IV – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale – « L’apogée coloniale 1919-1939 »

IV – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale : le livre « Images et Colonies »

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III – « L’apogée coloniale 1919-1939 » (pages 96 à 184)

88 pages et 215 images

          Il s’agit évidemment de la période clé à examiner afin de se faire une  opinion sur l’existence ou non de la propagande coloniale, des vecteurs choisis, de leurs effets sur l’opinion publique française, avec tous les problèmes d’évaluation et d’interprétation des images et des textes que cela posait, des problèmes redoutables.

Une conclusion intermédiaire : quelles conclusions tirer de l’examen des deux premières parties, consacrées à la période de « Conquête, exploration, exotisme » et de la première guerre mondiale ? La propagande coloniale n’a jamais inondé la France au point de lui faire prendre un « bain colonial », contrairement à ce qui est raconté dans le livre « Culture coloniale »  « Imprégnation d’une culture (1871-1814) – (pages 41 à 103).

        La période 1919-1939 a-t-elle été plus fructueuse pour les chercheurs de l’Achac ? Rien n’est moins sûr, comme nous allons le voir.

         Ma première remarque de méthode portera sur l’absence quasi-générale de l’évocation préalable, ne serait-ce que synthétique, du contexte historique national et international des faits décrits.

        Il n’est tout de même pas indifférent de rappeler  que cette période a succédé au bain de sang de la première guerre mondiale (1 400 000 morts et 4 300 000 blessés), dans une France à moitié détruite et ruinée.

        La crise de 1929 est venue très rapidement après, enchainant  rapidement avec la montée de l’hitlérisme, la menace allemande, et les années d’instabilité de l’avant deuxième guerre mondiale.

        Question ? Comment est-il possible de faire l’impasse sur ces épisodes « structurants » de l’histoire, pour utiliser un qualificatif à la mode, alors que Charles-Robert Ageron a bien souligné le caractère tout à fait « conjoncturel » de la propagande coloniale des quelques années d’avant-guerre ? 

       Compte tenu de l’importance que ce collectif a accordée à la propagande coloniale décrite avec beaucoup d’emphase et de termes tonitruants, ce thème fera l’objet d’une chronique spéciale. Le livre « Supercherie coloniale », consacre un chapitre à ce seul thème.

       Les deux premières contributions ont été rédigées par deux historiens aux qualités reconnues dans le domaine de l’histoire coloniale, Charles-Robert Ageron et Gilbert Meynier.

        Les deux historiens ont documenté leurs travaux par des chiffres, les premiers sondages en ce qui concerne le premier, et la place de la culture coloniale dans les livres scolaires, pour le second.

       Charles-Robert Ageron « L’Empire et ses mythes » (p, 98 à 110 – 29images) :      I = oui – Ex = oui – Prop. = non

        Il ne fut pas un des participants (liste) du colloque de janvier 1993.

       Cet historien a traité le sujet à plusieurs reprises, notamment dans la Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer du premier trimestre 1990, avant donc la date de ce Colloque, sous le titre «  Les colonies devant l’opinion publique française (1919-1939).

        Ici, l’historien relie à juste titre le concept de « mythe » à celui de l’Empire.

        « A la veille de la Seconde guerre mondiale, le discours dominant célébrait L’«empire français d’outre-mer », « L’empire français » et plus souvent encore, « L’Empire », avec un E majuscule. De la plate énonciation de 1914, « le domaine colonial de la France » au slogan cocardier de 1939 « La France est un Empire », on était passé de la réalité au mythe….. L’Empire s’affirmait ainsi être devenu l’un des mythes politiques les plus importants de l’entre-deux guerres. » (p, 98)

      L’historien note toutefois : « Encore fallait-il convaincre le Parlement et les citoyens français jusque-là rétifs aux discours des ministres du Parti colonial et plus sensibles aux charges des colonies qu’à leurs éventuels bienfaits…

      De sérieuses résistances de l’opinion s’étaient manifestées lors de la guerre du Rif ou de la guerre des Druzes, et le chef de bataillon Charles de Gaulle y était attentif dans l’«Histoire des troupes du Levant » (1931). Les coloniaux étaient eux, surtout soucieux de briser la carapace d’indifférence du peuple français à la geste coloniale. » (p,99)

       « … En dépit de la constitution d’une Ligue de la République impériale française, on ne voit pas en effet que la mystique impériale ait progressé après l’Exposition coloniale… Bref, le mythe impérial dont on dit parfois qu’il fut durablement enraciné après 1930, n’était pas à ce point solide qu’il réussit à modifier le statu quo… L’immobilisme, fruit de l’indifférence demeurait la règle.

       Les droites adoptent le mythe d’Empire

      Face à ces échecs, la propagande impériale n’en continuait pas moins à se développer… (p,100)

       « On ne déduira pas de cette trop rapide présentation des positions de l’extrême droite que la France politique tout entière fut ralliée dès 1934 au Mythe de l’Empire. Lors des élections législatives de 1936, très rares furent les candidats qui osèrent évoquer les questions coloniales et parler de l’Empire. « Le mot Empire est suspect et la chose indifférente », notait alors le Directeur des Nouvelles littéraires Roger du Gard ; « Pour la plupart, il évoque je ne sais quelle idée de conquête et d’asservissement. »

         Pourtant, dans les années suivantes, l’opinion allait s’acheminer vers un certain ralliement au mythe impérial. (p,101)

     Le ralliement au mythe impérial

     … L’essentiel réside sans doute dans la montée des périls extrêmes. La France directement menacée par l’Allemagne redécouvrit peu à peu le slogan mobilisateur et rassurant du Parti colonial lancé vers 1920 : « Le salut par l’Empire ». (p102)

        « Mais, ils ne furent jamais bien nombreux à  croire entre 1919 et 1939 que cet empire leur apportait la puissance économique et la richesse. » (p,104)

       De la mise en valeur des colonies au « repli sur l’Empire »

       « La mise en valeur des colonies ne séduisait pas les parlementaires qui refusèrent les crédits publics métropolitains d’équipement demandés par Sarraut. Bref, comme je l’ai souvent écrit, la colonisation restait majoritairement perçue comme le stade suprême du mercantilisme, non comme celui du capitalisme…. A partir de 1930, l’Empire fut surtout présenté comme le remède miracle à la crise économique… Mais le « repli sur l’Empire » était aussi et surtout une récession économique… Le Président du groupe parlementaire colonial, Léon Archambaud, tira le premier en 1932 la sonnette d’alarme : « On trouve des millions et des milliards pour renflouer certaines grandes banques et pour aider  certaines nations de l’Europe centrale. Je voudrais que l’on trouvât quelques centaines de millions pour renflouer nos colonies…

      Le mythe du Transsaharien… (p,104)

       « L’Office du Niger, crée en 1932, fut un gouffre financier et un échec économique total…Le Niger ne fut pas- la nouvelle Egypte- qu’Eugène Bélime, « l’homme du Niger », avait promise. (p,108)

     … A la veille de la Seconde Guerre mondiale, un seul thème du mythe impérial devenait obsessionnel : l’Empire par sa puissance économique et militaire garantirait la sécurité de la France…

        Le mythe impérial aurait dû logiquement ne pas résister au choc de la défaite en 1940. Or tout au contraire il survécut comme mythe de compensation. L’Empire devint « la dernière carte de la France », le suprême recours, et beaucoup de Français naguère indifférents ou sceptiques se persuadèrent que l’Empire restait la seule porte ouverte sur l’avenir. «  (p,109)

Commentaire : il est assez surprenant qu’un collectif de chercheurs animé par Pascal Blanchard, dont certains participèrent au Colloque de 1993, aient ignoré cette analyse historique proposée par un historien aussi sérieux et expérimenté que Charles-Robert Ageron, bon connaisseur de  notre histoire coloniale, laquelle démontrait le contraire de ce qu’ils tentaient de démontrer.

      Janos Riesz « Les romans coloniaux français entre les deux guerres » (p,111,112 – 4 images) :  I = oui – Ex = oui – Prop. = ?

     Gilbert Meynier – « L’organisation de la propagande » (p,113 à 124 – 30Images) :    I = oui – Ex = oui – Prop. = non, sauf embryonnaire.

      Deuxième morceau dur après celui de Charles-Robert Ageron !

       Dès l’entrée, l’historien note :

         « Cette propagande qui met les colonies en images, devrait être appréciée par rapport au public ou – aux publics – qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement les matériaux manquent à l’histoire pour en juger avec sûreté. Face à ces éventuels publics, les émetteurs de propagande : l’unité d’inspiration – enraciner la foi coloniale, faire quelque chose des colonies – l’emporte-t-elle  sur la diversité des organismes de propagande, officiels ou non, au point de faire apparaître une concertation provenant d’un projet mûri et poursuivi avec méthode, c’est-à-dire d’une politique ? » (p,113)

Commentaire : l’historien pose bien les deux données essentielles de toute analyse sérieuse de ce dossier, celles relatives aux émetteurs et aux récepteurs des images, mais il est étrange qu’il n’ait pas sollicité le concours de Jean-Louis Miège qui s’était illustré en faisant effectuer des mémoires d’étudiants sur la presse.

      « Organismes et vecteurs de propagande

     Les organismes officiels

      … Y aurait-il donc une propagande officielle qui donne le « la » à l’éducation coloniale des Français ? 

     … En fait sur un échantillon de quatre-vingt- sept manuels d’histoire, la part des colonies reste modeste si elle ne régresse pas, comme l’a montré Patrick Haus‘(mémoire de maîtrise Nancy, 1990) (p,113)

      Associations et groupements privés

     « Aux côtés de la propagande officielle, et dans la même inspiration, existe la propagande des organismes privés… Elles restent marquées par l’influence confinée des professeurs et des sociétés de géographie, bref par l’entreprise coloniale de cabinet.

      Il en va différemment de l’Union coloniale – et de sa Quinzaine Coloniale – plus en prise sur les préoccupations économiques liées à l’Outre-mer. Les chambres de commerce créent des comités de propagande…(p,114)

     Les organismes politiques

    …Mais dans l’ensemble, pour la période concernée, les partis politiques continuent à peu considérer la France coloniale. Les professions de foi électorales l’ignorent. Au moment des élections, comme lors du Front populaire qui suscita d’espoirs chez les peuples coloniaux, l’attention primordiale ne se porte pas sur l’Outre-mer… »

      Propagande et mise en image des colonies entre crédo colonial et exotisme de masse

     Sur trente affiches consultées au Musée d’histoire contemporaine, la presque totalité de celles produites par des organismes officiels connotent la geste utilitaire de l’Empire, l’ordre colonial et le nationalisme français. Un peu plus de la moitié renvoient au décor exotique, à l’anthropologie coloniale, au goût de l’aventure. 27 % évoquent la mission civilisatrice et seulement 18% illustrent les réalisations techniques de la France coloniale. 9% mettent en images les productions coloniales. C’est donc, prioritairement, l’adjuvant national français que renvoient ces images au public qui les regarde. Cet adjuvant est relié dans la plupart des cas à l’exotisme d’Outre-mer servant de décor…

       Au total, les deux tiers des affiches connotent le nationalisme français relié aux projets et aux fantasmes coloniaux,  la moitié  a pour support l’exotisme, moins d’un sur six le modernisme et moins d’une sur sept le rendement économique de l’Empire…

      Dans les photos ou illustrations figurant dans les magazines et livres abordant les thèmes coloniaux, davantage adaptées à un public censé être plus réceptif à ces derniers, la répartition est différente. Sur un corpus de soixante-seize images provenant de la même source, les réalisations modernes de l’Empire viennent en premier, à égalité avec l’exotisme – exotisme connotant davantage l’aventure – l’archaïsme et les sujets anthropologiques. La mission civilisatrice ne vient qu’au second rang…

      Dans les cartes postales, destinées  à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte, plus encore que dans les autres productions… C’est du moins ce que paraît indiquer un corpus de 116 cartes postales à thèmes coloniaux…

     Et ce que proposa l’Exposition coloniale de Vincennes en 1931 correspondit assez bien avec les productions d’images par ailleurs fournies. L’exposition suggéra surtout le dépaysement… (p,121)

        « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est donc principalement un exotisme de masse…  Et dans tout ce fatras narcissique,  les « indigènes », s’ils ne sont pas absents, existent par rapport au centre français, reliés qu’ils sont par des trajectoires françaises conçues en dehors d’eux…. Ainsi en décide l’idéologie coloniale française qui ne parle que pour elle-même… il semble d’après des sondages malheureusement tardifs, que la propagande coloniale ait plutôt davantage touché les jeunes que les vieux…Encore que l’on manque d’éléments pour apprécier les choses, les citadins ont sans doute été plus nombreux à visiter l’Exposition de Vincennes que le ruraux et à céder à son charme exotique. »  (p123)

      La page 124 contient quatre tableaux statistiques tout à fait intéressants dont les sujets sont les suivants :

  • Thème colonial dans 8 catalogues (jouets)
  • Pourcentage de la place des colonies dans les manuels d’histoire par rapport à l’ensemble texte et illustrations
  • Affiches connotant le (la) : le nationalisme, le décor exotique, la mission civilisatrice, les réalisations modernes, les productions coloniales

        Total (30)

  • Photos et illustrations de magazines et livres coloniaux (corpus de 76 images)
  • Cartes postales à thèmes coloniaux (Total 116)

Commentaire : ces tableaux donnent quelques indications plaidant pour la place dominante de l’exotisme dans les images sélectionnées, mais sans que l’on connaisse la méthode de dénombrement utilisée, ni leur chronologie.

         Quid donc de leur représentativité historique ?