Lettre aux Psy, docteurs en histoire coloniale, ou en journalisme

Lettre aux Psy, docteurs en histoire coloniale, postcoloniale, ou en journalisme

Adaptation libre, mais « savante », de la BD « Les psy » de Bedu-Cauvin, avec les docteurs Médard, Pinchart et Julie Clément

            Pour avoir lu beaucoup d’ouvrages ou de récits d’histoire coloniale ou postcoloniale, grande fut, trop souvent, ma surprise et ma perplexité, de  buter sur des mots qui relevaient, sans aucun doute possible, de la psychanalyse.

            De quelle maladie psychique pouvaient souffrir tous ces Français dont les «  psy » relevaient autant de de signes cliniques ? Qui étaient les malades ?

Le florilège savant des mots « psy », soi-disant symptômes de la maladie : les mots de la maladie

         La première fois, sans aucun doute, que j’ai rencontré ces mots psy fut, lorsque je m’attaquai à la lecture des ouvrages savants publiés par le collectif, non moins savant de chercheurs de l’équipe Blanchard and Co sur la culture coloniale ou impériale, à la suite d’un Colloque Images et Colonies, encore plus savant, tenu en janvier 1993, sur les images coloniales.

        Je me souviens de l’expression qu’une historienne bien connue de ce monde savant utilisait alors, à plusieurs reprises dans ses contributions, « l’inconscient collectif », aux côtés d’ailleurs d’une autre historienne spécialisée sur l’Afrique du Nord.

       De quoi s’agissait-il ? A quelle source faisaient-elles référence ? Comment mesurer cet inconscient ? Avec quels instruments historiques et scientifiques ?

       Madame Coquery-Vidrovitch faisait l’aveu qu’elle n’avait pas eu envie de venir à ce colloque, en indiquant « Pour comprendre un réflexe de ce type, il faut faire la psychanalyse de l’historien ».

          Les chercheurs eux-mêmes de ce collectif faisaient appel à tout un ensemble d’expressions de type psy, au choix de quelques-uns d’entre eux.

            Dans « Culture coloniale : « … comment les Français sont devenus coloniaux sans le savoir … coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel…

          L’école républicaine joue ainsi un rôle majeur en ancrant dans les consciences la certitude de la supériorité du système colonial français… le bain colonial… Une culture au sens d’une imprégnation populaire… une culture invisible…dans le cadre d’une société française totalement imbibée de schèmes coloniaux.

       Dans Culture Impériale, deux citations :

     « Pour la grande majorité des Français de cette fin des années 1950, imbibés consciemment ou pas de culture impériale… Ces éléments marquent sans aucun doute l’importance qu’ a prise l’empire dans les consciences tout autant que dans l’inconscient des Français ».

            Dans La République coloniale, quelques-uns des mots psy choisis :

            « La France s’est imprégnée en profondeur de l’idée coloniale… de façon souterraine… Car la France continue de se voir à travers l’impensé colonial »

            Dans La Fracture coloniale :

            « les archétypes relatifs aux populations coloniales … les réminiscences restent palpables »

            Au Colloque de 1993, l’historien Meynier avait posé la question :

      «  Compte tenu de ce constat et des images officielles propagées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière- plan lorsque l’on évoque les colonies :

   Imaginaire colonial et inconscient colonial

   Inconscient français et mythes colonisation : salvation et sécurisation »

   Plus de vingt ans plus tard, les docteurs psy n’ont jusqu’à présent apporté aucune réponse qui démontre la pertinence scientifique de leur discours psy.

        Le mémorialiste et historien Stora a, de son côté, lui-même contribué à renforcer l’audience de l’école des docteurs psy, notamment dans le petit livre « La guerre des mémoires ». (2007)

      Le journaliste Thierry Leclère commence à interroger M.Stora en faisant un constat : « La France est malade de son passé colonial », et M.Stora d’enchaîner sur « le deuil inachevé », le rôle d’une « Algérie centrale » », « une mémoire de vaincus », la « bataille mémorielle », « une grande blessure narcissique », « dans sa mémoire collective », « les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale de leurs pères », « Mais c’est la guerre d’Algérie qui est le nœud gordien de tous les retours forts de mémoire de ces dernières années », « cette mémoire blessée ».

            L’auteur note toutefois que « Vu d’Algérie » au sujet de Boudiaf : «  il est revenu d’un long exil ; les jeunes Algériens ne connaissaient pas son nom » .

            Et plus loin, « les mémoires bafouées », « ces saignements de mémoire », « des ruminations  secrètes »…

            Ne s’agirait-il pas de la maladie « narcissique » d’un enfant, pied noir d’Algérie, né à Constantine, qui fut rapatrié à l’âge de douze ans ?

          Les symptômes de la maladie ainsi décrite dataient de l’année 2007, mais un nouveau petit livre publié par l’intéressé a valu à son auteur un commentaire d’approbation, pour ne pas dire de bénédiction, de la part de M.Frappat, ancien directeur des journaux Le Monde et La Croix.

         Cette critique était intitulée « Souvenirs longue portée » dans le journal La Croix du 31 décembre dernier (1).

         L’ancien journaliste et directeur de référence brode une critique qui fait appel aux mêmes signes cliniques de maladie postcoloniale que ceux de M.Stora.

         « Il y a un refoulé qui revient de loin », « l’effet retard du passé », « « Et sans le retour violent du refoulé comment expliquerait-t-on la haine que tant d’anciens peuples colonisés éprouvent à l’égard de tout ce qui peut rappeler le temps des colonies et de leur servitude ?…

     « Dernier exemple en date : la mémoire de la guerre d’Algérie… l’effet retard du passé. D’abord nous avons été interloqués d’apprendre que beaucoup de terroristes qui, depuis des mois, ont entrepris de saigner la France étaient des jeunes Français vivant parmi nous depuis leur naissance »…,

     « Ce lien est peut-être la persistance, dans l’âme française, d’une question  non résolue, d’un traumatisme non digéré qu’est la guerre d’Algérie »

        En oubliant sans doute la guerre civile des années 1990 qui a ensanglanté ce pays et qui a incité de nombreux Algériens à venir en France, et qui a succédé, plus de trente ans plus tard, à une autre guerre civile, qui ne disait pas son « nom » !

       Il convient de rappeler que M.Stora a évoqué aussi le camp des « Sudistes » qui existerait dans notre pays : après le rapprochement avec la mémoire de Vichy, notre mémorialiste national n’hésite pas à trouver une comparaison historique, non moins hardie, avec le Vieux Sud des Etats Unis, le Sud esclavagiste.

        L’ancien journaliste de référence note toutefois plus loin :

       « De l’autre côté de la mer, de l’autre côté des peuples, on connait mal les effets de la mémoire de la guerre d’Algérie sur les populations de ce pays »,  avec une phrase de conclusion effectivement explosive : « Les mémoires sont parfois bourrées d’explosifs. »

      Comment ne pas être étonné que l’honorable Monsieur Frappat mette les attentats de Daech sur le compte de la mémoire coloniale, ou plutôt algérienne ?

Le diagnostic de la maladie, par les Psy, docteurs en histoire ou en journalisme.  

     Ce diagnostic vaut largement celui des médecins de Molière !

     « Serais-je devenu médecin sans m’en être aperçu ? »  – « Sganarelle, dans Le médecin malgré lui  »

       Dans quel domaine sommes-nous ? Médecine ? Psychanalyse ? Journalisme ? Littérature ? Histoire ? Idéologie ?  Politique ? Repentance religieuse ?

       Quelles sont les preuves de la maladie psy ainsi décrite ?

       Avez-vous effectué des enquêtes statistiques sérieuses qui vous permettent d’accréditer votre diagnostic sur la maladie dont la France souffrirait ?

       A les écouter : « Je suis malade, complètement malade » pour reprendre un refrain populaire des années 1970, de Serge Lama, mais de quoi précisément suis-je malade ?

      De quelle maladie les Français souffrent-ils ? Quels Français ? Quels peuples anciennement colonisés ? Les docteurs Psy eux-mêmes ou les Français en général ?

     Une maladie tout à fait étrange qui n’a pas dissuadé beaucoup de maghrébins, dont une grande majorité d’Algériens, et d’Africains, de venir émigrer massivement dans une France qui s’est transmise clandestinement les poisons du colonialisme, pour autant qu’ils aient toujours et partout existé.

      Cette immigration régulière et irrégulière n’a pas été négligeable, même si les spécialistes ont de la peine à se mettre d’accord sur les vrais chiffres.

       Monsieur Stora cite ses propres chiffres : «  la France se découvre aujourd’hui avec cinq à six millions de musulmans »

      Des immigrés masochistes à ce point ?

      Ou plus vraisemblablement des docteurs Psy effectivement masochistes, toujours prêts à sacrifier à leurs exercices habituels d’autoflagellation nationale, d’une repentance de nature ambiguë, des adeptes d’une nouvelle congrégation de flagellants ?

      Je suis issu d’une famille de l’est de la France qui a connu trois invasions allemandes en moins d’un siècle, une invasion, dont les ambitions et la réalité ne soutenaient aucune comparaison avec la colonisation, j’espère que les docteurs Psy en conviendront. Je n’ai jamais entendu dans ma famille ce type de discours mémoriel, à l’égard de nos amis allemands, un discours que je classe donc dans la  catégorie de la toute nouvelle propagande « made in France », une nouvelle propagande tout à fait subversive.

          Je crois avoir démontré ailleurs que la propagande coloniale n’a jamais eu l’importance et l’efficacité faussement décrites dans les ouvrages du collectif Blanchard and Co.

          Cela fait des dizaines d’années que ma famille prône la réconciliation de la France et de l’Allemagne, sans rien demander.

      J’ai donc le droit de me poser la question du bien-fondé de ces discours psy de nature mémorielle, indépendamment du fait que jusqu’à présent personne n’a eu le courage de vérifier si des enquêtes statistiques sérieuses sur la ou les fameuses mémoires existaient et avec quel contenu ?

         Mon propre diagnostic repose plutôt sur l’ambition qu’ont ces docteurs psy de complaire à une partie par trop « apatride » de notre bel establishment, à un électorat que les politiques cherchent à séduire, ou à un public éditorial qui raffole de l’autoflagellation nationale, au prix de mettre en danger notre unité nationale sacrifiée à un cosmopolitisme propre à encourager toutes les anarchies, et la prospérité d’une « multinationale » française que personne n’a le courage de contrôler.

          N’existerait-il en effet pas d’autres explications sur les raisons des malaises sociaux dont la France souffrirait ? Une immigration mal contrôlée qui bouleverse les conditions de vie dans certains de nos territoires ? L’arrivée d’un Islam dont les Français ignoraient tout de son existence ?

          Quant à « notre ancien outre-mer », encore plus malins seraient les docteurs psy qui pourraient décrire les souffrances de leur mémoire coloniale, pour autant qu’ils connaissent mieux leur histoire coloniale que les Français !

       M.Stora citait le cas de Boudiaf pour l’Algérie, mais quand Chirac, dans la même veine de mémoire, est venu à Madagascar, en 2004,  pour y faire entre autres, repentance de la répression violente de  1947, les observateurs les plus objectifs ont pu noter que ce type de couplet avait fait un grand flop !

        Ma conclusion sera que les docteurs psy, en tout genre, et de tout acabit, parce qu’ils sont les véritables responsables du type de mémoire décrit mais jamais évalué, d’une mémoire d’autoflagellation, ont fait prendre un véritable risque national à notre pays, celui d’une autoréalisation, quelquefois « explosive » de cette mémoire trafiquée parmi certains jeunes de France.

      Pourquoi ne pas constater en effet, avec de la tristesse, en effet qu’un des représentants de notre bel establishment, l’honorable Monsieur Frappat a prêté sa voix à ce nouveau chœur de « repentants» ?

       Un establishment qui marie paradoxalement son goût de la grandeur passée, (voir Libye, Mali, Centrafrique, Syrie…), la France gendarme du monde ou centre du monde, au choix, et son penchant psy pour un passé encore inexplicable et inexpliqué pour les ignorants.

      Alors oui, pourquoi ne pas revenir au grand Molière, une valeur sûre, et terminer mon propos par une citation « médicinale » tirée de Monsieur de Pourceaugnac ?

     « Second médecin

     « A Dieu ne plaise, Monsieur, qu’il me tombe en pensée d’ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous avez si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu’il est impossible qu’il ne soit pas fou, et mélancolique hypocondriaque ; et quand il ne le serait pas, il faudrait qu’il  le devint, pour la beauté des choses que vous avez dites, et la justesse du raisonnement que vous avez fait »

Molière, Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, Scène VIII »

          Et pour mot de la fin du fin, les docteurs psy n’auraient pas pu s’emparer d’un  tel sujet, notamment dans le cas de l’Algérie, si les Accords d’Evian n’avaient pas acté que les crimes de guerre, donc commis dans les deux camps, seraient amnistiés ! En ouvrant tout grand le champ de toutes les hypothèses, même les plus scabreuses !

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

  1. Ci-après le texte du courrier que j’ai adressé au journal La Croix le 31 décembre 2015 :

      «  Bonsoir, il est sans doute dommage de commencer la nouvelle année, mais je voudrais dire à Monsieur Frappat tout le mal que je pense de sa chronique sur les souvenirs longs et sur ses références aux écrits Stora, et encore plus sur le rapprochement très douteux qu’il propose entre Daech et la guerre d’Algérie, pour ne parler que de ce conflit.

         Monsieur Frappat ferait bien de suggérer ou de financer lui-même une enquête de mémoire collective sérieuse sur le passé colonial et sur le passé algérien, dont s’est emparé son auteur de référence, car, jamais, sauf erreur, Stora n’ a accrédité sa thèse en fournissant la moindre preuve statistique de sa thèse mémorielle. Récemment la Fondation Jean Jaurès associée à un journal que Monsieur Frappat a dirigé un temps, a proposé une enquête sur ce type de sujet, mais une enquête très mal ficelée statistiquement, avec une batterie de questions très imparfaite.

         Je dirais volontiers à monsieur Frappat que ce sont plutôt, à l’inverse de ce qu’il croit et écrit, des gens comme Stora qui ont accrédité auprès de certains jeunes l’existence les souvenirs de longue portée dont il parle.

        Il s’agit d’un sujet que je crois connaître assez bien, celui d’une nouvelle propagande beaucoup plus insidieuse que la propagande coloniale, quand elle exista, la nouvelle propagande de l’autoflagellation historique et de la repentance : non, Monsieur Frappat, tous les petits Français qui ont servi la France en Algérie ne furent pas de petits ou grands salauds, des colonialistes de tout crin, pour ne parler que de ceux qui luttèrent, nombreux, pour que la paix revienne dans une Algérie nouvelle, celle de l’indépendance.      Quant au bouquin de Monsieur Jenni sur l’art de la guerre, je dirais qu’il sue par toutes les pores de ses lignes d’écriture talentueuse le même type de discours sirupeux. Bonne année pour une enquête mémorielle enfin sérieuse que pourrait lancer notre beau journal assomptionniste. »

Le livre « Supercherie Coloniale » Chapitre 7 La Propagande Coloniale

Supercherie Coloniale

Comme annoncé, ci-après le texte du chapitre 7, intitulé « La Propagande coloniale », page 169 du livre  

Chapitre 7

La Propagande coloniale

            Nous touchons ici à un domaine sensible puisqu’il fait référence à une entreprise de propagande politique qui a eu beaucoup de succès dans les régimes totalitaires, qu’il s’agisse des dictatures communistes, fascistes ou nazies.

            Les ministres des colonies et leurs gouvernements  de gauche comme de droite, qui se sont succédé entre les deux guerres, n’ont en tout cas pas eu peur du mot, en tentant de faire de la propagande coloniale. Entre temps, le mot a pris un tout autre sens ! Et dans l’acception des années 30 et pour les agences des colonies, il s’agissait plus de publicité, de contribution à l’organisation d’expositions, que de propagande politique !

            Est-ce que cette propagande eut du succès, compte tenu des moyens mis en œuvre ? La question mérite d’être posée et de recevoir une réponse.

            Constatons en tout cas que les Français n’étaient naturellement pas convaincus de l’intérêt des colonies, puisqu’il était nécessaire de tenter de leur inculquer, par le moyen de la propagande, un virus colonial qu’ils n’avaient pas.

            Il est donc très important d’analyser avec beaucoup de rigueur et de précision la propagande coloniale, et je dois dire dès le départ que le discours de l’historienne Lemaire sur la propagande coloniale, proposée comme la spécialiste de ce domaine historique dans les livres analysés, suscite beaucoup de questions de ma part.

            La première sur l’absence des références des sources qu’elle a consultées, entre autres au Centre des Archives d’Outre Mer à Aix. Quant à la thèse qu’elle a faite à ce sujet, à l’Institut universitaire de Florence que je n’ai pas trouvée.

            Nous examinerons les autres questions au fur et à mesure de l’analyse.

Un discours carré, catégorique, tonitruant sur la propagande coloniale

            Dans l’ouvrage Culture coloniale, et sous le titre Propager : l’Agence générale des colonies, l’historienne caractérise la puissance et l’efficacité des actions de propagande par un florilège d’expressions, et naturellement de jugements :

            « L’Agence : une machine à informer et à séduire (CC/138)… , et l’Agence des colonies fut chargée de faire l’« éducation coloniale » des Français (CC/139) … L’Agence : « chef d’orchestre »…La force de l’Agence fut de s’imposer, dès l’entre-deux guerres, comme l’épicentre de l’information coloniale… Au coeur de l’idéologie coloniale en métropole, il n’y avait dès lors que peu ou pas de contre discours, car l’Agence « inondait », gérait et générait son propre discours en s’assurant la maîtrise de sa production et des relais de diffusion. » (CC/140).

            « Le discours  était ainsi uniformisé grâce à un réseau structuré et multiple, capable de toucher toutes les strates de la société et l’ensemble des Français…L’Agence a ainsi tissé une toile où tous se sont retrouvés dans le credo colonial à « prêcher leur foi » dans l’empire. Une fois établie, cette structure servait à manipuler l’opinion par une panoplie de supports variés, allant de l’objet du quotidien au plus insolite, mais surtout en utilisant le pouvoir de la presse et des images, en grossissant, minorant, occultant, valorisant certains faits. En effet, la propagande ne se limite pas au martèlement d’un discours de promotion d’une idéologie déterminée, mais s’étend à la sélection des informations, à leur tri, à leur hiérarchisation, à leur mise en perspective de même qu’à leur rédaction et à leur accompagnement iconographique ou sonore. » (CC/140)

 Le lecteur doit se rappeler que cette analyse se rapporte à la période retenue par l’ouvrage, c’est-à-dire 1871-1931, et aura la possibilité plus loin de juger du sérieux de cette analyse, compte tenu de l’organisation et des moyens de cette Agence à cette époque de référence.

            Ce qui n’empêche pas l’auteur de faire appel à des expressions fortes, excessives, « tissé une toile, manipuler l’opinion, martèlement d’un discours. »

 Au risque de lasser le lecteur, il faut citer d’autres affirmations :

            « La force de l’Agence résidait exactement dans ce « brouillage des ondes » –omissions partielles ou totales -une grille de lecture édulcorée, imposant une vision qui, pour les métropolitains, rendait impossible d’aborder l’autre côté du miroir. » (CC/144)

            « Français, vous avez un empire : un mythe pérenne

            L’omniprésence de l’Agence, dans le temps, dans l’espace, dans les supports, dans les relais, permet de concevoir la création d’un espace mental basé sur des éléments disponibles au sein de la société et qui ont permis que fonctionne la fiction : supériorité de la culture occidentale, de la civilisation, du système économique, détention des clés du progrès. »(CC/144)

 Et en conclusion  de l’analyse de cette formidable machine de propagande, omniprésente :

            « Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était-elle parfaitement intériorisée. Elle se mesure encore actuellement à travers les mêmes images, les mêmes discours tenus sur des pays du « tiers monde » ou » en voie de développement »  ou  « les moins avancés ».

            Ouf ! Nous avons échappé pour l’instant à la crise des banlieues et aux indigènes de la République !

            Histoire ou littérature, mémoire ou idéologie ? Je mets au défi l’historienne de tirer des cartons d’archives du Centre des Archives d’Outre- Mer des exemples concrets de la manipulation dénoncée, outre le fait qu’elle n’apporte aucune démonstration d’une intériorisation réussie.

            Dans l’ouvrage suivant, consacré à la Culture impériale, fixée à la période 1931-1961, nous retrouvons le même type de discours. Notons en passant que l’Empire a disparu des institutions en 1945.

            Sous le titre :

             « Promouvoir : fabriquer du colonial

            C’est la raison pour laquelle l’apogée colonial des années 1930 se traduit par une véritable promotion de l’idée impériale menée par la République, via son agence de propagande officielle, et largement relayée au sein de la société par le monde scolaire ou d’autres acteurs, en particulier la presse et le cinéma. » (CI/45)

            L’historienne note :

            « Car ce qui fabrique et surtout inscrit durablement la culture impériale, ce sont les moyens mis en œuvre pour banaliser cet Empire, en le rendant omniprésent et quotidien. »(CI/47)

            « La stratégie consistait donc à frapper en premier lieu les imaginations puis d’inculquer, à la fois de manière subtile et très systématique, le contenu de son idéologie. »(CI/48)

            Le lecteur notera que je n’ai trouvé aucune trace de stratégie dans les cartons d’archives de la fameuse Agence. En ce qui concerne la propagande coloniale d’une presse subventionnée, nous reviendrons plus loin sur le sujet avec des chiffres précis.

            Et pourquoi ne pas avoir écrit que cette fameuse action de propagande qui aurait été magistralement menée par l’agence des colonies fut interrompue entre 1934 et 1937, puisqu’elle fut supprimée pendant ces trois années .

            L’historienne a fait paraître une deuxième contribution dans le même livre, intitulée Manipuler : à la conquête des goûts, dans laquelle elle fait un sort particulier au riz, analyse qui fera l’objet de notre contrepoint final.

            Dans un livre ultérieur intitulé l’Illusion coloniale, paru en 2005, l’historienne poursuit dans la même veine littéraire, La fabrique de l’opinion (ILC/70) :

            « Mais c’est principalement à partir de 1919, lorsque l’Office est réorganisé en Agence générale des colonies et que des agences territoriales la soutiendront dans cette action, que la propagande officielle trouve toute son efficacité. Organisme tentaculaire, au centre de la création et de la diffusion du mythe, la République promeut, grâce à lui, l’idéologie coloniale à une échelle jamais atteinte auparavant. »

            L’historienne n’hésite pas à écrire plus haut qu’à compter de 1899, jusqu’à  la perte de l’empire colonial en 1962, « la France a toujours disposé de cet organisme », ce qui est faux, comme nous l’avons relevé plus haut, en ajoutant que l’Agence qui lui a succédé a été supprimée en 1953.

            Plus loin :

            « La conquête du public

            Chargée de faire leur « éducation coloniale », l’Agence générale des colonies a pour objectif d’inciter le public à intégrer la notion d’empire dans son système de pensée mais aussi dans sa vie quotidienne. L’Etat cherchait à ancrer la conviction que le domaine outre-mer ne faisait qu’un avec la métropole, constituant une part intégrante de la nation rebaptisée la « Plus Grande France »…Utilisant une multitude de relais…l’Agence est capable de toucher les Français dans leur imaginaire comme dans leur quotidien » (ILC/72)

            « Séduire les enfants :

            La jeunesse est une cible privilégiée à laquelle on propose une stratégie savamment élaborée. » (ILC/74)

            « Les slogans de l’Empire :

            Sans s’en rendre réellement compte, soumis à un discours uniforme et omniprésent, les Français, y compris ceux qui ne se sentent peu concernés par l’Empire, sont pénétrés de cette mission et de ses slogans : enseigner, soigner, administrer, bâtir. » (ILC/78)

 Le lecteur aura noté la précision du propos « y compris ceux qui ne sentent peu concernés par l’Empire. » Qu’est-ce à dire ? A partir de quelle preuve ?

            Le livre La Fracture coloniale prend acte de ce discours dans l’enquête par sondage que ce collectif de chercheurs a effectuée à Toulouse en 2003, à propos du jugement positif ou négatif sur la période coloniale. Je cite :

            « On note toutefois une rupture générationnelle. En effet, 48,8% des plus de 55 ans estiment que « la colonisation a beaucoup apporté aux pays concernés » (les autres catégories d’âge s’échelonnant entre 18,8% et 28,8%.) Ce qui n’est pas surprenant, dans la mesure où ceux-ci ont été soumis durant leur adolescence à un enseignement du fait colonial nettement laudatif (les décolonisations n’étant pas achevées) et à une propagande dont plusieurs travaux récents ont montré l’ampleur.

            En note 6 de bas de page : Voir par exemple Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Francis Delabarre, Images d’Empire, La Documentation française, La Martinière, Paris 1997 ; Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, Culture coloniale 1871-1931, op.cité et Culture impériale.1931-1961 . Autrement, op.cité (FC/277,278)

 Et la boucle historique des sources est bouclée ! Nous avons mis en gras les travaux récents.

 Les sources de ce discours

 La première source possible d’un tel discours aurait pu être l’analyse très documentée de l’historien Ageron parue dans la Revue Française d’Histoire d’Outre Mer du premier trimestre 1990, intitulée Les colonies devant l’opinion publique française (1919-1939). Nous retrouverons l’analyse des premiers sondages dans le chapitre suivant.

            L’auteur écrivait :

            « L’objet de cet essai est une étude d’opinion publique : peut-on savoir si les Français, dans leur ensemble, s’intéressaient à leurs colonies entre 1919 et 1939 ; s’ils y étaient favorables, hostiles et indifférents ? Peut-on apprécier quel intérêt les attachait éventuellement à leur empire colonial et quelles furent les variations de ce qu’on appelait volontiers leur «  conscience coloniale » ?

            « Certes à cette époque, les techniques de sondage de l’opinion, déjà courantes dans les années trente aux Etats-Unis, sont à peine connues en France et une telle recherche peut paraître vaine sur le plan scientifique puisque nous ne disposons sur ce sujet que de quelques sondages, fort imparfaits et tardifs, en 1938 et 1939. Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire » de l’opinion, celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de sa recherche. Ce que l’on peut recenser en fait d’opinion publique, c’est soit l’opinion de la classe politique, soit l’action des groupes de pression… »(RFOM/31)

            « Lorsque nous pourrons développer cette recherche, celle-ci exigera sans doute des méthodes appropriées pour le traitement, par étude du contenu, de la presse d’information et d’opinion, des revues de culture générale et des revues coloniales, des ouvrages scolaires et des manuels d’enseignement supérieur…

            Peut-être devra-t-on tenter aussi de recourir à quelques sondages rétrospectifs auprès d’échantillons représentatifs des générations anciennes. Mais il ne peut s’agir là que d’une tâche de longue haleine et d’un travail d’équipe.

            C’est précisément dans l’espoir d’éveiller l’intérêt de quelques chercheurs ou étudiants que nous avons voulu présenter ici, beaucoup plus modestement, une première approche, tel qu’il nous apparaît après une enquête rapide à travers la presse coloniale et non coloniale et après une recension critique des témoignages fournis par les spécialistes du « parti colonial » sur l’audience de l’idée coloniale. » (RFOM/32) …

            « Dans ce terrain non défriché, il eut été plus habile de s’en tenir à la classique prospection des sources et à leur présentation, illustrée d’exemples, d’une problématique et d’un échantillon de méthodes. Nous avons pensé qu’il était plus loyal de dire simplement ce que nous savions et ce que nous ne savions pas, réservant à l’enseignement d’un séminaire recettes et hypothèses de travail, indication de pistes et souhaits de recherches précises. » (RFOM/33)

 Il nous a paru utile de citer presque in extenso ce texte qui expose clairement et honnêtement les problèmes de méthode rencontrés pour aborder le sujet, problèmes que nous avons déjà longuement évoqués dans les chapitres précédents et qui mettent en cause les fondements scientifiques du discours tenu par ce collectif de chercheurs.

            Car ce collectif de chercheurs a fait l’impasse sur les problèmes méthodologiques qu’ils auraient du résoudre préalablement, afin d’être en mesure de présenter concepts et théories qui seraient censées donner une représentation historique de l’opinion publique des périodes analysées.

            Mais que nous dit donc l’historien sur les résultats de la fameuse propagande coloniale dans l’opinion publique, puisque c’est l’objet de notre chapitre.

            « En 1918, le parti colonial réclamait « un service de propagande coloniale doté de tous les moyens nécessaires »…

            Mais en 1920, le puissant groupe colonial qui s’était constitué dans la Chambre bleu-horizon ne parvint pas plus à faire inscrire au budget les crédits nécessaires à cette propagande de grand style que le ministre A.Sarraut déclarait pourtant indispensable. » (RFOM/35)

 La presse coloniale ne touchait pas le grand public, et le député radical Archimbaud, inamovible rapporteur du budget des colonies dénonçait lui-même l’apathie gouvernementale dans ce domaine.

            Dans les années Vingt, « les coloniaux et les colonisés étaient gens d’une autre planète, la masse de l’opinion française  demeurant dans son indifférence antérieure. »

 La grande presse jugeait « invendable » la propagande coloniale.

            La situation changea entre 1927 et 1931 avec le lancement d’une grande campagne de propagande coloniale qui trouvera son couronnement dans la grande Exposition de 1931. La presse d’information s’associa pour la première fois à la propagande coloniale.

            Mais l’historien de rappeler ce que déclarait, en juillet 1928, le directeur de la Ligue maritime  et coloniale, présentée comme un des moteurs de la propagande coloniale, au sujet des résistances des milieux d’enseignants :

            « Le milieu qui a charge de forger la mentalité française, c’est à dire le corps enseignant, est celui qui y est demeuré jusqu’à présent le plus étranger, à quelques exceptions près. » (RFOM/48)…

            « Le parti colonial disposait maintenant de l’appui du gouvernement Tardieu (1930)….Il n’est pas jusqu’au ministère des Colonies où, pour la première fois, on ne s’occupât de propagande impériale. » (RFOM/51)

            Alors que la fameuse Agence générale des colonies et que les agences économiques des territoires existaient depuis au moins dix ans, que ces outils de propagande étaient à l’entière disposition de ce ministère ! Le lecteur n’y retrouvera sûrement pas les descriptions qu’en a faites plus haut l’historienne Lemaire.

            Quant à l’exposition de 1931 qui a déjà été évoquée, et en dépit des campagnes de propagande et de son succès immédiat, rappelons le jugement de Lyautey qui en avait été le patron et un des initiateurs: « Ce fut un succès inespéré »,  disait-il le 14 novembre 1931, mais dès 1932, il ajoutait « qu’elle n’avait en rien modifié la mentalité des cerveaux adultes, ni ceux des gens en place qui n’étaient pas par avance convaincus. » Telle parait bien être la juste conclusion qui se confirma, nous le verrons, dans les années suivantes. » (RFOM/52)

            Comme on le voit ici encore, on est loin des descriptions de la propagande que cette historienne a faite précisément pour cette période chronologique de 1919-1931 ! En ajoutant qu’il ne reste plus beaucoup de temps à nos brillants propagandistes coloniaux pour faire mieux, étant donné que quelques années plus tard la France va entrer dans une ère de turbulences internationales, et que cette situation va conduire les gouvernements, et derrière eux une partie seulement de l’opinion publique, à soutenir la cause impériale, ultime recours de la République en face de l’ennemi.

            Entre 1932 et 1935, la propagande aurait en effet été inefficace si l’on en croit l’analyse Ageron dans le titre IV « Le recul de l’idée coloniale dans l’opinion publique », mais il convient à présent d’examiner si d’autres sources postérieures peuvent accréditer le discours Lemaire.

            Le Colloque de janvier 1993

 L’historien Meynier y signa une contribution intitulée Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre deux guerres.

            « L’objet de cette communication est de faire ressortir par un exemple, les images mises en œuvre par le colonisateur français au moment de la guerre de 1914-1918 et au cours de la période de l’entre-deux guerres sur les « indigènes » dans le cas algérien principalement. Il est d’étudier en quoi la production de ces images relève d’une conscience française volontariste, c’est-à-dire d’un projet politique. Mais en quoi aussi, ce projet provient d’un  inconscient à l’œuvre dans les représentations françaises, en quoi il est inséparable de fantasmes travaillant telle ou telle partie de la société française, et qui ne se réduisent pas forcément au seul champ colonial. » (C/41)

 Vaste sujet d’étude historique comme peut le constater le lecteur, mais aussi sans doute la surprise de voir surgir dans ce champ à la fois les images et l’inconscient !

            Une des clés des explications historiques proposées à l’occasion de ce colloque par une palette d’historiens, comme nous le verrons dans un chapitre consacré au ça colonial, c’est-à-dire à l’inconscient..

            Notons que la communication limite sa réflexion au cas algérien.

            L’historien note « Une foule de livres de vulgarisation font honte aux Français de leur peu de foi coloniale. Sous la houlette d’Albert Sarraut, éclosent des flots de brochures, de tracts, de photos, de films destinés à exalter l’idée coloniale. » (Sans autre précision, ni évaluation)…

            « Ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française…

            Au Parlement, les débats coloniaux continuent à ne pas faire recette.

            Compte tenu de ce constat et des images officielles proposées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan, lorsqu’on évoque les colonies ? » (C/43)

 Nous quittons provisoirement le propos de cet historien dans son analyse de l’imaginaire français et de l’inconscient français, pour aller directement à la conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent des stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français, et il doit très peu au grand large. » (C/48)

            Est-ce qu’en écrivant ce type de propos, un historien sérieux, à l’exemple d’autres confrères, n’a pas entrouvert la boite de Pandore d’où sont sortis les maux surtout inconscients dont souffre aujourd’hui notre histoire coloniale ?

            La conclusion du Colloque rappelle qu’environ six cents images de toute nature ont été présentées et commentées. Elle s’inscrit dans la ligne de pensée du discours que nous critiquons, sous la signature de deux historiens que nous avons déjà croisé sur les livres scolaires et sur les affiches, et conclut naturellement  à la filiation entre les images produites hier et celles diffusées aujourd’hui, tout en se posant la question de l’origine des images et de leurs effets :

            « Quand y-t-il eu une production délibérée d’images de propagande ? Quel a été le rôle précis du parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré par exemple, que le parti colonial et l’Agence de la France d’outre-mer pour le ministère des colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse….

            Quand on évoque la propagande, il faut aussi essayer d’en distinguer les cibles. » (C/145)

 Il est donc difficile d’en tirer un enseignement qui aurait fait progresser la connaissance de la propagande coloniale au cours de la période examinée. Notons en passant que les deux appellations colonies et France d’outre mer sont antinomiques.

            Comment enfin ne pas évoquer, au sujet de la presse, un souvenir professionnel ? Comment ignorer que dans beaucoup de journaux  de province les journalistes se contentent de démarquer soit un bulletin de l’AFP, soit un communiqué du ministre ou du préfet, ou tout simplement d’une entreprise ou d’un groupement professionnel.

            Images et Colonies, le livre paru dans le sillage du Colloque :

            L’historien Meynier y a fait paraître un article intitulé L’organisation de la propagande, en qui concerne la période 1919-1939, et pour la période 1945-1962, deux articles sont concernés, l’un signé N.Bancel et G.Mathy sous le titre La propagande économique et l’autre signé E.Rabut, intitulé Un acteur de la propagande coloniale. L’Agence des colonies.

 L’introduction de l’ouvrage signée par l’historien Blanchard donne tout de suite la couleur de la propagande, en décrivant «  à force de diffusion et de matraquage, un message capable de séduire un vaste public » et en écrivant « comment les français ont pu être séduits e/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande. »(IC/8)

            Le lecteur aura relevé « pendant près d’un siècle », rien de moins ! Et le « matraquage » !

            Dans sa communication, l’historien Meynier marque une plus grande prudence :

            « Cette propagande qui met les colonies en images devrait être organisée par rapport au public- aux publics-  qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement, les matériaux manquent à l’historien pour en juger avec sûreté. » (IC/113)

            Déjà la douche froide !

            L’historien analyse successivement tout un ensemble de supports possibles de propagande, programmes scolaires, associations et groupements privés, organismes politiques. En ce qui concerne les 87 manuels d’histoire examinés, la part des colonies reste modeste. Il donne un sous-titre évocateur à la suite de son analyse : Propagande et mise en image des colonies entre credo colonial et exotisme de masse, passage où il note « que dans les cartes postales, destinées à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte encore plus encore que dans les autres productions. » En ce qui concerne les jouets,  c’est encore l’exotisme qui l’emporte. (IC/121)…(voir les tableaux de l’annexe 1)

            « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est encore principalement un exotisme de masse. »(IC/123)

 Et en conclusion :

            « Mais bien après l’apogée de la propagande coloniale qui, pour le moment, ne releva guère d’une politique mais plutôt d’un air du temps relié à des images récurrentes amplifiées. » (IC/124)

 Donc grande prudence de l’historien, tout à fait justifiée compte tenu de l’étroitesse du corpus examiné, 30 affiches, 76 images de magazines ou de livres à thème colonial, 116 cartes postales.

 Notre conclusion intermédiaire : rien qui plaide précisément en faveur du matraquage d’une propagande coloniale qu’un bon historien a bien de la peine à décrypter et à situer.

            Nous ne nous attarderons pas sur la contribution de N.Bancel et G.Mathy intitulée La propagande économique au cours de la période 1945-1962 pour trois raisons :

            – Carence complète de la démonstration statistique du propos illustrée par les observations contradictoires suivantes :

            « Il est très difficile d’établir le chiffrage précis, à la fois de la diffusion des publications semi-officielles du Ministère et de l’impact de la diffusion  de cette iconographie par la presse. L’étude d’un corpus partiel permet d’affirmer que la propagande coloniale étatique a presque entièrement submergé l’iconographie des périodiques non spécialisés. »(IC/227)

 Comment peut-on oser le mot submerger après avoir avoué son incapacité à apporter une quelconque démonstration statistique, qui était possible en analysant, méthodiquement, et non superficiellement la presse.

            – Outrecuidance de l’analyse et des jugements :

            « L’appauvrissement du discours et des représentations coloniales, qui avaient forgé l’inconscient collectif colonial, marque la ligne historique qui sépare l’avant de l’après guerre. (IC/222) L’hégémonie de la propagande coloniale (IC/224) Pour cerner de près les réalisations et sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie, nous devons revenir aux sources écrites (IC/227) Ces images témoignent d’un impérieux ethnocentrisme qui contredit tous les discours sur le respect des cultures et de l’histoire africaines martelés par la propagande (IC/229) Les images sur l’économie du continent africain qui martèlent dans les mémoires françaises son infériorité constituent une des facettes de l’idéologie du progrès. » (IC/230)

            Le lecteur aura relevé les verbes forts forger et marteler. Il doit savoir que cette analyse s’inscrit dans une période où la France a fait un gros effort d’investissement public et non privé, et de planification pour le développement du continent africain. Les gouvernements successifs ont voulu mettre en scène leurs réalisations par une propagande adaptée qu’il conviendrait d’évaluer avec précision dans son volume financier, comparativement à des campagnes de publicité privée, ainsi que dans ses effets sur l’opinion.

            – Une grande difficulté d’interprétation historique compte tenu de la brièveté de la période politique examinée, neuf années entre la Libération et la guerre d’Algérie, agitée par des conflits coloniaux. D’autant plus que l’Union française avait juridiquement succédé à l’Empire.

            Le lecteur constatera que cette analyse boursouflée est en complète contradiction avec la suivante.

            La troisième contribution d’Images et colonies est précise et rigoureuse. Il s’agit de celle d’E.Rabut, sous le titre Un acteur de la propagande coloniale : l’Agence des colonies.

 L’auteur a exploité les archives du centre d’Aix, comme l’a fait sans doute l’historienne Lemaire, et comme nous l’avons fait nous-même.

 Mme Rabut fait l’historique de cette institution avec précision en soulignant dès le départ : « L’évolution des structures, marquée de nombreux soubresauts, reflète les interrogations sur les voies de l’efficacité dans le domaine de l’information coloniale. »(IC/232)

            D’abord un Office colonial, puis l’Agence générale des colonies crée par décret du 29 juin 1919, comprenant un service administratif et un service de renseignements. Celui-ci centralise la documentation fournie par les agences économiques crées à Paris par chaque grand territoire, Indochine et Madagascar, ou groupement de territoires, AOF, AEF, Territoires sous mandat, dans les années qui ont suivi la guerre. Pour des raisons d’économies, l’Agence est supprimée par décret du 17 mai 1934 et réapparaît, comme nous l’avons déjà vu, sous une autre forme, en 1937, avec le Front Populaire, sous un nouveau nom, et surtout avec une mission tout à fait différente, le Service intercolonial d’information. En 1941, le régime de Vichy ranime l’ancienne agence ministérielle, l’Agence de la France d’outre mer, laquelle sera supprimée en 1953.

            La vie de cette institution n’a donc pas été celle d’un long fleuve tranquille et cet historique fait déjà peser un doute sérieux sur la valeur des jugements abrupts qui ont été portés sur l’efficacité de l’agence en matière de propagande coloniale.

            Le même auteur décrit les activités de l’Agence générale et des agences économiques des territoires, statistiques économiques, renseignements, demandes d’emploi, participation aux expositions coloniales, propagande. L’Agence générale disposait d’une bibliothèque ouverte au public et d’un musée commercial.

            Les relations avec la presse sont rapidement évoquées, avec un doute sur leur efficacité, mais nous reviendrons plus loin sur ce dossier

 Que retenir du contenu de ces sources ? A l’exception de la contribution Rabut, un grand flou artistique sur le fonctionnement des institutions de la propagande coloniale et la plus grande imprécision, en valeur absolue et relative, sur l’importance des moyens que les pouvoirs publics ont consacrés à la propagande coloniale.

            Nous allons montrer ce qu’il convient de penser des jugements péremptoires que l’historienne Lemaire a porté sur la propagande coloniale et sur le rôle qu’aurait joué l’Agence générale de colonies, chef d’orchestre (avait-il au moins une baguette ?), organisme tentaculaire, chargé de manipuler l’opinion, une fabrique de l’opinion, grâce au martèlement du discours, au brouillage des ondes, à son omniprésence dans le temps, et dans l’espace, capable de fabriquer du colonial.

            A la lumière de notre connaissance des institutions politiques et administratives et des informations budgétaires, nous examinerons successivement les institutions et leur fonctionnement, l’évolution de leurs moyens financiers, et surtout dans une échelle des grandeurs des époques considérées, et enfin le dossier des relations avec la presse, dossier que l’historienne a monté en épingle, et que nous n’hésiterons pas à dégonfler.

            Un grain de riz aussi, trop gonflé, car nous réserverons notre contrepoint au fameux grain… de riz qui aurait contribué à nous faire manger du colonial.

  Tous droits réservés

La deuxième partie sera publiée le lendemain 3 juillet 2014

SUPERCHERIE COLONIALE – INTRODUCTION

Supercherie Coloniale

INTRODUCTION

Les caractères en gras sont de ma responsabilité

            L’analyse critique à laquelle nous allons procéder porte sur l’histoire coloniale de la France entre 1870 et 1962.

Un petit flash-back historique nécessaire

           Comme au cinéma, puisque nous sommes aussi dans le domaine des images, procédons à un rapide flash back historique que le lecteur conservera utilement dans sa mémoire pour se faire une opinion, à chacune des époques considérées, sur les discours du collectif de chercheurs dont nous allons critiquer les travaux.

       Années 1880-1914 : la période des grandes conquêtes coloniales de la Troisième République, dans le sillage de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace Lorraine.

       Première guerre mondiale 1914-1918, la boucherie : la France fit appel aux troupes indigènes de l’Empire. Cette guerre mit en péril les forces vives de la nation, beaucoup plus mobilisées, dans les quelques vingt années qui la séparèrent de la deuxième guerre mondiale :

           1) par la reconstruction du pays,

           2) par la lutte contre les effets de la grande crise économique de 1929,

           3) et enfin, par la menace de l’Allemagne hitlérienne et du communisme soviétique,

           4) que par la consolidation d’un empire colonial.

        Deuxième guerre mondiale-1939-1945 : une période très ambiguë avec l’affrontement  entre de Gaulle et Pétain, et le rôle stratégique que se trouva jouer l’Empire, un Empire disputé par les deux camps. La France fit à nouveau appel aux troupes de l’Empire.

      Après la Libération de son territoire, la France fut une fois de plus occupée à  se reconstruire, à se refaire une santé nationale, et fut dans l’incapacité de faire évoluer l’Empire vers une Union Française toujours introuvable, et de plus en plus introuvable avec les insurrections encore circonstanciées de Sétif, puis beaucoup plus graves de Madagascar et d’Indochine, et enfin par la guerre d’Algérie, conflit de toutes les ambiguïtés de la France.

        Nous veillerons donc à mener notre analyse toujours dans le respect de ces temps historiques, car il est impossible de mettre sur le même plan les images et les textes de ces différentes époques.

      Comment comparer en effet la propagande par images de Vichy, pendant l’occupation allemande, alors que l’Empire était devenu le champ clos de toutes les luttes franco-françaises et alliées, avec celle des années, 1900, 1930 ou 1950, à supposer, ce qui est loin d’être démontré, comme nous le verrons, qu’il y ait eu alors une véritable propagande ?

         Les ouvrages en question– Notre analyse porte sur les ouvrages suivants, car il faut bien appeler un chat un chat ! Chaque fois qu’ils feront l’objet d’une citation, ils seront rappelés par les lettres en gras qui figurent entre parenthèse.

        Actes du Colloque « Images et Colonies » (C) des 20 au 22 janvier 1993. Images et Colonies (IC) (1993), Thèse Blanchard (TB)(Sorbonne-1994), Culture Coloniale (CC)-(2003), La République Coloniale (RC) (2003), Culture Impériale (CI)(2004), La Fracture Coloniale (FC) (2005), L’Illusion Coloniale (IlC)(2006)

       Trois historiens ont largement contribué à la conception et à la rédaction de ces ouvrages et développé la thèse que nous contestons, Pascal Blanchard, le principal animateur et rédacteur, Nicolas Bancel, et Sandrine Lemaire. Françoise Vergès (docteur en sciences politiques et professeur à l’Université de Londres) a été associée à la rédaction de République Coloniale.

      Les Actes du Colloque (janvier 1993) – L’ambiguïté des propos et donc, de l’objet des études, marque dès le départ l’introduction des Actes du Colloque (Blanchard et Chatelier).      

      Alors que ses rédacteurs indiquent que l’examen n’a porté que sur « une quarantaine d’illustrations (p13), alors que  la production iconographique du XXème siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation exacte reste à faire (p13), tout en veillant à  ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion « (p14), les auteurs n’hésitent pas à écrire que le temps colonial se réapproprie le présent, que l’image fut l’allié puissant du colonialisme, »

      Et que :

     » Cette multiplication des images coloniales et la variété de leurs supports, évoquant un véritable bain colonial… » (p14).

       Et nous voilà plongés, en dépit de ces incertitudes et de ces approximations, dans  le bain colonial, dont les enjeux ne sont pas aussi limpides que ceux du célèbre bain biblique de la chaste Suzanne!

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il convient de penser de ces affirmations audacieuses, tout en montrant qu’au cours de ce fameux colloque toutes les contributions se rapportant aux différents supports d’information ou de culture, et tant s’en faut, n’ont pas fait preuve de la même belle et imprudente assurance historique.

     Le deuxième ouvrage passé au crible est Images et Colonies (fin 1993). Beau travail de collecte d’images coloniales, mais la question qu’il pose est de savoir si son contenu apporte la preuve du discours tenu par ses responsables.

       Images et Colonies– L’avant propos annonce la couleur, haut et fort (Blanchard).

       D’abord dans son titre : « Il est temps de décoloniser les images « (p.8)

      Et dans le texte une succession d’affirmations péremptoires sur l’importance des images coloniales et sur leur influence.

     « Nous avons travaillé sur les images vues par un large public français à l’époque coloniale de la fin du XIXème siècle aux indépendances… à force de diffusion et de matraquage, un message de propagande…Aujourd’hui encore ces images restent présentes dans la production iconographique …comment les Français ont pu être séduits et/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande…pour comprendre les phénomènes contemporains … son groupe de recherches a recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’ACHAC à la Bibliothèque Nationale  en janvier 1993. »

          Il s’agit du Colloque évoqué plus haut.

      La thèse Blanchard intitulée Nationalisme et Colonialisme (Sorbonne 1994)– Idéologie coloniale, Discours sur l’Afrique et les Africains de la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale.

        Le lecteur aura remarqué que la recherche historique est très limitée dans son champ idéologique et chronologique, et qu’il n’est pas du tout question d’images coloniales. L’auteur a fait porter ses efforts sur la presse, et nous reviendrons sur le contenu de cette thèse à l’occasion du chapitre que nous consacrons à l’analyse du support d’information et de culture qu’est la presse.

         Culture Coloniale (2003)– Cet ouvrage a la prétention de démontrer que la France a eu et a encore une culture coloniale. L’avant propos (Blanchard et Lemaire), intitulé « La constitution d’une culture coloniale en France », énonce tout un ensemble d’affirmations et de postulats.

      « Cette culture devient un corps de doctrine cohérent où les différents savoirs sont assemblés… On distingue trois moments dans cette lente pénétration de la culture coloniale dans la société française : le temps de l’imprégnation (de la défaite de Sedan à la pacification du Maroc), le temps de la fixation (de la Grande Guerre à la guerre du Rif) et le temps de l’apogée (de l’Exposition des Arts décoratifs à l’Exposition coloniale internationale de 1931) (p.7)…

        Comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir…mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel (p.8) …L’instrumentalisation étatique de la culture coloniale. Très vite le cinéma et l’image fixe renforcent et diffusent le bain colonial auprès de l’ensemble des populations (p.13)…

     Une culture coloniale invisible (p.16)… un tabou (p.17)…l’amnésie coloniale (p.19). Dès les années 1880 : une iconographie univoque, multiple et omniprésente. Ces images véhiculées par les médias de masse (p.23)…

    La colonisation outre-mer n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française (p.25)

     Pour autant la culture coloniale aura fait son œuvre, aura tissé sa toile, aura touché les consciences et marqué les esprits. Elle aura surtout contribué à faire la France des Trente glorieuses et celle des générations suivantes (p.32).

     L’indigène au cœur de la culture coloniale. « (p.33)

       1931 ou l’acmé de la culture coloniale… dans le pays. Celle-ci est maintenant établie, omniprésente, diffuse, et a sans aucun doute trouvé son rythme de croisière au moment où l’empire semble basculer vers un autre destin « (p.35)

      « La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale (p.36)

       Loin d’être des aventures lointaines, les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française (p.39).

      L’ensemble de ces affirmations montre que leurs auteurs n’ont décidément pas froid aux yeux en leur qualité d’historiens, d’autant plus qu’ils se sont refusés au départ à proposer une définition de leur objet d’étude :

      « Pourtant essayer de donner une définition de la culture coloniale c’est entrer dans un champ théorique et abstrait qui n’est pas l’objet de notre démarche tant la notion de culture de masse est déjà complexe, comme le montre un ouvrage récent. » (p.8)

       Dans de telles conditions, de quoi allons-nous parler exactement, cher lecteur ?

      La République Coloniale (2003)- (Blanchard, Bancel, Vergès – une écriture à trois p.9).   

   Tel que décrit dans la préface de la nouvelle édition, l’objet de l’ouvrage dérive par rapport aux livres que nous venons de citer. Nous passons de la culture coloniale, à la République Coloniale, mais très précisément au pourquoi, d’après les trois auteurs, de la situation actuelle de la France dans son rapport avec les populations d’origine coloniale.

      La situation qu’ils décrivent : «  Présence de la colonisation pour des centaines des milliers de jeunes Français qui subissent inégalités et discriminations (p.II)… ce retour du refoulé (p.III)…il existe un impensé dans la République » (p.III). En n’écoutant pas les oubliés de l’histoire, « on prend le risque de voir tous les révisionnismes, toutes les manipulations (p.V)… les liens intimes entre République et colonie… Pour déconstruire le récit de la République coloniale » (p.V).

        Ces quelques citations montrent que l’ouvrage esquisse une analyse qui dépasse le champ proprement historique et nous nous poserons la question de savoir si ces chercheurs ont été au delà de l’incantation idéologique.

       Des livres examinés à la loupe, c’est incontestablement celui dont l’outrance verbale et intellectuelle est la plus forte, celui qui développe toute la thématique d’idéologie historique de notre triade, le bain colonial des images, le matraquage de la propagande coloniale, l’omniprésence de l’Algérie, la généalogie existant entre culture coloniale et crise des banlieues, et pour finir, la mise en parallèle de la période de Vichy et de celle des colonies, le même type d’amnésie existant aujourd’hui pour la période coloniale, comme elle a existé pour Vichy et la collaboration.

       Culture Impériale (2004)-  Un discours également péremptoire sur les effets de la culture impériale.

       « Trois quarts de siècles plus tard, la nostalgie de cette grandeur…reste encore vivante, même si elle prend des formes ambivalentes. (p.7) La France s’immerge…imbibée naturellement (9)…C’est une véritable culture impériale multiforme qui s’impose au cours des années 1931-1961… »

       Et les auteurs de renvoyer le lecteur, comme ils le font souvent dans leurs écrits, à leurs autres écrits, ici le livre Culture Coloniale, et la boucle est bouclée, sinon le cercle vicieux !

      « Les processus par lesquels les Français sont devenus des coloniaux. Non pas des coloniaux fanatiques, ou simplement très au fait, ou encore particulièrement concernés par l’empire… mais pénétrés, imprégnés de cette culture impériale sans souvent en avoir une conscience claire, et qui sans manifester une volonté farouche de le défendre ou sans en connaître la géographie exacte, n’en témoignent pas moins de leur attachement à son égard ».(p.14)

     Donc, le tout et son contraire, et heureusement pour nos bons auteurs, « les Français imbibés consciemment ou pas de culture impériale » (p.26),  vont devoir s’en remettre aux bons soins du docteur Freud !

     La Fracture Coloniale  (2006- Sous la direction de la triade Blanchard, Bancel et Lemaire)

     Le lecteur est invité à présent à quitter les rivages d’une culture coloniale qui aurait imprégné la France en profondeur, qui produirait encore aujourd’hui ses effets, pour aborder les rives de la fracture coloniale.

       « Retour du refoulé…qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer (p.10)… la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savante (ce que l’on nommera ici une culture coloniale) (p.13). De ce champ de bataille mémoriel (p.23)… la banlieue est devenue un théâtre colonial » (p.23).

      Et nous y voilà,  le tour est joué !

     L’Illusion Coloniale (2006)- (Deroo et Lemaire) Les auteurs écrivent dans leur introduction :

       « Mais, en histoire les mythes sont des réalités, ils s’intègrent et en sont moteurs ou facteurs, lui donnent une autre résonance tout en lui octroyant une dimension supplémentaire. De la sorte, si la colonisation s’est insérée dans la vie quotidienne des Français -bien que la majorité d’entre eux ne soit jamais allée et n’ira jamais outre-mer- elle ne représente qu’un rêve certes basé sur le concret de l’acte colonial mais élaboré par des images flatteuses de l’action nationale aux colonies » (p.1)

       Ce texte confus reprend l’idée d’une colonisation  insérée dans la vie quotidienne, et énonce l’existence d’un rêve…élaboré par des images flatteuses…

        « C’est la mise en place progressive de cette perception, de cette illusion que nous nous sommes attachés à restituer dans cet album…iconographies et extraits de documents variés révèlent un imaginaire qui n’en finit pas de ressurgir quotidiennement à  travers le tourisme…Les interrogations sur l’avenir de celle qui se proclama longtemps : « la Plus grande France » et de ceux qui se revendiquent amèrement les «  indigènes de la République ». »

      La thématique essentielle est là, un imaginaire qui sommeille et qui ressurgit pour produire encore des effets sur la situation intérieure française. Sommes-nous en présence d’un travail historique ou d’une construction idéologique qui surfe sur la vague médiatique des images d’un ouvrage de luxe, qui est un beau livre d’images?

     Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il faut penser de ces théories historiques et idéologiques, mais le lecteur a déjà conscience de la généalogie de ces travaux, terme que ces historiens aiment bien utiliser pour expliquer la généalogie clandestine des phénomènes examinés,  les travaux passant successivement, à partir des images, et des sources que nous avons citées, essentiellement le Colloque, le livre Images et Colonies, et la thèse Blanchard, d’une culture coloniale indéfinie, invisible mais en même temps prégnante, impensée mais en même temps bien présente, sans doute « faite chair », comme nous aurons l’occasion de le constater, à ce que l’on appelle communément la crise des banlieues, en fournissant des aliments pseudo scientifiques aux animateurs des mouvements qui se revendiquent comme les indigènes de notre République.

      Le choix des titres de plusieurs de ces ouvrages est en lui-même le symbole de l’ambiguïté et de l’audace des discours pseudo-historiques qu’ils développent. Arrêtons- nous y un instant.

      Des titres attrape-mouches ou attrape nigauds ? Avec quelle terminologie ?

       Des titres coups de feu, sans points d’interrogation !

     Culture, qu’est-ce à dire ?

    Herriot écrivait : « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », et si cette définition est la bonne, il aurait donc fallu que notre trio de chercheurs fonde sa recherche sur le présent de la France, et que par l’utilisation de méthodes statistiques éprouvées, ces dernières nous en apprennent plus sur le sujet. Des sondages, il en pleut chaque jour !

      Et nos auteurs se sont bien gardés d’analyser en détail les différents sondages qui ont été faits sur ces sujets, les premiers datant des années 1938-1939.

    Une culture constituée de quelles connaissances, quand, partagée par qui, où, quand ?

    Fracture coloniale ? Une fracture est une rupture, une lésion osseuse formée par une solution de continuité avec ou sans déplacement de fragments, définition du Petit Robert. Comment  appliquer cette définition à notre sujet, cassure entre quoi et quoi ?

     Et à partir de quel continuum qui existerait ? Dans Culture Coloniale (p.25), ils écrivent :

    «  La colonisation « outre-mer » n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel de la construction de la nation française… »

     Mais alors, continuité ou fracture, tout en notant que le propos frôle allégrement les mystères du christianisme !

    Fracture politique, économique, humaine, linguistique ? Nous avons fait le recensement des différents sens donnés au titre Fracture coloniale dans le livre qui lui est consacré, et chacun peut y trouver son bonheur. La moitié des contributions n’apportent aucune lumière sur la nature de la fameuse fracture.

         Dans son introduction, le trio écrit :

« Pour autant, définir la fracture coloniale dans toutes ses dimensions n’est pas chose aisée » (p.13), – effectivement-, après avoir écrit (p.11), « Autant de signes qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer. »

       Et plus loin, « la fracture coloniale est née de la persistance et de l’application de schémas coloniaux à certaines catégories de population » (p.24).

       Prenons quelques cas de figure ! Une fracture politique dans le cas de la Françafrique ?  Une fracture linguistique ? Alors que la continuité linguistique est un des facteurs de l’immigration légale ou clandestine ? Une fracture coloniale ? Alors que beaucoup d’habitants des anciennes colonies, notamment de l’Algérie, mère de tous les phantasmes, émigreraient volontiers dans la patrie du colonialisme.

      Il convient donc d’aller à présent au cœur de notre sujet et d’analyser le fameux corpus d’images et de textes, ou tout simplement les sources, qui ont été l’objet de leurs études, beaucoup plus d’images que de textes, semble-t-il.

      Il s’agit des  supports d’information et de culture que nous allons analyser, support par support, et à chacune des grandes périodes historiques que nous avons rappelées dans notre flash back. Nous verrons s’ils existaient ou non, quelle était leur diffusion, et quels ont été leurs effets sur l’opinion publique à chacune des époques considérées, pour autant qu’ils aient pu être mesurés.

     Il conviendra de comparer les résultats de cette analyse avec la thèse de ces historiens. Leur analyse des images et de leurs supports est-elle crédible ou non ? Pourquoi oui ou pourquoi non ? Et des textes sources ? Avec quelle méthodologie d’évaluation, car dans ce champ de recherche, la méthode choisie est bien souvent le préalable nécessaire du sérieux de l’analyse.

     Images ou textes, images avec ou sans textes, textes avec ou sans images, des matériaux d’analyse historiques qu’il sera nécessaire d’inscrire dans une chaîne méthodologique d’interprétation: nature de l’image ou du texte, origine, date, contexte, cible choisie, tirage et diffusion, effets supposés ou mesurés sur un public, lequel ? Toutes questions qui appellent des réponses souvent difficiles, d’autant plus que cette interprétation risque le plus souvent, dans le cas des images, d’empiéter sur le domaine des sémiologues, dont le métier est précisément celui de l’interprétation des signes.

Nous examinerons successivement :

Chapitre 1- Les livres de la jeunesse : livres scolaires et illustrés

Chapitre 2 – La presse des adultes

Chapitre 3 : les villages noirs, les zoos humains (avant 1914), et les expositions coloniales (avant et après 1914)

Chapitre 4 – Les cartes postales

Chapitre 5 –  Le cinéma

Chapitre 6 –  Les affiches

Chapitre 7- La propagande coloniale

Chapitre 8 – Les sondages comme mesure de l’effet colonial sur l’opinion

Chapitre 9 – Le « ça » colonial

     Remarquons pour le moment que le seul support d’information et de culture, qui a été constant tout au long de la période coloniale est la presse nationale et provinciale. On en connaît les tirages et la diffusion, et il est possible d’en analyser les contenus. Avec la littérature, mais c’est là un sujet d’analyse et d’évaluation beaucoup plus difficile.

    Et pour guide de notre lecture critique, une recommandation de Montaigne : « Choisir un conducteur qui ait une tête bien faite plutôt que bien pleine. »

    Car nous n’avons pas l’ambition de nous substituer à l‘historien, au sociologue, au psychanalyste ou au sémiologue, mais de soumettre la thèse que défendent ces historiens, leurs affirmations, les sources qu’ils avancent, les raisonnements mis en œuvre, à la critique d’un bon sens formé aux meilleures disciplines de la pensée.

      Et nous n’hésiterons pas à appliquer le sage précepte des historiens, la citation des sources, quitte à citer nos propres sources, celles que nous avons été consulter dans les services d’archives.

      Car il serait grave d’avancer, avec des preuves et une analyse insuffisantes, une nouvelle thèse de l’histoire, qui s’autoproclame comme scientifique, et dont les propagandistes s’autorisent à  délivrer des  ordonnances de bonne gouvernance sociale et culturelle.

     Avec cette méthode de travail, nous avons un gros avantage sur les spécialistes, une liberté complète d’analyse et de propos.

      Avec l’idée que la fameuse guerre des mémoires coloniales est une affaire montée de toutes pièces par un groupuscule dont la méthodologie n’a pas grand-chose à voir avec la science historique, s’il en existe une.

            Dans le livre d’entretien que l’historien Stora vient de commettre, intitulé La guerre des mémoires, ce dernier se range sous la bannière de cette phalange d’historiens (p.33). Il s’y déclare un historien engagé (89), mais comment oser mettre sur le même plan un historien de cette pseudo guerre des mémoires, 45 ans après les indépendances et les accords d’Evian, avec d’autres figures du passé, Michelet au XIXème siècle, ou celle de l’historien Vidal-Naquet réagissant à chaud, comme intellectuel, contre les violences et les tortures de la guerre d’Algérie ? Et pourquoi ne pas citer une autre grande figure, celle de Marc Bloch, entré dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale et fusillé par les Allemands.

        Quoi de commun entre ces historiens ?

     Et comment interpréter enfin les récents propos de l’historienne Coquery-Vidrovitch sur l’historien Blanchard, surnommé d’historien entrepreneur : qu’est-ce à dire ? Il y aurait à présent des historiens du marché et donc une histoire du marché ? Avec l’Achac, association de recherche historique, soutenue par des fonds publics, et l’agence de communication toute privée Les bâtisseurs de mémoire ?

     Comment distinguer entre l’histoire « scientifique » et l’histoire « marchandise », celle des produits culturels qui surfent sur la mode médiatique des mémoires ?

     Nous avons donc l’ambition d’aider le lecteur à ne pas prendre des vessies pour des lanternes historiques.

&

Et pour une mise en bouche historique, une boulette de riz !

      Outrances de pensée et de langage, grandiloquence, l’historienne Lemaire ne fait pas dans le détail pour décrire une propagande coloniale qui aurait fabriqué du colonialtissé sa toileéduquémanipulé les citoyens français, grâce notamment à l’action de l’Agence des Colonies.

       Nous verrons ce qu’il en est exactement dans le chapitre  7 consacré à la propagande coloniale, au risque de dégonfler la baudruche.

      Pour l’instant, un mot bref sur une de ses trouvailles historiques à propos du riz indochinois et de son rôle dans la fabrication du colonial.

     Dans le livre La culture impériale, elle intitule une de ses analyses :

    « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits « (CI/82)

    Une formule magique ! Un vrai slogan de propagande, car l’analyse de l’historienne ne repose sur aucun fondement sérieux, comme nous le démontrerons.

     Il aurait vraiment été difficile pour les Français d’avoir du riz dans leurs assiettes, alors que  le riz importé, de mauvaise qualité, était destiné, pour 95%, à l’alimentation de la volaille et du bétail, et que les groupes de pression agricoles tentèrent dans les années 30, sans succès, de limiter l’importation d’une céréale qui venait concurrencer leur blé.

    Plutôt que du riz dans les assiettes, une boulette de riz historique !

    Le lecteur aura le loisir de constater que le cas du riz indochinois est typique de la méthode de travail de ce cercle de chercheurs, insuffisance d’analyse, absence d’évaluation des faits décrits, grossissement avec une grosse loupe de telle ou telle considération, laquelle, comme par hasard, vient au secours d’une démonstration creuse, et idéologiquement orientée.

     D’aucuns évoqueraient sans doute à ce propos le faux historique et la contrefaçon.

     Et pour les connaisseurs, une analyse qui n’a rien à voir avec la « Fabrique de l’opinion publique » et les « modèles de propagande » de Chomsky !

Jean Pierre Renaud

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale? (4)

& Histoire ou Mémoire, Repentance ou Révisionnisme

        Ce débat est sans doute étranger à un grand nombre de Français, qui ne comprennent pas que la repentance fascine, comme à l’habitude une minorité d’intellectuels, toujours enclins à flatter le masochisme de nos échecs nationaux.

        Il nous faut tout d’abord rappeler les définitions que le Petit Robert propose pour les deux concepts d’histoire et de mémoire :

            – Histoire, une relation des événements du passé, des faits relatifs à l’évolution de l’humanité (groupe ou activité) qui sont dignes ou jugés dignes de mémoire.

            Donc toute l’ambiguïté attachée à la dignité de, donc aux disciplines intellectuelles capables de lui donner des garanties d’objectivité. Mais il ne faut pas être historien pour savoir que l’histoire n’est pas une science exacte et qu’elle est soumise à des modes, à des courants de pensée, situation qui n’autorise toutefois pas à écrire n’importe quoi.

            – Mémoire, la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passée et ce qui s’y trouve associé, faculté collective de se souvenir.

            Or le discours de ce collectif de chercheurs part continuellement à l’assaut de l’histoire et de la mémoire, et s’inscrit dans ce qu’on appelle communément la nouvelle guerre des mémoires. Et à cet égard le livre La République coloniale (Blanchard, Bancel, Vergès) est incontestablement le plus provocateur, le plus outrancier dans le verbe et dans la pensée, pour ne pas utiliser un adjectif plus fort. Le livre suivant La Fracture coloniale ne fait pas mal non plus dans le genre.

            Dans le premier ouvrage, les auteurs nous proposent tout simplement de déconstruire le récit de la république coloniale (RC/V), de déconstruire les fondements de son imaginaire (RC/160), et comment construire une mémoire (RC/140). Notons que dans leur conclusion du Colloque, les deux historiens Debost et Manceron avaient ouvert la voie, en écrivant :

            « La réflexion entamée par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier « .(C/148)

            Affirmation bien gratuite compte tenu du défaut d’analyse de ce fameux imaginaire colonial, alors et encore aujourd’hui ! Ce collectif a manifesté son incapacité à en démontrer l’existence au temps des colonies et à notre époque.

            Le livre La Fracture coloniale s’inscrit dans la même ligne, « projet inédit de décoloniser les esprits (FC/200), il faut sans cesse prendre les représentations imaginaires issues du passé colonial comme sujet pour tenter de les déconstruire. (FC/219), comment décoloniser les imaginaires ? « .(FC/237)

            « Une politique  de la mémoire, redisons-le, devrait s’attacher à déconstruire les deux versants de ces perceptions, à savoir une strate que l’on pourrait qualifier d’  « immédiate » et l’autre de « profonde » « (FC/289)

               Vous avez-bien lu? « une politique de la mémoire »!

            Et dans le registre de ces citations et pour en égayer un peu la liste, un auteur n’hésite pas à écrire : « Mais il y a bien des Français pas comme les autres qui analysent le regard dépréciateur, le déni de droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. ‘ »(FC/200)

            Pourquoi ne pas rappeler que dans une controverse récente sur la repentance, entre deux historiens chevronnés, Mme Coquery-Vidrovitch et M.Lefeuvre, la première a défendu l’historien Blanchard en le qualifiant précisément d’historien entrepreneur ?

            Ce qui revient à reconnaître aujourd’hui le rôle du marché, de la concurrence, de l’argent et du profit dans  les travaux de recherche historique et mémorielle !

            Je dois reconnaître que le concept d’historien entrepreneur dérange, même quand, sur les pas de Paul Valéry, dans le texte que nous avons proposé au début de cet ouvrage, notre regard sur l’histoire reste lucide et notre esprit en éveil.

            Mais dans le cas présent de ce collectif de chercheurs, l’histoire devient encore plus problématique, puisqu’elle est faite d’affabulation historique.

            Comment alors ne pas accuser ces historiens entrepreneurs de poser, innocemment ou non, des bombes idéologiques construites de toutes piècesau sein de la société française, au risque de faire exploser un pacte républicain fragile.

            Au risque d’engager ou d’entretenir un processus d’autoréalisation de ces fantasmes de la mémoire. La conclusion de l’introduction des Actes du Colloque de 1993, consacrés au thème « Arts et Séductions » annonçait déjà la couleur, en rappelant les propos de l’historien Debost (Négripub), dont nous avons croisé la route à plusieurs reprises :

            « Quand l’exposition « Images et Colonies » sera présentée en Afrique, toutes les images que nous avons visionnées deviendront une réalité pour les ex-colonisés qui ne les ont jamais vues. Tant que ces images, parfois oppressantes, voire violentes, n’auront pas été vues par ceux qu’elles étaient sensées montrer, il y aura un dialogue de sourds, car les ex-colonisés ne connaissent nos référents, ni ceux de nos parents.  » (C/91)

            Grâce à l’exposition, le fantasme colonial deviendra donc réalité, au même titre qu’on peut craindre que le discours mémoriel de ces chercheurs ne devienne réalité dans les banlieues.        

            Et avec de telles méthodes de diagnostic et de soins, on peut craindre, qu’à l’exemple des médecins de Molière, ils ne fassent crever le malade.

            Quant à la repentance, comment ne pas inviter ses promoteurs et défenseurs à méditer sur le sort des filles repenties de l’ancien régime, lesquelles trouvaient quelquefois le secours de refuges religieux ?

            Dans un tel contexte, repentance ou non, révisionnisme ou non, de tels mots n’ont guère de sens, sauf à nous faire revenir dans les temps de l’histoire chrétienne ou totalitaire, du monde communiste en particulier.

            Mais il faut garder la République française à l’abri de ces discours mémoriels qui propagent tout simplement leur supercherie, au risque effectivement de voir cette supercherie s’autoréaliser en mythe explosif.

            Au fur et à mesure de ces lectures rébarbatives, je me suis souvent demandé quel pouvait être le but de ces chercheurs. Erreurs de jeunesse ? Mais ils ne sont plus à l’âge de la puberté ou de la nubilité ! Vertige d’une médiatisation surprenante et réussie, grâce à l’exploitation du filon méconnu de beaucoup d’images coloniales, souvent belles ? Ou dénigrement conscient ou inconscient de la France, au risque, par leurs travaux mal fondés, de porter atteinte à l’unité de la République, et donc de fournir des arguments pseudo-scientifiques aux revendications des partisans de la disparition de la France

Indigènes de la République? Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale?

Avant Propos

            Je n’ai véritablement repris contact avec l’histoire coloniale, hors guerre d’Algérie, et hors relations familiales, qu’au moment de ma retraite, et surtout lorsque j’ai commencé à lire et à annoter les différents ouvrages qui avaient la prétention de donner aux Français une lecture de l’histoire coloniale qui ne me paraissait pas du tout correspondre à ma propre culture « coloniale », qui n’était d’ailleurs pas celle d’un « colonialiste ».

            Comment était-il possible de disserter savamment sur le sujet sans faire preuve de la plus grande rigueur méthodologique, d’autant plus qu’en racontant n’importe quoi les auteurs des ouvrages analysés, diffusaient un message d’histoire coloniale idéologique qui n’était pas de nature à examiner sereinement notre passé colonial, alors que chacun sait qu’une immigration africaine non négligeable existe d’ores et déjà dans notre pays, et que beaucoup de Français découvrent peut être notre histoire coloniale au travers de l’immigration.

            C’est la raison pour laquelle j’ai publié un livre intitulé « Supercherie Coloniale » dont l’ambition était de démontrer la carence méthodologique des auteurs  d’une thèse soi-disant historique, d’après laquelle la France aurait eu une culture coloniale et impériale à l’époque coloniale.

            Le lecteur trouvera ci-après un résumé des conclusions qui figurent dans cet ouvrage, à partir de l’examen critique des vecteurs réels ou supposés d’une culture coloniale qui aurait « imprégné » le peuple français, laquelle, par je ne sais quelle voie mystérieuse de son « inconscient collectif »,  – « maraboutique ? » –   conduirait le peuple français à considérer certains autres Français ou étrangers comme des « Indigènes de la République »..

            Dans le livre « Supercherie Coloniale », j’ai procédé à un examen critique des vecteurs de culture coloniale retenus pour accréditer cette thèse : les livres scolaires, la presse, les cartes postales, le cinéma colonial, les affiches, la propagande coloniale.

            La parabole du riz

            La jolie image du riz dans les assiettes pourrait être la parabole de cette thèse :

            Mme Lemaire a sous-titré une des ses analyses « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (page 82-Culture Impériale).

            Or, à cette époque, 95% du riz indochinois allait dans les poulaillers et non sur les assiettes.

            Le blog Etudes Coloniales a publié, le 27 octobre 2007, en l’illustrant de façon remarquable, le chapitre « Propagande coloniale »

            Nous proposons donc aux lecteurs intéressés un résumé des conclusions de ce livre, et après les vacances, nous publierons deux textes, l’un sur les « affiches coloniales », et l’autre sur le « ça colonial ».

            Les citations sont référencées par la première lettre de l’ouvrage.

Le résumé des conclusions :

Supercherie coloniale ou rêve exotique ?

            & « Second médecin

            A Dieu ne plaise, Monsieur, qu’il me tombe en pensée d’ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous avez si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu’il est impossible qu’il ne soit pas fou, et mélancolique hypocondriaque ; et quand il ne le serait pas, il faudrait qu’il le devint, pour la beauté des choses que vous avez dites, et la justesse du raisonnement que vous avez fait.

            Molière, Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, Scène VIII »

            Cher lecteur, je ne suis pas sûr qu’au fil des chapitres, vous ayez pu apprécier la même beauté des choses, mais j’espère que vous avez pu vous faire une juste opinion sur le raisonnement de ces nouveaux médecins de l’histoire coloniale.

            J’avouerai que lire et annoter les livres qui contiennent le discours incriminé fut un vrai purgatoire, et jamais un exercice de plaisir. Et pour cette raison, mériterais-je déjà, et à ce titre, les indulgences plénières de l’Eglise.

            Une écriture souvent boursouflée dans la forme et dans le fond, quelquefois purement et simplement extravagante, et à titre exceptionnel, franchement hilarante, comme celle dissertant sur l’effet corporel du scoutisme sur les stéréotypes coloniaux, ou sur d’autres, de la même espèce, logés dans un corps.

            Alors, au lieu de la fréquentation de cette littérature historique, d’une littérature qui ne craint pas, presque à chaque page, de montrer son bout de l’oreille idéologique, je conseillerais vivement au lecteur de s’adonner à d’autres lectures de littérature historique, plus distrayantes, et aussi plus rafraîchissantes, la saga des paysans de Claude Michelet, celle des Messieurs de Saint Malo de Bernard Simiot, qui a du reste un rapport avec notre histoire coloniale, ou sûrement plus dépaysante, celle du Clan des Otori de Lian Hearn.

            Résumons succinctement le discours mémoriel de cette école de chercheurs, flot incantatoire de mots, d’affirmations sans preuves et d’approximations, de jugements définitifs assénés en miroir des uns et des autres : une culture coloniale populaire aurait existé en France, entre 1871 et 1931, puis une culture impériale, entre 1931 et 1962, lesquelles auraient ancré dans l’inconscient des Français d’aujourd’hui, les stéréotypes de la fracture coloniale, principalement le racisme et le mépris de l’Autre.

              Ne revenons pas sur les mots et expressions hypertrophiés qui visaient à nous convaincre que la France avait été immergée dans un bain colonial dont elle ne serait sortie qu’imprégnée profondément par son passé colonial.

            Une méthode historique étrange :  les écrits de ces chercheurs sont en complet décalage avec leurs sources :        

            Les travaux en question sont en complet décalage avec ceux du Colloque de janvier 1993 et ceux du livre Images et Colonies, publié la même année. Entre 1993 et 2003, aucun progrès dans la méthode et dans les résultats ! Alors que le Colloque avait soulevé d’importantes questions préalables de méthode, sur lesquelles nous reviendrons, et auxquelles ces chercheurs n’ont pas répondu, mais aussi, avec beaucoup moins de bonheur, ouvert la boite de Pandore du ça colonial.

             A lire leurs écrits et à les comparer à ceux des contributions historiques qui leur ont servi sans doute de sources, il existe une distance intellectuelle incontestable entre les analyses des historiens Ageron et Meynier, notamment sur la propagande coloniale, et leur propre analyse, et nous avons démontré les graves insuffisances de l’analyse Lemaire sur la propagande coloniale.

            Les introductions des Actes du Colloque et du livre Images et Colonies ne traduisent pas fidèlement le contenu des contributions qui y figurent, et pour parler clair, elles semblent orientées, en posant des postulats non démontrés, ni par les communications du Colloque, ni par le contenu des contributions de ce livre.

             Au dire et au témoignage d’autres chercheurs, les responsables de ces travaux prendraient incontestablement des libertés avec les textes qui leur sont soumis pour être publiés ou les contenus des communications verbales qui sont faites  à l’occasion des colloques.

             Deux exemples concrets m’ont été donnés : celui d’une contribution écrite sur les cartes postales que devait contenir le livre Images et Colonies, et celui de l’exploitation des communications et débats du Colloque très médiatisé, organisé à Marseille, les 8 et 9 juin 2001, colloque dit des « Zoos humains ».

            Ces témoignages sont instructifs : ils éclairent les méthodes de travail des chercheurs dont nous contestons le discours mémoriel et médiatique, plus qu’historique. En 1993, la même équipe avait dirigé la publication du livre Images et Colonies, dans le sillage du Colloque de janvier 1993, sans même faire mention de son existence.

            Les carences de méthode

            Pour utiliser un adjectif fétiche de nos chercheurs, il n’est pas superflu de revenir sur le contenu d’un article fondateur de l’historien Ageron qui, dès 1990, dans la Revue Française d’Histoire d’Outre Mer posait les bonnes questions méthodologiques de base que soulevait l’étude des colonies devant l’opinion publique française entre 1919 et 1939.

            Il y notait que les techniques de sondages étaient encore à peine connues en France, et que seuls quelques sondages, fort imparfaits et tardifs, en 1938 et 1939, étaient à la disposition des historiens. Ce point a été évoqué dans le chapitre Sondages.

            « Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire de l’opinion », celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de sa recherche…

            Pour qui ne veut pas s’en tenir à l’étude de l’idéologie coloniale et à sa diffusion appréciée intuitivement à travers la seule littérature politique, il importe de rassembler tous les éléments d’information épars qui  permettront, par approche, indirecte, de se faire une idée plus précise du sentiment public français vis-à-vis de son empire colonial. Lorsque nous pourrons développer cette recherche, celle-ci exigera sans doute des méthodes appropriées pour le traitement, par étude du contenu, de la presse d’information et d’opinion, des revues de culture générale et des revues coloniales, des ouvrages scolaires et des manuels d’enseignement supérieur. S’agissant d’opinion contemporaine, elle devra porter aussi, tout naturellement, sur le volume et le contenu des informations et des images diffusées par les radios, le cinéma et la presse filmée hebdomadaire, voire par les manifestations et expositions coloniales diverses parisiennes et provinciales. Peut-être devra-t-on tenter aussi de recourir à quelques sondages rétrospectifs auprès d’échantillons représentatifs des générations anciennes. Mais il ne peut s’agir là que d’une tâche de longue haleine et d’un  travail d’équipe. »

            L’historien avait alors presque tout dit des préalables qu’il convenait de lever avant de pouvoir donner une lecture crédible de cet objet de recherche, mais il ne semble pas que cette leçon de méthode ait eu beaucoup de succès. En tout cas, ce collectif de chercheurs ne nous pas aidé à dépasser le stade de la préhistoire.

Le livre « Enjeux politiques de l’histoire coloniale » Catherine Coquery-Vidrovitch Notes de lecture critique

« Il n’ y a pas de petite querelle » – Amadou Hampâté Bâ

ou la querelle des deux lézards

            Un sujet difficile, bien difficile, qu’annonce tout naturellement l’introduction.

            L’auteur y déclare tout de go que l’histoire de la colonisation et de l’esclavage colonial français doit être incluse dans notre patrimoine historique et culturel commun, et je ne vois pas en quoi la contredire sur ce point, sauf à se poser une première question sur le tabou qui existerait à ce sujet, et d’autres questions sur la série de concepts qu’elle enchaîne, plus complexes les uns que les autres, la repentancel’identité nationale, les lois mémoriellesle télescopage du savoir et des mémoiresles controverses supposées scientifiques,… on mélange histoire et mémoire :         

            « Finalement, il s’agit de comprendre à quel point « l’identité nationale » plurielle, inclut aussi le colonial. »

             Dès l’introduction, l’auteur assigne donc une vaste ambition à sa réflexion qui parait dépasser assez largement le champ scientifique de l’histoire coloniale proprement dite.

            En ce qui concerne le chapitre 1, rien à dire de particulier, sur la richesse de l’historiographie coloniale, d’abord européenne, et aujourd’hui africaine, sauf à se poser deux questions, la première relative au véritable sens d’une histoire dite « d’en bas », la deuxième du pourquoi de notre ignorance supposée de cette histoire.

            L’auteur écrit : « Or cette histoire coloniale, héritée, fut oubliée, comme effacée par la décolonisation. Ce fut un déni. Pourquoi ? (p.20)

            Arrêtons nous un instant sur cette appréciation, car elle court, sous des vocables différents tout au long de l’ouvrage, amnésie – faut-il plutôt parler de refoulé, (p.53), silence, tabou,  une histoire de la colonisation française.. à peine connue de la très grande majorité des jeunes français… et de la plupart de leurs aînés (p.63)… la colonisation a été oubliée (p.110).

            J’ajouterais volontiers, ignorance sans doute au moins égale de la part des jeunes africains.

            Dans un numéro n°165 (2007) de la revue Cultures Sud, l’auteur avait déjà esquissé un certain nombre de réflexions sous le titre « L’historien, la mémoire et le politique. Autour de la résurgence de la « question coloniale », certaines d’entre elles soulevant ma perplexité

            Je ne suis pas sûr qu’une enquête sérieuse confirme un des propos de l’historienne :

            « Pour les jeunes descendant des colonisés et des colonisateurs – qui n’ont pas vécu cette histoire mais qui l’ont entendu raconter par leurs grands-parents et aujourd’hui par des hommes politiques de tout bord – le vécu a disparu ; la mémoire en est doublement reconstruite : par la transmission des récits et par la façon dont ces récits sont compris. » (p,53)

            Une remarque à ce sujet : est-ce que, vraiment, beaucoup de petits enfants ont eu cette « chance » ?

            Et plus loin, le même auteur écrit :

            « Rajoutez à cela la mémoire coloniale officielle, structurante de la mentalité de plusieurs générations de Français durant la période coloniale, comme en témoigne le fameux petit Lavisse, manuel d’histoire élémentaire plus que centenaire participant de la construction volontaire de la nation… » (p,53)

            Une mémoire coloniale officielle tellement structurante que la même historienne se complait à regretter, à longueur de pages, le déni dont souffrirait notre histoire coloniale.

            Pourquoi avancer le Petit Lavisse à tout bout de champ, alors que ce livre ne consacrait que quelques pages aux fameuses colonies, en fin d’ouvrage, donc en fin de cycle scolaire ? Et pourquoi ne pas accréditer la thèse en question,  en faisant état, un état « scientifique » d’une enquête sérieuse sur cette fameuse mémoire ?

            Alors pourquoi ce constat ? Il est possible, comme le fait volontiers l’auteur, de proposer une explication qui viendrait de l’inconscient collectif de la France.

            Le texte abonde de termes qui en relèvent : l’impensé hérité (p.134), les stéréotypes raciaux (149) cet impensé français (154), le passé refoulé du métissage (146), l’état d’esprit de beaucoup de nos concitoyens, pour lesquels le fait colonial apparaît si incroyable qu’il en est indicible (156), la société française en reste aujourd’hui imprégnée (165)

            Dans mon livre « Supercherie coloniale », j’avais d’ailleurs consacré un chapitre à cette clé supposée de l’histoire de la France actuelle, le chapitre IX, page 229,  intitulé « Le ça colonial ! ».(1)

            Le lecteur a donc le choix entre des explications de type rationnel ou irrationnel, mais je dois signaler que déjà en 1993, à un colloque intitulé « Images et colonies », l’auteur avait déjà avancé une argumentation fondée sur l’inconscient collectif, laquelle ne semble pas mieux établie seize ans plus tard.

            Et pourquoi ne pas s’interroger à ce sujet : sommes-nous encore dans le champ de l’histoire ?

            D’autres explications viennent naturellement à l’esprit : tout d’abord, le peu d’intérêt que les Français, et même leurs gouvernements, ont porté aux colonies et donc à leur histoire. Brunschwig, Marseille, et Ageron, parmi beaucoup d’autres, l’ont relevé dans leurs écrits.

            Comment ne pas citer les exemples cités par Marseille dans son livre « Empire colonial et capitalisme français » : en 1936, l’ignorance de Blum sur l’Afrique du Nord,  les témoignages du démocrate chrétien Buron et du socialiste Verdier sur l’indifférence des gouvernements à l’égard des dossiers coloniaux, après 1945 ? (p.300, 302)

            Comment en effet ne pas être surpris par les analyses et conclusions de Marseille, selon lequel les colonies (pour beaucoup l’Algérie, qui n’était d’ailleurs pas une colonie) ont eu une certaine importance économique et financière pour la France, mais pendant une courte période, alors que l’Empire laissait largement les Français indifférents ?

            Le port du Havre avait par exemple un important trafic colonial, mais il était orienté en grande partie vers l’Europe du Nord.

            L’ouvrage collectif, intitulé « L’esprit économique impérial », a montré récemment que ce dernier n’était pas très « ardent ». (voir mon analyse dans le blog Etudes Coloniales – année 2008)

            Est-il nécessaire d’invoquer un impensé, un refoulé, un inconscient collectif pour expliquer que l’histoire coloniale n’a jamais eu les faveurs de l’Université, qu’elle n’a été qu’un appendice non constitutif de l’histoire française (p.103) ?

            L’Université se serait tenue à l’écart d’un sujet national majeur ?

            Bien sûr que non !

            Les économistes sont depuis longtemps familiarisés avec le concept de marginal, et le constat d’après lequel notre histoire coloniale n’a toujours été que marginale ne doit rien au hasard, à je ne sais quel déni (rationnel) ou tabou (irrationnel) !

            Le postcolonial à la française (chapitre 3) Après l’impensé français, le post colonial à la française, pourquoi pas ? Mais l’histoire coloniale serait alors hors jeu ? Les historiens ont-ils eu besoin jusqu’à présent de changer les noms de baptême de la période étudiée, Antiquité, Moyen Age, ou Révolution, en fonction de l’évolution de leurs travaux de recherche ? Avec pour certains d’entre eux, tel Goubert, le refus de travailler sur une histoire moderne, dont il était partie prenante.

            Est-ce que cette appellation d’origine anglo-saxonne ne serait pas motivée par un choix de cible historique beaucoup plus culturelle qu’économique, plus idéologique qu’historique, et en définitive beaucoup plus anachronique qu’on voudrait le faire croire ? L’auteur note à ce propos « le rôle joué par l’histoire coloniale dans la construction de la notion d’«identité nationale » (p.86) : rôle de l’histoire coloniale ou des études postcoloniales ?

            Comment faire parler les documents (p.97) ? Si l’on s’abstrait d’une analyse chronologique rigoureuse et de leur évaluation dans un contexte historique déterminé ? L’auteur suggère également une pratique du double regard (p.85), mais faudrait-il encore qu’elle ait été toujours possible, compte tenu de la difficulté qui a longtemps existé pour recueillir les récits de la tradition africaine, et qui demeure encore.

            Dans ce chapitre consacré au postcolonial, l’auteur évoque, à titre de démonstration, un des livres que j’ai analysé page par page, ligne par ligne, intitulé « Culture coloniale » (1871-1931), ouvrage dans lequel l’auteur a publié une contribution dont le titre était « Vendre : le mythe économique impérial » (p.163). Cette contribution s’inscrivait dans la partie intitulée « Fixation d’une appartenance ».

            L’auteur semble prendre une certaine distance avec cet ouvrage en écrivant ici : «  une histoire « postcoloniale en train de s’écrire. Cette histoire consiste à analyser les traces laissées par le fait colonial dans la société et l’imaginaire français. Les premiers à aborder ce sujet, à partir de 2003, ont donné au fruit de leur travail le titre un peu trompeur de « culture coloniale », qui laisserait croire que « tout est colonial » dans la culture française, ce qui n’est évidemment pas le cas… » (p.96)

             Dont acte, mais presque tout dans cet ouvrage au titre « trompeur » soulève questions et objections, quant à la méthode de travail, au choix des indicateurs, à leur évaluation, et à leurs effets. N’encombrons pas le lecteur de citations et d’affirmations non vérifiées, non mesurées, mais un des auteurs évoque le « bain colonial » : comment est-il possible d’utiliser un tel terme, alors que les recherches faites sur les vecteurs d’une culture coloniale supposée, ont été à la fois partielles, différentes selon les contextes historiques, et jamais évaluées dans leur contenu et leurs effets ? L’auteur en question s’est d’ailleurs attaché dans ses recherches à un champ historique limité à la fois sur le plan chronologique (post 1945), géographique et thématique.

            Est-ce que le postcolonial ne souffrirait pas par hasard et précisément de l’usage de la nouvelle méthode, la démarche de « va–et–vient » (p.87), préconisée par l’auteur, et qui dans les références choisies projette une vision moderne, d’ailleurs souvent littéraire, sur notre passé national et colonial ?

            Des traces ? Pourquoi pas ? Mais il conviendrait tout d’abord de les identifier au prix d’enquêtes d’opinions et de mémoires sérieuses qui n’ont pas été faites jusqu’à présent.

            Mais venons-en à la contribution de l’auteur (dans le livre « Culture coloniale ») : le texte en tant que tel est intéressant, mais en tant que juriste et économiste, il m’a laissé sur ma faim et voici pourquoi :

            Sur le titre rien à dire, et sur l’adhésion qu’elle semble donner aux analyses Marseille, mais certaines expressions et appréciations, pour ne pas dire jugements, font problème, car l’auteur n’a pas apporté la démonstration de ses propos : le mythe enraciné (p.168), la société française consommait donc colonial dans tous les domaines que celui-ci relève de la banque ou de la vie quotidienne. (p.174),  cette belle harmonie entre milieux d’affaires et expansionnistes coloniaux n’allait pas résister à la seconde guerre mondiale. Elle oeuvra néanmoins suffisamment auparavant pour construire dans la mémoire française une culture coloniale aussi tenace que mythifiée où la place du mythe économique était dominant. (p.175)

            Histoire économique ou littérature historique ? Plutôt une préférence pour la deuxième expression. Il ne suffit pas de noter que les Français buvaient du thé (d’Indochine avant 1931 ?), et du vin (d’Algérie),  mangeaient du riz (d’Indochine ?) pour conclure au rôle de causalité coloniale de ces faits, qu’il se soit agi de la mémoire des Français de l’époque, ou qu’il s’agisse de la mémoire française d’aujourd’hui.

            Je n’y ai donc pas relevé une trace identifiée et évaluée des traces évoquées par l’auteur, d’autant moins que le texte en question s’inscrivait dans la période 1871-1931.

            Question ? Ne s’agirait-il pas en proposant un concept nouveau de faire de l’anachronisme sans le dire, par une voie détournée, étant donné qu’une grande partie de la réflexion tente d’expliquer pourquoi l’actualité française est troublée par des querelles de mémoire, plutôt que d’histoire ?

            Quelques mots enfin sur ce même postcolonial à la française : l’auteur récuse l’existence des ethnies, mais doit-on accuser Amadou Hampâté Bâ d’avoir été un « collabo », pour faire référence à un rapprochement soi-disant historique qui a la faveur de certains historiens africains ( voir Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, p,199), une occupation française à la mode nazie, lorsqu’il évoque les douze ethnies qui étaient présentes à Djenné :

            « Douze ethnies vivaient alors à Djenné…(Amkoullel-p.369) »,

            Ou encore dans un autre domaine cité par l’auteur :

            « Face nocturne et face diurne,… il faut accepter de reconnaître que l’époque coloniale a pu aussi laisser des apports positifs, ne serait-ce entre autres, que l’héritage d’une langue de communication universelle grâce à laquelle nous pouvons échanger avec des ethnies voisines comme avec les nations du monde… (Oui, mon Commandant, p. 334).

            Pourquoi en effet le jugement péremptoire de l’auteur de ce livre à ce sujet ? :

            «  peser le pour et le contre, en distinguant les aspects estimés positifs de ceux estimés négatifs de la colonisation est inepte en histoire (p.136) »

            Alors double regard ? Regard d’en bas ? Qui a raison d’Amadou Hampâté Bâ ou de l’auteur ?

            Un mot enfin sur le rôle que l’auteur prête aux anciens cadres coloniaux, dont je fis très brièvement partie, dans la vie nationale postcoloniale : je ne voudrais pas être trop négatif à ce sujet, mais il ne pouvait être, et ne fut que marginal, encore plus que l’histoire coloniale elle-même. (p,99)

            Comment penser sérieusement qu’ils aient pu avoir une grande influence sur l’histoire de la France postcoloniale?

            J’ajouterai, de façon toute accessoire, et pour avoir été à un moment donné, au cœur de ce processus administratif, que, contrairement à ce qu’écrit l’auteur, en choisissant la carrière préfectorale, où ils ont bénéficié d’un accès prioritaire, (p.100) ce ne fut pas le cas, mais l’évocation de ces faits est bien dérisoire en regard des enjeux ici traités. Et dans quel champ historique, l’auteur inscrit-il ce type de réflexion ?

                        Pour utiliser une expression qu’aime bien un de mes enfants, je serais tenté de dire : quelle embrouille historique !

            Personnellement, je paraphraserais volontiers le slogan « liberté pour l’histoire » en écrivant « liberté pour le bon sens », et pour « le doute scientifique » prôné par l’auteur, car on voit bien que ce discours s’inscrit à l’ombre des problèmes de l’immigration.

            Alors pourquoi ne pas reconnaître une bonne fois pour toutes que l’histoire coloniale a toujours été marginale dans nos écoles et nos universités, et qu’elle ne redevient d’actualité, sans intervention d’un inconscient collectif que personne n’a réussi jusqu’à présent à identifier et à évaluer sur le plan scientifique ?

            Ce n’est pas l’imaginaire colonial de la France qui est à l’œuvre, sauf à le prouver autrement que par des discours, mais l’imaginaire d’un courant de chercheurs qui peine à prouver quoique ce soit sur ce plan historique, sauf à proposer aujourd’hui le nouveau concept de fracture coloniale qui a beaucoup plus à voir avec une fracture sociale née de l’immigration postérieure aux années 1970.

            Alors dans cette confusion mémorielle, historique, et conceptuelle, je ne suis pas sûr du tout que ce livre aide  beaucoup les Français à y voir plus clair dans notre histoire coloniale, et à vider une querelle, petite ou grande.

            Et encore moins les enfants ou petits enfants de parents immigrés, pour ceux d’entre eux qui sont quelquefois déchirés entre deux cultures ou deux pays d’origine, à mieux gérer leur vécu quotidien. En bref, un discours idéologique plus qu’historique, sans fondement intellectuel, et sans démonstration concrète et actuelle au moyen d’enquêtes statistiques sérieuses sur notre mémoire coloniale.

(1) Supercherie Coloniale – Mémoires d’Hommes- 2008)

Jean Pierre Renaud, le 13 janvier 2010