Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? 5 (B) – Propagande coloniale -Les sources – le Colloque de janvier 1993

Propagande coloniale  5 (B)

Le Colloque de janvier 1993

L’historien Meynier y signa une contribution intitulée « Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre-deux guerres. »(C,p,41)

            « L’objet de cette communication est de faire ressortir par un exemple, les images mises en œuvre par le colonisateur français au moment de la guerre de 1914-1918 et au cours de la période de l’entre-deux guerres sur les « indigènes » dans le cas algérien principalement. Il est d’étudier en quoi la production de ces images relève d’une conscience française volontariste, c’est-à-dire d’un projet politique. Mais en quoi aussi, ce projet provient d’un  inconscient à l’œuvre dans les représentations françaises, en quoi il est inséparable de fantasmes travaillant telle ou telle partie de la société française, et qui ne se réduisent pas forcément au seul champ colonial. » (C,p,41)

Vaste sujet d’étude historique comme peut le constater le lecteur, mais aussi sans doute la surprise de voir surgir dans ce champ à la fois les images et l’inconscient !

            Notons que la communication limitait sa réflexion « dans le cas algérien principalement ».

            L’historien notait : « Une foule de livres de vulgarisation font honte aux Français de leur peu de foi coloniale. Sous la houlette d’Albert Sarraut, éclosent des flots de brochures, de tracts, de photos, de films destinés à exalter l’idée coloniale.  (Sans autre précision, ni évaluation)…

            Ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française…

            Au Parlement, les débats coloniaux continuent à ne pas faire recette.

            Compte tenu de ce constat et des images officielles proposées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan, lorsqu’on évoque les colonies ? » (C,p,43)

            Quittons provisoirement le propos de cet historien dans son analyse de l’imaginaire français et de l’inconscient français, pour aller directement à sa conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent des stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français, et il doit très peu au grand large. »(C,p,48)

       Est-ce qu’en écrivant ce type de propos, le grand historien, à l’exemple d’autres, n’a pas entrouvert la boite de Pandore d’où sont sortis les maux surtout inconscients dont souffre aujourd’hui notre histoire postcoloniale ?    

    Sans oublier que l’historien visait le cas algérien, un exemple de l’importance de la « matrice » algérienne très influente qu’a décrite récemment l’historien Vermeren dans le livre « Le choc des décolonisations ».

            La conclusion du Colloque (C,p,141) rappelle qu’environ six cents images de toute nature ont été présentées et commentées. Elle s’inscrit dans la ligne de pensée du discours que nous critiquons, sous la signature de deux historiens, Gilles Manceron et Jean-Barthélémi Debost, que nous avons déjà croisé sur les livres scolaires et sur les affiches Elle conclut naturellement  à la filiation entre les images produites hier et celles diffusées aujourd’hui, tout en se posant la question de l’origine des images et de leurs  effets :

                « Image et propagande

            Autres questions :

                « « Quand y-a-t-il eu une production délibérée d’images de propagande ? Quel a été le rôle précis du parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré par exemple, que le parti colonial et l’Agence de la France d’outre-mer pour le ministère des colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse….

            Quand on évoque la propagande, il faut aussi essayer d’en distinguer les cibles. »(C,p,145)

Il est donc difficile d’en tirer un enseignement qui aurait fait progresser la connaissance de la propagande coloniale au cours de la période examinée. Comment enfin ne pas évoquer au sujet de la presse un souvenir professionnel ? Comment ignorer que dans beaucoup de journaux, en province ou ailleurs,  les journalistes se contentent de démarquer soit un bulletin de l’AFP, soit un communiqué du ministre ou du préfet, ou tout simplement d’une entreprise ou d’un groupement professionnel.

            Je ne résiste pas à vous conter une anecdote professionnelle qui concerne la Lozère et son classement en Zone Spéciale d’Action Rurale dans les années 60.

            Nous avons vu débarquer un jour un journaliste du Monde qui venait faire un papier sur le cas de ce département. Quelle n’a pas été notre surprise de voir ce professionnel être venu comme un  réalisateur de cinéma prendre tout simplement le décor d’un article déjà écrit à Paris !

            Dans le livre Images et Colonies, le livre paru dans le sillage du Colloque :

            L’historien Meynier y a fait paraître un article intitulé « L’organisation de la propagande » :

            Dans l’introduction de l’ouvrage, l’historien Blanchard n’avait pas fait dans le détail, en décrivant  à force de diffusion et de matraquage, un message capable de séduire un vaste public et en écrivant comment les français ont pu être séduits e/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande. (IC,p,8)

            Le lecteur aura relevé « pendant près d’un siècle », rien de moins ! Et le « matraquage » !

            Dans sa communication, l’historien Meynier manifestait une plus grande prudence :

            « Cette propagande qui met les colonies en images devrait être organisée par rapport au public- aux publics-  qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement, les matériaux manquent à l’historien pour en juger avec sûreté. » (IC,p,113)

            Déjà la douche froide !

            L’historien analysait successivement tout un ensemble de supports possibles de propagande, programmes scolaires, associations et groupements privés, organismes politiques. En ce qui concerne les 87 manuels d’histoire examinés, la part des colonies y restait modeste. Il donnait un sous-titre évocateur à la suite de son analyse :

         « Propagande et mise en image des colonies entre credo colonial et exotisme de masse »passage où il notait « que dans les cartes postales, destinées à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte encore plus encore que dans les autres productions. » En ce qui concerne les jouets,  c’est encore l’exotisme qui l’emportait. (IC,p,121)…

            « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est encore principalement un exotisme de masse » (IC,p,123)

Et en conclusion :

            « Mais bien après l’apogée de la propagande coloniale qui, pour le moment, ne releva guère d’une politique mais plutôt d’un air du temps relié à des images récurrentes amplifiées. « (IC,p,124)

Donc grande prudence de l’historien, tout à fait justifiée compte tenu de l’étroitesse du corpus examiné, 30 affiches, 76 images de magazines ou de livres à thème colonial, 116 cartes postales.

Notre conclusion intermédiaire : rien qui plaide précisément en faveur du matraquage d’une propagande coloniale qu’un bon historien a bien de la peine à décrypter et à situer.

          Nous ne nous attarderons pas sur la contribution de N.Bancel et G.Mathy intitulée « La propagande économique au cours de la période 1945-1962 » pour trois raisons :

            – Carence complète de la démonstration statistique du propos illustrée par les observations contradictoires suivantes :

            « Il est très difficile d’établir le chiffrage précis, à la fois de la diffusion des publications semi-officielles du Ministère et de l’impact de la diffusion  de cette iconographie par la presse. L’étude d’un corpus partiel permet d’affirmer que la propagande coloniale étatique a presque entièrement submergé l’iconographie des périodiques non spécialisés. » (IC,p,222)

Comment peut-on oser le mot submerger après avoir avoué son incapacité à apporter une quelconque démonstration statistique, qui était possible en analysant méthodiquement et non superficiellement la presse ?

            – Outrecuidance de l’analyse et des jugements :

            « L’appauvrissement du discours et des représentations coloniales, qui avaient forgé l’inconscient collectif colonial, marque la ligne historique qui sépare l’avant de l’après-guerre. » (IC,p,222) « L’hégémonie de la propagande coloniale (IC,p,224) Pour cerner de près les réalisations et sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie, nous devons revenir aux sources écrites » (IC,p,227) « Ces images témoignent d’un impérieux ethnocentrisme qui contredit tous les discours sur le respect des cultures et de l’histoire africaines martelés par la propagande. » (IC,p,229) Les images sur l’économie du continent africain qui martèlent dans les mémoires française son infériorité constituent une des facettes de l’idéologie du progrès » (IC,p/230)

            Le lecteur aura relevé les verbes forts forger et marteler. Il doit savoir que cette analyse s’inscrit dans une période où la France a fait un gros effort d’investissement public et non privé, et de planification pour le développement du continent africain. Les gouvernements successifs ont voulu mettre en scène leurs réalisations par une propagande adaptée qu’il conviendrait d’évaluer avec précision dans son volume financier, comparativement à des campagnes de publicité privée, ainsi que dans ses effets sur l’opinion.

            Précisons par ailleurs que cet effort financier n’aurait pas été possible en l’absence du Plan Marshall !

            – Une grande difficulté d’interprétation historique compte tenu de la brièveté de la période politique examinée, neuf années entre la Libération et la guerre d’Algérie, agitée par des conflits coloniaux. D’autant plus que l’Union française avait juridiquement succédé à l’Empire.

            Le lecteur constatera que cette analyse boursouflée est en complète contradiction avec le contenu de la suivante.

JPR –  TDR

Lettre aux Psy, docteurs en histoire coloniale, ou en journalisme

Lettre aux Psy, docteurs en histoire coloniale, postcoloniale, ou en journalisme

Adaptation libre, mais « savante », de la BD « Les psy » de Bedu-Cauvin, avec les docteurs Médard, Pinchart et Julie Clément

            Pour avoir lu beaucoup d’ouvrages ou de récits d’histoire coloniale ou postcoloniale, grande fut, trop souvent, ma surprise et ma perplexité, de  buter sur des mots qui relevaient, sans aucun doute possible, de la psychanalyse.

            De quelle maladie psychique pouvaient souffrir tous ces Français dont les «  psy » relevaient autant de de signes cliniques ? Qui étaient les malades ?

Le florilège savant des mots « psy », soi-disant symptômes de la maladie : les mots de la maladie

         La première fois, sans aucun doute, que j’ai rencontré ces mots psy fut, lorsque je m’attaquai à la lecture des ouvrages savants publiés par le collectif, non moins savant de chercheurs de l’équipe Blanchard and Co sur la culture coloniale ou impériale, à la suite d’un Colloque Images et Colonies, encore plus savant, tenu en janvier 1993, sur les images coloniales.

        Je me souviens de l’expression qu’une historienne bien connue de ce monde savant utilisait alors, à plusieurs reprises dans ses contributions, « l’inconscient collectif », aux côtés d’ailleurs d’une autre historienne spécialisée sur l’Afrique du Nord.

       De quoi s’agissait-il ? A quelle source faisaient-elles référence ? Comment mesurer cet inconscient ? Avec quels instruments historiques et scientifiques ?

       Madame Coquery-Vidrovitch faisait l’aveu qu’elle n’avait pas eu envie de venir à ce colloque, en indiquant « Pour comprendre un réflexe de ce type, il faut faire la psychanalyse de l’historien ».

          Les chercheurs eux-mêmes de ce collectif faisaient appel à tout un ensemble d’expressions de type psy, au choix de quelques-uns d’entre eux.

            Dans « Culture coloniale : « … comment les Français sont devenus coloniaux sans le savoir … coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel…

          L’école républicaine joue ainsi un rôle majeur en ancrant dans les consciences la certitude de la supériorité du système colonial français… le bain colonial… Une culture au sens d’une imprégnation populaire… une culture invisible…dans le cadre d’une société française totalement imbibée de schèmes coloniaux.

       Dans Culture Impériale, deux citations :

     « Pour la grande majorité des Français de cette fin des années 1950, imbibés consciemment ou pas de culture impériale… Ces éléments marquent sans aucun doute l’importance qu’ a prise l’empire dans les consciences tout autant que dans l’inconscient des Français ».

            Dans La République coloniale, quelques-uns des mots psy choisis :

            « La France s’est imprégnée en profondeur de l’idée coloniale… de façon souterraine… Car la France continue de se voir à travers l’impensé colonial »

            Dans La Fracture coloniale :

            « les archétypes relatifs aux populations coloniales … les réminiscences restent palpables »

            Au Colloque de 1993, l’historien Meynier avait posé la question :

      «  Compte tenu de ce constat et des images officielles propagées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière- plan lorsque l’on évoque les colonies :

   Imaginaire colonial et inconscient colonial

   Inconscient français et mythes colonisation : salvation et sécurisation »

   Plus de vingt ans plus tard, les docteurs psy n’ont jusqu’à présent apporté aucune réponse qui démontre la pertinence scientifique de leur discours psy.

        Le mémorialiste et historien Stora a, de son côté, lui-même contribué à renforcer l’audience de l’école des docteurs psy, notamment dans le petit livre « La guerre des mémoires ». (2007)

      Le journaliste Thierry Leclère commence à interroger M.Stora en faisant un constat : « La France est malade de son passé colonial », et M.Stora d’enchaîner sur « le deuil inachevé », le rôle d’une « Algérie centrale » », « une mémoire de vaincus », la « bataille mémorielle », « une grande blessure narcissique », « dans sa mémoire collective », « les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale de leurs pères », « Mais c’est la guerre d’Algérie qui est le nœud gordien de tous les retours forts de mémoire de ces dernières années », « cette mémoire blessée ».

            L’auteur note toutefois que « Vu d’Algérie » au sujet de Boudiaf : «  il est revenu d’un long exil ; les jeunes Algériens ne connaissaient pas son nom » .

            Et plus loin, « les mémoires bafouées », « ces saignements de mémoire », « des ruminations  secrètes »…

            Ne s’agirait-il pas de la maladie « narcissique » d’un enfant, pied noir d’Algérie, né à Constantine, qui fut rapatrié à l’âge de douze ans ?

          Les symptômes de la maladie ainsi décrite dataient de l’année 2007, mais un nouveau petit livre publié par l’intéressé a valu à son auteur un commentaire d’approbation, pour ne pas dire de bénédiction, de la part de M.Frappat, ancien directeur des journaux Le Monde et La Croix.

         Cette critique était intitulée « Souvenirs longue portée » dans le journal La Croix du 31 décembre dernier (1).

         L’ancien journaliste et directeur de référence brode une critique qui fait appel aux mêmes signes cliniques de maladie postcoloniale que ceux de M.Stora.

         « Il y a un refoulé qui revient de loin », « l’effet retard du passé », « « Et sans le retour violent du refoulé comment expliquerait-t-on la haine que tant d’anciens peuples colonisés éprouvent à l’égard de tout ce qui peut rappeler le temps des colonies et de leur servitude ?…

     « Dernier exemple en date : la mémoire de la guerre d’Algérie… l’effet retard du passé. D’abord nous avons été interloqués d’apprendre que beaucoup de terroristes qui, depuis des mois, ont entrepris de saigner la France étaient des jeunes Français vivant parmi nous depuis leur naissance »…,

     « Ce lien est peut-être la persistance, dans l’âme française, d’une question  non résolue, d’un traumatisme non digéré qu’est la guerre d’Algérie »

        En oubliant sans doute la guerre civile des années 1990 qui a ensanglanté ce pays et qui a incité de nombreux Algériens à venir en France, et qui a succédé, plus de trente ans plus tard, à une autre guerre civile, qui ne disait pas son « nom » !

       Il convient de rappeler que M.Stora a évoqué aussi le camp des « Sudistes » qui existerait dans notre pays : après le rapprochement avec la mémoire de Vichy, notre mémorialiste national n’hésite pas à trouver une comparaison historique, non moins hardie, avec le Vieux Sud des Etats Unis, le Sud esclavagiste.

        L’ancien journaliste de référence note toutefois plus loin :

       « De l’autre côté de la mer, de l’autre côté des peuples, on connait mal les effets de la mémoire de la guerre d’Algérie sur les populations de ce pays »,  avec une phrase de conclusion effectivement explosive : « Les mémoires sont parfois bourrées d’explosifs. »

      Comment ne pas être étonné que l’honorable Monsieur Frappat mette les attentats de Daech sur le compte de la mémoire coloniale, ou plutôt algérienne ?

Le diagnostic de la maladie, par les Psy, docteurs en histoire ou en journalisme.  

     Ce diagnostic vaut largement celui des médecins de Molière !

     « Serais-je devenu médecin sans m’en être aperçu ? »  – « Sganarelle, dans Le médecin malgré lui  »

       Dans quel domaine sommes-nous ? Médecine ? Psychanalyse ? Journalisme ? Littérature ? Histoire ? Idéologie ?  Politique ? Repentance religieuse ?

       Quelles sont les preuves de la maladie psy ainsi décrite ?

       Avez-vous effectué des enquêtes statistiques sérieuses qui vous permettent d’accréditer votre diagnostic sur la maladie dont la France souffrirait ?

       A les écouter : « Je suis malade, complètement malade » pour reprendre un refrain populaire des années 1970, de Serge Lama, mais de quoi précisément suis-je malade ?

      De quelle maladie les Français souffrent-ils ? Quels Français ? Quels peuples anciennement colonisés ? Les docteurs Psy eux-mêmes ou les Français en général ?

     Une maladie tout à fait étrange qui n’a pas dissuadé beaucoup de maghrébins, dont une grande majorité d’Algériens, et d’Africains, de venir émigrer massivement dans une France qui s’est transmise clandestinement les poisons du colonialisme, pour autant qu’ils aient toujours et partout existé.

      Cette immigration régulière et irrégulière n’a pas été négligeable, même si les spécialistes ont de la peine à se mettre d’accord sur les vrais chiffres.

       Monsieur Stora cite ses propres chiffres : «  la France se découvre aujourd’hui avec cinq à six millions de musulmans »

      Des immigrés masochistes à ce point ?

      Ou plus vraisemblablement des docteurs Psy effectivement masochistes, toujours prêts à sacrifier à leurs exercices habituels d’autoflagellation nationale, d’une repentance de nature ambiguë, des adeptes d’une nouvelle congrégation de flagellants ?

      Je suis issu d’une famille de l’est de la France qui a connu trois invasions allemandes en moins d’un siècle, une invasion, dont les ambitions et la réalité ne soutenaient aucune comparaison avec la colonisation, j’espère que les docteurs Psy en conviendront. Je n’ai jamais entendu dans ma famille ce type de discours mémoriel, à l’égard de nos amis allemands, un discours que je classe donc dans la  catégorie de la toute nouvelle propagande « made in France », une nouvelle propagande tout à fait subversive.

          Je crois avoir démontré ailleurs que la propagande coloniale n’a jamais eu l’importance et l’efficacité faussement décrites dans les ouvrages du collectif Blanchard and Co.

          Cela fait des dizaines d’années que ma famille prône la réconciliation de la France et de l’Allemagne, sans rien demander.

      J’ai donc le droit de me poser la question du bien-fondé de ces discours psy de nature mémorielle, indépendamment du fait que jusqu’à présent personne n’a eu le courage de vérifier si des enquêtes statistiques sérieuses sur la ou les fameuses mémoires existaient et avec quel contenu ?

         Mon propre diagnostic repose plutôt sur l’ambition qu’ont ces docteurs psy de complaire à une partie par trop « apatride » de notre bel establishment, à un électorat que les politiques cherchent à séduire, ou à un public éditorial qui raffole de l’autoflagellation nationale, au prix de mettre en danger notre unité nationale sacrifiée à un cosmopolitisme propre à encourager toutes les anarchies, et la prospérité d’une « multinationale » française que personne n’a le courage de contrôler.

          N’existerait-il en effet pas d’autres explications sur les raisons des malaises sociaux dont la France souffrirait ? Une immigration mal contrôlée qui bouleverse les conditions de vie dans certains de nos territoires ? L’arrivée d’un Islam dont les Français ignoraient tout de son existence ?

          Quant à « notre ancien outre-mer », encore plus malins seraient les docteurs psy qui pourraient décrire les souffrances de leur mémoire coloniale, pour autant qu’ils connaissent mieux leur histoire coloniale que les Français !

       M.Stora citait le cas de Boudiaf pour l’Algérie, mais quand Chirac, dans la même veine de mémoire, est venu à Madagascar, en 2004,  pour y faire entre autres, repentance de la répression violente de  1947, les observateurs les plus objectifs ont pu noter que ce type de couplet avait fait un grand flop !

        Ma conclusion sera que les docteurs psy, en tout genre, et de tout acabit, parce qu’ils sont les véritables responsables du type de mémoire décrit mais jamais évalué, d’une mémoire d’autoflagellation, ont fait prendre un véritable risque national à notre pays, celui d’une autoréalisation, quelquefois « explosive » de cette mémoire trafiquée parmi certains jeunes de France.

      Pourquoi ne pas constater en effet, avec de la tristesse, en effet qu’un des représentants de notre bel establishment, l’honorable Monsieur Frappat a prêté sa voix à ce nouveau chœur de « repentants» ?

       Un establishment qui marie paradoxalement son goût de la grandeur passée, (voir Libye, Mali, Centrafrique, Syrie…), la France gendarme du monde ou centre du monde, au choix, et son penchant psy pour un passé encore inexplicable et inexpliqué pour les ignorants.

      Alors oui, pourquoi ne pas revenir au grand Molière, une valeur sûre, et terminer mon propos par une citation « médicinale » tirée de Monsieur de Pourceaugnac ?

     « Second médecin

     « A Dieu ne plaise, Monsieur, qu’il me tombe en pensée d’ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous avez si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu’il est impossible qu’il ne soit pas fou, et mélancolique hypocondriaque ; et quand il ne le serait pas, il faudrait qu’il  le devint, pour la beauté des choses que vous avez dites, et la justesse du raisonnement que vous avez fait »

Molière, Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, Scène VIII »

          Et pour mot de la fin du fin, les docteurs psy n’auraient pas pu s’emparer d’un  tel sujet, notamment dans le cas de l’Algérie, si les Accords d’Evian n’avaient pas acté que les crimes de guerre, donc commis dans les deux camps, seraient amnistiés ! En ouvrant tout grand le champ de toutes les hypothèses, même les plus scabreuses !

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

  1. Ci-après le texte du courrier que j’ai adressé au journal La Croix le 31 décembre 2015 :

      «  Bonsoir, il est sans doute dommage de commencer la nouvelle année, mais je voudrais dire à Monsieur Frappat tout le mal que je pense de sa chronique sur les souvenirs longs et sur ses références aux écrits Stora, et encore plus sur le rapprochement très douteux qu’il propose entre Daech et la guerre d’Algérie, pour ne parler que de ce conflit.

         Monsieur Frappat ferait bien de suggérer ou de financer lui-même une enquête de mémoire collective sérieuse sur le passé colonial et sur le passé algérien, dont s’est emparé son auteur de référence, car, jamais, sauf erreur, Stora n’ a accrédité sa thèse en fournissant la moindre preuve statistique de sa thèse mémorielle. Récemment la Fondation Jean Jaurès associée à un journal que Monsieur Frappat a dirigé un temps, a proposé une enquête sur ce type de sujet, mais une enquête très mal ficelée statistiquement, avec une batterie de questions très imparfaite.

         Je dirais volontiers à monsieur Frappat que ce sont plutôt, à l’inverse de ce qu’il croit et écrit, des gens comme Stora qui ont accrédité auprès de certains jeunes l’existence les souvenirs de longue portée dont il parle.

        Il s’agit d’un sujet que je crois connaître assez bien, celui d’une nouvelle propagande beaucoup plus insidieuse que la propagande coloniale, quand elle exista, la nouvelle propagande de l’autoflagellation historique et de la repentance : non, Monsieur Frappat, tous les petits Français qui ont servi la France en Algérie ne furent pas de petits ou grands salauds, des colonialistes de tout crin, pour ne parler que de ceux qui luttèrent, nombreux, pour que la paix revienne dans une Algérie nouvelle, celle de l’indépendance.      Quant au bouquin de Monsieur Jenni sur l’art de la guerre, je dirais qu’il sue par toutes les pores de ses lignes d’écriture talentueuse le même type de discours sirupeux. Bonne année pour une enquête mémorielle enfin sérieuse que pourrait lancer notre beau journal assomptionniste. »

Le livre « Supercherie Coloniale » Chapitre 7 La Propagande Coloniale

Supercherie Coloniale

Comme annoncé, ci-après le texte du chapitre 7, intitulé « La Propagande coloniale », page 169 du livre  

Chapitre 7

La Propagande coloniale

            Nous touchons ici à un domaine sensible puisqu’il fait référence à une entreprise de propagande politique qui a eu beaucoup de succès dans les régimes totalitaires, qu’il s’agisse des dictatures communistes, fascistes ou nazies.

            Les ministres des colonies et leurs gouvernements  de gauche comme de droite, qui se sont succédé entre les deux guerres, n’ont en tout cas pas eu peur du mot, en tentant de faire de la propagande coloniale. Entre temps, le mot a pris un tout autre sens ! Et dans l’acception des années 30 et pour les agences des colonies, il s’agissait plus de publicité, de contribution à l’organisation d’expositions, que de propagande politique !

            Est-ce que cette propagande eut du succès, compte tenu des moyens mis en œuvre ? La question mérite d’être posée et de recevoir une réponse.

            Constatons en tout cas que les Français n’étaient naturellement pas convaincus de l’intérêt des colonies, puisqu’il était nécessaire de tenter de leur inculquer, par le moyen de la propagande, un virus colonial qu’ils n’avaient pas.

            Il est donc très important d’analyser avec beaucoup de rigueur et de précision la propagande coloniale, et je dois dire dès le départ que le discours de l’historienne Lemaire sur la propagande coloniale, proposée comme la spécialiste de ce domaine historique dans les livres analysés, suscite beaucoup de questions de ma part.

            La première sur l’absence des références des sources qu’elle a consultées, entre autres au Centre des Archives d’Outre Mer à Aix. Quant à la thèse qu’elle a faite à ce sujet, à l’Institut universitaire de Florence que je n’ai pas trouvée.

            Nous examinerons les autres questions au fur et à mesure de l’analyse.

Un discours carré, catégorique, tonitruant sur la propagande coloniale

            Dans l’ouvrage Culture coloniale, et sous le titre Propager : l’Agence générale des colonies, l’historienne caractérise la puissance et l’efficacité des actions de propagande par un florilège d’expressions, et naturellement de jugements :

            « L’Agence : une machine à informer et à séduire (CC/138)… , et l’Agence des colonies fut chargée de faire l’« éducation coloniale » des Français (CC/139) … L’Agence : « chef d’orchestre »…La force de l’Agence fut de s’imposer, dès l’entre-deux guerres, comme l’épicentre de l’information coloniale… Au coeur de l’idéologie coloniale en métropole, il n’y avait dès lors que peu ou pas de contre discours, car l’Agence « inondait », gérait et générait son propre discours en s’assurant la maîtrise de sa production et des relais de diffusion. » (CC/140).

            « Le discours  était ainsi uniformisé grâce à un réseau structuré et multiple, capable de toucher toutes les strates de la société et l’ensemble des Français…L’Agence a ainsi tissé une toile où tous se sont retrouvés dans le credo colonial à « prêcher leur foi » dans l’empire. Une fois établie, cette structure servait à manipuler l’opinion par une panoplie de supports variés, allant de l’objet du quotidien au plus insolite, mais surtout en utilisant le pouvoir de la presse et des images, en grossissant, minorant, occultant, valorisant certains faits. En effet, la propagande ne se limite pas au martèlement d’un discours de promotion d’une idéologie déterminée, mais s’étend à la sélection des informations, à leur tri, à leur hiérarchisation, à leur mise en perspective de même qu’à leur rédaction et à leur accompagnement iconographique ou sonore. » (CC/140)

 Le lecteur doit se rappeler que cette analyse se rapporte à la période retenue par l’ouvrage, c’est-à-dire 1871-1931, et aura la possibilité plus loin de juger du sérieux de cette analyse, compte tenu de l’organisation et des moyens de cette Agence à cette époque de référence.

            Ce qui n’empêche pas l’auteur de faire appel à des expressions fortes, excessives, « tissé une toile, manipuler l’opinion, martèlement d’un discours. »

 Au risque de lasser le lecteur, il faut citer d’autres affirmations :

            « La force de l’Agence résidait exactement dans ce « brouillage des ondes » –omissions partielles ou totales -une grille de lecture édulcorée, imposant une vision qui, pour les métropolitains, rendait impossible d’aborder l’autre côté du miroir. » (CC/144)

            « Français, vous avez un empire : un mythe pérenne

            L’omniprésence de l’Agence, dans le temps, dans l’espace, dans les supports, dans les relais, permet de concevoir la création d’un espace mental basé sur des éléments disponibles au sein de la société et qui ont permis que fonctionne la fiction : supériorité de la culture occidentale, de la civilisation, du système économique, détention des clés du progrès. »(CC/144)

 Et en conclusion  de l’analyse de cette formidable machine de propagande, omniprésente :

            « Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était-elle parfaitement intériorisée. Elle se mesure encore actuellement à travers les mêmes images, les mêmes discours tenus sur des pays du « tiers monde » ou » en voie de développement »  ou  « les moins avancés ».

            Ouf ! Nous avons échappé pour l’instant à la crise des banlieues et aux indigènes de la République !

            Histoire ou littérature, mémoire ou idéologie ? Je mets au défi l’historienne de tirer des cartons d’archives du Centre des Archives d’Outre- Mer des exemples concrets de la manipulation dénoncée, outre le fait qu’elle n’apporte aucune démonstration d’une intériorisation réussie.

            Dans l’ouvrage suivant, consacré à la Culture impériale, fixée à la période 1931-1961, nous retrouvons le même type de discours. Notons en passant que l’Empire a disparu des institutions en 1945.

            Sous le titre :

             « Promouvoir : fabriquer du colonial

            C’est la raison pour laquelle l’apogée colonial des années 1930 se traduit par une véritable promotion de l’idée impériale menée par la République, via son agence de propagande officielle, et largement relayée au sein de la société par le monde scolaire ou d’autres acteurs, en particulier la presse et le cinéma. » (CI/45)

            L’historienne note :

            « Car ce qui fabrique et surtout inscrit durablement la culture impériale, ce sont les moyens mis en œuvre pour banaliser cet Empire, en le rendant omniprésent et quotidien. »(CI/47)

            « La stratégie consistait donc à frapper en premier lieu les imaginations puis d’inculquer, à la fois de manière subtile et très systématique, le contenu de son idéologie. »(CI/48)

            Le lecteur notera que je n’ai trouvé aucune trace de stratégie dans les cartons d’archives de la fameuse Agence. En ce qui concerne la propagande coloniale d’une presse subventionnée, nous reviendrons plus loin sur le sujet avec des chiffres précis.

            Et pourquoi ne pas avoir écrit que cette fameuse action de propagande qui aurait été magistralement menée par l’agence des colonies fut interrompue entre 1934 et 1937, puisqu’elle fut supprimée pendant ces trois années .

            L’historienne a fait paraître une deuxième contribution dans le même livre, intitulée Manipuler : à la conquête des goûts, dans laquelle elle fait un sort particulier au riz, analyse qui fera l’objet de notre contrepoint final.

            Dans un livre ultérieur intitulé l’Illusion coloniale, paru en 2005, l’historienne poursuit dans la même veine littéraire, La fabrique de l’opinion (ILC/70) :

            « Mais c’est principalement à partir de 1919, lorsque l’Office est réorganisé en Agence générale des colonies et que des agences territoriales la soutiendront dans cette action, que la propagande officielle trouve toute son efficacité. Organisme tentaculaire, au centre de la création et de la diffusion du mythe, la République promeut, grâce à lui, l’idéologie coloniale à une échelle jamais atteinte auparavant. »

            L’historienne n’hésite pas à écrire plus haut qu’à compter de 1899, jusqu’à  la perte de l’empire colonial en 1962, « la France a toujours disposé de cet organisme », ce qui est faux, comme nous l’avons relevé plus haut, en ajoutant que l’Agence qui lui a succédé a été supprimée en 1953.

            Plus loin :

            « La conquête du public

            Chargée de faire leur « éducation coloniale », l’Agence générale des colonies a pour objectif d’inciter le public à intégrer la notion d’empire dans son système de pensée mais aussi dans sa vie quotidienne. L’Etat cherchait à ancrer la conviction que le domaine outre-mer ne faisait qu’un avec la métropole, constituant une part intégrante de la nation rebaptisée la « Plus Grande France »…Utilisant une multitude de relais…l’Agence est capable de toucher les Français dans leur imaginaire comme dans leur quotidien » (ILC/72)

            « Séduire les enfants :

            La jeunesse est une cible privilégiée à laquelle on propose une stratégie savamment élaborée. » (ILC/74)

            « Les slogans de l’Empire :

            Sans s’en rendre réellement compte, soumis à un discours uniforme et omniprésent, les Français, y compris ceux qui ne se sentent peu concernés par l’Empire, sont pénétrés de cette mission et de ses slogans : enseigner, soigner, administrer, bâtir. » (ILC/78)

 Le lecteur aura noté la précision du propos « y compris ceux qui ne sentent peu concernés par l’Empire. » Qu’est-ce à dire ? A partir de quelle preuve ?

            Le livre La Fracture coloniale prend acte de ce discours dans l’enquête par sondage que ce collectif de chercheurs a effectuée à Toulouse en 2003, à propos du jugement positif ou négatif sur la période coloniale. Je cite :

            « On note toutefois une rupture générationnelle. En effet, 48,8% des plus de 55 ans estiment que « la colonisation a beaucoup apporté aux pays concernés » (les autres catégories d’âge s’échelonnant entre 18,8% et 28,8%.) Ce qui n’est pas surprenant, dans la mesure où ceux-ci ont été soumis durant leur adolescence à un enseignement du fait colonial nettement laudatif (les décolonisations n’étant pas achevées) et à une propagande dont plusieurs travaux récents ont montré l’ampleur.

            En note 6 de bas de page : Voir par exemple Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Francis Delabarre, Images d’Empire, La Documentation française, La Martinière, Paris 1997 ; Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, Culture coloniale 1871-1931, op.cité et Culture impériale.1931-1961 . Autrement, op.cité (FC/277,278)

 Et la boucle historique des sources est bouclée ! Nous avons mis en gras les travaux récents.

 Les sources de ce discours

 La première source possible d’un tel discours aurait pu être l’analyse très documentée de l’historien Ageron parue dans la Revue Française d’Histoire d’Outre Mer du premier trimestre 1990, intitulée Les colonies devant l’opinion publique française (1919-1939). Nous retrouverons l’analyse des premiers sondages dans le chapitre suivant.

            L’auteur écrivait :

            « L’objet de cet essai est une étude d’opinion publique : peut-on savoir si les Français, dans leur ensemble, s’intéressaient à leurs colonies entre 1919 et 1939 ; s’ils y étaient favorables, hostiles et indifférents ? Peut-on apprécier quel intérêt les attachait éventuellement à leur empire colonial et quelles furent les variations de ce qu’on appelait volontiers leur «  conscience coloniale » ?

            « Certes à cette époque, les techniques de sondage de l’opinion, déjà courantes dans les années trente aux Etats-Unis, sont à peine connues en France et une telle recherche peut paraître vaine sur le plan scientifique puisque nous ne disposons sur ce sujet que de quelques sondages, fort imparfaits et tardifs, en 1938 et 1939. Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire » de l’opinion, celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de sa recherche. Ce que l’on peut recenser en fait d’opinion publique, c’est soit l’opinion de la classe politique, soit l’action des groupes de pression… »(RFOM/31)

            « Lorsque nous pourrons développer cette recherche, celle-ci exigera sans doute des méthodes appropriées pour le traitement, par étude du contenu, de la presse d’information et d’opinion, des revues de culture générale et des revues coloniales, des ouvrages scolaires et des manuels d’enseignement supérieur…

            Peut-être devra-t-on tenter aussi de recourir à quelques sondages rétrospectifs auprès d’échantillons représentatifs des générations anciennes. Mais il ne peut s’agir là que d’une tâche de longue haleine et d’un travail d’équipe.

            C’est précisément dans l’espoir d’éveiller l’intérêt de quelques chercheurs ou étudiants que nous avons voulu présenter ici, beaucoup plus modestement, une première approche, tel qu’il nous apparaît après une enquête rapide à travers la presse coloniale et non coloniale et après une recension critique des témoignages fournis par les spécialistes du « parti colonial » sur l’audience de l’idée coloniale. » (RFOM/32) …

            « Dans ce terrain non défriché, il eut été plus habile de s’en tenir à la classique prospection des sources et à leur présentation, illustrée d’exemples, d’une problématique et d’un échantillon de méthodes. Nous avons pensé qu’il était plus loyal de dire simplement ce que nous savions et ce que nous ne savions pas, réservant à l’enseignement d’un séminaire recettes et hypothèses de travail, indication de pistes et souhaits de recherches précises. » (RFOM/33)

 Il nous a paru utile de citer presque in extenso ce texte qui expose clairement et honnêtement les problèmes de méthode rencontrés pour aborder le sujet, problèmes que nous avons déjà longuement évoqués dans les chapitres précédents et qui mettent en cause les fondements scientifiques du discours tenu par ce collectif de chercheurs.

            Car ce collectif de chercheurs a fait l’impasse sur les problèmes méthodologiques qu’ils auraient du résoudre préalablement, afin d’être en mesure de présenter concepts et théories qui seraient censées donner une représentation historique de l’opinion publique des périodes analysées.

            Mais que nous dit donc l’historien sur les résultats de la fameuse propagande coloniale dans l’opinion publique, puisque c’est l’objet de notre chapitre.

            « En 1918, le parti colonial réclamait « un service de propagande coloniale doté de tous les moyens nécessaires »…

            Mais en 1920, le puissant groupe colonial qui s’était constitué dans la Chambre bleu-horizon ne parvint pas plus à faire inscrire au budget les crédits nécessaires à cette propagande de grand style que le ministre A.Sarraut déclarait pourtant indispensable. » (RFOM/35)

 La presse coloniale ne touchait pas le grand public, et le député radical Archimbaud, inamovible rapporteur du budget des colonies dénonçait lui-même l’apathie gouvernementale dans ce domaine.

            Dans les années Vingt, « les coloniaux et les colonisés étaient gens d’une autre planète, la masse de l’opinion française  demeurant dans son indifférence antérieure. »

 La grande presse jugeait « invendable » la propagande coloniale.

            La situation changea entre 1927 et 1931 avec le lancement d’une grande campagne de propagande coloniale qui trouvera son couronnement dans la grande Exposition de 1931. La presse d’information s’associa pour la première fois à la propagande coloniale.

            Mais l’historien de rappeler ce que déclarait, en juillet 1928, le directeur de la Ligue maritime  et coloniale, présentée comme un des moteurs de la propagande coloniale, au sujet des résistances des milieux d’enseignants :

            « Le milieu qui a charge de forger la mentalité française, c’est à dire le corps enseignant, est celui qui y est demeuré jusqu’à présent le plus étranger, à quelques exceptions près. » (RFOM/48)…

            « Le parti colonial disposait maintenant de l’appui du gouvernement Tardieu (1930)….Il n’est pas jusqu’au ministère des Colonies où, pour la première fois, on ne s’occupât de propagande impériale. » (RFOM/51)

            Alors que la fameuse Agence générale des colonies et que les agences économiques des territoires existaient depuis au moins dix ans, que ces outils de propagande étaient à l’entière disposition de ce ministère ! Le lecteur n’y retrouvera sûrement pas les descriptions qu’en a faites plus haut l’historienne Lemaire.

            Quant à l’exposition de 1931 qui a déjà été évoquée, et en dépit des campagnes de propagande et de son succès immédiat, rappelons le jugement de Lyautey qui en avait été le patron et un des initiateurs: « Ce fut un succès inespéré »,  disait-il le 14 novembre 1931, mais dès 1932, il ajoutait « qu’elle n’avait en rien modifié la mentalité des cerveaux adultes, ni ceux des gens en place qui n’étaient pas par avance convaincus. » Telle parait bien être la juste conclusion qui se confirma, nous le verrons, dans les années suivantes. » (RFOM/52)

            Comme on le voit ici encore, on est loin des descriptions de la propagande que cette historienne a faite précisément pour cette période chronologique de 1919-1931 ! En ajoutant qu’il ne reste plus beaucoup de temps à nos brillants propagandistes coloniaux pour faire mieux, étant donné que quelques années plus tard la France va entrer dans une ère de turbulences internationales, et que cette situation va conduire les gouvernements, et derrière eux une partie seulement de l’opinion publique, à soutenir la cause impériale, ultime recours de la République en face de l’ennemi.

            Entre 1932 et 1935, la propagande aurait en effet été inefficace si l’on en croit l’analyse Ageron dans le titre IV « Le recul de l’idée coloniale dans l’opinion publique », mais il convient à présent d’examiner si d’autres sources postérieures peuvent accréditer le discours Lemaire.

            Le Colloque de janvier 1993

 L’historien Meynier y signa une contribution intitulée Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre deux guerres.

            « L’objet de cette communication est de faire ressortir par un exemple, les images mises en œuvre par le colonisateur français au moment de la guerre de 1914-1918 et au cours de la période de l’entre-deux guerres sur les « indigènes » dans le cas algérien principalement. Il est d’étudier en quoi la production de ces images relève d’une conscience française volontariste, c’est-à-dire d’un projet politique. Mais en quoi aussi, ce projet provient d’un  inconscient à l’œuvre dans les représentations françaises, en quoi il est inséparable de fantasmes travaillant telle ou telle partie de la société française, et qui ne se réduisent pas forcément au seul champ colonial. » (C/41)

 Vaste sujet d’étude historique comme peut le constater le lecteur, mais aussi sans doute la surprise de voir surgir dans ce champ à la fois les images et l’inconscient !

            Une des clés des explications historiques proposées à l’occasion de ce colloque par une palette d’historiens, comme nous le verrons dans un chapitre consacré au ça colonial, c’est-à-dire à l’inconscient..

            Notons que la communication limite sa réflexion au cas algérien.

            L’historien note « Une foule de livres de vulgarisation font honte aux Français de leur peu de foi coloniale. Sous la houlette d’Albert Sarraut, éclosent des flots de brochures, de tracts, de photos, de films destinés à exalter l’idée coloniale. » (Sans autre précision, ni évaluation)…

            « Ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française…

            Au Parlement, les débats coloniaux continuent à ne pas faire recette.

            Compte tenu de ce constat et des images officielles proposées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan, lorsqu’on évoque les colonies ? » (C/43)

 Nous quittons provisoirement le propos de cet historien dans son analyse de l’imaginaire français et de l’inconscient français, pour aller directement à la conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent des stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français, et il doit très peu au grand large. » (C/48)

            Est-ce qu’en écrivant ce type de propos, un historien sérieux, à l’exemple d’autres confrères, n’a pas entrouvert la boite de Pandore d’où sont sortis les maux surtout inconscients dont souffre aujourd’hui notre histoire coloniale ?

            La conclusion du Colloque rappelle qu’environ six cents images de toute nature ont été présentées et commentées. Elle s’inscrit dans la ligne de pensée du discours que nous critiquons, sous la signature de deux historiens que nous avons déjà croisé sur les livres scolaires et sur les affiches, et conclut naturellement  à la filiation entre les images produites hier et celles diffusées aujourd’hui, tout en se posant la question de l’origine des images et de leurs effets :

            « Quand y-t-il eu une production délibérée d’images de propagande ? Quel a été le rôle précis du parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré par exemple, que le parti colonial et l’Agence de la France d’outre-mer pour le ministère des colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse….

            Quand on évoque la propagande, il faut aussi essayer d’en distinguer les cibles. » (C/145)

 Il est donc difficile d’en tirer un enseignement qui aurait fait progresser la connaissance de la propagande coloniale au cours de la période examinée. Notons en passant que les deux appellations colonies et France d’outre mer sont antinomiques.

            Comment enfin ne pas évoquer, au sujet de la presse, un souvenir professionnel ? Comment ignorer que dans beaucoup de journaux  de province les journalistes se contentent de démarquer soit un bulletin de l’AFP, soit un communiqué du ministre ou du préfet, ou tout simplement d’une entreprise ou d’un groupement professionnel.

            Images et Colonies, le livre paru dans le sillage du Colloque :

            L’historien Meynier y a fait paraître un article intitulé L’organisation de la propagande, en qui concerne la période 1919-1939, et pour la période 1945-1962, deux articles sont concernés, l’un signé N.Bancel et G.Mathy sous le titre La propagande économique et l’autre signé E.Rabut, intitulé Un acteur de la propagande coloniale. L’Agence des colonies.

 L’introduction de l’ouvrage signée par l’historien Blanchard donne tout de suite la couleur de la propagande, en décrivant «  à force de diffusion et de matraquage, un message capable de séduire un vaste public » et en écrivant « comment les français ont pu être séduits e/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande. »(IC/8)

            Le lecteur aura relevé « pendant près d’un siècle », rien de moins ! Et le « matraquage » !

            Dans sa communication, l’historien Meynier marque une plus grande prudence :

            « Cette propagande qui met les colonies en images devrait être organisée par rapport au public- aux publics-  qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement, les matériaux manquent à l’historien pour en juger avec sûreté. » (IC/113)

            Déjà la douche froide !

            L’historien analyse successivement tout un ensemble de supports possibles de propagande, programmes scolaires, associations et groupements privés, organismes politiques. En ce qui concerne les 87 manuels d’histoire examinés, la part des colonies reste modeste. Il donne un sous-titre évocateur à la suite de son analyse : Propagande et mise en image des colonies entre credo colonial et exotisme de masse, passage où il note « que dans les cartes postales, destinées à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte encore plus encore que dans les autres productions. » En ce qui concerne les jouets,  c’est encore l’exotisme qui l’emporte. (IC/121)…(voir les tableaux de l’annexe 1)

            « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est encore principalement un exotisme de masse. »(IC/123)

 Et en conclusion :

            « Mais bien après l’apogée de la propagande coloniale qui, pour le moment, ne releva guère d’une politique mais plutôt d’un air du temps relié à des images récurrentes amplifiées. » (IC/124)

 Donc grande prudence de l’historien, tout à fait justifiée compte tenu de l’étroitesse du corpus examiné, 30 affiches, 76 images de magazines ou de livres à thème colonial, 116 cartes postales.

 Notre conclusion intermédiaire : rien qui plaide précisément en faveur du matraquage d’une propagande coloniale qu’un bon historien a bien de la peine à décrypter et à situer.

            Nous ne nous attarderons pas sur la contribution de N.Bancel et G.Mathy intitulée La propagande économique au cours de la période 1945-1962 pour trois raisons :

            – Carence complète de la démonstration statistique du propos illustrée par les observations contradictoires suivantes :

            « Il est très difficile d’établir le chiffrage précis, à la fois de la diffusion des publications semi-officielles du Ministère et de l’impact de la diffusion  de cette iconographie par la presse. L’étude d’un corpus partiel permet d’affirmer que la propagande coloniale étatique a presque entièrement submergé l’iconographie des périodiques non spécialisés. »(IC/227)

 Comment peut-on oser le mot submerger après avoir avoué son incapacité à apporter une quelconque démonstration statistique, qui était possible en analysant, méthodiquement, et non superficiellement la presse.

            – Outrecuidance de l’analyse et des jugements :

            « L’appauvrissement du discours et des représentations coloniales, qui avaient forgé l’inconscient collectif colonial, marque la ligne historique qui sépare l’avant de l’après guerre. (IC/222) L’hégémonie de la propagande coloniale (IC/224) Pour cerner de près les réalisations et sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie, nous devons revenir aux sources écrites (IC/227) Ces images témoignent d’un impérieux ethnocentrisme qui contredit tous les discours sur le respect des cultures et de l’histoire africaines martelés par la propagande (IC/229) Les images sur l’économie du continent africain qui martèlent dans les mémoires françaises son infériorité constituent une des facettes de l’idéologie du progrès. » (IC/230)

            Le lecteur aura relevé les verbes forts forger et marteler. Il doit savoir que cette analyse s’inscrit dans une période où la France a fait un gros effort d’investissement public et non privé, et de planification pour le développement du continent africain. Les gouvernements successifs ont voulu mettre en scène leurs réalisations par une propagande adaptée qu’il conviendrait d’évaluer avec précision dans son volume financier, comparativement à des campagnes de publicité privée, ainsi que dans ses effets sur l’opinion.

            – Une grande difficulté d’interprétation historique compte tenu de la brièveté de la période politique examinée, neuf années entre la Libération et la guerre d’Algérie, agitée par des conflits coloniaux. D’autant plus que l’Union française avait juridiquement succédé à l’Empire.

            Le lecteur constatera que cette analyse boursouflée est en complète contradiction avec la suivante.

            La troisième contribution d’Images et colonies est précise et rigoureuse. Il s’agit de celle d’E.Rabut, sous le titre Un acteur de la propagande coloniale : l’Agence des colonies.

 L’auteur a exploité les archives du centre d’Aix, comme l’a fait sans doute l’historienne Lemaire, et comme nous l’avons fait nous-même.

 Mme Rabut fait l’historique de cette institution avec précision en soulignant dès le départ : « L’évolution des structures, marquée de nombreux soubresauts, reflète les interrogations sur les voies de l’efficacité dans le domaine de l’information coloniale. »(IC/232)

            D’abord un Office colonial, puis l’Agence générale des colonies crée par décret du 29 juin 1919, comprenant un service administratif et un service de renseignements. Celui-ci centralise la documentation fournie par les agences économiques crées à Paris par chaque grand territoire, Indochine et Madagascar, ou groupement de territoires, AOF, AEF, Territoires sous mandat, dans les années qui ont suivi la guerre. Pour des raisons d’économies, l’Agence est supprimée par décret du 17 mai 1934 et réapparaît, comme nous l’avons déjà vu, sous une autre forme, en 1937, avec le Front Populaire, sous un nouveau nom, et surtout avec une mission tout à fait différente, le Service intercolonial d’information. En 1941, le régime de Vichy ranime l’ancienne agence ministérielle, l’Agence de la France d’outre mer, laquelle sera supprimée en 1953.

            La vie de cette institution n’a donc pas été celle d’un long fleuve tranquille et cet historique fait déjà peser un doute sérieux sur la valeur des jugements abrupts qui ont été portés sur l’efficacité de l’agence en matière de propagande coloniale.

            Le même auteur décrit les activités de l’Agence générale et des agences économiques des territoires, statistiques économiques, renseignements, demandes d’emploi, participation aux expositions coloniales, propagande. L’Agence générale disposait d’une bibliothèque ouverte au public et d’un musée commercial.

            Les relations avec la presse sont rapidement évoquées, avec un doute sur leur efficacité, mais nous reviendrons plus loin sur ce dossier

 Que retenir du contenu de ces sources ? A l’exception de la contribution Rabut, un grand flou artistique sur le fonctionnement des institutions de la propagande coloniale et la plus grande imprécision, en valeur absolue et relative, sur l’importance des moyens que les pouvoirs publics ont consacrés à la propagande coloniale.

            Nous allons montrer ce qu’il convient de penser des jugements péremptoires que l’historienne Lemaire a porté sur la propagande coloniale et sur le rôle qu’aurait joué l’Agence générale de colonies, chef d’orchestre (avait-il au moins une baguette ?), organisme tentaculaire, chargé de manipuler l’opinion, une fabrique de l’opinion, grâce au martèlement du discours, au brouillage des ondes, à son omniprésence dans le temps, et dans l’espace, capable de fabriquer du colonial.

            A la lumière de notre connaissance des institutions politiques et administratives et des informations budgétaires, nous examinerons successivement les institutions et leur fonctionnement, l’évolution de leurs moyens financiers, et surtout dans une échelle des grandeurs des époques considérées, et enfin le dossier des relations avec la presse, dossier que l’historienne a monté en épingle, et que nous n’hésiterons pas à dégonfler.

            Un grain de riz aussi, trop gonflé, car nous réserverons notre contrepoint au fameux grain… de riz qui aurait contribué à nous faire manger du colonial.

  Tous droits réservés

La deuxième partie sera publiée le lendemain 3 juillet 2014

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale? (5)

Bain colonial, accès de fièvre coloniale, ou accès d’exotisme ?

Les colonies de la République française ou celles du peuple français ?

            Et si la France coloniale n’avait pas été plutôt la France officielle au lieu de celle du peuple français, la France des pouvoirs, des institutions officielles, de leurs corps constitués, publics et privés, rassemblés, gouvernement, administration, armée, églises, et grand capital ? Comme hier et aujourd’hui, la Françafrique ? Pour le fric ou le prestige ?

 Avec des réseaux d’influence parallèles, hier comme aujourd’hui ? Comment ne pas être surpris, en particulier, par la résistance et la puissance encore des relations maçonnes, et tout autant religieuses !

            Et si l’imaginaire des Français avait été plus attiré par un ailleurs étranger, et par toute autre chose que la colonie ou l’empire, dont on nous dit qu’ils étaient symboles de racisme et de mépris de l’autre ?

            Au terme de notre analyse, le lecteur éprouvera des doutes sur le sérieux du discours mémoriel et médiatique de ces chercheurs qui n’ont pas apporté, jusqu’à présent, de preuves à l’appui de leur discours.

            Nous sommes donc encore loin de pouvoir recenser et définir notre culture coloniale, selon la définition Herriot, pour autant qu’elle existe, par ce qui reste quand on a tout oublié.

 Puisqu ‘on ne connaît pas encore ce reste ! 

            Ce reste largement hypothéqué, et par les suites de la guerre d’Algérie et par la forte proportion de populations européennes ou maghrébines issues du Maghreb, et surtout d’Algérie, actuellement en France. Mais de là à tendre le voile de cette mémoire sur toute notre histoire coloniale, une telle option n’est pas fondée.

            Si la démonstration historique avait été faite par les auteurs du livre en question, l’expression République coloniale (aux mains de qui ?) répondrait mieux à l’analyse qui reste encore à faire sur la réalité de cette République coloniale. Mais comme nous l’avons écrit, ce livre développe un discours idéologique, le plus souvent outrancier, et ne se penche absolument pas sur les formes qu’ont pu revêtir, ses groupes de pression, politiques, religieux, économiques, maçons, et surtout sur les effets réels de cette superstructure « coloniale » sur l’opinion des Français.

            Car, s’il a bien existé un groupe parlementaire colonial, un groupe de pression économique et financier colonial, plus proche des industries traditionnelles que modernes, une toile d’araignée maçonne qui, à travers les différentes institutions françaises, a poursuivi avec la plus grande constance ses objectifs de plus grande France, au nom d’impératifs de plus en plus désuets, tels que la civilisation, le bien des peuples colonisés, le peuple français n’a jamais eu la fibre coloniale, pas plus qu’il n’a eu la fibre maritime ou commerçante.

            Et aussi en parallèle, les églises, mais qui n’ont pas toujours, et loin s’en faut, porté ce discours d’une plus grande France.

            La France coloniale a été la France officielle, et c’est la thèse historique que nous proposons, jusqu’à preuve du contraire. Celle des pouvoirs, des institutions, et rarement celle du peuple. Car il est difficile de ranger dans la catégorie d’une culture coloniale ou impériale, l’écho populaire que pouvaient recevoir les récits des conquêtes militaires, la chute de Behanzin au Dahomey avec ses ingrédients médiatiques incomparables, les sacrifices humains et les Amazones, la prise de Tananarive après la calvaire de l’armée française, ou l’épopée de Fachoda, à travers les marais

            Ou encore la conquête du Sahara avec les chevauchées fantastiques des spahis, en plein désert, au pays de la soif et de la chaleur, contre les rezzous des Touaregs.

            Il ne faut jamais oublier que dans notre histoire nationale, notre roman national,  l’esprit de gloire montré du doigt par Montesquieu, n’a jamais été loin des Français. Non plus d’ailleurs que celui de croire qu’on aimait les petits Français pour eux-mêmes !

            On pourrait aussi disserter à loisir sur le point de savoir si ces engouements temporaires ne ressemblent pas étrangement à ceux que provoquent les grands exploits sportifs, ou la découverte de mondes nouveaux, et c’est ici que notre réflexion bifurque : une France au goût de l’exotisme, plus qu’une France coloniale.

            Ce qui ne devrait pas empêcher de jeunes chercheurs de se lancer dans une quête nouvelle, celle de la ressemblance tout à fait étrange qui pourrait exister entre la France officielle de la 5ème République avec la France de Jules Ferry et de ses suivants, cette France au sein de laquelle une petit groupe d’hommes, et souvent un seul, sous la 5ème République, décide de poursuivre une politique africaine qui a incontestablement des relents d’ancien régime ou de lancer, toujours pour d’excellents motifs de paix, ou de grandeur internationale, des expéditions militaires à l’étranger, le Parlement étant toujours mis devant le fait accompli.

            Les partisans de ces interventions, défenseurs d’une grandeur passée, font valoir qu’elles sont faites aujourd’hui, et c’est nouveau, à l’initiative de l’ONU, c’est vrai, mais le gouvernement a-t-il demandé l’approbation du Parlement pour intervenir en Côte  d’Ivoire, ou au Darfour ? C’est à l’occasion de votes sur d’autres sujets, le budget, ou les lois, ou d’élections générales, que les parlementaires et les électeurs, auraient l’occasion d’approuver ou de refuser de telles initiatives, mais elles sont toujours un élément, parmi d’autres, d’un paquet politique à prendre ou à laisser.

            Il en est donc aujourd’hui à peu près comme du temps de Jules Ferry. Et ce n’est qu’à partir du moment où une initiative extérieure perturbe gravement la vie du pays que ce dernier s’y intéresse, comme cela a été le cas pour la guerre d’Algérie.

            Croyez vous que le peuple français se sentait plus concerné par les aventures coloniales que par nos aventures modernes en Afrique ou au Moyen Orient ? En principe humanitaires !

            Dans le livre Images et Colonies, l’historien Meynier avait accordé, dans ses analyses, une place à l’exotisme, notamment en tentant de classer par thème colonial les différents supports d’information et de culture qui avaient été mis à sa disposition. (IC/124), supports dont le nombre était à la fois faible, et non représentatif, pour les raisons citées dans le corps de cet ouvrage.

            Ces réserves faites, il avait relevé le thème de l’exotisme dans la moitié des affiches (sur 30), dans le tiers des illustrations de magazines et livres coloniaux (sur 76), et dans les quatre cinquièmes des cartes postales (sur 116).

            Goût de l’exotisme, curiosité de l’étranger, découverte de l’Orient, de l’Egypte, et maintenant de l’Afrique, l’engouement des Français pour un ailleurs de rêve ou d’étrangeté suivait les modes des époques.

            Des Français attirés par l’exotisme, sans doute, peut être aussi par les mœurs étranges des peuples africains ou asiatiques , mais cela était-ce tellement différent de la curiosité que l’ancienne France avait manifesté pour le Canada ou la Louisiane ? Ou de celle des téléspectateurs de l’an 2007 qui s’intéressent aux Papous de Nouvelle Guinée, aux Himbas de Namibie, ou aux Nenets de Sibérie, sous la conduite de Charlotte de Turckheim ?

            La route des épices et les mirages, mais aussi les richesses des Indes orientales ou occidentales ? Est-ce qu’un  Français devait être colonial, sans le savoir et sans le vouloir, au prétexte qu’il buvait du café ou chocolat, sirotait du rhum, ou assaisonnait ses mets de poivre ou de cannelle ? Ou encore mange quelques grains de riz disputés à la volaille ?

            Est-ce que la France a jamais été coloniale dans ses profondeurs, à Paris et dans ses provinces ? Histoire coloniale d’une France officielle plutôt que celle de son peuple, d’attirance pour l’exotisme plus que pour les colonies ou l’Empire ?

            Et pour terminer, comment ne pas évoquer un souvenir récent, lors d’une visite à la cathédrale de Chartres et à ses vitraux magnifiques ? Dans un des salons de thé de la vieille ville trônait sur un coin du comptoir une magnifique statue en plâtre, d’environ un mètre de haut,  d’un jeune antillais au teint chocolat,  pieds nus, avec un chapeau sur la tête, portant sur son épaule un magnifique régime de bananes, prunelles noires sur globes oculaires blancs.

            Cela ne vous rappelle pas les billes de loto de Négripub ?

            Personne ne semblait voir cette belle statue colorée, alors qu’elle s’inscrivait parfaitement dans le panorama mémoriel abondamment décrit par ce collectif de chercheurs, comme un phare au coin du comptoir – caisse de ce salon de thé. Incontestablement, un des symboles de l’inconscient colonial des Français !

            Et tout cela est bien dommage, parce que beaucoup de ces images ressorties des placards étaient souvent belles !

            Alors, s’il ne s’agissait que d’une invitation au voyage de Baudelaire ?

            « Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

                        Luxe, calme, et volupté. »

            Mais cher lecteur, vous ne partageriez peut être pas le goût de l’exotisme de Baudelaire qui le portait vers les canaux plutôt glacés et embrumés de la Hollande. Ne préféreriez-vous pas les plages blanches de Gauguin, celles des îles Marquises, et les eaux émeraude des îles du Pacifique ?

Les livres en question

Les citations sont suivies d’un numéro de page et de l’une ou deux initiales ci-après :

Images et Colonies – Actes du Colloque 1993 (C)

Images et Colonies- BDIC-Achac- 1993 (IC)

Culture Coloniale – 2003 (CC)

Culture Impériale – 2004 (CI)

La République Coloniale – 2003 (RC)

La Fracture Coloniale – 2005 (FC)

Supercherie Coloniale (2008) Mémoires d’Hommes 9 rue Chabanais 75002 Paris (20 euros port compris)