« Françafrique
2ème Partie – L’argent roi »
Télévision LCP-AN du 5/08/2011
Un documentaire de Patrick Banquet
Françafrique ou Africafrance ?
Incontestablement, un documentaire très intéressant et bien documenté sur la Françafrique.
L’analyse montre bien que la scène a beaucoup changé entre la Françafrique des De Gaulle et Pompidou, qui n’a pas duré très longtemps, années 60-74, et celle qui lui a succédé, rongée de plus en plus par le « fric » du pétrole.
Après la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS, en 1989, l’évolution du commerce mondial, la montée en puissance de la Chine, très curieusement, un petit groupe de pression politico-économique a continué son petit jeu d’un soi-disant du « pré carré » français, complètement en dehors du grand jeu mondial.
Quel contraste entre le poids économique plutôt faible des échanges entre l’ancienne Afrique française et la France, et le poids politique des restes du lobby de la Françafrique !
Les personnages du documentaire sont décrits de façon très vivante, et certains témoignages sont étonnants de sincérité, sinon de vérité.
Deux personnages dominent cette scène, le « papa » Bongo, un politicien très madré qui n’a rien à envier aux plus madrés de nos politiciens, et l’entremetteur secret Bourgi, l’éminence grise souvent dénoncée.
En ce qui concerne Bongo, il est possible de se demander si les témoignages ne lui font pas la réputation exagérée de « faiseur de roi » de notre belle République. Influence sûrement, mais toute puissance, telle que racontée, il y a là de quoi s’interroger.
En ce qui concerne Bourgi, le personnage est incontestablement intéressant, visage intelligent, propos carrés et clairs. Ne connaissant de l’avocat d’affaires que sa réputation sulfureuse, j’ai personnellement apprécié de le voir en chair et en os, car l’homme ne laisse pas indifférent.
« Fils spirituel » de Foccart, dont il réclame l’héritage, je ne suis pas sûr qu’il puisse le mériter, compte tenu de la façon dont il sait mélanger les genres, entre les affaires de gros sous et la politique africaine de la France. On peut légitimement douter que son rôle soit de nature à rendre service à la clarté et à la grandeur de notre politique étrangère en Afrique : beaucoup trop d’ombre chez ce brillant entremetteur entre les mondes de l’argent et de la politique, comme il en a existé sous la plupart des régimes !
Je serais tenté de dire, qu’à plusieurs siècles de distance, il y a loin entre ce nouveau Père Joseph, et le Père Joseph, éminence grise de Richelieu, car le petit groupe de ses comparses oublie souvent que la France n’a plus la puissance « relative » qu’elle avait au XVIIème siècle.
A lire ou à écouter les témoignages des journalistes ou des spécialistes, est-on sûr qu’on n’en prête pas trop au personnage, car on voit sans doute à tort la main de Bourgi dans toutes les affaires qui font l’actualité africaine, qu’il s’agisse du Gabon, de la Côte d’Ivoire, ou de Madagascar.
Le documentaire conclut sans doute justement sur une Françafrique moribonde, et sur le rôle tout à fait secondaire du Président de la République Française, devenu « le représentant attentionné des groupes industriels », mais il aurait été intéressant d’évoquer également l’autre facette de la Françafrique, quasiment son « inversion », bien réelle, dans sa dimension internationale (ONU), culturelle, intellectuelle, linguistique, humanitaire avec l’explosion des ONG, et la naissance de ce qui ressemble bien à une Africafrance, avec les flux migratoires importants qui sont venus d’Afrique à partir des années 90.
Le documentaire met bien en lumière à cet égard le rôle parallèle de la franc-maçonnerie dans les relations franco-africaines, notamment celui de la Grande Loge Nationale. Le documentaire aurait pu aller plus loin encore dans son éclairage.
Cette évocation rappelle les origines de la conquête coloniale qui a été très souvent le fruit d’une alliance sacrée entre le sabre, l’armée, et le goupillon, la franc-maçonnerie. Tout au long de la période coloniale, les franc-maçons ont été très actifs, souvent beaucoup plus que les chefs d’entreprise français.
Telle que décrite, une Françafrique de la nostalgie d’une puissance passée pour un groupe de pression politico-économique restreint, alors que la plupart des Français ont toujours été beaucoup plus attirés par l’exotisme de l’Afrique que par les gros sous, auquel s’est ajouté de nos jours un humanitarisme vibrionnant.
Je serais tenté de dire qu’aujourd’hui, l’Afrique noire a moins besoin d’assistance, d’aide au développement, de programmes alimentaires toujours renouvelés, donc de dépendance sollicitée et consentie, nourrie et entretenue par la corruption, que de courage pour affronter les réalités de ce continent, avec la mise en place d’institutions solides, issues d’une élection, d’Etats capables de faire prévaloir l’intérêt général de leurs pays.
Les propos de Cheick Modibo Diarra, Président de Microsoft Africa dans une interview du journal Les Echos (8,9/07/11) donnent clairement la voie qu’il faut suivre :
« L’Afrique souffre d’une absence totale de l’Etat …
La croissance doit être propre et transparente, avoir un vrai contenu social : aujourd’hui, 25% des ressources de l’Afrique sont détournés par la corruption…
Je pense que la communauté internationale, plutôt que de dépenser de l’argent pour la reconstruction de pays dévastés par des conflits électoraux, comme la Côte d’Ivoire, devrait financer en amont l’organisation d’élections transparentes. Elle a un droit d’ingérence pour que la Constitution et les règles du jeu soient appliquées. C’est à ce prix qu’on verra l’émergence d’une nouvelle génération de leaders en Afrique… »
Un message qui s’inscrit dans la suite de la déclaration du Président Obama, qui, s’adressant à l’Afrique, avait souligné combien il était capital pour les pays de ce continent de se doter de véritables institutions d’état.
Et en ce qui concerne l’humanitarisme à la mode, et la place des ONG, je conseille aux lecteurs de lire dans le Monde du 12 août 2011, la dernière « Lettre d’Afrique, intitulée « Au bon cœur des peuples », de Jean-Philippe Rémy.
Sa lettre fait très justement le point sur la famine dans la corne de l’Afrique et sur la réaction du peuple du Kénya qui n’a pas attendu le concours des institutions internationales pour pratiquer la solidarité:
« Kénians4Kénians n’a pas non plus la prétention de vouloir tout faire. Mais il faut avoir vu un pays comme celui-ci où les organismes humanitaires semblent parfois planter leurs drapeaux comme autant de conquêtes, pour comprendre la joie des Kényans à assurer eux-mêmes leur propre solidarité. »
Jean Pierre Renaud