Les Empires coloniaux anglais et français face aux cultures de pouvoir local- IV- Gallieni et la Reine Ranavalona III

Les Empires coloniaux anglais et français face aux cultures de pouvoir local

1850-1900 : au Soudan, avec Samory, Almamy, en Annam, avec Than-Taï, Empereur d’Annam, à Madagascar, avec la Reine Ranavalona III

IV

Gallieni et la Reine de Madagascar, Ranavalona III

            Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », j’ai examiné longuement le pourquoi et le comment de l’expédition de Madagascar en 1895, financée à crédit,  ses caractéristiques matérielles et politiques, afin de mieux comprendre qui  décidait quoi et quand,  du gouvernement ou de l’exécutant sur le terrain colonial ?

« 4ème Partie Communications, fil à la patte ou alibi ?

La conquête à crédit de Madagascar en 1895 (pages 399 à 479)

Chapitre 5 : Les communications ont-elles été l’alibi de la déposition de la reine Ranavalona III ? (pages 465 à 479)

            J’ai notamment cherché à comprendre pourquoi Gallieni avait déposé la Reine Ranavalona III en 1896 à partir du contenu des messages échangés entre Paris et Tananarive, en profitant de la carence des communications existant alors entre les deux capitales.

            En 1895, la Grande Ile ne disposait d’aucune route et d’aucun réseau télégraphique, de quelques ports de transbordage, et la France eut beaucoup de mal à atteindre les plateaux de l’Imerina pour conquérir la capitale.

      Il convient de rappeler que la monarchie merina avait trouvé que la meilleure façon de se protéger de l’extérieur était de compter sur les fièvres et l’absence de communications.

       Protectorat ou non, à prendre connaissance des sources consultées, les gouvernements n’avaient pas les idées claires sur le sujet, et de façon tout à fait surprenante :

       « En janvier 1896, Guiyesse, ministre éphémère des Colonies (6 mois), donnait ses instructions au résident Général Laroche et lui recommandait (3) : « Afin de marquer sa situation vis-à-vis du gouvernement français, vous inviterez la reine à se servir à l’avenir de la formule de promulgation suivante :

      « Moi, Ranavalona, par la grâce de Dieu et la volonté de la République française, reine de Madagascar », formule qui démontrait la souplesse d’une république laïque, et souvent franc-maçonne, qui était capable, à Madagascar de faire bon ménage avec Dieu et la reine. » (p,467)

      Plus tard, en mars 1896, à la Chambre des Députés, Lebon, le ministre des Colonies déclarait :

       « Les événements ont marché, des déclarations ont été faites et notifiées : des décisions inéluctables ont été arrêtées. En présence de faits acquis ou consommés », et plus loin… , « La Reine Ranavalona conservera donc, avec son titre, les avantages et les honneurs qu’ils lui confèrent ; mais , ils lui sont maintenus dans le cas de l’acte unilatéral signé par elle, sous la souveraineté de la France… » p,468)

     Il s’agit des instructions citées plus haut et données par le ministre Guiyesse en janvier 1896.

   Il ne s’agissait plus de protectorat, mais purement et simplement d’annexion :

     « La loi d’annexion fut adoptée le 20 juin 1896, par 312 voix contre 72 et promulguée le 6 août 1896.

     La monarchie était devenue une coquille vide, il ne restait plus qu’un pas à effectuer pour la supprimer, et c’est ce que fit Gallieni. » (p,469)

     La situation était devenue incontrôlable, l’insécurité généralisée, et la noblesse merina affaiblie ou mise à l’écart, alors qu’elle avait jusqu’à présent main mise sur la gouvernance de l’île, au niveau central et local. La monarchie avait réussi, tout au long du XIXème siècle, à donner un début d’unité politique du pays : la Reine avait des gouverneurs dans les différentes provinces.

    Il est exact que le pouvoir était alors entre les mains d’une monarchie et d’une administration mérina, c’est-à-dire le peuple des plateaux, et le général Gallieni avait décidé de « détruire l’hégémonie merina ».

     Il est non moins exact qu’une partie de cette élite monarchique complotait contre la France et alimentait les troubles de la sécurité publique dans toute l’île.

      Gallieni n’y alla pas de main morte. Après avoir fait fusiller deux des représentants les plus éminents de la caste noble merina, le ministre de l’Intérieur, Rainimandraimanpandry  et le prince Ratsimamanga, il déposa la reine Ranavolana III, et l’envoya en exil le 28 février 1897.

      A lire les échanges de correspondances entre le ministre Lebon et le général Gallieni, on en retire la conclusion évidente que l’un ou l’autre interlocuteur, ou les deux, surent mettre à profit les difficultés de communication, bien réelles entre Paris et Tananarive, pour prendre ce type de décision de caractère capital.

     Le général Gallieni écrivait d’ailleurs le 12 mars 1897 à Lebon : « J’aurais voulu prendre votre approbation avant cette grave mesure, mais nos communications télégraphiques étaient trop lentes et il fallait agir vite. » (7)

     Le proconsul en avait ainsi décidé.

      Toujours dans le livre déjà cité au titre des réflexions que suscitait cet épisode colonial, je notais :

      « Troisièmement, fluctuation de la ligne politique générale à tenir quant au régime politique à maintenir ou à établir dans l’île ou non, communications télégraphiques possibles ou pas, le débat trouvait de toute façon ses limites dans le fonctionnement même de la chaine de commandement, c’est-à-dire dans la marge de liberté laissée au général Gallieni. Nous retrouvons ici un de nos thèmes favoris d’analyse et de réflexion : quelles que puissent être les instructions données à un chef militaire ou civil placé sur le terrain, lui seul apprécie ce qu’il doit faire…

      Quatrièmement, en supprimant la monarchie merina, Gallieni avait tranché la question de fond du régime politique de l’île alors que le régime qu’il avait trouvé dans l’île faisait cohabiter curieusement république et monarchie.
            Etait-il possible et souhaitable de conserver la monarchie. Personne ne le saura bien sûr, mais il est possible que Lyautey, placé dans les mêmes conditions politiques l’ait conservée, comme il le fit plus tard au Maroc. Ce ne sont que des supputations qu’adorent beaucoup d’historiens qui diraient sans doute, pour expliquer la décision Gallieni, qu’il avait cédé à sa fibre républicaine. » (p,476)

       Il y a au moins un facteur qui pouvait expliquer ce type de décision, une ignorance assez généralisée de la culture des peuples de l’île et de ses coutumes, et donc une méprise sur le rôle quasi-religieux de la monarchie merina, en tout cas à cette époque.

     Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés