Gallieni et Lyautey ces inconnus! 1895-1896: Indochine, l’Empereur d’Annam Than Taï

Gallieni et Lyautey ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Empire d’Annam

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Indochine 1895-1896 : protectorat ou administration directe ?

L’empereur d’Annam Than-Taï,

vu par Lyautey : « fou » ?

Tout d’abord, un bref rappel :

Le blog a déjà abordé ce sujet à deux reprises :

–       Le 30 novembre 2010, avec la lecture critique du livre « La vie militaire aux colonies » de M.Deroo. Nous avions noté qu’une très belle photographie de l’empereur en question ouvrait le chapitre intitulé « la grande vie », et qu’il s’agissait d’un empereur complètement fou, qui avait été destitué en 1907, parce qu’il torturait et assassinait ses concubines, une ouverture de chapitre tout à fait curieuse, et en tout cas inappropriée.

–       Le 2 février 2011, nous étions revenus sur le même personnage historique, en commentant les pages de « Le Petit Journal Militaire, Maritime et Colonial » de l’année 1904.

Dans l’une de ses pages, le journal évoquait la « folie » de l’empereur d’Annam et rapportait «  les journaux d’Indochine sont en effet remplis de détails sur les actes de cruauté etc… »

            La question que la destinée historique de l’empereur Than-Taï posait était celle de savoir si sa déposition avait été motivée par son « indocilité » à l’autorité coloniale ou par son état mental.

            Grâce au témoignage, qui suit, du commandant Lyautey, le lecteur aura la possibilité de se faire une opinion.

&

Le texte qui suit,  illustre parfaitement la problématique de l’exercice du pouvoir dans la colonie de l’Indochine : qui commandait réellement ?

L’Empereur d’Annam et son administration mandarinale ou le Gouverneur Général avec ses administrateurs ou ses officiers ?

            Dans quelle configuration d’organisation des pouvoirs ? Dans celle d’un protectorat au sein duquel la puissance coloniale se réservait les relations extérieures et un certain nombre de pouvoirs régaliens, ou dans celle d’une administration coloniale directe à laquelle l’ancienne administration annamite obéissait ?

            A l’époque de Gallieni et de Lyautey, la France avait conservé les apparences d’un protectorat, en plaçant des résidents auprès des différents échelons de pouvoir annamite, région ou préfectures, mais cette répartition des pouvoirs était de plus en plus largement une fiction.

            Nous verrons, une fois de plus, à la lecture des extraits de lettres de Lyautey qu’il était un chaud partisan de la solution du protectorat, du maintien en place des pouvoirs traditionnels, pour tout un ensemble de raisons qu’il y exposait.

            Son opinion était d’autant plus intéressante que le personnage d’un Than-Taï, mis en place par le pouvoir colonial pour être docile, soulevait beaucoup de questions, que Lyautey n’esquivait pas dans ses lettres.

            Peu de temps avant le limogeage par le gouvernement  du Gouverneur général de Lanessan,  Lyautey l’accompagnait  au cours de son déplacement à Hanoï, capitale du Tonkin. Sur ce trajet, le Gouverneur général allait faire escale à Tourane, pour aller saluer l’Empereur d’Annam, à Hué, le siège de son Empire.

            A bord de la Tamise, en rade de Tourane, 16 novembre 1895,

« Le bateau vient de stopper. Le canon a tiré, répondant au salut. Les embarcations se pressent autour de nous…L’une d’elles a accosté, et Huong-Triep, le troisième Régent de l’Empire d’Annam, est à bord ; il est en robe rouge brodée de cercles d’or, la plaque de grand-officier et les insignes indigènes de son rang, breloques d’or et de soie…. Le Régent tend au Gouverneur général sa petite main de momie où, sous le gant blanc, pointent les ongles du lettré ; puis, se retournant, il prend des mains d’un mandarin un grand cylindre de soie rouge qu’il dépaquette lentement. C’est une lettre de l’empereur d’Annam. Le Gouverneur général parait satisfait. Congratulations… »

            Lyautey s’éclipsa pour visiter Tourane et laissa les autorités supérieures échanger leurs visites de courtoisie. A son retour, M.de Lanessan lui reprocha « de ne lui avoir pas laissé le moyen de me faire causer avec Huong-Triep, le troisième régent, le vrai souverain de l’Annam, l’intime participant de sa fameuse et discutée politique. » (LTM/ p,71)

            En 1896, Lyautey complétait son évocation du personnage :

            Dans une autre correspondance datée d’août 1896, escortant le nouveau Gouverneur général, M.Rousseau, Lyautey racontait sa visite à Hué, siège de la Cour d’Annam à Hué, et les festivités brillantes et toujours aussi colorées, qui s’y déroulèrent, et voici maintenant dans un des palais, le jeune Empereur en personne !

            « Une seconde salle du trône, le trône vide toujours et drapé de la couleur royale ; le cortège, toujours grossi, s’y enfonce dans des profondeurs sombres où luisent dans l’obscurité maintenue les nacres incrustées, l’or de caractères, les reflets bleus des porcelaines. Puis un long corridor, un cloître plutôt, où, dans de beaux vieux cadres en bois sculptés, s’alignent aux murs les plans symboliques et fantaisistes des villes de l’Annam, et enfin, éclairant l’ombre, venant du fond, une note lumineuse et éclatante : un joli, mince et élégant éphèbe, dans une gaine de soie jaune or sur laquelle flamboient le grand cordon de la Légion d’Honneur et la grande sapèque des dix mille soutiens ; au cou une rivière de diamants, sur la tête un haut turban de la soie royale de la robe. C’est Than-Taï, le roi de l’Annam.

            Il s’avance à la rencontre du Gouverneur, seul entre deux hérauts en velours grenat, portant les sabres, courbés en deux. Il prend le Gouverneur par la main, gracieux et hautain, et avec ce singulier dandinement féminin et presque provocant que lui imposent les rites, il l’emmène dans la troisième salle d’apparat, gravit une première estrade, une seconde estrade, s’assied sur son trône d’or, sous le baldaquin d’une vielle broderie chinoise à grands caractères d’or et, au haut bout d’une longue table où le champagne est versé parmi les fleurs. Le Gouverneur est à sa droite, le Résident supérieur à sa gauche, puis tous les Européens dans l’ordre des préséances, puis les Régents et Hguyen-Tanh, et c’est tout. Les suites ont disparu ; seuls restent, derrière le Roi, les eunuques portant le crachoir d’or, le service à thé toujours préparé, enveloppé de soie rouge, les porte-sabres et, derrière chacun de nous, les porteurs d’éventails de plumes ; rythmant tous ensemble leur coup de vent net et sec.

Il est grave comme une idole, le petit roi, sa robe éclatante et le feu de ses diamants se détachent sur une grande tapisserie des Gobelins, douce, discrète, aux tons fondus ; et sous le masque de l’enfant pensif, presque de jeune fille, on a peine à imaginer le petit tigre que racontent les rapports du palais, le petit Néron qui, l’an passé, à seize ans, faisait ouvrir une femme en deux après l’avoir possédée, enduisait une autre de pétrole et la faisait flamber la tête en bas, faisait sur une troisième découper des lanières des épaules aux cuisses, et qui, aux remontrances des quatre vénérables régents ici présents, répondait par une volée de coups de pied. 

L’audience passe rapide dans l’échange des paroles d’apparat…Le Gouverneur se lève, le Roi le prend par la main et le quitte au seuil du cloître : à chacun de nous la main tendue avec une toute petite inclinaison de tête très protectrice, exactement celle à Paris d’une maitresse de maison très hautaine, très snob. J’évoque des noms…

Il est cinq heures du soir, le lieutenant Lagarde et moi attendons en grande tenue sur la dernière marche du large escalier qui descend de la Résidence au fleuve ; le parvis d’un palais de Venise. Le sampan royal de la berge opposée a démarré. Thanh-Taï vient rendre sa visite au Gouverneur.

L’heure flamboie. Le fleuve, les aréquiers de la rive, les fonds de verdure, l’écran des montagnes, si vaporeux ce matin, baignent dans l’or… » (LT/p,62)

Mais le sampan a accosté, Than-Taï débarque. Il a ce soir une robe verte, mais toujours le royal turban jaune, le grand cordon, le grand collier de diamants qui flamboie au couchant du soleil…

Le Gouverneur l’attend sur le perron, et cette fois, dans le salon de la Résidence, le Gouverneur, le Résident, les Régents s’assoient seuls avec lui. Lui au bout de la table où est préparé le champagne, qui passe ici à l’état de vin sacré… » (LT/p,64)

26 août 1896

« Remise de la barrette aux cardinaux, – je ne vois pas d’autre comparaison, – Le Roi, suivant la tradition suivie à l’égard des Gouverneurs généraux, confère à M.Rousseau le 1er degré de noblesse au titre de Pho-Nam-Vuong ou Prince de Pho-Nam, et à M.B., Résident supérieur, le 3ème degré. »

Lyautey décrivait avec beaucoup d’humour et de piquant cette cérémonie, et reproduisait in extenso le discours de Than-Taï lors de la remise de sa barrette à M.Rousseau :

« Le 6ème  jour, 2ème mois, de la 8ème  année du règne de Than-Taï (1896)

Par obéissance aux volontés du Ciel, l’empereur d’Annam ordonne : etc…» (LT/p, 66)

Et Lyautey de poursuivre la description des fêtes fastueuses qui accompagnèrent la visite de M. Rousseau à Hué, processions, festins, embrasement des eaux, car le palais comprenait toute une succession de bassins,  une lecture à recommander.

Dans sa lettre « Tourane, lundi 31 août 1896, Lyautey rendait compte de leur excursion au Col des Nuages. Le Roi monte à bord de la chaloupe à vapeur :

« Est-il rassuré ? Toujours nous avoue-t-il naïvement, quand sonne le dîner que sa mère lui a expressément défendu de manger d’autre cuisine que la sienne ; et il fait riz à part, tirant sa popote de grandes boites laquées. Dame ! La dynastie est payée pour se méfier. Et encore il est très royal dans sa visite du bateau, pendant le « cercle » du soir, où assis à l’avant il répond négligemment aux amabilités du Gouverneur et des siens. Et puis, la nuit tombée, le « gosse » reprend le dessus, il n’a pas ou à peu près pas de surveillants : zut pour la Cour ! zut pour les rites ! zut pour Trong-Hiep le censeur ! et le voilà qui à partir de minuit court le bateau avec le petit frère, ayant avec ses croix et ses robes brochées dépouillé tout décorum, faisant des farces aux officiers du bord, réveillant l’un en lui chatouillant le nez et se tordant, invitant l’autre à boire, grimpant aux bastingages, fouillant dans nos affaires ; mon sac de voyage l’épate. » (LT/p,77)

L’excursion au Col des Nuages se déroula parfaitement.

Et avant le départ de M.Rousseau, le Roi vint visiter le Haïphong, le plus grand bateau qu’il ait vu jusqu’ici,

Et sur ce bateau, Lyautey rapportait la conversation intéressante qu’il avait eue avec  l’ingénieur en chef, Directeur des Travaux Publics, qui ne partageait absolument pas la philosophie du pouvoir du commandant.

« A bord du Haïphong, en route de Tourane à Saïgon, 1er septembre soir,

 C’est depuis huit jours ma constante, très cordiale et plaisante querelle avec l’ami R…, ingénieur en chef des Ponts, directeur des Travaux publics… au Parlement, nous serions vraisemblablement sur les mêmes bancs, poursuivant le même but… R… écume de se courber, de se découvrir, de rester debout, de voir M.Rousseau, inspecteur général des Ponts, po-ly-tech-ni-cien, etc, etc, céder le pas à ce môme vicieux, et ronchonne les mots « mascarade, humiliation » ; moi, je rigole ; j’émets l’idée, qui le fait bondir, que je ne sais pas pourquoi nous ne lui baisons pas la main.- eh ! qu’est-ce que ça me fait ses vices, la gale de son petit frère, ses néroneries de palais ; c’est le petit-fils des Gia-Long et des Ming-Mang, le dernier des Nguyen, c’est la grande force sociale de cet empire de 20 millions d’hommes, au passage duquel les populations se couchent dans la poussière, dont un signe du petit doigt est un ordre absolu ; et grand Dieu ! servons-nous en et n’énervons pas cette force, puisque nous tenons les ficelles, et persuadons-nous que ce n’est ni l’Administration directe, ni toute la compétence technique des B… et des N… qui la remplaceront, et ne fût-ce que par conviction, honorons-le par politique. Toute la philosophie du Protectorat est là-dedans ; et c’est pourquoi… il ne fallait pas annexer Madagascar.

Et maintenant que la féérie est finie, Than-Taï parti, et le courrier en marche, examinons notre conscience.

Il n’y a pas de mot assez fort pour flétrir la conduite de la France vis-à-vis de ce petit Roi. Nous avons beau jeu de nous indigner de ses vices, de ses cruautés, de son insouciance. On connait son histoire. En 1889, à la mort de Dong-Khan notre créature, ne voulant naturellement pas remettre sur le trône Ham-Nghi, chef du parti national, le déporté d’Alger, nous allâmes chercher un fils de Duc-Dui, fils adoptif et héritier de Tu-Duc qui avait régné quelques heures à la mort de ce prince, en 1883. Ce fils c’était Than-Taï qui avait 11 ans. Elevé en prison avec sa mère, dans les besognes serviles, loin des partis et des échos de la cour, il était à notre merci, malléable à volonté…Qu’avons-nous fait ? Pendant deux ans, nous avons placé auprès de lui, au Palais, un commis subalterne, sous prétexte de lui apprendre le français. Et puis, c’est tout. On lui a donné des joujoux… Et on l’a laissé pousser comme il a voulu, oisif et tout puissant, dans le mystère de cde monde d’eunuques, de harem, de bas serviteurs… Et la sève est venue, et le petit homme est très vivant, et les flatteurs et les pourvoyeurs étaient là tout prêts ; et ça s’est déchainé en débauches et cruautés, avec les raffinements et l’ampleur que comporte l’exercice absolu de la tyrannie domestique. Mais enfin, enfin, à qui la faute ? Et alors, ce furent des punitions de collège, le Résident supérieur venant faire des scènes de pion, le mettant aux arrêts pendant 30 jours dans une pagode avec trois femmes seulement, des remontrances solennelles du conseil des Régents, ravis au fond et faisant courir le bruit que le Roi était fou pour se ménager le moyen de le déposer et de nous proposer une créature de leur choix… »

Plus loin, Lyautey mettait en cause le comportement et la qualité de nos Résidents supérieurs :

« Et ce n’est pas un des moindres vices de notre panier à salade social que cette disparition des gentlemen dans les hauts postes… » (LT/p,83)

Sans commentaire !

Jean Pierre Renaud

Les caractères gras sont de ma responsabilité

Indochine : épisodes précédents sur ce blog les 5 avril, 20 avril, 4 mai et 21 mai

Viet-Nam, Indochine, Empereur d’Annam, année 1904

Viêt-Nam, Indochine, Empereur d’Annam

Le Petit Journal Militaire, Maritime et Colonial

Supplément du Petit Journal

Année 1904

3°chronique

Sur le blog du 25 octobre 2010, nous avons décrit les caractéristiques de ce supplément, en indiquant que le contenu des numéros de l’année 1904 n’était pas typiquement un contenu de propagande coloniale.

Sur le blog du 24  janvier 2011, nous avons proposé un condensé de lecture du numéro 138 dont trois articles avaient un contenu intéressant, le rapport de Brazza sur les scandales du Congo, « nos sujets musulmans sont-ils assimilables ? », et « Ce qu’il faut faire en Cochinchine ».

Le chronique ci-après concernera deux numéros, le 149 avec l’évocation d’une affaire de corruption coloniale allemande, et le 151, avec la « folie » de l’Empereur d’Annam.

Il n’y avait donc pas que les colonies françaises qui connaissaient des scandales de toutes sortes, à l’exemple de celui des concessions du Congo, sur lequel enquêta Brazza.

Le supplément numéro 149 évoque une curieuse affaire de corruption dans la colonie allemande du Cameroun. Le député allemand Erzberger interpella son gouvernement  sur les abus de l’administration coloniale, et notamment sur le comportement inqualifiable du gouverneur Jesko von Puttkamer qui s’illustra par ses exactions, ses débauches, et ses cruautés. Il évoqua également des cas de prévarication à Berlin.

Le numéro 151 intéresse peut-être plus les Français et les Vietnamiens, étant donné qu’il s’agit de la vie « impériale » de la belle colonie de l’Indochine.

Le sujet n’est peut-être pas d’en savoir plus – mais la question se pose aussi – sur la politique coloniale qui était celle de la France dans cette grande colonie, pour autant que les gouvernements en aient défini une, ce qui ne paraît pas encore démontré, mais sur le destin de l’Empereur d’Annam Thang Taï.

La France avait laissé une apparence de pouvoir  aux Empereurs d’Annam, fils du Ciel, comme ceux de Chine.

Dans le cas de Thang Taï, cette apparence de pouvoir fit problème :

Extrait du supplément

« Les journaux d’Indochine sont en effet remplis de détails sur les actes de cruauté commis par le souverain. Tantôt il tue sa concubine, la fait cuire, et force ses compagnes à manger cette horrible nourriture ; tantôt, il fait tenailler ses femmes, les fait plonger dans une huile bouillante ou rôtir à petit feu »

La France déposa donc l’Empereur « fou » et le remplaça.

« Indocile » à l’autorité coloniale ou « fou » ? Telle est la question posée par certains !

Dans le commentaire du livre « La vie militaire aux colonies », publié par Gallimard et ECPAD, nous avons relevé la présence étrange de la photo, en double page, de ce personnage à l’ouverture du chapitre 5 « La grande vie » des militaires aux colonies, en endossant le qualificatif de « fou ».

Fou ou pas, le choix qui a été fait par les éditeurs d’ouvrir le chapitre 5 par la photo du personnage demeure contestable pour illustrer « la grande vie » des militaires aux colonies : « grande vie » de l’Empereur d’Annam ou des Marsouins ( l’infanterie de marine)?

Mais l’état de santé de l’Empereur d’Annam  d’alors semble demeurer une énigme, même si certaines sources contestent la déposition su souverain, en 1907, pour cause de démence.

Le supplément du Petit Journal fait écho à ce qui alimente la presse d’Indochine de l’époque, dès 1904, trois ans avant la déposition.

Manipulation de l’opinion ou non, la manipulation était d’autant plus facile que la presse d’Indochine n’avait rien à voir avec celle de métropole. Elle était entre les mains des gros colons, et ses tirages étaient très modestes.

A l’époque des faits le Gouverneur Général Doumer (1896-1902) notait d’ailleurs dans ses Souvenirs, qu’il ne lisait jamais cette presse. C’était dire effectivement son intérêt.

Dans l’hypothèse d’une manipulation coloniale, ces journaux étaient évidemment disponibles pour la désinformation.

Citons simplement le texte de deux autres sources consultées :

« Accusé d’avoir dépassé les bornes de la bienséance dans la vie privée, puis de démence, il fut déposé par ordre du gouvernement français en septembre 1907, puis exilé à La Réunion. Retourne au Viêt Nam en 1947 pour y mourir en 1954 » L’Empire d’Annam (1802-1945) – La dynastie des Nguyen Phuôc

«  Vrai Empereur, faux fou » Magazine Good Morning (02/12/ 07) G.Nguyen Caô Dûc.

Alors énigme ou non pour les spécialistes de cette période de l’histoire coloniale ?

Jean Pierre Renaud

Propagande coloniale? Le Petit Journal Militaire, Maritime et Colonial: année 1906, Algérie, Congo, Cochinchine

Le Petit Journal Militaire, Maritime et Colonial

Le supplément du Petit Journal

Année 1906 numéro 138

Extraits de contenus

(Première chronique sur le blog du 25 octobre 2010)

Rappelons tout d’abord que, dans les années 1900-1910, le Petit Journal était un quotidien qui tirait à plus de 800.000 exemplaires, 835.000 en 1910, mais que le nombre des lecteurs ou abonnés du supplément était évidemment bien inférieur à ce chiffre.

            Rappelons que chaque supplément comprenait quinze pages, dont deux consacrées aux mouvements d’officiers.

            Rappelons également que les thèmes coloniaux représentent moins de 13% des colonnes d’information du total des suppléments de l’année 1906.

Le numéro 138 fait exception puisqu’il consacre près de 30% de son contenu à l’information coloniale.

Trois sujets ont retenu notre attention :

1 – « En Algérie »

Une étude de M.Ismaël Hamet, interprète principal de notre armée, dont le titre est « Nos sujets musulmans sont-ils assimilables »

L’auteur constate :

« Il est presque de dogme aujourd’hui, parmi les personnes qui n’ont pas vécu en Algérie, et même parmi celles qui ont vécu dans notre colonie… que l’indigène algérien n’est pas perfectible, que tel il était au temps de Mahomet, tel il est resté aujourd’hui, à l’aube du vingtième siècle. En un mot qu’il n’est pas assimilable, civilisable, au sens que nous attribuons à ces qualificatifs… »

L’auteur entend démontrer dans cet article que ce n’est pas le cas, et il en appelle donc de ce jugement décourageant. (3 colonnes et demie)

Est donc évoqué, dans cette étude, le dossier de la compatibilité entre la religion musulmane, son statut religieux et familial, et la loi républicaine, dossier très sensible, et toujours d’actualité comme la société française le découvre aujourd’hui chez elle, entre autres, avec le voile, la burqua, ou la polygamie.

 2 – « Au Congo français »

Le supplément évoque l’enquête qu’a effectuée Brazza sur les abus coloniaux dénoncés et constatés au Congo et informe ses lecteurs des instructions données par le ministre des colonies Clementel en vue de mettre fin à ces abus et à la collusion d’intérêts, au mélange des genres constaté entre l’administration coloniale et les sociétés privées, les fameuses compagnies concessionnaires, sources de beaucoup des abus dénoncés. (2 colonnes)

En 1905, Brazza avait été chargé par le gouvernement d’enquêter sur des exactions commises en Oubangui. Son rapport dénonçait tout un ensemble d’abus et de violences. En dépit du refus par la Chambre de publier ce rapport, Félicien Challaye publia le dossier avec le soutien du grand et célèbre écrivain Péguy.

3 – En Cochinchine

« Ce qu’il faut faire en Cochinchinele programme du gouverneur »

« On a enlevé aux notables de villages leurs pouvoirs de police ; on n’a rien mis à la place… Il faudrait pouvoir revenir en arrière. » (3 colonnes)

C’est en Cochinchine que la France prit d’abord pied, au milieu du dix-neuvième siècle, dans la péninsule indochinoise, précisément en Cochinchine, à l’instigation des amiraux, qui mirent le gouvernement de l’époque devant le fait accompli. Le territoire fut alors érigé en colonie.

La France n’avait défini aucune politique indigène, et de fil en aiguille, ses officiers et administrateurs pratiquèrent de plus en plus l’administration directe, au lieu de s’appuyer sur les élites locales qui existaient alors localement, le réseau des mandarins et des lettrés.

Le problème a été récurrent en Indochine où deux écoles de pensée s’affrontèrent en permanence, entre ceux qui proposaient des solutions apparentées au protectorat, dans le respect des pouvoirs traditionnels, l’empereur d’Annam au sommet, et ses lettrés, et celles de l’administration directe, qui fut la solution dominante.

JPR

Propagande coloniale, vous avez dit propagande coloniale? Le Petit Journal et son supplément illustré de 1906

Un coup de périscope historique sur la propagande coloniale en 1906

Le Petit Journal Militaire, Maritime, et Colonial

Supplément illustré du Petit Journal paraissant toutes les semaines – 3ème année

Abonnement (un an, 6 francs, soit 21 euros#) ou vente au numéro (10 centimes, soit 36 c d’euro #)

            Un groupe de chercheurs, bien introduit dans les médias, diffuse un discours d’après lequel la propagande coloniale aurait inondé la France, « matraqué » le cerveau des Français, entre 1871 et 1962.

Quoi de mieux que d’analyser un des outils de la propagande coloniale supposée, celle du supplément d’un journal, le Petit Journal, dont le tirage frisait alors avec le million de numéros ? 

 A cette époque, la presse provinciale faisait d’ailleurs jeu égal avec la presse parisienne.

Le titre du supplément est assez clair sur son contenu, trois thèmes, le militaire, le maritime et le colonial.

Chaque supplément  hebdomadaire comprenait 15 pages, dont une de publicité, et une ou deux consacrées aux mouvements de personnel militaire ou maritime parus au Journal Officiel, donc une douzaine de pages utiles à d’autres informations.

Les suppléments étaient abondamment illustrés de croquis, de photos et de cartes.

            En ce qui concerne l’année 1906, les thèmes d’information dominants portent sur l’actualité des armées française et étrangères, avec un accent sur l’armée allemande, les nouveaux armements, les marines et leurs navires, les plans de défense français, et accessoirement sur les colonies.

Les 52 numéros du supplément ont consacré de l’ordre de 13% de leurs colonnes aux colonies, avec quelques numéros exceptionnels, notamment le numéro 110, celui concernant la Conférence d’Algésiras au Maroc.

Les informations coloniales traitées sont très variées : officiers tués, agitation en AOF, en Mauritanie, ou à Madagascar, folie de l’Empereur d’Annam, assistance médicale en AOF, Exposition coloniale de Marseille et musique malgache, Tchad et portage, budget général de l’AOF, mission de Brazza au Congo, avec aussi des informations sur les colonies étrangères, notamment une histoire de corruption étrange dans les colonies allemandes.

Une citation intéressante sur la relation entre exposition coloniale de Marseille et convictions coloniales du personnel gouvernemental, à l’occasion de la visite à Marseille et de son exposition, ville coloniale par excellence, du Président de la République :

« Une réception d’autant plus enthousiaste… qu’elle marque la fin d’une sorte de défaveur dont leur magnifique Exposition coloniale a semblé être l’objet jusqu’à présent de la part du personnel gouvernemental. » (numéro 146)

A la lecture des suppléments, il parait difficile de dire que le Petit Journal bourrait le crâne de ses lecteurs. Il ne leur cachait pas la vérité sur l’actualité coloniale, aussi bien les troubles, les réalisations, que les problèmes rencontrés.

Citons à cet égard les informations sur les abus du système de « portage » au Tchad, ou l’enquête de Brazza sur les exactions coloniales au Congo.

Le contenu lui-même des articles était d’une grande neutralité sur les différents sujets. Rien de triomphant ou de dithyrambique en faveur de la cause coloniale !

Nous aurons l’occasion de revenir sur certains des sujets abordés dans le courant de l’année.

Jean Pierre Renaud