Gallieni et Lyautey, ces inconnus-1898, avec la reine sakhalave Bibiassy à Maintirano

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Madagascar

Lyautey à Madagascar en 1898

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Le retour de la reine sakhalave Bibiassy à Maintirano

En 1898, « … à la fin de janvier, le général Gallieni avait été amené à étendre mon commandement à l’Ouest jusqu’à l’Andranomava, puis, en mars, à disloquer le territoire sakhalave et à m’en donner la partie Nord. » (LTM/p,571)

Dans une lettre à Chailley, le secrétaire de l’Union coloniale, du 6 février 1899, Gallieni écrivait  au sujet de la résistance sakhalave :

« … J’ai justement sous les yeux le rapport du colonel commandant le deuxième territoire militaire (territoire comprenant les vallées de la Tsirihibina, du Manambolo et du Mangoky) sur les résultats obtenus en 1898 et j’y lis que nous avons eu, durant cette année, 1 officier tué et 3 blessés, 3 sous-officiers et soldats tués et 4 blessés, 37 indigènes ( Sénégalais et Malgaches) tués ou noyés et 77 blessés, et tous, dans des surprises, des embuscades, des attaques de convois, etc… Vous voyez, rien que par ces chiffres, que nos adversaires Sakalaves sont autrement dangereux que les Hovas de 1895. » (G/p,41)

Ce ne fut en effet pas une partie de plaisir, car la pacification fut longue et difficile, avec de nombreux morts et blessés

Dans son livre « De Madagascar à Verdun », le colonel Charbonnel qui fut chef de poste dans cette région côtière, et à la même époque, et qui servit longtemps à l’ombre de Gallieni, écrit :

« Nous n’étions pas à Adembe les plus éprouvés. Le même jour, 10 octobre 1897, à la même heure, l’assaut avait été donné aux dix Postes crées par le commandant Gérard. Quatre avaient été enlevés, dont Mahabe où était restée la pièce de Sangouard. Nos pertes étaient importantes : un quart de notre effectif, dont cinq officiers, tués ; autant de blessés. Le succès de la conquête du pays sakhalave était compromis. Cependant un désastre total avait pu être évité. On annonçait que Mahabe était déjà réoccupé. «  (C/p, 69)

Et plus loin, le même officier écrivait : « Pendant cette période de concentration des troupes, j’allais parfois à Monrondava revoir les survivants de la colonne Gérard. Sur les vingt officiers appartenant aux armes combattantes qu’elle comptait à son départ, nous restions neuf vivants. Un seul était mort de maladie. Les dix autres avaient été tués au combat ou étaient morts de leurs blessures. » (C/p,73)

Le nouveau territoire de Lyautey allait donc jusqu’à la mer, puisqu’il comprenait à présent le cercle de Maintarano. Lyautey allait donc, à l’exemple de Gallieni, pouvoir emprunter, comme nouveau moyen de communication, une des canonnières côtières de la Marine, pour effectuer certains de ses déplacements.

Précisons en effet que non seulement le Gouverneur général passa la moitié de son temps en tournées, mais qu’il fit le tour de Madagascar en bateau plusieurs fois pendant son séjour, alors seul moyen efficace d’atteindre les provinces les plus éloignées.

La relation de sa tournée sur la côte ouest est intéressante à un double titre :

– elle montre que l’opinion de Lyautey sur l’avenir de la nouvelle colonie a un peu changé, précisément parce qu’il a pu prendre conscience des atouts quelle pouvait faire valoir sur le plan économique, à la condition de réorienter la politique en direction du canal du Mozambique, et donc de l’Afrique Orientale, et ne plus dépendre de la seule influence de la Réunion.

– elle propose un exemple d’application de la fameuse  « politique des races » de Gallieni qui, peut se prêter à toutes les interprétations historiques ou idéologiques.

Un avenir pour Madagascar, vers l’ouest, le canal du Mozambique.

A Max Leclerc, A Ankazobé, le 14 mai 1898,

           « Ici, notre majeure raison d’être économique, c’est la côte orientale d’Afrique : il y là un marché à prendre, et il nous attend. J’ai de ce côté avec le Transvaal, avec Mozambique, avec Zanzibar des relations personnelles suivies, et c’est en homme informé que je vous écris : ils attendent que notre élevage leur fournisse des bœufs et des moutons, que notre Emyrne leur envoie du riz, notre côte du maïs ; ils manquent des trois articles et n’attendent que l’offre ; le marché est à prendre, je le répète.

           Or, nous ne sommes guère ici à nous en préoccuper. Les coulisses électorales ont tout détourné sur la côte Est et la Réunion. Tout pour Tamatave et Saint Denis. Or, franchement, quand on a à choisir entre le marché de l’Afrique australe et celui de la Réunion, c’est trop bête d’hésiter, – et on n’est plus à même d’hésiter. On enfouit des millions dans cette route de Tamatave dont la terminaison est encore si éloignée, tandis qu’un seul million mis sur la route de Majunga, où il ne pleut que quatre mois par an et dont le sol est un macadam naturel, eût permis d’y assurer dès cette année des transports de voitures ininterrompus ; j’en ai fait l’expérience l’an passé en l’aménageant presque sans crédits, de manière à y faire passer un premier convoi de voitures et à démontrer ce qu’un million consacré à faire les quinze ou vingt ponts nécessaires eût permis de faire le définitif…

           Malheureusement, le Général a trouvé engagée cette entreprise de Tamatave ; il n’a pas pu, et je le comprends, revenir en arrière quand tant d’intérêts et d’argent y étaient engrenés. Mais cela ne devait pas empêcher d’aller concurremment au plus pressé et de faire ceci d’abord beaucoup plus vite et beaucoup moins cher. Un élément, hélas ! est intervenu contre Majunga et la côte Ouest : les influences politiques et parlementaires de la Réunion. » (LTM/p,579, 580)

Lyautey à Maintirano, où doit le rejoindre le général Gallieni, en tournée sur la côte Ouest.

           Le 27 juin, Lyautey embarquait à Majunga sur une des canonnières de la Division navale, pour rejoindre le poste de Maintirano.

« Maintirano, le 23 juillet 1898,

A mon frère, mon bon vieux,

… le 2 au soir, c’était l’arrivée à Maintirano où commande mon excellent, loyal, cordial et vaillant camarade le commandant Ditte ; qui après avoir excellé dans l’Oubangui, au Dahomey, au Tonkin, m’a fait depuis trois mois de l’excellent travail…

De l’îlot de Maintirano, blanc de sable, égayé de quelques cocotiers, où voici un an étaient à peine quelques pauvres cases, Ditte a fait en quelques mois un petit centre coquet qui se développe et draine le commerce de l’intérieur renaissant. Aidé d’officiers prodigieusement actifs, il a fait de belles cases en bois, grandes, propres, confortables, avec de larges vérandas. La mer est en bordure de la mer qui, à la haute marée en baigne la terrasse. Les officiers sont gais et jeunes, ils reçoivent des revues et des journaux multiples, ont un commencement de bibliothèque intelligente ; le docteur joue du violon, et ce soir m’a donné la joie de réentendre, après combien d’années, les morceaux des Noces de Figaro que préférait papa ; une cavatine de Raff, la Marche turque, Plaisir d’amour ne dure qu’un moment et autres vieilleries très vielles, mais qui gardent combien de saveur à cette distance, sous ce ciel, et évoquent combien de passé… » (LTM/p,590)

           Lyautey rend évidemment compte, dans les mêmes lettres, des opérations qu’il mène contre les rebelles Sakhalaves, et fait état de la rencontre qu’il fit avec le professeur Gautier, directeur de l’Enseignement à Tananarive :

« Il explore Madagascar depuis sept ans. Interprète émérite, il mène de front la géologie, l’ethnologie et la guerre, se joint aux reconnaissances, en prend le commandement et conquiert ses fossiles à coups de fusil. » (LTM/p,591)

Donc un personnage haut en couleurs que nous avons déjà rencontré sur ce blog en citant son récit de la vie et de la mort de Rainaindrampandry, ministre de l’Intérieur de Gallieni, qu’il avait baptisé « Le prince de la paix » dans son livre « Les trois héros ». (voir blog du 15 avril 2011)

Retour d’opérations, Lyautey rentre à Maintirano, pour y accueillir le général Gallieni.

La surprise de Gallieni ! La reine sakhalave Bibiassy !

«  A mon frère,

… Nous y rentrons le 12 juillet, et, le 14, trois coups de canon à 7 heures du matin, signalent un bateau, puis un second. C’est le Lapeyrouse et le Pourvoyeur, le Général et sa suite. Toute la flottille des pirogues-oiseaux de mer se mobilise, et à 10 heures, nous sommes à bord où nous déjeunons tous. A midi débarque le Général ; je ne réédite pas le tableau de notre arrivée. Mais le Général a ménagé un coup de théâtre. Sur nos instances, il nous a ramené de Nossi-Bé la reine sakhalave Bibiassy, exilée maladroitement il y a un an, et que Ditte et moi jugeons devoir être ici un utile moyen d’action. Tous les rois sakhalaves de la côte Ouest de Madagascar, depuis le cap d’Ambre jusqu’au cap Sainte Marie, appartiennent à une même dynastie, descendant d’un ancêtre commun assez récent, presque autant dieu ou fétiche que roi ; ils ont un caractère essentiellement religieux, plus encore que politique, car au fond leurs sujets obéissent assez mal. Les rois ou chefs actuellement encore dans la brousse sont donc tous plus ou moins cousins de Bibiassy, et son enlèvement et sa déportation de l’an dernier sont un des arguments le plus souvent invoqués par eux pour ne pas rentrer. Dès le 15, nous avons été avec le Général réinstaller solennellement Bibiassy chez elle, à Antsamaka, à quatre heures d’ici ; le peu qu’il reste de population, 500 environ, y avait été convoqué. Bibiassy a été installée sous un velum et représentée à son peuple, et rien n’a été curieux comme la véritable cérémonie d’adoration qui a suivi le Kabary (le discours) : prosternation, bras étendus, chants, puis danses ; elle recevait l’hommage en idole impassible et son caractère fétichiforme explique seul son influence, car elle est affreuse, boiteuse, abrutie. Les lobes de ses oreilles découpés pendent en longs et hideux anneaux de chair. Les hommes de son peuple sont assez beaux et fiers avec leurs seules ceintures, leurs armes et leurs gris-gris. Les femmes sont hideuses, au nez percé, aux oreilles surchargées, beaucoup couvertes d’un masque de plâtre qui en fait de vrais monstres à effrayer les enfants. Nous sommes loin des Hovas en redingote et en kinkerbroker. Après avoir montré au peuple ce Saint-Sacrement de reine, nous nous sommes empressés de la ramener à Maintirano, ne voulant pas laisser aux rois de la brousse la tentation de venir enlever ce fétiche…

Le Général est parti le 17. Depuis six jours, je me suis mis en demi-vacances. Cette plage est exquise, une brise délicieuse… (LTM/p,594)

Commentaire

Le premier commentaire a trait à la philosophie « coloniale » de Lyautey : incontestablement, dans le sillage de Gallieni qui avait toujours en tête la place de la France sur les marchés internationaux, Lyautey ne perdait jamais de vue cette question comme le montre l’extrait de texte choisi.

On peut ne pas aimer le portrait que Lyautey campe de la reine Bibiassy, ou tout simplement considérer qu’il correspondait à une époque déterminée de la grande ile.

Toujours est-il que l’épisode caractérise parfaitement la politique des races, telle que le Général Gallieni la concevait et la mettait en application, à l’occasion de son proconsulat.

Dans le cas considéré, hors Emyrne, où il avait mis une « croix » sur la monarchie hova, il n’hésitait pas à jouer la carte des autres pouvoirs religieux ou politiques traditionnels.

A Maintirano, il s’appuyait effectivement sur les structures traditionnelles du commandement local, constitué des rois et des chefs sakhalaves.

Nous avons vu, qu’au  Tonkin, Lyautey donnait la préférence à l’administration indirecte, celle du protectorat, et sans refaire l’histoire, il est possible d’émettre l’hypothèse qu’à la place de Gallieni, le colonel  aurait sans doute beaucoup hésité à se priver de l’appui de la monarchie hova qui, elle aussi, avait un double caractère politique et religieux.

Comment ne pas ajouter qu’une des clés de la réussite de Lyautey au Maroc fut précisément son respect des pouvoirs établis, ceux d’un sultan, à la fois monarque et commandeur des croyants ?

Jean Pierre Renaud

Gallieni et Lyautey, ces inconnus! Madagascar 1897 La reddition de Rabezavana

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

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1897, Madagascar, avec Lyautey, commandant du territoire du Nord-Est, lac Alaotra, forêt et vallée de la Mahajamba

Le reddition du chef rebelle Rabezavana

            Si le lecteur a pris la peine de lire les chapitres précédents, il aura pu prendre la mesure des hésitations qui étaient celles de Lyautey entre la mise en valeur de l’Indochine, le «  joyau des colonies » et l’aventure malgache.

Mais ses relations de confiance et d’amitié étaient telles qu’il n’hésita pas à  rejoindre le général Gallieni à Madagascar, afin de le seconder dans son grand commandement.

A peine débarqué à Tamatave, le 7 mars 1897, le général Gallieni le pressait déjà de le rejoindre dans la capitale :

A mon frère,

«…Logé, hébergé, nourri chez lui, l’accueil d’un grand frère… bref s’il me faisait monter « maoulen » (vite en annamite), c’est que mon vieux camarade de promotion, le colonel Gonard, commandant le cercle de Babay, ne tenait plus debout, rentrait en France, et que c’était moi qui le remplaçait.

«  Le plateau central de Madagascar, seule partie de l’intérieur encore effectivement occupée, était à ce moment divisé en deux territoires militaires : le premier, au Nord-Est, colonel Combes, lac Alaotra, la forêt et la vallée de la Mahajamba ; – la deuxième, au Sud-Ouest, colonel Borbal-Combret. – La région côtière jusqu’au plateau est territoire civil. Entre les deux territoires militaires, un cercle indépendant, ne relevant que du général, celui de Babay, à cheval sur le débouché Ouest de Tananarive, par la route de Majunga, allant au Sud jusqu’à un jour de marche de Tananarive, limité à l’Est à la Betsiboka, à l’Ouest à l’Ikopa, au Nord à Andriba, et au-delà les terres à conquérir. Grosse responsabilité à cause de la route à refaire et à protéger (celle de Tananarive à Majunga), ce qui, en tout pays d’insurrection, est un des plus sales problèmes à résoudre. Ce terrain était d’ailleurs entièrement pacifié, sauf un coin aux sources de la Betsiboka encore occupé par les chefs Rabezavana et Rabozaka contre lesquels opérait mon voisin de droite, le colonel Combes, l’homme du Soudan….

            Le colonel Combes, malade, demande à rentrer, et le Général veut me donner le premier territoire plus mon cercle, c’est-à-dire le tiers du Madagascar militaire occupé. Il me passe un petit frisson dans le dos à l’idée de succéder d’emblée dans ce vaste commandement, moi, chétif, tombant du Tonkin avec mes quatre galons, à ce légendaire colonel Combes, la terreur du Soudan, commandeur de la légion d’honneur, un des chefs les plus autoritaires et les plus éprouvés de l’Infanterie de Marine. Je ne me voyais pas, si récent colonial, m’imposant à ces troupes et surtout à leurs chefs de même grade que moi. Je me défends en invoquant ces motifs : le Général finit par reconnaître qu’il y a intérêt à me graduer la tâche, et, coupant le territoire en deux, ajoute simplement à mon cercle la rive droite de la Betsiboka, jusqu’à la Mahajamnba, en me donnant autorité sur le cercle voisin, Ambatondrazaka, commandant B…, pour assurer l’unité d’action…

            Puis je pars seul, sans un officier, n’en n’ayant pas un disponible, avec seulement quelques hommes d’escorte pour me mettre à la recherche du colonel Combes et de sa colonne. Je le trouve, après six jours de marche, le 18 avril, bivouaquant à Vohilena, en pleine opération contre Rabezavana.

            J’avoue que je n’arrivais pas très tranquille. La brusquerie et l’accueil de sanglier du colonel Combes sont légendaires. On le disait de fort méchante humeur, aigri, mécontent du Général, dont, imbu d’autres méthodes de guerre, il ne partageait pas la doctrine, et demandant à partir beaucoup plus par suite de ses divergences de vue que par raison de santé. Je m’apprêtais donc à être fort mal reçu. Il n’en fut rien. Il était réellement malade, en avait assez et m’attendit avec impatience pour me passer le commandement. Il n’avait qu’un regret que je discernais vite, celui de ne pas achever l’opération commencée contre Rabezavana qu’il comptait atteindre à Antsatrana, à quatre journées plus loin, position fortifiée où il pensait le trouver retranché et le réduire par la force.

J’insiste vivement pour qu’il continuât jusque-là, invoquant l’inconvénient, réel d’ailleurs, de changer  le commandement en pleine marche, en lui offrant de lui servir de major de colonne. …

Le lendemain, faisant appel à tous mes souvenirs d’état-major de brousse du Tonkin, je fis le contrôle le plus sévère du convoi et de l’approvisionnement des sacs de riz et gagnai ainsi la confiance du Colonel qui cessa de me regarder comme unnovice. Nous devînmes une paire d’amis et, malgré quelques bourrades sérieuses, nous le restâmes. »

La méthode de pacification Combes

« J’eus le même jour, un aperçu de la façon dont il entendait la pacification ? Le général Gallieni m’avait annoncé que je trouverais à la colonne deux émissaires de premier choix, qu’il avait envoyés pour servir d’intermédiaires avec les insurgés : un magistrat malgache, personnage considérable, et un jeune interprète. Tous deux étaient venus dans le costume européen dont ils sont affublés, l’un d’eux même en chapeau haut de forme ; et comme je m’en enquérais auprès du Colonel pour les interroger : « Ces deux civils ? me répondit-il, je n’aime pas ces gens- là, je ne les ai même pas regardés, je les ai fourrés dans un silo ; mais faites-en ce que vous voudrez, ça vous regarde. »

Je ne me le fis pas dire deux fois : je les fis remonter, ahuris et un peu défraichis, du fond de leur puits, et ce me furent, dans la suite, des agents incomparables.

Le 21 avril, nous piquions avec 400 fusils et 2 canons sur Antsatrana, qui était en effet, l’ancien siège de Rabezavana, lorsqu’il était gouverneur royal, où il avait son rova (sa citadelle), ses réserves, ses ressources…. Le 28 avril, nous arrivons devant Antsatrana ; mais nous y entrons sans combat, Rabezavana a déménagé….

Ce mécompte exaspère le colonel Combes ; du coup, il déclare qu’il part le lendemain et me remet le commandement. »

La méthode Gallieni

« Libre de mon action, j’en reviens sans délai aux méthodes que m’avait apprises Gallieni, et avant tout, renonçant à la colonne linéaire poussant droit devant elle, j’en reviens à la méthode des colonnes convergentes, la seule qu’on m’ait appris à regarder comme efficace….

Le 2 mai, sur un renseignement, je me rejette au Sud, où Rabezavana m’est signalé ; je ne le pince pas parce qu’il me file sous le nez, mais c’est à deux heures près que je tombe sur le village inconnu de Marotsipoy, bien caché dans une vallée latérale, où aucun européen n’avait pénétré. J’y pince cette fois d’énormes approvisionnements, les silos pleins de riz, combien de poulets ! des fusils, des cartouches. J’y prends aussi ses instruments de musique : une trentaine de grosses caisses, de tambours, de violons, et une malle où étaient ses uniformes officiels de Gouverneur royal, un habit rouge brodé et un chapeau de général à plumes blanches. Mais ce que je trouve avec le plus de joie, c’est un centre de rizières en pleine récolte… » (LTM/p,533)

Les opérations continuent :

« Le premier point à occuper ensuite, c’est Ambohimanjaka, que je sais être un ancien et important centre, nœud de communications, à mi-chemin entre moi et le cercle d’Ambatondrazaka, avec qui il faut me relier. Je veux y aller, mais je n’ai plus de fusils disponibles ; échange de télégrammes optiques, d’ultimatums avec Tananarive. Enfin, on m’envoie le 14 mai 250 tirailleurs de renfort et, le lendemain 15, je pars avec 400 fusils et 2 canons.- Là, ç’a été une jolie opération… tout cela me ramenait au centre 250 prisonniers, dont la mère de Rabezavana, 50 fusils et 3 000 boeufs, sans pertes de notre côté, avec 11 tués chez eux…. Ce beau coup de filet met de plus en plus la troupe en confiance…… Pour la première fois, on sort du vide ; on se sent sur un terrain qui commence à se solidifier, et le dîner, pour spartiate qu’il soit encore, est joyeux. A la nuit, je vais contrôler un de mes postes optiques ; je me fais stupidement éclairer par mon photophore qui nous repère, et la balle d’un guetteur voisin me tape en plein dans la lunette de l’objectif. Le petit télégraphiste, un gamin de Paris, qui en avait retiré son œil une seconde avant, en est tout bleu…

Le résultat de la razzia, qui atteignait notre adversaire dans ses ressources vives, ne s’est pas fait attendre. Depuis avant-hier, Rabezavana me fait des offres de soumission. » (LTM/p,535)

Le commandant Lyautey disposait alors de forces relativement importantes,  un effectif de 1 700 hommes, soit de l’ordre de deux bataillons, avec 3 canons.

« Antsatrana, 24 mai,

Je rouvre ma lettre pour la terminer sur une nouvelle sensationnelle : Rabezavana s’est rendu ce matin.

Le 22, je recevais un mot du capitaine Raymond me disant que, d’après tous ses renseignements, Rabezavana était sur ses fins, que la capture de ses troupeaux, de ses réserves lui avait porté le dernier coup, qu’il ne trouvait plus à vivre dans un pays désolé, que ses partisans le lâchaient par groupes, que le fruit était mûr, et qu’il ne fallait plus pour le cueillir, qu’une rapide et opportune démonstration de forces. Je suis parti à marche forcée avant-hier, avant le jour, avec la colonne et je suis arrivé hier soir. Dès l’aube, un billet de Raymond m’annonçait que le Monsieur se présentait aux avant-postes et serait ici dans deux heures. Personne au monde ne s’en doutait : j’avais gardé pour moi le secret absolu, de crainte que cela ne ratât. Comme il n’y avait plus de doute, je me mis à dicter un télégramme pour le Général, à tenir tout prêt à lancer par l’optique dès que la chose serait consommée. Au premier mot, la plume tomba des mains de mon interprète-secrétaire, le fidèle Jean-Baptiste Rahajarisafy, élève des jésuites de Tananarive, parlant français comme toi et moi, et l’écrivant, certes, mieux que moi : « C’est bien Rabezavana que vous dites, mon Commandant ? – Parfaitement. – Mais alors, l’insurrection est finie ? – Parfaitement….

Précédé de Raymond, Rabezavana arriva à cheval, suivi de 500 guerriers, dernier contingent de ses fidèles, tous armés de fusils à tir rapide, et qui nous eussent certes donné bien du fil à retordre, s’ils avaient eu encore de quoi manger. Sa troupe défila entre les deux rangs de la colonne. Entré dans la cour du rova, il mit le pied à terre, ses hommes jetèrent leurs fusils en un tas et tous se prosternèrent, tandis que leur chef, à mes pieds, malgré mes instances pour le relever, me récitait un discours de soumission qu’on me traduisait à mesure. Pour terminer, il tira de son doigt une bague, cabochon de corail monté en or, en me disant : « Ceci est mon anneau de commandement ; je ne commande plus. Prends-le pour que tous voient que désormais c’est toi qui commandes. »

Je le passai à mon doigt et ce fut le signal d’une grande acclamation. Si Dieu me prête vie, vous le verrez un jour en breloque à ma chaine de montre, car je ne compte plus m’en séparer.

Je n’avais garanti à Rabezavana que la vie sauve. Il s’attendait pour le moins à la déportation et, dans sa lassitude, c’est tout ce qu’il osait espérer. Après avoir tâté le bonhomme et causé avec les émissaires, j’ai pris un grand parti : c’est de le laisser libre, de le réintégrer ici même dans son ancien commandement et de lui confier la restauration de cette région, où tous le connaissent et le respectent, et l’œuvre de réconciliation qu’il est temps de commencer. Je le lui ai annoncé. Il se Tâte encore pour voir s’il ne rêve pas. Il vient de dîner avec nous. Nous avons trouvé au fond de nos caisses une bouteille de champagne et il y a fait honneur, retrouvant ses habitudes de haut fonctionnaire hova civilisé, accoutumé à fréquenter le « meilleur monde », comme il apparaissait dans sa tenue à table.

Sa femme, qu’il a tirée de ses bagages, est venue nous rejoindre au café et l’entente est scellée.

Demain, je commence avec lui une tournée où j’aurai son anneau au doigt, mais où il me servira d’ad latus et d’intermédiaire pour ramener à leurs foyers ces malheureuses populations et restaurer ce pays dévasté. Et je verrai bien si je me suis trompé.

Et, sans aucune exagération, c’est vraiment une bonne journée, pleine de choses et de lendemains. Et vive la méthode Gallieni ! La voici ayant fait une fois de plus ses preuves ; et c’est bien la vraie méthode coloniale. » (LTM/p,539)

Commentaire :

Le premier a trait au comportement hova face à l’envahisseur qu’étaient les troupes coloniales : certains commentateurs ont glosé sur la faible résistance de l’armée malgache lors de l’expédition de conquête, mais l’histoire a montré que cette résistance, mal commandée, avait pris d’autres formes, indirectes avec l’insurrection qui se développa dans l’île, une fois la capitale prise.

Car les forces en présence n’étaient pas négligeables : Rabezavana disposait de bandes qui comptaient des centaines de combattants, équipés d’armes modernes, c’est-à-dire des fusils à répétition.

Cet épisode montre que l’administration de la reine Ranavalona disposait de fonctionnaires de qualité, en tout cas sur les plateaux, tel l’ancien gouverneur Rabezavana.

Le même récit  fait état du système de communication militaire qui avait été mis en place par l’armée, c’est-à-dire un réseau de télégraphie optique, que viendra remplacer ultérieurement un réseau de télégraphie électrique.

Le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » (editionsjpr.com) a décrit le rôle que les communications, techniques et politiques, ont joué au cours des conquêtes coloniales des années 1880-1914 au Soudan, au Tonkin,  à Madagascar, et à Fachoda.

Dans le même livre, un chapitre a été consacré à la campagne de Combes sur le Niger, en 1885, et à sa méthode militaire qui alluma « un grand incendie » sur le Niger.

Jean Pierre Renaud

Gallieni et Lyautey, ces inconnus! A Tananarive, le 15 octobre 1896, la « main lourde » de Gallieni

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

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Présentation générale sur le blog du 24 novembre 2012

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Le   15 octobre 1896, à Tananarive, « la main lourde » de Gallieni

Une clé pour comprendre l’histoire actuelle de Madagascar ?

            Nous avons déjà évoqué sur le blog des 15 avril et 21 avril 2011, cet épisode de la conquête de Madagascar, qui se prête naturellement à toutes les interprétations historiques.

            Pourquoi revenir sur un tel épisode ? Parce qu’il me parait représenter un excellent exemple de l’amateurisme de la politique coloniale de la Troisième République, servi dans le cas d’espèce par un acteur de terrain, le général Gallieni, un des meilleurs officiers de nos aventures coloniales de l’époque.

            Revenir aussi sur ce sujet, parce qu’il n’est pas interdit de s’interroger sur les causes profondes des  crises politiques et institutionnelles successives que connait ce pays, depuis une quarantaine d’années, entre autres peut-être celle de la suppression de la monarchie merina, laquelle a suivi rapidement l’épisode historique rapporté.

            Nous évoquerons brièvement  ce type de problématique des causes dans la conclusion, en précisant que je n’ai jamais nourri de fibre monarchique.

            C’est à partir du livre tout à fait curieux et intéressant du professeur Gautier, intitulé « Les trois héros » que le sujet a déjà été traité.

            Comme nous l’avions indiqué, ce titre mettait sur le même plan, le général Laperrine, le père de Foucauld, et le ministre de l’Intérieur, M Rainadriamanpandry que fit fusiller Gallieni. M.Gautier avait servi un temps au cabinet du Gouverneur général Gallieni où il avait  côtoyé et appris à connaître le ministre de l’Intérieur.

            Il est difficile de ne pas interpréter cette mise en parallèle, sur le même plan de l’évocation historique,  de trois personnages aussi différents dans leur parcours de vie, dont deux d’entre eux s’étaient illustrés au Sahara, comme la reconnaissance posthume d’un des grands seigneurs de la noblesse malgache qui avait eu le courage de résister à la nouvelle puissance coloniale, au prix du sacrifice de sa vie.

            Le professeur Gautier le nommait « Le prince de la paix »

            M.Gautier devint un des spécialistes de la géographie du Sahara.

            Rappelons que le ministre de l’Intérieur, alors gouverneur à Tamatave, s’était opposé avec succès à la première tentative de débarquement sur la côte est en 1885.

            Le général Gallieni eut l’occasion d’expliquer les raisons de cette exécution dans une lettre qu’il adressa à M.Grandidier (1) :

« Tananarive, 25 octobre 1896,

Mon cher Monsieur Grandidier,

Je vous remercie beaucoup de votre aimable lettre. J’ai besoin, pour faire face à ma rude tâche, de l’encouragement de ceux, qui, comme vous connaissent si bien Madagascar et les difficultés de la situation actuelle. Comme je vous le disais précédemment, arrivant dans un pays qui m’était inconnu, au milieu de circonstances des plus critiques, j’ai commencé par être effrayé et par douter réellement que l’on pût tout remettre en place. Aujourd’hui, depuis 20 jours que j’ai pris la direction des affaires et que j’ai commencé à me rendre compte sur place de la situation, j’ai meilleur espoir et je pense que je parviendrai à nous sortir de la mauvaise passe où nous sommes. Mais nous ne pouvons espérer obtenir ce résultat en quelques jours, par suite des grosses fautes commises et de l’anarchie réellement extraordinaire que j’ai trouvée partout ici.

…L’Imerina a été divisée en centres militaires correspondant autant que possible aux districts indigènes ; à la tête de chacun d’eux se trouve un officier supérieur, ayant tous les pouvoirs civils et militaires, secondé par les autorités hovas, placées sous ses ordres. Pour contenir l’insurrection, une première ligne de postes a été établie à 15 kilomètres autour de Tananarive… Cela fait, nos postes se porteront en avant, de manière à élargir la zone pacifiée et à ne mettre une jambe en l’air que lorsque l’autre est bien assise. On arrivera ainsi peu à peu aux limites de l’Imerina . Même programme est adopté pour le Betsileo, avec Fianarantsoa comme centre

            Ce système vaut mieux que celui des colonnes mobiles poussées au loin qui avaient peu d’effet contre un ennemi aussi insaisissable que les Fahavalo. Dès qu’elles rentraient, ceux-ci revenaient sur leurs talons et massacraient les habitants.

En même temps, j’ai demandé au gouvernement malgache qu’il fallait qu’il change son attitude. J’ai conservé la reine, parce que Ranavalonana a sur les populations un réel prestige, que je compte utiliser. Mais j’ai prié le premier ministre de donner sa démission et j’ai traduit devant le conseil de guerre Rainandriampandry, ministre de l’Intérieur, et le prince Ratsimamanga, oncle de la reine, contre lesquels il existait des preuves de culpabilité suffisantes : ils ont été condamnés à mort et fusillés le 15 octobre. De plus, j’ai exilé à Sainte Marie la princesse Ramasindransana, tante de la reine. Les biens de tous ces personnages ont été confisqués. Enfin, tous les officiers, cadets de la reine, ont été envoyés dans les campagnes environnantes avec mission de rappeler les habitants, sous peine d’être rendus responsables, eux et leurs familles, des nouveaux troubles autour de Tananarive…

En dehors de l’Imerina, les instructions aux résidents et officiers sont différentes. Elles se résument en ceci : détruire l’hégémonie hova en constituant avec chaque peuplade un état séparé, administré par un chef nommé par nous et contrôlé par nous…

Telles sont les premières mesures prises et sur lesquelles je n’ai pas le temps de m’étendre plus longtemps. Par exemple, je ne me préoccupe, ni des textes, ni des règlements. Je vais droit au but général : ramener la paix ; franciser l’île et donner le plus grand appui possible à la colonisation française. Si je ne suis pas approuvé, je rentrerai… » (Lettres de Madagascar, page 14 –  Société d’Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales – Paris 1928)

            Commentaire :

            Les caractères gras sont de ma main

M.Grandidier (1), naturaliste, après y avoir effectué un long séjour, avait publié un ouvrage scientifique de type encyclopédique sur la grande île. Il était alors considéré comme la principale autorité scientifique pour tout ce qui touchait Madagascar

            Ce texte a le mérite de la clarté : le gouvernement envoie le proconsul Gallieni à Madagascar pour y rétablir l’ordre, sans avoir encore une idée précise sur la destinée coloniale de ce nouveau territoire, et le général met en œuvre la méthode militaire et civile qu’il estime la plus appropriée, sans trop s’embarrasser  d’autres considérations, car c’est au fond ce qu’on lui demande de faire.

Dans cette lettre, il avoue qu’il débarque dans un pays qui lui était inconnu, et c’est toute la problématique de la politique coloniale française qui est ainsi mise en question, car le gouvernement français a pris lui aussi une décision d’expédition sans mieux connaitre ce nouveau pays, et sans avoir encore d’idée précise sur le statut de cette nouvelle conquête.

Le ministre Hanotaux est à la manœuvre, sans avoir en définitive une position claire sur les destinées de Madagascar, nouvelle colonie ou nouveau protectorat ?

Il fit voter par la Chambre des Députés  l’annexion de Madagascar qui devint donc une colonie, laquelle eut, jusqu’à la déposition de la reine Ravalonana, la particularité de faire partie de la République, tout en étant encore une monarchie

Concrètement, et sur le terrain, compte tenu des grandes difficultés de communication entre l’île et la métropole, le proconsul républicain usa pleinement de ces dernières pour déposer la reine.

Les échanges de courrier entre Paris et Tananarive mettaient alors plusieurs semaines, et « Le général Gallieni n’eut d’accès direct au câble de Majunga que le 29 juillet 1897, date à laquelle une ligne télégraphique relia ce port à Tananarive.

Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » (editionsjpr.com), j’ai longuement analysé cette problématique des communications coloniales, afin de déterminer où se situaient les fameux « faits accomplis »  au cours des conquêtes coloniales du Soudan, du Tonkin, et de Madagascar.

Historiquement, il est possible de dire qu’il aurait été bien préférable de s’appuyer sur la monarchie hova qui disposait déjà, sur la plus grande partie du territoire d’un embryon d’administration, plutôt que de vouloir y substituer une administration directe qui ne disait pas son nom.

Comme nous l’avons vu, pour l’Indochine, le même débat divisait les coloniaux, alors que l’Empire d’Annam disposait d’une administration mandarinale qui n’avait rien à voir avec l’administration hova, c’est vrai, mais en oubliant que le symbole monarchique était au moins aussi fort, sinon plus, à Madagascar qu’en Indochine.

Nous avons d’ailleurs cité sur ce blog un extrait de lettre dans lequel Lyautey prônait le respect des institutions de la monarchie annamite, mais ce dernier n’avait pas la fibre républicaine de Gallieni.

Lyautey prit son commandement, alors que la partie était déjà jouée, et il n’est pas sûr du tout, s’il avait eu son mot à dire,  qu’il ait adopté la ligne Gallieni, mais on ne refait pas l’histoire, sauf dans certains ouvrages à la mode.

La « main lourde »

Dans une lettre datée du 6 février 1899, Gallieni revient sur cette exécution qu’il entérina quelques semaines seulement après son arrivée à Tananarive :

« Mon cher Secrétaire général (1),

…J’examine maintenant les divers points sur lesquels vous avez été assez bon pour appeler mon attention. Certainement, les mesures de bienveillance sont bonnes vis-à-vis des indigènes, mais à la condition formelle qu’elles ne dégénèrent pas en faiblesse. Si mon prédécesseur avait été moins faible vis-à-vis des Hovas, je n’aurais pas eu à prendre les mesures de rigueur, que quelques personnes m’ont reprochées et, surtout, nos troupes n’auraient pas eu à faire cette pénible campagne d’hivernage 1896-1897, qui a fini par rejeter les bandes insurgées en dehors de l’Imerina, mais nous a coûté les pertes les plus sérieuses. Avec les indigènes de nos colonies, que nous ne tenons qu’avec des forces européennes insuffisantes, il faut toujours, sinon être, du moins paraître les plus forts. Le jour où cette conviction n’existe plus dans leur esprit, surtout à Madagascar, où nous avons contre nous tant d’éléments d’opposition, Anglais, Mauriciens, Indiens, Arabes, les habitants se soulèvent, surtout à l’origine de toute nouvelle conquête.

Lors de mon arrivée à Tananarive, en présence de la gravité de la situation, de l’incendie qui se propageait partout, j’ai dû avoir la main lourde. Dès que je me suis senti maître de cette situation, j’ai eu recours à la douceur, à la persuasion, à la bienveillance. J’ai gracié des bandits, des assassins, qui auraient mérité cent fois la mort. Mais je pouvais être faible et je peux l’être encore maintenant parce que les Hovas savent que je sais être ferme, quand il le faut. Le peloton d’exécution ne s’est pas réuni une seule fois à Tananarive, depuis février 1897… » (Lettres de Madagascar, pages 45 et 46) (1) J.Chailley était alors secrétaire général d’un des groupes de pression  coloniaux, l’Union Coloniale)

La justification rétroactive de cette exécution  de la part de Lyautey, à l’occasion de l’évocation de la reddition du chef Rabezavana, objet du prochain chapitre :

« Au bivouac, Antsigimialoha, 100 kilomètres, de la côte Ouest, à hauteur de Maintirano, le 1°août 1898

Bien cher ami (Paul Desjardins)(1),

… Je n’ai pas ici le temps de vous refaire l’histoire détaillée et véridique de de qui qu’il a conté là. Tout ce qui s’est écoulé depuis, tous les papiers trouvés chez les chefs de l’insurrection et, pour ce qui me concerne, les révélations très curieuses que j’ai reçues de Rabezavana et des autres chefs  qui m’ont par la suite fait leur soumission, ont prouvé que le Général ne s’est pas trompé d’adresse, notamment en ce qui concerne Rainandriamanpandry, dont j’ai trouvé la main contre nous.

Bref, c’est du jour de cette exécution que nous tenons l’Emyrne, et elle a certainement épargné des milliers de vies humaines…

Mais je vous rase, mon cher ami, et vraiment le lieu est singulièrement choisi : je suis blotti sous ma tente, dans une gorge sauvage et pittoresque de la chaine du Bemahara, tandis que l’orage est déchaîné et que la pluie et le vent secouent ma « maison » de quelques heures…. » (Lettres du Tonkin et de Madagascar, page 595)-(1) Paul Desjardins, journaliste et homme de lettres, ami de Lyautey

Pas d’autre commentaire ! Sauf quatre, très courts : un, il ne faut jamais oublier que Madagascar couvre une superficie plus grande que celle de la France, deux, qu’il n’existait alors aucune voie de communication entre la côte et les plateaux, et entre les différentes provinces, trois que le général Gallieni était alors coupé de toute communication rapide avec le gouvernement.

Quatre, qu’un ministre des Colonies avait parfaitement résumé ce type de problématique coloniale, à l’occasion d’un débat à la Chambre des Députés, en déclarant : « Les événements ont marché »

Parmi les causes des crises successives que connait Madagascar depuis une quarantaine d’années, il est difficile de ne pas évoquer cette opération chirurgicale qui a privé la grande île de la seule institution, hors les églises , capable de proposer une sorte de mythe unitaire qui répondait bien à la culture du pouvoir et des ancêtres de ses habitants.

Pour ne citer qu’un seul exemple du rayonnement de ce type de monarchie, la célébration annuelle du fandroana, le bain sacré de la reine : une fois sortie de son bain, la foule était aspergée de l’eau « lustrale ».

Parmi les autres causes, la colonisation bien sûr qui n’a pas toujours favorisé un processus institutionnel unitaire, l’ingérence de groupes de pression étrangers ou crypto-étrangers, qu’il s’agisse du gouvernement français ou de groupes d’intérêt réunionnais, indien, ou chinois…, des ingérences permanentes des églises ou de l’armée dans le fonctionnement du pouvoir malgache, et peut-être tout simplement une culture malgache avant tout tournée vers la famille, plus que vers le national, une culture que le clientélisme, c’est-à-dire les gros sous, a gravement polluée.

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique Sur RFI, le 20 décembre 2012, les mensonges de Rajoelina, le parrain malgache

Humeur Tique  Sur RFI, le 20 décembre 2012, les mensonges de Rajoelina, Président d’une transition malgache qui n’en finit pas depuis plus de trois ans !

La France et Madagascar

Le 20 décembre, Radio France Internationale a interviewé  M.Rajoelina. Comment la France peut-elle faire confiance à un homme politique qui a été incapable d’organiser des élections libres et démocratiques depuis plus de trois ans ?

Il refuse, de quel droit? Et au nom d’une justice qui serait « indépendante », le retour de l’ancien Président de Madagascar, M.Ravalomanana ?

Lequel aurait des « conséquences inimaginables »  pour lui, personnellement ?

Puisque tout le monde sait aujourd’hui qu’il est arrivé au pouvoir dit de « transition » en 2009, à la suite d’un coup d’Etat.

Et pourquoi ne pas souligner que la justice de son pays est en permanence manipulée par ce président de transition et sa nouvelle cour !

Alors, notre pays, la France, serait bien inspiré de dire clairement au personnage et à ses courtisans qu’elle n’entretiendra de relations de confiance qu’avec un nouveau président issu d’élections libres et démocratiques, ainsi que le demande la SADC !

Gallieni et Lyautey, ces inconnus, à Madagascar (1896-1905)

Information

Dans le courant de l’année 2012, nous avons publié sur ce blog, et sous le titre « Gallieni et Lyautey, ces inconnus – Eclats de vie coloniale – Morceaux choisis », une série d’extraits de lettres de Gallieni et de Lyautey qui concernaient leurs commandements du Tonkin.

Ces extraits ont été choisis en fonction de l’intérêt qu’ils représentent pour la compréhension de cette période coloniale très active, en donnant la parole à ces deux grands acteurs de la conquête et de la pacification du Tonkin.

Au cours des mois qui suivent, nous nous proposons de publier le même type d’extraits de lettres qui concernent Madagascar.

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Gallieni et Lyautey, ces inconnus

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Madagascar 

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Madagascar avec Gallieni (1896-1905) et Lyautey, (1897-1902)

Prologue

Les épisodes relatés par des extraits des lettres de nos deux « colonialistes » se situent au début des opérations de pacification militaire et civile de la grande île. Un pays en pleine insurrection, mais une insurrection multiforme, attisée, sur les plateaux, par la noblesse, en partie alliée à des bandes de fahavalos qui rançonnaient traditionnellement les villages, aussi bien sur les plateaux que sur les côtes.

La monarchie hova avait eu maille à partir, aussi, avec ces bandes pour établir son pouvoir sur toute l’étendue de l’île, et ce dernier, avant l’arrivée des Français, demeurait souvent fragile dans les provinces les plus éloignées.

La Cour de l’Emyrne et les attributs de sa puissance ne soutenaient pas la comparaison, et à beaucoup de points de vue, avec celle de l’Empereur d’Annam, qu’avaient connus les deux officiers.

Nos morceaux choisis sont donc, à beaucoup d’égards, moins pittoresques que ceux du Tonkin, mais les situations historiques n’étaient pas du tout les mêmes.

Bref rappel historique

            Lorsque la première expédition militaire débarqua à Madagascar, en 1885, dans l’Océan Indien, les relations entre les deux pays étaient aussi anciennes que superficielles, et pour de nombreuses raisons : la marine française fréquentait les côtes malgaches depuis longtemps, compte tenu de sa position géographique sur la route des Indes, où la France avait été en rivalité militaire avec les Anglais pour la conquête des Indes, et de la présence française notamment à l’île de la Réunion, anciennement île Bourbon sous la monarchie, et à l’île de France, aujourd’hui île Maurice, cédée aux Anglais en 1814.

            La France disposait aussi, sur la côte est, de quelques comptoirs anciens à Sainte Marie et à Fort Dauphin.

Français et Anglais se disputaient alors le contrôle des deux îles de Madagascar et de Zanzibar, et c’est à la suite d’un accord diplomatique franco-anglais, en 1890, que l’Angleterre laissa à la France les mains libres en échange de Zanzibar.

Il convient de rappeler qu’en 1885, la première expédition coloniale fut décidée par un ministre éphémère de la Marine et des Colonies, – jusqu’en 1893, Marine et Colonies ne faisaient qu’une à l’époque, – M.de Mahy, député de la Réunion.

C’est un aspect plutôt ignoré, à mon avis, de l’histoire coloniale de l’Océan Indien que le rôle de la Réunion dans ce type d’impérialisme régional, que certains historiens ont cru pouvoir qualifier ailleurs, notamment dans le cas de l’Empire des Indes anglais, d’impérialisme secondaire.

En 1885, la France ne disposait pas de beaucoup d’informations sur la grande île, à la fois sur le plan géographique, économique, et politique, et pour bien dire cette expédition fut décidée à l’aveuglette, à l’exemple de beaucoup des expéditions coloniales de la Troisième République.

Lors du débarquement sur la côte de Tamatave, le commandant des troupes malgaches remporta une victoire contre les troupes françaises qui y avaient débarqué, à Farafate.

Pour la petite histoire et la grande aussi, cet officier malgache devint le ministre de l’Intérieur de Gallieni lorsqu’il prit le commandement civil et militaire de la Grande Ile, ministre qu’il fit fusiller pour avoir été l’instigateur secret de l’insurrection qui ravageait alors le pays.

Le blog des 15 et 26 avril 2011 a consacré deux articles à cet épisode.

A la suite de cette première expédition, un traité fut signé, mais dont les clauses étaient tout à fait ambigües ; ce traité, complété par un échange de lettres, ouvrait la porte à toutes les interprétations possibles, et donna à la France les motifs nécessaires pour se lancer dans sa folle expédition militaire de 1895.

Plus de 6 000 morts, plus de 60 millions de francs or dépensés (côté français), pour la conquête d’une île que la France connaissait mal, était dans l’incapacité d’en mesurer les atouts, alors que la population évoluée habitait sur les plateaux, à plus de 1000 mètres d’altitude, et qu’aucune communication moderne ne reliait encore les côtes à leurs plateaux : aucune route et aucun port ! Naturellement pas de chemin de fer ! Le transport des hommes (nobles, riches, ou fonctionnaires) et des marchandises s’effectuait en totalité par porteurs, les fameux « bourjanes ».

Madagascar avait la particularité tout à fait étrange d’avoir une élite évoluée sur les plateaux, les Merinas, presque complètement coupée des mers et du monde extérieur !

Une situation non moins  étrange du côté français alors que le gouvernement français se lançait dans une nouvelle aventure coloniale sans connaître le terrain de sa nouvelle aventure, et alors que la politique officielle, s’il y en avait une, n’avait pas opté entre la solution du protectorat et celle de la colonie !

Dans la série de morceaux choisis sur l’Indochine, le lecteur a pu prendre connaissance des hésitations, pour ne pas dire plus, que cette expédition soulevait  chez Lyautey.

Toujours est-il, qu’une fois la capitale Tananarive investie, et le pouvoir colonial installé, une grave insurrection se développa rapidement dans toute l’île, et notamment sur les plateaux, raison de la nomination de Gallieni en qualité de gouverneur général, avec pour mission de pacifier le pays.

 Il y eut un long « règne », de 1896 à 1905.

Le commandant Lyautey le rejoignit, en 1897, pour exercer des commandements, d’abord au nord de l’île, puis au sud, notamment à Fianarantsoa, au sud de Tananarive, à une distance de 250 kilomètres, et sur les côtes, les chefs-lieux des cercles de Fort Dauphin, à l’est, et de Tuléar, à l’ouest, se trouvant respectivement à une distance de 450 et 350 kilomètres de Fianarantsoa, étant précisé que ces mesures kilométriques modernes n’avaient aucun sens à l’époque considérée, compte tenu de l’absence de routes..

Seront évoqués successivement quelques-uns des épisodes qui ont émaillé les commandements de Gallieni et de Lyautey :

1-    En 1896, avec ses lettres, la « main lourde » de Gallieni, c’est-à-dire l’exécution de deux membres de la noblesse malgache, le ministre de l’Intérieur, et l’oncle de la reine.

2-    En 1897, avec Lyautey, la reddition du grand chef rebelle Rabezavana, ancien gouverneur royal.

3-     En 1898, avec Gallieni et Lyautey, le retour d’exil de la reine sakalave Bibiassy en pays Sakalave.

Et seront ensuite rapportés des extraits de lettres relatifs aux « œuvres » de Gallieni et de Lyautey dans la grande île, à la vie mondaine de cette époque, à la présence des femmes, aux problèmes politiques de Gallieni, et « Au haro » sur la métropole, le cri du cœur de Gallieni et de Lyautey.

Jean Pierre Renaud

Gallieni et Lyautey, ces inconnus – La politique des races de Gallieni au Tonkin (1892- 1894) et à Madagascar (1896-1905)

Gallieni et Lyautey, ces inconnus

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

9

Au Tonkin (années 1892-1894), et à Madagascar (années 1896-1905), la politique des races de Gallieni

            Au fur et à mesure des années, le mot et le concept ont accusé le poids de la théorie des races inférieures et supérieures, mais à la fin du 19ème siècle, le sens du mot et du concept ne faisaient déjà pas l’unanimité parmi l’élite politique et intellectuelle.

            Pour illustrer cette situation, le Président Jules Ferry, dans le discours qu’il  prononça à la Chambre des Députés, en 1885, pour défendre son expédition du Tonkin, s’inscrivait au rang des défenseurs de cette théorie.

Il y exaltait l’opposition et la hiérarchie qui existait entre ce qu’il appelait les « races supérieures » et les « races inférieures », les premières disposant d’un droit à gouverner les deuxièmes, et à leur apporter la « civilisation ».

Clemenceau fut l’un de ceux qui contesta cette analyse encore largement partagée dans le corps politique, à gauche comme à droite. Ferry était un républicain de gauche.

Les livres scolaires distinguaient alors quatre races, la blanche, la jaune, la noire, et la rouge.

            Le petit livre « Les mots de la colonisation » (Presses Universitaires du Mirail) introduit le sujet en écrivant :

« Concept polémique par sa double inscription naturaliste et politique la race s’oppose clairement, dès le 19ème siècle, à la notion classique de « variété ». Celle-ci reste superficielle et surtout réversible… »

 et plus loin :

«La « psychologie ethnique » s’émancipera ultérieurement pour devenir la science des mentalités collectives sans renier ses premières attaches naturalistes. Le concept a tardivement perdu toute validité scientifique. » (p,99 et 100)

« Le dictionnaire de la colonisation française » (Larousse) propose un commentaire plus détaillé du concept et consacre un long paragraphe à « la politique des races », précisément, l’objet de ces pages.

Tout cela semble bien dépassé et depuis longtemps, mais il n’est pas démontré que Gallieni ou Lyautey, son élève, lorsqu’ils parlaient de politique des races, l’aient fait  dans cette lignée hiérarchique à caractère raciste.

Et afin d’actualiser ce débat d’une autre façon, à la suite de la polémique qui a agité les dernières élections présidentielles, quant à la demande de suppression du mot race dans l’article 1er de notre Constitution, nous proposons en additif, à la fin de ce texte, quelques citations du mot race faites par le grand journaliste Robert Guillain dans son livre « Orient Extrême – Une vie en Asie »

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Au Tonkin, dans le commandement qu’il exerça dans le deuxième Territoire Militaire à la frontière de Chine, Gallieni énonça ses principes de politique des races, dans le cadre de sa mission de pacification militaire et civile qui lui avait été confiée par le Gouverneur général : donc dans un cadre historique très précis et dans une formulation qui avait sans doute beaucoup à voir avec une tactique ou une stratégie d’efficacité militaire et politique, dans un contexte donné et à un moment historique donné, pour assumer la mission qui lui avait été confiée.

Il n’y a donc rien de mieux que de lui donner la parole pour bien comprendre à la fois ces principes et le contexte historique dans lequel il les appliquait, et rappeler auparavant quelques éléments du contexte historique dans lequel il accomplissait cette mission.

.Les hautes régions du Tonkin étaient troublées en permanence par les exactions de plusieurs bandes de pirates annamites ou chinois qu’il lui fallut détruire, avec la coopération plus ou moins forcée de la Chine, et notamment grâce aux relations de confiance que Gallieni sut nouer avec le maréchal Sou, le commandant militaire de la province du Quang-Si.

Leur coopération étroite a déjà été évoquée sur ce blog.

Mais les hautes régions du Tonkin étaient théoriquement administrées par des mandarins qui représentaient l’Empereur d’Annam, alors qu’elles étaient peuplées de deux peuples de culture différente, les Mongs, et les Thos, peuples qui ne supportaient pas plus les pirates que le mandarinat annamite.

Gallieni, dont les moyens que le gouvernement lui accordait, ont été toujours limités, utilisa donc le levier ethnique que ces deux peuples lui proposaient.

« Suivre une politique de race, tel a été le principe qui m’a constamment guidé dans mes commandements coloniaux et qui, partout, au Soudan comme au Tonkin et à Madagascar, m’a toujours donné les résultats les plus décisifs. Or, quand j’étais arrivé à Lang-Son, je trouvai, dans le 2° territoire militaire des mandarins annamites pour administrer des populations Thôs, Mans ou Nungs, populations montagnardes de race essentiellement différente des Annamites et de mœurs féodales : dans chaque village, dans chaque canton même, c’est une famille, presque toujours la même, qui fournit les chefs, généralement des vieillards, qui détiennent l’autorité réelle et qui servent de conseillers obligés dans toutes les affaires du pays.

On comprend le peu d’action exercée par des mandarins annamites arrivant dans des contrées dont ils ignorent tout, les mœurs et même la langue. Les vieux chefs Thös disparurent ; mais leur influence occulte resta toujours. Et les fonctionnaires annamites qui les avaient remplacés ne pouvaient nous être d’aucune utilité, ainsi que je l’avais démontré à M.de Lanessan ; en ce qui concerne la piraterie notamment, ils ne pouvaient nous renseigner sur les agissements ou mouvements des bandes ; car les habitants leur opposaient une force d’inertie, une hostilité sourde, dont profitaient les pirates.

J’obtins alors du Gouverneur général l’autorisation de renvoyer tous ces fonctionnaires annamites dans leurs lieux d’origine et de revenir au système féodal, qui était la base même de l’organisation de ces régions de montagne. Comme on l’a vu en lisant le récit de la première partie de ma tournée, l’effet fut instantané : les habitants, conduits par leurs chefs naturels, devinrent désormais nos plus zélés collaborateurs dans la chasse aux pirates, surtout après que nous eûmes distribué les fusils nécessaires pour organiser la résistance contre les ennemis séculaires de leur tranquillité. » (GT/p,91)

Il n’est jamais inutile de rappeler que le gouvernement français a toujours spécifié, qu’une fois la conquête de la colonie réalisée, cette dernière ne devait rien coûter à la métropole.

Gallieni le rappelait dans une correspondance datée du 27 avril 1898 :

« Je suis très partisan de ce principe : que les colonies ne doivent rien coûter à la France. Mais, cela n’est pas encore possible à Madagascar… «  (GM/p,31)

En 1901, la Chambre des Députés vota une loi qui consacrait un tel principe budgétaire, et ce ne fut qu’après la deuxième guerre mondiale que ce principe de base fut abandonné, notamment avec la création du FIDES.

Il est évident que l’application d’un tel principe d’autonomie budgétaire des colonies françaises ne pouvait manquer d’avoir de multiples conséquences sur la politique coloniale de la Troisième République.

Quelques citations de Robert Guillain :

En Chine, Pékin, sa  Cité Interdite : « Pour quatre cents millions d’hommes, il fallait un palais impérial dix fois plus grand que nos palais royaux, des enceintes où nous logerions une. Les herbes elles-mêmes qui envahissaient les cours évoquaient pour moi les vastes steppes de l’arrière-Chine, de ce pays qui dans sa muraille était grand comme une Europe, mais petit par rapport à l’immense Asie ? Quelle race, pour construire grand ! Où étais-tu, petit Japon ? » (page 51- 1937-1938)

Au Japon : «  J’étais même tenté de penser parfois que le Japon était peuplé de deux races, celle des hommes et celle des femmes. Une race dure et une race douce. » (page 56- 1938-1941)

En Chine : «Il est temps pour nous de repenser la Chine, et le premier cliché qu’il faut abandonner, c’est celui de inchangeable. La plus vieille race du monde est entrée dans une crise de jeunesse. » (page 181- 1949) 

Au Japon : « Entre nous, la mentalité du milieu européen ou américain, à l’époque dont je parle, reste fortement teintée de colonialisme, parfois même de racisme. » (page 312- 1955-1970)

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: Madagascar et sa feuille de route internationale, une nouvelle farce de Rajoelina, et la France dans tout cela!

Humeur Tique : Madagascar, la feuille de route internationale (le retour à des élections libres), le retour de l’ancien Président Ravalomanana ou une nouvelle farce à la mode hypocrite de Rajaoelina !

            Cela va faire plus de trois ans que Rajaoelina, le président de la Hat  ( la soi-disant Haute autorité de transition), surnommé donc, peut-être à tort par ses adversaires, le « hâtif », amuse la galerie internationale, dont la France, quant à sa volonté de faire revenir Madagascar à la légalité démocratique qu’il a mise par terre grâce au coup d’Etat qui l’a « hissé » au pouvoir.

            Et ce président « hâtif », qui exerce les pouvoirs d’un quasi-dictateur, avec une justice, une armée, et une police, à ses ordres, de se présenter comme le protecteur des lois qu’il a été le premier à violer !

            Il faut tout de même un sacré culot pour oser le faire !

            Quand est-ce que cette sombre pantalonnade démocratique va cesser ? Et quand la France va-t-elle cesser de la cautionner ?

Humeur Tique : Humeur Politique du jour !

 Après plus d’une année de campagne électorale, et de saturation, quelques réactions :

            La première anecdotique, le brillant et vibrionnant Jacques Lang, éperdu d’affection politique, allant de circonscription en circonscription, a finalement échoué dans son pays natal.

            Il a quand même eu plus de chance que son grand ami Gbagbo, avec lequel il fit campagne, en hélicoptère, en Côte d’Ivoire, avant la crise meurtrière que l’on connait. Au moins aura-t-il peut- être le temps de lui porter des oranges dans sa prison de La Haye !

Le Modem, triste Modem ! Ce qui devait arriver est arrivé, la disparition de ce mouvement, faute d’avoir été capable d’adopter une ligne claire pour les dernières élections législatives, le chef allant dans un sens, et ses fidèles dans tous les sens. S’agissait-il d’un vrai mouvement politique ?

Et un de ses vice-présidents, Rochefort, ajoutant à la confusion en sollicitant auprès de Hollande, de façon insistante et répétée, quelque chose qui pouvait ressembler fort à un maroquin ministériel, 39 au lieu de 38 déjà ?

38 ministres, dans le gouvernement de la France, avec tout leur entourage, combien cela va-t-il bien coûter à nos finances publiques ? Mais il est vrai que tout ce beau monde sera payé, à compter du 15 septembre prochain, en empruntant de l’argent sur les « marchés » !

Hollande à Tulle, et Ayrault à Nantes arrivaient à animer et coordonner le travail de 38 collaborateurs ? Rien que sept ministres pour les dossiers économiques ! L’inflation ministérielle à Bercy ?

Remarquez que la France peut bien se payer 38 ministres, puisque Madagascar, dans sa 4ème année de crise, dirigée par un « dictateur » au petit pied, toujours en « transition démocratique », pour ne pas dire « transe démocratique », compte un nombre de ministres comparable !

Et en plus sérieux, beaucoup plus sérieux ! Quant à l’état de santé de notre démocratie républicaine !

Un système électoral qui permet au parti des Verts d’obtenir 11 ou 12 sénateurs et une vingtaine de députés, alors que la candidate des Verts n’a obtenu que 2,31% des voix aux Présidentielles (828.345 bulletins), est-ce bien démocratique ?

Et encore moins alors que ce parti des bisbilles futiles se pare en permanence de morale, de responsabilité, d’exemplarité ? Alors mesdames et messieurs, SVP, un peu moins de CO2 antidémocratique !

Mais beaucoup plus grave encore, le taux de participation, près de 50% d’abstentions au 2ème tour des élections législatives !

 Notre République est bien malade, et le Conseil Constitutionnel serait bien inspiré, comme il vient de le faire tardivement sur les horaires du scrutin, en demandant leur harmonisation, de recommander le vote obligatoire à toutes les élections de la République.

Une décision qui serait également la bienvenue pour les élections des dirigeants des corps intermédiaires, car dans beaucoup de ces élections, les taux d’abstention  sont encore beaucoup plus forts que dans  nos élections politiques.

Gallieni, Lyautey, ces inconnus! 1895, entre Indochine et Madagascar?

Gallieni, Lyautey, ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

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Sous la 3ème République, la France avait-elle une politique coloniale ?

En 1895, entre Indochine et Madagascar, la France a-t-elle vraiment choisi ?

Les avis de Lyautey

       Un bref rappel historique :

            La France était à la Réunion depuis le XVIIème siècle, et sa marine, ainsi que des commerçants et planteurs de cette île fréquentaient depuis longtemps les côtes malgaches, notamment celles de l’île de Sainte Marie.

Après la défaite du pays et à la fin de la guerre franco-prussienne de 1870, la Troisième République, prise d’une sorte de fringale coloniale, se lança dans toute une série d’aventures coloniales en Afrique, en Asie, et à Madagascar.

Sous Napoléon III, la France avait pris pied en Cochinchine, à la suite du « fait accompli » d’un amiral, et de fil en aiguille, à la suite des nouveaux « faits accomplis » au Tonkin, de Francis Garnier et de Rivière, elle occupa l’Annam et le Tonkin.

Au Tonkin, son armée coloniale et sa marine eurent en face d’eux à la fois des annamites, des troupes régulières chinoises, et des bandes de pirates dont il était toujours très difficile d’identifier l’origine.

Dans les années 1883-1885, l’armée coloniale y conduisit une vraie guerre, avec des moyens importants de mer et de terre, qui fut conclue, à la suite du « faux » désastre de Lang Son en 1885, sur la frontière chinoise, par le traité de Tien-Tsin.

« Faux » désastre, étant donné que le repli des troupes coloniales ne fut dû qu’à l’affolement (en état d’ébriété) du colonel Herbinger, remplaçant le général Négrier, blessé, et, avant tout,  à une mauvaise communication entre le gouvernement et le commandement militaire du Tonkin.

Jusque dans les années 1890, dates de l’arrivée de Gallieni et de Lyautey au Tonkin, les hautes régions ne furent jamais pacifiées, car de puissantes bandes de pirates téléguidés par les mandarins et les trafiquants chinois les tenaient entre leurs mains.

Ce qui n’empêcha pas la puissance coloniale de commencer à développer l’équipement des côtes, et dans les deltas de la Cochinchine et du Tonkin, l’agriculture et un début d’industrie, et enfin à donner un coup de fouet moderne à l’urbanisation de Saigon et de Hanoï.

En 1895, date de l’expédition de Madagascar, les situations coloniales étaient complètement différentes entre l’Indochine, dont les représentants locaux du pouvoir colonial avaient déjà pu apprécier, depuis longtemps,  les nombreux atouts humains et économiques, et l’île de Madagascar, encore mal connue, très difficile d’accès, dont la conquête ressemblait plus à un pari qu’à un choix colonial rationnel.

Et le commandant Lyautey de se faire l’écho de ces doutes sur l’intérêt de la conquête de Madagascar, comparée à la mise en valeur de l’Indochine, et à l’expansion qu’il recommandait de réaliser vers le Cambodge, le Siam, et le Yunnan.

Dans une lettre datée d’Hanoï du 19 octobre 1895,  Lyautey écrivait :   

« L’Indochine est le joyau des colonies »… Envisagé seul, le Tonkin est un leurre ; – il ne faut pas le séparer de l’ensemble ; – mais l’ensemble, cette longue péninsule, jumelle de l’Inde, est un Empire à la Dupleix, autrement fécond, intéressant, pour les luttes de l’avenir, pour les batailles commerciales de l’Extrême-Orient, pour le struggle à livrer le jour où la Chine s’ouvrira, que ce Madagascar aléatoire et isolé. Avantage, dit-on, pas de voisins, mais pardon ! le voisin, c’est le commerce et la raison d’être de nos colonies. » (LTM/ p,255) (1)

Et un peu plus tard, de faire état, dans une correspondance destinée à l’un de ses correspondants, à Hanoï, le 24 octobre 1895, d’une lettre que lui avait adressée de Vogué (2) ainsi résumée :

« Vous perdez votre peine à essayer d’intéresser quelqu’un en France au Tonkin ; votre Tonkin est l’enfant mal venu, dont il ne faut plus parler…. »

 et Lyautey de préciser dans sa lettre :

« Mais le protectorat logique et fructueux de la presqu’île indochinoise, c’est le Siam. Dans l’ordre logique, c’est une question qui eût dû être réglée avant Madagascar, puisqu’ici la partie était entamée et presque gagnée, et le nouveau cabinet anglais en complique bien la situation…

Avec le Siam, il y a, je ne dirai pas un pendant à l’Inde, certes non, mais une belle œuvre à faire et qui sera faite par d’autres si la France s’y dérobe. Le Tonkin en est la couverture, la marche frontière, en même temps que le débouché sur la Chine. » (LTM/ p,257)

Dans une lettre datée de Saigon, du 20 septembre 1896, Lyautey rapportait une conversation qu’il avait eue avec notre Ministre au Siam, M.Defrance sur la question brûlante d’Extrême Orient qu’était le Siam, et il écrivait :

« Nous y sommes en plein, M.Rousseau (le gouverneur général de l’Indochine) en voit tout l’intérêt et la suit passionnément ; il y a trois ans, ce Siam tombait comme un fruit mûr, et voici que peu à peu, il nous glisse entre les doigts ; et nous maudissons cette malencontreuse aventure de Madagascar, qui vient en détourner nos pensées, nos efforts et nos ressources. » (LT/ p,93)

Lyautey était en effet un chaud partisan d’un protectorat sur le Siam.

Et plus loin, il écrivait encore :

« C’était là, puisque nous avons commencé à travailler ici, ce qu’il fallait régler avant toute chose, avant Madagascar où nous sommes empêtrés dans une affaire qui n’a pas l’air de trop bien tourner. » (LT/ p,95)

Le commandant Lyautey avait donc, à cette époque, des idées très précises sur l’avenir comparé de l’Indochine et de Madagascar, mais il était un des rares « experts » de la chose coloniale, capable de proposer une vraie politique coloniale, à l’anglaise, qu’il admirait, faite de réalisme et de continuité.

(1)  LTM : Lettres du Tonkin et de Madagascar –  LT : Lettres du Tonkin

(2)  Le Vicomte Eugène Melchior de Vogüe (1848-1910) était un des nombreux correspondants de Lyautey : d’abord diplomate de 1871 à 1882, il se consacra alors entièrement aux lettres, collaborateur de La Revue des Deux Mondes, du Journal des Débats, et auteur de très nombreux ouvrages. Enfin député de l’Ardèche pendant quelques années à la fin du dix-neuvième siècle.

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique : Madagascar : honte à France 2 !

  Le 21 avril 2012, au journal de vingt heures, comme à son habitude, le journal aligne les faits divers, dont notamment celui des deux meurtres, semble-t-il, qui ont frappé, dans les semaines précédentes, deux Français au sud de Madagascar, dans la région de Tuléar.

            Pourquoi honte à France 2 ?

Parce que notre belle et grande chaîne publique consacre quelques minutes à ce fait divers, alors qu’elle a fait silence, depuis plus de trois ans, sur la situation préoccupante d’un pays encore « francophone » où la démocratie est confisquée par un pouvoir issu d’un coup d’Etat .

            Le fameux « printemps arabe », ou les fameux « printemps arabes » ont eu droit à un tout autre traitement médiatique, de même qu’aujourd’hui le Mali.