Le livre « Supercherie Coloniale » Chapitre 7 « La Propagande Coloniale » suite

Supercherie Coloniale

Suite du chapitre 7, page 184 du livre

La Propagande coloniale

L’analyse critique :

Les institutions : ont-elles été opérationnelles, aux fins de la propagande, dans leur organisation et dans leur fonctionnement ? Non

 L’agence générale des colonies et les agences économiques des territoires n’ont jamais constitué la machine de guerre de la propagande coloniale volontiers décrite par l’historienne Lemaire et son collectif de chercheurs. Pour qui a pratiqué assez longtemps les administrations centrales, les moyens humains des agences correspondaient au maximum à ceux d’une sous direction d’administration centrale. Rien à voir avec les machines de propagande des Etats totalitaires !

            L’agence générale était coiffée par un conseil d’administration composé pour partie de représentants de l’Etat et pour partie de représentants des entreprises privées, les agences économiques étant pilotées elles-mêmes par des représentants des administrations coloniales de l’AOF, de l’AEF, de l’Indochine, de Madagascar et des Territoires sous mandat.

            En 1926, l’Agence générale comprenait quatre services, un service commun, un service de renseignements, un service administratif, et le service administratif des ports de commerce, Marseille, Bordeaux, Nantes et Le Havre. Au total, 160 personnes, avec une partie de personnels techniques, dont la moitié était affectée dans les ports.(FM/Agefom/408)  

            La structure des agences était celle décrite par Mme Rabut, avec en général, deux services un service administratif et un service de renseignements ayant des fonctions de documentation, de relations avec la presse, et ultérieurement de propagande.

            En 1937, année du renforcement de la propagande gouvernementale, après le hiatus des années 1934-1937, les agences économiques de Madagascar, d’AOF, d’AEF, et des territoires sous mandat, comptaient respectivement, 8, 8, 7, et 9 cadres.

            Les rapports d’activité récapitulaient minutieusement, sur un mode militaire, les chiffres mensuels d’activité, nombre de visiteurs, demandes d’emploi, demandes d’information commerciale et industrielle, placement de capitaux, débouchés, exposition d’échantillons de produits…

            En 1932, l’agence de Madagascar reçut 1 006  visiteurs et traita 4 719 correspondances, dont 447 pour obtenir de l’information sur les débouchés et 591  sur l’industrie et le commerce. Elle examina 1 538 demandes d’emploi (FM/Agefom/C834)

            Les activités de l’agence d’AOF étaient moins importantes, avec un nombre total de visiteurs de 397 seulement en 1933, et 1 546 demandes de renseignements. (FM/Agefom/C744)

            Le système était plutôt hybride, les agences économiques faisaient partie du réseau d’agences piloté par l’Agence générale, quand elle a existé, mais agissaient comme donneurs d’ordre de commandes de prestations auprès de l’agence générale. Chacune des agences disposait de son propre budget alimenté par les ressources des budgets des différents territoires.       

            Et ces budgets n’étaient pas considérables, comme nous le verrons.

            Il convient de noter enfin que le domaine de compétence de l’agence générale des colonies n’a jamais porté sur l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, alors que ces territoires représentaient plus de la moitié du commerce colonial de l’époque.

            Quant au tissage plus ou moins réussi d’un réseau de propagande coloniale, il est exact que les gouvernements, mais surtout dans les années 30, ont donné des instructions aux préfets pour les inciter à faciliter l’organisation de la propagande, la création de comités de propagande coloniale placés sous la houlette des chambres de commerce et d’industrie ou des unions patronales, surtout dans les années 1936 et 1937, mais pour qui connaît le fonctionnement de l’administration  préfectorale, ce type d’action fait partie du lot quotidien des fonctions préfectorales, mobilisés au coup par coup, en fonction de la conjoncture et des objectifs de la politique gouvernementale. Il en a toujours été ainsi.

            D’ailleurs, les ministres des Colonies avaient contribué à la mise en place de ce qu’on appellerait volontiers une hiérarchie parallèle, selon les bons préceptes communistes, mais qui n’a jamais eu l’efficacité des hiérarchies parallèles communistes, et sans doute non plus celle de la hiérarchie maçonne, très puissante alors. Hiérarchie parallèle animée par les chambres de commerce et les unions patronales, mais comme les nécessités de la conjoncture et d’une action commune en font créer régulièrement dans l’histoire politique, administrative et économique du pays.

            Les archives (FM/Agefom/851) nous donnent la trace d’instructions ministérielles précises à ce sujet.

            En 1925, une circulaire ministérielle de M André Hesse avait prévu l’organisation sur tout le territoire métropolitain, de comités de propagande qui devaient avoir pour but d’intensifier la vulgarisation de l’idée coloniale.

            Le 30 mai 1930, dans la perspective de la grande exposition coloniale de 1931,  le Sous Secrétaire d’Etat aux Colonies Delmont réunit à Paris les délégués des comités de propagande coloniale et des associations coloniales, lesquels existaient dans la plupart des grandes villes françaises. L’ordre du jour était : organisation des comités de propagande coloniale et création d’un lien entre ces comités.

            Ces comités étaient pour la plupart constitués de représentants des chambres de commerce ou d’entreprises intéressées par l’outre-mer.

            A titre d’exemple, le Comité de propagande coloniale de Cherbourg était constitué d’un Comité d’honneur composé du Préfet de la Manche, du Sous Préfet de Cherbourg, du Maire de Cherbourg, du Président et d’un Vice Président de la Chambre de Commerce, et son conseil d’administration de représentants des entreprises de la Manche.

            A cette réunion ministérielle, il fut envisagé de susciter des comités départementaux, mais avant tout de créer une commission permanente des groupements d’action coloniale.

            Au cours de la séance, le représentant du comité de Bergerac exposa qu’il n’avait pas obtenu auprès des membres du corps de l’enseignement, tout l’appui qu’il aurait désiré pour faire connaître les colonies aux jeunes gens des écoles. Il demandait que le Ministre de l’Instruction Publique donne des instructions à ses subordonnés pour qu’à l’avenir, il n’y ait plus de malentendus. Le représentant de Dijon s’associa à cette demande.

            Le représentant du comité de Lyon y rappela les efforts faits par la Chambre de Commerce, 141 000 euros par an (valeur 2002).

            A la fin de la réunion :

            « Le ministre rappelle aux délégués des comités que l’essentiel, c’est de créer autour d’eux une mentalité, une foi coloniale et pour atteindre ce but, les collaborateurs les plus importants sont les instituteurs et les professeurs de collège qui peuvent agir sur l’esprit des enfants…Lorsque cette mentalité coloniale sera créée, la propagande verra ses fruits centupler et le public saura, tout comme en Hollande, que nos colonies permettent non seulement le placement des hommes, mais aussi celui des capitaux (vifs applaudissements) »

            Le lecteur aura constaté, qu’en 1930, la propagande coloniale n’avait pas encore eu les effets escomptés par certains sur l’opinion publique, et que le corps enseignant ne manifestait pas un enthousiasme débordant pour la cause coloniale, alors que nous avons démontré que les livres scolaires n’accordaient pas une grande place aux colonies.

            Nous rappelons à la mémoire du lecteur que les appréciations de l’historienne portent précisément sur cette période.

            Le 7 juillet 1930, le Sous Secrétaire d’Etat aux Colonies adressait une circulaire à Messieurs les Présidents des Comités d’Action Coloniale en leur transmettant le procès verbal de la réunion du 30 mai, au cours de laquelle il y fut décidé la consolidation, et là, où besoin sera, la réorganisation des comités actuellement existants, voire la création de comités nouveaux, ainsi que la création d’un organisme fédéral, la Commission permanente des Groupements d’Action Coloniale.

            Le ministre écrivait :

            « Je signale par une circulaire adressée ce jour aux Préfets, l’importance de vos Comités, en même temps que je leur envoie copie du procès verbal de notre réunion, et que je les prie de vous accorder tout leur appui moral et matériel. Signé A.Delmont »

 Les Comités locaux d’action coloniale continuèrent à exister au cours des années ultérieures, comme l’indique une circulaire ministérielle du 20 février 1934 qui adresse aux agences économiques des colonies la liste de ces groupements, en invitant les agences à entrer en liaison avec ces comités, en les invitant à vous faire connaître les entreprises  agricoles, industrielles, et commerciales de leur secteur, susceptibles d’acheter les produits des territoires que vous représentez ou d’y écouler les leurs. (FM/Agefom/40)

            Les archives fournissent beaucoup d’échantillons des correspondances échangées entre l’administration, les agences, et les comités. Leur contenu porte sur les informations de toute nature qui alimentaient ce réseau d’information économique, organisation du réseau, relais d’information, liste d’entreprises et liste de produits exportés ou importés, etc…

L’avis d’un expert :

            A la session parlementaire de 1928, le député Archimbaud, longtemps rapporteur inamovible du budget des colonies à la Chambre, appelait le pays à faire un effort de propagande « pour parvenir à créer en France une mentalité impériale, le premier effort devait être tenté par la presse, le second par l’école, à tous les degrés d’enseignement… le gouvernement doit tendre à obtenir de la grande presse quotidienne qu’elle accorde à l’information coloniale la place qu’elle mérite, et que les honneurs de la première page ou des « leaders » ne soient pas uniquement réservés à l’exposé des grands scandales coloniaux. « (ASOM)

            A la session de 1930, le même rapporteur du budget consacrait une partie de son exposé à la propagande coloniale :

            « Quelle ignorance le Français moyen n’a-t-il pas à l’endroit de cet admirable domaine ! Que de préjugés à vaincre ! »

            Et le rapporteur de proposer que la bonne propagande touche l’enfant, le Français au régiment, l’industriel et le commerçant.

            « A l’heure actuelle, les questions de propagande coloniale sont entièrement laissées à l’activité des agences relevant des gouvernements coloniaux. Grâce aux moyens financiers dont elles disposent, les agences ont pu jouer un rôle incontestable. Il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a actuellement aucune coordination dans l’effort de propagande…

            Les questions de propagande revêtent une trop grande importance pour qu’elles ne soient pas placées immédiatement sous l’autorité du Ministre et il est regrettable qu’il n’existe pas encore au Ministère des Colonies un service de propagande, comme il est regrettable qu’un service bien organisé de la colonisation, disposant de crédits suffisants, n’ai pas encore été organisé au sein de ce même département. »(ASOM)

 A la lecture de ces textes, le lecteur constatera qu’en 1930, à la veille de la fameuse exposition de 1931, aucun chef d’orchestre n’existait pour la propagande coloniale, contrairement aux assertions de l’historienne, qu’il n’existait pas de service de propagande au sein du gouvernement, et qu’un rapporteur du budget des Colonies constatait à la fois l’insuffisance notoire de la propagande et le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies. Il faudra attendre les années 1937 pour qu’il y soit remédié, mais dans une conjoncture tout à fait particulière, celle de l’avant-guerre. En rappelant que la fameuse Agence générale a été supprimée, sans être remplacée, entre 1934 et 1937 !

            Comment ne pas se poser la question des sources historiques de l’historienne et de ses interprétations erronées, pour ne pas utiliser un mot plus fort. L’Agence n’a jamais été, en tout cas jusqu’en 1931, une « machine à informer et à séduirel’épicentre de l’information coloniale », ou alors un petit épicentre, l’Agence n’a jamais « inondé », elle n’a jamais été capable de « manipuler l’opinion ou de marteler un discours », ni « de fabriquer du colonial », et n’a jamais eu de « stratégie ».

            Il n’y a pas eu de « réseau tentaculaire d’individus, de marchands d’influence que sont les journalistes », et contrairement au dire de l’historienne, «  l’ensemble de cette propagande savamment organisée (n’) a (pas) contribué à bâtir une chape de plomb qui rendit impossible la faculté de penser le réel  de la domination coloniale. »

 Comment une telle chose aurait-elle été possible ? Alors que les agences déployaient une activité qui avait plus avoir avec le travail d’une représentation diplomatique ou d’une agence d’information, dont le rapporteur du budget des Colonies reconnaissait qu’elle n’était pas suffisante en matière de propagande, et cela jusqu’en 1931.

            Les agences firent un travail remarquable de documentation générale et économique sur les territoires qu’elles représentaient, mais s’agissait-il de propagande ?

            Et il est à peu près certain que les hommes politiques de cette époque ne donnaient pas le même sens au mot propagande que nous, comme indiqué en début de chapitre.

            Et pour l’anecdote, et au sujet d’un commentaire de l’historienne à propos d’une brochure dédiée, en 1928, à Léon Perrier, ministre de la Propagande coloniale (IC/84) : Léon Perrier fut effectivement ministre des Colonies entre 1925 et 1928, mais aucune trace de l’appellation Lemaire ! En tout état de cause, son efficacité n’aurait pas été très grande, compte tenu de la teneur des observations qui ont été faites plus haut.

Des crédits de propagande crédibles ? Dans une échelle de grandeurs crédible ? Encore non !

 Nous allons à présent nous intéresser aux budgets de l’agence générale et des agences économiques des colonies, afin de mesurer leur capacité financière d’action en matière de propagande coloniale, car comme nous l’avons déjà relevé, les agences développaient une activité variée, et l’examen rapide de leurs budgets permettra de démontrer que les crédits de propagande étaient infiniment modestes.

            Les subventions des agences  à la presse métropolitaine et coloniale feront, plus loin, l’objet d’un examen particulier, compte tenu de leur caractère sensible, et de l’interprétation qu’en donne l’historienne.

            Tout d’abord, les crédits de l’agence générale des colonies : il faut rappeler que le budget de l’agence générale était alimenté par les budgets des colonies, ainsi que les budgets des différentes agences économiques, AOF, AEF, Indochine, Madagascar, et territoires sous mandat. Cela ne coûtait donc pas trop cher au contribuable de métropole, et donc au budget de l’Etat !

            En 1923, le budget de l’agence générale était de 1,3 million €, et en 1926, quasiment du même montant (FM/408). Le budget de l’agence ne représentait pas plus de 0,09 % du budget du ministère des Colonies, soit 142 millions €, et plus de 95% des recettes de son budget provenaient des contributions des colonies associées à chacune des agences économiques. Le budget du ministère des colonies représentait lui-même 0,007 % du budget de fonctionnement de l’Etat. (Archives/Finances)

            En 1926, les budgets de l’Indochine, de l’AOF, et de Madagascar, y contribuaient respectivement pour 416 224 €, 370 480 €, et 268 137 €.

                        En 1926, l’essentiel du budget de l’agence était consacré aux dépenses de personnel, et le budget des ports de commerce correspondait à 38% du budget de l’agence.

            Indiquons au lecteur, que le crédit dédié à la propagande coloniale, participation aux foires, expositions et conférences se montait alors à 10 540 €. Vraiment pas de quoi inonder le pays de propagande coloniale ! (FM/Agefom/408, chap.16 du budget).

            Rappelons que le commerce extérieur de la France en 1930 (exportations, plus importations) était de 17 500 millions €, dont pour le commerce colonial, polarisé sur l’Algérie, 2 891 millions €. (Empire colonial et capitalisme français, J.Marseille)

            La propagande coloniale au sens strict représentait une fraction infinitésimale du commerce extérieur, dans l’ordre des fractions de millièmes, même en comptant la totalité des crédits de la fameuse agence omniprésente.

            En 1937, année au cours de laquelle le gouvernement décida d’intensifier la propagande coloniale, le budget de cette propagande était de 1,9 million €  (FM/Agefom/908), à comparer au chiffre du budget du ministère des colonies, soit 0,005 % de 360 millions € (Archives/Finances). Le ministère lui-même représentait 0,016 % du budget de fonctionnement de l’Etat.

            L’ensemble de ces chiffres situe les ordres de grandeur que l’historien est bien obligé de prendre en compte pour porter un jugement historique sur la propagande coloniale.

            Examinons à présent les budgets des agences économiques pour mesurer leur poids relatif sur le plan financier et économique, et voir la part qu’elles accordaient au poste documentation propagande.

            En 1933, le budget de l’agence de l’AOF était de 681 000 €. Le poste publicité et propagande se montait à 76 000 €. Sur ce crédit, les subventions  à la presse de métropole étaient de 56 000 €. Le montant du budget de l’agence représentait 5,6% du budget de l’AOF, ce qui n’était pas négligeable pour la fédération, mais beaucoup moins significatif sur le plan métropolitain. (FM/Agefom/744)

             Pour donner un exemple, en 1931, année de l’exposition coloniale, la Ville de Paris avait consacré plus d’un million d’euros à ses réceptions, fêtes et cérémonies, à comparer au 1,2 million € de l’agence de l’AOF. Le budget de la Ville était alors de plus de 2 milliards €.

            En 1934, le budget de l’agence de l’AEF était d’environ 524 000 €, dont 83 000 € pour la propagande et les expositions, et le budget de la fédération était de l’ordre de 57,7 millions d’euros, soit 9,9% du budget fédéral, un chiffre relativement important, mais qui marquait à la fois le besoin de cette fédération de se faire connaître, et la disproportion existant dans l’échelle des valeurs entre métropole et colonies. (FM/Agefom/408 et 901)

            Ces budgets étaient sans commune mesure avec les budgets métropolitains, même s’ils pouvaient faire illusion dans leur rapport avec les budgets coloniaux. Nous allons confirmer cette appréciation dans notre analyse des subventions à la presse et démontrer que la presse métropolitaine et coloniale n’était certainement pas en mesure de propager la bonne nouvelle coloniale grâce aux subventions qui lui étaient versées par les agences économiques des colonies.

            Nous ne reviendrons pas sur les affirmations trompeuses de l’historienne quant au rôle et à l’efficacité de l’Agence dans les années 1871-1931, dans Culture coloniale, alors que nous avons vu qu’elle n’avait existé qu’à partir de 1919, et que son activité était loin d’être à la hauteur des jugements rétroactifs et anachroniques de l’historienne.

            Comment est-il possible d’écrire dans ce livre au sujet de cette Agence, et pour la même période :

            « Elle fut par conséquent l’un des plus grands outils fédérateurs de l’opinion publique. » (CC/142)

            Et grâce à elle : « Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était elle parfaitement intériorisée. » (CC/147)

            La presse a-t-elle fait œuvre de propagande coloniale ?

  Dans le livre suivant, Culture impériale, et pour la période 1931-1961, même discours de l’historienne :

            « C’est la raison pour laquelle l’apogée colonial des années 1930 se traduit par une véritable promotion de l’idée impériale menés par la République, via son agence de propagande officielle, et largement relayée au sein de la société par le monde scolaire ou d’autres acteurs, en particulier la presse ou le cinéma. » (CI/45)

            L’historienne rappelle que l’Agence générale des colonies avait disparu, sans en donner la période, c’est à dire entre 1934 à 1937, année de création par le Front Populaire du Service Intercolonial d’Information et de Documentation.

            L’historienne donne l’exemple de la presse comme indice de « l’intrusion de l’Empire dans les foyers métropolitains »au cours de ces années, et cite une liste de journaux qui, à la fin des années 1930, étaient destinataires d’articles et de subventions, en écrivant :

            « Cette énumération est loin d’être complète, mais elle révèle l’importance de l’emprise propagandiste sur l’information écrite, qu’elle soit strictement coloniale ou à vocation plus générale, le rapport des montants de subvention étant à peu de choses égal, ce qui atteste de la volonté de toucher le plus large public et non pas seulement une partie de la population déjà sensibilisée. Ainsi avons-nous pu relever cent soixante dix titres différents qui ont été subventionnés sur les fonds de la propagande coloniale officielle entre 1936 et 1938. Autant dire que ce vaste panel a largement contribué à l’ancrage de l’élément colonial au sein de la société  française, puisqu’on retrouve aussi bien les grands quotidiens ou hebdomadaires de la presse générale ou « coloniale » que les journaux affectant tous les genres et traitant de politique, de religion, d’économie et de finance, mais aussi d’agriculture, de cuisine, s’adressant aux jeunes, aux hommes, aux femmes et à toutes les catégories professionnelles. » (CI/51,52)         

 Littérature que tout cela ! En donnant l’illusion de la précision intellectuelle et en osant une conclusion historique hardie, une de plus, celle de « l’ancrage  de l’élément colonial au sein de la société française ! » Rien de moins !

 Le lecteur est donc invité à  confronter un tel discours aux pièces à conviction des archives.

            La liste de journaux fournie est, à quelques différences près, conforme au procès verbal du 29 janvier 1937 et aux suivants de la commission ministérielle qui se réunissait pour attribuer des subventions aux journaux. La liste citée correspondait en gros à moins de la moitié du lectorat de la presse parisienne, et au quart de la presse parisienne et provinciale, cette dernière faisant jeu égal avec la presse parisienne en tirage. Ce n’était évidemment pas mal, mais que représentaient ces subventions pour ces journaux, car il faut donner à la fois donner quelques chiffres et rappeler le fonctionnement administratif du système des subventions.

            En 1928, deux commissions  centrales furent créées, l’une pour attribuer des subventions à des établissements métropolitains de propagande coloniale, directement ou indirectement, les comités de propagande coloniale, la deuxième aux journaux. En 1930, l’attribution des subventions aux journaux et revues fut rendue à l’initiative des gouverneurs généraux et gouverneurs, en précisant qu’il s’agissait des crédits prévus aux budgets locaux pour la propagande coloniale effectuée dans la métropole. (FM/Agefom/412-Circulaire ministérielle du 16/04/1935)

            Les deux commissions étaient composées de représentants du ministère et des agences économiques des colonies et territoires.

            En 1937, la presse coloniale proprement dite, c’est-à-dire spécialisée, reçut au total 184 000 € pour onze titres (FM/Agefom/412, PV du 29/01/37).

            Les budgets des colonies y contribuèrent pour les montants suivants :

            Indochine :      37 000 €

            AOF :             63 382 €

            AEF :             33 346 €

            Madagascar : 37 130 €

            Territoires :   13 142 €

            D’après le procès verbal du 26 février 1937, et pour 1936, le total des subventions attribuées à la presse coloniale et à la presse métropolitaine avait été de 555 000 €, le budget prévu pour 1937 étant quasiment identique.

            Dans le même procès verbal, on relève que le crédit de subvention prévu en 1937 pour les établissements de propagande était de 233 000 €.

            Situons à présent ces chiffres dans des échelles de grandeur économiques ou financières crédibles, avant de les situer dans le contexte du financement concret de la presse de cette époque, et sans doute encore de la nôtre.

            Tout d’abord par rapport au commerce extérieur des colonies et territoires avec la France. (Revue Economique Française, p.127)

            Ces subventions représentaient par rapport au chiffre du commerce extérieur de 1936, 0,46% pour l’Indochine, 0,82% pour l’AOF, et 1,20% pour Madagascar, ce qui n’était pas considérable en matière de propagande, pour ne pas dire de publicité publique, par rapport aux chiffres d’affaires de leur commerce extérieur avec la métropole.

            Il convient de rappeler que le commerce du Maghreb, Algérie, Maroc, Tunisie, représentait à lui seul, pas loin de la moitié du commerce de la France avec l’Empire.

            Il n’est pas superflu non plus de se poser la question de savoir s’il s’agissait de propagande coloniale ou de publicité pour des produits coloniaux, car l’historienne entretient à ce sujet une confusion complète.

            Le lecteur verra plus loin confirmées  les observations faites par les experts sur le peu de coopération que la grande presse manifestait pour la propagande coloniale, et sur le fait que, sans subvention, la presse coloniale aurait disparu.

            Mais il nous faut à présent aller au cœur du fonctionnement concret de la presse de l’époque.

            Citons tout d’abord un extrait des conclusions du Colloque de 1993 qui atteste de la profonde méconnaissance du milieu concret de la presse par certains historiens, de la candeur aussi, et la sous-évaluation de la paresse journalistique :

            « Quel a été le rôle du Parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré, par exemple, que le Parti colonial ou l’Agence de France d’outre-mer pour le ministère des Colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse. »  (C/145)

            Mais beaucoup de journalistes ont toujours trouvé plus facile de reproduire purement ou simplement les papiers qu’on leur fournissait gratuitement, quitte à leur donner un léger coup de patte, que de rédiger eux-mêmes leurs articles. Communiqués officiels ou non, dépêches d’agences, ont toujours été les bienvenus dans beaucoup de journaux. Même de nos jours, combien de journaux ne font qu’adapter des dépêches de l’agence France Presse ou Reuters au goût du journal ?

            Les procès verbaux de la commission citée plus haut font état à la fois de subventions et de rémunérations de correspondants des journaux.

            L’historienne Lemaire relève cette situation dans ses contributions, mais elle était loin d’être surprenante, compte tenu de la grande difficulté que les gouvernements rencontraient pour faire passer de la propagande coloniale dans leurs journaux, comme le notait plus haut l’historien Ageron.

            Il faut citer in extenso un extrait du projet de circulaire du ministre des Colonies, Marius Moutet, celui auquel, effectivement, l’historienne aurait pu donner le surnom de ministre de la Propagande, extrait qui ne figure pas dans le texte officiel de la circulaire n° 1294 du 11 mai 1937, laquelle valait instruction aux gouverneurs généraux et gouverneurs pour la propagande coloniale, texte sur lequel nous reviendrons.

            Le rédacteur du projet de circulaire écrivait :

            « Venons-en à la question de la presse proprement dite. C’est peut être la plus délicate de toutes… qu’il s’agisse d’abonnements ou de subventions, il serait puéril de dissimuler que la presse coloniale éditée en France tire la plupart de ses ressources de nos contributions budgétaires, et que la presse métropolitaine, pour autant qu’elle veuille bien s’intéresser aux questions coloniales, considère comme une contre partie nécessaire le fait de recevoir, de vos budgets, sous une forme ou sous une autre, un concours financier, et d’évoquer le témoignage d’un gouverneur général des colonies qui écrivait : « j’ai la tristesse de constater que les journaux considèrent nos subventions comme une sorte de tribut rendu en hommage à leur puissance et ne comportant aucune obligation de leur part. » (FM/Agefom/908)

 Dans sa circulaire ministérielle du 11 mai 1937, le ministre donnait les raisons de la création du nouveau Service Intercolonial d’Information :

            « L’information, l’éducation coloniale du peuple français est une nécessité…On s’est installé dans des habitudes administratives, l’action de la propagande reste modeste, traditionnelle, habituelle ;…Il faut enfin, faire prendre à notre pays, à notre population toute entière, jusque ses couches profondes, jusque dans sa spontanéité populaire, conscience de sa valeur coloniale ou plutôt de sa mission d’enseignement des peuples attardés, il faut révéler à la France sa famille humaine toute entière dans sa multiple variété, dans son étroite solidarité… Certes le dessein est vaste, généreux, il requiert désintéressement, foi, vocation et l’effort d’une génération, mais en traçant le chemin, en marquant la direction, nous aurons amorcé une oeuvre qui se réalisera avec certitude. » (FM/Agefom//908)

 En mai 1937, il ne semblait donc pas que la situation de la propagande coloniale fut celle décrite par l’historienne, c’est-à-dire mirobolante, alors qu’il restait moins de trois ans avant le début de la deuxième guerre mondiale, qui allait tout changer et tout bouleverser.

            Notons en passant que le discours Moutet n’avait pas beaucoup évolué par rapport à celui de Jules Ferry.

            La circulaire en question fixait des objectifs à atteindre dans plusieurs domaines, la presse, la radio, la documentation photographique, le cinéma, objectifs qui furent poursuivis par le régime de Vichy et la Quatrième République, mais la France était alors entrée dans un autre monde, un nouveau monde

            La consultation de ces sources montre qu’il n’est pas possible de prendre au mot les propos et jugements péremptoires de l’historienne, qui ne correspondent absolument pas à la réalité historique de l’époque.

            Complétons cette analyse critique en proposant un éclairage sur le fonctionnement concret de la presse entre les deux guerres, à partir notamment des analyses de l’Histoire Générale de la Presse (PUF 1972).

            Dans le monde d’aujourd’hui comme dans celui de l’entre deux guerres, et compte tenu de son influence, la presse n’a jamais été une société de blancheur et de candeur. Les journaux étaient toujours à la recherche à la fois de lecteurs, et aussi de sources de financement complémentaires, publicité, subventions ou fonds secrets.

            En 1892, le scandale de Panama  avait montré dans toute son ampleur les subventions occultes versées aux journaux, et le Trésor russe n’avait pas ménagé son soutien à la presse française pour faciliter le placement des fameux emprunts russes en 1905.

            Entre 1919 et 1939, les journaux continuèrent à solliciter des soutiens financiers d’origine diverse. L’usage des fonds secrets se perpétuait : en 1933, le journal de Briand recevait une subvention mensuelle de 56 000 euros, soit un total annuel de 672 000 euros, montant supérieur au crédit de 550 000 euros que nous avons cité plus haut pour le total des subventions  à la presse métropolitaine et coloniale. (HGP/p, 488)

            Dans les années 1930, le gouvernement grec versa des subventions à la presse française, au Figaro, et au Temps.

            Quel que soit l’angle de l’analyse, on voit bien que les budgets consacrés à la propagande coloniale n’étaient pas à la hauteur des enjeux : presque anodins en ce qui concerne la presse métropolitaine, et transfusionnels pour la presse coloniale, dont les tirages étaient modestes, avec des résultats très mitigés, pour ne pas dire négligeables sur l’opinion publique.

            Arrêtons- nous encore un instant sur un cas concret, celui du Petit Parisien, cité par l’historienne. D’après les procès verbaux de la commission officielle, ce quotidien reçut une subvention de 39 000 € en 1937. Le prix de vente au numéro était en 1937 de 0,52 €, ce qui correspondait  à l’achat officiel de 75 000  numéros, alors que le tirage quotidien de ce journal était de l’ordre du million. Donc une contribution anecdotique, pour ne pas dire anodine !

            Rapporté au chiffre d’affaires annuel du quotidien, cette subvention était purement homéopathique.

            Notons enfin qu’aucune démonstration statistique n’est faite en ce qui concerne la place concrète, c’est-à-dire la surface des articles de la grande presse consacrés aux questions coloniales par rapport à la surface totale, et le contenu qualitatif des articles, c’est-à-dire, favorable, défavorable, ou neutre en ce qui concerne ces mêmes questions.

            Le lecteur aura donc pu se convaincre de la distance qui sépare les propos outranciers de l’historienne et la réalité historique : on voit mal avec l’organisation décrite, les budgets dédiés à la propagande coloniale, comment la Troisième République aurait pu réussir à fabriquer du colonial, à convaincre les marchands d’opinion, à obtenir le ralliement populaire au credo colonial. Non, vraiment, trop c’est trop, c’est vouloir faire prendre aux Français des vessies pour des lanternes historiques !

            Et pour raccorder la propagande ou la publicité du passé avec le présent, indiquons que les fournisseurs d’accès à internet ont fait, en fin d’année 2006, des campagnes de publicité qui ont été chiffrées de 9 millions à 27 millions d’euros.

En contrepoint, un grain … de riz et un grain …d’histoire !

Exemple caricatural d’un effet de loupe historique, c’est-à-dire d’un sophisme historique

 Ouf ! Nous avons échappé à la publicité d’Uncle Ben’s et à l’Empire américain dans nos assiettes !

            Mais le lecteur n’échappera pas à notre travail de décorticage du riz indochinois !

            Dans le livre Culture Impériale (CI/75), l’historienne nous livre, sous le titre Manipuler : A la conquête des goûts, son analyse de la propagande impériale à travers quelques cas de produits coloniaux, le thé et le riz, avec pour le riz un sous-titre ravageur :

            « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits «  (CI/82)

            Rien de moins ! Et dans sa conclusion :

         « De toute évidence, au cours des années 1930-1940, la propagande a accaparé les Français dans leur vie quotidienne et tenté de faire passer l’idée coloniale de la pensée aux actes. Cette démarche n’était pas neutre puisqu’elle visait à imposer la notion de France impériale dans les pratiques journalières afin de nouer puis de consolider les liens avec l’Empire, avec les « autres » France. Leur consommation aujourd’hui banalisée, constitue l’un des indices de cette culture impériale qui a imprégné pour toujours, jusque dans les assiettes, les mœurs et les habitudes quotidiennes des Français. » (CI/91)

          Je ne sais si Madame Lemaire a interrogé ses parents à ce sujet, mais je n’ai moi-même conservé aucun souvenir d’avoir vu du riz dans mon assiette. Alors faut-il faire appel à mon inconscient ? Mais allons à présent au fond des choses.

            L’historienne rappelle qu’un comité du riz a été créé en octobre 1931, et que celui-ci « avait choisi d’aller à la rencontre des Français afin de transformer leurs goûts et de les « convertir » au produit. Or la seule façon de faire connaître un produit dont on ignore la saveur était d’offrir au maximum de personnes la possibilité d’en consommer avec la préparation adéquate. Ainsi le Comité a-t-il consacré une large part de son budget à cette tactique. »

            Il lui fallait aussi « Façonner les goûts des jeunes consommateurs (CI/87)… Les jeux n’échappaient pas à la stratégie globale. Un très bel exemple nous est donné par un jeu de l’oie, pour la réalisation duquel une somme de trois cents mille francs sur le budget de 1932 fut accordée à hauteur d’un million d’exemplaires. Il était porteur de l’ensemble des messages de la campagne… Ce jeu a connu une diffusion importante dans la mesure où un demi- million d’exemplaires ont été distribués dans les principales écoles primaires des trois cent cinquante villes de France ayant une population supérieure à dix mille habitants. » (CI/88).

 Plus loin, l’historienne écrit : « En effet, au-delà de la publicité commerciale, la propagande était décelable dans les orientations politiques des slogans…. La marque de l’idéologique était prégnante et le slogan transformait alors le programme politique en énoncé. « (CI/89)

 Le décorticage du riz

 L’historienne est beaucoup plus avare de chiffres que de paroles : les seuls cités concernent le fameux jeu de l’oie, 300 000 F en 1932, soit 150 000 € (2002).

            Rappelons que le budget de l’agence économique de l’Indochine était de plus de 416 000 € en 1926, et que sur cette base l’opération jeu de l’oie aurait coûté 36% de son budget, ce qui n’est pas démesuré, compte tenu du poids considérable du riz dans les comptes de l’Indochine, aussi bien pour le budget fédéral que pour son commerce.

            Rappelons également qu’en 1937, la même agence consacra 37 000 € à la seule presse coloniale. Dans les années 1929-1930, le budget de l’Indochine était de l’ordre de 730 millions €, dont plus de la moitié des ressources provenait du commerce du riz.

            150 000 € par rapport à 730 millions €, cet effort de publicité était négligeable.

            Quant au chiffre qu’il représente par rapport au chiffre du commerce extérieur total (importations  et exportations de l’Indochine, la conclusion est également éclairante, 150 000 € par rapport à 646 millions € en 1935, ou à 902 millions en 1936, dont 278 millions pour les exportations. Alors que le riz représentait entre 30 et 40% du montant des exportations.

            Il n’a pas toujours été possible de faire des comparaisons à même date, mais les écarts sont tels qu’ils ne sont pas de nature à mettre en cause cette démonstration.

            Car ce que ne dit pas l’historienne, c’est que le riz revêtait une importance capitale pour l’économie et la vie même de l’Indochine, confrontée en permanence aux aléas de la conjoncture internationale du commerce du riz, de la concurrence des autres pays asiatiques, et en métropole, à celle du blé dont le prix venait en concurrence de celui du riz. (Le commerce franco-colonial-R.Bouvier-1936)

            Entre 1929 et 1933, les cours du riz s’effondrèrent et provoquèrent une grave crise économique, financière et humaine en Indochine. Il y avait en effet beaucoup de petits producteurs de riz en Cochinchine et au Tonkin. Il était donc vital pour l’Indochine de tenter de maintenir ses exportations, notamment vers la France, et grâce à ses efforts, la fédération réussit à y accroître ses exportations, passées de 222 000 tonnes en 1929 à 605 000 tonnes en 1933. (Bourbon-1938)

            Mais le lecteur sera sans doute intéressé aussi par un petit complément d’information, le fait que le riz indochinois n’allait pas dans les assiettes, mais était un aliment de la volaille et du bétail pour 95% du total. Il fallait donc bien un effort de publicité pour convaincre le consommateur français que le riz valait la peine d’être consommé, d’autant plus que le riz indochinois était réputé pour ses défauts de qualité, comparé à des riz étrangers.

            Ajoutons enfin, pour que le contrepoint soit complet que les importations de riz indisposèrent les syndicats de défense du blé, et qu’il n’en s’est fallu de peu qu’une loi soit votée en 1934 en vue de contingenter son importation, car il venait en concurrence avec le blé français. (Pigourier-1937)

            Petite illustration, aussi, des bienfaits de la politique coloniale de la France !

            Le grain de riz est donc bien l’exemple caricatural d’une méthodologie historique complètement défaillante, laquelle n’hésite pas à monter en épingle un exemple, en le sortant de son contexte historique, et en l’absence d’une mise en perspective économique et humaine à l’époque considérée, dans le sillage de la grande crise mondiale de 1929.

            Mais grain de riz, ou cerise sur le gâteau, il pourrait en être du sexe du riz, à savoir s’il s’agit de publicité ou de propagande, comme du sexe des anges, et que dans ce cas de figure, le joueur de l’histoire de ce jeu de l’oie serait au choix, tombé dans le puits, mis en prison, ou revenu à la case de départ.

La propagande coloniale ne serait-elle pas aujourd’hui largement dépassée par une autre propagande ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

SUPERCHERIE COLONIALE – INTRODUCTION

Supercherie Coloniale

INTRODUCTION

Les caractères en gras sont de ma responsabilité

            L’analyse critique à laquelle nous allons procéder porte sur l’histoire coloniale de la France entre 1870 et 1962.

Un petit flash-back historique nécessaire

           Comme au cinéma, puisque nous sommes aussi dans le domaine des images, procédons à un rapide flash back historique que le lecteur conservera utilement dans sa mémoire pour se faire une opinion, à chacune des époques considérées, sur les discours du collectif de chercheurs dont nous allons critiquer les travaux.

       Années 1880-1914 : la période des grandes conquêtes coloniales de la Troisième République, dans le sillage de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace Lorraine.

       Première guerre mondiale 1914-1918, la boucherie : la France fit appel aux troupes indigènes de l’Empire. Cette guerre mit en péril les forces vives de la nation, beaucoup plus mobilisées, dans les quelques vingt années qui la séparèrent de la deuxième guerre mondiale :

           1) par la reconstruction du pays,

           2) par la lutte contre les effets de la grande crise économique de 1929,

           3) et enfin, par la menace de l’Allemagne hitlérienne et du communisme soviétique,

           4) que par la consolidation d’un empire colonial.

        Deuxième guerre mondiale-1939-1945 : une période très ambiguë avec l’affrontement  entre de Gaulle et Pétain, et le rôle stratégique que se trouva jouer l’Empire, un Empire disputé par les deux camps. La France fit à nouveau appel aux troupes de l’Empire.

      Après la Libération de son territoire, la France fut une fois de plus occupée à  se reconstruire, à se refaire une santé nationale, et fut dans l’incapacité de faire évoluer l’Empire vers une Union Française toujours introuvable, et de plus en plus introuvable avec les insurrections encore circonstanciées de Sétif, puis beaucoup plus graves de Madagascar et d’Indochine, et enfin par la guerre d’Algérie, conflit de toutes les ambiguïtés de la France.

        Nous veillerons donc à mener notre analyse toujours dans le respect de ces temps historiques, car il est impossible de mettre sur le même plan les images et les textes de ces différentes époques.

      Comment comparer en effet la propagande par images de Vichy, pendant l’occupation allemande, alors que l’Empire était devenu le champ clos de toutes les luttes franco-françaises et alliées, avec celle des années, 1900, 1930 ou 1950, à supposer, ce qui est loin d’être démontré, comme nous le verrons, qu’il y ait eu alors une véritable propagande ?

         Les ouvrages en question– Notre analyse porte sur les ouvrages suivants, car il faut bien appeler un chat un chat ! Chaque fois qu’ils feront l’objet d’une citation, ils seront rappelés par les lettres en gras qui figurent entre parenthèse.

        Actes du Colloque « Images et Colonies » (C) des 20 au 22 janvier 1993. Images et Colonies (IC) (1993), Thèse Blanchard (TB)(Sorbonne-1994), Culture Coloniale (CC)-(2003), La République Coloniale (RC) (2003), Culture Impériale (CI)(2004), La Fracture Coloniale (FC) (2005), L’Illusion Coloniale (IlC)(2006)

       Trois historiens ont largement contribué à la conception et à la rédaction de ces ouvrages et développé la thèse que nous contestons, Pascal Blanchard, le principal animateur et rédacteur, Nicolas Bancel, et Sandrine Lemaire. Françoise Vergès (docteur en sciences politiques et professeur à l’Université de Londres) a été associée à la rédaction de République Coloniale.

      Les Actes du Colloque (janvier 1993) – L’ambiguïté des propos et donc, de l’objet des études, marque dès le départ l’introduction des Actes du Colloque (Blanchard et Chatelier).      

      Alors que ses rédacteurs indiquent que l’examen n’a porté que sur « une quarantaine d’illustrations (p13), alors que  la production iconographique du XXème siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation exacte reste à faire (p13), tout en veillant à  ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion « (p14), les auteurs n’hésitent pas à écrire que le temps colonial se réapproprie le présent, que l’image fut l’allié puissant du colonialisme, »

      Et que :

     » Cette multiplication des images coloniales et la variété de leurs supports, évoquant un véritable bain colonial… » (p14).

       Et nous voilà plongés, en dépit de ces incertitudes et de ces approximations, dans  le bain colonial, dont les enjeux ne sont pas aussi limpides que ceux du célèbre bain biblique de la chaste Suzanne!

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il convient de penser de ces affirmations audacieuses, tout en montrant qu’au cours de ce fameux colloque toutes les contributions se rapportant aux différents supports d’information ou de culture, et tant s’en faut, n’ont pas fait preuve de la même belle et imprudente assurance historique.

     Le deuxième ouvrage passé au crible est Images et Colonies (fin 1993). Beau travail de collecte d’images coloniales, mais la question qu’il pose est de savoir si son contenu apporte la preuve du discours tenu par ses responsables.

       Images et Colonies– L’avant propos annonce la couleur, haut et fort (Blanchard).

       D’abord dans son titre : « Il est temps de décoloniser les images « (p.8)

      Et dans le texte une succession d’affirmations péremptoires sur l’importance des images coloniales et sur leur influence.

     « Nous avons travaillé sur les images vues par un large public français à l’époque coloniale de la fin du XIXème siècle aux indépendances… à force de diffusion et de matraquage, un message de propagande…Aujourd’hui encore ces images restent présentes dans la production iconographique …comment les Français ont pu être séduits et/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande…pour comprendre les phénomènes contemporains … son groupe de recherches a recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’ACHAC à la Bibliothèque Nationale  en janvier 1993. »

          Il s’agit du Colloque évoqué plus haut.

      La thèse Blanchard intitulée Nationalisme et Colonialisme (Sorbonne 1994)– Idéologie coloniale, Discours sur l’Afrique et les Africains de la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale.

        Le lecteur aura remarqué que la recherche historique est très limitée dans son champ idéologique et chronologique, et qu’il n’est pas du tout question d’images coloniales. L’auteur a fait porter ses efforts sur la presse, et nous reviendrons sur le contenu de cette thèse à l’occasion du chapitre que nous consacrons à l’analyse du support d’information et de culture qu’est la presse.

         Culture Coloniale (2003)– Cet ouvrage a la prétention de démontrer que la France a eu et a encore une culture coloniale. L’avant propos (Blanchard et Lemaire), intitulé « La constitution d’une culture coloniale en France », énonce tout un ensemble d’affirmations et de postulats.

      « Cette culture devient un corps de doctrine cohérent où les différents savoirs sont assemblés… On distingue trois moments dans cette lente pénétration de la culture coloniale dans la société française : le temps de l’imprégnation (de la défaite de Sedan à la pacification du Maroc), le temps de la fixation (de la Grande Guerre à la guerre du Rif) et le temps de l’apogée (de l’Exposition des Arts décoratifs à l’Exposition coloniale internationale de 1931) (p.7)…

        Comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir…mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel (p.8) …L’instrumentalisation étatique de la culture coloniale. Très vite le cinéma et l’image fixe renforcent et diffusent le bain colonial auprès de l’ensemble des populations (p.13)…

     Une culture coloniale invisible (p.16)… un tabou (p.17)…l’amnésie coloniale (p.19). Dès les années 1880 : une iconographie univoque, multiple et omniprésente. Ces images véhiculées par les médias de masse (p.23)…

    La colonisation outre-mer n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française (p.25)

     Pour autant la culture coloniale aura fait son œuvre, aura tissé sa toile, aura touché les consciences et marqué les esprits. Elle aura surtout contribué à faire la France des Trente glorieuses et celle des générations suivantes (p.32).

     L’indigène au cœur de la culture coloniale. « (p.33)

       1931 ou l’acmé de la culture coloniale… dans le pays. Celle-ci est maintenant établie, omniprésente, diffuse, et a sans aucun doute trouvé son rythme de croisière au moment où l’empire semble basculer vers un autre destin « (p.35)

      « La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale (p.36)

       Loin d’être des aventures lointaines, les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française (p.39).

      L’ensemble de ces affirmations montre que leurs auteurs n’ont décidément pas froid aux yeux en leur qualité d’historiens, d’autant plus qu’ils se sont refusés au départ à proposer une définition de leur objet d’étude :

      « Pourtant essayer de donner une définition de la culture coloniale c’est entrer dans un champ théorique et abstrait qui n’est pas l’objet de notre démarche tant la notion de culture de masse est déjà complexe, comme le montre un ouvrage récent. » (p.8)

       Dans de telles conditions, de quoi allons-nous parler exactement, cher lecteur ?

      La République Coloniale (2003)- (Blanchard, Bancel, Vergès – une écriture à trois p.9).   

   Tel que décrit dans la préface de la nouvelle édition, l’objet de l’ouvrage dérive par rapport aux livres que nous venons de citer. Nous passons de la culture coloniale, à la République Coloniale, mais très précisément au pourquoi, d’après les trois auteurs, de la situation actuelle de la France dans son rapport avec les populations d’origine coloniale.

      La situation qu’ils décrivent : «  Présence de la colonisation pour des centaines des milliers de jeunes Français qui subissent inégalités et discriminations (p.II)… ce retour du refoulé (p.III)…il existe un impensé dans la République » (p.III). En n’écoutant pas les oubliés de l’histoire, « on prend le risque de voir tous les révisionnismes, toutes les manipulations (p.V)… les liens intimes entre République et colonie… Pour déconstruire le récit de la République coloniale » (p.V).

        Ces quelques citations montrent que l’ouvrage esquisse une analyse qui dépasse le champ proprement historique et nous nous poserons la question de savoir si ces chercheurs ont été au delà de l’incantation idéologique.

       Des livres examinés à la loupe, c’est incontestablement celui dont l’outrance verbale et intellectuelle est la plus forte, celui qui développe toute la thématique d’idéologie historique de notre triade, le bain colonial des images, le matraquage de la propagande coloniale, l’omniprésence de l’Algérie, la généalogie existant entre culture coloniale et crise des banlieues, et pour finir, la mise en parallèle de la période de Vichy et de celle des colonies, le même type d’amnésie existant aujourd’hui pour la période coloniale, comme elle a existé pour Vichy et la collaboration.

       Culture Impériale (2004)-  Un discours également péremptoire sur les effets de la culture impériale.

       « Trois quarts de siècles plus tard, la nostalgie de cette grandeur…reste encore vivante, même si elle prend des formes ambivalentes. (p.7) La France s’immerge…imbibée naturellement (9)…C’est une véritable culture impériale multiforme qui s’impose au cours des années 1931-1961… »

       Et les auteurs de renvoyer le lecteur, comme ils le font souvent dans leurs écrits, à leurs autres écrits, ici le livre Culture Coloniale, et la boucle est bouclée, sinon le cercle vicieux !

      « Les processus par lesquels les Français sont devenus des coloniaux. Non pas des coloniaux fanatiques, ou simplement très au fait, ou encore particulièrement concernés par l’empire… mais pénétrés, imprégnés de cette culture impériale sans souvent en avoir une conscience claire, et qui sans manifester une volonté farouche de le défendre ou sans en connaître la géographie exacte, n’en témoignent pas moins de leur attachement à son égard ».(p.14)

     Donc, le tout et son contraire, et heureusement pour nos bons auteurs, « les Français imbibés consciemment ou pas de culture impériale » (p.26),  vont devoir s’en remettre aux bons soins du docteur Freud !

     La Fracture Coloniale  (2006- Sous la direction de la triade Blanchard, Bancel et Lemaire)

     Le lecteur est invité à présent à quitter les rivages d’une culture coloniale qui aurait imprégné la France en profondeur, qui produirait encore aujourd’hui ses effets, pour aborder les rives de la fracture coloniale.

       « Retour du refoulé…qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer (p.10)… la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savante (ce que l’on nommera ici une culture coloniale) (p.13). De ce champ de bataille mémoriel (p.23)… la banlieue est devenue un théâtre colonial » (p.23).

      Et nous y voilà,  le tour est joué !

     L’Illusion Coloniale (2006)- (Deroo et Lemaire) Les auteurs écrivent dans leur introduction :

       « Mais, en histoire les mythes sont des réalités, ils s’intègrent et en sont moteurs ou facteurs, lui donnent une autre résonance tout en lui octroyant une dimension supplémentaire. De la sorte, si la colonisation s’est insérée dans la vie quotidienne des Français -bien que la majorité d’entre eux ne soit jamais allée et n’ira jamais outre-mer- elle ne représente qu’un rêve certes basé sur le concret de l’acte colonial mais élaboré par des images flatteuses de l’action nationale aux colonies » (p.1)

       Ce texte confus reprend l’idée d’une colonisation  insérée dans la vie quotidienne, et énonce l’existence d’un rêve…élaboré par des images flatteuses…

        « C’est la mise en place progressive de cette perception, de cette illusion que nous nous sommes attachés à restituer dans cet album…iconographies et extraits de documents variés révèlent un imaginaire qui n’en finit pas de ressurgir quotidiennement à  travers le tourisme…Les interrogations sur l’avenir de celle qui se proclama longtemps : « la Plus grande France » et de ceux qui se revendiquent amèrement les «  indigènes de la République ». »

      La thématique essentielle est là, un imaginaire qui sommeille et qui ressurgit pour produire encore des effets sur la situation intérieure française. Sommes-nous en présence d’un travail historique ou d’une construction idéologique qui surfe sur la vague médiatique des images d’un ouvrage de luxe, qui est un beau livre d’images?

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il faut penser de ces théories historiques et idéologiques, mais le lecteur a déjà conscience de la généalogie de ces travaux, terme que ces historiens aiment bien utiliser pour expliquer la généalogie clandestine des phénomènes examinés,  les travaux passant successivement, à partir des images, et des sources que nous avons citées, essentiellement le Colloque, le livre Images et Colonies, et la thèse Blanchard, d’une culture coloniale indéfinie, invisible mais en même temps prégnante, impensée mais en même temps bien présente, sans doute « faite chair », comme nous aurons l’occasion de le constater, à ce que l’on appelle communément la crise des banlieues, en fournissant des aliments pseudo scientifiques aux animateurs des mouvements qui se revendiquent comme les indigènes de notre République.

      Le choix des titres de plusieurs de ces ouvrages est en lui-même le symbole de l’ambiguïté et de l’audace des discours pseudo-historiques qu’ils développent. Arrêtons- nous y un instant.

      Des titres attrape-mouches ou attrape nigauds ? Avec quelle terminologie ?

       Des titres coups de feu, sans points d’interrogation !

     Culture, qu’est-ce à dire ?

    Herriot écrivait : « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », et si cette définition est la bonne, il aurait donc fallu que notre trio de chercheurs fonde sa recherche sur le présent de la France, et que par l’utilisation de méthodes statistiques éprouvées, ces dernières nous en apprennent plus sur le sujet. Des sondages, il en pleut chaque jour !

      Et nos auteurs se sont bien gardés d’analyser en détail les différents sondages qui ont été faits sur ces sujets, les premiers datant des années 1938-1939.

    Une culture constituée de quelles connaissances, quand, partagée par qui, où, quand ?

    Fracture coloniale ? Une fracture est une rupture, une lésion osseuse formée par une solution de continuité avec ou sans déplacement de fragments, définition du Petit Robert. Comment  appliquer cette définition à notre sujet, cassure entre quoi et quoi ?

     Et à partir de quel continuum qui existerait ? Dans Culture Coloniale (p.25), ils écrivent :

    «  La colonisation « outre-mer » n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel de la construction de la nation française… »

     Mais alors, continuité ou fracture, tout en notant que le propos frôle allégrement les mystères du christianisme !

    Fracture politique, économique, humaine, linguistique ? Nous avons fait le recensement des différents sens donnés au titre Fracture coloniale dans le livre qui lui est consacré, et chacun peut y trouver son bonheur. La moitié des contributions n’apportent aucune lumière sur la nature de la fameuse fracture.

         Dans son introduction, le trio écrit :

« Pour autant, définir la fracture coloniale dans toutes ses dimensions n’est pas chose aisée » (p.13), – effectivement-, après avoir écrit (p.11), « Autant de signes qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer. »

       Et plus loin, « la fracture coloniale est née de la persistance et de l’application de schémas coloniaux à certaines catégories de population » (p.24).

       Prenons quelques cas de figure ! Une fracture politique dans le cas de la Françafrique ?  Une fracture linguistique ? Alors que la continuité linguistique est un des facteurs de l’immigration légale ou clandestine ? Une fracture coloniale ? Alors que beaucoup d’habitants des anciennes colonies, notamment de l’Algérie, mère de tous les phantasmes, émigreraient volontiers dans la patrie du colonialisme.

      Il convient donc d’aller à présent au cœur de notre sujet et d’analyser le fameux corpus d’images et de textes, ou tout simplement les sources, qui ont été l’objet de leurs études, beaucoup plus d’images que de textes, semble-t-il.

      Il s’agit des  supports d’information et de culture que nous allons analyser, support par support, et à chacune des grandes périodes historiques que nous avons rappelées dans notre flash back. Nous verrons s’ils existaient ou non, quelle était leur diffusion, et quels ont été leurs effets sur l’opinion publique à chacune des époques considérées, pour autant qu’ils aient pu être mesurés.

     Il conviendra de comparer les résultats de cette analyse avec la thèse de ces historiens. Leur analyse des images et de leurs supports est-elle crédible ou non ? Pourquoi oui ou pourquoi non ? Et des textes sources ? Avec quelle méthodologie d’évaluation, car dans ce champ de recherche, la méthode choisie est bien souvent le préalable nécessaire du sérieux de l’analyse.

     Images ou textes, images avec ou sans textes, textes avec ou sans images, des matériaux d’analyse historiques qu’il sera nécessaire d’inscrire dans une chaîne méthodologique d’interprétation: nature de l’image ou du texte, origine, date, contexte, cible choisie, tirage et diffusion, effets supposés ou mesurés sur un public, lequel ? Toutes questions qui appellent des réponses souvent difficiles, d’autant plus que cette interprétation risque le plus souvent, dans le cas des images, d’empiéter sur le domaine des sémiologues, dont le métier est précisément celui de l’interprétation des signes.

Nous examinerons successivement :

Chapitre 1- Les livres de la jeunesse : livres scolaires et illustrés

Chapitre 2 – La presse des adultes

Chapitre 3 : les villages noirs, les zoos humains (avant 1914), et les expositions coloniales (avant et après 1914)

Chapitre 4 – Les cartes postales

Chapitre 5 –  Le cinéma

Chapitre 6 –  Les affiches

Chapitre 7- La propagande coloniale

Chapitre 8 – Les sondages comme mesure de l’effet colonial sur l’opinion

Chapitre 9 – Le « ça » colonial

     Remarquons pour le moment que le seul support d’information et de culture, qui a été constant tout au long de la période coloniale est la presse nationale et provinciale. On en connaît les tirages et la diffusion, et il est possible d’en analyser les contenus. Avec la littérature, mais c’est là un sujet d’analyse et d’évaluation beaucoup plus difficile.

    Et pour guide de notre lecture critique, une recommandation de Montaigne : « Choisir un conducteur qui ait une tête bien faite plutôt que bien pleine. »

    Car nous n’avons pas l’ambition de nous substituer à l‘historien, au sociologue, au psychanalyste ou au sémiologue, mais de soumettre la thèse que défendent ces historiens, leurs affirmations, les sources qu’ils avancent, les raisonnements mis en œuvre, à la critique d’un bon sens formé aux meilleures disciplines de la pensée.

      Et nous n’hésiterons pas à appliquer le sage précepte des historiens, la citation des sources, quitte à citer nos propres sources, celles que nous avons été consulter dans les services d’archives.

      Car il serait grave d’avancer, avec des preuves et une analyse insuffisantes, une nouvelle thèse de l’histoire, qui s’autoproclame comme scientifique, et dont les propagandistes s’autorisent à  délivrer des  ordonnances de bonne gouvernance sociale et culturelle.

     Avec cette méthode de travail, nous avons un gros avantage sur les spécialistes, une liberté complète d’analyse et de propos.

      Avec l’idée que la fameuse guerre des mémoires coloniales est une affaire montée de toutes pièces par un groupuscule dont la méthodologie n’a pas grand-chose à voir avec la science historique, s’il en existe une.

            Dans le livre d’entretien que l’historien Stora vient de commettre, intitulé La guerre des mémoires, ce dernier se range sous la bannière de cette phalange d’historiens (p.33). Il s’y déclare un historien engagé (89), mais comment oser mettre sur le même plan un historien de cette pseudo guerre des mémoires, 45 ans après les indépendances et les accords d’Evian, avec d’autres figures du passé, Michelet au XIXème siècle, ou celle de l’historien Vidal-Naquet réagissant à chaud, comme intellectuel, contre les violences et les tortures de la guerre d’Algérie ? Et pourquoi ne pas citer une autre grande figure, celle de Marc Bloch, entré dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale et fusillé par les Allemands.

        Quoi de commun entre ces historiens ?

     Et comment interpréter enfin les récents propos de l’historienne Coquery-Vidrovitch sur l’historien Blanchard, surnommé d’historien entrepreneur : qu’est-ce à dire ? Il y aurait à présent des historiens du marché et donc une histoire du marché ? Avec l’Achac, association de recherche historique, soutenue par des fonds publics, et l’agence de communication toute privée Les bâtisseurs de mémoire ?

     Comment distinguer entre l’histoire « scientifique » et l’histoire « marchandise », celle des produits culturels qui surfent sur la mode médiatique des mémoires ?

     Nous avons donc l’ambition d’aider le lecteur à ne pas prendre des vessies pour des lanternes historiques.

&

Et pour une mise en bouche historique, une boulette de riz !

      Outrances de pensée et de langage, grandiloquence, l’historienne Lemaire ne fait pas dans le détail pour décrire une propagande coloniale qui aurait fabriqué du colonialtissé sa toileéduquémanipulé les citoyens français, grâce notamment à l’action de l’Agence des Colonies.

       Nous verrons ce qu’il en est exactement dans le chapitre  7 consacré à la propagande coloniale, au risque de dégonfler la baudruche.

      Pour l’instant, un mot bref sur une de ses trouvailles historiques à propos du riz indochinois et de son rôle dans la fabrication du colonial.

     Dans le livre La culture impériale, elle intitule une de ses analyses :

    « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits « (CI/82)

    Une formule magique ! Un vrai slogan de propagande, car l’analyse de l’historienne ne repose sur aucun fondement sérieux, comme nous le démontrerons.

     Il aurait vraiment été difficile pour les Français d’avoir du riz dans leurs assiettes, alors que  le riz importé, de mauvaise qualité, était destiné, pour 95%, à l’alimentation de la volaille et du bétail, et que les groupes de pression agricoles tentèrent dans les années 30, sans succès, de limiter l’importation d’une céréale qui venait concurrencer leur blé.

    Plutôt que du riz dans les assiettes, une boulette de riz historique !

    Le lecteur aura le loisir de constater que le cas du riz indochinois est typique de la méthode de travail de ce cercle de chercheurs, insuffisance d’analyse, absence d’évaluation des faits décrits, grossissement avec une grosse loupe de telle ou telle considération, laquelle, comme par hasard, vient au secours d’une démonstration creuse, et idéologiquement orientée.

     D’aucuns évoqueraient sans doute à ce propos le faux historique et la contrefaçon.

     Et pour les connaisseurs, une analyse qui n’a rien à voir avec la « Fabrique de l’opinion publique » et les « modèles de propagande » de Chomsky !

Jean Pierre Renaud

Culture coloniale ou Supercherie coloniale: la censure Delanoë?

Culture coloniale ou Supercherie coloniale : la censure Delanoë ?

Culture coloniale, culture impériale, ou supercherie coloniale ?

Pourquoi le livre « Supercherie coloniale » a-t-il été écrit ?

Un livre censuré par Delanoë ? (1)

       Afin de démontrer que la thèse développée , en termes le plus souvent boursouflés, d’après laquelle la France aurait, à l’époque des colonies, baigné dans le colonial, est une thèse idéologique, et non historique, affectée de la plus grande indigence en matière d’évaluation et de mesure statistique des supports d’une culture coloniale supposée et de leurs effets.

            Les livres qui soutiennent cette thèse ont exploité, sans vergogne, les travaux d’un Colloque scientifique organisé en 1993, sans tenir compte des questions et des réserves, nombreuses, qui se sont alors posées, quant à l’interprétation des images examinées, car il s’agissait d’abord d’images coloniales.

L’objet de ce colloque était : « Nature, discours et influence de l’iconographie coloniale liée à la propagande coloniale et à la représentation de l’Afrique en France, de 1920 aux Indépendances »

            Les études universitaires de l’auteur et sa carrière professionnelle ne l’avaient pas habitué à une telle dérive intellectuelle, et c’est en découvrant le contenu de ces livres, qu’il s’est senti obligé de revenir à des sources de culture coloniale qu’il avait abandonnées, presque définitivement après son retour de la guerre d’Algérie.

§

            Avant d’esquisser rapidement les critiques essentielles qui doivent être faites à ce discours du bain colonial, évoquons en deux majeures :

–       La parabole du riz colonial : « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (Culture impériale, page 82), écrit l’historienne Lemaire, alors que 95% du riz importé allait dans les poulaillers et les étables !

–        L’inconscient collectif  entre en scène: faute de pouvoir démontrer la réalité des faits de propagande des images coloniales et de leurs effets, ces historiens invoquent l’inconscient collectif, le ça colonial. Diable ! C’est le cas de le dire !

Passons en revue, comme dans le livre cité plus haut, les différents supports d’une culture coloniale supposée, à l’époque coloniale, c’est-à-dire entre 1871 et 1945, car après la deuxième guerre mondiale, tout a changé.

Les manuels scolaires et les livres de la jeunesse : les livres scolaires, le Petit Lavisse, trop souvent cité, avec ses quelques pages, consacraient de l’ordre de 1 à 4% de leurs pages aux colonies. Il n’y avait sans doute pas de quoi matraquer le cerveau des jeunes français, indépendamment de la question des contenus, non examinés par ces chercheurs, et du fait que ces pages figuraient en fin de livre, donc en fin d’année scolaire.

            Quant aux BD, elles virent le jour, en France, après 1930.

            La presse : ces historiens ne procèdent à aucune  évaluation sérieuse de la presse à l’époque considérée, à la fois de la place (pages et colonnes) que la presse nationale et provinciale, ainsi que la presse spécialisée, réservaient au thème colonial, et naturellement du contenu, favorable, neutre, ou défavorable des articles publiés. La seule source  citée porte sur la presse de droite du sud-est pendant la période 1931-1945.

A leur décharge, il serait possible de noter que le livre « L’idée coloniale en France de 1871 à 1962 » de l’historien Girardet ne fait pas, non plus,  grand cas d’une analyse sérieuse de la presse.           

            Nous verrons plus loin ce qu’il faut penser des analyses de l’historienne Lemaire au sujet du rôle de la presse en matière de propagande.

            Les Expositions coloniales, les fameuses expositions coloniales, et leurs zoos humains : les expositions coloniales ont eu effectivement beaucoup de succès, notamment celle de 1931, mais Lyautey lui-même, commissaire général de cette exposition, constatait que l’opinion publique à l’égard des colonies n’avait pas beaucoup changé après cette exposition

            Des historiens coloniaux sérieux, notamment Brunschwig, ont fait le même constat général du désintérêt des Français pour leurs colonies.

Quant au zoos humains, renvoyons les lecteurs aux analyses qui ont été faites à ce sujet, en relevant qu’il ne s’agissait pas toujours des exhibitions humaines qui ont été légitimement épinglées, qu’elles furent d’abord le résultat d’initiatives privées, et enfin qu’il ne faut pas confondre zoos et villages africains tels qu’ils ont été présentés dans beaucoup de villes françaises.

            Les cartes postales : juste une mention, étant donné que ce type de support a fait l’objet des évaluations les plus fantaisistes.

            Le cinéma colonial : notons tout d’abord qu’il est difficile de faire état de ce type de culture coloniale supposée avant 1914, et qu’en ce qui concerne la période postérieure, les auteurs de la thèse critiquée n’ont pas avancé de chiffres sérieux sur le cinéma colonial.

M.Boulanger, spécialiste du sujet, faisait état d’un très petit nombre de films coloniaux, quelques pour cents de la production cinématographique, le plus souvent des films tournés au Maghreb, et d’ailleurs par des étrangers.

Les affiches : la source principale de l’analyse de ces chercheurs est constituée par l’exposition Négripub, faite à Paris, en 1987.

Un mot simplement sur l’indigence de cette source, étant donné la disproportion énorme qui existait entre le matériel présenté et celui enregistré à la Bibliothèque Nationale. Pour trois des années exposées par Négripub, 1930,1931, et 1938, 8 affiches ont été présentées, alors que pour ces trois mêmes années, le matériel enregistré était de 2.536 pièces.

            Les lecteurs intéressés pourront se reporter à l’ouvrage publié sur cette exposition pour savourer certains des commentaires « étranges » de certaines affiches.

            La propagande : la parabole du grain de riz qui a été une des introductions de notre critique caractérise parfaitement  la méthode intellectuelle, pour ne pas dire historique, qui a été utilisée pour apprécier le volume et les effets de la propagande initiée par l’Etat.

L’historienne Lemaire fait un sort tout particulier à l’Agence centrale des colonies qui aurait été la grande instigatrice de cette fameuse propagande. Elle aurait inondé la France, aurait joué le rôle d’une machine à informer qui aurait imprégné l’état d’esprit des Français, en leur inculquant, sans qu’ils en aient même conscience, les fameux stéréotypes coloniaux qui tapisseraient notre inconscient collectif :

–       Sauf qu’elle n’a pas existé longtemps, que son budget était modique, et qu’il était d’abord alimenté par les colonies elles-mêmes, et que les responsables de la dite propagande se plaignaient, à juste titre, de la faiblesse de leurs moyens.

–       Sauf que les subventions accordées aux journaux pour soutenir la cause coloniale n’ont jamais été à la hauteur des enjeux supposés : l’historienne Lemaire cite, parmi d’autres, la subvention accordée au Petit Parisien, en 1937, laquelle représentait la distribution gratuite de 75 000 journaux, alors que le tirage quotidien du journal était de l’ordre du million ! Pas de quoi vraiment à soulever les foules !

Le ça colonial, ou l’inconscient collectif : enfin, et pour convaincre le lecteur de l’inanité de la démonstration de cette nouvelle école idéologique, une soi-disant nouvelle école historique qui a besoin de faire appel à l’inconscient collectif ( CC, p,143), à l’impensé colonial (RC, p,150) !

Fiat lux !

            A la décharge de ces jeunes chercheurs, nouveaux entrepreneurs de l’histoire, d’après leur «  marraine d’histoire », quelques historiens ou historiennes de bonne réputation avaient ouvert la boite de Pandore au fameux Colloque de 1993.

            Il faudrait donc déconstruire notre imaginaire colonial, et ça marche !

Un colloque a été organisé en 2009, à la Mairie de Paris, avec le patronage du Monde, intitulé « Décolonisons les imaginaires !

            Défaut de démonstration historique, absence d’évaluation des supports d’une culture coloniale supposée, de leur volume, de leur place par rapport aux autres,  de leur diffusion, et de leurs effets, absence de représentativité des analyses proposées, outrance des mots et des conclusions, boursouflures d’écriture et de réflexion, tout cela ne serait pas grave si un tel discours n’avait pas reçu la faveur de certains médias, et ne contribuait pas à colporter une lecture idéologique de notre histoire.

            Il en faudra donc un peu plus pour que leur démonstration historique soit sérieuse !

            Mais d’ores et déjà, ils distribuent un matériau de propagande politique qui n’est pas de nature à faciliter le bien vivre en paix et le bon accueil dans la communauté française d’un certain nombre de jeunes citoyens français, dont les parents ou les grands-parents étaient originaires d’Afrique.

            Ces chercheurs doivent toutefois être félicités pour avoir exhumé de très belles images coloniales, et quelquefois monnayées contre espèces sonnantes et trébuchantes.

(1)    Un exemplaire de ce livre a été déposé, par mes soins, en 2008, dans le service compétent de la Direction des Bibliothèques de la Ville de Paris.

Ni accusé de réception, ni refus d’acquisition de l’ouvrage ! L’exemplaire a été retrouvé, quelques mois plus tard, dans une solderie du 5ème arrondissement, avec la  lettre d’envoi qui lui était jointe.

Censure clandestine d’un ouvrage qui conteste la thèse d’un colloque patronné par la ville, sous le titre racoleur « Décolonisons les imaginaires » ?

Jean Pierre Renaud – Supercherie coloniale- Mémoires d’hommes 2008

La « Culture Coloniale » du Larousse Mensuel Illustré (1907-1913)


            Dans leur livre  « Culture coloniale- La France conquise par son Empire »,
 les deux historiens Blanchard et Lemaire distinguent « trois moments dans cette lente pénétration de la culture coloniale dans la société française, le temps de l’imprégnation ( de la défaite de Sedan à la pacification du Maroc), le temps de la fixation (de la Grande Guerre à la guerre du Rif) et le temps de l’apogée (de l’Exposition des Arts décoratifs à l’Exposition coloniale internationale de 1931… nous avons choisi de multiplier les approches pour mieux cerner ses modes d’expression. Cette transversalité de la démarche permet de comprendre la complexité d’un phénomène pourtant extrêmement simple : comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir, sans même l’anticiper. Non pas coloniaux au sens d’acteurs de la colonisation ou de fervents soutiens du colonialisme, mais au sens identitaire, culturel et charnel» (page 7 et 8)

            Vous avez bien lu : « charnel » !

            Et pour mieux nous guider, un détour par le Petit Robert !

            Imprégnation : 1° : Fécondation – 2° : Influence exercée par une première fécondation – 3° : Pénétration d’une substance dans une autre.

            Fixation : 1° : Action de fixer – 2° : Le fait de se fixer (personnes) – 3° Pyschan. « Attachement intense de la libido à une personne, à un objet, ou à un stade de développement… (Lagache)

            L’histoire coloniale a effectivement fait un grand pas, un pas de géant dans l’inconscient collectif, cher à cette nouvelle école de chercheurs.

            Un petit exercice de méthode donc, aux fins de tenter de mesurer, à partir d’un des vecteurs de cette culture coloniale supposée, ou fictive, comme nous le verrons, existant au cours du premier « temps de l’imprégnation ».

        Test d’évaluation de la « culture coloniale » de l’élite : le Larousse Mensuel Illustré des années 1907-1913

        Comment est-il possible d’affirmer que la France a eu une culture coloniale pendant la période coloniale, alors que l’histoire coloniale fait preuve d’une carence notoire dans l’analyse des sujets coloniaux traités par la presse nationale et provinciale ?

            A la lecture de certains ouvrages spécialisés d’histoire coloniale, l’ai été frappé par le discours que leurs auteurs tenaient sur la presse française au cours de la période coloniale allant de 1890 à 1960, une presse supposée coloniale, nationale ou provinciale, alors que la presse n’a jamais fait, à mon avis et jusqu’à présent, l’objet d’un travail d’analyse statistique sérieux, afin de déterminer la place accordée aux questions coloniales dans cette presse, en lignes, colonnes ou pages, et parallèlement en termes de contenus, favorables ou défavorables.

            Rares ont été les mémoires partiels, tous intéressants, déposés sur ce sujet, en tout cas, ceux que j’ai pu consulter.

            Le célèbre livre de Girardet intitulé « L’idée coloniale en France» (1871-1962), paru en 1972 est très succinct  sur la presse, pour ne pas dire muet, alors qu’il parait difficile de traiter un tel sujet, sans effectuer une analyse statistique solide sur la presse. Rien dans le chapitre IV intitulé « La conquête de l’opinion »!

            A croire qu’il n’existait, alors, pas encore d’outils d’évaluation statistique !

            Même constat, en ce qui concerne le petit collectif de chercheurs historiens ou sociologues, au choix, animé par les deux historiens cités plus haut, d’après lesquels, entre 1880 et 1960, la propagande coloniale aurait « tissé une toile », « inondé », et réussi à « parfaitement intérioriser la légitimité de l’ordre colonial », alors que ce collectif n’a pas apporté la démonstration de l’influence de la presse.

            J’ai consacré un chapitre du livre « Supercherie coloniale » (1) à la presse et démontré que rien, dans l’état actuel des recherches, n’accréditait un tel discours, dont le héraut principal, a effectué une thèse intitulée « Nationalisme et colonialisme » tout à fait limitée sur la presse, tant sur le plan chronologique (1930-1945), que thématique.

            Un exercice de mesure du colonial

            A titre d’exemple, je propose donc aux lecteurs de me suivre dans la consultation des Larousse mensuels illustrés pour la période 1907-1913, afin de mesurer la place que ces ouvrages destinés à une élite française consacraient à l’information coloniale.

            Au total, pour la période considérée, cette publication contenait sur plus de 1700 pages un ensemble très varié et très riche d’articles, de gravures, de croquis, de cartes et de schémas

            Notons tout d’abord que la table alphabétique des matières ne comporte aucune rubrique « colonies ».

            En ce qui concerne la période 1907-1910, la place de l’information consacrée aux colonies est très limitée, pour ne pas dire anodine : en 1907, une colonne, ou à peu près, pour le roi Toffa du Dahomey, en 1908, pour un personnage du Tonkin, Déo-van-tri, et pour la maladie du sommeil. En 1909, silence complet sur les colonies !

            En 1910, 2 pages sont consacrées à la pacification de la Mauritanie, mais surtout à l’action du général Gouraud dans l’Adrar. Une demi-colonne pour évoquer la définition de l’indigénat.

            Résultat  pour 1907-1910: l’information coloniale frise avec le zéro sur les 800 pages du volume !

            Qu’en est-il des années 1911-1913, sur les 914 pages du volume ?

            En 1911, 14 pages au total sur le Tchad, l’Ouaddaï, le Maroc, l’AOF et Dakar.

            En 1912, 8 pages sur Zinder, le Maroc, et l’Indochine.

            En 1913, 7 pages sur le Maroc, avec la guerre du Rif.

            Résultat : l’information coloniale frise également avec le zéro, 0,03% des pages.

            Alors, ni toile tissée, ni inondation, ni intériorisation de la légitimité de l’ordre colonial !

            Les textes les plus longs concernent :

            – en 1911, le bilan très technique de la construction du port de Dakar et des lignes de chemin de fer de la nouvelle AOF (4 pages1/2 avec 6 cartes) avec leur coût, 200 millions de francs de l’époque, soit de l’ordre de 640 millions d’euros.

            – en 1912 et 1913, les opérations militaires au Maroc (de l’ordre de 16 pages), la guerre du Rif, avec Lyautey, et l’Espagne sur le versant nord.

            – en 1912, une information technique sur les nouvelles lignes de chemin de fer en Indochine, notamment vers le Yunnan.

            Et pour terminer, le même dictionnaire consacrait 4 pages de son deuxième volume, en janvier 1913, à la guerre italo-turque de Tripolitaine.

            Au lecteur donc de juger de la pertinence de la thèse dénoncée et aux chercheurs en histoire d’aller plus loin dans le dépouillement statistique des sources d’une culture coloniale supposée ou fantôme, car il faut bien sûr aller plus loin et de façon sérieuse.

            Fécondation ? Voire ! Et en tout cas éviter à tout prix une fixation sur la deuxième période d’un découpage de période historique « suspect ».

            Jean Pierre Renaud – (1) Supercherie Coloniale – Mémoires d’Hommes – 2008

Scientificité des thèses d’histoire coloniale? Est-ce le cas?

Que penser des thèses d’histoire coloniale ?

Secret de confession universitaire ou tabou colonial ?

Pertinence scientifique et transparence publique des thèses en général et d’histoire coloniale en particulier ?

Sont-elles scientifiquement pertinentes, alors que leurs jurys cachent leur avis et le résultat de leurs votes ?

Au sujet des thèses Blanchard, Bancel, et Lemaire… et sans doute d’autres thèses !

             Au cours des dernières années, mes recherches d’histoire coloniale (d’amateur) m’ont conduit à aller à la source, c’est-à-dire à prendre connaissance de plusieurs thèses d’histoire coloniale qui donnaient, je le pensais, un fondement scientifique aux interventions verbales ou aux ouvrages écrits par leurs auteurs.

            J’ai donc consulté les trois thèses des trois historiens (Blanchard, Bancel et Lemaire) qui soutenaient la thèse soi-disant  historique d’après laquelle la France aurait été dotée, lors de la période coloniale, d’une culture coloniale, puis impériale.

            J’étais, en effet, plutôt surpris par la teneur des discours que ces derniers tenaient sur ce pan largement ignoré de notre histoire nationale.

            Accréditation scientifique ?

            La consultation et la lecture de ces thèses me donnèrent la conviction qu’elles ne suffisaient pas toujours, totalement ou partiellement, à donner une accréditation scientifique à leurs travaux, dans le domaine de la presse, des sondages, des images coloniales quasiment absentes et sans aucune référence sémiologique dans les thèses en question, et d’une façon générale en ce qui concerne la méthodologie statistique, économique ou financière mise en œuvre.

            Constat surprenant, alors que le terme de « scientifique » est souvent mentionné dans les arrêtés qui ont défini la procédure d’attribution du titre de docteur par les jurys : intervention d’un conseil scientifique, intérêt scientifique des travaux, aptitude des travaux à se situer dans leur contexte scientifique…

            Il me semblait donc  logique d’aller plus loin dans mes recherches, c’est-à-dire  accéder aux rapports du jury visés par les arrêtés ministériels de 1992 et 2006, rapports susceptibles d’éclairer l’intérêt scientifique des travaux. J’ai donc demandé au Recteur de Paris d’avoir communication des rapports du jury, communication qui m’a été refusée, alors que la soutenance était supposée être publique.

            Mais comment parler de soutenance publique, s’il n’est conservé aucune trace du débat, du vote (unanimité ou non) du jury, et s’il n’est pas possible de prendre connaissance des rapports des membres du jury, et donc de se faire une opinion sur la valeur scientifique que le jury a attribué à une thèse, ainsi que des mentions éventuellement décernées.

            Je m’interroge donc sur la qualité d’une procédure

            – qui ne conserverait aucune trace d’une soutenance publique, sauf à considérer que celle-ci n’a qu’un caractère formel.

            – qui exclurait toute justification de l’attribution d’un titre universitaire, appuyé seulement sur la notoriété de membres du jury, alors même que ce titre est susceptible d’accréditer l’intérêt scientifique de publications ultérieures, ou de toute médiatisation de ces travaux.

            Conclusion : les universités et leurs jurys seraient bien inspirés de lever ce secret, sauf à jeter une suspicion légitime et inutile sur le sérieux scientifique des doctorats qui sont délivrés, sauf également, et cette restriction est capitale, si mon expérience n’était aucunement représentative de la situation actuelle des thèses et des jurys.

            La transparence publique devrait être la règle.

            Pourquoi en serait-il différemment dans ce domaine de décisions, alors que la plupart des décisions publiques sont aujourd’hui soumises à des obligations démocratiques utiles de transparence publique.

            Il parait en effet difficile d’admettre que, sous le prétexte de préserver le secret de la vie privée, le secret des délibérations sûrement, mais pas le reste, il soit possible de sceller tout le processus supposé « scientifique » du même sceau du secret.

            A l’Université, en serions-nous encore, à l’âge du confessionnal et de l’autorité d’une nouvelle l’Eglise? Les jurys auraient donc quelque chose à cacher ? Un nouveau tabou ?

            Et en post scriptum, une thèse à l’EHESS :

             J’ai eu l’occasion d’analyser, en 2009, une thèse consacrée à l’histoire coloniale, au développement et aux inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française, au titre de l’EHESS, et sous la direction de Denis Cogneau (professeur associé à Paris School of Economics) et Thomas Piketty (professeur à l’Ecole d’Economie de Paris), avec le concours de deux rapporteurs, Jean-Marie Baland, professeur à l’Université de Namur, et Esther Duflo, professeur au Massachusetts Institute of Technology, plus deux autres membres éminents, Pierre Jacquet, Chef économiste à l’Agence Française de Développement, et enfin Gilles Postel-Vinay, Directeur de recherche à l’INRA, Directeur d’études à l’EHESS.

            La thésarde a fait un très gros travail d’analyse, mais sur des bases statistiques fragiles et en faisant un très large appel à un appareil de corrélation mathématique et statistique savant, mais audacieux, en projetant des raisonnements qui enjambent la période d’explosion démographique de la deuxième moitié du siècle, et quelquefois le siècle.

            Il serait intéressant d’avoir accès aux rapports des membres du jury, au contenu des délibérations, et au vote du même jury, et pas uniquement à l’article de Mme Duflo, dans Libé du 2/12/2008, intitulé « Le fardeau de l’homme blanc ? », dont le contenu était favorable aux conclusions de cette thèse.

            Et j’ai tout lieu donc de penser que, pour assurer son crédit scientifique,  la toute jeune Ecole d’Economie de Paris a eu à cœur d’innover en matière de transparence publique, et donc d’accréditation scientifique des travaux qu’elle dirige.

            Jean Pierre Renaud, docteur en sciences économiques, et ancien haut fonctionnaire