Histoire et Mémoire? Histoire coloniale et Mémoire coloniale ? Mémoire collective et Inconscient Collectif

Histoire et Mémoire ?

Histoire coloniale et Mémoire coloniale ?

Mémoire Collective et Inconscient Collectif ?

Mémoire collective ou histoire « immédiate » ?

La France a-t-elle une « mémoire collective coloniale », de même qu’un « inconscient collectif colonial » ?

            Comme je l’ai déjà écrit, un courant contemporain d’historiens et de chercheurs a mis l’éclairage sur l’importance de la mémoire « historique », au risque d’entamer la confiance que l’on peut accorder aux recherches historiques les plus sérieuses, notamment en avançant l’idée ou le principe d’une mémoire collective « coloniale », et même d’un inconscient collectif « colonial ».

            J’ai traité ce sujet sur le blog à plusieurs reprises, notamment le 15 avril 2010, en résumant la leçon que proposait Maurice Halbwachs dans son livre « La mémoire collective », en relevant la critique de fond que suscitait le discours de l’historien Stora sur l’existence ou non d’une mémoire collective coloniale, de même que le discours tenu à la Mairie de Paris dans un colloque intitulé « Décolonisons les imaginaires ».

Dans un article publié sur le blog, le  15/04/2010, je m’attachais à :à définir ce qu’est la mémoire collective selon les critères d’Halbwachs, son véritable initiateur, ci-après (contribution 1) , à proposer au lecteur trois analyses concrètes de textes ou de situations évoquées par des historiens ou d’autres intellectuels, « La guerre des mémoires » de l’historien Stora, d’une part (contribution 2), et le colloque de la Mairie de Paris du 12/03/09 sous le titre « Décolonisons les imaginaires », d’autre part (contribution 3).             

1-  Histoire ou mémoire collective ?

Contribution 1  Le débat postcolonial avec l’éclairage Hallbwachs

            A lire articles ou livres de chercheurs, sociologues ou historiens, notre mémoire collective jouerait un rôle primordial dans l’approche et la compréhension de notre histoire coloniale.

            Une mémoire collective investie d’un rôle clé, quelques exemples :

            Premier exemple, le livre « La guerre des mémoires ».

             Citons des échantillons des textes dans lesquels il est fait référence à ce concept.

            « La guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), «  la fracture coloniale, c’est une réalité » (p.33), le « refoulement de la question coloniale » (p.32), « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective jusqu’à aujourd’hui une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer (p.32), « les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            Deuxième exemple, le livre « L’Europe face à son passé colonial »

            A la page 144, un historien note « une explosion mondiale des mémoires », et un autre écrit à la page 219 : «  La mémoire coloniale constitue depuis plusieurs années un sujet primordial dans le débat public français. »

            Troisième exemple, le livre « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy ».

            Un historien illustre à plusieurs reprises le concept : « une vision largement partagée par nos concitoyens (p.113) », « ces stéréotypes », « cette façon de voir les Africains est bien présente dans la mentalité française (p.116) », « combien le discours de Dakar « colle » à une opinion majoritaire en France » (p.122), « au service de l’anéantissement de ces clichés et stéréotypes si profondément ancrés dans une certaine vision de l’Afrique. » (p.123)

            Quatrième exemple, le livre « Mémoire année zéro ».

            Brillant essai d’un auteur habile à manier les concepts de mémoire, d’histoire, et d’identité nationale, à donner le vertige intellectuel au lecteur, j’écrirais volontiers d’une excellente facture « ENA ».

            Dans cet essai riche en citations, références, jugements et perspectives,  l’auteur écrit : « A côté de l’histoire, la mémoire était un instrument commode et populaire. La mémoire est collective (1). Les souvenirs sont individuels. (p.24) » La note (1) de la page 39 renvoie au livre « La mémoire collective » de Maurice Halbwachs, sans autre plus de précision.

            A la même page 39, l’auteur écrit : « On le voit : notre mémoire collective est en crise… »

            L’auteur nous entraîne dans un exercice de haute voltige intellectuelle autour du concept de mémoire, sans attacher, semble-t-il, une grande importance à la définition stricte des concepts manipulés, notamment sans asseoir ses raisonnements sur la définition rigoureuse de la mémoire collective qu’en a proposée Halbwachs.

            A partir de quelle définition et quelle mesure, ces appréciations et assertions sont-elles formulées, donc sur quel fondement ? Telle est la question

A force de lire articles et livres portant sur l’histoire coloniale, sur le passé colonial de la France, je me suis posé la question de savoir ce qu’était cette fameuse mémoire collective, nouvelle panacée de certains intellectuels, comme nous l’avons vu.

            J’ai donc été à la rencontre de l’inventeur, sauf erreur, de la théorie de la mémoire collective, c’est-à-dire Maurice Halbwachs, et donc de son livre fondateur, comme certains disent de nos jours.

            Rien ne vaut en effet, même pour un historien amateur, d’aller à la source.

            Qu’est-ce que nous dit cet auteur ? Dans un ouvrage austère, mais très bien écrit, Halbwachs analyse tous les aspects de la mémoire collective et en décrit les conditions de base, c’est-à-dire : une mémoire collective qui ne peut être définie que par rapport à :

            un espace (lequel ?),

            un groupe déterminé (lequel ?),

            un temps historique (lequel ?).

             Le sociologue ne manque pas de préciser qu’une mémoire collective a une durée de vie limitée (laquelle ?).

            Les héritiers du grand sociologue ont été inévitablement confrontés à la mesure de cette fameuse mémoire collective, en proposant méthodes, et outils de mesure quantitative, au moyen d’enquêtes statistiques fiables.

            Le constat : dans les textes des livres cités, nous n’avons trouvé ni définition du concept, ni indication de sources d’enquêtes statistiques, qui pourraient accréditer le discours de ces chercheurs.

            Je conclurai donc en faisant appel à la sagesse du bon vieux Descartes, comment ne pas douter, en tout cas pour l’instant, du fondement de ces affirmations, tant qu’elles ne s’appuieront pas sur des démonstrations conceptuelles et statistiques ?

            Pourquoi ne pas se demander entre autres si la fameuse mémoire collective française n’est pas plutôt branchée sur l’Europe, allemande, anglaise ou italienne, plutôt que coloniale ? A démontrer !

            Quelques citations éclairantes pour finir :

            « C’est à l’intérieur de ces sociétés que se développent autant de mémoires collectives originales qui entretiennent pour quelque temps le souvenir d’évènements qui n’ont d’importance que pour elles, mais qui intéressent d’autant plus leurs membres qu’ils sont peu nombreux. »  (page 129)

            « La mémoire collective, au contraire, c’est le groupe vu du dedans, et pendant une période qui ne dépasse pas la durée moyenne de la vie humaine, qui lui est, le plus souvent, bien inférieure. » ( p,140)

            « Chaque groupe défini localement a sa mémoire propre, et une représentation du temps qui n’est qu’à lui. » (p, 163)

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Mes recherches personnelles m’avaient conduit à m’interroger, notamment dans le  livre « Supercherie Coloniale » sur le discours mémoriel du collectif de chercheurs de l’équipe Blanchard, d’après lesquels la France de la Troisième République, puis de la Quatrième, aurait été imprégnée de culture coloniale puis impériale, plongée dans un « bain colonial », sans en avoir apporté les preuves scientifiques suffisantes, sans proposition d’une méthodologie de l’existence de la mémoire collective en question.

            Le chapitre IX de ce livre a résumé questions et critiques sous le titre «  Le ça colonial ! L’inconscient collectif ! Freud au cœur de l’histoire coloniale. Avec l’Algérie, l’alpha et l’oméga de la même histoire coloniale » (page 235 à 281)

Mes conclusions n’ont pas changé, faute pour les historiens et les mémorialistes de proposer une méthode scientifique de calcul qui permette effectivement d’y procéder :

  1. Comment parler de « mémoire collective » coloniale sous la Troisième République alors que l’instrument statistique des sondages n’a commencé à être utilisé en France, qu’après 1945 ? Et pour la période antérieure « coloniale » à partir de quels vecteurs de mémoire collective supposée ?
  2. Comment parler aussi d’un « inconscient collectif » colonial existant sous la Quatrième ou Cinquième République, sans s’être donné les moyens de le mesurer par des enquêtes d’opinion sérieuses, comme il est possible de le faire depuis de nombreuses années ?

A la condition sine qua non qu’on puisse scientifiquement l’ausculter et le mesurer ?

  1. Question : à partir des travaux de l’Observatoire B2V, et du livre « La mémoire entre sciences et société », la situation a-r-elle évolué avec les instruments statistiques nécessaires pour évaluer la mémoire collective du passé, ou encore l’inconscient collectif du même passé, grâce aux travaux de cet Observatoire ?      

Après avoir lu un article de Pascale Senk dans le Figaro du 20 mai 2019 sous le titre « Quand l’imaginaire collectif nous ébranle », et l’interview de Francis Eustache intitulée « La mémoire collective est en pleine expansion », ma curiosité a de nouveau été éveillée par ce sujet, et donc par ce livre.

Pascale Senk faisait référence à la publication d’un ouvrage collectif dirigé par Francis Eustache, intitulé « La mémoire, entre sciences et société » (Observatoire B2V des Mémoires- Le Pommier poche), avec la collaboration de six scientifiques, une psycho gérontologue, une neurologue, un spécialiste d’intelligence artificielle, un neurobiologiste, un historien, et un philosophe.

Ce livre de plus de 700 pages a évidemment un contenu austère pour un lecteur non spécialisé dans les disciplines traitées tout au long de très nombreux chapitres distribués dans cinq parties :  « Mémoire et oubli » (p,15 à 133) – « Mémoire et émotions » (p,133 à 277) – « Ma mémoire et les autres » (p,277 à 406) – « Les troubles de la mémoire : prévenir, accompagner »  (p,406 à 537) – « La mémoire du futur » (p, 537 à 671).

Le sous-titre de l’’article de Pascale Senk cadrait bien le sujet : « Catastrophes, attentats, faits divers… Face à l’actualité, notre vie psychique a aussi une dimension collective », de même que sa conclusion :

« Reste que de puissantes images nous imprègnent et constituent une autre forme d’imaginaire collectif se construisant en permanence : un héros donnant sa vie pour d’autres, des avions s’encastrant dans des buildings ou une cathédrale qui brûle. Combien de temps agiront-elles en chacun de nous, et pour les générations suivantes ? Nous l’ignorons. »

Dans l’interview de Francis Eustache, neuropsychologue de la mémoire humaine, et à la question : « Le Figaro – Pour vous qui travaillez sur la mémoire la notion d’inconscient collectif est-elle pertinente ?

Oui, car aujourd’hui les différentes disciplines étudiant la mémoire se rejoignent. Pendant longtemps, la psychologie et les neurosciences, d’une part, les sciences sociales, d’autre part, travaillaient de manière séparée. Aux premières l’étude de la mémoire individuelle, typique, ou malade ; aux secondes, la mémoire collective, avec un focus sur le fait que certains événements étaient occultés car ils n’avaient pas de signification sociale, mais finissaient par ressurgir. A Caen par exemple, les conséquences des bombardements alliés, ont longtemps été passées sous silence. Il a fallu soixante-dix-ans pour que l’on mentionne les victimes (25 000 victimes civiles). Mais les Normands qui avaient vécu cela avaient en fait deux mémoires : l’une familiale, beaucoup ayant perdu un ou plusieurs membres de leur famille sous ces bombardements ; l’autre collective, qui parlait de reconstruction et d’accueil des libérateurs. Différents types de mémoire peuvent donc cohabiter en chacun. »

  • Sont-elles transmissibles ?

« En tout cas, lorsqu’elles correspondent à des blessures indélébiles, leur récit saute souvent une génération…

Est-ce l’émotion qui « imprime » ces mémoires ?

Oui, quand l’histoire collective, rejoint un vécu personnel, cela crée une émotion surprenante qui nous dépasse. Nous cherchons à décrypter scientifiquement, par l’imagerie cérébrale, l’observation des neuro-cognitions et des enquêtes d’opinion par exemple, ces liens entre ces deux dimensions mnésiques. D’autant plus qu’avec les caisses de résonance que sont devenus les médias, les événements sont amplifiés. La mémoire collective est en pleine expansion.

Vous travaillez notamment sur la mémoire des attentats du 13 novembre 2015 … »

Pourquoi ne pas se demander si les deux concepts d’’inconscient collectif et de mémoire collective sont synonymes ?

Première partie  

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Mémoire collective et mémoire coloniale: ont-elles été mesurées? « La guerre des mémoires » par M.Stora

Mémoire collective et mémoire coloniale : ont- elles jamais été mesurées ? Quand ? Et par qui ?

Par Monsieur Stora ?

« La guerre des mémoires La France face à son passé colonial » par Benjamin Stora

Ce texte a été publié sur le blog Etudes coloniales

            « Pourquoi ne pas avouer que j’ai éprouvé un malaise intellectuel à la lecture de beaucoup des pages de ce livre, crayon en mains, alors que j’ai  aimé l’article du même auteur à la mémoire de Camus (Etudes coloniales du 30 septembre 2007). Albert Camus a été un de mes maîtres à penser,  à agir, et à réagir,  avant, pendant la guerre d’Algérie, et après. J’y ai servi la France et l’Algérie, en qualité d’officier SAS, en 1959 et 1960, dans la vallée de la Soummam, entre Soummam et forêt d’Akfadou.

              Un historien sur le terrain mouvant des mémoires chaudes, pourquoi pas ? Mais est-ce bien son rôle ? Dès l’avant- propos, le journaliste cadre le sujet de l’interview de M.Stora : « La France est malade de son passé colonial », mais sur quel fondement scientifique, le journaliste se croit-il permis d’énoncer un tel jugement ?

            Il est vrai que tout au long de l’interview l’historien accrédite cette thèse et s’attache à démontrer l’exactitude de ce postulat : les personnes issues des anciennes colonies, première, deuxième, troisième génération (il faudrait les quantifier, et surtout les flux , les dates, et les origines) «  se heurtent inévitablement à l’histoire coloniale » (p.12), « la guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), la « fracture coloniale », « c’est une réalité » (p.33), « l’objectif est d’intégrer, dans l’histoire nationale, ces mémoires bafouées » (p.81), « saisir comment s’élaborent en permanence les retrouvailles avec un passé national impérial » (p.90)

            Et l’auteur de ces propos, qui se veut « un passeur entre les deux rives », incontestablement celles de la Méditerranée, accrédite le sérieux des écrits d’un collectif de chercheurs qui n’ont pas réussi, jusqu’à présent, par le sérieux et la rigueur de leurs travaux historiques, à démontrer la justesse de la thèse qu’ils défendent, fusse avec le concours bienveillant de certains médias, quant à l’existence d’une culture coloniale, puis impériale, qui expliquerait aujourd’hui la fameuse fracture coloniale.

            Et le même auteur de reprendre le discours surprenant, de la part d’historiens de métier, sur la dimension psychanalytique du sujet : « la perte de l’empire colonial a été une grande blessure narcissique du nationalisme français » (p.31), pourquoi pas ? Mais à partir de quelles preuves ? « Refoulement de la question coloniale » (p.32). « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective, jusqu’à aujourd’hui, une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer » » (p.32). « Les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            « Pourquoi cette sensation diffuse d’une condition postcoloniale qui perdure dans une république où les populations issues des anciens empires n’arrivent pas à se faire entendre ? » (p.90).

            Comment ne pas souligner le manque de clarté des propos de l’auteur, lequel écrit page 11 que la population issue des anciennes colonies a doublé entre les années 1980 et 2007, et les propos qu’il tient parallèlement sur les « mémoires bafouées » : mais les colonies sont indépendantes depuis le début des années 60, et l’Algérie depuis 1962 !

            De quelles générations s’agit-il ? Des enfants d’immigrés du travail venus en France avant 1962 ? Ou pour l’Algérie, importante source d’immigration, des enfants de pieds noirs, de harkis, ou d’enfants de citoyens algériens venus en France après l’indépendance de leur pays, notamment en raison de ses échecs économiques, puis de sa guerre, à nouveau civile ? Pour ne citer que l’exemple de l’Algérie qui est le postulat de la plupart de ces réflexions.

            L’auteur cite le cas de Boudiaf, un des principaux fondateurs du FLN, lequel revenu d’exil dans son pays en 1992, était inconnu des jeunes Algériens : « Les jeunes Algériens ne connaissaient même pas son nom » (p.60).

            Quant au propos tenu sur Madagascar, pays avec lequel j’entretiens des relations particulières, « Dans cette ancienne colonie française, les milliers de morts des massacres de 1947 restent dans toutes les mémoires »

            Je ne suis pas le seul  à dire que la repentance de Chirac, lors de son voyage de   2005,  est tombée à plat, parce que ce passé est méconnu des jeunes générations, un propos complètement faux.

            L’auteur de ces lignes est-il en mesure de justifier son propos ?

            Les Malgaches ne connaissent pas mieux leur passé colonial que les Français, car pour ces derniers, ce n’est pas l’enquête de Toulouse, faite en 2003, par le collectif de chercheurs évoqué plus haut, qui peut le démontrer. Cette enquête va clairement dans un tout autre sens, celui de la plus grande confusion qui règne actuellement sur tout ce qui touche le passé colonial, la mémoire, et l’histoire coloniale elle-même, et la réduction de cette histoire à celle de l’Algérie. Cette enquête révélait en effet l’importance capitale de la guerre d’Algérie dans la mémoire urbaine de Toulouse et de son agglomération.

            Et ce constat avait au moins le mérite de corroborer deux des observations de l’auteur, celle relative à « l’immigration maghrébine » qui « renvoie à l’histoire coloniale », et l’autre quant à l’importance de la guerre d’Algérie dans cette « guerre des mémoires » : « Mais, c’est la guerre d’Algérie, qui est le nœud gordien de tous les retours forts de mémoire de ces dernières années. » (p.50)

            L’obsession de l’Algérie

            Et c’est sur ce point que le malaise est le plus grand, car comment ne pas voir, que pour des raisons par ailleurs très estimables, l’auteur de ces lignes a l’obsession de l’histoire de l’Algérie, et qu’il a tendance à analyser les phénomènes décrits avec le filtre de l’Algérie, son histoire familiale aussi, à Constantine, pour ne pas dire la loupe, avec toujours en arrière- plan, le Maghreb.

            Le tiers des pages de ce livre se rapporte à l’Algérie, et beaucoup plus encore dans l’orientation des réflexions qui y sont contenues. Les autres situations coloniales ne sont évoquées qu’incidemment, alors que l’histoire coloniale n’est pas seulement celle de l’Algérie, quelle que soit aujourd’hui l’importance capitale de ce dossier.

            Un mot sur la mémoire ou les mémoires de l’Algérie et de la guerre d’Algérie. Pour en avoir été un des acteurs de terrain, je puis témoigner qu’il est très difficile d’avoir une image cohérente et représentative de la guerre d’Algérie vécue par le contingent. Chaque soldat, chaque sous-officier, et chaque officier, a fait une guerre différente selon les périodes, les secteurs, les postes militaires occupés, et les commandements effectifs à leurs différents niveaux (sous quartiers, quartiers, secteurs, et régions).

          Si beaucoup d’anciens soldats du contingent ont écrit leurs souvenirs, peu par rapport à leur nombre, mon appartenance à ce milieu me conduit à penser que beaucoup d’entre eux se réfugient toujours dans le silence, mais pas obligatoirement pour la raison qu’ils auraient commis des saloperies, ou assisté à des saloperies. Un silence qui pourrait s’expliquer par un fossé immense d’incompréhension entre leur vécu, l’attitude des autorités d’hier ou d’aujourd’hui, et celle du peuple français

            M.Rotman a parlé de guerre sans nom. Je dirais plus volontiers, guerre de l’absenceabsence d’ennemi connu, absence du peuple dans cette guerre, sauf par le biais du contingent qui, à la fin de ce conflit, s’est trouvé tout naturellement en pleine communauté de pensée avec le cessez le feu du 19 mars 1962. Et c’est sans doute le sens profond de sa revendication mémorielle.

            Pour la grande majorité des appelés, l’Algérie n’était pas la France.

            Les appelés ne savent toujours pas, pour ceux qui sont encore vivants, quelle guerre on leur a fait faire : guerre de l’absence et du silence, et le remue-ménage qui agite en permanence, à ce sujet, certains milieux politiques ou intellectuels leur est étranger.

            Il convient de noter que pour un acteur de ce conflit, ou pour un chercheur marqué dans sa chair et dans son âme par celui-ci, c’est un immense défi à relever que de vouloir en faire l’histoire.

            Et sur au moins un des points évoqués dans le livre, je partage le constat qu’il fait sur l’effet des lois d’amnistie « personne ne se retrouvera devant un tribunal » (p.18), et personnellement je regrette qu’il en soit ainsi, parce qu’il s’agit là d’une des causes du silence du contingent, et de cette conscience d’une guerre de l’absence. A quoi servirait-il de dénoncer des exactions injustifiables si leurs responsables, c’est-à-dire les salauds inexcusables n’encourent  aucune poursuite judiciaire ? Cette amnistie n’a pas rendu service à la France que j’aime et à son histoire.

            Le métier d’historien

            Ma position de lecteur, amateur d’histoire, assez bon connaisseur de notre histoire coloniale, me donne au moins la liberté de dire et d’écrire ce que je pense des livres qui ont l’ambition de relater ce pan de notre histoire.

            Ce passage permanent de la mémoire à l’histoire  et inversement, est très troublant, sans que l’intelligence critique y trouve souvent son compte! Et beaucoup d’affirmations ne convainquent pas !

            Est-il possible d’affirmer, en ce qui concerne l’Assemblée Nationale et sa composition : « C’est d’ailleurs une photographie assez fidèle de cette génération qui a fait la guerre d’Algérie ou qui a été confrontée à elle. »

            Une analyse existe-t-elle à ce sujet ? Et si oui, serait-elle représentative de l’opinion du peuple français à date déterminée ?

            Tout est dans la deuxième partie de la phrase et le participe passé « confrontée »qui permet de tout dire, sans en apporter la preuve.

            La mise en doute du résultat des recherches qui ont été effectuées sur l’enrichissement de la métropole par les colonies : mais de quelle période parle l’auteur et de quelle colonie ? (p.20)

            L’affirmation d’après laquelle la fin de l’apartheid aurait été le  « coup d’envoi » mémoriel mondial (p.41) : à partir de quelles analyses sérieuses ?

            L’assimilation de l’histoire coloniale à celle de Vichy, longtemps frappée du même oubli. (p.21,50, 96).  Non, les situations ne sont pas du tout les mêmes !

            Et ce flottement verbal et intellectuel entre mémoire et histoire, une mémoire partagée ou une histoire partagée ? (p.61,62, 63). Outre la question de savoir si une histoire peut être partagée.

             Et pour mettre fin à la guerre des mémoires, un appel à la reconnaissance et à la réparation (p.93), ou en d’autres termes, à la repentance, que l’historien récuse dans des termes peu clairs dans les pages précédentes (p.34), une récusation partielle répétée plus loin (p.95).

            Et d’affirmer qu’il est un historien engagé (p.88) et d’appeler en témoignage la tradition dans laquelle il inscrit ses travaux, celle des grands anciens que sont Michelet, Vidal-Naquet et Vernant. Pourquoi pas ? Mais il semble difficile de mettre sur le même plan périodes de recherche et histoires professionnelles et personnelles des personnes citées.

            Le lecteur aura donc compris, en tout cas je l’espère, pourquoi le petit livre en question pose en définitive autant de questions sur l’historien et sur l’histoire coloniale que sur les mémoires blessées ou bafouées qui auraient été transmises par je ne sais quelle génération spontanée aux populations immigrées, issues des anciennes colonies.

            Pourquoi refuser de tester la validité « scientifique », et en tout cas statistique, de ce type de théorie historique ?

            Nous formons le vœu qu’une enquête complète et sérieuse soit menée par la puissance publique sur ces questions de mémoire et d’histoire, afin d’examiner, cas par cas, l’existence ou l’absence de clichés, des fameux stéréotypes qui ont la faveur de certains chercheurs qui s’adonnent volontiers à Freud ou à Jung, la connaissance ou l’ignorance de l’histoire des colonies, et donc de mesurer le bien fondé, ou non, des thèses mémorielles et historiques auxquelles l’historien a fait largement écho.

            Alors, histoire ou mémoire ?

            La nouvelle ère des historiens entrepreneurs

             L’histoire est-elle entrée dans un nouvel âge, celui de « l’Historien entrepreneur » selon l’expression déconcertante de Mme Coquery-Vidrovitch (Etudes coloniales du 27/04/07), ou celui de l’histoire devenue « bien culturel » selon l’expression de l’auteur ? Mais en fin de compte, sommes-nous toujours dans l’histoire ?

            Et à ce propos, nous conclurons par deux citations de Marc Bloch, évoquant dans un cas Michelet et ses  hallucinatoires résurrections, et dans un autre cas,  le piège des sciences humaines :

            «  Le grand piège des sciences humaines, ce qui longtemps les a empêchées d’être des sciences, c’est précisément que l’objet de leurs études nous touche de si près, que nous avons peine à imposer silence au frémissement de nos fibres. » (Fustel de Coulanges-1930)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés – le 11 novembre 2007          

« Algérie 1954-2014 L’anniversaire amer » Le Monde du 31 octobre 2014

« Algérie 1954-2014

L’anniversaire amer »

Le Monde du 31 octobre 2014

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Petit exercice de critique historique des pages du journal sur la guerre d’Algérie avec une invitation à passer à la phase 2, c’est à dire :

Mesurer les mémoires dans « la guerre des mémoires- la France face à son passé colonial » de Benjamin Stora,  et son nouveau concept de « transfert de mémoire » (voir l’éditorial).

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Avant-propos

            Pour avoir servi la France, et peut-être l’Algérie, pendant la guerre d’Algérie, au cours des années 1959 et 1960, dans la vallée de la Soummam, et continué à y lire ce journal, quand il m’était possible de me le procurer, j’aimerais donner mon opinion sur une partie des textes qui ont eu l’ambition de donner une image fidèle de cette guerre, pendant et après l’indépendance de l’Algérie.

            Je me propose donc de passer au crible trois des documents publiés par Le Monde, en premier, la sorte d’éditorial du supplément, signé Christophe Ayad, intitulé «  Sortir du déni et du mensonge », qu’il convient de lire ainsi, sauf erreur, « déni » de la France, et « mensonge » de l’Algérie.

            En deuxième, l’éditorial lui-même du journal, intitulé « De la mémoire à l’histoire ».

            En troisième, l’analyse de l’enquête IFOP, intitulée « Les passions s’apaisent sur la guerre d’Algérie » par Thomas Wieder.

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           En premier : « Sortir du déni (France) et du mensonge (Algérie) »

 Cette analyse n’est pas très convaincante.

            Les premiers paragraphes décrivant les débuts de cette guerre sont à la fois réducteurs, et inexacts : « Pour venir à bout de cette tactique mise en place par le FLN, l’armée française a mis au point et expérimenté la guerre contre-insurrectionnelle… L’armée américaine n’a rien inventé en Afghanistan ou en Irak. »

            Comme si Mao Tsé Toung n’avait pas mis en œuvre ce type de guerre en Chine, et comme si les guerres contre-insurrectionnelles, anglaise de Malaisie, puis française d’Indochine n’avaient pas non plus existé !

            Et rien sur la guerre fratricide entre le MNA et le FLN, avec ses plus de 20 000 victimes, pour ne pas citer l’autre guerre civile entre algériens pro et antifrançais, et pas plus sur la présence en Algérie de plus d’un million de pieds noirs.

        « Poids de l’histoire », l’auteur écrit :

            « La constante des guerres contre-insurrectionnelles, c’est qu’en cas de succès militaire, elles débouchent sur des désastres politiques. … «  Voire ! Lesquels ?

            L’auteur poursuit : « L’autre malédiction des guerres contre-insurrectionnelles est qu’elles inoculent leur venin à ceux qu’elles sont censées combattre. » et le tour est joué !

            L’armée française a inoculé son venin à l’armée du FLN, celle qui est « restée stationnée en Tunisie et au Maroc sans combattre » (et les batailles des frontières ?), celle qui a pris le pouvoir, et est donc responsable de ce qui s’est passé en Algérie jusqu’à nos jours.

          L’auteur ajoute : « De son homologue française sous la colonisation, l’armée algérienne a hérité du même mépris pour les civils, d’un goût prononcé pour les affaires politiques et d’un penchant certain pour la manipulation. Elle se conduit, à bien des égards, en force d’occupation de sa propre société. ».

            « Même mépris pour les civils » n’est-ce pas par trop caricatural, et même faux ? Et évidemment, par la voie de son armée, la France est à nouveau responsable ! C’est toujours la faute des Français ! Plus de cinquante ans après !

:           L’auteur évoque alors l’opération Serval au Mali et une nouvelle coopération militaire franco-algérienne « en catimini » :

            « Le poids de l’Histoire est sans doute trop fort. En France, l’oubli et l’ignorance ne sont qu’une autre forme du déni passé ; et en Algérie, la mémoire de la guerre est instrumentalisée et usée jusqu’à la corde… Ce n’est qu’en sortant du déni français et du mensonge algérien que l’on pourra justifier, auprès des opinions publiques des deux pays, une lutte contre le terrorisme pour une fois justifié et susceptible de remporter l’adhésion. »

            Un discours qui se situe hors de l’histoire réelle de notre pays, car les citoyens français ont eu beaucoup plus d’occasions d’être informés sur la guerre d’Algérie, que n’a l’air de le croire l’auteur de ce papier, y compris sur les aspects les plus noirs de la pacification, en particulier, par les soins du journal Le Monde.

         Comme de nombreux lecteurs de ce journal pendant la guerre d’Algérie, soldats appelés ou non, il m’est arrivé souvent de penser que le journal proposait trop souvent une information partisane, avec toujours la France en négatif.

        A la limite, il n’était pas interdit de penser que le « terroriste «  avait toujours raison, alors qu’il s’agissait au moins autant d’une guerre civile que d’une guerre franco-algérienne.

        En deuxième, le contenu de l’éditorial du 31 octobre 2014,

         Un contenu que je relierais volontiers à celui du sondage IFOP analysé plus loin sur la mémoire et l’histoire de cette guerre, et sur la grande ambiguïté que certains historiens entretiennent entre mémoire et histoire.

        Je cite :

     « Aujourd’hui encore, comment ne pas voir dans le refoulement de ce drame l’origine de ce que l’historien Benjamin Stora a appelé « le transfert de mémoire » : l’importation, en « métropole » d’une mémoire coloniale où se mêlent la peur du « petit blanc », son angoisse identitaire face à l’Islam, son racisme antimaghrébin et les  crispations identitaires antagonistes qui en résultent » :

     Rien de moins !

        Une nouvelle école mémorielle ou historique ? Après la guerre des mémoires, entre qui et qui, et avec quelle démonstration statistique ? Une nouvelle extension de la psychanalyse coloniale et postcoloniale grâce à un « transfert » jamais mesuré, et sans doute mesurable !

      Des historiennes et historiens se sont fait une spécialité d’une lecture de notre histoire coloniale à partir de concepts aussi étranges qu’une « mémoire collective », ici coloniale ou postcoloniale (voir Stora), jamais mesurée par voie d’enquêtes et de sondages, ou mieux encore d’un « inconscient collectif » toujours colonial ou post colonial ( voir Coquery-Vidrovitch et ), jamais non plus mesuré.

      J’ai déjà eu maintes occasions de dénoncer le discours idéologique et non « scientifique » de ces chercheurs, sans preuves.

        L’éditorial fait donc appel à un nouveau concept adopté par M.Stora « le transfert de mémoire ».

      Comme je l’ai demandé à maintes reprises sur ce blog, que ces grands lettrés aient le courage en effet de démontrer, statistiquement parlant, que les concepts d’explication avancés pour mieux connaitre la mémoire des citoyens, ont effectivement une réalité mesurée.

     Le 12 mars 2009, le journal Le Monde s’était prêté à ce même type d’explication, une affirmation sans fondement statistique, en s’associant à la Ville de Paris pour célébrer le slogan « Décolonisons les imaginaires », la vraie « propagande », celle-là !

    En troisième lieu, et enfin, Eurêka ! L’heureuse surprise d’une première mesure statistique de quelques-uns des aspects de la mémoire algérienne des Français, le journal propose à la page 9 les résultats d’une enquête d’opinion, intitulée :

« Les passions s’apaisent sur la guerre d’Algérie

Soixante ans après le début du conflit, l’IFOP a sondé les Français pour « Le Monde » et la Fondation Jean Jaurès »

Avec dans la marge :

« Rares sont ceux qui reprennent un vocabulaire de l’époque ou des qualificatifs symptomatiques d’une mémoire blessée »

      Cette enquête répond enfin, et  en partie, à cette demande de démonstration statistique.

            Sous le titre ambigu « Le poids de la mémoire pied-noire », le journal publie un graphique récapitulant le pourcentage de réponses à la question pour l’ensemble des français, et pour les sympathisants PS, UMP, FN :

        « Pour vous, personnellement, la guerre d’Algérie, c’est :

       L’arrivée des pieds noirs en France  (59% pour l’ensemble des Français), une guerre de libération pour un peuple colonisé (54% pour l’ensemble des Français),  le retour du général de Gaulle au pouvoir (41% pour l’ensemble des Français), une défaite pour la France (38% pour l’ensemble des Français), l’abandon des harkis (38% pour l’ensemble des Français).

        L’auteur de l’article fait état d’autres données statistiques qui ne figurent pas dans ces graphiques :

       « Acceptation globale. Autre preuve de ce regard distancé que portent aujourd’hui les Français sur ce conflit : l’acceptation de son dénouement par une assez forte majorité d’entre eux. Soixante-huit pour cent des personnes interrogées estiment ainsi que l’indépendance «  a été plutôt une bonne choses pour l’Algérie », tandis que 65% estiment qu’elle a été « plutôt une bonne chose pour la France ».

        L’auteur poursuit :

      « Frustration

       Restent un malaise et une frustration. Le malaise porte sur l’attitude de la France depuis la fin de la guerre d’Algérie…

     Et l’auteur note à cet égard une différence d’appréciation selon la couleur politique de gauche ou de droite,

     « Seule la question des harkis fait consensus, c’est-à-dire des Algériens favorables à l’Algérie française, fait consensus : à droite comme à gauche, plus de deux personnes interrogées sur trois estiment que « la France s’est plutôt mal comportée » à leur égard. 

            Quant à la frustration, elle porte sur la place accordée à la guerre d’Algérie dans l’espace public. De ce point de vue, les Français font une distinction  entre les médias et l’école. Dans les médias, cette place est jugée suffisante par 43% des personnes interrogées, mais insuffisante par 37% d’entre elles. A l’école, en revanche, 54% des personnes interrogées estiment qu’on n’en parle pas assez. Cette curiosité doit être vue comme une opportunité : combler cet appétit pour l’histoire est sans doute le meilleur remède aux plaies de la mémoire »

            Enfin une initiative positive ! Mais avec le souhait que Le Monde s’associe à nouveau à la Fondation Jean Jaurès pour passer à une autre étape de vérité, la mesure des mémoires dans la guerre des mémoires de M.Stora, du nouveau concept de « transfert de mémoire », et pourquoi pas ?

         Celle d’une soi-disant mémoire coloniale, algérienne et non algérienne, qui imprégnerait, encore, et au choix, la « mémoire collective » ou « l’inconscient collectif » des Français.

Jean Pierre Renaud

JEUX DE MEMOIRE COLONIALE OU LE SEXE DES ANGES COLONIAUX

Mémoire collective

Contribution 4

Rappel des contributions précédentes :

Contribution 1 : définition de la mémoire collective (15/04/10)

Contribution 2 : « La guerre des mémoires » de M.Stora (25/04/10)

Contribution 3 : « Décolonisons les imaginaires » : le colloque de la Mairie de Paris du 12 mars 2009

(3/05/10)

Jeux de mémoire coloniale ou le sexe des anges coloniaux

« Françaises, Français, décolonisez vos imaginaires ! »

            Mémoire collective, inconscient collectif, stéréotypes, ces concepts sont à la mode dans certains milieux. Ils seraient l’alpha et l’omega d’une histoire coloniale que personne ne connaît, pas plus en France que dans les anciennes colonies, et qui, miraculeusement, rendrait compte de notre regard et de notre comportement actuels à l’égard des nouveaux indigènes de la République.

            La mémoire collective s’est substituée à l’histoire, et c’est beaucoup plus commode pour les ignorants.

            L’histoire coloniale est donc tombée dans le piège des mémoires, d’une mémoire collective que tout un chacun cite, sans jamais en avancer la moindre preuve, notamment des enquêtes et des sondages ? Sans en donner une quelconque mesure ? Sans produire une analyse enfin sérieuse de cette mémoire coloniale qui resterait quand on aurait tout oublié, pour paraphraser la  phrase célèbre d’Herriot sur la culture ?

            Un sondage chaque jour, sur l’alimentation, sur les retraites, les vacances… mais le désert complet sur la mémoire collective !

            Aurait-on peur des résultats d’un sondage exhaustif et honnête sur cette fameuse mémoire collective coloniale ?

            Il est tout de même étrange qu’une secrétaire d’Etat de couleur, et qu’un présentateur de télévision également coloré, figurent actuellement parmi les personnages publics les plus populaires d’une France ravagée par sa mémoire coloniale !

            Un historien médiatique a commis récemment un petit livre intitulé La guerre des mémoires. Dans un livre récent également, L’Europe face à son passé colonial, plusieurs historiens ont fait référence à la mémoire collective, sans jamais la définir et en donner de preuve, par une analyse des médias notamment.

            A l’occasion d’un colloque consacré aux images coloniales en 1993, plusieurs historiens sérieux avaient déjà évoqué les concepts magiques d’un inconscient et d’une mémoire collectifs, qu’ils n’ont jamais défini et évalué.

            Invoquer à tout propos une mémoire collective que personne n’a le courage de mesurer et d’évaluer, alors que chacun est à même de mesurer chaque jour les limites et les faiblesses de sa mémoire individuelle, parait donc tout à fait incongru.

            Nos mémoires individuelles sont déjà très fragiles, alors que dire de la mémoire collective ? Avancer pour toute explication, et sans aucune preuve statistique, compilation de journaux, d’émissions, de documents, mais surtout sans bonne et saine enquête approfondie, une mémoire collective indéfinie et indéfinissable, frise l’escroquerie intellectuelle et est purement et simplement de la manipulation.

            Les discours idéologiques et politiques qui enchaînent à tout propos mémoire collective, inconscient collectif, et stéréotypes coloniaux n’auront de crédit qu’à partir du moment où une enquête sérieuse, exhaustive, et objective en auront apporté commencement de bonne preuve, et bonne preuve.

            Le Maire de Paris a organisé le 12 mars 2009 un colloque sous le patronage du journal le Monde, intitulé Décolonisons les imaginaires.

            J’ai demandé au maire et au journal sur quelle base scientifique il était possible d’avancer que notre imaginaire était colonisé, mais j’attends toujours la réponse.

            Ce type d’initiative, irresponsable, contribue à accréditer un discours idéologique et politique qui alimente le feu couvant des banlieues.

            A l’heure actuelle, l’inconscient collectif, la mémoire collective et les stéréotypes coloniaux, sont donc à ranger, dans l’état actuel de nos connaissances,  dans le même rayon que le sexe des anges coloniaux.

Jean Pierre Renaud, le 8 juillet 2009

Et en guise de conclusion, une anecdote qui met en lumière le rôle des bibliothèques du Maire de Paris : dysfonctionnement administratif ou censure ?

            En 2008,  j’ai déposé moi-même au Service des Bibliothèques un exemplaire du livre « Supercherie coloniale », avec lettre d’envoi jointe, livre qui démontre, point par point,  l’absence de fondement, de méthode, et de sérieux, de la thèse d’un collectif de chercheurs sur le thème de la  « Culture coloniale », thèse largement répandue dans plusieurs livres, dans le but d’illustrer la colonisation de nos imaginaires.

             Ce livre s’est trouvé, quelques mois plus tard, dans une solderie de livres, l’exemplaire déposé contenant la lettre personnelle d’envoi avec l’adresse de l’expéditeur.

            Un livre égaré, avec sa lettre d’envoi avec le nom et l’adresse de l’expéditeur, vous ne trouvez pas ça étrange ?

« Décolonisons les imaginaires »: Le Monde au colloque de la mairie de Paris, le 12 mars 2009

Mémoire collective

Contribution 3

Rappel des contributions précédentes :

Contribution 1 du 15 avril 2010 : la mémoire collective n’est pas « un lieu commun », elle doit et peut être définie.

            Contribution 2 du 25 avril 2010 : que penser de la thèse développée sur le sujet par M.Stora dans le livre « La guerre des mémoires »

Contribution 3

Objet : la participation du journal Le Monde au Colloque intitulé « Décolonisons les imaginaires » organisé par la mairie de Paris le 12 mars 2009

            J’ai découvert l’existence du colloque « Décolonisons les imaginaires », en lisant l’interview de Mme Bengugui par Mme Van Eeckhout dans le journal du 13 mars 2009.

            J’ai fait part de mon opinion sur cette interview au maire de Paris, en indiquant qu’autant j’approuvais le constat de l’utilité de « la mesure de la diversité ethnique », autant je n’étais pas d’accord sur le discours accréditant l’existence d’une colonisation des imaginaires français. J’en ai également fait part à votre collaboratrice.

            En associant le Monde à cette initiative municipale, et en faisant figurer son nom sur le programme, le journal de référence a cautionné un titre qui sonne comme un slogan politique ou idéologique, alors qu’aucune enquête scientifique sérieuse ne parait accréditer le discours d’après lequel nos imaginaires seraient colonisés et auraient besoin d’être décolonisés.

            Les mots devraient avoir encore plus d’importance pour un journal de référence que pour le commun des mortels, et je déplore l’usage de ces mots.

            Je mets au défi, un journal que j’estime, d’apporter la démonstration scientifique, par exemple une enquête d’opinion sérieuse et complète, que la situation actuelle serait bien celle d’une mémoire colonisée,  qu’il faudrait donc décoloniser.

            L’enquête approfondie dont vient de faire état le journal, le 25 avril, ne parait pas répondre à cette question.

             La discrimination n’est pas obligatoirement liée à une histoire coloniale que l’immense majorité des Français ignore, mise à part celle de l’Algérie et surtout de sa guerre, ni à une mémoire collective que personne n’a eu le courage de mesurer, notamment tous les responsables politiques. Alors on dit n’importe quoi, et on écrit n’importe quoi, au risque  de fournir des aliments de propagande à des groupes de pression qui ignorent le plus souvent leur propre histoire, et qui sont trop contents de voir accréditer certaines de leurs affabulations idéologiques.

            Les écrits de certains collectifs de chercheurs qui dispensent ce type de propagande mémorielle n’ont, en tout cas jusqu’à présent, apporté aucune preuve scientifique sérieuse sur le sujet.

            Pourquoi ne pas traiter sérieusement des sujets qui sont sérieux pour l’avenir de notre pays ?

Jean Pierre Renaud

Mémoire collective,  » La guerre des mémoires. La France face à son passé colonial » B.Stora

Mémoire collective

Contribution 2

 « La guerre des mémoires

 La France face à son passé colonial »

 par Benjamin Stora

            Pourquoi ne pas avouer que j’ai éprouvé un malaise intellectuel à la lecture de beaucoup des pages de ce livre, crayon en mains, alors que j’ai  aimé l’article du même auteur à la mémoire de Camus (Etudes coloniales du 30 septembre 2007). Albert Camus a été un de mes maîtres à penser,  à agir, et à réagir,  avant, pendant la guerre d’Algérie, et après. J’y ai servi la France et l’Algérie, en qualité d’officier SAS, en 1959 et 1960, dans la vallée de la Soummam, entre Soummam et forêt d’Akfadou.

              Un historien sur le terrain mouvant des mémoires chaudes, pourquoi pas ? Mais est-ce bien son rôle ? Dès l’avant propos, le journaliste cadre le sujet de l’interview de M.Stora : « La France est malade de son passé colonial », mais sur quel fondement scientifique, le journaliste se croit-il permis d’énoncer un tel jugement ?

            Il est vrai que tout au long de l’interview l’historien accrédite cette thèse et s’attache à démontrer l’exactitude de ce postulat : les personnes issues des anciennes colonies, première, deuxième, troisième génération (il faudrait les quantifier, et surtout les flux , les dates, et les origines) «  se heurtent inévitablement à l’histoire coloniale » (p.12), « la guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), la « fracture coloniale », « c’est une réalité » (p.33), « l’objectif est d’intégrer, dans l’histoire nationale, ces mémoires bafouées » (p.81), « saisir comment s’élaborent en permanence les retrouvailles avec un passé national impérial » (p.90)

            Et l’auteur de ces propos, qui se veut « un passeur entre les deux rives », incontestablement celles de la Méditerranée, accrédite le sérieux des écrits d’un collectif de chercheurs qui n’ont pas réussi, jusqu’à présent, par le sérieux et la rigueur de leurs travaux historiques, à démontrer la justesse de la thèse qu’ils défendent, fusse avec le concours bienveillant de certains médias, quant à l’existence d’une culture coloniale, puis impériale, qui expliquerait aujourd’hui la fameuse fracture coloniale.

            Et le même auteur de reprendre le discours surprenant, de la part d’historiens de métier, sur la dimension psychanalytique du sujet : « la perte de l’empire colonial a été une grande blessure narcissique du nationalisme français » (p.31), pourquoi pas ? Mais à partir de quelles preuves ? « Refoulement de la question coloniale » (p.32). « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective, jusqu’à aujourd’hui, une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer » » (p.32). « Les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            « Pourquoi cette sensation diffuse d’une condition postcoloniale qui perdure dans une république où les populations issues des anciens empires n’arrivent pas à se faire entendre ? » (p.90).

            Comment ne pas souligner le manque de clarté des propos de l’auteur, lequel écrit page 11 que la population issue des anciennes colonies a doublé entre les années 1980 et 2007, et les propos qu’il tient parallèlement sur les « mémoires bafouées » : mais les colonies sont indépendantes depuis le début des années 60, et l’Algérie depuis 1962 !

            De quelles générations s’agit-il ? Des enfants d’immigrés du travail venus en France avant 1962 ? Ou pour l’Algérie, importante source d’immigration, des enfants de pieds noirs, de harkis, ou d’enfants de citoyens algériens venus en France après l’indépendance de leur pays, notamment en raison de ses échecs économiques, puis de sa guerre, à nouveau civile ? Pour ne citer que l’exemple de l’Algérie qui est le postulat de la plupart de ces réflexions.

            L’auteur cite le cas de Boudiaf, un des principaux fondateurs du FLN, lequel revenu d’exil dans son pays en 1962, était inconnu des jeunes Algériens : « Les jeunes Algériens ne connaissaient même pas son nom » (p.60).

            Quant au propos tenu sur Madagascar, pays avec lequel j’entretiens des relations particulières, « Dans cette ancienne colonie française, les milliers de morts des massacres de 1947 restent dans toutes les mémoires »

            Je ne suis pas le seul  à dire que la repentance de Chirac, lors de son voyage de   2005,  est tombée à plat, parce que ce passé est méconnu des jeunes générations.

            L’auteur de ces lignes est-il en mesure de justifier son propos ?

            Les Malgaches ne connaissent pas mieux leur passé colonial que les Français, car pour ces derniers, ce n’est pas l’enquête de Toulouse, faite en 2003, par le collectif de chercheurs évoqué plus haut, qui peut le démontrer. Cette enquête va clairement dans un tout autre sens, celui de la plus grande confusion qui règne actuellement sur tout ce qui touche le passé colonial, la mémoire, et l’histoire coloniale elle-même, et la réduction de cette histoire à celle de l’Algérie. Cette enquête révélait en effet l’importance capitale de la guerre d’Algérie dans la mémoire urbaine de Toulouse et de son agglomération.

            Et ce constat avait au moins le mérite de corroborer deux des observations de l’auteur, celle relative à « l’immigration maghrébine » qui « renvoie à l’histoire coloniale », et l’autre quant à l’importance de la guerre d’Algérie dans cette « guerre des mémoires » : « Mais, c’est la guerre d’Algérie, qui est le nœud gordien de tous les retours forts de mémoire de ces dernières années. » (p.50)

            L’obsession de l’Algérie

            Et c’est sur ce point que le malaise est le plus grand, car comment ne pas voir, que pour des raisons par ailleurs très estimables, l’auteur de ces lignes a l’obsession de l’histoire de l’Algérie, et qu’il a tendance à analyser les phénomènes décrits avec le filtre de l’Algérie, pour ne pas dire la loupe, avec toujours en arrière plan, le Maghreb.

            Le tiers des pages de ce livre se rapporte à l’Algérie, et beaucoup plus encore dans l’orientation des réflexions qui y sont contenues. Les autres situations coloniales ne sont évoquées qu’incidemment, alors que l’histoire coloniale n’est pas seulement celle de l’Algérie, quelle que soit aujourd’hui l’importance capitale de ce dossier.

            Un mot sur la mémoire ou les mémoires de l’Algérie et de la guerre d’Algérie. Pour en avoir été un des acteurs de terrain, je puis témoigner qu’il est très difficile d’avoir une image cohérente et représentative de la guerre d’Algérie vécue par le contingent. Chaque soldat, chaque sous-officier, et chaque officier, a fait une guerre différente selon les périodes, les secteurs, les postes militaires occupés, et les commandements effectifs à leurs différents niveaux (sous quartiers, quartiers, secteurs, et régions). Si beaucoup d’anciens soldats du contingent ont écrit leurs souvenirs, peu par rapport à leur nombre, mon appartenance à ce milieu me conduit à penser que beaucoup d’entre eux se réfugient toujours dans le silence, mais pas obligatoirement pour la raison qu’ils auraient commis des saloperies, ou assisté à des saloperies. Un silence qui pourrait s’expliquer par un fossé immense d’incompréhension entre leur vécu, l’attitude des autorités d’hier ou d’aujourd’hui, et celle du peuple français

            M.Rotman a parlé de guerre sans nom. Je dirais plus volontiers, guerre de l’absenceabsence d’ennemi connu, absence du peuple dans cette guerre, sauf par le biais du contingent qui, à la fin de ce conflit, s’est trouvé tout naturellement en pleine communauté de pensée avec le cessez le feu du 19 mars 1962. Et c’est sans doute le sens profond de sa revendication mémorielle.

            Pour la grande majorité des appelés, l’Algérie n’était pas la France.

            Les appelés ne savent toujours pas quelle guerre on leur a fait faire : guerre de l’absence et du silence, et le remue-ménage qui agite en permanence, à ce sujet, certains milieux politiques ou intellectuels leur est étranger.

            Il convient de noter que pour un acteur de ce conflit, ou pour un chercheur marqué dans sa chair et dans son âme par celui-ci, c’est un immense défi à relever que de vouloir en faire l’histoire.

            Et sur au moins un des points évoqués dans le livre, je partage le constat qu’il fait sur l’effet des lois d’amnistie « personne ne se retrouvera devant un tribunal » (p.18), et personnellement je regrette qu’il en soit ainsi, parce qu’il s’agit là d’une des causes du silence du contingent, et de cette conscience d’une guerre de l’absence. A quoi servirait-il de dénoncer des exactions injustifiables si leurs responsables, c’est-à-dire les salauds inexcusables n’encourent  aucune poursuite judiciaire ? Cette amnistie n’a pas rendu service à la France que j’aime et à son histoire.

            Le métier d’historien

            Ma position de lecteur, amateur d’histoire, assez bon connaisseur de notre histoire coloniale, me donne au moins la liberté de dire et d’écrire ce que je pense des livres qui ont l’ambition de relater ce pan de notre histoire.

            Ce passage permanent de la mémoire à l’histoire  et inversement, est très troublant, sans que l’intelligence critique y trouve souvent son compte! Et beaucoup d’affirmations ne convainquent pas !

            Est-il possible d’affirmer, en ce qui concerne l’Assemblée Nationale et sa composition : « C’est d’ailleurs une photographie assez fidèle de cette génération qui a fait la guerre d’Algérie ou qui a été confrontée à elle. »

            Une analyse existe-t-elle à ce sujet ? Et si oui, serait-elle représentative de l’opinion du peuple français à date déterminée ?

            Tout est dans la deuxième partie de la phrase et le participe passé « confrontée »qui permet de tout dire, sans en apporter la preuve.

            La mise en doute du résultat des recherches qui ont été effectuées sur l’enrichissement de la métropole par les colonies : mais de quelle période parle l’auteur et de quelle colonie ? (p.20)

            L’affirmation d’après laquelle la fin de l’apartheid aurait été le  « coup d’envoi » mémoriel mondial (p.41) : à partir de quelles analyses sérieuses ?

            L’assimilation de l’histoire coloniale à celle de Vichy, longtemps frappée du même oubli. (p.21,50, 96).  Non, les situations ne sont pas du tout les mêmes !

            Et ce flottement verbal et intellectuel entre mémoire et histoire, une mémoire partagée ou une histoire partagée ? (p.61,62, 63). Outre la question de savoir si une histoire peut être partagée.

             Et pour mettre fin à la guerre des mémoires, un appel à la reconnaissance et à la réparation (p.93), ou en d’autres termes, à la repentance, que l’historien récuse dans des termes peu clairs dans les pages précédentes (p.34), une récusation partielle répétée plus loin (p.95).

            Et d’affirmer qu’il est un historien engagé (p.88) et d’appeler en témoignage la tradition dans laquelle il inscrit ses travaux, celle des grands anciens que sont Michelet, Vidal-Naquet et Vernant. Pourquoi pas ? Mais il semble difficile de mettre sur le même plan périodes de recherche et histoires professionnelles et personnelles des personnes citées.

            Le lecteur aura donc compris, en tout cas je l’espère, pourquoi le petit livre en question pose en définitive autant de questions sur l’historien et sur l’histoire coloniale que sur les mémoires blessées ou bafouées qui auraient été transmises par je ne sais quelle génération spontanée aux populations immigrées, issues des anciennes colonies.

            Pourquoi refuser de tester la validité « scientifique », et en tout cas statistique, de ce type de théorie historique ?

            Nous formons le vœu qu’une enquête complète et sérieuse soit menée par la puissance publique sur ces questions de mémoire et d’histoire, afin d’examiner, cas par cas, l’existence ou l’absence de clichés, des fameux stéréotypes qui ont la faveur de certains chercheurs qui s’adonnent volontiers à Freud ou à Jung, la connaissance ou l’ignorance de l’histoire des colonies, et donc de mesurer le bien fondé, ou non, des thèses mémorielles et historiques auxquelles l’historien a fait largement écho.

            Alors, histoire ou mémoire ?

            La nouvelle ère des historiens entrepreneurs

            L’histoire est-elle entrée dans un nouvel âge, celui de l’Historien entrepreneur selon l’expression déconcertante de Mme Coquery-Vidrovitch (Etudes coloniales du 27/04/07), ou celui de l’histoire devenue bien culturel selon l’expression de l’auteur ? Mais en fin de compte, sommes-nous toujours dans l’histoire ?

            Et à ce propos, nous conclurons par deux citations de Marc Bloch, évoquant dans un cas Michelet et ses  hallucinatoires résurrections, et dans un autre cas,  le piège des sciences humaines :

            «  Le grand piège des sciences humaines, ce qui longtemps les a empêchées d’être des sciences, c’est précisément que l’objet de leurs études nous touche de si près, que nous avons peine à imposer silence au frémissement de nos fibres. » (Fustel de Coulanges-1930)

Jean Pierre Renaud                         

Mémoire collective, nouvelle panacée historique: tours de passe-passe

Mémoire collective, nouvelle panacée historique !

Tours de passe-passe entre histoire et mémoire collective, entre histoire coloniale, immigration et mémoire collective, avec en prime les fameux stéréotypes et un inconscient collectif colonial.

            L’histoire apprise dans un petit collège de l’Est de la France

           Pourquoi ne pas commencer mon analyse en évoquant un souvenir personnel de mes études dans un petit collège de l’Est de la France ?

            Mon professeur d’histoire avait le défaut d’un peu trop aimer la dive bouteille, mais son enseignement était digne de beaucoup d’éloges, tant sa culture historique était à la fois étendue et sensée. Ce cher professeur avait la fâcheuse tendance de reprendre le propos d’un de ses élèves, lorsque ce dernier osait avancer un « on ».

            Il répliquait aussitôt : « On » est un CON !

            Et je vous avouerai que chaque fois que j’entends un historien ou une  historienne  avancer le sésame « mémoire collective », j’éprouve le même type de réaction, car l’expression en tant que telle, n’a aucun sens, tant qu’elle ne repose pas sur une démonstration statistique sérieuse et aujourd’hui possible.

            Alors qu’il pleut, chaque jour que Dieu fait, des sondages comme des balles à Gravelotte, au cours de la guerre franco – prussienne en 1870.

            Et le grand Lao Tseu!

            Et j’ajouterai, pour faire bonne mesure, et appeler en renfort le célèbre philosophe taoïste Lao Tseu, que la mémoire collective pourrait s’inscrire aussi dans « le vide presque parfait. », de même que « l’inconscient collectif ».

            Dans l’article qui suit, et ceux qui seront publiés successivement sur ce blog, je vais m’attacher :

1-         à définir ce qu’est la mémoire collective selon les critères d’Halbwachs, son véritable initiateur, ci-après (contribution 1) :

2-         à proposer au lecteur trois analyses concrètes de textes ou de situations évoquées par des historiens ou d’autres intellectuels, « La guerre des mémoires » de l’historien Stora, d’une part (contribution 2), et le colloque de la Mairie de Paris du 12/03/09 sous le titre « Décolonisons les imaginaires », d’autre part (contribution 3), le colloque de la Ville de Paris intitulé « Décolonisons les imaginaires » (mars 2009) (contribution 4).

                  Les contributions 2, 3 et 4, seront proposés à la réflexion du lecteur dans les semaines qui suivent.

1-  Histoire ou mémoire collective ?

Contribution 1

            A lire articles ou livres de chercheurs, sociologues ou historiens, notre mémoire collective jouerait un rôle primordial dans l’approche et la compréhension de notre histoire coloniale.

            Une mémoire collective investie d’un rôle clé, quelques exemples :

            Premier exemple, le livre « La guerre des mémoires ».

             Citons des échantillons des textes dans lesquels il est fait référence à ce concept.

            « La guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), «  la fracture coloniale, c’est une réalité » (p.33), le « refoulement de la question coloniale » (p.32), « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective jusqu’à aujourd’hui une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer (p.32), « les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            Deuxième exemple, le livre « L’Europe face à son passé colonial »

            A la page 144, un historien note « une explosion mondiale des mémoires », et un autre écrit à la page 219 : «  La mémoire coloniale constitue depuis plusieurs années un sujet primordial dans le débat public français. »

            Troisième exemple, le livre « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy ».

            Un historien illustre à plusieurs reprises le concept : « une vision largement partagée par nos concitoyens (p.113) », « ces stéréotypes », « cette façon de voir les Africains est bien présente dans la mentalité française (p.116) », « combien le discours de Dakar « colle » à une opinion majoritaire en France » (p.122), « au service de l’anéantissement de ces clichés et stéréotypes si profondément ancrés dans une certaine vision de l’Afrique. » (p.123)

            Quatrième exemple, le livre « Mémoire année zéro ».

            Brillant essai d’un auteur habile à manier les concepts de mémoire, d’histoire, et d’identité nationale, à donner le vertige intellectuel au lecteur, j’écrirais volontiers d’une excellente facture « ENA ».

            Dans cet essai riche en citations, références, jugements et perspectives,  l’auteur écrit : « A côté de l’histoire, la mémoire était un instrument commode et populaire. La mémoire est collective (1). Les souvenirs sont individuels. (p.24) » La note (1) de la page 39 renvoie au livre « La mémoire collective » de Maurice Halbwachs, sans autre plus de précision.

            A la même page 39, l’auteur écrit : « On le voit : notre mémoire collective est en crise… »

            L’auteur nous entraîne dans un exercice de haute voltige intellectuelle autour du concept de mémoire, sans attacher, semble-t-il, une grande importance à la définition stricte des concepts manipulés, notamment sans asseoir ses raisonnements sur la définition rigoureuse de la mémoire collective qu’en a proposée Halbwachs.

            A partir de quelle définition et quelle mesure, ces appréciations et assertions sont-elles formulées, donc sur quel fondement ? Telle est la question!

            A force de lire articles et livres portant sur l’histoire coloniale, sur le passé colonial de la France, je me suis posé la question de savoir ce qu’était cette fameuse mémoire collective, nouvelle panacée de certains intellectuels, comme nous l’avons vu.

            J’ai donc été à la rencontre de l’inventeur, sauf erreur, de la théorie de la mémoire collective, c’est-à-dire Maurice Halbwachs, et donc de son livre fondateur, comme certains disent de nos jours.

            Rien ne vaut en effet, même pour un historien amateur, d’aller à la source.

            Qu’est-ce que nous dit cet auteur ? Dans un ouvrage austère, mais très bien écrit, Halbwachs analyse tous les aspects de la mémoire collective et en décrit les conditions de base, c’est-à-dire : une mémoire collective qui ne peut être définie que par rapport à :

            un espace (lequel ?),

            un groupe déterminé (lequel ?),

            un temps historique (lequel ?).

             Le sociologue ne manque pas de préciser qu’une mémoire collective a une durée de vie limitée (laquelle ?).

            Les héritiers du grand sociologue ont été inévitablement confrontés à la mesure de cette fameuse mémoire collective, en proposant méthodes, et outils de mesure quantitative, au moyen d’enquêtes statistiques fiables.

            Le constat : dans les textes des livres cités, nous n’avons trouvé ni définition du concept, ni indication de sources d’enquêtes statistiques, qui pourraient accréditer le discours de ces chercheurs.

            Je conclurai donc en faisant appel à la sagesse du bon vieux Descartes, comment ne pas douter, en tout cas pour l’instant, du fondement de ces affirmations, tant qu’elles ne s’appuieront pas sur des démonstrations conceptuelles et statistiques ?

            Pourquoi ne pas se demander entre autres si la fameuse mémoire collective française n’est pas plutôt branchée sur l’Europe, allemande, anglaise ou italienne, plutôt que coloniale ? A démontrer !

            Quelques citations éclairantes pour finir :

            « C’est à l’intérieur de ces sociétés que se développent autant de mémoires collectives originales qui entretiennent pour quelque temps le souvenir événements qui n’ont d’importance que pour elles, mais qui intéressent d’autant plus leurs membres qu’ils sont peu nombreux. »  (page 129)

            « La mémoire collective, au contraire, c’est le groupe vu du dedans, et pendant une période qui ne dépasse pas la durée moyenne de la vie humaine, qui lui est, le plus souvent, bien inférieure. » ( p,140)

            « Chaque groupe défini localement a sa mémoire propre, et une représentation du temps qui n’est qu’à lui. » (p, 163)

La mémoire collective– Maurice Hallbwachs- (Albin Michel -1997)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés