L’ACHAC/BDM, fausse ou vraie sirène postcoloniale ?
Le moteur d’une subversion postcoloniale.
A l’occasion de mes recherches historiques sur la thèse pseudo-historique que défendait le collectif de l’Achac, sous la baguette du chef d’orchestre Pascal Blanchard, sur une « culture coloniale » dans laquelle la France métropolitaine aurait « baigné » sous la Troisième, puis Quatrième République, j’avais trouvé que le monde universitaire avait fait preuve d’une grande prudence, ou de discrétion sur le sujet, en ne proposant pas d’analyse entre le vrai et le faux de ce discours : à la lecture des extraits de trois sources de critique historique d’origine universitaire, le lecteur constatera qu’il n’en fut heureusement pas toujours ainsi, sans doute par ignorance de ma part..
Sont cités :
– un article de Laurence de Cock, sur « Le rôle de l’Achac »,
– un article de Vincent Chambarlhac dans Cairn Info « Fragments du jeu académique postcolonial. (A propos d’un collectif, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine).
– un article de Camille Trabendi (pseudonyme) dans la Revue Agone n°41/42- 2009 « Sur la fonction de deuxième ou de troisième couteau (de poche) » (p,165 à 194).
Comme annoncé sur ce blog, le 4 avril 2018, il s’agit du troisième mouvement du chemin intellectuel de réflexion proposé.
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Le rôle de l’Achac/BDM dans le fonctionnement et le développement du modèle de propagande Blanchard and Co
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Source : « La production officielle des différences culturelles » (automne 2017)
« L’Achac et la transmission du passé colonial : stratégies entrepreneuriales et culturalisation de la question immigrée dans la mémoire nationale » (p,105 à 121)
Par Laurence De Cock
ACHAC ou ACHAC/BDM ?
Le 23 janvier dernier, j’avais annoncé sur ce blog mon projet de publication de l’analyse de cette contribution, compte tenu de son intérêt pour comprendre ce que fut la création de cette association pseudo-mémorielle ou pseudo-historique, ce qu’elle est devenue, comment elle fonctionne : une nouvelle entreprise, un nouveau marché, une nouvelle forme de propagande postcoloniale.
A cette occasion, le lecteur pourra se rendre compte, qu’avec l’ACHAC/BDM, l’histoire postcoloniale était alors entrée dans un monde de falsification et de manipulation, en partant d’une interprétation tendancieuse des sources d’images disponibles au Colloque savant « Images et Colonies » de janvier 1993, dans un but à la fois médiatique, commercial, et politique, puis dans le livre « Images et Colonies ».
Beaucoup de lecteurs diront sans doute, et à juste titre, ça n’est pas la première fois dans l’histoire des histoires, en France ou ailleurs !
Je rappellerai plus loin l’essentiel des critiques de fond que j’ai portées en 2008, dans le livre « Supercherie coloniale » sur la thèse idéologique qu’ils défendent et font prospérer.
« … L’Achac a réussi à se bâtir une position d’incontournable pivot à la fois dans la détermination du diagnostic et de la prestation de services en direction de différentes institutions et collectivités territoriales… (p,105)
La transmission de l’histoire coloniale est au cœur de sa démarche. Ce faisant, l’Achac nourrit la corrélation entre la connaissance du passé colonial et le traitement du « problème » de l’immigration dans la société. L’angle proposé par l’Achac relève d’une sorte de thérapie mémorielle et repose sur l’idée qu’une meilleure transmission du passé colonial apaiserait la société en retraçant l’origine du racisme et en contribuant à une politique de la reconnaissance des populations héritières de l’immigration coloniale et postcoloniale. Leur propos est fondé sur le postulat de la mise en place d’une « culture coloniale » uniquement définie par le prisme des représentations des colonisés par les colonisateurs qu’ils appréhendent par l’inventaire et l’analyse des sources de propagande dont se dégage une multitude de stéréotypes coloniaux…
En ce sens, la stratégie de l’Achac participe d’une culturalisation de la question immigrée avec ceci de particulier que, par sa configuration, les acteurs qui y sont impliqués, ainsi que les actions mises en place, elle ajoute une dimension entrepreneuriale tendant à faire du passé colonial un véritable marché. C’est cet aspect que nous nous proposons d’interroger ici en retraçant la trajectoire de l’un de ses fondateurs, Pascal Blanchard, aujourd’hui responsable de l’Achac, ainsi que la stratégie de l’association, s’apparentant à un marketing du passé pour lequel la catégorisation culturelle constitue un argument-clé. Ainsi, la démarche de l’Achac introduit une nouvelle coordonnée dans les usages sociaux du passé et de la mémoire qui jusque-là privilégiaient les circuits associatifs, familiaux ou politiques sans que n’intervienne de façon si ostensible la question de la rentabilité. « (p,105,106)
Commentaire :j’ai souligné les quelques mots qui suffiraient déjà à caractériser cette entreprise bâtie sur une mémoire ou une histoire tronquée et fictive, animée par un business mémoriel de nature idéologique.
Fictive parce qu’elle n’est pas fondée sur le passé colonial, pas plus que sur une mémoire coloniale jamais mesurée, fictive étant donné la carence qui a affecté le dénombrement des vecteurs d’une culture coloniale qui aurait pu exister dans la population française et de ses effets dans leur contexte historique.
Au Colloque savant « Images et Colonies » de 1993, il ne s’agissait pas du passé colonial de la France, mais d’une collection d’images des mondes coloniaux, c’est-à-dire d’une certaine image métropolitaine de ces mondes coloniaux.
Ajoutons pour l’instant qu’à ce Colloque, la sémiologie fut étrangement aux abonnés absents !
Les extraits ci-dessus suffiraient déjà à circonscrire les enjeux historiques des « entreprises » de l’Achac, mais pourquoi ne pas aller plus loin dans cette analyse fort instructive ?
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« A l’origine de l’Achac, un entrepreneur bâtisseur : Pascal Blanchard » (p,106)
Le 15 janvier 2010, l’auteure a eu un entretien de 2 heures 30 avec l’entrepreneur bâtisseur, « Pascal Blanchard est un bâtisseur, du moins c’est ainsi qu’il se présente ».
« Pascal Blanchard fait des études d’histoire à la Sorbonne où il se lance dans une thèse (que j’ai consultée) sous la direction de l’historien africaniste Jean Devisse. Il y rencontre plusieurs étudiants également inscrits avec ce directeur de thèse, dont Nicolas Bancel. Jean Devisse prévient ses doctorants qu’ils auront à batailler dur pour se faire accepter dans un champ académique peu ouvert aux recherches sur la colonisation. La thèse de Pascal Blanchard étudie les mutations du colonialisme dans le discours de la droite nationaliste des années 1930 au régime de Vichy en analysant la presse de l’époque. (centrée sur celle du Sud Est, avec un sondage énigmatique).Entre temps, lui et ses amis étudiants fondent une association en parallèle du travail conventionnel des séminaires et laboratoires de recherche :
« Voilà c’était un raisonnement qu’était très simple, c’est-à-dire soit on continue à pleurer comme font tous les africanistes le cul posé sur leurs chaises en disant « personne nous lit, personne ne s’intéresse à nos travaux, soit on fait l’inverse : comment on peut amener les gens à nos travaux » (p,107)
…c’est l’imaginaire avec ce passé colonial qui dominait et qui faisait blocage… La narration de la genèse de l’association et de ses premiers travaux épouse une rhétorique de management : « Il fallait travailler l’opinion », nous indique-t-il. » (p,108)
Une équipe se constitue avec Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire et Emmanuelle Collignon. Elles ne figuraient ni l’une, ni l’autre pas dans la liste des participants au Colloque de 1993.
« Le travail de l’équipe s’effectue dans plusieurs lieux et selon plusieurs modalités qu’il convient de décrire pour comprendre les formes et l’ampleur de la conquête du marché. » (p,108)
Commentaire
Accordons notre attention aux deux phrases qui paraissent bien poser les termes de la problématique postcoloniale proposée : « c’est l’imaginaire avec ce passé colonial qui dominait et faisait blocage… Il fallait travailler l’opinion…).
Le collectif en question n’a jamais apporté aucune preuve du premier constat, et en a tiré la conclusion qu’il fallait aller sur le « marché » médiatique, auquel j’ajouterais les qualificatifs de politique et d’électoral, compte tenu des poussées d’immigration qui ont modifié notre démographie depuis une quarantaine d’années, et de leur incidence électorale.
Je proposerais volontiers quelques sujets de thèse de doctorat d’histoire, de sociologie, de sémiologie, ou de statistiques, tels que : analyse du thème colonial dans la presse métropolitaine pendant toute la période coloniale, une analyse statistique qui n’a jamais été effectuée – analyse sémiologique et statistique des images qui ont servi à bâtir la « source historique » du collectif – état comparé des forces universitaires métropolitaines dédiées à l’histoire ou à la sociologie coloniale et des forces universitaires dédiées à l’histoire ou la sociologie de France ou d’Europe, avec les effectifs comparés des normaliens concernés par période et par discipline : une des questions que pose l’étude de Sophie Dulucq pour l’écriture de l’histoire coloniale.
Pourquoi ne pas constater à nouveau que les colonies n’intéressaient pas les Français, pas plus que le monde universitaire, et que le succès de ce collectif s’est nourri des épisodes migratoires que notre pays a connu ?
Jean Pierre Renaud