « perte » relative du premier empire, celui d’Amérique, la Grande Bretagne posa les fondements d’un deuxième empire dans le subcontinent indien, et ses propos illustrent parfaitement l’importance et le rôle des Indes dans la construction du deuxième empire.

    Les Anglais avaient tout d’abord laissé faire la Compagnie des Indes Orientales, mais après la révolte des Cipayes de 1857 avec la « barbarie des deux côtés » que note le professeur, Londres reprit en mains la conduite des affaires de l’Inde, mais toujours avec le même souci de ne pas s’impliquer dans l’administration directe du territoire et parallèlement de laisser la plus large initiative à ses représentants.

     Le professeur évoque l’intervention des Anglais en Abyssinie en 1867, un conflit souvent ignoré, alors qu’il montre bien la puissance de l’impérialisme secondaire des Indes.

     Le Négus d’Abyssinie avait écrit à la reine d’Angleterre, impératrice des Indes, un courrier auquel la reine Victoria ne prit même pas la peine de répondre. Vexé, le Négus mit en prison quelques- uns des Anglais présents dans son pays. Cette, action  fut le motif de l’intervention militaire anglaise en 1867, ou plutôt celle de l’empire des Indes.

     Il ne s’agissait pas de n’importe quelle expédition punitive anglaise venue des Indes, étant donné qu’elle était conduite par le gouverneur général des Indes, sir Napier, qu’elle était relativement importante avec 13 000 soldats, dont 4 000 britanniques. L’armée des Indes intervint avec l’appui de 54 éléphants de combat, sorte  de chars de combat avant la lettre.       L’armée du Négus fut défaite en 1868.

    A la même époque, l’expédition de Napoléon III au Mexique pourrait soutenir en partie la comparaison avec la grosse logistique de l’expédition « indienne » d’Abyssinie, mais il faudra attendre les années 1880, avec le Tonkin, puis 1895, avec Madagascar, pour voir la France et non l’une de ses colonies, engager un effort militaire comparable.

    L’armée des Indes était puissante, et elle fut mise à contribution pour intervenir et prendre possession des territoires qui constituaient le glacis de l’Inde, la Birmanie ou la Malaisie par exemple.

    Le professeur Wende souligne qu’un des grands principes de gestion impériale était celui du zéro coût pour la métropole : «  Das Empire sollte môglichst nichts Kosten », en relevant qu’à Londres, l’empire britannique ne disposait pas d’une administration centrale importante, comme ce fut le cas après la deuxième guerre mondiale.

    Un élément historique qui viendrait à l’appui de la thèse d’absence de plan dans les conquêtes anglaises.

      Nous avons déjà noté que la France s’était fixé la même ligne de conduite en 1900.

     Le même professeur propose une analyse du système colonial britannique qui ressemble à celle du professeur Grimal, avec un objectif principal, celui du business, des affaires et le souci permanent de se mêler le moins possible des affaires indigènes, donc de laisser autant que possible en place les autorités locales existantes.

     En ce qui concerne le Joyau de la Couronne, von Olaf Ihlau relevait d’une part :

« Nie versuchten die Briten, die sozialen Structuren des Landes zu  andern. (page 79)

   –       Aucun Britannique n’eut jamais l’intention de vouloir changer les structures sociales.

    –      Et d’autre part que :

 «  Gerade mal 1000 britische Beamte genügten, um ganz Indien zu regieren » (page 75)

–      1 000 britanniques  suffisaient pour gouverner toute l’Inde.

Il convient de noter toutefois à cet égard qu’il s’agissait de l’administration coloniale supérieure, celle du gouvernement de cet empire secondaire qui comptait plusieurs centaines de millions  d’habitants, pour ne pas dire de sujets, et qui couvrait l’espace géographique du sous-continent indien.

     En ce qui concerne les deux guerres des Boers de la fin du siècle, le journaliste pose la question sur la stratégie de terre brûlée des Anglais et sur l’existence de camps de concentration… « De nombreux critiques parlèrent de génocide »

Le professeur Wende :

     « Génocide est ici une notion trop forte. L’Empire a commis un génocide en Australie. On y a littéralement extirpé les habitants primitifs de l’île de Tasmanie jusqu’en 1876 non sans avoir photographié les derniers primitifs. Mais la guerre des Boers n’était pas une guerre d’anéantissement de politique raciste. Les camps de concentration résultaient d’une mesure contre la guerre de guérilla, mesure dont on a perdu le contrôle. On n’a plus été en mesure de nourrir les prisonniers, on ne les a pas tués intentionnellement. »

     Le professeur atténue donc le sens de la question que le journaliste lui a posée, en parlant de génocide. 

     En ce qui concerne l’Inde, le même professeur décrit de la façon suivante la situation des Indes à l’époque de la conquête :

      « Die Inder etwa waren es gewohnt, vom Eindringglingen beherrscht zu werden” (page 19)

      –       En quelque sorte, ils étaient habitués à être gouvernés par des envahisseurs !

      Il convient en effet de rappeler que l’Empire britannique des Indes s’est en quelque sorte substitué à l’Empire Moghol dans une grande partie de l’Inde, mais le même auteur fait par ailleurs remarquer que le mouvement de résistance du XXème siècle fut le fruit du colonialisme..

    Le troisième chapitre a l’ambition d’éclairer le lecteur sur le déclin et la disparition de l’Empire, causé en grande partie par les bouleversements de la deuxième guerre mondiale, avec la consolidation parallèle plus ou moins artificielle du Commonwealth, en mentionnant à peine quelques-unes des guerres coloniales que le Royaume Uni mena par exemple en Malaisie ou au Kenya, sans s’attarder trop sur des dossiers de décolonisation, tels ceux de Rhodésie ou d’Afrique du Sud, qui ne trouvèrent de solution qu’à la fin du vingtième siècle.

    La revue évoque aux pages 118 et 119 la question irlandaise, un dossier le plus souvent ignoré d’une des colonies les plus proches et les plus anciennes de Londres.

     Dans un tout autre domaine, celui de la Palestine rarement évoqué par les médias, et traité dans la contribution intitulée « Stützpunkt im Westpennest » par Mme Von Annette Grossbongart (p,120), le titre lui-même suffit à caractériser le rôle joué par la Grande Bretagne dans cette région sensible du globe :

    « Gut 30 jahre  lang herrschten die Briten im Nahen Osten, dann flohen sie vor Terror des judisch-arabischen Konflikts. Dabei hatten sie mit ihrer Schaukepolitik  selbst zur Eskalation beigetragen.”

      Comment les Britanniques ont avec les oscillations dans leur politique contribué à l’escalade au Proche Orient.

        L’interview se conclut sur la question :  «  Was bleibt vom Empire ?   Que reste- t-il de l’empire ?

    –    A cet égard, il me vient une expérience personnelle. Je passais des vacances avec mon épouse en France, et là-bas il y avait une innombrable colonie d’Anglais, comme par exemple dans le Périgord, qui depuis longtemps au Moyen Age appartenait à la couronne anglaise. J’étais alors frappé du fait que les Anglais restaient volontiers entre eux, par commodité, pour éviter de parler la langue du pays et organiser leur propre marché. Plus tard, j’ai lu un article dans le Sunday Times qui donnait la réponse sur l’endroit où les Anglais préféraient s’installer. Les principales critiques étaient : Où trouve-t-on des journaux anglais ; où –y-t-il des « Baked Beans, ou une « marmite » à point. C’est une tradition connue des Britanniques de préférer la tartine avec le goût des cubes Maggi. » (page 21)

       Une conclusion sous la forme d’une pirouette qui tendrait à caractériser un Empire rétréci à ce point ?

       Was Bleibt vom Empire ? (page 138)

     La réponse est peut-être à trouver dans le texte que propose un autre historien, Jürgen Osterhammel, que la revue a questionné précisément sur ce sujet.

    L’historien fait des gammes sur la notion d’ « héritage historique ». Pour l’Empire britannique ce serait « ce qui manquerait, si l’empire n’avait jamais existé ». Il déclare que « ce pourraient être tout d’abord le Commonwealth et la langue anglaise ».

      Puis, il s’attache à montrer que, de fait, Commonwealth et langue anglaise ont coupé les liens avec l’Empire britannique : «  C’est un club qui a sa vie propre (« ein Eigenleben »), la langue anglaise se développe pour des raisons qui n’ont plus rien à voir avec l’empire ». (aus Gründen, die mit dem Empire nichst mehr zut tun haben »)

     Pour Osterhammel, l’empire n’est plus visible que dans les vestiges architecturaux en Angleterre et dans le système judiciaire (« common law ») des anciennes colonies et autres possessions. ( Le droit anglais continuerait à influencer Israël dans certains domaines).

     Au crédit de l’« héritage » il pointe le fait que parmi les « failed states » et les dictateurs il n’y en a pas « pas trop » (nichst überdurchscnittloch viele) avec un passé colonial anglais, ainsi que le statut de Hong Kong au sein de la Chine.

   Mais la note générale reste critique. Il éprouve le besoins de dire qu’il ne reste pas grand-chose du « rôle particulier des Britanniques dans l’économie mondiale », « tout en reconnaissant parallèlement que Londres, comme place financière, a toujours eu un rôle impérial. « 

   Il termine son essai (Schlierzlich : en philosophe : « Après le déclin de tout empire ne subsistent que les souvenirs (Errinerungen). Et ces souvenirs restent « vivants » ou entrent au musée. En Afrique, où la période coloniale est encore contestée, ils restent vivants. »

   Par ailleurs, et en ce qui concerne la notion de probabilité historique d’une conséquence liée à une situation impériale telle que celle par exemple de l’empire britannique, avec la langue anglaise : que ce serait-il passé si l’empire n’avait pas existé en Birmanie ou en Malaisie (deux exceptions dans le règne de la langue anglaise), ou en Nouvelle Zélande : «  l’hypothèse selon laquelle l’indigène Maori n’aurait jamais pu trouver son chemin vers la démocratie… »

    Ou en Afrique où ce continent aurait pu se développer « naturellement » de façon harmonieuse et prospère.

     Toutes questions auxquelles il est difficile de répondre, mais l’historien déclare :

     « Avec toutes ces difficultés, la critique en un mot  est : que reste-t-il de l’Empire britannique ? Deux réponses peuvent à peine être contestées : le Commonwealth et la langue anglaise. »…

      « Le Commonwealth subsiste seulement aujourd’hui aussi, car les politiques britanniques ont été assez avisés pour ne pas chercher à sauver de la décolonisation un empire fantoche et de faire du Commonwealth un instrument de la politique étrangère britannique

      Aujourd’hui, 54 états sont dans le Commonwealth, avec depuis 1995, deux autres états, le Cameroun et le Mozambique qui n’étaient pas des colonies britanniques (à l’exception du Cameroun occidental qui comme mandat de la société des nations fut annexé en 1922 au Nigéria…

     Une distinction fondamentale avec l’Empire – peut-être la plus importante- réside dans le fait que le Commonwealth n’est pas une puissance militaire. » (page139)

    Pour les petits Etats comme pour les micro-états des Caraïbes et du Pacifique, le Commonwealth constitue un « forum de contacts et d’entraide »

      « Un demi- siècle après la fin de l’Empire britannique, le Commonwealth n’est pas un tas de ruines de la grandeur impériale, ni le prolongement du ministère des Affaires Etrangères britannique, mais un rassemblement volontaire d’états souverains dans l’esprit britannique inspiré de la transnationalité….

      Le Commonwealth est inoffensif (ce que l’on peut rarement dire des Empires) mais aussi sans aucune influence notable sur la politique mondiale.

     La langue anglaise est sans doute un héritage plus large de l’Empire… 

     M.Osterhammel rappelle qu’une discussion avait été engagée dans l’Empire des Indes,  dans les années 1930, pour savoir si les fils de l’élite indienne devaient être socialisés à l’image européenne ou asiatique. L’anglais s’est en définitive imposé de façon déterminante, mais aussi à cause de l’intérêt que les Indiens portaient à une langue de communication mondiale.

   « Aujourd’hui, l’anglais se propage en tant que seconde  langue enseignée aux autochtones pour des raisons qui n’ont plus rien à faire avec l’Empire

     Si l’anglais est sans concurrence la plus importante langue étrangère, il n’est plus possible de voir dans ce fait une suite lointaine du siècle impérial…

    Aussi, aujourd’hui, aucune autre langue ne peut surpasser la richesse du langage spécialisé des anglais : boursiers, guides touristiques, physiciens et économistes, communiquent ensemble pour l’essentiel, chaque fois dans la langue anglaise internationale. Presque personne ne se souvient à ce sujet de l’Empire britannique »

    L’auteur rappelle alors que la plupart des anciennes colonies ont conservé l’ordre juridique et le système judiciaire hérité de la période coloniale, tout en soulignant :

    « On doit de toute façon convenir que parmi les états défaillants (« failed states ») et les dictatures actuelles il n’y en a pas trop avec un passé colonial britannique. »

      L’historien cite les deux cas du Soudan et du Zimbawe.

      Il évoque enfin l’évolution très particulière de Hong Kong rattachée à nouveau à la Chine, en 1997.

     Au bilan mondial de l’année 2011, et sur l’échelle de l’index de développement humain des   Nations Unies, en cherchant à quantifier la qualité de vie, on en trouve sept parmi les Etats de tête, qui ont un passé colonial anglais.

     M. Osterhamel souligne enfin que l’Empire britannique était encastré dans « le système britannique impérial. Là-dedans on entendait toutes les structures économiques mondiales qui ont été créées et aussi en partie dirigées et manipulées par la Grande Bretagne…

      De ce rôle particulier, dans le monde économique, il n’est pas resté grand-chose »

      La conclusion de son analyse est intéressante, en tout cas pour l’Afrique puisqu’il y souligne que « l’image historique de la période coloniale, pour les historiens, les médias et les politiques qui, dans leur majorité, ont collaboré, est jusqu’à maintenant contestée. Aussi longtemps que l’Empire agitera les esprits, son souvenir ne deviendra pas entièrement un musée. » (page 141) 

      Michel Auchère, dans sa traduction et son commentaire précisait :

« S’il y a eu « collaboration », c’est collaboration entre les trois catégories pour la confection de l’image. »

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Troisième Partie: Le legs colonial des deux empires avec le regard d’historiens de la « périphérie » ou de « l’histoire connectée »

Troisième Partie :

Le legs colonial des deux empires avec le regard d’historiens de la « périphérie » ou de « l’histoire connectée »(UNESCO)

« Histoire générale de l’Afrique » Editions de l’UNESCO

Un autre regard sur les deux empires coloniaux : quels ont été les effets du « colonialisme » français ou anglais ?

La deuxième partie a été publiée le 10 février 2014

 Le premier mérite de cet ouvrage est de répondre aux critiques souvent justifiées à l’encontre de l’écriture d’une histoire du monde par des écoles d’historiens occidentaux trop imprégnés encore d’ethnocentrisme.

 L’UNESCO a publié plusieurs volumes d’une série historique intitulée “Histoire Générale de l’Afrique ». (917 pages)

           Le volume VII « L’Afrique sous domination coloniale, 1880-1935 » dirigé par M. A.Adu Boahen, un historien d’origine ghanéenne, constitue une bonne source d’analyse et de synthèse des comparaisons qui pouvaient être effectuées entre les deux empires coloniaux, même si certains historiens le jugeront dépassé en date (1985).

        M.A.Adu Boahen avait pour assistant de rédaction M.Kwarteng, l’auteur du livre « The ghosts of Empire » qui a fait l’objet d’une lecture critique sur ce blog.

      Ces analyses très complètes portent sur l’histoire de l’ensemble des territoires qui ont fait partie des deux empires, mais tout autant sur ceux qui ont été conquis par d’autres nations européennes (Allemagne ou Portugal), en examinant de façon critique les différentes périodes, les conquêtes, la mise en place du système colonial, les résistances et les accommodements mis en œuvre, les conséquences que le « colonialisme » a eues sur les sociétés et les cultures africaines.

       Précisons à nouveau qu’il s’agit, dans cette partie de l’essai, d’une comparaison qui concerne l’Afrique seulement, donc d’un exemple colonial parmi tous les autres qui auraient pu concerner d’autres continents, notamment l’Asie dominée par les Britanniques qui fera l’objet de la quatirème partie.

       Le chapitre 30 rédigé par M.A.Adu Boahen, intitulé « Le colonialisme en Afrique : impact et signification » propose un éclairage tout à fait intéressant sur cette période historique, d’autant plus intéressant qu’il tente de dresser un bilan équilibré de cette période :

      « Aucun sujet n’est probablement aussi controversé que l’impact du colonialisme sur l’Afrique » (p,838)

      Jugements positifs ou négatifs : « Mais les faits dont nous disposons indiquent qu’une estimation plus équilibrée est nécessaire et c’est ce que nous tenterons ici. » (p,839)

     A lire les histoires de la conquête de très nombreux territoires d’Afrique, puis de leur administration, de leur colonisation, ou de leur développement, il est très difficile d’établir des comparaisons pertinentes, tant les territoires africains étaient déjà très différents, alors qu’il y avait presque autant de situations coloniales que de territoires.

     Comme je m’en suis expliqué longuement dans les textes que j’ai consacrées au sujet des sociétés coloniales, toute analyse et toute réflexion ne peuvent échapper aux deux concepts clés de « situation coloniale «  et de « moment colonial ».

      Quoi de commun en Afrique, entre les pays du Maghreb et ceux d’Afrique occidentale ou orientale ? Entre les territoires de l’Afrique occidentale tropicale et ceux de l’Afrique orientale ?  

    Entre les territoires climatiquement favorables au peuplement blanc, Kenya, Rhodésie, ou Afrique du Sud, et ceux défavorables, situés précisément dans cette Afrique tropicale.

    Au-delà de ses caractéristiques géographiques, humaines, économiques et sociales, de ses atouts et obstacles, chacune des colonies a constitué, à chacune des époques considérées, une sorte de théâtre où s’est joué une intrigue coloniale, presque jamais la même.

     C’est toutefois dans l’Afrique tropicale, que la comparaison entre les deux types de colonialisme, l’anglais et le français, a le plus de crédibilité, mais cette zone coloniale n’était pas du tout représentative de la réalité géographique et économique de l’empire anglais.

    Il convient d’ajouter pour ce qui concerne l’Afrique occidentale de type tropical, qu’à la différence de la conquête anglaise, la conquête française fit face à un défi géographique longtemps infranchissable, celui des accès maritimes et fluviaux vers l’hinterland, fort bien décrit par le géographe Richard-Mollard, à la différence du grand territoire voisin que devint le Nigéria bien desservi par le fleuve Niger.

     Et si l’on étend la comparaison à l’ensemble du domaine colonial anglais, quoi de commun entre l’Empire des Indes, les territoires d’un Commonwealth en gestation (Canada, Australie, Nouvelle Zélande), les colonies anglaises de peuplement blanc en Afrique orientale, et la seule française, c’est-à-dire l’Algérie ?

    Au sein de cet immense continent africain, deux pays échappèrent à l’emprise coloniale des Européens, le Libéria et l’Ethiopie.

     Le Libéria fut une création artificielle d’un Etat côtier par les Etats Unis pour y accueillir d’anciens esclaves volontaires et y fonder une nouvelle société africaine. Cet Etat eut la particularité de voir une immigration noire plus évoluée que la population locale éprouver le même type de difficulté que les nations européennes pour y imposer leur marque de modernité, usant souvent des mêmes méthodes de colonisation que les blancs.

    L’Ethiopie fut l’autre exception. Le Négus sut résister aux troupes italiennes auxquelles il infligea la défaite célèbre d’Adoua en 1896, rare exemple d’une résistance armée qui réussit aux dépens d’un envahisseur européen.

    A travers les analyses très complètes de  cette somme scientifique que l’Unesco a consacrée à la période coloniale considérée, il est naturellement possible de retracer le parcours comparé du « colonialisme » britannique et français en Afrique, avec leurs caractéristiques, leurs problématiques et leur impact sur les sociétés du continent africain, c’est-à-dire les legs qu’ils y ont laissés.

   Violence des opérations de conquête militaire, incontestablement pour les deux puissances coloniales, mais avec un nombre plus important de grandes expéditions militaires dans l’empire anglais, que son étendue géographique beaucoup plus grande ne suffit pas à expliquer complètement.

     Le sujet a déjà été abordé plus haut.

     Les grandes expéditions militaires françaises contre les Almamy Ahmadou ou Samory dans le bassin du Niger, contre le roi Béhanzin, au Dahomey, ou contre la reine Ranavalona III à Madagascar, font, d’une certaine façon, pâle figure par rapport aux grandes expéditions anglaises, la grande expédition de Kitchener au Soudan Egyptien, les quatre guerres contre les Ashantis en Gold Coast (Ghana), ou enfin les guerres contre les Zoulous et les Boers d’Afrique du Sud.

    Violence de la domination coloniale, dans presque tous les domaines de la vie des sociétés africaines, un choc politique, religieux, cultureléconomique et social, avec l’ouverture au monde des échanges mondiaux par la création de voies de communication, la mise en place  d’organisations de type bureaucratique qui n’existaient pas encore, une langue commune anglaise ou française, le travail forcé, le respect des convictions et des coutumes de type religieux, musulman, fétichiste ou animiste,- on le leur d’ailleurs quelquefois reproché-, le développement de villes nouvelles, la destruction des réseaux économiques traditionnels  de même que les artisanats et industries coutumières…

   Avec l’imposition de ses codes de domination dans tous les domaines !

    Violence aussi des prises de possession foncière au profit de colons blancs, telles que celles nombreuses, opérées dans l’empire anglais, au Kenya, en Rhodésie, et en Afrique du Sud., bien plus considérables que celles d’Algérie, pour ne pas citer celles beaucoup plus limitées d’Afrique occidentale ou de Madagascar, et pour ne pas rappeler, en dehors de l’Afrique anglaise, celles d’Australie ou de Nouvelle Zélande.

    Les résistances africaines  – Le livre décrit fort bien l’ensemble de ces violences et l’ensemble des résistances qui s’opposèrent dans la plupart des territoires d’Afrique aux invasions européennes, des résistances qui prirent des formes très diverses au fur et à mesure des prises de possessions coloniales territoriales.

    Dans leur histoire des conquêtes et de la colonisation, les Européens ont eu trop tendance, au début, à minorer ou à biffer tout simplement l’étendue et la diversité des résistances africaines, plus ou moins fortes ou durables, que les puissances coloniales rencontrèrent face à tel ou tel adversaire organisé ou inorganisé, et disposant déjà ou non, d’armes à tir rapide, mais les plus récents se sont bien rattrapés en exaltant ces résistances, tel Yves Person, dans son histoire de l’Almamy Samory, dans le bassin du Niger.

    L’ensemble des contributions de ce livre montre que l’Afrique ne s’est pas livrée, sans combat, sans résistance, aux deux puissances coloniales, mais sans avoir ni l’ambition, ni la possibilité, de mesurer le degré de résistance des différents adversaires, il semble que l’impérialisme britannique ait soulevé beaucoup plus d’opposition guerrière ou non que l’impérialisme français, notamment en raison à la fois de son ambition d’imposer son colonat blanc en Afrique orientale et australe, et parce que certains des territoires convoités disposaient déjà d’organisations de type étatique beaucoup plus fortes, et mieux enracinées que dans l’Afrique occidentale.

     Résistances, mais aussi accommodements entre les deux adversaires ou partenaires obligés, car beaucoup d’émirs, de rois, de roitelets, ou de grands chefs tentèrent d’amadouer, de gagner du temps, de contourner leurs adversaires, et finirent par composer, par collaborer  avec les nouvelles puissances dominantes.

   D’où toute l’importance de l’existence des truchements entre colonisateur et colonisé, des truchements qui devinrent de plus en plus importants au fur et à mesure de la marche des colonisés vers l’indépendance.

Le bilan Boahen

   Dans le chapitre 30, intitulé « Le colonialisme en Afrique : impact et signification » (p,837), M.A. Adu Boahen fait le bilan positif et négatif du colonialisme en Afrique, et ce bilan éclaire naturellement la comparaison qu’il est possible d’établir entre les deux empires.

Il convient de souligner qu’il ne s’agit que du bilan proposé pour l’Afrique et par les historiens qui y ont collaboré.

     « Dans ce chapitre, qui conclut le présent volume, nous voudrions nous poser deux questions essentielles. En premier lieu : Quel héritage le colonialisme a-t-il légué à l’Afrique ? Ou encore : Quel a été son impact sur elle ? En second lieu : Quelle est – eu égard à cet impact, à ce bilan – la signification du colonialisme pour l’Afrique ? Constitue-t-il un épisode révolutionnaire ou essentiel de l’histoire de ce continent ? S’agit-il d’une rupture totale avec son passé ou finalement, d’un simple événement transitoire ? »

     L’historien penche pour l’hypothèse d’une accélération de l’histoire africaine et retient dans l’ensemble des facteurs analysés quelques-uns d’entre eux qui lui paraissent plus déterminants que d’autres, sur un plan positif, l’instauration d’une paix civile et l’immersion du continent dans une économie de type monétaire, avec l’extension de l’urbanisation, et sur un plan négatif, la création d’armées professionnelles qui n’ont pas fini de peser sur les destinées de ce continent, et tout autant, la pratique généralisée des discriminations coloniales qui ont déstabilisé les sociétés coloniales.

    Ces réflexions générales s’appliquent naturellement aux finalités et au fonctionnement des deux empires, mais il est possible d’aller plus loin dans les comparaisons en suivant le chemin d’’analyse de l’historien, avec l’impact du colonialisme dans le domaine politique, dans le domaine économique, et dans le domaine social, qu’il s’agisse de l’empire anglais ou du français.

    1 – Impact politique : administration coloniale directe, standard, à la Française, ou indirecte, au coup par coup, à l’Anglaise, sous le vocable de l’indirect rule de Lugard ou du double mandat, avec pour les deux puissances coloniales le souci numéro 1 de laisser les colonies se financer elles-mêmes.

Il convient toutefois d’observer que les approches institutionnelles britanniques furent différentes entre les territoires de peuplement blanc et les territoires tropicaux pour lesquels la puissance coloniale entendait encore moins s’engager dans la gestion indigène.

Plus haut, nous avons un peu relativisé les différences de conception entre l’administration directe à la française et l’administration indirecte à l’anglaise, en adhérant aux observations du professeur M’Bokolo sur le sujet.

     L’historien fait l’inventaire des impacts positifs ou négatifs du colonialisme :

    Positifs, « l’instauration d’un plus grand degré de paix et de stabilité en Afrique » (p,839), « la création même (au niveau géopolitique) des Etats indépendants, modernes, d’Afrique… » « deux institutions nouvelles que l’indépendance n’a pas entamées : un nouveau système judiciaire, une nouvelle bureaucratie ou administration. »… « non seulement la naissance d’un nouveau type de nationalisme africain, mais aussi celle du panafricanisme. » (p,840,841)

   « Mais si les effets positifs du colonialisme sont indéniables, ses aspects négatifs sont encore plus marqués. »(p,841)

   Un nationalisme « provoqué par un sentiment de colère, de frustration et d’humiliation suscité par certaines mesures d’oppression, de discrimination et d’exploitation introduites par les autorités coloniales » (p,841)…  même si l’on admet que la structure  géopolitique est une réussite (une fois de plus accidentelle), on doit convenir qu’elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout… »(p,841)

    «  Il faut mentionner un autre aspect important mais négatif, de l’impact du colonialisme, l’affaiblissement des systèmes de gouvernement indigène … » (p,842)…» 

  «  Un autre impact négatif du colonialisme, du point de vue politique, est la mentalité qu’il a créée chez les Africains et par laquelle toute propriété publique n’appartenait pas au peuple, mais aux autorités coloniales blanches… » (p,843)

    « Un pur produit du colonialisme, et qui est souvent ignoré par la majeure partie des historiens, mais qui s’est avéré d’une importance absolument cruciale, est comme l’a bien montré l’étude de R.F.Betts (chapitre 13), l’existence d’une armée permanente ou à plein temps… » (p,843);

    « Le dernier impact négatif du colonialisme, probablement le plus important, a été la perte de souveraineté et de l’indépendance, et avec elle, du droit des Africains à diriger leur propre destinée ou à traiter directement avec le monde extérieur… » (p,844)

   Commentaire cette description s’applique assez bien aux deux types d’impérialisme, avec deux remarques toutefois :

–       L’impérialisme britannique de l’indirect rule a contribué à préserver, plus que l’impérialisme français, des structures de gouvernement indigène très variées.

–       Il convient de noter toutefois qu’à l’occasion de l’indépendance des territoires de mouvance britannique ou française, ces structures locales ont été le plus souvent effacées.

–       L’impérialisme français a inscrit son évolution dans un rêve d’assimilation et d’égalité inatteignable, alors que l’anglais l’inscrivait dans un modèle d’imitation du « nous sommes les meilleurs ».

    2 – L’impact dans le domaine économique

    Le positif

    « Le premier effet positif du colonialisme – le plus évident et le plus profond – comme le montrent maints chapitres antérieurs, la constitution d’une infrastructure de routes et de voies ferrées, l’installation du télégraphe, du téléphone, et, parfois, d’aéroports. «  (p,844)

    « L’impact du colonialisme  sur le secteur primaire de l’économie est tout aussi significatif et important….

    Cette révolution économique eut quelques conséquences d’une portée incalculable. La première fut la commercialisation de la terre, qui en fit une valeur réelle. Avant l’ère coloniale, il est incontestable que d’énormes étendues de terre, dans de nombreuses parties de l’Afrique, étaient non seulement sous-peuplées, mais aussi sous-exploitées. » (p,844)

    « Un autre effet révolutionnaire du colonialisme, dans presque toutes les régions du continent, fut l’introduction de l’économie monétaire

   Le négatif

    « En premier lieu, comme M.H.Y.Kaniki l’a souligné plus haut (chapitre 16), l’infrastructure fournie par le colonialisme n’était ni aussi utile, ni aussi adaptée qu’elle aurait pu l’être. La plupart des routes et des voies ferrées ne furent pas construites pour ouvrir le pays….

    En deuxième lieu, la croissance économique des colonies était basée sur les ressources naturelles des régions, ce qui signifiait que les zones dépourvues de ces ressources étaient totalement négligées. » 

   « En troisième lieu, l’une des caractéristiques de l’économie coloniale a consisté à négliger ou à décourager délibérément l’industrialisation et la transformation des matières premières et des produits agricoles dans la plupart des colonies…

    En quatrième lieu, non seulement l’industrialisation fut négligée, mais les industries et activités artisanales telles qu’elles ont existé en Afrique  à l’époque précoloniale furent détruites….

    En cinquième lieu, même si l’agriculture intensive en vint à constituer la principale source de revenus de la plupart des Etats africains, aucune tentative ne fut faite pour diversifier l’économie rurale des colonies… (p,847)

    En sixième lieu, la commercialisation des terres dont nous avons déjà parlé conduisit à la vente illégale des terres communales, pratiquées par des chefs de famille sans scrupules, ou à des litiges croissants qui provoquèrent partout une grande pauvreté, surtout parmi les familles dirigeantes…

   Enfin, tous les progrès réalisés pendant la période coloniale le furent à un prix élevé et injustifiable pour les Africains ; travail forcé, travail migratoire (lesquels déclare Davidson, – firent probablement plus pour démanteler les cultures et les économies précoloniales que presque tous les autres aspects de l’expérience coloniale réunis »), culture obligatoire de certaines plantes, saisie forcée des terres, déplacements de populations (avec comme conséquence la dislocation de la vie familiale), système des « passes », taux de mortalité élevé dans les mines et les plantations, brutalité avec laquelle les mouvements de résistance et de protestation provoqués par ces mesures furent réprimés…

   On peut donc conclure  sans risque que, malgré les protestations de Gann et Duignan, la période coloniale a été une période d’exploitation économique impitoyable plutôt que de développement pour l’Afrique et que l’impact du colonialisme sur l’Afrique dans le domaine économique est de loin le  plus négatif de tous. » (p,850)

    Commentaire :  

–       Les effets ainsi décrits ont évidemment existé dans les deux empires, mais avec des composantes et une intensité propres à chacune des colonies et à chaque époque du colonialisme : quoi de commun, au début du vingtième siècle, entre le développement souffreteux, quasi-artisanal, de l’Afrique occidentale et l’explosion de l’industrie minière du Congo Belge à Elisabethville au Katanga, et de l’Afrique Australe à Johannesburg, avec leurs conséquences dévastatrices sur les sociétés locales ?

–       Pourquoi ne pas poser la question et y répondre en même temps, à savoir si les effets du colonialisme y ont été tellement différents de ceux du capitalisme dans la forme qui fut la sienne au dix-neuvième siècle  dans les bassins industriels d’Europe, avec l’exploitation d’un prolétariat souvent venu du monde rural ?

  3 – L’impact social

  Les effets dans le domaine social (p,850)

   « Quel est, enfin, l’héritage du colonialisme sur le plan social ? Le premier effet bénéfique a été l’accroissement général de la population africaine au cours de la période coloniale…

   Le second impact social du colonialisme est étroitement lié au premier : c’est l’urbanisation… Il y avait sans nul doute une amélioration de la qualité de vie, particulièrement pour ceux qui qui vivaient dans les centres urbains…

    La diffusion du christianisme, de l’islam et l’éducation fut un autre impact important du colonialisme…

    Autre effet colonial d’importance dont l’avantage, on le verra, est discutable : l’institution d’une lingua franca pour chaque colonie, ou chaque ensemble de colonies…

   Le dernier bénéfice social apporté par le colonialisme est la nouvelle structure sociale qu’il introduisit dans certaines parties de l’Afrique ou dont il accéléra le développement dans d’autres parties du continent. Comme A.E.Afigbo l’a signalé (chapitre 19) bien que la structure sociale traditionnelle permit la mobilité sociale, sa composition de classe semble avoir donné un  poids excessif à la naissance… (p,852)

    « Mais, si le colonialisme eut certains effets sociaux positifs, il en eut aussi de négatifs, et même de très négatifs. En premier lieu, il faut mentionner la coupure grandissante entre les centres urbains et les zones rurales…

    Le second problème social grave est celui des colons européens et asiatiques…

   De plus, même si le colonialisme introduisit certains services sociaux , il faut souligner que non seulement ces services étaient globalement inadaptés et distribués inégalement dans chaque colonie, mais qu’ils étaient tous destinés, en premier lieu, à la minorité des immigrés et administrateurs blancs, d’où leur concentration dans les villes…

   Dans le domaine de l’éducation, ce qui fut fourni pendant l’époque coloniale s’est révélé globalement inadéquat, inégalement distribué et mal orienté ; les résultats n’ont pas été aussi positifs pour l’Afrique qu’ils auraient pu l’être…(p,855)

   Aussi bénéfique qu’ait été la lingua franca promue par le système éducatif, elle a eu la regrettable conséquence d’empêcher la transformation de certaines langues indigènes en langues nationales ou véhiculaires…

    Un autre impact hautement regrettable du colonialisme a été la détérioration du statut de la femme en Afrique. C’est là un sujet nouveau, qui exige d’autres recherches, mais il ne semble guère douteux que les femmes aient été exclues de la plupart des activités introduites ou intensifiées par le colonialisme, comme l’éducation, les cultures d’exportation dans certaines parties d’’Afrique, de nombreuses professions comme le droit, la médecine, les mines, etc… «  (p,857)

    Commentaire : cette dernière observation est pour celui qui a un peu fréquenté les cultures africaines tout à fait surprenant, et à mes yeux sujette à discussion, alors que l’analyse qui suit, relative au racisme et à la discrimination du système colonial, est tout à fait pertinente.

     « De plus, du fait du colonialisme, les Africains étaient méprisés, humiliés, soumis à une discrimination à la fois ouverte et feutrée. De fait, A.E.Afigbo a pu soutenir plus haut (chapitre 19) que l’un des effets sociaux du colonialisme a été « le rabaissement généralisé du statut des Africains ». ..

   Ainsi bien que l’élite cultivée, comme on l’a souligné plus haut, ait admiré la culture européenne et ait participé aux guerres des métropoles pour s’identifier à l’Occident, elle ne fut jamais acceptée comme l’égale des Européens, fut exclue de la société de ceux-ci et n’eut jamais le droit de vivre dans les quartiers européens des villes, quartiers que Sembene Ousmane  a appelé «  le Vatican » dans son roman « Les bouts de bois de Dieu. »

   «  Certains historiens comme M.H.Y.Kaniki en ont conclu que « le colonialisme a produit ses propres fossoyeurs », tandis que Robin Maugham a pu soutenir que « sur la pierre tombale de l’Empire britannique » (dans lequel cette discrimination raciale était la plus ouverte) on pourrait écrire : « mort de mépris ». (p, 858)

    « La discrimination raciale a également créé chez certains Africains un sentiment profond d’infériorité » que A.E.Afigbo a défini dans le chapitre 19 d’une manière très succincte  – comme une tendance à perdre confiance en soi et en son avenir – bref un état d’esprit qui, à certains moments, les encourageait à imiter aveuglément (et l’on pourrait ajouter à servir) les puissances européennes. Ce sentiment d’infériorité n’a pas entièrement disparu, même après vingt ans d’indépendance.

    Pire encore a été l’incidence du colonialisme dans le domaine culturel. » (p,859)

   Avant de faire quelques remarques sur la pertinence de l’analyse ci-dessus qui vaut pour les deux empires, redonnons la parole à l’historien :

   «  En conclusion donc, bien que le colonialisme ait été sans aucun doute un simple chapitre d’une longue histoire, un épisode ou un interlude dans les expériences multiples et diverses des peuples d’Afrique, qui n’a duré nulle part plus de quatre-vingt ans, il s‘est agi d’une phase  extrêmement importante du point de vue politique, économique et même social. Il a marqué une nette coupure dans l’histoire de l’Afrique ; le développement ultérieur de celle-ci, donc de son histoire, a été et continuera à être très influencé par l’impact du colonialisme. Il prendra un cours différent de celui qu’il aurait suivi si cet interlude n’avait pas existé. La meilleure manière d’agir pour aujourd’hui, pour les dirigeants africains, n’est donc pas de biffer le colonialisme, mais plutôt de bien connaître son impact afin d’essayer de corriger ses défauts et ses échecs. » (p, 864)

    Commentaire

    Comme on le voit M.A. Adu Boahen inscrit son propos dans le cours de l’histoire du monde, pour ne pas dire des mondes, et le choix du terme « interlude » est significatif à cet égard, un regard historique qui est proche d’une lecture chinoise du « cours des choses », une évolution naturelle du monde que le sage taoïste doit savoir interpréter pour s’adapter plus que pour le changer.

    Qu’il s’agisse de l’empire britannique ou de l’empire français, l’impact du colonialisme, certains préfèreraient le terme colonisation, dans le domaine politique, économique ou social,  a sans doute, et en gros, été à peu près le même, en notant toutefois que l’empire français n’a jamais eu le prestige de l’empire britannique, et que sans contestation possible, les relations existant entre Blancs et Noirs ont été très différentes dans les deux empires, le système du « Colour Bar » avait une force et une mise en application que n’a jamais eu le « Code de l’Indigénat ».

    L’analyse qui a été faite a souligné à juste titre l’importance des relations racistes et discriminatoires des systèmes coloniaux des deux puissances, avec leurs effets délétères sur les élites et les peuples colonisés, en relevant que le système anglais mettait en œuvre une conception du « nous sommes les meilleurs », alors que les Français nourrissaient  l’ambition ou l’intention de faire des Noirs leurs égaux, comme ils avaient commencé à le faire au Sénégal, dans la perspective complètement irréaliste d’une assimilation possible quelles que soient les « situations coloniales » ou les « moments coloniaux ».

     De même que l’empire français ne mit jamais en application un système de ségrégation et de discrimination raciale comparable à l’anglais, avec à l’extrême le régime du « Colour Bar » qui dura longtemps, bien après les indépendances.

    Parmi les effets négatifs du colonialisme  anglais ou français, recensés par cette étude, l’un d’entre eux a très souvent été, ou ignoré ou minimisé, celui du complexe d’infériorité que le système colonial aurait diffusé, distillé,  et infusé au sein des populations soumises.

    Mon vieil ami Michel Auchère, ancien ambassadeur au Ghana, m’a toutefois fait remarquer : « En tout cas, c’est sûr, que j’aurais bien fait rire un ami ghanéen en évoquant son « complexe d’infériorité ».

 Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés