« La Parole de la France ?  » Un regard de France – Pierre Brocheux

« La Parole de la France ? »

VI – B

Regards sur l’Indochine

Un regard de France

« Histoire du Vietnam contemporain »

« La nation résiliente »

Pierre Brocheux (Fayard- 2011)

 Il s’agit d’un livre intéressant grâce à son éclairage foisonnant sur l’ensemble des racines et traditions historiques, religieuses, culturelles, sociales et politiques, du Vietnam, dans le contexte historique des années 1939-1945, dont l’ignorance a signé l’échec de la politique française en Indochine.

            Cet échec a eu pour héritage un autre échec, celui de l’Algérie, en grande partie pour les mêmes raisons, alors que le corps des officiers français « survivants » avaient cru pouvoir tirer les leçons de cet échec.

            L’analyse de Pierre Brocheux montre pourquoi la France a échoué en Indochine, en laissant, sans le savoir, un lourd héritage à l’Algérie, celui du même engrenage politique et militaire facilité par le même aveuglement de gouvernements qui se succédaient au rythme moyen de six mois et des cercles politico-économiques qui faisaient la pluie et le beau temps, ou plutôt un sale temps pour la France.

            Dès l’introduction, l’auteur pose l’analyse en parlant du « moment colonial » intervenu dans « un processus de longue durée », celui d’une histoire ancienne et complexe liée à la Chine, bousculée par une ouverture forcée à l’Occident, parallèle à celle de la Chine ou du Japon.

 Commentaire : L’expression « moment colonial » traduit bien la réalité historique que fut celle de la durée de la colonisation française selon les territoires comparée à celle de leur histoire connue ou inconnue. Le cas du Vietnam en est une très bonne illustration, d’autant plus qu’il s’agissait d’un Etat structuré.

            Quand la France conquit l’Algérie dans les années 1830-1870, le pays n’était qu’un patchwork de tribus sous la férule supposée d’un dey, grand féodal de l’Empire Ottoman.

            Pour ne citer qu’un cas de l’Afrique de l’Ouest, celui de la Côte d’Ivoire, cet état « unifié »ne commença à exister qu’en 1895, et ne connut de paix civile relative que dans les années 1910-1920, soit vingt-cinq ans avant une première démocratisation en 1945, et l’indépendance en 1962.

1

            Dans une première partie, l’auteur analyse « Le moment colonial et la modernisation imposée » par « le complexe politico-économique et financier qui gouverna la France dans la seconde moitié du XIXème siècle. » (p,24)

            Il est fait mention des milieux d’affaires lyonnais, ceux de la soie en particulier, qui jouèrent un rôle actif.

            L’auteur note le cas de la Cochinchine que la France conquit en premier, un territoire qu’après 1945, les gouvernements voulurent conserver à tout prix, à l’écart de l’Annam et du Tonkin, alors que les nouvelles élites le considéraient comme « leur Alsace Lorraine » (p,25) : dans ses Mémoires le général Salan évoque la conversation qu’il eut avec Ho Chi Minh dans les années 1945 : « Mon général, ne faites pas de la Cochinchine une nouvelle Alsace Lorraine car nous irons à la guerre de cents ans. » (p,141)

            Le cas de la Cochinchine constitua une des causes principales du blocage des négociations cahotantes que la France conduisit avec Ho Chi Minh.

            L’auteur décrit les caractéristiques de « La gouvernance coloniale » : en dépit du débat qui opposa, dès l’origine, les gouverneurs partisans d’un régime de protectorat (de Lanessan, Pasquier, Varenne…), s’appuyant sur l’Empire et ses mandarins, lettrés et formés dans la « matrice culturelle chinoise », et ceux partisans de l’administration directe, l’administration coloniale glissant très rapidement vers la gestion directe.

      « Les Français exercèrent leur tutelle politique à deux niveaux, celui de l’exercice du gouvernement et celui de l’administration, autrement dit de la gestion quotidienne de la société » (p,27)

Commentaire : cette conception de la gouvernance politique fut une différence essentielle entre les deux empires anglais et français.

     Les Français, en tout cas, ceux qui gouvernaient l’Empire, à Paris ou sur le terrain, étaient imbus de la supériorité universelle de la République sur tout autre régime politique et des vertus d’une assimilation que d’autres acteurs du terrain considéraient dès le départ, comme un mirage. L’africaniste Delafosse en fut un des exemples.

      « Exploiter l’Indochine et ses ressources » L’auteur relève à juste titre la « symbiose antagonistique » qui liait Français et Chinois, car ces derniers étaient depuis des siècles très présents et très puissants sur le terrain. Une Banque d’Indochine « hégémonique », en effet étant donné qu’elle avait le privilège d’émission d’une monnaie en piastres.

     « Dans le registre de l’économie, le moment colonial ne fut pas une simple parenthèse prédatrice. » (p,39)

       La présence française modifia en profondeur le tissu économique, politique, social, et culturel de la presqu’île et fut une des causes de l’échec français dans ce pays aux traditions millénaires.

     Lyautey n’avait-il pas noté que l’Indochine était le « joyau » des colonies, alors qu’on pouvait  se demander ce que la France allait bien chercher à Madagascar.

            « De l’agression culturelle et de son bon usage » (p,41) L’expression « agression culturelle » rend bien compte du choc que pouvait causer des ambitions françaises en grande partie illusoires.

            L’auteur note l’importance de la création d’un langage de communication vietnamien, le Q N, qui connut un grand succès, celle d’une presse d’opinion indochinoise (p,51), et de la constitution d’une nouvelle élite indochinoise.

            « A tous les points de vue – politique, culturel, économique – 1930 fut un tournant » (p,53)

            « En 1945, le Q N était solidement ancré dans le mental des Viets pour surmonter les crises qui ébranlèrent le pays durant une trentaine d’années. » (p,54)

« La recomposition de la société » (p,57)

            « Le moment colonial est celui de l’élargissement de l’espace social en même temps que celui du resserrement des liens entre les trois ky. » (p,57)

            L’auteur cite tous les facteurs de ce profond changement, l’urbanisation, les migrations, les nouvelles vies socioprofessionnelles, l’évolution des mœurs et des mentalités.

            « Sur le modèle chinois, la hiérarchie traditionnelle accordait la primauté aux lettrés et dans l’ordre aux paysans, artisans, aux commerçants. Les militaires ne figuraient même pas dans cette hiérarchie quaternaire. » (p,57)

            L’auteur souligne l’importance de la création de villes nouvelles, de la politique d’urbanisme mise en œuvre avec la présence d’architectes de talent, tel qu’Hébrard dont les œuvres ont survécu aux guerres du Vietnam.

            « L’émergence d’une bourgeoisie citadine va de pair avec son installation dans l’habitat moderne de Hanoi, comme de Saigon et la transgression partielle de la ségrégation dominants-dominés dans l’espace urbain. » (p,61)

            L’auteur souligne également l’importance des migrations dans les facteurs d’évolution politique et culturelle de la population. Il est évident que certaines migrations de travail, d’autres liées aux réquisitions des deux guerres ont donné la possibilité aux vietnamiens à la fois de connaitre des mondes étrangers et de constater les différences de traitement entre citoyens français et citoyens coloniaux, comme ce fut le cas aussi en Afrique.

            Commentaire : cette analyse est utile parce qu’elle met en lumière deux facteurs de changement trop souvent ignorés, l’urbanisation et les migrations plus souvent forcées que libres.

       En Afrique noire, la première guerre mondiale fit prendre conscience à beaucoup de tirailleurs, 1) que le blanc était en définitive un humain comme les autres et 2) que leur statut politique n’était pas le même que celui des citoyens français : ils furent alors les intermédiaires précieux de la colonisation française.

            L’auteur décrit alors « Le monde rural et ses changements «  (p,63), une croissance démographique inégale en dépit de la création de quatre instituts Pasteur, la modernisation réalisée, sans que la condition rurale ne s’améliore vraiment.

            « La paysannerie vietnamienne est le principal acteur de l’histoire de son pays, que ce soit pour coloniser le territoire, le libérer de la domination étrangère, ou secouer le joug des puissants si ceux-ci se laissent aller au despotisme… Toutes les révoltes qui éclatèrent contre la domination coloniale étaient essentiellement motivées par la surcharge fiscale ou par des conflits avec les douaniers. » (p,66)

     « En dépit des obstacles posés par le condominium économique franco-chinois, une classe d’entrepreneurs vietnamiens tenta de se faire une place au soleil. »

      Le gouverneur général Varenne avait noté la constitution d’une sorte de « tiers état » : « Dans sa couche supérieure, ce tiers état adopta, au moins partiellement et de façon éclectique, les modes d’habitat, vestimentaire, et alimentaire qui composaient le genre de vie européen. »  (p,73)

    « L’élite vietnamienne s’imprégnait de culture européenne tout en continuant d’être éduquée dans la morale confucéenne, administrant la preuve de la cohabitation, si ce n’est même de la compatibilité des deux cultures. » (p,74)

     « Les réponses politiques à la domination française » (p,79)

            En quelques dizaines d’années, l’Indochine s’était dotée d’une élite variée dans la plupart des domaines de la vie politique, économique, culturelle et sociale, qui avait l’avantage de s’adosser à des traditions bien enracinées et à une mentalité collective baignant dans la culture confucéenne.

            Il ne faut jamais oublier que dès le début de la conquête française et tout au long de la colonisation, le pays connut une succession d’actes de résistance contre le nouvel occupant qu’était la France – après la Chine- avec un rappel de vieux souvenirs de la résistance annamite, dont le plus célèbre fut celui des sœurs Trung au Xème siècle.

       Une floraison de partis politiques et de journaux naquit dans les villes, avec très tôt, la constitution d’un parti communiste, le PCI.

      « Le tournant de 1930 » (p,87)

      « L’implantation dans les « masses » évita au PCI la tragédie qui effaça le VNQDD de la scène politique en février 1930 lorsque les nationalistes passèrent à l’action violente : bombes dans les villes, assassinats de mandarins et surtout mutinerie d’un bataillon de la garnison de Yen Bay aidé d’une trentaine de militants venus de l’extérieur. Ils ne se relevèrent pas de cet échec et de la répression qui suivit et décapita le Parti… »

En 1930, « L’Indochine était entrée dans une autre phase de son histoire » et vu la naissance ou la renaissance de réponses  religieuses, le bouddhisme, la nouvelle religion des Hoa Hao, celle de Cao Dai avec son pape et ses prélats, et un christianisme toujours vivant.

            En 1945, le Vietnam comptait 1 400 prêtres, 2 810 catéchistes, 5 000 religieuses  d’origine vietnamienne, et 339 prêtres et religieuses missionnaires.

            Je cite ces chiffres parce qu’il ne faut jamais oublier que dans cette longue histoire, les missions chrétiennes furent à l’origine de la conquête, à côté du mercantilisme, et que leur présence pesa sur le dénouement violent du conflit.

2ème Partie La fin de l’empire français en Extrême Orient (p,127)

            L’auteur fait une distinction intéressante et tout à fait pertinente entre l’empire formel d’Indochine et l’empire informel de Chine.

            La période de l’occupation japonaise et la coopération du régime vichyste avec le nouvel occupant fut plus qu’un « intermède » parce qu’elle sonna le glas de la présence française en Indochine.

            Le Japon donna les clés du pays au Vietminh :

                        « Ils prirent la décision de neutraliser les Français en déclenchant un coup de force le 9 mars 1945. Ils attaquèrent l’armée coloniale, la désarmèrent et l’emprisonnèrent ; ils confisquèrent les commandes de l’administration ou les transmirent aux Indochinois. Au mois d’avril, ils proclamèrent l’indépendance des trois Etat indochinois, en un mot ils mirent fin à l’impérium français en Indochine. » (p,123)

Bao Dai retrouve son trône, mais la situation du pays est catastrophique à la suite de la politique des cultures forcées et des réquisitions japonaises, avec de un à deux millions de morts selon les sources.

       Le 3 août 1945, le Japon capitule, et le 2 septembre 1945, Ho Chi Minh proclame la République démocratique du Vietnam. Dans le contexte politique et militaire de cette période de transition, le Vietminh bénéficie d’une aide américaine (p,133) tout en s’assurant le contrôle des zones montagneuses limitrophes de la Chine et en aidant à la constitution de maquis dans le delta.

     Le 19 août 1945, le Vietminh avait pris le contrôle d’Hanoi.

     L’auteur note au sujet de la date du 2 septembre 1945 :

      « L’événement était l’aboutissement d’une maturation de l’évolution sociale, culturelle et politique que nous avons décrite dans les pages précédentes. »  (p,135)

Troisième partie

« L’indépendance dans la douleur et la réunification au prix fort » (p,137)

Notre chronique aura pour terme la fin du 1 de la troisième partie. (p,151)

Le contexte historique : la Chine voisine traverse une période de révolution et de guerre entre les armées nationalistes de Tchang Kai-check soutenues par l’Occident, mais avant tout par les Américains, et les armées communistes de Mao Tsé Tung, avec des répercussions de plus en plus fortes sur la situation du Tonkin, et une prise de pouvoir complète de la Chine par Mao Tsé Tung.

     La France fait les premiers pas d’une tentative de reconquête militaire de ce territoire, sans avoir les moyens militaires nécessaires à la réussite, d’autant qu’aucune solution n’était possible sans solution politique, comme le comprirent très tôt un tout petit nombre d’hommes politiques, de hauts fonctionnaires, et de généraux, tels que Leclerc et plus tard, de Lattre.

     Il était évident que le Vietminh avait en mains les manettes de la solution, et que l’Empereur d’Annam Bao Dai ne comptait plus, sauf pour la façade, dans le règlement du conflit.

     Une négociation cahotante s’engagea entre Sainteny et Ho Chi Minh et se concrétisa par l’accord transitoire du 6 mars 1946.

      Très rapidement, le sort de la Cochinchine, l’un des trois Ky, fut une des difficultés de tout accord sur l’indépendance du Vietnam, car la France voulut jusqu’à la fin, que cette province bénéficie d’un statut particulier.

       L’auteur cite le propos qu’Ho Chi Minh tint au Général Salan : « Mon général, ne faites pas de la Cochinchine une nouvelle Alsace Lorraine car nous irons à la guerre de cent ans. » (p,141)-( Mémoires Salan)-(p,389)

     Rien n’était encore fait en ce qui concerne le contrôle militaire et politique complet de l’Indochine par le Vietminh, mais Ho Chi Minh combina très adroitement des négociations avec la France, la main tendue aux nationalistes, un jeu subtil typiquement asiatique de respect officiel à la culture impériale de l’Annam, avec la participation temporaire d’un de ses pâles représentants, Bao Dai.

      « A l’instar mais à l’inverse de Gallieni qui pacifia le Tonkin en jouant des contradictions interethniques, le Viet Minh fit appel au mythe des origines communes des Viets et des non-Viets et joua la corde anticolonialiste et racialiste. » p,143)

     Ho Chi Minh rencontra de sérieuses difficultés avec les sectes puissantes qui s’étaient implantées en Cochinchine, lesquelles étaient concurrentes du Viet Minh en raison de leur assise territoriale, de leurs armées et de leur organisation administrative, des Etats dans d’autres Etats.

      Il convient de noter que le Viet Minh n’hésita pas à massacrer les trotskystes. (p,144)

     Avec la guerre de Corée et la défaite française de Cao Bang : « Les années 1950 furent donc un grand tournant. », c’est à dire l’internationalisation croissante de la guerre, et le coût croissant de cette guerre avec la participation de plus en plus importante des Etats-Unis.

L’auteur donne quelques chiffres intéressants dans le tableau ci-après :

L’aide financière américaine

                       Milliards Francs  Part Indochine  Part dans le coût de la guerre

              Année 1951-1952.      115                    66%                20%

              Année 1952-1953        145                    70%               25%

               Année 1953- 1954        275                    84%              41%

            Il suffirait de prendre connaissance de ces chiffres pour avoir conscience que cette guerre dépassait les moyens de la France, d’autant que le pays était en pleine reconstruction depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.

            L’auteur précise : « Dans les faits la « décolonisation » de l’Indochine que je préfère appeler la fin de l’empire français d’Extrême Orient débuta en pleine guerre mondiale. » (p,148)

             « En Indochine, une situation de fait prévalait : les peuples étaient indépendants puisque le pouvoir français avait été balayé le 9 mars 1945, mais en France, le Général de Gaulle et la classe politique, pourtant informés par les missions françaises (l’une gaulliste, l’autre giraudiste) basées en Chine du Sud et à Calcutta, avaient toujours le regard fixé sur l’horizon impérial…De Gaulle : Il refusait de reconnaître une entité étatique, et ce fut une erreur majeure. » (p,149)                

            « La défaite de l’armée française à Dien Bien Phu et ses suites illustrait la théorie des dominos. Pour la France la guerre d’Algérie succéda à la guerre d’Indochine : des officiers français refusèrent « de perdre l’Algérie » comme ils avaient « perdu l’Indo », ils fomentèrent un coup d’état à Alger qui rappela au pouvoir le général de Gaulle et conduisit à la fondation de la Cinquième République – les réalisateurs d’un film documentaire titrèrent celui-ci La République (la Quatrième) est morte à Dien Bien Phu. «  (p,151)

            « Du côté américain, Dien Bien Phu eut un impact très fort sur l’opinion et sur la classe politique des Etats-Unis. Il est significatif que le Secrétaire d’Etat John Foster Dulles n’assista pas à la Conférence de Genève et que son gouvernement ne signa pas la déclaration qui prévoyait la tenue d’élections dans les deux années à venir (1956).

            « Lorsque le 8 février 1948, H.Truman reconnut l’Etat vietnamien établi en vertu des accords passés entre la France et l’ex-Empereur Bao Dai, il mit le doigt américain dans l’engrenage indochinois. Son successeur D .Eisenhower (contre l’avis de son chef d’état-major M Ridgway) , J.F.Kennedy, L.B.Johnson engagèrent leur pays dans le « bourbier » pour effacer le remords de ne pas être intervenu à Dien Bien Phu alors qu’ils venaient de « loose China ». (p,151)

Commentaire :

  1. Je ne suis pas sûr que la guerre d’Algérie se soit inscrite dans la théorie des dominos, même si un clan militaire très dynamique constitué d’anciens officiers d’Indochine, mena cette nouvelle guerre avec un incontestable succès, mais en partant d’une analyse stratégique anticommuniste non fondée, alors qu’il s’agissait avant tout d’un mouvement d’insurrection avant tout nationaliste.
  2. J’ai souligné le passage ci-dessus parce qu’il s’inscrit dans le travail, de recherche que j’ai effectué sur les héritages entre la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie, qui se conclurent par deux échecs, l’un militaire en Indochine, et l’autre politique en Algérie, dans des contextes stratégiques complètement différents.

       Pierre Brocheux s’interroge :

      «  La conclusion provisoire de la guerre d’Indochine en 1954 justifie l’interrogation sur le sens du mot décolonisation. La reprise de la guerre de 1960 à 1975 pose de nouveau la même question ; qu’est-ce que la décolonisation ? » (p153)

      Je serais tenté de répondre par une question pirouette : qu’est-ce que la colonisation ?

        Il est évident que les deux guerres en question comme beaucoup d’autres sur tous les continents s’inscrivaient dans le contexte mondial de la guerre froide, entre un Est et un Ouest qui n’était plus celui de sa Sublime Splendeur, dans celui d’une montée en puissance des nations du Tiers monde, après l’appel  de  Bandoeng , alors que la colonisation s’était inscrite dans un contexte occidental de rivalités de puissances qui évitaient de recourir aux armes, entre elles, pour assurer leurs conquêtes coloniales.

Epilogue

     « L’histoire contemporaine du Viet Nam illustre la résilience d’un Etat national séculaire. Le moment colonial fut un intermède relativement court mais fécond en transformations de l’économie, de la société et de la culture ». (p,251)

Commentaire : il s’agit d’une appréciation historique qui parait justifiée, mais en la comparant aux contextes et situations historiques de l’Afrique noire, ces dernières ne réunissaient pas les éléments de cohérence nationale qui marquèrent la longue histoire du Vietnam, c’est-à-dire la culture, les traditions, la permanence des institutions impériales et mandarinales, avec un adossement qui ne dit pas son nom avec l’empire de Chine.

Fin

 Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

SUBVERSION ET POUVOIR ?

Les subversions ? Les manipulations ! Le grand désordre !

Une esquisse d’éclairage sur les processus de renversement de l’ordre républicain.

&

Cette chronique sera publiée au fur et à mesure des jours

Sommaire

En prologue – La France est-elle l’objet d’une subversion ?- Le nouveau théâtre d’opérations des subversions –  Les machineries du théâtre d’opérations – Les « modèles de propagande » – Trucs et truquages – Le modèle de propagande des « raisins verts » : mémoire ou histoire ? – Face à ces défis.

&

« En plein jour, je l’abuse par le jeu des drapeaux et des étendards, et, le soir, je l’égare par des battements de tambour. Alors, tremblant de frayeur, il divisera ses forces par mesure de précaution. »

 Sun Tzu

La parabole des « raisins verts »

          En prologue     

         Pourquoi ces réflexions sur la situation de la France face à une subversion multifactorielle, fruit d’un ensemble de manipulations de toute nature, intellectuelle, politique, religieuse, sociale, économique, historique, et de nos jours médiatique, dont l’objectif est une prise de pouvoir ?

            Subversion au singulier ou subversions au pluriel ?

            A l’occasion d’un  commentaire des positions mémorielles de M.Stora, j’ai fait appel récemment à la référence biblique des « raisins verts » et cette appellation singulière me parait justifiée, compte tenu du rôle médiatique très troublant que ses membres, la plupart issus du sillon maghrébin, ont joué dans cette nouvelle forme de subversion multiculturelle, en tant qu’enfants d’acteurs ou de témoins des situations coloniales dénoncées, algériennes avant tout, en investissant avec un certain succès le mémoriel, médiatique, et politique (blog du 3 avril 2016).

            Dans le livre « Le choc des décolonisations », l’historien Pierre Vermeren utilise à ce sujet l’expression de « matrice algérienne », et nous y reviendrons plus loin dans l’analyse du théâtre d’opérations.

            Très tôt, j’ai été sensibilisé aux thématiques de la subversion, pour avoir lu, entre autres, les « Œuvres Choisies » de Mao-Tsé-Tung, m’être intéressé aux guerres révolutionnaires, subversives, marxistes, ou tiers-mondistes, celle notamment du Vietminh, puis à celle que j’ai « fréquentée », si je puis dire, en Algérie, dans les années 1959-1960.

            J’ai eu, en particulier, l’occasion de comparer à la fois sur le plan intellectuel et sur le terrain, les théories de la guerre subversive exposées par le colonel Trinquier et, d’une façon moins convaincante, par le capitaine Galula, en notant la faiblesse d’une partie des analyses et recommandations stratégiques, notamment en raison d’une compréhension erronée des objectifs de cette subversion que l’on combattait, l’objectif numéro Un de ce type de stratégie étant la conquête de la population, et la prise de pouvoir grâce à son soutien effectif.

            Afin de mieux connaître les tenants et aboutissants de la subversion en général, ou de telle ou telle subversion en particulier, il convient de s’intéresser au contenu des stratégies militaires et politiques, indirectes et directes, celles anciennes, décrites par Sun-Tzu, ou par Clausewitz, et celles modernes analysées par Beaufre, Gambiez, ou Liddell Hart.

           Les domaines de l’information et de la propagande font évidemment l’objet des stratégies indirectes de manipulation, telles celles décrites par Chomsky dans le livre « La fabrique de l’opinion publique » (1988).

        Plus largement et en profondeur, le philosophe et sinologue François Jullien a décortiqué les chemins stratégiques proposés dans la philosophie chinoise, avec les concepts de « potentiel », de « position », de « disposition », de « propension », ou autres chemins de « détour », notamment dans le livre « La propension des choses- Pour une histoire de l’efficacité en Chine ».

          Le chapitre 2 de cet ouvrage analyse la proposition : « La position est le facteur dominant (en politique). », en notant qu’il s’agit d’un des sujets majeurs de toute analyse stratégique, d’où l’importance des positions que sont susceptibles de prendre les subversions, bonnes ou mauvaises.

      Pourquoi ne pas citer l’exemple actuel d’un Qatar théocratique, lequel, en prenant le contrôle du PSG, avec la complicité de notre Establishment de gauche et de droite, bénéficie de l’aura et de l’image de la capitale de la République Française ?

            Il y a près de vingt ans, j’avais commis un petit livre d’analyse et de réflexion, intitulé « Chemins Obliques », sur les différents champs d’application des stratégies indirectes, dont le contenu avait alors intéressé le général Gambiez, que j’avais rencontré.

            A la page 108, j’avais noté que quel que soit le champ d’études retenu : « Nous ne sommes jamais très loin du champ des stratégies indirectes. »

            L’ouvrage passait en revue tous les domaines de notre vie, qui au-delà de la guerre, pouvaient être l’objet d’une stratégie indirecte, c’est-à-dire de toutes les tromperies, de processus insidieux, en ce qui concerne la politique nationale ou internationale, l’information, l’art, ou l’amour…

            Il n’est pas inutile de rappeler que dans l’attaque directe, votre adversaire tente de vous vaincre, à titre principal, dans un face à face, à visage découvert (Verdun 1916), alors que dans l’attaque indirecte, il tente de vous vaincre en vous déstabilisant, à visage à la fois découvert et masqué, à front renversé (Vietminh ou FLN).

Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

Galula, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire? Lecture critique: 2ème partie

Gregor MATHIAS

« David GALULA »

« Combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire »

Lecture critique

Volet 2

Le volet 1 a été publié sur le blog du 21 septembre 2012

3

Critique comparative

a)

La théorie des autres officiers français, en particulier celle du commandant Hogard :

A lire les textes et analyses proposées pour comprendre ce qu’était la fameuse théorie de la « contre-insurrection » de M.Galula, il est possible de croire qu’il existait dans les années 1954-1962 une véritable table rase de la pensée militaire à la fois stratégique et tactique, sur ce type de conflit, et notamment sur la guerre d’Algérie.

Ce n’était absolument pas le cas, et les officiers en formation à Saint Maixent, en tout cas en 1958 et 1959, avaient à leur disposition tout un ensemble d’articles solides et « publics » qui décrivaient la guerre révolutionnaire, tirée entre autres, des écrits de Trotsky ou de Mao, et des enseignements de la guerre d’Indochine.

Citons les articles du commandant Hogard parus dans la Revue de la Défense Nationale de décembre 1956, janvier et février 1957.

Ces articles portaient les titres suivants :

1 Guerre révolutionnaire ou révolution dans l’art de la guerre

2 L’Armée française devant la guerre révolutionnaire

3 Les soldats dans la guerre révolutionnaire

Le commandant Hogard y décrivait en détail et de façon parfaitement claire, à la fois les fondements théoriques de ce type de guerre, les instruments utilisés, notamment le contrôle totalitaire des masses, la terreur, l’idéologie en vigueur, les processus révolutionnaires utilisés, et les types de réponses politico-militaires qu’il convenait d’opposer à l’adversaire, la destruction des bandes et des bases, ainsi que celle de l’organisation politique et révolutionnaire secrète.

Le commandant soulevait la question sensible des « arrières », dans le cas de l’Algérie, la métropole.

Cette doctrine était fondée sur le contexte de l’époque, c’est-à-dire la guerre froide, avec toutes les initiatives que prenait l’URSS pour affaiblir le camp « capitaliste », notamment dans le Tiers Monde, et dans les réponses proposées à partir de l’expérience de la guerre d’Indochine, mais il est évident que toute une partie de cette analyse était applicable à la pacification de l’Algérie.

Le commandant Hogard avait pris soin de souligner l’importance du facteur « arrières », et c’est en grande partie sur ce terrain, celui de la métropole, que cette guerre « révolutionnaire », le qualificatif que lui donnait le général Ely dans un article de la Revue Militaire d’Information de juin 1957, intitulé « Le Chef et l’évolution de la guerre », a été un échec

L’échec de la stratégie française a procédé également, et très largement, de l’incapacité de nos gouvernements à opposer à la revendication de l’indépendance une réponse convaincante de l’intégration, à mes yeux d’ailleurs impossible, tant il y avait d’écart entre les niveaux de vie et les cultures des deux communautés, et avec une population française qui n’était pas prête à faire le saut en Algérie même.

Et la grande erreur stratégique de nos gouvernements et du haut commandement militaire fut, à la fois de croire qu’en Algérie on faisait la guerre à un adversaire communiste, et en même temps de faire croire aux Algériens qu’une intégration était possible.

Dans un autre article de juin 1958 (Revue Militaire d’Information), intitulé « Tactique et Stratégie dans la guerre révolutionnaire », le même commandant Hogard décrivait avec la plus grande précision et rigueur tous les éléments de cette doctrine et notait en particulier :

« La conduite de la guerre contre la révolution ne peut se concevoir que comme l’application d’une tactique vraiment « générale » (au sens « civilo-militaire » et non plus « interarmes »), combinant à tous les échelons les moyens de toutes natures, politiques, psychologiques, administratifs, judiciaires et policiers, économiques, sociaux, culturels, militaires, en vue de conserver (ou de reconquérir) le soutien populaire au gouvernement légal et simultanément de détruire l’appareil et les Forces armées révolutionnaires. » (page 11)

Incontestablement donc une doctrine de guerre de type totalitaire que la France n’a jamais eu l’idée ou l’ambition de mener, pour autant qu’elle ait pu ou voulu la faire.

A lire l’ensemble de ces seuls articles, et sans avoir la mesure de toutes les autres réflexions qui ont pu être produites sur le même sujet dans les états-majors ou dans les écoles militaires, à l’époque de la guerre d’Algérie, les idées du nouveau Clausewitz ne semblent pas marquées du sceau de l’originalité, sans citer le livre du colonel Trinquier, intitulé « La guerre moderne », dont une grande partie des idées et propositions techniques était applicable à la guerre d’Algérie.

Pour nous résumer, la pacification telle que décrite par le commandant Hogard était celle qui était susceptible de fonctionner en Algérie, avec l’accent mis sur la population, le contrôle des masses, parfaitement décrit dans les œuvres de Mao Tsé-Tung, mais à plusieurs conditions :

La guerre « révolutionnaire » n’était pas celle des communistes, mais des nationalistes.

 La France n’a jamais cru au mythe de l’intégration, et encore moins les soldats du contingent ; de ce fait, l’armée se trouvait privée du soutien de ses « arrières » de métropole.

L’armée faisait donc une guerre de type « révolutionnaire » sans qu’une telle doctrine soit fondamentalement applicable, et sans qu’elle en ait accepté les impératifs de guerre totale, sauf peut-être dans le cas de la bataille d’Alger.

Enfin, la France n’a jamais été en mesure de contrer efficacement la guerre de type indirect que ses adversaires ont mené dans l’opinion publique internationale, avec l’appui de la Tunisie et du Maroc, de l’URSS et des Etats Unis, ainsi que du monde arabe.

Les analyses d’un Liddell Hart sur la stratégie indirecte, ses modes d’action, ses résultats, n’ont pas assez irrigué la pensée stratégique française en Algérie, ou en tout cas, et si des efforts ont été effectués dans ce but, ils n’ont pas été concluants.

b)

Un cadre de réflexion conceptuelle,  tactique et stratégique, fragile

         Il est possible que les ouvrages de M.Galula contiennent un rappel des axiomes qui ont été analysés et proposés par les grands penseurs de la guerre que furent Sun Tzu, Clausewitz, Mao, Liddell Hart, pour ne pas citer des officiers français qui se sont illustrés dans ce type de réflexion sur la guerre, tels que Beaufre ou Gambiez, mais dans le livre analysé et commenté, on ne voit pas la trace de référence à ces sources.

Sans vouloir allonger notre commentaire, simplement quelques rappels !

Dans ses « Œuvres choisies », Mao Tsé-toung cite son lointain prédécesseur, Sun Tzu :

« Connais l’adversaire et connais-toi toi-même, et tu seras invincible » (page 225)

La mise en application de cette seule maxime de guerre aurait évité bien des déconvenues à la France en Algérie.

Et le même Mao décrivait avec précision les processus politiques et militaires qu’il convenait d’utiliser pour gagner une guerre révolutionnaire, ceux qu’il mit en œuvre en Chine, pour y imposer le communisme.

« L’art de la guerre » de Sun Tzu fournissait par ailleurs un très beau catalogue des axiomes qu’il convenait de mettre en œuvre afin de prendre intact ce qui se trouvait « sous le ciel » de l’adversaire.

La somme de Clausewitz, « De la guerre » contient un ensemble d’analyses, de propositions, d’axiomes, en comparaison desquels les textes de M.Galula font assez pâle figure, sur la guerre, conflit de deux volontés, sur la guerre en tant que  continuation de la politique par d’autres moyens, sur la guerre comme acte politique, la guerre totale, avec « l’armement du peuple » (Chapitre XXVI).

Clausewitz donnait incontestablement la préférence à l’affrontement direct, mais dans le contexte stratégique de l’époque de Napoléon, alors que la guerre était encore, et avant tout, un affrontement entre deux armées, mais déjà le facteur politique prenait de plus en plus de force.

La révolte du peuple espagnol causa la perte des armées napoléoniennes en 1808.

&

Conclusion générale

David Galula, un officier intelligent et astucieux que ses fonctions dans le renseignement ont accoutumé à un travail de « communication » des armées avant la lettre,

C’est un peu l’impression que l’on retire à la lecture de ce livre

Ma conclusion générale est qu’il d’agit beaucoup plus d’un canevas de pacification, je dirais presque d’un exercice militaire, que d’un modèle de pacification, et  encore moins d’une nouvelle théorie de la guerre !

Une goutte d’eau dans l’océan du brain-storming politico-militaire américain ?

L’intérêt que les généraux américains ont manifesté pour ce type de réflexion militaire laisse évidemment perplexe, quant à la valeur ajoutée que M.Galula a pu apporter dans le brain-storming permanent, pour ne pas dire le méli-mélo tactique et stratégique qui a agité les états-majors politiques et militaires américains pendant toute la durée du conflit vietnamien, et pour des résultats politiques et militaires proches de zéro.

A lire l’analyse historique qu’en a proposé le journaliste américain, Stanley Karnow, dans son livre « Vietnam »,  les « sommes » de matière grise américaine en tout genre consacrées par le gouvernement américain au diagnostic et à la stratégie efficace qu’il fallait mettre en œuvre, l’apport du capitaine Galula ne pouvait être que très modeste. En annexe, figurent quelques lignes de l’éclairage historique de Stanley Karnow.

L’analyse de M.Mathias a relevé toutes les imperfections d’un tel canevas proposé comme un nouveau modèle de guerre, et d’anciens officiers, acteurs de cette « guerre » pourraient également témoigner du fait que ce canevas de pacification, avec ses huit étapes, ne fonctionnait pas sur le terrain, et donc concrètement, comme le voulait la description Galula.

En revanche, le commandant Hogar a proposé un véritable « modèle » de guerre, tel qu’il l’a décrit. Ce « modèle » aurait pu fonctionner si les « axiomes » décrits et proposés avaient pu être respectés, ce qui ne fut pas le cas, pour un certain nombre de raisons qui seraient à mes yeux :

Quelle situation ?

Une analyse de la situation insuffisante : algérienne (son histoire, la présence d’une importante minorité française avec à ses côtés une majorité d’algériens privés de la citoyenneté française, le problème religieux…), française (une métropole indifférente à l’outre-mer, avec des groupes de pression favorables au dégagement,…), internationale (la guerre froide, la décolonisation avec la conférence de Bandoeng, le rôle des Etats Unis, les ingérences de la Tunisie et du Maroc, etc..).

Avec quel outil militaire ? Le contingent n’était pas fait pour mener ce type de guerre dont il ne comprenait pas les objectifs, et alors qu’il constatait de ses propres yeux, et chaque jour, que l’Algérie n’était pas la France.

Entre la plage de Tipaza, près d’Alger, Tipaza chantée par Camus, et les massifs de Petite Kabylie, il n’y avait pas photo !

Une métropole, base arrière, indifférente, et gagnée progressivement par l’idée qu’il fallait mettre un terme à cette guerre, incomprise, alors que le FLN disposait de plus en plus de soutiens extérieurs.

Une absence d’idéologie à proposer aux Algériens, susceptible de mobiliser la « population », le facteur numéro 1, comme décrit, en notre faveur,  et c’était sans doute la clé de ce conflit.

&

Et en Annexe :

Dans son livre « Vietnam », le journaliste américain Stanley Karnow, très bon connaisseur du Vietnam, a décortiqué les tenants et aboutissants des guerres successives de ce pays, française, mais avant tout américaine.

Un éclairage sur les effets d’une transfusion stratégique supposée de la théorie Galula, dans le cadre de ses relations avec les Etats Unis d’Amérique, engagés  dans la guerre du Vietnam ?

M.Mathias évoque dans sa conclusion les relations que M.Galula a entretenues avec l’état-major des forces armées américaines à Norfolk de janvier à juillet 1960, et le contact qu’il avait eu dans le passé, à Hong Kong avec le général Westmoreland :

« Ce serait ainsi à l’initiative du général Westmoreland que D.Galula aurait été invité à participer à un séminaire de la Rand sur la contre-insurrection. Ce séminaire sur la contre-insurrection est organisé par deux membres de la Rand, S.T.Hosmer et S.O.Crane, à Washington… La Rand est chargée de faire une expertise sur les différents aspects du conflit au Vietnam pour orienter les actions du gouvernement américain. La Rand fera ainsi plus tard des expertises sur l’impact des hameaux stratégiques ou l’état d’esprit des prisonniers du Vietcong pour le Pentagone. Ce séminaire de la Rand est donc une expertise sur les méthodes de contre-insurrection qui concernent neuf théâtres d’opération différents (Algérie, Chine, Grèce, Kenya, Laos, Malaisie, Oman, Sud Vietnam et Philippines… Le lieutenant-colonel Galula est ainsi le seul Français présent, ce qui peut sembler surprenant, alors même que la France a une expertise incontestable de la contre-insurrection avec les guerres d’Algérie, et dispose de nombreux théoriciens de la guerre contre-révolutionnaire. » (pages 173 et 174)

M.Mathias poursuit en citant la participation du général Lansdale, à ce séminaire, spécialiste de la guerre contre la guérilla communiste aux Philippines, et en évoquant le rôle de la fameuse Rand dans ce type de réflexion stratégique.

Et c’est à propos de l’intervention de la Rand et de celle du général Lansdale pendant la guerre du Vietnam que le témoignage de Stanley Karnow est intéressant, en ce qui concerne le personnage Lansdale, et les résultats obtenus par l’armée américaine en mettant en application les théories soutenues par la Rand en matière de contre-insurrection.

En ce qui concerne Landsdale, nous sommes en 1954, Diem est au pouvoir :

« Il y avait à l’époque un Américain ayant de l’influence sur Diem, quoique son rôle ait été exagéré tant par ses admirateurs que par ses critiques. Le colonel Edward G.Lansdale avait fait partie de l’Office of Stratégic Services pendant la Deuxième Guerre mondiale et avait ensuite aidé Ramon Magsaysay, le dirigeant philippin, à écraser la rébellion Huk, menée par les communistes. D’une douceur trompeuse, cet ancien publicitaire effacé croyait aux techniques de « guerre psychologique » Rappelant les méthodes de la publicité. Il était aussi empreint d’une sorte de bonne volonté sans artifice ignorant la dynamique profonde des mouvements révolutionnaires et semblait ne tenir aucun compte de la complexité sociale et culturelle de l’Asie. William J.Lederer et Eugène Burdickn, auteurs du Vilain Américain, le peignirent sous les traits du colonel Edwin Hillendale, qui gagnait « les cœurs et esprits » avec son harmonica. Dans Un Américain bien tranquille, Graham Greene en fit un personnage naïf, convaincu que si l’on inculquait les principes de la démocratie occidentale aux paysans vietnamiens, ils résisteraient au communisme. Landsale avait une façon de présenter les choses qui rendait tout parfaitement simple, comme dans les stages « anti-insurrectionnels » qu’il organisa des années plus tard pour les Américains. « Souvenez-vous simplement de ceci, disait-il. Les guérilleros communistes se cachent parmi le peuple. Si vous gagnez le peuple à votre cause, ils n’auront plus d’endroits où se cacher. Vous pourrez donc les trouver… et les liquider (page 126)

 .En ce qui concerne l’efficacité des études de la Rand et des initiatives de Mc Namara :

« McNamara avait été un brillant cadre supérieur d’entreprises, capable d’examiner un bilan avec une rapidité et une sûreté infaillibles. En mai 1962, quand il se rendit pour la première fois au Vietnam, il considéra les chiffres et conclut avec optimisme, quarante- huit heures seulement après son arrivée : « toutes les données quantitatives… indiquent que nous sommes en train de gagner la guerre. »

Aucun conflit dans l’histoire ne fut étudié aussi minutieusement pendant son déroulement même. Presque tous les organismes gouvernementaux de Washington fournirent tôt ou tard une étude sur le Vietnam, de même que des dizaines d’instituts de recherche privés comme la Rand Corporation ou la Stanford Research. Les auteurs de ces études comprenaient experts en armement, économistes, sociologues, spécialistes des sciences politiques, anthropologues, agronomes, biologistes, chimistes et experts en sondages. Ils étudièrent les effets des défoliants, l’impact des bombes, l’efficacité des canons ; ils parcoururent les villages, interrogèrent les paysans, les déserteurs et les prisonniers ennemis ; ils étudièrent longuement les documents communistes saisis et passèrent au crible les déclarations d’Hanoï ; enfin, ils produisirent quantité de courbes, graphiques, brochures et livres. Mais pour une raison ou pour une autre, les chiffres ne parvinrent pas à exposer correctement le problème, encore moins à fournir des solutions.

Car il manquait dans les « données quantitatives » guidant McNamara et autres gouvernants américains une dimension qualitative qu’on ne pouvait aisément traduire : il n’existait aucun moyen de mesurer la détermination des guérilleros Viêt-Cong ni de mettre sur ordinateur les craintes et les espoirs des paysans vietnamiens. » (pages 146,147)

L’analyse historique de Stanley Karnow décrit les échecs successifs de la lutte contre-insurrectionnelle des Etats Unis au Vietnam, avec leur engagement militaire de plus en plus important, et entre autres, celui des « Hameaux stratégiques » qui devaient, en isolant la population de la menace Viêt-Cong, assurer le succès de la pacification américaine.

Ces quelques citations laissent à penser que l’apport des réflexions Galula dans cet océan d’études et de propositions pour vaincre le Viêt-Cong est bien difficile à déterminer.

Jean Pierre Renaud

Guerre d’Algérie: Galula, nouveau maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire? Sa pertinence?

Gregor Mathias

« David Galula

Combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire »

Editions Economica

Lecture critique

&

Volet 1

Le deuxième volet sera publié dans quinze jours

            Les qualificatifs du titre ci-dessus, notamment le troisième, celui de « maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire », et beaucoup d’autres, souvent élogieux, donnés au cours du livre, notamment par des Américains admirateurs de Galula, ont de quoi impressionner, intriguer, interpeller un ancien acteur de la guerre d’Algérie, lecteur aussi des écrits militaires de cette époque, sur cette même guerre, et enfin, au moins autant, ancien lecteur de Sun Tzu, de Clausewitz, de Mao Tse-Tung, de Liddell Hart, pour ne pas citer les noms de Gallieni ou de Lyautey.

            La juxtaposition des deux expressions, ici, la « contre-révolution », et dans la thèse Galula, celle de « contre-insurrection » est, dès le départ source de perplexité, mais la lecture de cette thèse est de nature à nous plonger dans une plus grande perplexité encore, quels que soient les mérites d’une analyse fouillée, exigeante, quelquefois difficile, tellement l’exposé de la  théorie de la contre-insurrection proposée par Galula soulève une multitude de questions et d’interprétations possibles, compte tenu à la fois du terrain algérien qui a été le sien, non loin de la capitale de la Grande Kabylie, Tizi Ouzou, et de la brièveté du temps de pacification qui a été aussi le sien dans le Djebel Aïssa Mimoun, 13 ou 14 mois, selon les décomptes.

            Notre lecture critique s’articulera autour de trois thèmes :

            1 – Le personnage de Galula est un mystère

            2 – La crédibilité de la théorie de la pacification, ou de la contre-insurrection initiée par Galula, avec ses huit étapes, comparée à une expérience comparable de terrain, en Petite Kabylie, sur une période plus longue de 21 mois.

            3 – La crédibilité de cette même théorie, à égalité avec les analyses remarquables d’un officier dont le nom n’est même pas cité dans l’ouvrage, Hogard, ainsi que quelques-uns de ses brillants collègues emportés par la tragédie de l’Algérie Française ?

Une crédibilité qui effacerait les analyses de la guerre proposées par Sun Tzu, Clausewitz, ou Liddell Hart, pour ne pas citer des auteurs français tels que Gambiez ou Beaufre ? Des théoriciens de la guerre auxquels Galula ne parait pas accorder d’importance !

Notre analyse ne portera pas sur la troisième partie du livre « David Galula et la contre-insurrection médiatique », pas plus que sur la cinquième « David Galula et la guerre des ondes », dont la critique du contenu est laissée aux spécialistes, sauf à faire observer que cette analyse aurait pu être rattachée à la stratégie indirecte, très insuffisamment utilisée pendant la guerre d’Algérie. Nous y reviendrons, mais sous cet angle.

L’histoire du vingtième siècle, et celle des avant et des après la deuxième guerre mondiale, des médias nazis et fascistes, de la BBC pendant cette guerre, puis de la Voix de l’Amérique pendant la guerre froide, ont, bien avant la théorie de Galula, laissé suffisamment d’enseignements et de stratégies pratiquées, dont il ne semble pas qu’elles aient retenu l’attention du capitaine dans son livre.

1

Le mystère Galula

            Avant son affectation en Algérie, en 1956, quelques repères !

Sorti de Saint-Cyr en 1940,  rayé des cadres par Vichy, il aurait été agent de renseignement à Tanger entre 1941 et 1943, avant d’être réintégré dans l’armée en 1943. Avec la 9ème Division d’Infanterie Coloniale, il participe en 1944 et 1945 à la campagne de France et d’Allemagne.

De 1945 à 1949, il est attaché militaire à Pékin, et c’est là sans doute qu’il puise une mine d’informations sur la guerre révolutionnaire de Mao.

1949-1950 : observateur des Nations Unies dans une Grèce bouleversée par une grave insurrection communiste.

1951- 1956 : attaché militaire au Consulat de Hong Kong, où il noue des relations précieuses avec des journalistes célèbres tels que John Alsop ou Henri Luce, et avec des membres de la représentation diplomatique américaine.

Affecté en Algérie, il dispose sans doute d’une bonne information sur les guerres révolutionnaires, mais sans avoir acquis l’expérience indochinoise de beaucoup de ses collègues avec lesquels il eut alors à collaborer, les Lacheroy ou les Trinquier, par exemple.

D’après les indications données par ce livre, il ne semble pas que l’intéressé ait jamais servi en Indochine, à la différence de la plupart de ses collègues, alors que la France ne s’est retirée d’Indochine qu’en 1956.

Dans son livre, « Orient Extrême », et à propos de la guerre d’Indochine, le grand journaliste Robert Guillain y évoque l’hécatombe des officiers :

« Sous de Lattre, la guerre consommait déjà une promotion de Saint Cyr par an. Maintenant, nous étions arrivés à trois en deux ans. En cinq mois 250 officiers avaient été tués, et à ce rythme on en serait à 800 pour l’année 1954. » (page 246)

Le capitaine Galula, électron libre en Algérie?

Beaucoup de lecteurs qui, comme moi, ont eu une assez large expérience du fonctionnement des sous-quartiers et quartiers, et des capitaines qui commandaient ces sous-quartiers, seront sans doute surpris de voir un modeste capitaine user de toutes les libertés de contact dont il est fait état dans ce livre, notamment avec des journalistes, mais aussi avec le commandement  civil ou militaire en Algérie.

« Hors hiérarchie militaire » ?

Même en considérant que cette guerre d’Algérie fut d’abord celle des sous-lieutenants, lieutenants, et capitaines !

A titre d’exemple : « Au début de l’année 1957, David Galula envoie des invitations aux journalistes pour venir voir les progrès de la pacification. » (page 108)

Invitations tout à fait étranges de la part d’un capitaine, commandant de sous-quartier !

Le « charisme » de ce capitaine dont il est fait état (page 24) ne peut suffire à expliquer cette situation exceptionnelle d’électron libre au sein de l’armée française.

Peut-être la proximité géographique de Tizi-Ouzou, lieu du commandement de cette zone militaire de Grande Kabylie, est un élément d’explication, mais sans doute insuffisant, en concurrence avec un réseau de relations, des « parrains », qui n’apparaissent pas clairement.

Le capitaine Galula a effectué de 13 à 14 mois de commandement en Grande Kabylie, au cours d’une période 1956-1957, une période plutôt courte, au cours de laquelle l’armée avait déjà largement défini les caractéristiques de la guerre qu’elle entendait mener en Algérie.

L’Algérie Française du capitaine Galula ?

Là est peut-être la clé de l’énigme Galula et de son succès auprès des Américains.

Le capitaine s’est tout d’abord engagé dans la défense de l’Algérie Française, telle que racontée, mais l’itinéraire qu’il suit après n’est pas clair, sauf qu’à la différence de beaucoup de ses collègues, en pointe intellectuelle sur les mêmes sujets de guerre contre-révolutionnaire ou de guerre psychologique, « épurés » par le gouvernement du général de Gaulle, il survit et rend des services dans une autre configuration militaire et politique.

Question : est-ce que la pléiade d’officiers, souvent brillants, nouveaux théoriciens de la guerre révolutionnaire, comme ils l’avaient dénommée, écartée de l’armée française, avait quelque chance de voir leur expertise être sollicitée par les Etats Unis ?

Il est permis d’en douter dans le contexte politique très sensible de l’époque, et c’est une interprétation que semble retenir M.Mathias.

Un électron libre avec l’éclairage du commandant Guillermaz 

Le capitaine Galula  servit en Chine, dans les années 1945-1951, sous les ordres du commandant Guillermaz qui avait alors la responsabilité des services de renseignement militaire à Pékin.

Dans son livre « Une vie pour la Chine », la commandant Guillermaz cite à plusieurs reprises le nom du capitaine, avec des commentaires élogieux.

Il raconte notamment l’expédition que fit le capitaine, en 1947, à travers une Chine bouleversée par la révolution communiste. Il fut fait prisonnier à deux reprises, eut la chance d’être libéré, et de pouvoir rejoindre le commandant Guillermaz pour effectuer, avec lui cette fois, une longue reconnaissance en Chine.

Le capitaine avait donc incontestablement l’esprit d’aventure, mais ses fonctions dans un service de renseignement, dans des conditions de discipline très différentes de la hiérarchie militaire habituelle, faite d’initiatives et de relations avec le monde extérieur, chefs de guerre, diplomates, ou journalistes, expliquent sans doute ses pratiques « dérangeantes » du commandement militaire, et la grande liberté de manœuvre qui fut la sienne en Algérie.

D’autant plus que le commandant Guillermaz, promu colonel, commanda, en 1957, au cours de la même période que celle de Galula, le 9ème Régiment d’Infanterie Coloniale à Dra El Mizan, dans la même zone géographique et militaire de Tizi- Ouzou.

Comment ne pas penser que cette forme de « cohabitation militaire » assez proche ne donna pas au capitaine un supplément de coudées franches, de relations, et de contact que celles d’un commandant « standard » de sous-quartier ?

Il conviendrait d’en savoir plus sur les contacts qui ont pu exister entre les deux officiers, mais à lire au moins un des témoignages, celui du colonel Guillermaz, sur son commandement en Algérie, il est possible de penser, qu’ils ne partageaient peut-être pas la même analyse du dossier algérien.

Le témoignage Guillermaz :

« Se posa alors la question de mon affectation. Le général Ely me demanda de retourner à Bangkok pour y prendre un poste à l’OTASE, dont les organismes militaires se mettaient peu à peu en place. Mais nommé colonel, je tenais à retourner au moins pour un temps dans la troupe et à prendre le commandement d’un régiment en Algérie. Finalement, le général Salan m’y confia le commandement du 9ème régiment d’infanterie coloniale, installé en Kabylie entre la mer, la forêt de la Mizrana et la chaine du Djurdjura, PC Bordj -Ménaïel. Le secteur, calme au nord de la route Alger-Tizi-Ouzou qui le coupait en deux, était beaucoup moins sûr dans sa partie sud où nos compagnies, installées en gros postes sur les crêtes, dominaient les maquis d’Ali Bounab, vieille zone refuge de tous les dissidents depuis la conquête romaine. Etonnantes continuités de l’histoire ! Il m’arriva à cette époque de relire Count Belizarius de Robert Graves, un de mes auteurs préférés. J’y retrouvai beaucoup de nos problèmes : Vandales et surtout Numides menant une guérilla insaisissable, difficultés de protéger les colons romains, insécurité des routes, indifférence de l’empereur de Constantinople aux demandes de renforts. Dans les deux cas la guerre devait se terminer par le renoncement de la métropole.

Personnellement, j’éprouvais estime et sympathie pour la population kabyle, laborieuse et grave, des villages et des mechtas de mon secteur, mais le monde musulman était trop loin du monde asiatique pour m’attirer vraiment. Son histoire, sa mentalité, ses habitudes, m’étaient également trop peu familières.

Je fus aussi rapidement déçu par notre politique hésitante mais dont, après l’abandon de nos protectorats sur la Tunisie et le Maroc, il était aisé de prévoir l’aboutissement. Notre prétention de mener « une guerre révolutionnaire », dont Mao Tse-Tung pouvait apparaître faussement comme l’inspirateur, me semblait absurde. Tout en empruntant à la guerre révolutionnaire quelques procédés de contrôle de la population ou d’action psychologique, nous menions au contraire, compte tenu des réalités ethniques et des aspirations des Algériens au nationalisme, une guerre contre-révolutionnaire, sans bases idéologiques ou politiques certaines. Enfin, puisque l’administration civile, aux mains d’un sous-préfet, avec lequel je m’entendais bien, m’échappait largement, il me semblait qu’elle dût se charger de toutes les missions et responsabilités non militaires y compris les moins agréables. Ce n’était pas le point de vue du général commandant la zone qui regroupait huit secteurs dont le mien. Mais, s’il avait raison, nous devions alors faire la guerre en respectant toutes les entraves légales d’un pays faussement réputé en paix et cela conduisait parfois sur le terrain à d’ubuesques absurdités. La situation devait s’améliorer un peu avec le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958, mais j’avais quitté l’Algérie et l’armée active quelques jours plus tôt, pour me consacrer totalement aux affaires chinoises dans un cadre universitaire. » (pages 268 et 269)

2

Une théorie de la contre-insurrection crédible ?

A-   La théorie

             « En l’absence de toute doctrine, D.Galula conçoit lui-même les étapes de la contre-insurrection, qu’il décrit dans son ouvrage théorique. » (page 39)

  « Les huit étapes de la contre-insurrection au Djebel Aïssa Mimoun. »

Donc, une ambition de programmation chronologique de la pacification sur un terrain plus tactique que stratégique, car il convient de rappeler qu’un sous-quartier de Grande Kabylie avait des dimensions géographiques  très modestes, celles d’un « timbre-poste ».

Notre propos reprendra succinctement les éléments de ces étapes, en indiquant après chaque étape, l’appréciation de leurs résultats qu’en a faite M.Mathias dans ses conclusions, d’étape, ou générale.

Indiquons, dès le départ, qu’il existait bien alors, une doctrine de la contre-insurrection !

Etape 1 : « concentrer suffisamment de forces », c’est-à-dire ? Car dans l’analyse Galula, le propos n’est pas clair, « il faut mouiller la population », on est loin de la doctrine stratégique ou même tactique du concept de concentration des forces militaires, alors que l’opération Jumelles (1959-1960), en Kabylie, a effectivement constitué une première phase nécessaire de concentration et d’action des forces sur celles des rebelles, avec pour but, leur destruction, ce qui a été fait.

Est-il besoin de signaler qu’en tout état de cause elle ne pouvait être conçue ou mise en œuvre qu’au niveau d’un grand commandement, au minimum d’un secteur, et mieux d’une grande zone militaire, telle que la Kabylie, et pas dans un modeste sous-quartier, ce que confirme bien l’appréciation ci-après.

Appréciation Mathias : « La première étape concernant la concentration des troupes ne dépend pas de son niveau, mais des échelons supérieurs. » (page 163)

Etape 2 : « Affecter un volume de troupes suffisant pour empêcher tout retour en force des insurgés et installer des unités dans chaque hameau »

Une deuxième étape techniquement possible, à la condition que les bandes rebelles, et leurs sanctuaires aient été anéantis, mais avec la réserve qu’avait bien relevée le colonel Nemo et sa distinction majeure entre « les postes de combat fixes et les équipes-choc… chargées des missions mobiles. », c’est-à-dire, ce que furent effectivement les « commandos-chasse » dont l’efficacité fut grande dans cette deuxième phase de pacification.

En 1956, 1957, le capitaine Galula ne disposait pas des moyens militaires nécessaires, et en tout état de cause, ce type d’organisation dépassait ses compétences.

Arrêtons- nous un instant sur le rapprochement qui est proposé par l’analyse entre le travail du capitaine et celui de Gallieni et de Lyautey, lorsqu’ils définirent et mirent en œuvre leur tactique de la « tache d’huile ».

Le commandant Hogard utilise la même expression dans un de ses articles, pourquoi pas ?  Mais en ayant bien conscience que dans le sens algérien, l’expression avait inévitablement un autre sens, tant les périodes, le terrain, le contexte, et les moyens étaient différents, qu’il s’agisse des Hautes régions du Tonkin pour Gallieni (1894), ou de Madagascar pour Lyautey (1899).

Ajoutons que si Gallieni a été dans l’obligation de traiter le facteur « indirect » de la Chine, ce ne fut pas le cas de Lyautey, et à ce point de vue, le « modèle » de pacification proposé ne tient pas assez compte de ce facteur de stratégie indirecte qui a été capital dans la guerre d’Algérie, le Maghreb, l’Egypte, le Tiers Monde, les Etats Unis et l’URSS, mais tout autant la métropole.

Pour avoir été témoin et  acteur de cette deuxième phase mise en œuvre après l’opération Jumelles dans le sous-quartier de Vieux Marché – Chemini, la dispersion des moyens de la compagnie du sous-quartier dans plusieurs postes n’a été possible qu’après l’opération Jumelles, et elle n’a pas donné de garanties suffisantes de succès dans les phases ultérieures.

Ajoutons enfin que l’idée d’occuper chaque hameau était curieuse, alors que l’armée n’a jamais été en mesure d’installer un poste dans chaque village, et que cette installation n’aurait pas apporté de solution à la pacification.

Appréciation Mathias : « Cette étape n’atteint donc pas son objectif »

Etape 3 : « Nouer des liens avec la population et contrôler ses mouvements pour briser les liens avec la guérilla »

Incontestablement, la clé du problème, mais il était nul besoin d’un Galula pour avoir cet objectif en tête, et beaucoup d’officiers avaient également cet objectif, notamment tous ceux qui avaient combattu contre le Viet – Minh, ou qui avaient, au moins, quelques notions de la guerre révolutionnaire prônée par Mao Tsé-toung.

Les « bonbons » qu’avait le colonel dans sa poche pour adoucir son contact avec la population ont évidemment de quoi nous faire sourire, mais le véritable défi que la population lançait à l’armée française, était celui de son contrôle total, c’est-à-dire inévitablement de type totalitaire, avec quel objectif, quelle idéologie, pour ne pas dire quel idéal national ?

Appréciation Mathias : « Mais M.Galula exagère son action quand il donne un bilan chiffré de son action… Cette troisième étape est pourtant un succès : Galula semble avoir réussi à rassurer la population. Sa compagnie bénéficie de l’aide et du soutien de la SAS pour aider la population. Si le contrôle de la population est réussi dans les villages, il échoue en revanche sur les contrôles des déplacements de cette population ». »

Etape 4 : « « Détruire l’organisation politique locale des insurgés. »,

 c’est-à-dire l’OPA du FLN

            Une séquence politico-militaire qui ne peut venir en séquence, après la trois ou la deux, mais concomitamment avec la 2 et la 3.

Cette étape mélange les opérations de destruction de l’OPA et une action continue de contre-propagande, mais il faut reconnaître que les actions de contre-propagande menées par l’armée n’ont jamais été très efficaces, comme le signale le capitaine, mais pour des raisons de fond que nous examinerons plus loin.

Car, comme indiqué, seule une conception de guerre totale, à tous les niveaux, et dans le cadre d’une unité de commandement stricte, était de nature à priver les insurgés de toute chance de succès, ce qui ne fut pas le cas.

En tout cas, l’idée qui conduisit un subordonné à faire blanchir les maisons de certains villages kabyles dénotait une totale méconnaissance des mœurs kabyles, en même temps que de leur habitat traditionnel pittoresque.

Appréciation Mathias : «  La quatrième étape qui consiste à détruire l’OPA est un succès initial à court terme, mais un échec à long terme. »

Etape 5 : « Organiser des élections locales pour désigner de nouveaux dirigeants provisoires »

L’analyse que fait Galula du processus administratif et politique qu’il dit avoir mis en route dans son sous-quartier est plutôt confuse entre les délégués nommés par l’administration préfectorale, puis l’élection de conseils municipaux, de même que celle des rôles respectifs du capitaine et du chef de SAS.

En revanche, la même analyse montre bien toute la difficulté qu’il y avait à trouver des interlocuteurs « valables », et encore moins ceux que le capitaine appelle les « loyalistes »

Une élection municipale ne pouvait être organisée qu’au terme d’un processus de pacification long et crédible, et en n’ayant pas l’illusion de voir élus des conseillers ou un maire de type « loyaliste », loyaliste à quelle autorité ?

Enfin, ce type d’initiative et de prise de responsabilité n’entrait pas dans la compétence d’un commandant de sous-quartier, mais dans celle d’un officier SAS.

Et il conviendra de revenir sur la problématique générale de la pacification ou de la « contre-insurrection ».

Appréciation Mathias « La cinquième étape de désignation des nouveaux élus est clairement un échec, malgré les efforts de l’armée, de la SAS et de la préfecture. »

Etape 6 : « Tester la fiabilité des dirigeants en leur confiant des missions précises. Remplacer les mous et les incompétents, et distinguer les bons. Organiser des unités défense passive. »

Très beau programme, mais on ne voit pas pourquoi il s’inscrit dans cette chronologie, une sixième étape, alors qu’il est partie intégrante de la phase 2.

Une étape qui n’est de toute façon réalisable que dans une conception totale de la guerre contre-révolutionnaire, c’est-à-dire avec une perspective de sortie politique crédible, ce qui n’a pas été le cas en Algérie.

La citation de Galula qui aurait été faite par référence à la saga de Lawrence d’Arabie, pendant la première guerre mondiale, pour soulever les Arabes contre les Turcs, est difficile à comprendre, tant la chanson de geste de guerre, tout indirecte, de Lawrence d’Arabie, n’avait rien à voir avec la situation de la pacification en Algérie, mais soit !

Appréciation Mathias : «  La sixième étape, qui consiste à tester la fiabilité et l’efficacité des élus et à impliquer la population dans le maintien de l’ordre, est un échec. »

Etape 7 : « Regrouper les dirigeants au sein d’un mouvement politique national et les former »

National, c’est-à-dire ? Un qualificatif très ambigu, qui n’a jamais trouvé de traduction concrète, qu’il s’agisse de la fameuse troisième force toujours introuvable, ou du mythe de l’intégration défendue par les officiers de l’Algérie française.

Galula passe de son niveau local au niveau national, pour proposer quoi ? Ce n’est pas clair du tout !

Intégration contre indépendance ? Alors que l’intégration était un mythe ?

Appréciation Mathias : « La septième étape, qui consiste à former un mouvement politique national, est soutenue par D.Galula localement… Mais en raison de l’incompétence, de la passivité et du noyautage des élus locaux, ce mouvement ne peut qu’échouer à long terme avec le départ de son initiateur et en raison de l’échec de l’étape précédente. »

Cette étape n’était, de toute façon, pas du ressort d’un petit capitaine de sous-quartier !

Etape 8 : « Rallier ou neutraliser le reliquat des insurgés »,  la dernière étape d’une pacification « heureuse » ?

Appréciation Mathias : « Cette étape est donc un succès à très court terme, mais un échec à long terme, comme le montre la détérioration de la situation, après le départ de D.Galula, avec le retour de l’ALN »

Conclusion générale Mathias :

« Sur les huit étapes de la Contre-Insurrection prônées par D.Galula et appliquées au Djebel Aïssa Mimoun : une étape a un succès indéniable (la troisième étape : rassurer, aider, contrôler la population), trois autres étapes sont des succès à court terme et des échecs à long terme (les deuxième, quatrième et huitième étapes, une unité dans chaque hameau, la lutte contre l’OPA et l’ALN), deux étapes sont des échecs (les cinquième et sixième étapes : désigner et tester la fiabilité, ainsi que l’efficacité des élus), deux étapes ne relèvent pas dans sa compétence et n’ont pas une efficacité avérée (les première et septième étapes : concentrer des troupes et former un mouvement politique national). »

B – La pratique

Il convient  tout d’abord de saluer le travail d’ un historien qui a l’ambition d’analyser, de démonter, de critiquer, et donc d’évaluer, un exercice politique et militaire aussi difficile qu’une expérience de pacification pendant la guerre d’Algérie, une véritable analyse de cas militaire qui suppose d’avoir en mains tous les éléments d’information utiles et nécessaires, au niveau modeste de commandement d’un sous-quartier, et sur une période très courte.

Canevas de pacification ou théorie de la contre-insurrection ?

Pour avoir été un des  acteurs d’une expérience de pacification comparable, à Vieux Marché, en Petite Kabylie, dans les années 1959-1960, il parait possible de porter un jugement sur ce que j’appellerais plus volontiers le canevas de pacification de M.Galula, qu’une théorie de la contre-insurrection.

Il s’agit, en effet, beaucoup plus d’un canevas tactique de pacification, d’ailleurs contestable, dans l’ordre proposé de ses « huit étapes », que d’une théorie de contre-insurrection, et le fait que cette dernière ait connu un succès auprès des généraux américains ne peut que susciter étonnement et perplexité.

M.Galula a mis le doigt sur certains points sensibles de la pacification, mais dans un cadre tactique et stratégique incomplet, qui n’était pas celui de la guerre d’Algérie, car un processus  de pacification ne pouvait fonctionner de la façon décrite dans le Djebel Aïssa Mimoun.

Dans sa durée, 13 ou 14 mois d’action, en laissant croire qu’il ait été possible d’obtenir des résultats sérieux et stabilisés dans un délai aussi court ?

Avec un commandant de sous-quartier que se mêlait de tout, de la pacification militaire, des écoles, des affaires civiles qui étaient de la compétence de la SAS, notamment de tout ce qui touchait aux élections, allant jusqu’à demander à ses subordonnés d’aller assister aux conseils municipaux pour contrôler leur bon fonctionnement ? Et le capitaine aurait été capable dans un délai aussi court de mettre en place des conseils municipaux et de faire élire des maires ? Ce canevas ne s’inscrit pas suffisamment dans un cadre chronologique rigoureux et précis.

Et le canevas Galula mélange les niveaux de compétence entre un modeste échelon de sous-quartier et les échelons supérieurs du commandement civil et militaire, notamment en esquissant une réponse politique dans l’étape 8, celle du mouvement politique national.

Une question qu’il conviendra d’aborder plus loin.

La situation politique et militaire ?

La tout première séquence (étape 1) aurait dû porter sur l’analyse de la situation du sous-quartier, générale et militaire, l’état des forces dans le secteur, et hors des limites géographiques étroites d’un sous-quartier, nature et rapport entre forces rebelles et forces armées, en notant que notre armée n’était pas adaptée à ce type de guerre plus nationale que révolutionnaire, et que les soldats du contingent qui débarquaient dans le bled ,dans le djebel , n’avaient pas besoin de dessin pour réaliser aussitôt que l’Algérie n’était pas la France.

Les vrais théoriciens de la guerre sont d’ailleurs tous partis d’une analyse de la situation.

Comment penser qu’un canevas de pacification tiré d’une expérience limitée, à tous points de vue, puisse être représentative de la pacification en général, alors que les situations algériennes n’avaient souvent guère de points communs, entre les côtes vivant à la française, leurs villes, en contraste avec le bled et le djebel, entre incontestablement, des douars encore attachés à la France et d’autres passés dans le camp rebelle, comme c’était le cas dans le douar des Béni Oughlis, à Vieux Marché – Chemini.

Dans quelle chronologie efficace ?

La chronologie des étapes de la pacification ne pouvait guère être différente du schéma suivant,  qui a assez bien fonctionné concrètement, dans le sous-quartier de Chemini, sauf à remarquer que le cadre stratégique de ce schéma n’a jamais bien fonctionné, indépendance contre intégration, avec toute l’ambigüité du mythe de l’Algérie Française.

Nous verrons d’ailleurs plus loin que les théoriciens de la guerre révolutionnaire, notamment le commandant Hogard, mettaient en avant, comme conditions de réussite, la volonté (voir Clausewitz), la destruction des forces ennemies, et une action intégrée et combinée de toutes les autres actions de pacification qui avaient pour but de reprendre en mains la population, de lui redonner confiance, le facteur numéro 1 de réussite, donc la population, la population…

Une fois examinée la situation (étape 1), l’étape 2 : concentration des forces, c’est-à-dire une opération Jumelles, comme ce fut le cas en Kabylie, une grande opération de type stratégique et tactique durant le temps qu’il fallait, afin de détruire les katibas de la willaya 3, ainsi que leurs bases refuges, telle celle de la forêt d’Akfadou. Cette étape n’était évidemment pas du ressort d’un sous-quartier.

Etape 3, objectif : la population, grâce à une action à la fois militaire et civile de pacification (comme l’indiquait Hogard) : militaire avec un processus minimum de dispersion dans quelques postes clé, la destruction des restes des forces rebelles grâce à des commandos-chasse, et parallèlement la destruction de l’OPA des villages ; civile, avec la scolarisation, l’action médico-sociale, les travaux de reconstruction, la mise en place de délégués spéciaux des communes, et enfin, l’élection de conseils municipaux, avec effectivement tout le problème de la fiabilité de ses membres.

Car cette élection ne réglait rien à partir du moment où la France hésitait entre plusieurs politiques, notamment entre l’indépendance et l’intégration.

De Gaulle, en proposant aux Algériens le choix de l’autodétermination a ouvert un boulevard aux partisans de l’indépendance, étant donné que la France n’a jamais été en mesure de susciter une véritable troisième force algérienne, et convaincu les Algériens du sérieux du choix de l’intégration.

Ce type de débat concret et théorique fait ressortir plusieurs points que la doctrine révolutionnaire, notamment celle de Mao Tsé-toung, avait mis en valeur, le contrôle de la population, sans avoir peur de sa dimension totalitaire, mais en proposant un mythe révolutionnaire à réaliser, bien avant Galula, et alors que ce dernier avait pu se familiariser avec cette doctrine lors de ses séjours en Chine.

Le déroulement des nouveaux conflits révolutionnaires a fait également apparaître toute l’importance des opérations de stratégie indirecte telles que décrites dans les œuvres de Liddell Hart, la victoire ne pouvant procéder que de l’annihilation des forces étrangères qui soutenaient la rébellion. Est-ce que le Viet Minh aurait pu gagner la population à sa cause, sans l’appui de la Chine et de l’URSS ? Et dans le cas de l’Algérie, la Tunisie et le Maroc ont apporté un appui précieux à la cause du FLN.

Or dans les enjeux limités de la pacification décrite par Galula peu de facteurs dépendaient du capitaine, commandant de sous-quartier, et beaucoup du commandement supérieur, civil et surtout militaire d’alors, et en définitive du gouvernement français.

Tout cela dépassait très largement le champ d’une tentative de pacification très localisée, intéressante, mais très insuffisante, tant en termes de processus, de contenu, et donc de portée tactique et stratégique.

Jean Pierre Renaud