Guerre d’Algérie: « La grotte », roman de Georges Buis

Lecture

Une lecture de vacances sur la guerre d’Algérie, un livre acheté dans une brocante d’été

            Un livre du colonel Buis, écrit dans les années 1959-1960, et publié en 1961. Je ne l’avais jamais lu, car j’ai toujours manifesté une grande méfiance à l’égard de tous les livres de témoignages sur la guerre d’Algérie.

            Or il se trouve que j’ai trouvé dans ce livre une situation, une problématique, et un regard sur l’adversaire qui me furent familiers dans un secteur militaire voisin de celui du colonel Buis, sur l’état d’esprit et le comportement des militaires, des combattants algériens et des civils.

            A la fin du siège et de la réduction (par morts ou prisonniers) d’une grotte immense, aux ramifications nombreuses et profondes, dont l’entrée était cachée sur une très haute falaise, le héros du roman, le commandant Enrico est récompensé de son succès militaire par une mutation de sa hiérarchie qui sanctionne son refus de la politique officielle de regroupement de la population, et comme dans une tragédie antique, il est assassiné, puis égorgé, avant son départ d’Algérie, par un des rares survivants de la grotte.

            Double symbole donc de l’échec du commandant Enrico !

            Le décor de cette action militaire est superbe, et le savoir-faire militaire, à la fois classique, technique, et d’abord humain, mis en œuvre pour réduire cette grotte, est exceptionnel.

            Une certaine conception de la guerre 

            Le roman décrit bien les états d’âme d’un officier confronté à la complexité de cette guerre et le paragraphe suivant en propose un bon exemple :

            « Enfin – deuxième point –  je pense que pour réaliser le processus en cours et pour « contrer » celui que je pressens de la part des rebelles, il faudrait qu’il y ait un capitaine Valère par sous-quartier, soit mille capitaines Valère en service à la fois dans ce pays. Or, honnêtement, je ne crois pas qu’il y en ait dix dans toutes l’armée ou ailleurs. Alors ? Alors, c’est une question à traiter à la tête, par la politique, puisqu’on ne peut la traiter à la base par empirisme. » (p,88)

            Le commandant Enrico affiche un grand scepticisme sur la fameuse action psychologique de l’armée, et au cours de ses nombreuses conversations avec ses capitaines, il décrit la complexité des codes de langage, d’interprétation, de compréhension ou de non – compréhension qui existaient entre militaires et civils : qui était qui et quoi ? Les non-dits, les silences, les lâchetés, souvent légitimes…

            Lorsqu’on a fréquenté des villages kabyles à la même époque, la relation qu’en fait le commandant, à sa descente d’hélicoptère, est tout à fait celle qui aurait pu être mienne dans le douar des Béni Oughlis  (sans hélicoptère) :

            « Enrico appuyé sur sa canne, vent aboli, regardait cent cinquante sacs. Il maîtrisait de toute sa volonté une envie folle de s’asseoir parmi eux, d’être l’un d’eux, de parler avec eux… » (p,118)

            Les « sacs » silencieux que l’on rencontrait alors devant la mosquée de chaque village !

                        Un jugement sévère à la fois sur la guerre psychologique et sur la politique de regroupement de la population qui lui vaudra donc, à la suite de la visite d’un missus dominici de l’état major, sa mutation.

            Une dernière citation pour bien comprendre ce que pouvait être l’état d’esprit d’un officier lucide et expérimenté, à la fin d’un séjour en Algérie :

            « Pas d’assis aujourd’hui. Tout le village s’égaillait au travail…On eût dit un village heureux. Il fallait la surprenante solidarité qui liait secrètement dans une humiliation de même nature l’armée à la population, pour qu’Enrico sentît qu’une mince feuille d’isolant séparait l’image de la réalité. Car, appartenir, en dépit des apparences, à cette catégorie de gens à l’égard de qui les possédants, les technocrates, les malins, pratiquent un même paternalisme hypocrite, crée, sur fond de frustrations consenties ou subies, des sensibilités étrangement voisines. Mais si ce réflexe fondamental et affectif était un bon point de départ pour se comprendre, il n’offrait malheureusement aucune possibilité d’accord politique… (p,301)     

                                                                        Jean Pierre Renaud