« Le 19 mars 1962 » avec Guy Pervillé et autres auteurs

« Le 19 mars 1962 » ?

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

       Ma lecture mérite d’être précédée de quatre observations préliminaires :

            La première interroge la propriété de l’expression « Les événements fondateurs » : j’ai plutôt envie de proposer  « Les événements de désintégration ».

La deuxième interroge sur la signification du mot « réconciliation », sorte de succédané du mot « repentance » : dans notre conclusion, nous reviendrons sur son interprétation.

La troisième suggère un titre tout à fait différent :

« Tout ça, pour ça ! »

« Le double discours !

            La quatrième : la lecture de ce livre est démoralisante pour un ancien acteur de cette guerre d’Algérie.

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            Il s’agit d’un ouvrage fort bien documenté (1), quelquefois difficile à lire, compte tenu de son impression, un livre qui soulève des questions et des réponses pour l’ancien et modeste acteur de la guerre d’Algérie que je fus, en ma qualité d’officier SAS, à Vieux Marché, dans les années 1959-1960, dans un secteur de grande insécurité de la vallée de la Soummam, en bordure de la forêt d’Akfadou (Djudjura).

Quelle était la situation militaire et civile dans mon secteur militaire au cours de l’été 1960 ? Représentative ou non ?

            Après l’opération Jumelles, qui se déroula en Kabylie, Grande ou Petite, et qui démarra le 22 juillet 1959 dans mon secteur, au cours d’une belle nuit d’été, la situation du douar se caractérisait, au cours de l’été suivant par une situation « Le vide presque parfait », selon l’expression de Lao Tseu, c’est-à-dire une quasi-absence de rebelles.

            Pour avoir connu au printemps 1959, un état d’insécurité permanent, une armée française sur la défensive, le noyautage ou le contrôle de  tous les villages par les rebelles, ceux que nous appelions les fels,  l’extrême prudence qui était la nôtre face aux embuscades ou aux mines.

          Lors des convois de ravitaillement hebdomadaire entre Vieux Marché et Sidi Aïch, les Chasseurs Alpins du 28ème Bataillon prenaient toutes les précautions nécessaires : il fallait ouvrir la piste de montagne, en cas de mine ou d’embuscade, la sécuriser par des patrouilles latérales, et pouvoir bénéficier de la couverture aérienne d’avions T6.

       Depuis juillet 1959, la situation avait changé du tout au tout.

            Il m’était possible à présent d’aller dans tous les villages avec un seul garde du corps, un ancien rebelle,  un gars formidable.

            Une petite anecdote d’ambiance, sur la route de Sidi Aïch, à l’aller puis au retour :

        « Vieux Marché, le 26/04/1960… Ce matin, au passage, sur la route,  des enfants m’ont jeté des bouquets de fleurs dans la jeep. Au retour, j’en ai ramené quatre pour leur faire faire un tour de jeep. J’ai mis les fleurs en vrac à midi, sur la table, un vrai décor champêtre. »

      Avant de quitter l’Algérie, j’avais par ailleurs organisé des élections municipales dans les trois communes de Tibane, Tilioucadi, Djenane, dont j’étais jusqu’alors le Délégué Spécial : ces trois communes disposaient, pour la première fois, de conseils municipaux élus.

        J’avais également fait reconstruire les écoles et les mairies brûlées par les rebelles, des écoles où des chasseurs alpins de l’«armée coloniale » firent à nouveau la classe aux enfants du douar.

     Parallèlement, les Chasseurs Alpins commençaient à pouvoir mettre certains des villages en position d’autodéfense.

       La SAS de Vieux Marché fut aux premières loges de l’opération Jumelles : c’est à partir de son territoire que fut aménagée la piste qui devait atteindre le PC 1621 de l’opération Jumelles, à travers la forêt d’Akfadou.

      Le 29 août 1959, le général de Gaulle fit un saut de puce à ce PC, et il y déclara entre autres devant un parterre d’officiers ; « Moi vivant, jamais le drapeau FLN ne flottera sur l’Algérie. »

      En 1960, comme je l’ai raconté dans une  de mes lettres, le général Crépin, commandant en chef fit une tournée :

      Chemini, le 15 juillet 1960…

      « Je rentre de la popote. C’est vraiment dramatique !

       Longue discussion à la suite de la visite du général Crépin, Commandant en chef en Algérie.

         Figures-toi, qu’il a dit à peu près ceci (propos répétés) :

  • Alors ces villages ! Lesquels sont pour vous, lesquels sont contre vous ?
  • Nous ne savons pas. La plupart continuent sans doute à payer les fellouzes.
  • Qu’est-ce que vous attendez pour descendre ceux qui ne veulent pas.  être pour vous. Cela fait trop longtemps que dure ce petit jeu !
  • Votre Compagnie ne sert à rien. Depuis trois mois, combien  de fellouzes au tapis ? Zéro ! Je veux des bilans ou je retire les troupes. »

         Comme je viens de l’indiquer plus haut, il paraissait difficile d’aller plus loin dans un secteur où le vide était presque parfait, mais ce type de discours continuait à persuader une partie des officiers que l’Algérie resterait française.

        Je reviens à nouveau sur ce passé après avoir lu l’ouvrage de Guy Pervillé, pour bien faire comprendre l’état d’esprit des officiers auxquels la France avait confié la mission  de rétablir la paix en Algérie.

      Beaucoup de ces officiers, dont je fis partie, avaient le sentiment de servir autant l’Algérie que la France, peut-être d’ailleurs plus l’Algérie que la France, compte tenu de sa situation.

       Je fis partie des officiers, et je ne fus pas le seul, qui ne voyait pas d’autre issue que celle d’un changement complet du statut de l’Algérie, y compris son indépendance, mais pas de la façon dont elle a été négociée et liquidée.

            Ce livre a le mérite de nous sortir du registre des discours des historiens, chercheurs, intellectuels, issus de la « matrice » algérienne, ou « assimilée », lesquels surfent encore, avec un certain succès,  dans les médias et dans certaines maisons d’édition, et publient ou diffusent des récits qui flirtent, pour ne pas dire plus, avec la repentance ou l’autoflagellation nationale.

         A plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de dénoncer ces graves dérives, encore dernièrement à l’endroit du discours d’un auteur, Jérôme Ferrari, qui dans un de ses derniers livres couronné par un Prix Goncourt, irrigue son récit de ce type de discours. Dans un de ses billets publiés par le journal La Croix, le romancier philosophe pérorait sur la violence coloniale, les responsabilités de la France, citant en référence et à ce sujet, un propos de Joxe, le fils du ministre Louis Joxe, qui fit son service à Alger dans de bonnes conditions.

       J’ai commenté ce livre sur mon blog, le 4 mai 2016, mais je reviendrai plus loin, sur le sujet des « mémoires » frelatées en évoquant le dialogue qu’ont tenu Messieurs Stora et Jenni, autre prix Goncourt (2013), dans le cadre du Club de Médiapart.

       Il aurait été intéressant que le fils Joxe, comme le fils Jeanneney, en disent plus sur les responsabilités de deux pères qui furent à la fois de grands artisans des Accords d’Evian (lire le livre) et les acteurs de la non-application des mêmes accords, pour ne pas dire leur faillite.

        Les paternités en question ne s’inscrivaient-elles déjà pas dans le registre des « raisins verts » pour certains de leurs descendants ?

       Pour toutes ces raisons et beaucoup d’autres, je me suis investi dans des recherches qui ont porté sur un domaine qui ne fut pas celui de la guerre d’Algérie, mais sur l’Afrique noire, l’Indochine, Madagascar, car l’Algérie ne fut pas, contrairement à ce que racontent les principaux thuriféraires de l’autoflagellation, l’alpha et l’oméga de la colonisation française, sauf qu’elle était située sur l’autre rive de la Méditerranée et qu’elle comptait plus d’un million de Français.

     Avant d’aller plus loin, Guy Pervillé analyse de façon rigoureuse et précise le déroulement de ce qu’on a appelé « Les événements d’Algérie » entre 1954 et 1962 dans les cinq chapitres de la première partie (p,16 à 89) « Des réformes aux négociations », la période chaotique et confuse qui précéda celle des négociations, et des positions successives du général de Gaulle.

     Dans la deuxième partie « Les négociations et les accords d’Evian » (p,89 à 147), l’historien analyse dans les trois chapitres suivants le déroulement incertain et difficile des négociations avec le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, conclu en février-mars 1962, par les fameux accords d’Evian, et le cessez-le feu du 19 mars 1962.

      Il aurait été intéressant d’avoir une analyse des positions, rapports de force existant alors, entre le GPRA de l’étranger et les Willayas de l’intérieur, avec lesquelles il aurait été plus logique de négocier.

     L’auteur souligne bien dans le chapitre 8 « De Gaulle et l’application des accords d’Evian » (19 mars-20 septembre 1962) les responsabilités de son échec « Le sabotage des accords par l’OAS » (p,120), « Le contournement des accords d’Evian par le FLN » (p122).

    « Contournement » ou « sabotage » du FLN ? Au moins autant que celui de l’OAS ?

    L’auteur pose la question : « La France a-t-elle respecté les accords d’Evian ? « (p,131)

     Il s’agit d’une analyse très complexe, et de nos jours encore passionnée, mais on vit rapidement que le FLN n’était absolument pas en état de gouverner l’Algérie et d’y assurer la paix civile, condition  sine qua non d’une application sérieuse des Accords d’Evian.

      Je fais partie de ceux qui estiment que le retrait de l’armée française, une sorte de sauve-qui-peut qui ne disait pas son nom, a empêché la France et l’Algérie de mettre en application ces accords, c’est-à-dire de les imposer.

      Dans la troisième partie, « Un demi-siècle de relations franco-algériennes (1962-2012) » (p,147 à 260), l’auteur en montre le déroulement chaotique, mais y réintroduit le concept de « réconciliation », une « repentance » qui ne dit pas son nom.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Guerre d’Algérie: quelques réflexions » La révolte du général Challe le

« Guerre d’Algérie : quelques réflexions »

EN PROLOGUE IMPREVU

Mémoire, histoire, propagande, et manipulation à propos de la commémoration du 19 mars 1962 ?

Avec un petit prologue d’actualité tout à fait imprévu sur les manipulations politiques et médiatiques dont souffre le pays !

          Le Monde des 21 et 22 mars a publié un article intitulé « La guerre d’Algérie enfièvre le débat politique » page 5, et dans le même numéro, page22,  une tribune signée MM Harbi et Manceron.

            En ce qui concerne le premier texte, une seule citation, celle de Monsieur Stora, une citation tout à fait déchirante : « Les mémoires continuent  de saigner, portées notamment par des associations d’expatriés ».

           Une seule petite question ? Est-ce que notre mémorialiste-historien et militant politique a jamais tenté de mesurer les flux « sanguins «  en question ?

          Quant à la tribune elle-même, il faut tout de même avoir du culot pour signer et publier une tribune intitulée « Cessons de ressasser les mémoires meurtries de la guerre d’Algérie », dans le Monde du 21 mars 2016, sous la signature d’un ancien dirigeant du FLN, Mohammed Harbi et d’un professeur d’histoire géographie, Gilles Manceron, présenté comme historien.

        Ces gens- là osent nous donner une leçon d’histoire ? Et le journal de référence leur ouvre ses colonnes ?

        Avec un titre de nature outrancière « Cessons de ressasser les mémoires meurtries » ? Mais messieurs, ne s’agirait-il que de mémoires « meurtries », ou du souvenir des blessés et des morts ?

     Cessez messieurs, de vous prendre pour les nouveaux « hérauts » d’une histoire qui a beaucoup trop tendance à confondre mémoire frelatée et histoire !

        Ci-après le texte du message que j’ai adressé le 20 mars au Courrier des lecteurs de ce journal :

         « Bonjour, pour avoir fait la guerre d’Algérie, comme officier SAS (contingent) en Petite Kabylie, je puis vous dire que ce n’est pas ma mémoire qui « saigne », mais mon intelligence, pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’un bon lobby politique et éditorial très souvent, trop souvent animé par Stora, lequel n’a jamais eu le courage de faire vérifier par une enquête sérieuse ce qu’il racontait soi-disant sur la « guerre des mémoires » dont il est un des animateurs patentés. Qu’il demande à son ami Hollande de la faire faire !

         Vous avez fait effectuer une enquête  sur le sujet avec la Fondation Jean Jaurès, avec l’IFOP, mais cette enquête manquait sérieusement de pertinence statistique.

       Ayez la courage de faire effectuer une enquête sérieuse sur les soi–disant mémoires « coloniale » ou « algérienne », cette dernière que Stora a tendance a confondre avec la « coloniale », et nous verrons ce qu’il en est !

        Quant à vos deux donneurs de leçon, Harbi et Manceron, comment donner du crédit à un ancien FLN qui n’a jamais fait cette guerre, et que le FLN indépendant a vite mis à l’écart, pour ne pas dire plus, ou à un enseignant qui fait autant de politique que d’histoire ?

          Cessons de donner la parole aux propagandistes de la mémoire, et comment ne pas être surpris de lire l’expression « mémoires meurtries », alors qu’il s’est agi de morts ?

          Pour terminer, je puis vous dire que les mémoires qui sont agitées par tel ou tel lobby devraient enfin céder la place à l’histoire, mais à une histoire indépendante de tel ou tel vécu, ou de telle  ou telle allégeance politique affichée. Cordialement. »

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Guerre d’Algérie : quelques réflexions

            Nous nous proposons de publier successivement :

  • I –  une analyse du livre du général Maurice Challe, intitulé « Notre révolte » (1968) sur la guerre d’Algérie (1954-1962)
  • II – un essai de corrélation historique pertinente avec la guerre contre-insurrectionnelle anglaise de Malaisie (1948-1960) à partir du roman d’Han Suy «…  Et la pluie pour ma soif… » (1956)
  • III – un essai de corrélation historique, à mon avis non pertinente de l’historien australien Lionel Babicz, entre les situations coloniale et postcoloniale de la Corée et de l’Algérie (1830-1905-2006)

Premier volet

La Guerre d’Algérie du général Challe

« Notre révolte »

La révolte du général Challe ? Comment l’expliquer ? La ou les questions ?
Le mouvement du 22 avril 1961

        Un premier commentaire d’un ancien officier de SAS en poste en Petite Kabylie dans les années 1959-1960 : la stratégie militaire du général Challe était incontestablement la bonne, et c’était celle que, tous, nous espérions voir mise en œuvre sur le terrain.

       Quant à la stratégie politique de Challe, les plus lucides d’entre nous n’y croyaient pas, sauf si la France avait joué la carte des chefs des willayas, et de leur prise de pouvoir, ce qui n’a pas été le cas.

            Dans une brocante de l’été, je suis tombé cette année, en 2015, tout à fait par hasard, sur un livre du général Challe intitulé « Notre révolte » publié en 1958, dont je ne connaissais pas l’existence.

        Depuis la fin de la guerre d’Algérie, ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que je lisais quelques témoignages sur cette guerre, car j’ai toujours manifesté la plus grande méfiance à l’égard de tout ce qui touchait à la mémoire, souvent manipulée, de ce conflit, en me posant toujours la question de base, mémoire ou histoire ?

        C’est la raison principale pour laquelle j’éprouve la plus grande méfiance sur ce qu’écrit ou raconte un historien bien en cour sur cette période, né en Algérie, lequel a découvert, parait-il, Albert Camus, la quarantaine passée, si j’ai bien entendu ce qu’il disait à l’occasion d’une émission de télévision.

          Méfiance en raison du mélange des genres que cet intellectuel pratique entre la mémoire et l’histoire, et de la confusion qu’il propose souvent entre ce qui touche à l’Algérie et ce qui touche aux autres domaines coloniaux.

          J’ai moi-même publié un petit livre sur cette guerre, sur mon expérience militaire d’officier SAS dans la vallée de la Soummam, en me posant un certain nombre de questions de base sur le sens de cette guerre.

      J’y faisais le constat suivant :

      «  Je serais d’ailleurs tenté de penser que l’échec de la France en Algérie a de multiples  causes, mais que les généraux y ont une grande part de responsabilité parce que leur analyse stratégique n’était pas la bonne, leur obsession du communisme international non fondée.

         Ils ont poursuivi un rêve impossible qu’il n’était déjà plus possible de réaliser, mais peut-être est-ce à mettre à leur crédit » (page 25)

         Les observateurs les plus lucides savaient qu’après 1945, le destin de l’Algérie était plié, compte tenu de l’incapacité de la Quatrième République à réformer le statut de ce territoire.

         50 ans plus tard, je n’en changerais pas un mot, car la plupart des officiers français, en tout cas ceux que j’ai rencontrés, n’avaient pas la culture d’une armée coloniale, celle que des chercheurs idéologues à la mode nous dépeignent volontiers, pour ne pas parler des histoires officielles en vogue de l’autre côté de la Méditerranée, mais estimaient qu’ils avaient été trompés, que le général de Gaulle les avait trompés.

        La lecture du livre de Challe me donnait donc l’occasion de comprendre ce qui avait réellement poussé Challe à la révolte.

        Ma curiosité était d’autant plus grande qu’après avoir participé à cette guerre, j’ai consacré un peu de temps à l’étude des théories de la stratégie, directe telle celle de Clausewitz, ou indirecte, celle de Sun Tzu et de Liddell Hart, et que j’ai continué à m’interroger sur les buts de cette guerre d’Algérie : quels étaient les buts que poursuivaient de Gaulle ou son entourage immédiat ? Quels avaient été les buts des généraux, tels ceux de Challe, qui fut un excellent chef de guerre sur le terrain.

       Nous y reviendrons en conclusion en écho aux théories de Clausewitz et de Sun Tsu.

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         Au cours des dernières années, je suis revenu sur le sujet en lisant un livre sur le capitaine Galula, qui, après avoir servi dans plusieurs postes en Algérie, notamment dans une SAS de la Grande Kabylie, se disait l’inventeur d’un nouveau type de guerre, celle de la guerre de contre-insurrection.

         J’ai publié une analyse critique de cette thèse politico-militaire sur ce blog (21/09/2012 et 05/10/2012), et relevé que la stratégie décrite n’était ni novatrice, ni pertinente, et qu’elle souffrait d’une indigence des buts de guerre, notamment dans l’hypothèse d’une troisième force qui n’existait pas, ou plus.

        Le roman de Han Suyin intitulé « … et la pluie pour ma soif » nous en apprend plus sur la guerre contre-insurrectionnelle que menèrent les Anglais en Malaisie, en 1952-1953, que les écrits du capitaine Galula, d’ailleurs en Asie à la même époque.

        Je me propose d’ailleurs de tirer de ce roman fort intéressant ma propre lecture de la guerre contre-insurrectionnelle que les Anglais ont menée dans cette colonie riche en étain et en caoutchouc, à quelques encablures de Hong Kong où le capitaine Galula était attaché militaire au Consulat français.

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             Avant que le Plan Challe ne déferle sur mon secteur militaire situé dans la vallée de la Soummam, en lisière de la forêt d’Akfadou et du massif du Djurdjura, mes camarades et moi pensions que la seule solution militaire capable de nous redonner les clés d’une solution politique était ce que nous appelions et attendions, le rouleau compresseur du plan Challe, qui avait parfaitement compris comment la France pouvait réduire militairement la rébellion conduite par le FLN.

         C’est ce qui fut fait et que j’ai vu de mes propres yeux, et auquel j’ai participé comme acteur modeste de terrain.

       Au cours de la nuit du 22 juillet 1959, l’armée française reprenait possession du terrain que les rebelles occupaient dans cette région montagneuse qui leur était particulièrement favorable.

      Tous phares allumés, d’importants convois militaires gravissaient les routes et pistes qui les conduisirent successivement vers le sommet et le nouveau PC dénommé 1621.

         Au printemps de l’année 1960, la pacification était en bonne voie, et l’armée avait réussi à réaliser ce que j’ai appelé dans mon livre « Le vide presque parfait », pour reprendre une expression de Lao Tseu.

         Dans cette zone d’insécurité militaire maximum, il m’était possible pour la première fois de fréquenter, à pied, tous les villages du douar des Beni Oughlis avec un seul garde du corps, un rebelle rallié qui était un type formidable.

         A lire le témoignage du général Challe, et pour l’officier que j’étais alors, il est évident qu’il fallait de l’honnêteté, mais aussi une certaine innocence politique, pour entrer dans le double jeu politique de Delouvrier et de Debré.

       « Mon plan était donc le suivant : continuer à mener à bien les grandes opérations et en particulier la guerre des djebels car il ne fallait pas laisser au FLN de territoire à lui où il pourrait mener son instruction, avoir d’importants dépôts, se reconstituer après les coups durs, enfin, être souverain politique de morceaux géographiques.

       Mais contrairement à ce que l’opinion publique croyait, à ce que le gouvernement faisait semblant de croire, ce n’était pas l’essentiel. Mes cadres et moi aurions été de piètres chefs de guerre si nous n’avions pas compris depuis longtemps qu’une guerre de subversion est d’abord une guerre politique, et que la possession du terrain, si, elle est importante, n’est pas essentielle… On entend alors les âneries alors bien connues : « L’armée ne doit pas faire de politique ; » « Ne nous rabattez pas les oreilles avec les slogans de Mao Tsé Toung » » « Faites la guerre et ne vous occupez pas du reste », etc.

     Comme si l’Armée choisissait la guerre qu’on lui fait !

      Bien sûr quand on exprime fortement sa pensée, personne ne contredit en face. Quand on sort, comme je l’ai fait en décembre 1959, un règlement sur la pacification qui codifie autant que faire se peut, les attaques et les parades  de la guerre subversive, personne, pas même le gouvernement, ne vous demande de retirer le règlement ou ne le désapprouve…

      Mon plan était donc de faire front d’abord et d’attaquer ensuite tous les domaines de la guerre subversive…

         Il s’agissait :

     1) de continuer le nettoyage des djebels…

     2) de tenir le contact avec la totalité des populations algériennes par l’extension à l’ensemble du territoire de ce que l’on a appelé le quadrillage ….

    3) Enfin de faire prendre la guerre à son compte par la population musulmane…

         Il importait que les communautés qu’étaient les douars et les villages considèrent cette guerre comme leur guerre…

       Il s’agissait de développer au maximum et partout ces autodéfenses et d’en faire non pas des auxiliaires statiques mais les éléments constructifs d’une force politique coordonnée et majeure – Ceci fut entrepris au début du dernier trimestre de 1959 lorsque le succès progressif mais déjà net de l’opération « Jumelles » sur les Kabylie fit comprendre à tous, partisans, adversaires et neutres, que l’armée française était en train de gagner irréversiblement la partie la plus traditionnelle militaire de cette guerre…

   Je créai ainsi la Fédération des unités territoriales et des autodéfenses.

     Et j’ordonnai la mise sur pied d’une école des autodéfenses par secteur où seraient formés  les responsables des autodéfenses à leurs missions politique et militaire…

      La Fédération des unités territoriales et des autodéfenses devait être le grand parti européo-musulman, ossature de l’Algérie française nouvelle dans l’union des communautés…

      Leur rassemblement avec les autodéfenses musulmanes dans une grande fédération devait donner un sens politique au combat commun.

      Avais-je le droit comme commandant en chef de faire cela ?

     Je pense que j’en avais non seulement le droit mais même le devoir à partir du moment où j’estimais que c’était le seul moyen, et qui plus est moyen honorable, de gagner cette guerre, guerre qui encore une fois nous était imposée.

      Car si l’on peut admettre qu’un gouvernement et un chef d’Etat aient des secrets pour les subordonnées, fussent-ils commandant en chef sur un théâtre d’opérations, il est impensable qu’un chef d’Etat et un gouvernement puissent tromper systématiquement ce commandant en chef sur les buts de guerre alors que ces buts de guerre conditionnent étroitement la conduite des opérations. »  (p,146,147,148, 149)

      Dans mon cas, en m’ordonnant de lutter pour l’Algérie française, le gouvernement ne me trompait pas et je devais exécuter par tous les moyens normaux et légaux appropriés, ou bien, il me trompait, et alors tout cela devenait une histoire de fous. Or, avant de prononcer son discours du 16 septembre sur l’autodétermination, de Gaulle était venu tâter le pouls de l’armée en Algérie. Je l’avais accompagné pendant plusieurs jours. Il m’avait complimenté sur la manière dont je menais la guerre. Nous avions discuté en tête à tête au P.C. Artois d’où je menais l’opération « Jumelles », et, à maintes reprises au cours du voyage. Il m’avait à quelques mots près récité son discours à venir et nous avions parlé des trois options. Comme je lui demandais de se prononcer pour la seule option française, il m’avait répondu ne pouvoir, en particulier devant l’opinion internationale, proposer un choix d’options et sans plus attendre fixer son choix sur une des options. C’était logique et je faisais donc la seule demande à faire à mon échelon : « Mais moi que vais-je dire à l’armée ? Je ne peux demander aux officiers et soldats de se faire tuer pour la sécession que d’ailleurs vous condamnez. Je ne peux guère leur parler d’association car ils savent aussi bien que moi qu’en période de crise aigüe  on ne peut prôner un relâchement des liens sans courir à la catastrophe. Alors puis-je dire que l’armée se bat pour la francisation ou au minimum pour l’Algérie française ?

      De Gaulle noya sa réponse dans un flot d’explications, procédé habituel, et je reposais mes questions à plusieurs reprises en demandant instamment des directives. Jusqu’à la fin d’octobre 1959, lorsque Delouvrier revint de Paris me dit : » Vous pouvez dire que l’armée se bat pour que l’Algérie reste française. C’est Michel Debré qui m’a prié de vous dire cela et il confirmera par écrit. » Et le délégué général lors d’une tournée qu’il fît dans le bled peu après développa ce thème.

      Lorsque mon instruction sur la pacification parut le 10 décembre 1959, elle se référait à cette thèse et j’employai le terme « Algérie française » plusieurs fois.

    J’en envoyai plusieurs exemplaires au chef d’état-major général, le général Ely, au ministre des Armées Guillaumat, au Premier ministre, au général de Gaulle.

    Jamais personne ne me dit que j’avais commis là une faute ou une erreur ou que je m’étais rendu coupable de déviationnisme comme disent les communistes dès qu’on ne récite plus mot à mot la catéchisme provisoire du dictateur en place. Et cette instruction était distribuée jusqu’à l’échelon bataillon et encore en vigueur début 1961. » (p,151)

       Comme témoin à la façon de Fabrice del Dongo, je me rappelle deux choses : d’une part, la vue et le bruit de ce train d’hélicoptères qui survola la SAS le jour où de Gaulle se rendit au PC Artois, et d’autre part le compte rendu succinct fait par un des officiers présent à l’une de ses réunions  d’un propos du général Crépin d’après lequel on continuait à mettre au tapis la rébellion.

       « Autodéfenses… fédération des unités territoriales et des autodéfenses », des initiatives qui tentaient donc de constituer les éléments d’une troisième force de plus en plus introuvable en Algérie, car pour beaucoup d’entre nous, il était déjà trop tard !

      « Lorsque pendant la semaine des Barricades, le 29 janvier 1960, de Gaulle prononça le discours bien connu, il demanda s’il était possible que lui, de Gaulle, puisse ne pas souhaiter «  la solution la plus française ». Après coup, on peut revenir sur le fait que « souhaiter » ne veut pas dire « croire possible »…

      Or nous savons maintenant que de Gaulle ne souhaitait pas, que de Gaulle faisait et allait faire tous ses efforts pour arriver à la solution opposée.

     Et on envoyait les garçons se faire tuer pour un mensonge.

     Et on engeait à nos côtés des centaines de milliers de musulmans sachant parfaitement qu’ils paieraient de leur vie leur confiance dans la France, dans la parole de la France…. » (p151)

       Au cours des premiers mois de l’année 1961 : « … » Pour moi la paix était donc une affaire de quelques mois… Les bandes éteint réduites à quinze hommes et moins… C’est alors que survint l’affaire Si Salah. » (p,167)

      Une négociation de paix semblait alors possible entre les chefs de quelques willayas et le gouvernement, en raison du fossé qui existait entre le commandement des willayas et le GPRA, mais cette négociation échoua.

     Faute de conserver la confiance de de Gaulle, le général Challe quitta son poste le 23 avril 1961.

      Des officiers et des français d’Algérie commencèrent à jeter les bases d’un complot destiné à leurs yeux à sauver l’Algérie française et sollicitèrent l’appui du général Challe.

      « On nous expliqua qu’un mouvement de sédition militaire était tout prêt et qu’on attendait plus que nous… En métropole, ce qui était prévu était d’une légèreté qui condamnait toute tentative à l’échec certain. » (p,181)

       Comme il l’écrit, Challe était tout à fait conscient de l’état de l’opinion en métropole :

    « Or les forces dont nous disposions, compte tenu d’une opinion publique défavorable, étaient beaucoup trop minces pour que les chances de réussite soient suffisantes. Au contraire tout déclenchement de révolte me paraissait devoir lancer le pays dans une aventure aux résultats parfaitement imprévisibles.

     Je refusais donc de m’associer à une tentative quelconque en métropole. » (p,182)

     Oui, mais alors, cette révolte n’avait aucune chance de réussir.

     « Le 11 avril 1961, de Gaulle annonçait clairement le « dégagement », savoureux euphémisme, et souhaitait « bien du plaisir » à ceux qui prendraient notre suite. 

     On endormait le peuple français en lui expliquant que tout se passerait gentiment, qu’il y aurait des garanties formelles, que l’armée française serait garante. Toutes choses que nous, qui connaissions l’Algérie, savions fausses et destinées seulement à tromper les nombreux métropolitains acquis au lâchage de l’Algérie , mais qui, par un sursaut de fierté à retardement, ou par simple humanité, tenaient à ce que le dégagement se passe dans l’ordre et la dignité !

     Après sept ans de guerre dure, ce n’était plus possible…

     Pour éviter à mon pays un parjure qui se terminerait dans la honte, et à l’Algérie une aventure qui la ferait régresser et tomber dans la misère et le chaos sanglant, le 12 avril je donnais mon accord…

     Il faut ici que je dise quelles étaient mes idées sur l’avenir de l’Algérie. Car je ne partais pas pour mener n’importe quelle guerre aboutissant à n’importe quelle paix.

    J’avais été partisan de la loi-cadre algérienne et je ne pensais pas que l’intégration définitive de l’Algérie à la métropole par assimilation fût souhaitable en fin de compte. Pour que l’Algérie puisse progresser il fallait un traitement particulier. » (p187,188)

      Challe proposait de faire évoluer le statut de l’Algérie vers une fédération dans un cadre français, tout en estimant :

    «  Le statu quo était donc indispensable pendant quelques années, assez peu en vérité, le temps de réaliser deux ou trois plans de Constantine et de lancer la province sur la route du progrès… » (p189)

      Une fois Challe revenu en Algérie, la révolte ne fut qu’un feu de paille, car au fur et à mesure des jours, les soutiens militaires se volatilisèrent, faute de courage quelquefois pour les officiers qui avaient déclaré auparavant leur soutien, mais avant tout parce qu’il s’agissait d’une révolte sans avenir.

       Que d’obstacles à franchir ! La stratégie politique de Challe n’était pas à la hauteur de celle qu’il avait mise en œuvre en Algérie pour défaire militairement la rébellion : une solution institutionnelle imprécise, une métropole hostile, et sur place, ne l’oublions pas, un contingent de soldats appelés qui n’avaient jamais eu la conviction que l’Algérie, c’était la France.

      Il y avait un immense fossé entre Alger ou Oran et le bled, ou le djebel !

     Courageusement, une fois l’échec de sa révolte consommée, Challe décida de se livrer à la justice de son pays :

     « Vers midi mon avion décollait de Maison Blanche. Une dernière fois, je survolais la Méditerranée toute bleue et si belle. A 17 heures, nous nous posions à Villacoublay…. Vers 17 h 30 j’arrivais à la Prison de la Santé… J’allais maintenant comparaître devant la justice de mon pays… Evidemment, je ne me faisais aucune illusion sur ce qui m’attendait. Un général qui se met à la tête d’une rébellion est fusillé lorsqu’il est pris. Mais comme je l’ai dit devant mes juges : «  Il n’y a pas de loi au monde, il n’y a pas de raison d’Etat qui puisse obliger un homme à faire du parjure son pain quotidien… » (219)

    Je n’ai pas voulu faillir au serment que j’avais maintes fois répété sur ordre du gouvernement et abandonner ceux qui avaient eu confiance en la France à travers moi.

   Au moment de l’échec, je m’étais livré pour ne pas abandonner ceux qui, dans l’armée, avaient eu confiance en moi.

    Ce procureur et ces juges, particulièrement choisis par le pouvoir, il a bien fallu qu’ils avouent.

     Qu’ils avouent qu’au- dessus de la politique du moment, au- dessus de l’obéissance, au- dessus même de la raisons d’Etat, existent des lois morales plus fortes.

    Puisqu’ils n’ont pas osé, l’un requérir contre moi la peine de mort, les autres la prononcer.

&

            « En prison, je reste un homme libre…

Prison de Tulle

1961-décembre 1962

         A cette date, j’étais bien loin de l’Algérie et je constatais une fois de plus que la France n’abordait pas le dossier algérien de la bonne façon, pour autant qu’il y ait eu encore une chance de « bonne façon », ce dont je suis beaucoup moins sûr, tant la situation des relations  de la France avec l’Algérie était dégradée.

       Je suis convaincu, comme je l’étais déjà en servant la France en Algérie dans les années 1959-1960, qu’il était illusoire de croire à l’existence d’une troisième force – celle envisagée par Challe, entre autres – , mais je pense que la France aurait pu conduire le processus d’indépendance d’une autre façon, étant donné que nous étions maîtres du terrain et que nous avions un devoir moral de soutien de tous les Algériens qui avaient soutenu notre cause.

       Ce que n’a pas fait le général de Gaulle !

      Une fois les accords d’Evian signés,  et compte tenu  de la honte que j’éprouvais pour mon pays devant le lâche abandon de nos moghaznis et harkis, je rendis visite à un de mes camarades en poste au cabinet du général de Gaulle pour lui dire cette honte, et mon refus de m’associer à cet abandon, mais évidemment sans succès.

      Ceci dit, mon interprétation serait celle d’une révolte « sacrificielle » pour l’honneur, de ces officiers qui restaient fidèles à la parole donnée, et cette révolte sans but stratégique clair et cohérent n’avait aucune chance de réussir : Alger n’était ni l’Algérie, ni la France !

        Ajoutons que la présence massive du contingent des appelés constituait dès le départ un handicap mortel.

     Plus loin, et à ce sujet, Challe propose dans son livre comme explication de son échec une « manœuvre psychologique trop tardive » : « Mais j’ai commis une faute dans la manœuvre psychologique : mon tempo a été trop lent vis-à-vis de la troupe. » (p,285)

     Vu d’Alger peut-être, mais le contingent n’avait jamais considéré dans son ensemble, sauf pour la partie résidant sur la côte et dans les grandes villes européennes, que l’Algérie, c’était effectivement la France.

        Challe criait à l’imposture !

L’analyse qu’avait faite depuis longtemps Clausewitz dans le traité  « De la guerre » aurait pu annoncer l’échec inévitable de Challe, car il n’était plus maître des buts de la guerre : « La guerre est un instrument de la politique » (p,703), « Subordonner le point de vue militaire au point de vue politique est donc la seule choses que l’on puisse faire » (p,706)

       Si les buts de cette guerre avaient été définis par de Gaulle, ce qui reste à démontrer, ou qu’ils lui aient définitivement échappé, tant la situation du pouvoir à Alger était fragile, un pouvoir déliquescent qui, à la fin, n’y contrôlait plus grand-chose.

&           

Les autres éclairages historiques

       Le même livre propose d’autres éclairages historiques tout à fait intéressants :

France- Algérie- Communauté (p,233)

       « En mars 1957, J’ADRESSAIS un mémoire à Bourgès-Maunoury, alors ministre de la Défense nationale. Bourgès-Maunoury est avec Guy Mollet en particulier un des très rares ministres que j’ai connus, capables de se hisser au niveau d’homme d’Etat. J’étais alors major général des Forces armées et étudiais les questions de défense des territoires sous pavillon français.

      Dans mon mémoire, je préconisais la reconnaissance immédiate ( au 14 juillet 1957) pour des raisons historico-sentimentales) de l’indépendance des Etats d’Afrique Noire qui faisaient partie de ce qu’on appelait encore l’Union française. En effet, après une étude détaillée des possibilités de défense, je concluais que l’Afrique noire française était indéfendable dans l’état de notre armée et de nos finances…

      Je pensais que nous devions nous limiter en tout état de cause à la défense et au développement de la métropole, de l’Algérie-Sahara, et des quelques territoires qui passeraient avec nous un véritable contrat d’association. » (p,233)

    Plus loin, Challe donnait son interprétation du fameux colonialisme français :

     « … Mais il est bien entendu que c’est toujours le voisin qui est colonialiste. En particulier, chacun sait que la France, bien qu’elle abandonne tout son domaine et même qu’elle le jette par-dessus bord, est colonialiste…

    Tandis que la Russie n’est pas colonialiste…

    Les Etats Unis ne sont pas colonialistes. Demandez aux habitants du Japon, de la Corée, de Formose, du Laos, ou même du Congo ex-belge…

     L’Indonésie n’est pas colonialiste. Mais elle tient essentiellement à faire le bonheur des Papous de Nouvelle Guinée… (p,235)

    Le point de vue d’un grand dignitaire gaulliste, Guillaumat :

            « Je me souviens encore de Guillaumat, technocrate intelligent et sympathique, qui a régné sur l’atome français, l’électricité, le pétrole, l’Ecole polytechnique et aussi sur le ministère des Armées, me disant un jour de 1959 en parlant du sort futur de l’Algérie : «  Mon cher, ce qui compte ici c’est le pétrole, tout le reste c’est de la poésie. » Je lui disais alors : « Si vous pensez que nous garderons le pétrole tout en larguant l’Algérie, vous vous faites des illusions. » Guillaumat me répondit avec un petit sourire en coin : « Mais voyons, le pétrole appartient à des sociétés puissantes dont les imbrications internationales empêcheront tout gouvernement algérien d’en disposer. » Voire lui dis-je.

Il est vraisemblable que l’armée avait raison puisqu’elle avait contre elle à la fois les fabricants de théories, le « mur d’argent », et les technocrates !!

Elle avait raison, mais elle en est morte »

Février 1966 » (p,377)

L’Armée française en Algérie

            « Pour avoir bonne conscience, une grande partie de l’opinion française admet que l’armée française a fait en Algérie une dure guerre pour le compte des puissances d’argent et des gros colons. Elle admet que seul de Gaulle a pu faire cesser cette effroyable dépense d’hommes et de finances en terminant les hostilités qui avaient trop duré et en donnant aux Algériens une indépendance qu’ils réclamaient tous à cor et à cri.

      Pour le coût des hommes, il n’y a qu’à se référer aux statistiques officielles.

      Pour le prix en argent, il suffit de comparer avec la suite.

     Pour le reste, il faut y revenir car cette croyance, habilement et fortement entretenue, permet à l’opinion de renouveler le geste de Ponce Pilate et de se désintéresser des sévices inimaginables (1) subis par les Européens et les Musulmans qui avaient cru en la France et de lire d’un œil serein les récits d’aujourd’hui sur la misère algérienne.

   Or cette croyance est basée  sur un énorme entassement de mensonges.

     Il est faux que l’armée ait mené la guerre plus durement qu’il était nécessaire.

     Il est faux qu’elle l’ait fait pour le compte des Européens les plus riches.

    Il est faux que de Gaulle ait terminé la guerre au mieux et au plus tôt.*

    Il est faux que les Algériens musulmans aient en majorité demandé l’indépendance. … » (p,395)

  1. Dans l’annexe IV, Challe a publié un ensemble de témoignages, sur ces sévices inimaginables ( page  421 à 441) qui ont suivi l’indépendance de l’Algérie et dont ont souffert, mort très souvent comprise, de très nombreux harkis, moghaznis, ou Algériens qui s’étaient engagés à nos côtés.
PUTSCH (p347)

         Dans ce chapitre, le général Challe se défend d’avoir fait un putsch :

       « D’abord, il n’y a pas eu de putsch DU général Challe. Nous étions de nombreux officiers à nous rendre compte de ce qui allait se passer, en dépit des acrobaties verbales du gouvernement. La réunion d’Evian était annoncée, et nous savions qu’en ce moment sonnerait le glas de la France, de Français, et de l’œuvre française en Algérie.

     Ce qui s’est effectivement passé.

     Je n’étais pas seul, Dieu merci à prévoir. Beaucoup d’officiers, désirant que j’achève la victoire de l’armée française, que de Gaulle m’avait empêché de gagner totalement, voulaient que je fusse à la tête du dispositif de révolte.

     Je ne me sentis pas le droit de refuser le poste…. (p,347)

    Voilà très exactement comment fut orienté ce que l’on a appelé à tort un putsch, et qui fut en réalité une révolte militaire contre le lâche abandon de nos promesses et d’un territoire français, aussi français et depuis longtemps que Nice ou la Savoie. » (p349)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Guerre d’Algérie ou LCP entre mémoire et histoire! « Le Schirch… »

Guerre d’Algérie ou LCP entre mémoire et histoire !

« Instituteur pendant la guerre d’Algérie » (la Croix du 23/12/2013) ou « Le Schirch, celui qui sait… ou l’aventure hors du commun de Guy Beaujard,(Le Monde Télévisions des 22,23/12/2013) un documentaire sur LCP, le 23 décembre 2013.

               Dans son analyse critique, Alain Constant, dans Le Monde, conclut « ce documentaire inédit est une belle leçon d’histoire », après avoir décrit l’itinéraire du héros de ce documentaire, un jeune instructeur civil venu en Algérie, pendant la guerre d’Algérie, en 1959.

        Si j’ai bien compris le commentaire, le poste militaire d’affectation de ce jeune instructeur, était à Tifrit n-Aït Ou Malek, en Grande Kabylie.

          Le même documentaire nous conte la rencontre pour le moins surprenante entre le jeune instructeur et le colonel Si Mohamed Ou el Hadj, à l’époque chef de la Willaya III.

            Belle leçon d’histoire, ou plutôt belle leçon de désinformation historique, comme je l’ai fait connaitre à la chaîne LCP par le message que je lui ai adressé le 24 décembre 2013, dont le contenu est le suivant :

        « Bonjour, ce documentaire est à ranger dans la catégorie des documents de désinformation historique pour quelques-unes des raisons ci-après :
     

      1) Un curriculum étrange ? M.Beaujard était sursitaire ? Avait refusé de porter les armes et se retrouvait dans le poste de Tifrit ? A effectué son service une fois la guerre terminée ? Etait menacé de mort par le FLN alors qu’il avait collaboré avec le parti en question ?

     2) Comment ne pas être choqué par l’absence de cadrage historique de ce documentaire, et pourquoi ne pas avoir eu le courage de donner la parole à des soldats, sous-officiers ou officiers du contingent qui ont servi dans le même secteur militaire ?

     3) Le documentaire a fait l’impasse sur l’opération Jumelles, mais l’instit en question n’aurait pas pu exercer ses fonctions si cette opération n’avait pas eu lieu, en ramenant la paix civile en Kabylie, où il était, et en Petite Kabylie où je servais la France en tant qu’officier SAS, précisément sur le versant Soummam du même massif.

     4) Comment ne pas éprouver un malaise et beaucoup de mécontentement en regardant ce type de documentaire qui a été tourné à la gloire de Si Mohand, chef de la Willaya III, et tout autant de l’instit, lorsqu’on a cru servir son pays, tout en étant convaincu que l’Algérie devait aller à l’indépendance ?

         Il s’agit à proprement parler à la fois de propagande et de falsification historique. Je puis vous dire que dans ma SAS, le FLN avait brûlé de très belles écoles construites en dur, bien avant la guerre de 54, que j’ai reconstruites, et que de bons instituteurs, sans doute en nombre très insuffisant dans la vallée de la Soummam y exerçaient depuis longtemps leur mission du savoir. Il y aurait tellement de choses à dire sur ce type de sujet qu’il est effectivement possible de raconter aujourd’hui n’importe quoi, et c’est bien le cas de ce documentaire que la chaine publique LCP accueille sans vergogne et sans cadrage historique. La France est décidément dans un triste état. Salutation distinguées. »

            La chaine Publique LCP est-elle dans son rôle d’information libre et pluraliste en diffusant un documentaire soi-disant historique sur la guerre d’Algérie propre à éloigner tout espoir de réconciliation entre les deux peuples  conditionnée par un exercice exigeant de vérité, dans les deux camps ?

            Pendant la guerre d’Algérie, nombreux ont été les « petits gars du contingent » qui ont rempli leur devoir de citoyen français, et aimé cette Algérie qui n’était pas leur pays, ainsi que ses habitants !

Jean Pierre Renaud