Bi-nationalité des Français, la fin d’un nouveau tabou ?
Libé du 7/06/11 et le Monde des 12/13/06/11
Quels enjeux et doubles jeux à moyen ou long terme ? Et pour la terre entière ?
La population française représente 1% de la population mondiale !
Opinions d’un footballeur sur son « terrain de jeu », M.Platini, et d’une politologue sur son « terrain de jeu scientifique »
Qu’en penser ?
Sur le blog du 9 mai 2011, « Humeur Tique » a publié un petit texte à propos de la controverse engagée sur l’origine des footballeurs, texte intitulé :
« Un débat mal engagé mais utile »
Cet article concluait sur une des questions de fond posées: quid de la bi-nationalité en cas de conflit sur le pourtour méditerranéen ?
Deux interlocuteurs très différents par leur origines, l’un, footballeur célèbre, Platini, Président de l’UFEA, et l’autre universitaire, politologue, sont intervenus sur le sujet, le premier dans une longue interview de Libé du 7 juin 2011– Sports (page 22), la deuxième, Mme Labat, dans une longue interview du Monde des 12 et 13 juin 2011, à la page 17 « Débats Décryptages »
On ne pouvait pas trouver meilleurs interlocuteurs pour éclairer le sujet et poser les questions de fond du sujet, l’un très bon connaisseur du monde du football, à l’origine du débat, et l’autre, politologue, donc analyste de ce type de question, universitaire spécialiste, avec la distance qu’impose théoriquement l’exercice de cette discipline.
Que dit M.Platini ?
Son interview se situe dans le contexte des problèmes financiers et éthiques du football européen en général, et notamment des dérives financières des clubs européens, mais elle aborde par ailleurs le problème du fonctionnement des équipes nationales, délaissées au profit des équipes des clubs les plus riches, et enfin celui des joueurs binationaux.
A la question du journal : Qu’avez-vous pensé de l’affaire des quotas, qui vient de secouer le foot français ?
« Que beaucoup de gens avaient raison. Je ne cautionne bien sûr pas les propos excessifs qui ont été tenus. Je pense que le débat sur les binationaux est un beau débat qui devait avoir lieu. La Fifa a changé les règles (en permettant, pour complaire aux pays africains, à des joueurs de pouvoir choisir quand ils veulent la sélection nationale du pays dont sont originaires leurs parents ou grands-parents, ndlr) contre l’avis de l’Europe. Moi, j’étais contre. A partir de ce moment-là, on peut se poser la question : que fait-on de Clairefontaine ? Je comprends que des joueurs non retenus en équipe de France choisissent la sélection nationale de leur pays d’origine ; mais je comprends qu’à Clairefontaine on s’interroge si une partie des joueurs qui y viennent choisissent une autre sélection que la France. Je n’ai pas la réponse, mais je pense que ce débat sur les bi-nationaux doit continuer tant que les règles de la Fifa n’auront pas changé. »
Le propos de l’ancien footballeur célèbre a le mérite de la clarté, et je vous avouerai que j’ai été un peu surpris de le voir accueilli dans un journal qui, généralement, est plus disponible pour d’autres discours.
Que dit, de son côté, Mme.Labat, politologue de métier et d’écriture ?
Le titre de son interview a le grand mérite de la clarté :
« Bi-nationalité : notre futur », avec une première question sur son titre : choix de l’auteur ou choix du journal ?
La politologue inscrit son analyse, mais d’abord son discours, dans un constat historique qui, pour le moins, prête à discussion :
On admettrait la bi-nationalité d’Eva Joly,
« Mais l’admettrait-on d’un Franco-Algérien ? Le doute est permis, car c’est bien la bi-nationalité d’anciens ressortissants de l’empire qui alimente un imaginaire dont on peut douter qu’il soit lui-même décolonisé. »
Soit ! Mais aucune école historique sérieuse n’a jusqu’à présent démontré que l’imaginaire de la France ait été colonisé, au temps du fameux empire colonial, pas plus d’ailleurs qu’aucune enquête statistique sérieuse et récente n’a d’ailleurs également démontré que le Français d’aujourd’hui souffrirait encore d’un imaginaire colonial, transmis sans doute par l’inconscient collectif français, ainsi que l’a prétendu une historienne postcoloniale assez connue. !
Est-ce que les chercheurs qui défendent ce type de thèse auraient peur des résultats de ce type d’enquête ? Sinon, pourquoi ne la font-ils pas ?
Pourquoi le CNRS et la CADIS, avec le soutien du grand journal qu’est le Monde, ne lancent-ils pas une enquête approfondie sur le sujet ?
Chaque jour voit en effet fleurir je ne sais combien de sondages et d’enquêtes de toute nature et de tout acabit !
Citons encore ses réflexions sur le même sujet qui n’ont à mes yeux pas un meilleur fondement scientifique :
« Seule l’ intégration de l’épisode colonial dans les représentations collectives françaises fragilisées par la mondialisation permettrait de repenser la question de l’altérité, et, par- là, celle de la construction nationale dans le cadre d’une République qui serait à même de reconnaître une forme de « diversité » de la société française susceptible de faire échapper les populations issues de l’empire à un statut d’éternelle infériorité »
Mais alors un nouvel imaginaire colonial serait à construire ou à reconstruire, puisqu’il faut une « intégration » ?
Et plus loin encore, mais là le commentaire montre le bout de l’oreille, celui de l’Algérie, toujours, et toujours l’Algérie !
« Ainsi chaque événement lié à notre passé algérien est-il irrémédiablement décliné sur un mode passionnel. Le consensus n’est toujours pas fait autour des tabous de la décolonisation et de la perte de l’Algérie française.
Autant d’occasions manquées qui auraient pu permettre de prendre publiquement acte au sein de la population française de millions de Français issus des ex-colonies et d’achever par cette unique voix le deuil de l’empire ainsi que la réconciliation des Français, d’où qu’ils viennent, autour de valeurs communes fondatrices d’une identité nouvelle et enrichie. »
On voit bien ici que Mme Labat, au même titre que beaucoup d’autres chercheurs, est obsédée par la question algérienne, mais l’histoire de l’Algérie n’est pas l’alpha et l’oméga de l’histoire coloniale, et une fois de plus, je mets au défi l’intéressée de nous produire une enquête sociologique sérieuse qui nous convainque de la justesse de son propos quant au deuil de l’empire.
Il y a là un immense malentendu entre ces chercheurs et la plupart des Français qui n’ont jamais eu besoin de faire leur deuil de l’Empire, mis à part ceux originaires de l’ancienne Algérie dite Française, et une petite minorité d’autres Français venus d’autres colonies.
Cette interview a le mérite de poser un certain nombre de questions de fond, mais au travers d’une analyse qui parait beaucoup s’éloigner des exigences d’une analyse scientifique solide, une opinion donc, plus qu’une analyse scientifique de la situation, sa problématique, ses caractéristiques, une mesure rigoureuse du phénomène et de son évolution.
Conclusion d’une scientifique ou opinion d’une militante ?
Très nombreux sont les intellectuels, romanciers ou philosophes qui ont milité pour telle ou telle cause nationale ou internationale, et c’était leur droit de citoyen, mais il semble plus difficile d’accepter un tel mélange des genres de la part de chercheurs qui prétendent inscrire leurs travaux dans l’exigence scientifique.
Opinion qu’elle a d’ailleurs donnée dans une interview au Quotidien d’Oran, le 2 juin 2011, en évoquant son livre consacré aux bi-nationaux franco-algériens :
« C’est la raison pour laquelle je conçois mon livre comme un ouvrage certes universitaire, mais aussi militant. Nous sommes nombreux à être les parents d’enfants binationaux. Ils représentent une richesse… »
Comment écrire « l’imaginaire français n’a pas achevé de se décoloniser », sans apporter aucune preuve statistique de ce type de propos ?
Comment peut-on tenir ce type de discours, alors même que l’on est bien incapable de fournir aucun chiffre des bi-nationaux en question, sous prétexte qu’il est interdit en France de faire de la statistique ethnique ?
Dans son interview au Quotidien d’Oran l’intéressée déclare :
« Par extrapolation, il se dit que les bi-nationaux représenteraient quelque quatre millions d’individus, statistique communément admise par les autorités françaises. »
Et sur ce total, combien de bi-nationaux franco-algériens ?
Déni du passé colonial ? C’est encore à démontrer, sauf en ce qui concerne l’Algérie, un dossier et une mémoire effectivement sensibles, mais il parait illusoire de croire que la bi-nationalité franco-algérienne apportera la solution, l’apaisement, bien au contraire, parce qu’il existe, comme la politologue le sait, d’autres groupes de pression influents qui cultivent effectivement leur mémoire, et qui ne sont sans doute pas prêts, comme beaucoup d’autres Français, à reconnaître que la France c’est l’Algérie.
Il est possible de comprendre, et d’apprécier la démarche personnelle de la politologue qui, en sa qualité de mère tente de faire le lien entre deux pays, les deux nationalités, mais il est non moins évident que la double nationalité constitue aussi un avantage pour ses bénéficiaires, et la politologue sait combien elle a été, après la deuxième guerre civile des années 1990, et est encore aujourd’hui recherchée, en Algérie.
Pourquoi la République Française s’interdirait de réexaminer les problèmes jusqu’alors inconnus, soulevés éventuellement par une bi-nationalité nouvelle, importante, liée sans doute aux séquelles de la décolonisation, il y a plus de cinquante ans, mais tout autant aux effets de la mondialisation des flux démographiques ?
Le dossier de la bi-nationalité est un dossier sérieux qui doit être ouvert dans toutes ses dimensions géographiques et humaines, qu’il s’agisse des anciens territoires français qui méritent effectivement un examen particulier, ou d’autres pays de la planète, temporelles avec la prise en compte du long terme, stratégiques, en tenant compte de l’instabilité du monde méditerranéen, et des risques de répercussion sur notre vie nationale, enfin de la dimension réciprocité.
J’ai entendu M. Bayrou se déclarer favorable à la bi-nationalité, pourquoi pas ? Mais a-t-il bien pris en compte l’ensemble de ces données ?
Il serait intéressant de connaître son avis sur la situation d’un bi-national malheureusement célèbre, le soldat franco-israélien Shalit.
Tels sont les enjeux d’un vrai débat, qu’on aurait tort de simplifier, même sur la plan « scientifique » !
Pour clore provisoirement ce rapide examen, j’aimerais citer un de mes auteurs de jeunesse préférés, Albert Camus, qui prononça dans sa conférence de presse de Stockholm du 12 décembre 1957, la fameuse phrase contestée :
« J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois en la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »
Quelle sera la position des parents et des enfants bi-nationaux en cas de crise ou de conflit ?
Alors point trop d’angélisme, il ne faut !
Jean Pierre Renaud