Humeur Tique : le mal-être des écolos français, la démocratie relative de la zone euro, l’hypocrisie des statistiques ethniques, la Chine au réveil, et enfin la Belgique et Madagascar !

Le mal-être des écolos français !

Tout au long de ces dernières années, un mouvement politique incapable de trouver des leaders  populaires, d’adopter un positionnement politique crédible, de mettre en œuvre une véritable action sur le terrain !

            Un parti qui vient de faire le choix d’une candidate improbable aux présidentielles. Tout comme Hulot, elle vient de débarquer, tardivement, dans le monde politique, et on ne construit pas un leader politique comme on instruit un dossier de justice !

            Il est possible de se poser la question du pourquoi de l’échec de l’écologie française, à la différence de l’allemande ?

Peut-être parce que les Français, encore trop liés à leur terre et à ses paysages, ne croient pas que l’écologie soit de gauche ou de droite. Ils auraient sans doute préféré que la cause de l’écologie soit prise en charge par une grande association d’utilité publique, source de propositions, d’actions et de réflexions.

            Et à titre d’exemple ! Un décret vient d’être signé en catimini par le gouvernement portant le tonnage maximum des poids lourds de 40 à 44 tonnes : avez-vous beaucoup entendu les écolos à ce sujet ?

 Alors que cette extension va être la cause d’un plus grand nombre de morts sur nos routes et d’une plus grande détérioration de nos routes de campagne que les poids lourds préfèrent souvent utiliser afin d’éviter le coût des autoroutes.

Zone euro et démocratie toute relative des 17 pays membres de la zone euro !

L’euro est en danger, la zone euro n’a pas de gouvernance, et chaque mois donne naissance à une nouvelle crise de l’euro, la dernière en date en pleines vacances d’été.

Avez-vous vu les parlements des différents pays mettre fin à leurs vacances afin de proposer un saut institutionnel dans la gouvernance de la zone euro ? Non !

Il y a le feu dans la maison euro, mais nos grands élus européens, des assemblées nationales et de l’assemblée de l’union, sont restés en vacances !

Statistiques ethniques et hypocrisie :

 L’élaboration de statistiques ethniques est, comme chacun sait un débat sensible, récurrent, et plein de tabous.

Récemment, quelques élus issus de ce qu’on appelle la diversité,  de retour d’un voyage aux Etats Unis, ont préconisé le recours à ce type de statistiques, et le président du Haut Conseil de l’Intégration s’est aussitôt déclaré opposé à ce type d’investigation.

On est en plein délire, en pleine hypocrisie, car quelques groupes de pression issus de la diversité réclament à la fois la place qui leur reviendrait dans la société française et ses institutions, et quelquefois, une visibilité qui serait invisible (comment faudrait-il faire ?), mais ils refusent en même temps  toute transparence sur la composition de la population  française.

Comment expliquer à des enfants de l’école primaire qu’il faut lutter contre les discriminations, sans jamais se donner le moyen d’évaluer s’il y a discrimination ou non ?

Comment ne pas rappeler au Président du Haut Conseil de l’Intégration, qu’on verrait mal, un chirurgien-dentiste de son état, soigner les dents de ses patients, sans procéder auparavant à leur diagnostic ?

Et pour nous réveiller un peu ?

Le réveil en fanfare des écoliers de la Chine ? Patriotisme, nationalisme, identité nationale, culture impériale, respect de la collectivité ?

            Chaque jour, les 240 millions d’écoliers chinois, vous avez bien lu, 240 millions, saluent le drapeau et chantent l’hymne national, avant d’entrer en classe.

            Il y là incontestablement de quoi susciter beaucoup de réflexions !

            Le langage guerrier de la fin de l’hymne a incontestablement une parenté avec notre Marseillaise : « A l’assaut, à l’assaut ».

Et pour nous rassurer ou nous attrister sur l’importance d’avoir ou non un gouvernement :

Une Belgique sans gouvernement depuis plus d’un an affiche une croissance insolente !

Madagascar, sans gouvernement élu et légal depuis plus de deux ans affiche une décroissance insolente !

Le Journal Le Monde, La République Malgache et la fable de la tortue!

Un fidèle lecteur du journal Le Monde n’aura pas appris beaucoup de choses, et c’est sans doute une litote, depuis février 2009, sur la situation politique de la grande île dirigée, depuis plus de deux ans, par un président venu au pouvoir à la suite d’un coup d’état.

            Les printemps arabes ont eu incontestablement plus de succès !

            L’écho paru dans le Monde du 30 juillet 2011, intitulé « Trafics de tortues à Madagascar » (12 lignes dans la sixième colonne de la page 6 « Planète ») est tout à fait à la mesure de l’intérêt que porte ce grand journal à l’évolution de la situation politique malgache, et à sa démocratie.

            Cet écho informe les lecteurs de l’arrestation à Tananarive de « deux hommes qui tentaient de faire sortir du pays 196 tortues appartenant à des espèces parmi les plus rares au monde. » ; de la même façon que les informations, aussi rares, et dans ce même journal, sur l’évolution politique de ce pays ?

Plus de deux ans déjà, sans élection ! Un processus tortueux ou de tortue ?

Et pour couronner le «  tout informatif », dans le Monde Magazine du même jour, à la page 62 de la piquante BD « De Gaulle à Londres » La recrue :

Dans une des bulles :

«  Les jules dans ton genre je les suivrai jusqu’à Tananarive » !

Fermez le ban !

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: Borloo et la devinette du Canard Enchaîné du 29/06/11- Mayotte et ses contradictions

Humeur Tique : Borloo, le Canard Enchaîné du 29/06/11 et sa devinette de vocabulaire politique –  Mayotte et ses contradictions, Libé du 29 juin 2011

Borloo et la devinette du petit vocabulaire politique français du Canard Enchaîné du 29 juin 2011 : une caricature à la page 4, avec un titre

 « Pour contrer Borloo, les missiles sont prêts »

Avec deux personnages, un petit et un  grand, et dans une bulle le petit texte ci-après :

« Il faut laisser entendre que si Borloo crache dans la soupe, ça fera chabrot. »

Mayotte et ses contradictions !

Dans Libé du 29 juin 2011, à la rubrique grand angle (pages 28 et 29), le reportage sur Mayotte, intitulé « L’ylang-ylang à l’agonie », une des raisons étant celle des salaires pratiqués à Mayotte : « le salaire minimum tourne ici autour de 1000 euros, contre 80 euros à Anjouan et 30 euros à Madagascar »

Encore faut-il qu’il y ait travail et donc salaire !

Et au détour d’une phrase, sur la situation démographique de cette belle île :

« près d’un tiers de ses habitants serait en situation irrégulière »

Vous avez bien lu ? Un habitant sur trois y « serait » donc en situation irrégulière !

Madagascar et les ingérences de la France

Source : le tract

« Le COLLECTIF POUR MADAGASCAR »

Pour Madagascar, mobilisons-nous !

Dans ce tract, trois colonnes intitulées,

–       la première « Condamnations de la communauté internationale »

–       la deuxième « 27 mois de crise à Madagascar »

–       la troisième « Action de soutien de la France à TGV et à la HAT », dont le texte est ci-dessous reproduit :

Pour les non-initiés, TGV, l’abréviation du nom du président actuel au pouvoir à la suite de son coup d’Etat, et HAT, la supposée Haute Autorité Provisoire, laquelle dure depuis 27 mois déjà !.

Le texte du tract :

«  Mise à l’abri de TGV en février 2009 : par l’ambassade de France alors qu’il était menacé d’arrestation pour troubles à l’ordre public,

Nomination de l’ambassadeur de France : M.Châtaigner arrivant à Madagascar dès le lendemain du coup d ’Etat, poste alors vacant,

Participation de militaires français : au défilé du 26 juin 2009, avec décoration d’officiers généraux et supérieurs par leurs collègues malgaches putschistes pour service rendus,

Accompagnement de la HAT et de TGV : en Lybie pour rencontrer Kadhafi ; à Maputo en août 2009, à Addis-Abeba en novembre 2009 par des membres du Quai d’Orsay,

Maintien de la coopération militaire : envoi d’instructeurs, dotation d’avion, d’hélicoptères ; de matériels et d’équipements divers

Octroi en juin2011 de 9 milliards d’Ariary,

Appel à des élections rapides par la HAT :

–       qui bâillonne l’opposition, et muselle les médias,

–        qui refuse l’ouverture, la neutralité et l’inclusivité

–       qui  brave les décisions de la SADC et de l’UE de juin 2011.

La France est l’alliée objective de Rajoelina, qui par son entêtement à garder le pouvoir, est en passe de faire de Madagascar en l’isolant politiquement et économiquement du reste du monde, un deuxième Zimbawe.

Tout doit être entrepris pour empêcher qu’un tel scénario se reproduise à Madagascar. »

Fin de citation !

Madagascar, 1937, la mort tragique du grand poète malgache Rabearivelo, ou Madagascar n’était pas la France!

« Eclats de vie coloniale : Madagascar »

En 1937, Madagascar n’était pas la France !

Non plus d’ailleurs que la société coloniale de l’époque !

1937 : mort tragique du grand poète malgache Rabearivelo

 Echec de la colonisation française !

            Robert Boudry a publié en 1958 aux Editions Présence Africaine, un petit livre intitulé « Jean-Joseph Rabearivelo et la mort », livre préfacé par Jean Amrouche.

            L’auteur avait eu accès aux milliers de pages des « Calepins Bleus », noircis par le poète.

            L’auteur avait fait carrière au Contrôle financier de Madagascar et fait partie de la petite minorité de Français de métropole qui avaient partagé les aspirations intellectuelles et civiques de la jeune élite malgache, faites d’un goût de la liberté et de l’indépendance.

            C’était donc en ami du poète que l’auteur évoquait sa mémoire. Il lui rendait un vibrant hommage, mais en situant sa vie tragique dans le contexte historique et colonial de l’époque, dans la capitale de Tananarive.

Et cette évocation est particulièrement intéressante parce qu’elle décrit la problématique des rapports entre la puissance coloniale et les « indigènes », c’est-à-dire les Malgaches, et plus précisément des relations entre la société coloniale et les Malgaches.

Car pour un lecteur des récits historiques de cette époque, il existait bien un phénomène de « société coloniale », dont le comportement différait singulièrement de la société française de métropole.

Jean Amrouche décrivait le  poète dans la préface de ce livre :

 « Jean-Joseph est moins exemplaire par ses réussites, fragmentaires et contestables, que par ses erreurs. Il n’était pas taillé pour la victoire, mais pour la défaite. Sa vitalité, son ardeur spasmodique et déréglée marquent sa profonde faiblesse, celle d’une conscience et d’une âme déroutée.

Il enfle la voix par désespoir, se voit grand homme, lui qui est petit comme Napoléon, et s’exalte jusqu’à se proclamer dieu pour lui-même : mesure démesurée de son incurable humiliation.

Tout recours efficace lui est interdit. Ni la voie française, ni la voix malgache dans les deux directions des ancêtres fabuleux et vers l’aval révolutionnaire, ne peuvent accueillir et porter ses pas d’homme sur un sol ferme.

Alors Jean-Joseph bascule sur sa couche, et nous tourne à jamais le dos. »

Le poète s’est en effet suicidé le 22 juin 1937 : il avait à peine trente-six ans.. Il laissait une veuve et cinq enfants.

Et comme le soulignait Jean Amrouche, voie française ou voie malgache, l’une ou l’autre, lui étaient définitivement fermées, et c’est à partir de ce constat que Robert Boudry propose sa biographie du poète, déplore ce « drame colonial », un « suicide d’intellectuel imputable au colonialisme »

« On touche ici au drame qui n’est pas seulement celui d’un individu mais d’un peuple. La culture occidentale, la soumission aux colonisateurs conduisent le poète à une impasse. Ceux qui font miroiter à ses yeux sa libération de sa condition de Malgache par la culture lui ferment en même temps toutes les portes et le relèguent dans une situation misérable. ..

Son sacrifice prend ainsi une valeur symbolique. Il signifie la révolte de l’intellectuel précurseur contre le destin qui lui est fait, à lui, homme de couleur et colonisé par le conquérant, et celle de n’importe quel colonisé qui se reconnait en lui. Il signifie aussi la protestation du peuple malgache et celle de tous les peuples colonisés contre le régime auquel ils sont soumis. » (page 83)

Je ne vais pas évoquer les talents du poète, car j’en serais mauvais juge, alors que et d’autres lecteurs, des amateurs de poésie et des critiques, en ont loué le génie.

A lire Boudry, il semble que l‘on soit en présence d’un monstre sacré de la poésie, à l’image de Gérard de Nerval ou de Baudelaire.

L’homme n’était pas un petit saint, c’est le moins que l’on puisse dire, sans avoir la possibilité de discerner dans sa vie de patachon, d’opiomane, et d’alcoolique, ce qu’il convenait d’attribuer à son drame personnel de poète et de malgache humilié ou à ses penchants personnels.

Son ami Boudry écrivait :  

« Enfant particulièrement précoce sous ce climat tropical, les récits de ses bonnes fortunes et de ses orgies, tiennent une grande place dans son Journal. Il passe des nuits à boire du vin rouge et du rhum – il ne peut pas se payer mieux – et il rentre ivre chez lui. Il se sent ainsi plus près des conquérants, ce qui n’est guère flatteur pour ceux-ci. Un jour de 1933, il note :

« Ai joué comme un forcené jusqu’au matin. Ai bu comme le sable la mer. A minuit, tout ce que j’avais sur moi était brûlé après une apparence éphémère de chance… rentré aussitôt pour prendre tout ce que nous avions, ma femme et moi, d’argent liquide… J’ai tout perdu encore et ce sont des Chinois et des Indiens qui m’ont eu… Rentré seulement à 4 h 15, rond et saoul comme la lune… » (page 49)

Le poète Rabearivelo souffrait tout à la fois de ne pas voir ses talents de poète et d’homme de lettres reconnus par les conquérants, mais tout autant des conditions humiliantes dans laquelle l’administration coloniale tenait les Malgaches, outre le fait que les mœurs de la société coloniale étaient tout à fait détestables.

Humiliation d’autant plus sensible qu’il appartenait à la caste andriana (noble) de Zanadralambo, et que l’administration coloniale le traitait comme un indigène.

 En dépit de ses talents reconnus, elle refusait de lui faire une place dans l’administration. A l’occasion de l’exposition coloniale de 1937, à la préparation de laquelle il avait collaboré, le gouverneur Cayla n’avait pas cru bon de le convier à faire le voyage de Paris, son souhait le plus cher.

L’auteur cite une anecdote qui en dit long, très ou trop long, sur la mentalité de la société coloniale :

« Je me rappelle à ce propos qu’un jour l’autorité militaire avait convié les personnalités de Tananarive à la distribution des prix offerts aux enfants de troupe malgaches. Quelles ne furent pas la stupeur et la gêne des assistants d’entendre appeler sur l’estrade, non pas Rakoute ou Ranaive, mais des numéros martricules, sans état civil, ni personnalité. » (page82)

L’auteur écrivait : « Sa culture, son érudition mêmes sont considérables et il en conçoit un orgueil légitime, quand il se compare aux Malgaches et aux Européens qui l’entourent. Il s’intitule « un lettré de couleur fou de langue française et brûlant de garder sa personnalité…

Il réalise cette gageure de faire à Madagascar le métier d’homme de lettres se tenant au courant de toute l’actualité française » (page 46)

Et de publier ses poèmes dans des revues françaises, et de nouer des relations épistolaires avec des écrivains ou poètes français, notamment son ami Fagus, poète aujourd’hui peu connu.

« Il se heurte à tout instant à une contradiction vitale qu’il ne peut résoudre parce que cette société, par sa structure même, ne lui permet pas de le faire. Sa solitude, c’est le champ de bataille qui se livre en lui.

En dépit de sa culture occidentale, Rabearivelo demeure profondément malgache et il souffre de voir la culture de son peuple méprisée. Constamment son atavisme se rebelle et ranime le conflit. Plus il avancera en âge, et plus cet atavisme l’emportera sur sa formation française, d’autant plus d’ailleurs que la société européenne demeure fermée à une véritable assimilation. » (page 58)

Et quelle société européenne ? Une société assez largement dépravée, telle que la décrit l’auteur, et dont l’ancien magistrat de Madagascar, et poète, Camo a brossé de son côté la décadence dans le petit livre intitulé « Madame de la Rombière ».

Boudry écrivait : « Fondée sur l’appât du gain, sur une morale de l’argent facile et sur la supériorité du conquérant, la société européenne est composée d’éléments hétéroclites qui se renouvellent sans cesse et ne s’appuient sur aucune tradition. Aventuriers par vocation, par le hasard des circonstances ou malgré eux, la plupart des Européens occupent dans la hiérarchie sociale, du fait même de leur transplantation, une situation supérieure à celle que leur conféreraient leurs mérites dans la métropole, tandis que les Malgaches destinés à figurer localement dans les hauts postes sont condamnés à ne remplir que des fonctions subalternes ». (page 24)

Et pour illustrer cette situation, seulement mille deux cents Malgaches jouissaient alors de la citoyenneté française sur une population de quatre millions d’habitants !

            Grand poète, poète incompris et méprisé par la société coloniale, mais au moins autant poète en permanence habité par l’image de la mort.

            Incontestablement, il s’est complu à évoquer la mort, sa mort, et celle de son ami Fagus, très tôt convaincu qu’il était destiné à connaitre une mort violente, trouvant souvent l’inspiration dans l’évocation de la mort.

            Rabearivelo inscrivait souvent sa poésie dans un des versets de Musset :  « Les chants désespérés sont chants les plus beaux », et sa propre mort :

            « Avec l’idée – oh ! sans trembler – qu’un jour ma chair

            et mon front

            et mes os pourriront

            en ton sein, au mieux

            des restes innombrables

            et méconnaissables

            de mes aïeux »

            Car la culture malgache accorde une place capitale au culte des ancêtres !

Et pour terminer le bref commentaire de ce petit livre, indiquons que le poète Rabearivelo eut l’occasion, avant sa mort, de collaborer à une revue à laquelle collaborait également Jacques Rabemananjara. Ce dernier eut la chance de partir en France, et donc de ne pas périr étouffé dans cette ambiance mortifère de l’époque, le Rabemananjara, futur député du RDM, accusé d’avoir comploté contre la France, lors de l’insurrection malgache de 1947.

Le même Robert Boudry vint au procès pour témoigner en faveur des trois députés accusés et condamnés par la « justice » française  de la grande île.

Et pour raccorder la destinée du poète Rabearivelo, dans le contexte colonial de l’époque, avec l’actuelle situation de son pays, comment ne pas y voir certaines similitudes troublantes ?

Jean Pierre Renaud

Côte d’Ivoire et Afrique: la jurisprudence Gbagbo??

« La jurisprudence Gbagbo, fragile espoir pour la démocratie africaine »

Analyse Philippe Bernard

Service international

Le Monde du 28/04/11, Décryptages Analyses

Une « jurisprudence » ? Avec le seul cas de la Côte d’Ivoire ?

Comment pourrait-il y avoir, en 2011, dans la même année, une jurisprudence Gbagbo en Côte d’Ivoire différente d’une jurisprudence Rajoelina à Madagascar ?

Déjà deux poids et deux mesures !

            Un article dont le contenu est au demeurant intéressant, mais qui soulève beaucoup de questions sur la politique étrangère de la France en Afrique :

Un article Intéressant :

–       Qui note les contradictions de la politique étrangère de la France en Afrique, universaliste au coup par coup, alors qu’elle a joué le premier rôle dans le retour à une certaine démocratie ivoirienne

–       Qui relève que la solution de la crise ivoirienne ouvre « probablement une troisième phase de leur développement démocratique »

–       Qui propose un challenge aux Africains : «  Aux Africains de se l’approprier (la démocratie). Aux Occidentaux et en particulier à la France de mettre sa politique en accord avec son discours universaliste. »

Un article à questionnement :

–       Est-ce que très précisément le cas de la Côte d’Ivoire est représentatif des problèmes rencontrés par les pays africains pour accéder à la démocratie ?

Alors qu’il y avait la présence incontestable d’une certaine « Françafrique », beaucoup plus forte et prégnante à Abidjan qu’ailleurs, et alors que la solution récente de la crise n’aurait pas été possible, sans la présence de troupes françaises, avec ou sans le parapluie de l’ONU.

–       Est-ce qu’il n’est pas intéressant de comparer, outre le cas des pays évoqués dans cet article, avec lesquels la France est plutôt accommodante, les positions de la France à Abidjan et à Antananarivo, où notre pays, sans trop de casse, a le moyen d’imposer un retour à la démocratie, avec le concours de certains pays du sud, ce qu’il ne fait pas, et avec le rôle ambigu de notre ambassadeur ?

 Cohérence de notre politique étrangère ? Universalisme ?

–       Est-ce que nos interventions en Afrique ou ailleurs ne soulèvent pas le problème majeur du contrôle démocratique des actes du Président de la République ? Avec l’article 35 actuel, le président peut nous entraîner dans n’importe quelle guerre extérieure, fusse avec les meilleurs motifs, comme c’est le cas pour la Libye, sans que la représentation nationale puisse donner son accord ou mettre son veto !

Et demain à Doha ?

–       L’Europe est de plus en plus présente dans l’ancien « pré carré africain », à la fois dans ses multiples représentations et l’importance de ses concours financiers : est-ce que le temps n’est pas venu de replacer notre action sous l’ombrelle de l’Union européenne, de mettre notre politique étrangère, et éventuellement l’intervention de nos forces militaires en cohérence avec ce nouveau cadre institutionnel ?

La révision nécessaire de notre politique étrangère en Afrique

Révisons entièrement notre politique étrangère en Afrique et donnons la préférence à l’action indirecte, plutôt qu’à l’action directe qui nous empêche de rendre crédible notre discours universaliste.

Indirecte, à la manière asiatique, et tout autant à la manière traditionnelle des Britanniques, car nous n’avons pas les moyens d’imposer la démocratie à tous les pays d’Afrique, tant ils sont nombreux et différents.

Chaque fois qu’une élection sera contestée, la France enverra son armée « professionnelle » pour rétablir l’ordre, la démocratie, les droits de l’homme et la démocratie, telle que nous la concevons, venant se substituer aux slogans humanitaires et coloniaux de la Troisième République ? Est-ce vraiment sérieux ? Non !

Soutenons culturellement, politiquement, et financièrement les mouvements politiques d’Afrique qui prônent le démocratie dans leur pays, mais écartons l’idée d’une intervention militaire dans l’un de ces pays, sauf à venir, à titre tout à fait exceptionnel, et en appoint de forces mobilisées par l’ONU ou une instance internationale africaine, et à la condition sine qua non, que le Parlement l’ait autorisée.

Jean Pierre Renaud

1895-1896: un épisode tragique de la conquête de Madagascar, Gallieni fait fusiller le ministre de l’Intérieur- 2° partie

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895-1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France, fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar

Deuxième partie du commentaire

Première partie sur le blog du   15 avril 2011

Le portrait du Prince de la Paix

« Il s’appelait Rainandriamampandry. On pourrait écrire avec traits d’union. Rain – Andria – Mampandry : parce que conformément à l’usage de la langue malgache, qui est, comme disent les philologues, agglutinante, ce nom propre est un conglomérat de mots empruntés à la langue usuelle. Il a donc un sens ;  Rain est un préfixe honorifique de courtoisie ; Andriamampandry signifie Prince de la Paix. Celui qui le portait était en effet un grand seigneur, tout à fait au sommet de la hiérarchie politique et administrative, « seizième honneur », pour adopter la tradition courante, non sans quelque regret… »

L’auteur a donc retenu, par commodité, la traduction de ce nom pour évoquer le personnage, et expliquait :

« Cette liberté qu’on se trouve amené à prendre avec un nom propre doit se concilier avec le plus grand respect pour l’homme qui l’a porté honorablement toute sa vie et dans sa mort violente. Prince de la paix a certainement laissé à Tananarivo des descendants qui ne peuvent pas manquer d’être légitimement fiers de lui, et dont on serait désolé de froisser la piété filiale. 

Si l’un d’eux fait jamais à ces quelques pages, l’honneur de les lire, il ne méconnaîtra pas, j’espère, qu’elles sont imprégnées au fond de sympathie déférente.» (page 69)

L’auteur proposait donc de tenter de comprendre ce haut personnage à partir de ses mémoires qu’il a eu la chance de pouvoir consulter.

Il introduisait donc le sujet en écrivant : « C’est Prince de la Paix qu’il s’agit de comprendre et il a été fusillé en 1896. »

L’auteur notait que le Prince de la Paix fut un écrivain en même temps qu’un homme politique, car il noircit donc beaucoup de livres, « le produit de ses veilles » :

« Quand on a parcouru ces gros livres, ils ouvrent un jour curieux sur l’âme d’un Malgache, élève des missionnaires, à la fin du XIX° siècle. »

« Son père était un haut fonctionnaire, à l’enterrement duquel on a tué un nombre incalculable de bœufs ; le corps était enveloppé de 60 suaires de soie, et 5.000 Francs en piastres ont été déposés dans le tombeau. »

L’auteur racontait donc :

« Moi aussi j’ai touché aux « grandes affaires », comme on disait au XVIIème siècle…J’ai été témoin de ce drame ; j’ai même appartenu, par la situation administrative que j’occupais alors, à cette catégorie de témoins que l’illusion d’une responsabilité oblige à nommer acteurs.

Chez un homme qui a passé le reste de sa vie sur la tour d’ivoire, dans une mémoire encombrée d’érudition livresque, cet épisode a laissé un lot de souvenirs incongrus qui font un contraste ridicule avec le reste…

Avouer que je fus, dans des circonstances graves, un administrateur d’une ineptie amusante, c’est risquer, il est vrai, d’atteindre indirectement celui qui m’a désigné pour ces hautes fonctions, mais celui-là, bien entendu et comme d’habitude j’imagine, c’est le hasard qui est au-dessus de tout discrédit….

Cela se passait dans le courant de 1896, si je ne me trompe, pendant l’insurrection qui suivit la conquête. Elle amena un changement de gouverneur, à M.Laroche succéda le général Gallieni, et le proconsulat militaire fut inauguré par la condamnation à mort et l’exécution du ministre malgache de l’intérieur et d’un prince de la famille royale. Cette exécution fit quelque bruit à l’époque et alimenta des polémiques de presse, aux uns elle parut un crime militaire monstrueux et inutile ; aux autres un geste énergique, équitable et bienfaisant. Naturellement tout fut oublié en quinze jours, on ne peut pas imaginer que ce détail d’histoire coloniale ait retenu plus longtemps l’attention publique.

Le prince malgache exécuté, qui se nommait Ratsimamanga, et qui n’était rien moins qu’oncle de la reine, m’était à peine connu, il avait chez les Malgaches une très mauvaise réputation, justifiée par ses mangeries, il n’avait pas beaucoup de tête et pas beaucoup de cœur…

La victime de premier plan fut certainement le ministre de l’intérieur, Prince de la Paix.

J’étais moi-même directeur des affaires indigènes par intérim, le ministre de l’intérieur malgache de l’intérieur était mon collaborateur ; dans les six mois qui ont précédé sa mort, je l’ai vu au bureau tous les jours matin et soir, je lui ai serré la main très régulièrement quatre fois par jour, et j’ai eu souvent avec lui de longues conversations amicales. La veille de son exécution, je faisais fonction d’interprète au conseil de guerre. En cette qualité, j’ai dû lui traduire la sentence de mort ; la salle du conseil était toute petite, on se touchait, je lui communiquai son arrêt comme on cause, les yeux dans les yeux, à trente centimètres de sa figure extrêmement connue. Je n’y ai vu aucune trace d’émotion, sauf trois petites gouttes de sueur qui perlèrent brusquement sur son front, et il répondit simplement « oui, oui » avec sa petite voix douce habituelle…

Je n’ai pas la prétention d’avoir compris Prince de la Paix au moment même de nos relations quotidiennes… Ainsi est-il advenu que je n’ai pas vu l’homme véritable au moment où je l’avais sous les yeux…

Dans cette période dangereuse  de troubles et de réorganisation qui suit immédiatement une conquête coloniale, que ç’ait été précisément moi qui fus chargé, en collaboration avec Prince de la Paix, de diriger la politique intérieure à Madagascar, je crois me souvenir que, dans ce temps-là, ça me paraissait après tout assez naturel. Aujourd’hui, quand je me reporte à ce passé lointain, j’ai bien le sentiment vif d’une disproportion considérable jusqu’au comique ente la tâche et la préparation professionnelle de l’ouvrier…

Le ministère malgache de l’Intérieur, au contrôle duquel j’étais préposé, fut installé dans le Palais « Au-dessus des désirs » (Tsy-azom-paniry). Ce n’était pas un édifice somptueux, mais il se dressait dans l’enceinte sacrée des palais, tout au sommet du roc de Tananarivo. On y avait à ses pieds presque toute l’Emyrne, l’immense plaine des rizières, et le cercle lointain des montagnes…

Vers le temps où j’eus le devoir très pénible de traduire à Prince de la Paix, mon collaborateur indigène, sa condamnation à mort, je fus moi-même mis à pied. Je m’imaginais alors que ces deux sentences, d’une sévérité inégale, étaient la punition du même crime, l’impéritie. Je sais aujourd’hui que je me trompais.. »

L’ancien directeur des affaires indigènes par intérim n’apprit la vérité que beaucoup d’années plus tard ! Innocence de sa part ou impéritie, allez savoir !

« Il appert que le palais « Au-dessus des désirs » n’a pas seulement favorisé inconsciemment l’insurrection par sa passivité officielle ; il a consacré beaucoup d’activités officieuses à l’organiser consciemment.

Prince de la Paix, mon collaborateur et ami, signait sa correspondance clandestine du pseudonyme « le Patriote ». Cela se dit en malgache Ra-tia-tanin-drazana, et ce substantif est à lui tout seul une petite phrase compliquée : cela signifie « le monsieur qui aime le pays et ses ancêtres »…

Pour Prince de la Paix, mon collaborateur et ami, l’usage d’un pseudonyme était une mesure de prudence bien naturelle. Mais ce pseudonyme était transparent, car les lettres étaient accompagnées de promotions et de brevets, expédiés en bonne et due forme, d’après les traditions de la chancellerie ; et le caractère officiel de toute la correspondance était donc patent…

J’essaie bien de me défendre contre la précision de ces révélations tardives. Le ministre de l’Intérieur fut exécuté pour connivence avec l’insurrection…

J’admets donc que feu mon collaborateur et ami s’est bien décidément moqué de moi outrageusement, et je lui pardonne de tout cœur…

De tout cela se dégage maintenant une figure toute nouvelle de Prince de la Paix, des détails biographiques épars s’harmonisent pour dresser l’image d’un homme extrêmement respectable…

Pendant la guerre de 1884, il commandait les forces malgaches à la côte Est, et il maintint ses positions de Farafate contre les attaques indécises de l’Amiral Miot…

Parmi tant de fonctionnaires peu estimables, Prince de la Paix avait tout de même la réputation d’avoir été, à tout prendre, probablement le plus honnête. C’est à ce titre qu’il fut nommé par le gouvernement français ministre de l’Intérieur, et au même titre exactement, il était naturel qu’il trahît l’étranger pour son pays…

Dans cet effondrement de l’indépendance malgache, où les dévouements et les énergies ont fait défaut, Prince de la Paix est le seul homme qui ait risqué sa vie délibérément.

Ç’aurait été une raison peut-être pour la lui laisser. »

Deux hauts fonctionnaires intervinrent auprès de Gallieni pour lui conseiller la clémence :;

« Messieurs, leur aurait répondu le Général, je vous remercie de votre conseil, mais je n’ai pas l’intention de le suivre »,

 mais, «  Plus tard, lorsqu’il connut le pays, il lui serait arrivé de dire à son Directeur des Finances et à son Directeur des Domaines :

« C’est vous qui aviez raison, Messieurs, j’ai regretté de ne pas vous avoir écoutés. »

« Avec un peu plus de chance le vieux Prince de la Paix aurait donc pu sortir vivant de l’épreuve redoutable. Il eût passé quelques années qui lui restaient à vivre dans l’apparat de ses dignités. On peut se demander si ces quelques années en valaient la peine. Il est permis de préférer pour lui la mort violente du héros, dans un moment de la vie de son peuple où l’héroïsme était rare. »

Deux simples commentaires :

Un jugement terrible sur le comportement de l’élite malgache de l’époque de la conquête.

Une décision du général Gallieni qu’il faut analyser et interpréter, alors qu’il ignorait tout de ce pays, qu’il avait été nommé à son nouveau poste dans un contexte d’insurrection, et enfin qu’il a toujours témoigné au cours de sa vie coloniale d’un amour sans doute trop exclusif de la nouvelle République française.

Et à observer le comportement des élites actuelles de ce beau et attachant pays – toujours dans un régime de transition, deux ans après un coup d’Etat -, il est possible de se demander si le premier commentaire n’a pas conservé toute sa valeur.

La France serait d’ailleurs bien inspirée de rappeler son ambassadeur à Madagascar, sauf pour l’auteur ou les auteurs du Coup d’Etat de février 2009, à cesser leurs palinodies et à accepter des élections libres et démocratiques sous le contrôle d’institutions internationales, et cela, dans un délai de quelques  mois !

Jean Pierre Renaud

Les caractères gras sont de ma responsabilité

PS : Le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » (Jean Pierre Renaud, Editions JPR) propose, entre autres (Soudan, Tonkin, et Fachoda), une analyse du déroulement de l’expédition de Madagascar sous l’angle de la communication technique, politique et militaire entre gouvernement et  chef militaire de l’expédition. En clair, quels ordres étaient donnés ? Comment ? Par qui étaient-ils exécutés ? Question : les généraux n’en faisaient-ils qu’à leur tête, en pratiquant la politique du « fait accompli » ?

Eclats de vie coloniale : Madagascar

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895- 1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar.

Première partie du commentaire

Pourquoi ?

 La source historique:

« Trois Héros

Le Général Laperrine – Le Père de Foucauld – Prince de la Paix »

Par E.F.Gautier Professeur à l’Université d’Alger »

Le sacrilège colonial ?

La singularité « colonialiste » du professeur Gautier

            Ce petit livre de 139 pages a été publié par les Editions Payot, en 1931, date de la grande Exposition coloniale de 1931, laquelle aurait, d’après certains chercheurs, marqué en profondeur la mentalité des Françaisen confirmant la culture coloniale qui, grâce au « matraquage » de la propagande coloniale, aurait imprégné la mentalité des Français, à un degré tel, qu’ils seraient encore porteurs, « sans le savoir », de « stéréotypes coloniaux », portés par « l’inconscient collectif » cher  à l’historienne Coquery-Vidrovitch. 

            Le petit livre en question a été écrit par un universitaire français, Emile-Félix Gautier, qui s’est illustré par ses recherches sur Madagascar et le Sahara.

            Sorti de l’Ecole Normale, en 1884, il réussit à se faire donner, en 1892, une mission d’exploration géographique à Madagascar. Il y passa trois ans à parcourir à pied  les régions encore inconnues de l’ouest de la grande île.

            En 1895, la conquête de Madagascar mit fin à sa mission, et il se retrouva directeur intérimaire des Affaires indigènes, avant de devenir directeur de l’enseignement entre 1896 et 1899.

            C’est dans ce poste d’intérimaire qu’il côtoya le ministre de l’Intérieur malgache, dont il raconte la destinée tragique.

Son ouvrage est tout à fait singulier, pour sa date de publication déjà évoquée, mais pour deux autres raisons majeures :

–       Il est tout à fait étrange de voir ce ministre fusillé par Gallieni, dont il retient le nom traditionnel « Prince de la Paix », rangé dans la catégorie des Trois héros (pour la moitié de ses pages), alors que les deux autres sont le général Laperrine, mort dans un accident d’avion, en 1917, le conquérant militaire du Sahara, et Charles de Foucauld, ermite à Tamanrasset, assassiné en 1916, quatre-vingt ans avant l’assassinat en Algérie, des moines de Tibihérine. Gallieni fit fusiller le même jour un oncle de la reine, le prince Ratsimamanga.

–       Seul point commun apparent : les trois héros sont morts de mort violente !

–       Le portrait du Prince de la Paix qu’il propose n’est pas du tout négatif, bien au contraire, et c’est sans doute en reconnaissant le courage national de ce haut dignitaire malgache, dans les circonstances difficiles de la conquête de son pays, qu’il ose le ranger aux côtés des deux autres héros. Il lui reconnait l’honneur de son double jeu en présence de l’occupant.

Donc, un  ouvrage tout à fait singulier à plusieurs titres !

Le théâtre historique de la conquête

            Revenons un instant sur l’histoire des relations entre la France et Madagascar avant la conquête coloniale de 1895.

Jusqu’à la révolution technologique du dix-neuvième siècle (vapeur, électricité, télégraphe et câbles, armement, industries, canal de Suez, etc…) les puissances occidentales s’étaient depuis longtemps intéressé aux richesses de l’Orient et de l’Asie, et de grandes compagnies de commerce avaient rivalisé pour y implanter des comptoirs, notamment anglaises et hollandaises.

Mais la révolution technologique en question produisit une révolution dans les relations entre nations, l’Occident disposant alors des moyens nécessaires pour  assurer une domination coloniale sur les pays dits « arriérés ».

Après un bref épisode « heureux », la France avait été éliminée des Indes, mais elle avait continué à entretenir des relations politiques et commerciales sur la route des Indes, notamment dans l’Océan Indien, avec la persistance de la rivalité coloniale historique franco-anglaise.

Les navires français avaient fréquenté les côtes malgaches, tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, et la France s’était implantée définitivement dans l’île de la Réunion, une île de colons, souvent très entreprenants, pour ne pas dire « colonialistes » à l’égard de leur grand voisin malgache.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’un passage éclair, quinze jours en tout, d’un colon réunionnais au ministère de la Marine et des Colonies, M.de Mahy, que la France se lança dans les premières opérations de conquête de la grande île, en 1885.

Cette campagne ne fut pas un succès et se solda par un traité boiteux et ambigu entre la monarchie Hova et la République française, traité qui posa en fait les bases du contentieux qui allait servir de prétexte à la France pour intervenir à Madagascar, en 1895.

Le lecteur notera au passage qu’au cours de cette campagne un des rares nobles de la monarchie malgache à s’être brillamment illustré en résistant vaillamment aux troupes françaises, à Farafate,  sur la côte orientale de Tamatave, fut le fameux ministre de l’Intérieur fusillé en 1896, M. Rainandriamampandry, dont l’histoire tragique est ici racontée succinctement.

En 1895, la France s’était donc lancée dans la folle aventure coloniale de la conquête de Madagascar, sous la conduite du général Duchesne, une conquête de plus, une expédition coûteuse pour les épargnants français, mais surtout coûteuse en vies humaines.

L’historien Brunschwig notait que « l’expédition Duchesne fut criminelle », car les pertes, principalement pour cause de maladies, furent considérables, un soldat sur trois, et surtout dans les unités recrutées en métropole : le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs avaient perdu la moitié de leur effectif.

Il était d’ailleurs tout à fait exceptionnel que les gouvernements de la Troisième République fassent appel, pour ces conquêtes, et même partiellement, à des contingents de troupes métropolitaines.

Toujours est-il que Tananarive tomba aux mains des Français le 30 septembre 1895, et que le gouvernement français fit rapidement voter par la Chambre des Députés l’annexion de Madagascar : la monarchie était donc devenue une fiction.

Pour expliquer, mais surtout justifier ce processus, le ministre Hanotaux avait utilisé une formule surprenante « les événements ont marché », formule qui illustrait parfaitement les pratiques coloniales du fait accompli, lesquelles n’étaient pas toujours celles des généraux, comme je l’ai démontré dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large ». (1)

Problème pour le nouvel occupant des lieux, la population malgache résistait et l’île s’embrasait. Le général Gallieni remplaça donc l’ancien résident Laroche et reçut la mission de pacifier la nouvelle colonie. Il débarqua à Tananarive le 28 septembre 1896, un peu plus d’un an après la conquête.

C’est dans ce contexte historique que M.Gautier, directeur des affaires indigènes par intérim, travailla aux côtés de celui qu’il baptisa du nom de Prince de la Paix, le ministre de l’Intérieur très éphémère du proconsul Gallieni ou de la reine Ranavalonana III, car il y avait bien une fiction institutionnelle.

La juxtaposition des trois noms, Laperrine, de Foucauld et prince de la Paix est d’autant plus surprenante que le livre a été publié en 1931.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900) »

Le blog  publiera la deuxième partie de cette chronique dans  la semaine du 25 avril 2011

1896: Gallieni fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar

Eclats de vie coloniale : Madagascar

Retour historique sur un épisode tragique de la conquête de Madagascar (1895- 1896)

A Madagascar, le 15 octobre 1896, le général Gallieni, nouveau proconsul de la France fait fusiller le ministre de l’Intérieur de Madagascar.

Première partie du commentaire

Pourquoi ?

 La source historique:

« Trois Héros

Le Général Laperrine – Le Père de Foucauld – Prince de la Paix »

Par E.F.Gautier Professeur à l’Université d’Alger »

Le sacrilège colonial ?

La singularité « colonialiste » du professeur Gautier

            Ce petit livre de 139 pages a été publié par les Editions Payot, en 1931, date de la grande Exposition coloniale de 1931, laquelle aurait, d’après certains chercheurs, marqué en profondeur la mentalité des Françaisen confirmant la culture coloniale qui, grâce au « matraquage » de la propagande coloniale, aurait imprégné la mentalité des Français, à un degré tel, qu’ils seraient encore porteurs, « sans le savoir », de « stéréotypes coloniaux », portés par « l’inconscient collectif » cher  à l’historienne Coquery-Vidrovitch. 

            Le petit livre en question a été écrit par un universitaire français, Emile-Félix Gautier, qui s’est illustré par ses recherches sur Madagascar et le Sahara.

            Sorti de l’Ecole Normale, en 1884, il réussit à se faire donner, en 1892, une mission d’exploration géographique à Madagascar. Il y passa trois ans à parcourir à pied  les régions encore inconnues de l’ouest de la grande île.

            En 1895, la conquête de Madagascar mit fin à sa mission, et il se retrouva directeur intérimaire des Affaires indigènes, avant de devenir directeur de l’enseignement entre 1896 et 1899.

            C’est dans ce poste d’intérimaire qu’il côtoya le ministre de l’Intérieur malgache, dont il raconte la destinée tragique.

Son ouvrage est tout à fait singulier, pour sa date de publication déjà évoquée, mais pour deux autres raisons majeures :

–       Il est tout à fait étrange de voir ce ministre fusillé par Gallieni, dont il retient le nom traditionnel « Prince de la Paix », rangé dans la catégorie des Trois héros (pour la moitié de ses pages), alors que les deux autres sont le général Laperrine, mort dans un accident d’avion, en 1917, le conquérant militaire du Sahara, et Charles de Foucauld, ermite à Tamanrasset, assassiné en 1916, quatre-vingt ans avant l’assassinat en Algérie, des moines de Tibihérine. Gallieni fit fusiller le même jour un oncle de la reine, le prince Ratsimamanga.

–       Seul point commun apparent : les trois héros sont morts de mort violente !

–       Le portrait du Prince de la Paix qu’il propose n’est pas du tout négatif, bien au contraire, et c’est sans doute en reconnaissant le courage national de ce haut dignitaire malgache, dans les circonstances difficiles de la conquête de son pays, qu’il ose le ranger aux côtés des deux autres héros. Il lui reconnait l’honneur de son double jeu en présence de l’occupant.

Donc, un  ouvrage tout à fait singulier à plusieurs titres !

Le théâtre historique de la conquête

            Revenons un instant sur l’histoire des relations entre la France et Madagascar avant la conquête coloniale de 1895.

Jusqu’à la révolution technologique du dix-neuvième siècle (vapeur, électricité, télégraphe et câbles, armement, industries, canal de Suez, etc…) les puissances occidentales s’étaient depuis longtemps intéressé aux richesses de l’Orient et de l’Asie, et de grandes compagnies de commerce avaient rivalisé pour y implanter des comptoirs, notamment anglaises et hollandaises.

Mais la révolution technologique en question produisit une révolution dans les relations entre nations, l’Occident disposant alors des moyens nécessaires pour  assurer une domination coloniale sur les pays dits « arriérés ».

Après un bref épisode « heureux », la France avait été éliminée des Indes, mais elle avait continué à entretenir des relations politiques et commerciales sur la route des Indes, notamment dans l’Océan Indien, avec la persistance de la rivalité coloniale historique franco-anglaise.

Les navires français avaient fréquenté les côtes malgaches, tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, et la France s’était implantée définitivement dans l’île de la Réunion, une île de colons, souvent très entreprenants, pour ne pas dire « colonialistes » à l’égard de leur grand voisin malgache.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’un passage éclair, quinze jours en tout, d’un colon réunionnais au ministère de la Marine et des Colonies, M.de Mahy, que la France se lança dans les premières opérations de conquête de la grande île, en 1885.

Cette campagne ne fut pas un succès et se solda par un traité boiteux et ambigu entre la monarchie Hova et la République française, traité qui posa en fait les bases du contentieux qui allait servir de prétexte à la France pour intervenir à Madagascar, en 1895.

Le lecteur notera au passage qu’au cours de cette campagne un des rares nobles de la monarchie malgache à s’être brillamment illustré en résistant vaillamment aux troupes françaises, à Farafate,  sur la côte orientale de Tamatave, fut le fameux ministre de l’Intérieur fusillé en 1896, M. Rainandriamampandry, dont l’histoire tragique est ici racontée succinctement.

En 1895, la France s’était donc lancée dans la folle aventure coloniale de la conquête de Madagascar, sous la conduite du général Duchesne, une conquête de plus, une expédition coûteuse pour les épargnants français, mais surtout coûteuse en vies humaines.

L’historien Brunschwig notait que « l’expédition Duchesne fut criminelle », car les pertes, principalement pour cause de maladies, furent considérables, un soldat sur trois, et surtout dans les unités recrutées en métropole : le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs avaient perdu la moitié de leur effectif.

Il était d’ailleurs tout à fait exceptionnel que les gouvernements de la Troisième République fassent appel, pour ces conquêtes, et même partiellement, à des contingents de troupes métropolitaines.

Toujours est-il que Tananarive tomba aux mains des Français le 30 septembre 1895, et que le gouvernement français fit rapidement voter par la Chambre des Députés l’annexion de Madagascar : la monarchie était donc devenue une fiction.

Pour expliquer, mais surtout justifier ce processus, le ministre Hanotaux avait utilisé une formule surprenante « les événements ont marché », formule qui illustrait parfaitement les pratiques coloniales du fait accompli, lesquelles n’étaient pas toujours celles des généraux, comme je l’ai démontré dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large ». (1)

Problème pour le nouvel occupant des lieux, la population malgache résistait et l’île s’embrasait. Le général Gallieni remplaça donc l’ancien résident Laroche et reçut la mission de pacifier la nouvelle colonie. Il débarqua à Tananarive le 28 septembre 1896, un peu plus d’un an après la conquête.

C’est dans ce contexte historique que M.Gautier, directeur des affaires indigènes par intérim, travailla aux côtés de celui qu’il baptisa du nom de Prince de la Paix, le ministre de l’Intérieur très éphémère du proconsul Gallieni ou de la reine Ranavalonana III, car il y avait bien une fiction institutionnelle.

La juxtaposition des trois noms, Laperrine, de Foucauld et prince de la Paix est d’autant plus surprenante que le livre a été publié en 1931.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900) »

Le blog  publiera la deuxième partie de cette chronique dans  la semaine du 25 avril 2011

Humeur Tique : la nouvelle Françafrique ? Modèle 2011 ? Côte d’Ivoire et Madagascar

La Côte d’Ivoire et la France :

Toutes les explications officielles données, soit par la France, soit par l’ONU, justifient l’intervention de la force française Licorne en Côte d’Ivoire, très bien !

            Mais il est évident que cette justification n’a de fondement qu’en raison de la présence de ce contingent militaire à Abidjan !

            Question donc ? Chaque fois qu’une importante « colonie » française d’expatriés est présente dans un pays étranger, la France est-elle disposée à proposer à l’ONU son soutien militaire ?

Il est évident que la position officielle de la France dans ce cas d’espèce souffre d’une certaine dose d’hypocrisie, laquelle, dans le cas présent, est de bonne guerre.

Madagascar, la France, et les déclarations de l’ambassadeur Châtaigner dans Madagascar Tribune.com du 4 avril 2011

            Rien à dire sur le fond des déclarations de l’ambassadeur au sujet de son analyse de la situation politique de la grande île, mais est-ce que ce type d’intervention publique s’inscrit dans une nouvelle politique étrangère de la France qui verrait ses représentants à l’étranger s’exprimer sur la situation intérieure du pays où, précisément, ils représentent notre pays ?

            La réponse est sans doute non ! Verrait-on le même M.Châtaigner, ambassadeur à Rome, ou à Tokyo, s’exprimer de la sorte sur la situation politique de l’Italie ou du Japon ?

Comment ne pas trouver, une fois de plus, que de la sorte, nos ambassadeurs font de l’ingérence, d’autant plus dommageable que les élites de ces pays ont la sensibilité nationale à fleur de peau, compte tenu de notre passé commun ?