UNE SUBVERSION POSTCOLONIALE ORDINAIRE – L’ACHAC-BDM

Mercredi 4 avril 2018, fête de Saint Isidore, patron des « laboureurs » des champs historiques…

UNE SUBVERSION POSTCOLONIALE ORDINAIRE

Le « modèle de propagande Blanchard  and Co »

L’ACHAC-BDM, le moteur d‘une propagande postcoloniale !

Histoire ? Mémoire ? Roman National ? Roman historique ? Roman postcolonial ? Roman idéologique ?

Le vrai du faux ?

« L’esprit critique c’est la propreté de l’intelligence. Le premier devoir, c’est de se laver. »

Marc Bloch » 1914

&

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

En prologue 1

Les raisons de cette publication documentée ?

        Une forme du combat intellectuel qu’il convient de poursuivre contre le discours idéologique et pseudo-historique du « modèle de propagande postcolonial » du collectif Bhard and Co ?

           Au-delà d’un discours postcolonial qui fait bon ménage avec le business médiatique, ce collectif diffuse depuis de longues années, sans trop d’opposition universitaire, une propagande postcoloniale sur les images, sur une culture coloniale qu’aurait eue la France « coloniale » en jouant à fond le mélange des genres, la nouvelle démographie du pays, la méconnaissance de notre histoire coloniale, et en échafaudant des théories souvent psychanalytiques à partir d’un fonds d’images « coloniales » distribuées et diffusées en métropole.

       Nous allons successivement expliquer pourquoi leur discours n’est pas le résultat d’un travail de recherche, de lecture, et d’interprétation, je ne dirais pas « scientifique », mais au moins sérieux et rigoureux.

         Le chemin intellectuel que nous allons suivre est le suivant :

       Premier mouvement : le collectif en question est parti d’un échantillon supposé « représentatif » des situations d’images décrites, tel que celui établi et référencé dans l’ouvrage Images et Colonies (ACHAC-BDIC), riche en  contributions savantes, composées d’images et de textes, sur le thème des images coloniales pour l’ensemble de la période 1880-1962 concernant uniquement l’Afrique française.

       Il s’agit d’un échantillon dont on ne connait pas les méthodes d’élaboration, quelque chose comme sui generis, lequel aurait été soumis au Colloque savant de janvier 1993, dont les Actes ont été publiés.

         J’ai questionné à ce sujet le Conservateur de la BDIC de cette époque, et renouvelé ma demande auprès de la BDIC, Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine. Plus récemment, j’ai également interrogé l’historien Antoine Prost, Président actuel de son Conseil Scientifique.

        Deuxième mouvement :

       Ce collectif de chercheurs est donc parti d’un corpus d’images soumis à l’appréciation du « Colloque » savant de janvier 1993, et, dès le départ, ses animateurs ont été les présentateurs des conclusions de ce colloque, la première source supposée de ce discours, de même que des contributions savantes illustrées qui figurent dans le livre « Images et Colonies : nous rappellerons le contenu des deux sources en question, et les biais d’interprétation dont elles ont fait l’objet dans leur présentation.  

        Troisième mouvement : nous donnerons alors la parole à des universitaires qui ont publié des articles critiques sur les travaux du binôme association ACHAC- Bâtisseurs de mémoire, un business éditorial et médiatique piloté par Pascal Blanchard que la présidente de son jury de thèse de doctorat, Mme Coquery-Vidrovitch avait baptisé à fort juste titre d’« historien entrepreneur », une sorte de start-up du nouveau marché de l’histoire ou de la mémoire, au choix.

        Trois sources seront citées, Laurence De Cock, Vincent Charmalhac, et Camille Trabendi.  Jean-François Bayart pourrait également être cité.

         Quatrième mouvement: nous nous pencherons enfin sur le contenu des différents livres que ce collectif de chercheurs a publiés dans cette ligne éditoriale de type postcolonial, en apportant une fois de plus la démonstration que leurs analyses souffrent de maintes carences historiques.

         Il s’agit du travail d’analyse critique auquel nous avons procédé sur les « œuvres » de ce collectif, « Culture coloniale », « Culture impériale », « La République coloniale », « Fracture coloniale », le résumé du livre « Supercherie coloniale » dont le contenu et les démonstrations établissent les  carences « scientifiques » de toute nature qui affectent ces ouvrages.

            Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – 7

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

7

Chaînes de transmission et points de rupture

La charnière des indépendances

           A lire le contenu de ce chapitre, comme souvent à la lecture des chapitres précédents, le lecteur se pose la question de savoir, et c’est assez souvent le cas chez les chercheurs qui se recommandent aussi de l’histoire «méthodique », si leur discours n’est pas également entaché d’un parti pris politique, ou peut-être idéologique qui ne dit pas son nom.

            Il est tout de même difficile d’analyser tout le pan de l’histoire coloniale en l’accusant d’avoir été au service de l’impérialisme, d’être donc intellectuellement « soumise » et de prétendre au contraire que l’histoire coloniale et postcoloniale, postindépendances, n’aurait aucune racine idéologique ou politique. Les exemples cités par l’auteure en manifestent tout à fait l’existence après la deuxième guerre mondiale.

                   Je dirais volontiers qu’au-delà, ou en-deçà de ce type d’analyse, pourquoi ne pas dire qu’il y a eu un avant 1939 et un après 1945, avec un monde nouveau aussi bien en Asie, en Afrique, ou en Europe, et naturellement en France, avec des « situations coloniales ou métropolitaines » complètement différentes.

          A situations historiques nouvelles, histoires et historiens nouveaux !

           Un de mes vieux amis me répète souvent que dans le domaine de l’histoire,  les nouveaux ont besoin de s’opposer aux anciens pour se faire connaître et exister, courants nouveaux contre courants anciens, et dans le cas de l’histoire coloniale, leur travail n’ a pas été trop difficile, compte tenu de l’inégalité de moyens qui existaient dans les deux mondes ancien, et nouveau, de la nouvelle configuration politique née de la Résistance, composée d’un mélange de christianisme et de marxisme.

          L’auteure donne l’exemple du mépris que le « mandarin » Renouvin, « grand maître de la Sorbonne en histoire contemporaine » manifestait à l’égard du monde colonial :

         «  Ce témoignage est emblématique de la piètre estime dans laquelle certains mandarins tiennent, à la veille des indépendances les recherches historiques touchant au monde colonial »

         Hubert Deschamps, ancien administrateur colonial, et exemple d’une conversion universitaire réussie lequel « … incarne pourtant plus que tout autre la continuité, se sent lui-même obligé d’écrire en 1970 : « (Avant 1960), l’histoire coloniale était hagiographique, héroïque (d’un seul côté), patriotique, uniformément bienfaisante et civilisatrice. » (p,258)

        Une simple remarque à ce sujet, Deschamps n’avait pas manifesté une très grande continuité dans ses orientations politiques.

         L’auteure note toutefois :

         « Au- delà du petit jeu un peu vain des « permanences et ruptures » – on se doute bien que l’on trouvera au final des héritages mais aussi des solutions de continuité -, l’enjeu est surtout de s’interroger sur la nature de ce qui change à la charnière des indépendances. » (p, 359)

       Le dernier chapitre «… ce dernier chapitre, plus court que les précédents qui constituent le cœur de cette recherche, a l’ambition de suggérer des questions et des pistes, de proposer des interprétations, plutôt que d’apporter de fermes conclusions. S’adressant notamment à des historiens qui ont vécu l’émergence de l’histoire africaniste postcoloniale, on peut souhaiter qu’il soit matière à discussion, voire à controverse. » «  (p,259)

      « Ce qui n’était pas le cas des chapitres précédents ?

      « Institutionnalisation de l’histoire de l’Afrique et développement de nouvelles logiques scientifiques : le temps des « aires culturelles » (p,259)

     « L’on assiste en France, au début des années 1960 à une distinction grandissante entre « histoire de l’Afrique » et « histoire coloniale », à une reconnaissance institutionnelle de la première et à une disqualification de la seconde.

         S’agissait-il d’une véritable « conversion » des historiens ou de la concrétisation d’un monde nouveau sur le plan politique, financier, et intellectuel, avec la création du FIDES, de l’ORSTOM, le poids nouveau du Parti Communiste en France et du marxisme en général ?

           La série d’exemples cités par l’auteure n’en constituerait-t-elle pas la démonstration ? Deschamps, Julien, Dresch, Suret-Canal, Person… ?

          L’auteure écrit :

         « Le contexte politique des indépendances joue indubitablement son rôle dans l’institutionnalisation de l’histoire de l’Afrique en France… Hubert Deschamps obtient la chaire d’« histoire moderne et contemporaine  de l’Afrique » et Raymond Mauny celle d’« histoire ancienne de l’Afrique…(p,260)

         Les deux chaires viennent d’être créées à la Sorbonne ! Une petite révolution !

       « … C’est aussi la logique qui prévaut à la VI° section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, créée en 1947 et dirigée d’abord par Lucien Febvre, puis à partir de 1956, par Fernand Braudel. La nouvelle section, officiellement fléchée « Sciences économiques et sociales », est surtout centrée sur les sciences sociales, mais devient vite le bastion de la conception histoire défendue par les Annales : celle d’une discipline carrefour des sciences sociales… (p260)

          « … Ces diverses formes de reconnaissance universitaire sont des victoires sur ce que Jan Vansina considère rétrospectivement comme la forteresse quasi imprenable de l’Université française : il insiste en effet sur le caractère centralisé et mandarinal de l’Alma Mater d’avant 1968, qui rejette les historiens de l’Afrique aux marges de l’histoire et, ce qui est plus grave d’un point de vue purement stratégique, aux marges de l’Université. Mais Marc Michel nuance cette vision et considère au contraire que l’institutionnalisation des années 1960 entérine « un mouvement de fond ». » (p, 260)

      C’est également mon opinion, un mouvement que la seconde guerre mondiale a précipité, avec l’élection de députés et de conseillers de la République venus de l’outre-mer dans nos assemblées, l’esprit nouveau des gens de la Résistance, l’influence des courants politiques de gauche, et peut-être un intérêt nouveau pour l’agitation qui commençait à se développer dans les outre-mer, facilitée par la naissance de mouvements nationalistes nouveaux qui s’épanouissaient grâce au soutien des Etats Unis, de l’URSS, et des nouvelles nations du Tiers Monde, l’Inde, l’Indonésie, l’Egypte, avec l’évolution politique qui se profilait en Afrique, avec le Ghana.

         Pour ne pas parler de la guerre d’Algérie dont Stora fait l’alpha et l’oméga de notre histoire coloniale, pour ne pas dire nationale, sauf à indiquer que les nationalistes d’Algérie eurent en définitive peu de soutien de la part des nouveaux dirigeants d’Afrique.

        « Passeurs, filiations, mutations » (p,263)

        « La décolonisation assure donc l’entrée à l’Université de personnalités qui ont été partie prenante de l’Empire : Deschamps, ou Mauny sont d’anciens fonctionnaires coloniaux. Brunschwig a enseigné à l’ENFOM… Ce faisant, ils ont constitué un chaînon important entre l’histoire d’avant les indépendances et celle qui démarre après. » (p,263)

         L’auteure explique alors que tout n’était pas à jeter dans ce passé, contrairement à ce qu’écrivait Jan Vansina  « lequel propose de faire démarrer la « véritable «  histoire de l’Afrique en France à l’élection d’Yves Person à la Sorbonne en 1971, et à celle de Catherine Coquery-Vidrovitch, la même  année, dans la nouvelle université de Paris 7°. Cette vision est excessive, mais elle a le mérite d’être sensible à la continuité qu’incarnent les nouveaux promus des années 1960. Il est certainement plus juste de voir Brunschwig, Deschamps et Mauny comme des passeurs, comme des historiens de la mutation, un pied dans l’histoire coloniale, l’autre dans la nouvelle aventure historiographique, et eux-mêmes sujets à une évolution scientifique personnelle. » (p,266)

         Deux observations, la première relative à Brunschwig : je ne suis pas sûr que cet historien confirmé, élevé au lait de Marc Bloch, ait eu besoin d’une «  évolution scientifique personnelle ».

          La deuxième concerne Yves Person : l’intéressé fut également un produit de l’ENFOM, d’abord administrateur colonial, qui se convertit, comme Deschamps, dans l’histoire coloniale qu’on n’appelait plus « coloniale »

        Yves Person était un homme de gauche, ce qui veut dire, qu’il n’était pas complètement à l’écart du courant politique universitaire dominant de l’époque.

        Il se trouve qu’à l’occasion de mes recherches personnelles sur le colonel Péroz, et notamment à l’occasion de son séjour dans le bassin du Niger, et notamment de ses contacts et relations personnelles avec Samory, j’ai lu la thèse, c’est-à-dire la somme que cet historien a consacré au personnage, une somme très fouillée de plus de mille ou deux mille pages, faite du recueil de milliers de témoignages oraux, les fameuses « traditions orales », confrontées à sa propre lecture, côté français, de l’histoire de Samory. Cette thèse était intitulée « Samori, ou la révolution  Dyula ».

          A la lecture de ce document, et comparé à ce que je pouvais moi-même interpréter de cette période de conquête française, j’en avais recueilli la conclusion que son auteur manifestait beaucoup de compréhension historique pour le personnage, pour ne pas dire de compassion, et beaucoup moins pour ceux qu’il baptisait les « traineurs de sabre ».

          Assez souvent, par exemple il met en cause le témoignage de Péroz, alors capitaine, lequel à son époque était une rareté, étant donné qu’il parlait au moins deux dialectes du Soudan de l’époque, et qu’il avait incontestablement su gagner la confiance de Samory.

          Péroz faisait œuvre d’historien amateur, comme beaucoup de ses collègues, puis administrateurs, en pleine découverte de ce nouveau continent, et j’avouerai bien volontiers que leurs successeurs, artisans ou non, devraient être bien contents de pouvoir consulter, encore de nos jours,  ce type de source historique, et quoiqu’on en dise.

         A ma connaissance, mais sans aller plus loin, sa lecture n’a pas rencontré tout le soutien qu’il pouvait escompter auprès d’une partie des intellectuels africains.

      « Une nouvelle génération intellectuelle » (p,269)

       Ou une nouvelle génération politique ? Car beaucoup des noms cités par l’auteure étaient affiliés à la gauche marxiste ou communiste, pour ne pas citer aussi l’héritage de ceux qui ont milité contre la guerre d’Algérie.

       Est-ce que Mme Coquery-Vidrovitch n’a pas alors partagé ce type de communauté idéologique ?

       Comment ne pas faire remarquer que deux professeurs spécialistes d’histoire économique, celle des chiffres et non des idées, qui avaient viré leur cuti en travaillant avec une méthode digne de celle des Annales, Jacques Marseille et Daniel Lefeuvre, avaient conclu que, contrairement à ce qu’ils croyaient, les thèses marxistes sur le rôle de l’impérialisme dans les colonies, la dépouille, manquaient de pertinence scientifique.

           Ne s’agirait-il pas de la problématique qui sépare les historiens des idées et ceux des faits, de leurs effets, aussi précisément évalués que possible, la première des deux problématiques étant de nature à encourager toutes les dérives possibles des interprétations historiques.

          Dans une thèse récente, Mme Huillery a développé l’idée à coup sûr, séduisante, pour tous ceux qui soutiennent la thèse de notre autoflagellation nationale, mais mal fondée dans ses instruments choisis de pertinence scientifique, l’idée d’après laquelle, ce n’était pas l’AOF qui était le fardeau de l’homme blanc, mais le contraire, en retournant l’axiome bien connu de l’histoire coloniale.

          Il convient d’ailleurs de noter que dans cette thèse, madame Huillery met évidemment en cause, mais de façon très insuffisante les travaux de Jacques Marseille et même de Catherine Coquery-Vidrovitch.

          Je m’en suis expliqué longuement sur mon blog.

        L’auteure donne l’exemple de Suret-Canale en notant :

         « L’engagement militant de Jean Suret-Canale, qui travaille dans la jeune Guinée indépendante de 1959 à 1963, se double d’une approche historique inséparable de sa vision critique marxiste. Il travaille en franc-tireur à partir de 1956, avec l’appui et les conseils du géographe communiste Jean Dresch… (p,272)

         « …Par ailleurs, l’internationalisation de la recherche en histoire de l’Afrique a une part également non négligeable dans l’évolution des idées, des pratiques et des problématiques, et mériterait une étude en soi. » (p,273)

       L’auteure note le rôle de la maison de presse et d’édition Présence Africaine, mais son siège est à Paris, au cœur du Quartier Latin, pourquoi ?

      « Alors, y-a-t-il eu disparition corps et bien de l’«histoire coloniale » dans la période 1955-1965 ? Oui, bien sûr, si l’on considère l’histoire coloniale dans sa stricte acception, c’est à dire comme l’histoire écrite en situation coloniale. Avec les indépendances, le contexte de production change profondément, les conditions de l’instrumentalisation par les colonisateurs disparaissent et l’insertion dans le récit triomphaliste européen  n’est plus concevable. Mais les raisons de cet effacement ne sont peut-être pas à rechercher exclusivement dans les propositions méthodologiques et épistémologiques des jeunes historiens de l’Afrique. Toute une conjoncture politique, intellectuelle, constitutionnelle et générationnelle incite à minimiser les continuités, à exalter les ruptures. » (p,277)

         Question : 1955-1965, ne s’agit-il pas d’une période d’observation un peu courte, compte tenu des bouleversements de toute nature qui ont agité le terrain de « jeu » des historiens, avec le retentissement majeur qu’a eu la guerre d’Algérie sur beaucoup de ces historiens ?

       « Instrumentalisation » ? Je fais incontestablement partie de ceux qui estiment que l’histoire postcoloniale a quelquefois autant de mal que toutes les histoires de France ou d’ailleurs à y échapper.

       En revanche, j’adhère au propos de la fin :

      « Dans cette mesure, on ne peut pas suivre totalement Yves Person lorsqu’il affirme en 1979 :

       « Les années soixante sont celles de l’histoire africaine, longtemps niée par les historiens comme excentrique et impossible, et méprisée par les anthropologues marqués par le fonctionnalisme et le structuralisme, qui la qualifiaient de pseudoscience conjoncturelle, a réussi à s’imposer. »  (p280)

        Propos d’historien détaché de tout engagement politique ? Et tout autant détaché de situations coloniales non expérimentées ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Mémoire collective et mémoire coloniale: ont-elles été mesurées? « La guerre des mémoires » par M.Stora

Mémoire collective et mémoire coloniale : ont- elles jamais été mesurées ? Quand ? Et par qui ?

Par Monsieur Stora ?

« La guerre des mémoires La France face à son passé colonial » par Benjamin Stora

Ce texte a été publié sur le blog Etudes coloniales

            « Pourquoi ne pas avouer que j’ai éprouvé un malaise intellectuel à la lecture de beaucoup des pages de ce livre, crayon en mains, alors que j’ai  aimé l’article du même auteur à la mémoire de Camus (Etudes coloniales du 30 septembre 2007). Albert Camus a été un de mes maîtres à penser,  à agir, et à réagir,  avant, pendant la guerre d’Algérie, et après. J’y ai servi la France et l’Algérie, en qualité d’officier SAS, en 1959 et 1960, dans la vallée de la Soummam, entre Soummam et forêt d’Akfadou.

              Un historien sur le terrain mouvant des mémoires chaudes, pourquoi pas ? Mais est-ce bien son rôle ? Dès l’avant- propos, le journaliste cadre le sujet de l’interview de M.Stora : « La France est malade de son passé colonial », mais sur quel fondement scientifique, le journaliste se croit-il permis d’énoncer un tel jugement ?

            Il est vrai que tout au long de l’interview l’historien accrédite cette thèse et s’attache à démontrer l’exactitude de ce postulat : les personnes issues des anciennes colonies, première, deuxième, troisième génération (il faudrait les quantifier, et surtout les flux , les dates, et les origines) «  se heurtent inévitablement à l’histoire coloniale » (p.12), « la guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), la « fracture coloniale », « c’est une réalité » (p.33), « l’objectif est d’intégrer, dans l’histoire nationale, ces mémoires bafouées » (p.81), « saisir comment s’élaborent en permanence les retrouvailles avec un passé national impérial » (p.90)

            Et l’auteur de ces propos, qui se veut « un passeur entre les deux rives », incontestablement celles de la Méditerranée, accrédite le sérieux des écrits d’un collectif de chercheurs qui n’ont pas réussi, jusqu’à présent, par le sérieux et la rigueur de leurs travaux historiques, à démontrer la justesse de la thèse qu’ils défendent, fusse avec le concours bienveillant de certains médias, quant à l’existence d’une culture coloniale, puis impériale, qui expliquerait aujourd’hui la fameuse fracture coloniale.

            Et le même auteur de reprendre le discours surprenant, de la part d’historiens de métier, sur la dimension psychanalytique du sujet : « la perte de l’empire colonial a été une grande blessure narcissique du nationalisme français » (p.31), pourquoi pas ? Mais à partir de quelles preuves ? « Refoulement de la question coloniale » (p.32). « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective, jusqu’à aujourd’hui, une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer » » (p.32). « Les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            « Pourquoi cette sensation diffuse d’une condition postcoloniale qui perdure dans une république où les populations issues des anciens empires n’arrivent pas à se faire entendre ? » (p.90).

            Comment ne pas souligner le manque de clarté des propos de l’auteur, lequel écrit page 11 que la population issue des anciennes colonies a doublé entre les années 1980 et 2007, et les propos qu’il tient parallèlement sur les « mémoires bafouées » : mais les colonies sont indépendantes depuis le début des années 60, et l’Algérie depuis 1962 !

            De quelles générations s’agit-il ? Des enfants d’immigrés du travail venus en France avant 1962 ? Ou pour l’Algérie, importante source d’immigration, des enfants de pieds noirs, de harkis, ou d’enfants de citoyens algériens venus en France après l’indépendance de leur pays, notamment en raison de ses échecs économiques, puis de sa guerre, à nouveau civile ? Pour ne citer que l’exemple de l’Algérie qui est le postulat de la plupart de ces réflexions.

            L’auteur cite le cas de Boudiaf, un des principaux fondateurs du FLN, lequel revenu d’exil dans son pays en 1992, était inconnu des jeunes Algériens : « Les jeunes Algériens ne connaissaient même pas son nom » (p.60).

            Quant au propos tenu sur Madagascar, pays avec lequel j’entretiens des relations particulières, « Dans cette ancienne colonie française, les milliers de morts des massacres de 1947 restent dans toutes les mémoires »

            Je ne suis pas le seul  à dire que la repentance de Chirac, lors de son voyage de   2005,  est tombée à plat, parce que ce passé est méconnu des jeunes générations, un propos complètement faux.

            L’auteur de ces lignes est-il en mesure de justifier son propos ?

            Les Malgaches ne connaissent pas mieux leur passé colonial que les Français, car pour ces derniers, ce n’est pas l’enquête de Toulouse, faite en 2003, par le collectif de chercheurs évoqué plus haut, qui peut le démontrer. Cette enquête va clairement dans un tout autre sens, celui de la plus grande confusion qui règne actuellement sur tout ce qui touche le passé colonial, la mémoire, et l’histoire coloniale elle-même, et la réduction de cette histoire à celle de l’Algérie. Cette enquête révélait en effet l’importance capitale de la guerre d’Algérie dans la mémoire urbaine de Toulouse et de son agglomération.

            Et ce constat avait au moins le mérite de corroborer deux des observations de l’auteur, celle relative à « l’immigration maghrébine » qui « renvoie à l’histoire coloniale », et l’autre quant à l’importance de la guerre d’Algérie dans cette « guerre des mémoires » : « Mais, c’est la guerre d’Algérie, qui est le nœud gordien de tous les retours forts de mémoire de ces dernières années. » (p.50)

            L’obsession de l’Algérie

            Et c’est sur ce point que le malaise est le plus grand, car comment ne pas voir, que pour des raisons par ailleurs très estimables, l’auteur de ces lignes a l’obsession de l’histoire de l’Algérie, et qu’il a tendance à analyser les phénomènes décrits avec le filtre de l’Algérie, son histoire familiale aussi, à Constantine, pour ne pas dire la loupe, avec toujours en arrière- plan, le Maghreb.

            Le tiers des pages de ce livre se rapporte à l’Algérie, et beaucoup plus encore dans l’orientation des réflexions qui y sont contenues. Les autres situations coloniales ne sont évoquées qu’incidemment, alors que l’histoire coloniale n’est pas seulement celle de l’Algérie, quelle que soit aujourd’hui l’importance capitale de ce dossier.

            Un mot sur la mémoire ou les mémoires de l’Algérie et de la guerre d’Algérie. Pour en avoir été un des acteurs de terrain, je puis témoigner qu’il est très difficile d’avoir une image cohérente et représentative de la guerre d’Algérie vécue par le contingent. Chaque soldat, chaque sous-officier, et chaque officier, a fait une guerre différente selon les périodes, les secteurs, les postes militaires occupés, et les commandements effectifs à leurs différents niveaux (sous quartiers, quartiers, secteurs, et régions).

          Si beaucoup d’anciens soldats du contingent ont écrit leurs souvenirs, peu par rapport à leur nombre, mon appartenance à ce milieu me conduit à penser que beaucoup d’entre eux se réfugient toujours dans le silence, mais pas obligatoirement pour la raison qu’ils auraient commis des saloperies, ou assisté à des saloperies. Un silence qui pourrait s’expliquer par un fossé immense d’incompréhension entre leur vécu, l’attitude des autorités d’hier ou d’aujourd’hui, et celle du peuple français

            M.Rotman a parlé de guerre sans nom. Je dirais plus volontiers, guerre de l’absenceabsence d’ennemi connu, absence du peuple dans cette guerre, sauf par le biais du contingent qui, à la fin de ce conflit, s’est trouvé tout naturellement en pleine communauté de pensée avec le cessez le feu du 19 mars 1962. Et c’est sans doute le sens profond de sa revendication mémorielle.

            Pour la grande majorité des appelés, l’Algérie n’était pas la France.

            Les appelés ne savent toujours pas, pour ceux qui sont encore vivants, quelle guerre on leur a fait faire : guerre de l’absence et du silence, et le remue-ménage qui agite en permanence, à ce sujet, certains milieux politiques ou intellectuels leur est étranger.

            Il convient de noter que pour un acteur de ce conflit, ou pour un chercheur marqué dans sa chair et dans son âme par celui-ci, c’est un immense défi à relever que de vouloir en faire l’histoire.

            Et sur au moins un des points évoqués dans le livre, je partage le constat qu’il fait sur l’effet des lois d’amnistie « personne ne se retrouvera devant un tribunal » (p.18), et personnellement je regrette qu’il en soit ainsi, parce qu’il s’agit là d’une des causes du silence du contingent, et de cette conscience d’une guerre de l’absence. A quoi servirait-il de dénoncer des exactions injustifiables si leurs responsables, c’est-à-dire les salauds inexcusables n’encourent  aucune poursuite judiciaire ? Cette amnistie n’a pas rendu service à la France que j’aime et à son histoire.

            Le métier d’historien

            Ma position de lecteur, amateur d’histoire, assez bon connaisseur de notre histoire coloniale, me donne au moins la liberté de dire et d’écrire ce que je pense des livres qui ont l’ambition de relater ce pan de notre histoire.

            Ce passage permanent de la mémoire à l’histoire  et inversement, est très troublant, sans que l’intelligence critique y trouve souvent son compte! Et beaucoup d’affirmations ne convainquent pas !

            Est-il possible d’affirmer, en ce qui concerne l’Assemblée Nationale et sa composition : « C’est d’ailleurs une photographie assez fidèle de cette génération qui a fait la guerre d’Algérie ou qui a été confrontée à elle. »

            Une analyse existe-t-elle à ce sujet ? Et si oui, serait-elle représentative de l’opinion du peuple français à date déterminée ?

            Tout est dans la deuxième partie de la phrase et le participe passé « confrontée »qui permet de tout dire, sans en apporter la preuve.

            La mise en doute du résultat des recherches qui ont été effectuées sur l’enrichissement de la métropole par les colonies : mais de quelle période parle l’auteur et de quelle colonie ? (p.20)

            L’affirmation d’après laquelle la fin de l’apartheid aurait été le  « coup d’envoi » mémoriel mondial (p.41) : à partir de quelles analyses sérieuses ?

            L’assimilation de l’histoire coloniale à celle de Vichy, longtemps frappée du même oubli. (p.21,50, 96).  Non, les situations ne sont pas du tout les mêmes !

            Et ce flottement verbal et intellectuel entre mémoire et histoire, une mémoire partagée ou une histoire partagée ? (p.61,62, 63). Outre la question de savoir si une histoire peut être partagée.

             Et pour mettre fin à la guerre des mémoires, un appel à la reconnaissance et à la réparation (p.93), ou en d’autres termes, à la repentance, que l’historien récuse dans des termes peu clairs dans les pages précédentes (p.34), une récusation partielle répétée plus loin (p.95).

            Et d’affirmer qu’il est un historien engagé (p.88) et d’appeler en témoignage la tradition dans laquelle il inscrit ses travaux, celle des grands anciens que sont Michelet, Vidal-Naquet et Vernant. Pourquoi pas ? Mais il semble difficile de mettre sur le même plan périodes de recherche et histoires professionnelles et personnelles des personnes citées.

            Le lecteur aura donc compris, en tout cas je l’espère, pourquoi le petit livre en question pose en définitive autant de questions sur l’historien et sur l’histoire coloniale que sur les mémoires blessées ou bafouées qui auraient été transmises par je ne sais quelle génération spontanée aux populations immigrées, issues des anciennes colonies.

            Pourquoi refuser de tester la validité « scientifique », et en tout cas statistique, de ce type de théorie historique ?

            Nous formons le vœu qu’une enquête complète et sérieuse soit menée par la puissance publique sur ces questions de mémoire et d’histoire, afin d’examiner, cas par cas, l’existence ou l’absence de clichés, des fameux stéréotypes qui ont la faveur de certains chercheurs qui s’adonnent volontiers à Freud ou à Jung, la connaissance ou l’ignorance de l’histoire des colonies, et donc de mesurer le bien fondé, ou non, des thèses mémorielles et historiques auxquelles l’historien a fait largement écho.

            Alors, histoire ou mémoire ?

            La nouvelle ère des historiens entrepreneurs

             L’histoire est-elle entrée dans un nouvel âge, celui de « l’Historien entrepreneur » selon l’expression déconcertante de Mme Coquery-Vidrovitch (Etudes coloniales du 27/04/07), ou celui de l’histoire devenue « bien culturel » selon l’expression de l’auteur ? Mais en fin de compte, sommes-nous toujours dans l’histoire ?

            Et à ce propos, nous conclurons par deux citations de Marc Bloch, évoquant dans un cas Michelet et ses  hallucinatoires résurrections, et dans un autre cas,  le piège des sciences humaines :

            «  Le grand piège des sciences humaines, ce qui longtemps les a empêchées d’être des sciences, c’est précisément que l’objet de leurs études nous touche de si près, que nous avons peine à imposer silence au frémissement de nos fibres. » (Fustel de Coulanges-1930)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés – le 11 novembre 2007          

France-Algérie – Le Monde du 21 mai 2010 – Contre-enquête: peut-on réconcilier les mémoires

 Le deuxième sous-titre: « Cinquante après, est-il possible d’écrire une histoire commune? » est à lui seul l’illustration parfaite du mélange des genres permanent entre mémoire et histoire, de la confusion qu’entretiennent, entre autres, certains des historiens cités dans les deux pages. (Voir mon commentaire du livre de Stora intitulé « La guerre des mémoires », blog du 25 avril 2010)

    Sur le projet de fondation envisagé pour la mémoire de la guerre d’Algérie, une seule remarque: que vient faire l’Etat dans cette affaire? Laissons le soin aux différents groupes de pression, et Dieu sait s’ils sont nombreux, de défendre leur mémoire, en soi respectable.

    Le journal donne la parole à l’historien Harbi, ancien responsable du FLN, pourquoi pas? Mais je ne serai sans doute pas le seul soldat du contingent de cette sale guerre à manifester ma surprise.

    Je me contenterai de citer à nouveau, et à ce sujet, le grand historien, et non mémorialiste, Marc Bloch:

    « Le grand piège des sciences humaines, ce qui longtemps les a empêchées d’être des sciences, c’est précisément que l’objet de leurs études nous touche de si près que nous avons peine à imposer silence au frémissement de nos fibres  » (Fustel de Coulanges-1930)

     De quoi encore plus « frémir » de nos jours!

     Et de façon plus anecdotique, que penser des références Blanchard et Bancel, le premier, plus « montreur » d’images coloniales qu’historien, et au surplus « historien entrepreneur », le deuxième dont la thèse de doctorat a porté sur un sujet scientifique tout de même assez restreint, « Les mouvements de jeunesse et sports dans l’évolution institutionnelle et politique de l’AOF (1945-1960)

    Et en ce qui concerne les pensions, est-ce que ces anciens appelés n’ont pas demandé cette fameuse pension? Sans quoi ils n’en seraient pas attributaires? Donc repentants?

  Jean Pierre Renaud

Mémoire collective,  » La guerre des mémoires. La France face à son passé colonial » B.Stora

Mémoire collective

Contribution 2

 « La guerre des mémoires

 La France face à son passé colonial »

 par Benjamin Stora

            Pourquoi ne pas avouer que j’ai éprouvé un malaise intellectuel à la lecture de beaucoup des pages de ce livre, crayon en mains, alors que j’ai  aimé l’article du même auteur à la mémoire de Camus (Etudes coloniales du 30 septembre 2007). Albert Camus a été un de mes maîtres à penser,  à agir, et à réagir,  avant, pendant la guerre d’Algérie, et après. J’y ai servi la France et l’Algérie, en qualité d’officier SAS, en 1959 et 1960, dans la vallée de la Soummam, entre Soummam et forêt d’Akfadou.

              Un historien sur le terrain mouvant des mémoires chaudes, pourquoi pas ? Mais est-ce bien son rôle ? Dès l’avant propos, le journaliste cadre le sujet de l’interview de M.Stora : « La France est malade de son passé colonial », mais sur quel fondement scientifique, le journaliste se croit-il permis d’énoncer un tel jugement ?

            Il est vrai que tout au long de l’interview l’historien accrédite cette thèse et s’attache à démontrer l’exactitude de ce postulat : les personnes issues des anciennes colonies, première, deuxième, troisième génération (il faudrait les quantifier, et surtout les flux , les dates, et les origines) «  se heurtent inévitablement à l’histoire coloniale » (p.12), « la guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), la « fracture coloniale », « c’est une réalité » (p.33), « l’objectif est d’intégrer, dans l’histoire nationale, ces mémoires bafouées » (p.81), « saisir comment s’élaborent en permanence les retrouvailles avec un passé national impérial » (p.90)

            Et l’auteur de ces propos, qui se veut « un passeur entre les deux rives », incontestablement celles de la Méditerranée, accrédite le sérieux des écrits d’un collectif de chercheurs qui n’ont pas réussi, jusqu’à présent, par le sérieux et la rigueur de leurs travaux historiques, à démontrer la justesse de la thèse qu’ils défendent, fusse avec le concours bienveillant de certains médias, quant à l’existence d’une culture coloniale, puis impériale, qui expliquerait aujourd’hui la fameuse fracture coloniale.

            Et le même auteur de reprendre le discours surprenant, de la part d’historiens de métier, sur la dimension psychanalytique du sujet : « la perte de l’empire colonial a été une grande blessure narcissique du nationalisme français » (p.31), pourquoi pas ? Mais à partir de quelles preuves ? « Refoulement de la question coloniale » (p.32). « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective, jusqu’à aujourd’hui, une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer » » (p.32). « Les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            « Pourquoi cette sensation diffuse d’une condition postcoloniale qui perdure dans une république où les populations issues des anciens empires n’arrivent pas à se faire entendre ? » (p.90).

            Comment ne pas souligner le manque de clarté des propos de l’auteur, lequel écrit page 11 que la population issue des anciennes colonies a doublé entre les années 1980 et 2007, et les propos qu’il tient parallèlement sur les « mémoires bafouées » : mais les colonies sont indépendantes depuis le début des années 60, et l’Algérie depuis 1962 !

            De quelles générations s’agit-il ? Des enfants d’immigrés du travail venus en France avant 1962 ? Ou pour l’Algérie, importante source d’immigration, des enfants de pieds noirs, de harkis, ou d’enfants de citoyens algériens venus en France après l’indépendance de leur pays, notamment en raison de ses échecs économiques, puis de sa guerre, à nouveau civile ? Pour ne citer que l’exemple de l’Algérie qui est le postulat de la plupart de ces réflexions.

            L’auteur cite le cas de Boudiaf, un des principaux fondateurs du FLN, lequel revenu d’exil dans son pays en 1962, était inconnu des jeunes Algériens : « Les jeunes Algériens ne connaissaient même pas son nom » (p.60).

            Quant au propos tenu sur Madagascar, pays avec lequel j’entretiens des relations particulières, « Dans cette ancienne colonie française, les milliers de morts des massacres de 1947 restent dans toutes les mémoires »

            Je ne suis pas le seul  à dire que la repentance de Chirac, lors de son voyage de   2005,  est tombée à plat, parce que ce passé est méconnu des jeunes générations.

            L’auteur de ces lignes est-il en mesure de justifier son propos ?

            Les Malgaches ne connaissent pas mieux leur passé colonial que les Français, car pour ces derniers, ce n’est pas l’enquête de Toulouse, faite en 2003, par le collectif de chercheurs évoqué plus haut, qui peut le démontrer. Cette enquête va clairement dans un tout autre sens, celui de la plus grande confusion qui règne actuellement sur tout ce qui touche le passé colonial, la mémoire, et l’histoire coloniale elle-même, et la réduction de cette histoire à celle de l’Algérie. Cette enquête révélait en effet l’importance capitale de la guerre d’Algérie dans la mémoire urbaine de Toulouse et de son agglomération.

            Et ce constat avait au moins le mérite de corroborer deux des observations de l’auteur, celle relative à « l’immigration maghrébine » qui « renvoie à l’histoire coloniale », et l’autre quant à l’importance de la guerre d’Algérie dans cette « guerre des mémoires » : « Mais, c’est la guerre d’Algérie, qui est le nœud gordien de tous les retours forts de mémoire de ces dernières années. » (p.50)

            L’obsession de l’Algérie

            Et c’est sur ce point que le malaise est le plus grand, car comment ne pas voir, que pour des raisons par ailleurs très estimables, l’auteur de ces lignes a l’obsession de l’histoire de l’Algérie, et qu’il a tendance à analyser les phénomènes décrits avec le filtre de l’Algérie, pour ne pas dire la loupe, avec toujours en arrière plan, le Maghreb.

            Le tiers des pages de ce livre se rapporte à l’Algérie, et beaucoup plus encore dans l’orientation des réflexions qui y sont contenues. Les autres situations coloniales ne sont évoquées qu’incidemment, alors que l’histoire coloniale n’est pas seulement celle de l’Algérie, quelle que soit aujourd’hui l’importance capitale de ce dossier.

            Un mot sur la mémoire ou les mémoires de l’Algérie et de la guerre d’Algérie. Pour en avoir été un des acteurs de terrain, je puis témoigner qu’il est très difficile d’avoir une image cohérente et représentative de la guerre d’Algérie vécue par le contingent. Chaque soldat, chaque sous-officier, et chaque officier, a fait une guerre différente selon les périodes, les secteurs, les postes militaires occupés, et les commandements effectifs à leurs différents niveaux (sous quartiers, quartiers, secteurs, et régions). Si beaucoup d’anciens soldats du contingent ont écrit leurs souvenirs, peu par rapport à leur nombre, mon appartenance à ce milieu me conduit à penser que beaucoup d’entre eux se réfugient toujours dans le silence, mais pas obligatoirement pour la raison qu’ils auraient commis des saloperies, ou assisté à des saloperies. Un silence qui pourrait s’expliquer par un fossé immense d’incompréhension entre leur vécu, l’attitude des autorités d’hier ou d’aujourd’hui, et celle du peuple français

            M.Rotman a parlé de guerre sans nom. Je dirais plus volontiers, guerre de l’absenceabsence d’ennemi connu, absence du peuple dans cette guerre, sauf par le biais du contingent qui, à la fin de ce conflit, s’est trouvé tout naturellement en pleine communauté de pensée avec le cessez le feu du 19 mars 1962. Et c’est sans doute le sens profond de sa revendication mémorielle.

            Pour la grande majorité des appelés, l’Algérie n’était pas la France.

            Les appelés ne savent toujours pas quelle guerre on leur a fait faire : guerre de l’absence et du silence, et le remue-ménage qui agite en permanence, à ce sujet, certains milieux politiques ou intellectuels leur est étranger.

            Il convient de noter que pour un acteur de ce conflit, ou pour un chercheur marqué dans sa chair et dans son âme par celui-ci, c’est un immense défi à relever que de vouloir en faire l’histoire.

            Et sur au moins un des points évoqués dans le livre, je partage le constat qu’il fait sur l’effet des lois d’amnistie « personne ne se retrouvera devant un tribunal » (p.18), et personnellement je regrette qu’il en soit ainsi, parce qu’il s’agit là d’une des causes du silence du contingent, et de cette conscience d’une guerre de l’absence. A quoi servirait-il de dénoncer des exactions injustifiables si leurs responsables, c’est-à-dire les salauds inexcusables n’encourent  aucune poursuite judiciaire ? Cette amnistie n’a pas rendu service à la France que j’aime et à son histoire.

            Le métier d’historien

            Ma position de lecteur, amateur d’histoire, assez bon connaisseur de notre histoire coloniale, me donne au moins la liberté de dire et d’écrire ce que je pense des livres qui ont l’ambition de relater ce pan de notre histoire.

            Ce passage permanent de la mémoire à l’histoire  et inversement, est très troublant, sans que l’intelligence critique y trouve souvent son compte! Et beaucoup d’affirmations ne convainquent pas !

            Est-il possible d’affirmer, en ce qui concerne l’Assemblée Nationale et sa composition : « C’est d’ailleurs une photographie assez fidèle de cette génération qui a fait la guerre d’Algérie ou qui a été confrontée à elle. »

            Une analyse existe-t-elle à ce sujet ? Et si oui, serait-elle représentative de l’opinion du peuple français à date déterminée ?

            Tout est dans la deuxième partie de la phrase et le participe passé « confrontée »qui permet de tout dire, sans en apporter la preuve.

            La mise en doute du résultat des recherches qui ont été effectuées sur l’enrichissement de la métropole par les colonies : mais de quelle période parle l’auteur et de quelle colonie ? (p.20)

            L’affirmation d’après laquelle la fin de l’apartheid aurait été le  « coup d’envoi » mémoriel mondial (p.41) : à partir de quelles analyses sérieuses ?

            L’assimilation de l’histoire coloniale à celle de Vichy, longtemps frappée du même oubli. (p.21,50, 96).  Non, les situations ne sont pas du tout les mêmes !

            Et ce flottement verbal et intellectuel entre mémoire et histoire, une mémoire partagée ou une histoire partagée ? (p.61,62, 63). Outre la question de savoir si une histoire peut être partagée.

             Et pour mettre fin à la guerre des mémoires, un appel à la reconnaissance et à la réparation (p.93), ou en d’autres termes, à la repentance, que l’historien récuse dans des termes peu clairs dans les pages précédentes (p.34), une récusation partielle répétée plus loin (p.95).

            Et d’affirmer qu’il est un historien engagé (p.88) et d’appeler en témoignage la tradition dans laquelle il inscrit ses travaux, celle des grands anciens que sont Michelet, Vidal-Naquet et Vernant. Pourquoi pas ? Mais il semble difficile de mettre sur le même plan périodes de recherche et histoires professionnelles et personnelles des personnes citées.

            Le lecteur aura donc compris, en tout cas je l’espère, pourquoi le petit livre en question pose en définitive autant de questions sur l’historien et sur l’histoire coloniale que sur les mémoires blessées ou bafouées qui auraient été transmises par je ne sais quelle génération spontanée aux populations immigrées, issues des anciennes colonies.

            Pourquoi refuser de tester la validité « scientifique », et en tout cas statistique, de ce type de théorie historique ?

            Nous formons le vœu qu’une enquête complète et sérieuse soit menée par la puissance publique sur ces questions de mémoire et d’histoire, afin d’examiner, cas par cas, l’existence ou l’absence de clichés, des fameux stéréotypes qui ont la faveur de certains chercheurs qui s’adonnent volontiers à Freud ou à Jung, la connaissance ou l’ignorance de l’histoire des colonies, et donc de mesurer le bien fondé, ou non, des thèses mémorielles et historiques auxquelles l’historien a fait largement écho.

            Alors, histoire ou mémoire ?

            La nouvelle ère des historiens entrepreneurs

            L’histoire est-elle entrée dans un nouvel âge, celui de l’Historien entrepreneur selon l’expression déconcertante de Mme Coquery-Vidrovitch (Etudes coloniales du 27/04/07), ou celui de l’histoire devenue bien culturel selon l’expression de l’auteur ? Mais en fin de compte, sommes-nous toujours dans l’histoire ?

            Et à ce propos, nous conclurons par deux citations de Marc Bloch, évoquant dans un cas Michelet et ses  hallucinatoires résurrections, et dans un autre cas,  le piège des sciences humaines :

            «  Le grand piège des sciences humaines, ce qui longtemps les a empêchées d’être des sciences, c’est précisément que l’objet de leurs études nous touche de si près, que nous avons peine à imposer silence au frémissement de nos fibres. » (Fustel de Coulanges-1930)

Jean Pierre Renaud