Trois livres pour l’été !

Si vous croyez que tous les livres d’histoire n’exaltent pas obligatoirement un roman national, quel que soit le pays, ou un roman non national, dans le cas de la France, lisez le livre de Pierre Vermeren intitulé « Le choc des décolonisations ». (Odile Jacob)

            Et si vous croyez par ailleurs que certains romans historiques n’ont peut-être rien à envier à certains livres d’histoire, lisez «  Le lecteur de cadavres »  d’Antonio Garrido. (Le livre de poche)

            Enfin, un petit livre très pédagogique pour tenter de comprendre ce qu’est l’islam, « « Comprendre l’islam

                                                                ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien » d’Adrien Candiard . (Champs)

Jean Pierre Renaud

« Leçons indiennes » Itinéraires d’un historien » Sanjay Subrahmanyam- Troisième partie et fin

« Leçons indiennes »

« Itinéraires d’un historien »

« Delhi .Lisbonne. Paris. Los Angeles »

Sanjay Subrahmanyam

&

Troisième partie et fin
Mélanges
         Racisme, islam, hindouisme…

       Leçons, 5 « Orgueil et préjugés de V.S.Naipaul », 12 « Le roman, l’islam et les versets sataniques », 16 « Le 11 septembre, l’islam et les Etats Unis », 20 «  Un miroir indien pour Israël »

          Quelques mots sur Naipaul qui n’est pas en odeur de sainteté chez l’auteur, le titre de la leçon 5 suffirait à l’exprimer, et une seule citation :

               « Sur un autre bord, à distance, le protestantisme attire, mais une bonne part de ce protestantisme ne s’accommode guère du métissage culturel, c’est plutôt un  système du tout ou rien. En outre, les Indiens vivant hors de l’Inde – c’est bien connu- sont facilement racistes quand il s’agit des autres peuples de couleur : la rhétorique anti noire qui imprègne les écrits de Naipaul (y compris le premier chapitre de ce livre) n’est une fois encore, que le symptôme d’un plus large malaise qui s’étend de l’Afrique au New Jersey. » (p,88)

           En reprenant un titre connu de Jane Austen, l’auteur a choisi un titre tout à fait révélateur de son jugement  sur Naipaul.

           Quelques mots également sur les autres sujets sensibles qui sont traités dans les autres leçons, le grave différend qui continue à opposer en Inde la majorité des citoyens de religion musulmane et de religion hindoue- inutile de rappeler la tragédie qui a suivi l’indépendance de l’Inde, considérée souvent comme un succès britannique -, le jugement sans appel de l’auteur sur la signification du 11 septembre ;

           « Au fond, contrairement à ce qui a été affirmé au lendemain du 11 septembre, le choc majeur auquel on a alors assisté n’était pas entre tradition et modernité ou entre religion et sécularisme. Les Etats Unis ont bien plutôt été attaqués comme puissance chrétienne, et, malheureusement, ils ont endossé ce rôle avec toujours plus d’empressement. » (p,266)

    Leçon 19 «  Un Parisien ambigu »

        Le lecteur  ne m’aurait sans doute pas pardonné de ne pas évoquer le contenu de cette leçon, un contenu effectivement ambigu, pour reprendre le qualificatif du titre, mais aussi dans un autre sens.

          « La capitale m’attirait. Je voudrais évoquer ici le souvenir de cette attraction pour Paris – une attraction très ambiguë. La manière quelque peu singulière dont je découvris la ville vaut d’être contée. » (p,298)

               La description que fait l’auteur de Paris et de la vie parisienne est déroutante et pose la question de l’objectivité dont peut faire preuve l’observateur lorsqu’il débarque dans une capitale qu’il ne connaissait pas, même lorsque cet observateur, tel l’auteur, parait muni de tous les sacrements susceptibles de lui éviter de commettre le péché très partagé du fameux ethnocentrisme.

                   Il y a dans cette leçon un parfum du « Comment peut-on être Persan ? »  de Montesquieu, mais il parait difficile d’entériner telle ou telle observation, quand il s’attache à souligner l’importance dans la vie parisienne du fait divers, des exploits de grands criminels, ou quand il écrit :

             « Paris est aujourd’hui massivement une ville d’immigration «  (p,300), ou

             « En 1988, comme c’est toujours le cas aujourd’hui, Paris était en grande partie une ville de Maghrébins et pour les Maghrébins. «  (p,301)

         Mieux fondé parait être son jugement sur la contradiction qui habite le parisien entre une soi-disant solidarité collective et son individualisme forcené :

         « Ceux qui applaudissent les bandits branchés et les rois de l’évasion expriment, de manière troublante, l’esprit d’une cité dans laquelle chacun semble ne vivre que pour soi-même, à l’abri de cette justification typiquement française : Moi, monsieur, je paie mes impôts …

       Mes derniers exemples sur la tension entre discours de solidarité collective et réalité d’individualisme débridé devraient paraître plus légers, mais ils n’en reposent pas moins sur l’amère vérité de l’expérience. ». (p,311)

          Et pour finir sur une note tout à fait parisienne, les chiens des parisiens :

       « Mais c’est dans leur relations avec les chiens que les Parisiens se révèlent sous leur vrai jour » (p,312),  dont la possession s’est « démocratisée » depuis vingt ans, avec une vraie référence historique tout à fait justifiée, celle de l’arrivée des « chiraclettes » (p,314)

     La leçon 21 « A travers trois continents »

       Cette dernière leçon a un contenu très varié compte tenu de l’expérience internationale de cet historien.

         A la question :  « Dans quelle mesure avez-vous été – comme d’autres jeunes intellectuels indiens – influencé par les idées maoïstes ou par le marxisme soviétique, ou encore par le discours critique surgi en mai 1968 ? »

     Longue réponse de l’auteur, dont j’ai retenu les propos ci-après :

         « Personne ne peut écrire une histoire qui soit totalement dénuée d’implication politique. En tout cas je cherche à établir une distinction entre mes écrits plus «populaires » et ceux scientifiques, réservant les sujets explicitement politiques  pour les premiers. Il arrive néanmoins que cette frontière se brouille. » (p,332)

          A la question : « Dans votre carrière universitaire, on observe un déplacement. Après vous être centré sur des phénomènes historiques de nature résolument économique, vous avez évolué vers une approche de plus en plus politique et culturelle. Avez-vous changé votre manière de faire de l’histoire ? »

        Longue réponse de l’auteur dont j’ai extrait les propos ci-après :

        « Pourtant, je crois pouvoir dire que je me suis déplacé sur plus de terrains et que j’ai brassé des matériaux plus diversifiés que la moyenne de mes contemporains. L’autre grande difficulté a été de réguler cet éclectisme par un certain degré de cohérence intellectuelle, de manière à ne pas combiner artificiellement des méthodes et des perspectives qui, en réalité, sont radicalement hétérogènes et à ne pas dire un jour le contraire de ce qu’’on a dit la veille » (p,336)

        A la question : « Comment situer Explorations in Connected History ? Quels sont les avantages de la méthode que vous y adoptez ? Comment le local s’insère-t-il dans un plus large espace. Les « histoires connectées » sont-elles un moyen d’envisager la globalisation ? »

      Un petit extrait :

       « C’est juste une manière de dire qu’il vaut peut-être mieux appréhender l’histoire du Portugal dans son propre contexte qu’en comparant le Portugal à la Grande Bretagne et en voyant le dernier au miroir du premier. Si l’on fait ce genre de comparaison, le Portugal devient un cas de régime bourgeois qui a échoué, ou un exemple du retard de l’industrialisation et du développement capitaliste. Un exercice stérile. » (p,338)

      A la question : «  Fukuyama, qui avait parlé de la « fin de l’histoire », s’est mis à écrire sur le « retour de l’histoire » après le 11 septembre. Cette obsession de l’histoire est-elle un trait occidental ? »

     Un petit extrait :

    « Le plus inquiétant, me semble-t-il, est « l’ auto-orientalisation » de certains intellectuels indiens dans le cadre des études postcoloniales : ils insistent sur le fait que l’ « histoire » est une vision  purement occidentale et qu’eux-mêmes devraient vivre en dehors de l’histoire. » (p,342)

     A la question : «  Quel écho rencontre en Inde la reconfiguration des rapports de l’Occident avec le monde musulman ?

      Un extrait :

      «  Le problème en l’occurrence, c’est que beaucoup de mouvements politiques de droite, en Inde, partagent la peur et la haine de l’islam avec une partie des médias et des conservateurs occidentaux. Cet état de fait remonte au mouvement nationaliste indien et à la théorie des deux nations, au nom de laquelle des idéologues comme V.D. Savarkar ont soutenu que les hindous et les musulmans ne pourront jamais coexister dans le même espace politique. » (p342)

        Question raccourcie : « …Pensez-vous que l’historien peut encore intervenir dans la formation d’une mémoire historique collective ? »

         Un extrait :

       « Mais je sais avec certitude que l’histoire n’est pas ce qu’en disent tant de théoriciens postcolonjaux qui la dépeignent comme une stratégie néfaste, oppressive, hégémonique inventée par l’Occident » (p,345)

      A la question : «  Quels sont, selon vous, les avantages et les désavantages d’être « de l’intérieur » quand on fait l’histoire d’un pays donné, ou pour utiliser le vocabulaire de l’anthropologie, d’être un participant-observateur qui maitrise les codes culturels ? Est-il préférable d’être de « l’extérieur » ?  

        Un extrait :

        « … il n’y a pas pour autant de différence évidente entre une approche « de l’intérieur » ou « de l’extérieur ». En ce sens, nous sommes bien loin de la situation en anthropologie.. » (p,345)

      A la question : « Comment voyez-vous ce que d’aucuns appellent la nouvelle « hégémonie » des intellectuels indiens, en particulier pour ce qui concerne le monde universitaire occidental ?

        Un extrait :

        « … J’admets volontiers que, dans l’ éveil des Etudes subalternes, il y a eu une onde de choc et un effet de réseau, si bien que les universités américaines ont rivalisé entre elles pour recruter des spécialistes qui enseignent l’histoire postcoloniale et l’histoire sur le mode « subalterne ».(p,350)

       Ma propre question : il est peut-être dommage qu’une des leçons n’ait pas porté sur le système des castes en Inde, un système qui aurait peut-être éclairé d’une certaine façon une des faces persistantes de l’histoire indienne, reliée incontestablement au discours que les intellectuels indiens tiennent sur le « subaltern ».

         Une observation : est-ce qu’on ne peut pas comparer cette discrétion, pour ne pas dire cette impasse historique, à celle que semblent commettre certains chercheurs africains sur une des faces cachées de leur histoire, c’est-à-dire l’esclavage interne ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Sottise postcoloniale: Assimilation, intégration, « nettoyage de l’identité » Le Monde du 13 février 2015

Sottise postcoloniale : assimilation, intégration, « nettoyage de l’identité… »

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Journal Le Monde du 13 février 2015, page 10

« Nicolas Sarkozy veut lancer un débat sur l’Islam »

Alexandre Lemarié

&

       M.Lemarié interviewe l’historien Blanchard, je cite :

            «  Assimiler c’est vouloir effacer »

            « … Pour souligner sa différence avec son concurrent, l’ancien président de la République a affirmé que la droite ne pouvait « pas continuer à utiliser le mot « intégration » mais devait désormais « utiliser le mot « assimilation ». Un terme qui est tout sauf neutre. « Il est directement issu de la période coloniale, rappelle Pascal Blanchard, cela suppose de vouloir faire rentrer l’immigré dans un modèle, avec la notion de nettoyage de l’identité. »

       Tout d’abord, un rappel de vocabulaire tiré du Petit Robert :

                  Assimiler, c’est rendre semblable

            Intégrer, c’est établir une interdépendance plus vivante entre les membres d’une société.

            L’historien  cite « l’immigré », mais s’agit-il effectivement de l’immigré, celui qui a une carte de séjour, ou du citoyen français d’origine immigrée ?

         Le même historien utilise aussi une expression douteuse, celle- là, «  la notion de nettoyage de l’identité », très proche de l’autre expression plus connue de « nettoyage ethnique ».

         L’ambition coloniale française de l’assimilation n’a jamais dépassé, sauf cas particuliers des quatre communes du Sénégal et des actuels départements d’outre- mer, le stade de la parole, de la propagande, pour la raison bien simple qu’elle était vouée à l’échec, même en cantonnant son sens à la citoyenneté politique.

      En Algérie, la place de l’Islam compliquait la solution du problème, et dans les autres colonies, hors Antilles, la diversité des cultures et des croyances, les statuts privés des peuples de ces pays, l’effectif des évolués par rapport au total de la population, le poids démographique et donc politique des peuples susceptibles d’être assimilés, la relation qui fut faite entre la citoyenneté politique et la citoyenneté sociale, c’est-à-dire le coût social qu’une telle opération représentait pour la métropole  enlevait tout fondement à ce type d’opération….

      L’assimilation « coloniale » n’a donc été qu’un rêve !

     Quant à parler dans le cas des immigrés, de « nettoyage de l’identité », il semble, et si j’ai bien compris, que le propos de M. Blanchard n’ait sans doute pas visé les immigrés eux-mêmes, mais les descendants d’immigrés.

     Si tel est le cas, et en ce qui concerne leur relation avec les institutions de la République Française, plutôt que d’assimilation ou d’intégration, il vaudrait mieux parler plus simplement d’application  des lois françaises.

     La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 et les principes de laïcité qui régissent notre République, doivent effectivement être appliqués, sans savoir s’il s’agit d’assimilation ou d’intégration.

    Cessons de jouer avec le feu des anciennes guerres françaises de religion, sanglantes au cours des siècles passés, et politiquement violentes, jusqu’au début du vingtième siècle.

      Cette loi française de paix civile est notre loi. Appliquons- la ! Sans ergoter !

     Jean Pierre Renaud

Humeur Tique – Israël, Gaza, l’Islam et la communauté internationale, en peine absurdité !ska=lam

Humeur Tique

Israël, Gaza, l’Islam et la communauté internationale, en pleine absurdité !

 On s’entretue, on bombarde, on détruit. Les colonies israéliennes s’étendent au fur et à mesure des années, et les territoires palestiniens se rétrécissent au fur et à mesure des mêmes années.

            Gaza, la forme moderne d’un nouveau camp de rétention, pour user d’une litote.

            Dernier épisode de la tragédie au début de l’été 2014 !

            Une fois de plus, la communauté internationale est appelée à financer la reconstruction  de Gaza, et plusieurs pays vont effectivement apporter leur contribution à ce nouveau chantier.

            En pleine absurdité, étant donné qu’aucun pays, aucune puissance, n’ a l’autorité suffisante pour imposer une coexistence pacifique entre les deux Etats.

            On en viendrait presqu’à regretter la chute du Mur de Berlin et la fin d’un monde bipolaire, étant donné que dans notre nouveau monde multipolaire aucune puissance n’a l’autorité nécessaire pour imposer une solution internationale, pas plus l’ONU que l’Europe aux abonnés absents des nouvelles puissances mondiales.   

            Une absurdité d’autant plus frappante, que le Qatar, un des financiers du Hamas, vient d’accorder généreusement une aide d’un milliard de dollars pour cette reconstruction, et que l’Union Européenne va à nouveau accorder son aide, faute d’avoir la puissance nécessaire pour imposer la paix.

        Une autre absurdité, encore celle des Turcs et des Kurdes ! Les Turcs membres de l’OTAN, spectateurs de l’extermination des Kurdes de Syrie, que la coalition anti Daech tente de sauver !

         Une autre absurdité encore, celle du soutien que la Russie continue à accorder au dictateur de Syrie,  Bachar al Assad !

Etc, etc… !

La grande illusion « occidentale » des Printemps Arabes! Le nouvel orientalisme du XXIème siècle!

Egypte, Libye, Tunisie, Iran, Syrie, Irak … ou la grande illusion « occidentale » des Printemps Arabes !

Le nouvel « orientalisme » du XXIème siècle !

            Avec leurs « lunettes » intellectuelles ou culturelles par trop ethnocentriques, les élites intellectuelles et politiques de l’Occident ont cultivé,  tout au long des siècles passés, une fausse vision de l’Orient.

            A l’époque moderne, Edward Said a tenté de décrire et de dénoncer, en grande partie avec succès, toutes les formes d’orientalisme que nous cultivions en Occident, culturelles, politiques, ou économiques.

           L’explosion des « Printemps arabes » a donné une grande poussée de fièvre de com’ internationale à une partie de notre élite politique et intellectuelle qui les a convaincu, souvent de bonne foi, et plus souvent par manque de culture, que les pays arabes, pour ne pas dire musulmans, connaissaient enfin le réveil démocratique tant attendu.

           L’exemple le plus frappant de cette maladie internationale a été celui de BHL, qui a surfé sur les soi-disant printemps arabes, héros moderne des conquêtes mondiales de la démocratie, voulant à tout prix, en conseiller du jour ou de la nuit des princes qui nous gouvernent, que notre pays se lance dans des guerres de libération démocratique.

         Au dernier festival de Cannes, le héros com’ a eu l’audace de présenter un documentaire à sa gloire, hors compétition, et il n’est pas sûr, qu’il ait réussi, même provisoirement, à faire croire aux gogos qu’un « Serment de Tobrouk » ait existé,  et que la Libye ait pu être ainsi libérée, grâce au couple Sarkozy-BHL

       On voit aujourd’hui le résultat, le chaos en Libye même, ainsi qu’au Sahel dont les factions islamistes ont récupéré les armements de l’ancien dictateur Kadhafi.

      BHL a au moins réussi à entrainer indirectement la France dans une nouvelle guerre au Mali, et au Sahel !

     Autre forme d’un nouvel orientalisme du XXIème siècle, l’aveuglement de nos dirigeants à l’égard du monde musulmandes grands représentants de l’Islam, sunnite ou chiite, qui se gardaient bien, il y a encore peu de temps, de condamner les exactions et les crimes que les djihadistes perpétraient au Moyen Orient, notamment contre les minorités chrétiennes ou contre leurs concurrents ou adversaires dans l’Islam lui-même.

      Quel silence ! Alors que la plupart des Etats du Moyen Orient, où prospèrent encore des formes théocratiques de pouvoir soutiennent ou attisent les multiples conflits qui agitent ces Etats.

     Avec l’invitation permanente qui est faite à l’Occident, d’abord aux Etats Unis, d’intervenir, faute pour ces pays-là d’avoir le courage de le faire officiellement.

     On aimerait aussi entendre de temps en temps, de la part de tel ou tel grand chef religieux de l’Islam, la condamnation des persécutions, des massacres qui jalonnent l’histoire de ces pays.

    Face aux guerres ou à une guerre, la grande faiblesse de l’Islam est constituée par ses profondes divisions, l’absence d’autorités religieuses ayant le courage de s’inscrire dans le message de l’Islam, plutôt que dans ses multiples interprétations historiques, académiques, et aujourd’hui guerrières.

    Certains en arriveraient presque à regretter, qu’à la différence du christianisme, le monde de l’Islam n’ait pas su s’organiser de telle sorte qu’il puisse défendre un message religieux de paix unitaire.

Jean Pierre Renaud

Les « Printemps Arabes »? Entre Islam, Démocratie,Démographie… Quelle leçon pour la France?

Les «  Printemps Arabes » ? Entre Islam, Démocratie, Démographie, Technologie, et Occident : la continuité de l’ethnocentrisme ? 

Quelle leçon pour la France ?

         Le bouillonnement du monde musulman n’est pas récent, mais pendant des dizaines d’années, des régimes dictatoriaux avaient réussi à masquer cette évolution.

         L’explosion des « Printemps Arabes » est le résultat d’un ensemble de facteurs, avec sans doute, et en tout premier lieu, la croissance exponentielle de la démographie (1), et d’une jeunesse qui ne trouve pas d’emploi, donc  une jeunesse en « vacances », qui parallèlement, et naturellement, s’est entichée des nouvelles technologies..

         L’expansion des nouvelles technologies, la télévision, l’internet, le téléphone portable, a  en effet complètement bouleversé les conditions d’information et de relations, et donc de mobilisation potentielle des citoyens de ces pays.

          On l’a vu successivement en Tunisie, en Lybie, et en Egypte,

         Les médias occidentaux, et une partie de leurs élites, se sont extasiés devant ce qu’ils ont interprété comme un mouvement de démocratisation des pays musulmans, et comme la preuve que la démocratie pouvait faire bon ménage avec l’Islam.

         Les événements récents montrent que rien n’est encore véritablement joué sur ce terrain qui nous est familier, mais il faut laisser du temps au temps pour apprécier les résultats de ces nouvelles révolutions musulmanes.

         La leçon française immédiate qu’il serait possible d’en tirer serait celle d’une meilleure connaissance des composantes et des courants de l’Islam, notamment entre le sunnisme et le chiisme, des tensions qui les opposent, pour ne pas citer leurs guerres fratricides actuelles.

         Cette leçon n’est pas du tout anodine, alors que l’Islam est devenu en trente ans la deuxième religion de la France.

Jean Pierre Renaud

(1) Voir mon analyse du livre de Gaston Bouthoul « La surpopulation » (1964) sur le blog du 12 juillet 2011

Au Mali, quelle stratégie?

  La France a engagé son armée au Mali, sans avoir demandé préalablement à ses partenaires européens, d’assumer collectivement cette mission, alors qu’elle est un enjeu important de la sécurité internationale de toute l’Union Européenne.

A lire une presse qui est très volatile sur le sujet,  la France est au Mali pour longtemps, si l’ONU n’accepte pas de mettre à sa place une force de paix internationale.

Au terme des quatre mois de guerre « autorisés » par le Parlement, il va  falloir que la communauté internationale tout autant que le gouvernement français, aient des idées claires sur la longue durée stratégique.

Sur la longue durée, les conditions du succès ne seront pas faciles à remplir :

Une paix difficile à réaliser, sans qu’aux côtés de la coalition africaine en charge de cette mission de guerre et paix, des mouvements de l’islam modéré ne viennent soutenir sa lutte anti-djihadiste, dans une région où traditionnellement l’islam a toujours été fort, pour ne pas dire conquérant, adossé à une histoire riche de grands empires musulmans.

Une paix difficile à réaliser sans l’Algérie, et si l’Algérie, placée au cœur du sujet ne prend pas ses responsabilités en coopérant avec les Etats Africains, parce que la France, compte tenu de son passé colonial n’est pas la mieux placée, à la différence de l’Union Européenne, pour obtenir ce résultat.

Une paix difficile à réaliser, alors qu’il n’y a plus ni Etat, ni armée, sans que l’ONU, avec un mandat de transition, ne mette en place au Mali un pouvoir- relais capable d’administrer et de remettre sur pied un nouvel Etat, et il y faudra plus que quelques mois, et peut-être quelques années !

La présence du capitaine Sanogo, auteur du dernier coup d’Etat, aux côtés d’un chef d’Etat qu’il a chassé du pouvoir, ne laisse augurer rien de bon sur le retour de la paix civile dans cette région.

Le reportage du Monde intitulé « Au Mali, l’encombrant capitaine Sanogo reste au centre du jeu » (15/02/13, page 7) est tout à fait édifiant :

« L’ancien putschiste a  été investi au palais présidentiel de Koulouba par le chef de l’Etat par intérim Dioncounda Traoré au rang de président du « Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité »

Ce qui veut dire le loup dans une bergerie qui, il est vrai, n’en est plus une ! Et en plein pataquès africain ! On le croyait ou sur le « front », ou en prison !

Une paix difficile à réaliser, si les nouvelles autorités du Mali, à condition qu’elles existent à nouveau, ne trouvent pas une solution intelligente et pérenne, pour associer le peuple touareg aux décisions politiques du nouvel état à créer.

Une paix encore plus difficile à réaliser, sur la longue durée encore, si les gouvernements africains n’arrivent pas à modérer la pression démographique de leurs pays, pour ne pas dire à confiner l’explosion démographique, car il est évident que ce facteur est un des éléments d’instabilité du continent, avec un manque de développement en face d’une jeunesse au chômage.

Jean Pierre Renaud

« L’Islam à la Française » « Enquête » John R.Bowen – Lecture critique: 2ème Partie

« L’Islam à la Française »

« Enquête »

John R.Bowen

2ème partie

Réflexions, objections, et questions

            Il s’agit d’un livre savant, difficile à lire, même lorsque l’on a un petit vernis de culture islamique, et le lecteur serait sans doute heureux d’avoir à sa disposition un petit glossaire des mots et concepts de la religion musulmane qui sont utilisés par l’auteur.

            Ma lecture critique repose sur deux postulats :

1 – que ma lecture ait bien résumé l’image représentative que le livre propose de l’Islam à la Française, et donc que j’ai bien interprété le texte.

2 – que l’enquête de M.Bowen soit représentative des réalités musulmanes françaises, et donc, que la façon dont il en rend compte soit la plus objective possible.

Cette enquête est basée avant tout sur les interviews de ceux que l’auteur appelle les « savants », dont la définition est le plus souvent imprécise.

            A la lecture, il est quelquefois possible d’avoir l’impression que le discours Bowen est un plaidoyer en faveur  de tous les chemins possibles d’une « convergence » entre l’Islam et la République Française.

Un face à face entre Islam et République, sur un pied d’égalité ?

            Une des formules utilisées par l’auteur est assez significative à cet égard :

            «  Négocier d’un champ de légitimité à l’autre » (page 289)

            L’auteur analyse la situation de l’Islam en France en le mettant sur un pied d’égalité avec la République Française, une sorte de face à face, alors que pour revenir à la lettre et à l’esprit d’une des « Pensées » de Pascal, le débat se situe entre deux « ordres » différents, le religieux, et le républicain.

                        A la fin de son livre, l’auteur écrit :

            « Ces développements et ces convergences délimitent les contours empiriques d’une réponse affirmative à la question : l’Islam peut-il être français ? D’un côté comme de l’autre, le défi à relever implique d’embrasser plus largement le pluralisme et le pragmatisme, même si cette démarche emprunte des chemins assez différents. » (page 360)

            En notant que « de nouvelles institutions islamiques innovantes » existeraient bien, l’auteur écrit :

            « A l’inverse, le défi pour la France est de trouver comment théoriser, dans le droit, la politique et la vie sociale réelle qui est celle d’un pluralisme des valeurs. » (page 360)

            Il parait tout de même difficile de parer cette démonstration du concept de pluralisme, alors que c’est précisément la loi de 1905 qui organise et sécurise le pluralisme religieux, à la condition sine qua non que chacun des partenaires reste dans son « ordre », et qu’aucune des religions, les anciennes en France, et la nouvelle, ne veuille s’ériger en contre-pouvoir.

            Il s’agirait donc de « théoriser », dans le cas présent, une relation de normes qui ne sont pas celles  de la République ?

            Une analyse non pertinente

            Une autre critique de base porte sur la description des relations entre l’Islam et les institutions de la République, une description qui semble tout à fait inappropriée.

            La laïcité est au cœur du débat, de même que la chronologie de « l’irruption de l’Islam dans l’espace public français ». (page 37)

            L’auteur fait une curieuse lecture de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, à propos des « Associations religieuses, un frein à l’intégration ? » :

            « Tout au long du XIXème siècle, l’Etat a ainsi progressivement permis à certains types d’entités collectives d’agir selon leurs intérêts : en effet, l’Etat avait fini par admettre qu‘il valait mieux déléguer aux guildes la supervision de la production de pain, que d’avoir à affronter le mécontentement populaire devant des miches rongées aux vers, ou qu’il était préférable d’autoriser quelques syndicats de travailleurs plutôt que de subir des grèves sauvages, de sorte qu’à partir de 1901, on accorda aux citoyens un droit général à faire enregistrer des associations, et que la loi de 1905 était principalement destinée à remettre les Eglises entre les mains des citoyens. » (Page 331)

            N’importe que citoyen français doté d’une petite culture historique ne pourra s’empêcher d’interpréter cette lecture de notre histoire, comme réductrice et fausse, comme si la France n’avait pas connu, sous la monarchie, la confusion entre le pouvoir religieux et le pouvoir civil, le roi fils de Dieu, et comme si la loi de 1905, n’était pas venue sanctionner un long combat pour qu’enfin, l’adage évangélique célèbre « Remets à César ce qui est à César, et ce qui est à Dieu à Dieu », soit enfin une réalité dans la République.

            Un parallélisme historique contestable entre les religions existant aujourd’hui en France.

            Le débat dont fait état l’auteur sur les priorités et les valeurs, et sur la place de la laïcité dans les pages 344, 356, et 359, laisse à penser que ce débat est ouvert, et donc que la France peut trouver des « convergences », c’est-à-dire des accommodements avec certaines exigences de l’Islam, certains de ses rituels.

            L’auteur pose la question « La laïcité doit primer ? » (page 344)

            L’auteur  évoque successivement plusieurs dossiers sensibles tels que l’apostasie (quitter l’Islam), le voile, le mariage, la burqa, et met en cause l’attitude des pouvoirs publics à l’égard de signes ou de rituels religieux compatibles, d’après lui, avec le pluralisme français, en prônant une fois de plus les « convergences » possibles.

Il est tout aussi difficile de suivre le raisonnement de l’auteur lorsqu’il met sur le même plan une « église » musulmane qui n’existe pas, en tant qu’institution comparable à celle des autres religions, et les autres, de même qu’il fait l’impasse sur la chronologie française de ces religions.

La religion musulmane est un fait historique récent, et elle a pris de l’importance au cours des vingt dernières années, notamment avec les flux migratoires venus d’Afrique, et nombreux ont été les Français, non issus de cette immigration, qui ont fait la découverte des pratiques de cette religion nouvelle.

Et à cet égard, les chiffres des espaces de prière que l’auteur cite, en apportent la démonstration, alors que leur ouverture, comme indiqué, n’a pas été toujours aisée : 500, en 1985, 1 279 en 1992, 1 600, en 2010. (page 62)

Une fois esquissées les critiques qui nous paraissent les plus centrales, examinons les éléments de la démonstration que propose M.Bowen, en suivant le cours de son discours.

Itinéraires musulmans

L’auteur décrit toute une série d’itinéraires de musulmans « dont les questions portent avant sur la façon de vivre dans une société laïque, comment pratiquer sa foi, travailler ou se marier en l’absence d’institutions islamiques. » (page 20)

 Des questions qui portent donc sur la compatibilité concrète, sociale, civile, juridique d’une religion pratiquée avec les  institutions républicaines, une compatibilité souvent malaisée que tentent de faciliter ceux que l’auteur appelle « les innovateurs religieux musulmans » qui essaient de « façonner le paysage de l’Islam Français ».

« Le défi pour les uns et les autres allait donc être de construire un savoir islamique qui soit à la fois légitime en termes transnationaux et pertinent en France. » (page 52)

Mais avec quelles « Autorités » ?

« Qui donc sont ces gens qui se sont donné le rôle d’autorités religieuses  pour les musulmans de France ? »  (page 52)

Et c’est effectivement une des difficultés du problème, de même que des pratiques religieuses de type collectif et des interdits inconnus jusque-là, qui paraissent avoir la primauté dans ce type de vécu religieux.

Les observations de l’auteur quant à la particularité d’après laquelle l’héritage colonial, avant tout celui de l’Algérie, lequel mériterait à lui seul, d’être explicité, éclairerait la façon dont les pouvoirs publics abordent le sujet, paraissent  d’autant moins pertinentes que dans les pays musulmans les autres religions ne bénéficient pas du « pluralisme » d’expression  que recommande l’auteur pour la France.

Des convergences d’autant plus difficiles à trouver et à définir que la description des « Espaces et lieux de l’Islam  en France » donne une impression de grand désordre religieux, à la fois dans leur organisation et leur animation, l’ensemble de ces lieux de prière gravitant toutefois dans l’orbite mondiale de « l’umma », la communauté musulmane du monde, plus que dans celle des différents pays concernés par la nouvelle religion.

En ce qui concerne les mosquées, le titre même du chapitre 3 « Des mosquées tournées vers le monde extérieur » soulève des interrogations, le caractère récent de l’enracinement de l’Islam en France expliquant évidemment la prédominance de cette relation étrangère, avec une majorité de « leaders islamiques » jeunes, qui ne sont pas nés en France. (page 88)

L’auteur note : « Par nature, l’enseignement et le culte islamiques en France continuent donc de fonctionner à une échelle mondiale. » (page 92)

Par nature ? S’agit-il d’un des principes fondateurs de l’Islam à la Française ?

Une impression de désordre aussi, dans l’analyse de l’effort, tout à fait méritoire que relate le chapitre « Donner forme à un savoir adapté à la France ».

A lire les pages d’enquête du sujet, le lecteur en retire l’impression que tout est possible, selon les interprétations qui sont données du Coran, de ses versets, des hadiths, – les paroles et actes du Prophète- , des grandes traditions sunnite ou chiite, des avis des imams, et aujourd’hui de l’Islam des sites internet, à la condition toutefois qu’une partie des « savants » trouve un chemin de convergence entre prescription religieuse et conduite de la vie quotidienne.

Car le quotidien est un problème en soi, la prière, les ablutions, la nourriture, et tout ce qui touche au statut des personnes, compatible ou non avec nos lois républicaines.

Dans la troisième partie, l’auteur traite longuement de ces sujets de « friction ».

Les « innovateurs » recherchent les voies d’une convergence entre deux ordres de normes qui ne sont pas toujours compatibles, en s’inspirant des « finalités » de l’Islam, mais à lire les pages qui leur sont consacrées, leur tâche ne parait ni facile, ni concluante.

L’auteur ne masque d’ailleurs pas les difficultés rencontrées pour avancer des solutions.

« Les jeunes générations, ceux qui sont nés ici, ils ne connaissent pas leur propre langue, ni leur propre culture, et ils ne pourraient en aucun cas retourner vivre dans leur pays d’origine. » (page 131)

Et plus loin :

« Ici se révèle une ligne de fracture majeure, entre, d’un côté, la poursuite d’une voie islamique sur le sol français, et de l’autre la volonté de devenir partie intégrante de la France. ! » (page 141)

Les écoles ? Mêmes interrogations ! Et autre challenge !

Le titre de ce chapitre 5 est tout à fait curieux : « Comment les écoles se démarquent les unes des autres » et la lecture des premières lignes donne un cours étrange à cette enquête.

L’auteur évoque à ce sujet, de la part de leurs créateurs ou animateurs, « un créneau à occuper », « une niche particulière sur la marché de l’éducation musulmane par le biais d’une interprétation spécifique de la connaissance islamique ». (page 163).

Heureusement, le corps du sujet ne se résume pas à cela, mais on voit bien qu’il n’est pas facile dans notre pays de vouloir ériger un réseau d’écoles musulmanes, en respectant à la fois les normes de l’école républicaine et celles des finalités premières de l’Islam :

« Les six « finalités » (magasid)  qui sous-tendent et éclairent les interdictions, la préservation de la religion, de l’âme, de la raison, de la procréation, des biens et de l’honneur, c’est-à-dire les cinq principes proposés par al-Shatibi, plus l’honneur, un ajout d’al-Qaradawi.. » (page 173)

A lire cette analyse, le développement récent, il est nécessaire de le souligner, d’un réseau d’écoles musulmanes, rencontre de grandes difficultés, pour plusieurs raisons, dont celle de pas avoir encore réussi à résoudre certaines contradictions dans l’enseignement lui-même.

L’auteur note en effet : « Des écoles musulmanes, des instituts, des centres de formation, et même des camps d’été, tentent de résoudre la quadrature du cercle en conciliant l’intégration sociale et l’intégrité religieuse. » (page 198)

Et le même auteur de poser dans le chapitre 6 la question clé : « Une école islamique peut-elle être républicaine ? » 

La réponse de M. Bowen est affirmative, au moins dans l’exemple qu’il cite.

Son analyse du cas de l’Ecole de la Réussite à Aubervilliers montre qu’une école musulmane peut, à l’exemple d’une école catholique, entrer dans le cadre républicain en mettant en œuvre le programme national de l’enseignement, mais avec toutes les difficultés qu’il y a à enseigner un programme laïc dans une école islamique, notamment quand il s’agit de traiter de l’homosexualité, de l’égalité des sexes, de la théorie de l’évolution, des rituels quotidiens, etc….

Et l’auteur de conclure son chapitre avec une conclusion tout à fait révélatrice de toutes ces difficultés et ambigüités, avec l’observation « en le contestant » que j’ai soulignée:

«  Jusqu’à présent, nous nous sommes attachés à explorer les divers moyens employés par les acteurs publics musulmans pour créer des institutions islamiques qui utilisent (tout en le contestant) l’environnement culturel et politique français, et les chemins parcourus par les enseignants pour façonner le raisonnement islamique en fonction de ces conditions. » (page 244)

Dans la troisième partie « Débats et Controverses », l’auteur revient sur un certain nombre de sujets qui font débat au sein de la société française, musulmane ou non, avant tout des sujets de statut personnel compatible ou non avec la loi française.

Il pose la question : « Un Islam d’Europe est-il nécessaire ? » et l’intitulé même de cette question pose une autre question : un christianisme d’Afrique ou d’Asie est-il nécessaire ?

On voit immédiatement la difficulté du sujet, entre le transnational musulman, souvent venu d’ailleurs, c’est-à-dire celui de l’«umma », une communauté musulmane mondiale polarisée sur l’Arabie Saoudite, l’Iran ou le Qatar, avec son ambition d’universalité, et le national.

L’auteur examine les difficultés d’adaptation de la norme musulmane à la norme française quand il s’agit de la « Riba », – de l’emprunt d’argent – , et d’une façon générale, du « fiqh », de la ou des jurisprudences musulmanes, car leurs sources sont nombreuses.

L’auteur évoque le « mainstream » de l’Islam français, mais à le lire, il n’apparait pas clairement, même pas du tout.

Alors la façon d’exprimer les termes du débat par le titre « Négocier d’un champ de légitimité à l’autre », est de nature à surprendre même le Français le mieux intentionné.

En 2012, la République va négocier avec l’Islam dans son propre champ de légitimité ? En trouvant des « accommodements raisonnables » ? (page 356)

 En ce qui concerne le mariage, le divorce, la nourriture halal, en considérant qu’il existe une « Convergence I de l’Islam à la laïcité », les musulmans trouvant des accommodements avec les normes républicaines ?

En considérant qu’il existe une « Convergence II du droit civil aux pratiques de l’islam », c’est-à-dire en opérant un retour en arrière de la loi et de la jurisprudence française  dans le domaine de la polygamie, en arguant d’arguments de jurisprudence civile tels qu’ « un effet atténué d’ordre public » ou d’ « ordre public de proximité », en proposant une analyse du concept d’ordre public français bien réductrice.

Un plaidoyer donc pour le retour d’un certain pragmatisme dans ce domaine, et en excipant tout à fait curieusement des exemples venus d’en haut de la République française qui rapetissent très sensiblement le champ de son analyse intellectuelle.

L’auteur écrit en effet, au titre des arguments favorables, et à propos de ces efforts d’atténuation de la loi française :

« Enfin, ce genre de distinctions permet aux autorités françaises de paraître moins hypocrites sur le plan moral, dans une période où un nombre croissant de couples français ne se marient pas, et où un certain nombre des Français, en particulier les présidents successifs du pays, pratiquent une polygamie de facto. » (page 323)

Conclusion générale

 Il est difficile de proposer une conclusion générale au sujet traité, un sujet d’une grande complexité théorique et pratique, alors que la France a longtemps ignoré, dans sa vie nationale, concrète, et quotidienne,  l’existence même de l’Islam, sauf pour une minorité de Français, et pour les autres, une teinture scolaire qui mériterait d’être identifiée.

A lire l’auteur, et compte tenu de toutes les limitations que la nature même de cette enquête suppose, il existerait de nombreuses raisons d’être optimiste, quant à la capacité des musulmans de France d’entrer dans le cadre des normes républicaines,

–       en faisant confiance aux « innovateurs » d’un Islam moderne,  encore bien peu nombreux, semble-t-il, et contestés, au sein même de leur communauté religieuse.

–       en recherchant des « convergences » de finalités entre les deux registres de normes islamiques et françaises, mais nous avons relevé à ce sujet que le postulat d’un débat à égalité entre normes soulevait dès le départ un vrai problème.

A la lecture de cette enquête, supposée représentative de l’Islam à la Française,  il existerait d’autres nombreuses raisons de ne pas partager cet optimisme.

La confusion et le flottement qui entourent l’interprétation des normes musulmanes, la multiplicité des sources religieuses, souvent antagonistes entre elles.

La prédominance d’une religion concrète très rituelle, de type collectif, qui a besoin de s’exprimer, de s’extérioriser dans le domaine social, avec quelquefois un esprit conquérant, prosélyte, en ce qui concerne le voile, la nourriture, ou  le jeûne du Ramadan.

Les observateurs de la vie islamique à la française savent qu’une pression de plus en plus importante et constante s’exerce sur tous les membres de la communauté musulmane pour que le Ramadan soit respecté, ou pour que les femmes portent un voile, une pression qui n’existait pas il y a quinze ou vingt ans.

D’autres observateurs font le constat que les musulmans éprouvent une très grande difficulté à séparer le civil du religieux, comme ce fut longtemps le cas en France, quand l’église catholique exerçait son magistère sur la vie nationale.

Pessimiste, donc si l’Islam de France ne réussit pas à faire sa révolution copernicienne, c’est-à-dire à ne plus dépendre des vrais centres de décision de cette religion qui sont situés à l’étranger, ou au minimum à accepter les dispositions de la loi de 1905, sur la séparation des Eglises et de l’Etat.

Sauf à penser que l’Islam de France puisse engager sa révolution religieuse, il est à prévoir que les convergences à trouver ne soient pas aisées à trouver et à mettre en œuvre, une révolution copernicienne, très difficile à réaliser, compte tenu du mur qui sépare encore le dar el salam du dar el harb.

Pourquoi cacher que pour tout un ensemble de raisons de politique intérieure ou extérieure, les relations entre la communauté islamique et les autres communautés continueront à être délicates, ne serait-ce qu’en raison de la difficulté que l’Islam de France rencontrera pour ne pas être identifié avec un Islam extrémiste, fanatique, prêt à porter la guerre en Occident.

Toute la question est de savoir :

– si le jugement que Pascal portait, au XVème siècle,  sur cette grande religion a encore une actualité ou non. (Pensées de Pascal Article IX – La perpétuité –  articles 595 et suivants)

– ou encore, si l’Islam à la Française est  « mektoub », ce qui est écrit dans le Coran.

Jean Pierre Renaud

« L’Islam à la Française » « Enquête » John R.Bowen – Lecture critique: première partie

« L’Islam à la Française »

« Enquête »

John R. Bowen

(Steinkiss)

Lecture critique

Première Partie

Lecture résumée

La deuxième partie sera publiée dans la semaine du 5 novembre 2012

            La matière est difficile et le livre traite une grande quantité de sujets qu’il est souvent malaisé de résumer, mais l’enjeu en vaut la chandelle, car la lecture de cette enquête permet de mieux comprendre la situation et le « fonctionnement » de l’Islam dans notre pays.

            Une lecture que ne facilite pas l’analyse très factuelle de son auteur, à l’anglo-saxonne de la méthode des cas, dans un domaine religieux et civil,  très foisonnant, trop foisonnant.

L’ouvrage comporte trois parties :

1ère partie – Itinéraires musulmans (pages 11 à 75)

2ème partie –  Espaces et lieux de l’Islam en France (pages 75 à 247)

3ème partie – Débats et controverses (pages 247 à 367)

Comme nous le verrons, les titres des chapitres en disent peut-être plus long sur le choix des sujets traités que sur les sujets eux-mêmes.

1ère partie – Itinéraires musulmans

 Chapitre 1 – « L’Islam et la République »

L’auteur a procédé à une enquête auprès de ceux qu’il dénomme les « savants », les « érudits » musulmans présents en France pour bien délimiter ses sujets et ses réflexions. Il a procédé à un inventaire des formes d’idées et d’institutions qui y sont présentes.

Une des conclusions de ce premier chapitre mérite d’être citée :

« Au fil de ces chapitres, j’aurai donc tracé des pistes réelles et potentielles pour une convergence de la réflexion normative des deux côtés à la fois, à partir des normes sociales et juridiques de la France et à partir de celles de l’Islam. Mais cette convergence dépendra de l’acceptation de part et d’autre d’une certaine dose de pragmatisme social.

L’Islam aura davantage de chances d’«être français », c’est-à-dire d’être devenu une composante pleinement acceptée du paysage socio – religieux français, lorsque les musulmans comme les non-musulmans auront développé des raisons convaincantes d’accepter des formes pragmatiques de justification, qui admettent que la protection sociale de tous constitue une bonne raison de soutenir une politique, et qui reconnaissent dans le pluralisme de valeurs un phénomène témoignant d’une juste compréhension de la laïcité française. » (page32)

Dans le chapitre 2, intitulé « Façonner le paysage de l’islam français », l’auteur propose son interprétation de l’attitude des pouvoirs publics à l’égard de l’Islam, sur le voile et l’école qui aurait encore quelque chose à voir avec « la conception coloniale de l’islam » :

« Au milieu des années 1970… il était naturel pour eux de plaquer sur la vie postcoloniale en France la conception coloniale de l’Islam comme instrument de contrôle social. » (page 61)

L’auteur note que le nombre de lieux de culte musulman est passé de 100 en 1970, à 500 en 1985, «  à 1279 en 1992 et finalement 1 600, ce qui revient à un triplement d’espaces de prière en dix- huit ans » (page 63)

2ème partie – Espaces et lieux de l’Islam en France

Chapitre 3 : « Des mosquées tournées vers le monde extérieur »

L’auteur brosse le portrait des mosquées française en notant :

« Bien que toutes ces activités (certification halal, vente de livres, prières, conférences, enseignements) soient indépendantes les unes des autres, un esprit commun les réunit, celui que porte une jeune génération de leaders islamiques. La plupart d’entre eux ne sont pas nés en France, mais ils bénéficient d’un bon niveau d’éducation en français, et s’attachent à mener leur vie islamique à travers toute une gamme d’activités d’entrepreneurs. » (page 89)

L’ensemble de ce chapitre montre que l’enseignement est d’abord tourné vers l’extérieur, le monde islamique, et que beaucoup d’imams viennent de l’étranger.

En matière de sermons, une étude réalisée au cours de la période 1999-2001, montra que « dans vingt- trois mosquées de toute la France. Presque tous étaient délivrés en arabe, parfois avec une traduction française, et une nette majorité des prédicateurs étaient originaires du Maroc… Rares étaient ceux nés en France. » (page 92)

Chapitre 4 : « Donner forme à un savoir adapté à la France »

A la lecture de ce chapitre, apparait une réalité musulmane très contrastée, fluide, en mouvement, difficile à appréhender et à comprendre, avec une interprétation de règles superposées, le Coran et ses versets, les hadiths de Mahomet, et toutes les interprétations convergentes ou divergentes des « savants » qui disent la « loi »,  c’est-à-dire et concrètement d’imams plus ou moins « savants ».

L’auteur cite les propos de quelques- uns des « sachant », dont Hichem El Arafa, responsable d’un important et influent centre d’études musulmanes, le CERSI (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Islam) situé à Saint Denis.

« Que propose Hichem comme alternative au salafisme ou aux Tablighis ?

Il plonge dans les profondeurs historiques des traditions de l’épistémologie islamique, de façon à mettre en relief les complexités du savoir, et s’appuie, par ailleurs, sur un ensemble d’objectifs ou de principes généraux du Coran pour élargir ce savoir à de nouveaux domaines. Son enseignement tend à mettre en avant la première de ces deux dimensions de travail, qui repose sur la science des hadiths, les « recueils » de ce que le Prophète a dit, fait, ou s’est abstenu de dire ou de faire. Il peut concentrer l’attention sur la science des hadiths pour souligner la nature complexe du savoir islamique, et pour affirmer que les érudits doivent soupeser ou arbitrer différentes alternatives et émettre des jugements. Il enseigne également que les hadiths que l’on peut considérer comme fiables convergent avec le sens commun, même dans la France d’aujourd‘hui, et qu’ensemble ils forment un système logique et cohérent. Nul besoin donc pour les musulmans d’abandonner leurs traditions d’érudition au profit d’une approche simplifiée de leur religion, sous la forme d’un simple « règlement ».

Mais pour Hichem, il n’y a guère plus de sens à enseigner du point de vue de l’une ou l’autre des écoles juridiques établies, dans la mesure où celles-ci se sont développées dans des sociétés fort différentes de la France d’aujourd’hui…

Le « méta- message » qui transparaissait au fil des cours d’Hichem était que le savoir islamique repose sur la science de l’étude des paroles du Prophète, et que cette science produisait des résultats complexes, qui ne se laissent pas aisément réduire à un jeu de règles. Les étudiants se montrent souvent insatisfaits d’un tel message, beaucoup  voudraient précisément trouver ces règles. » (page 142)

Chapitre 5 : «  Comment les écoles se démarquent les unes des autres »

L’auteur décrit la diversité des pédagogies utilisées par les écoles islamiques existant en France, et tout à fait curieusement introduit son propos en écrivant :

« De cette façon, nous pouvons interpréter la façon dont chacun d’eux présente son approche comme une tentative d’affirmer sa différence (et donc  de revendiquer une « niche » particulière sur le marché de l’éducation musulmane) par le biais d’une interprétation spécifique de la connaissance islamique. » (page163)

« Nous pouvons, provisoirement, distinguer trois dimensions principales en fonction desquelles s’articulent les différences d’un institut à l’autre ;
 La première dimension est celle de la professionnalisation…

La seconde est celle de langue (arabe ou non)…

Enfin, troisième et dernière dimension, les instituts mettent l’accent, dans l’apprentissage de la tradition islamique, sur différentes combinaisons de sources : certaines prennent comme point de départ l’une des quatre grandes traditions juridiques sunnites, tandis que d’autres préfèrent éviter cette médiation des écoles juridiques et travailler directement sur l’interprétation du Coran et des hadiths. » (page164)

Il n’est pas toujours facile de suivre l’analyse de l’auteur  dans ce chapitre qui compte près de quarante pages, mais on en retire deux impressions, celle d’une infinie diversité des interprétations du Coran, et parallèlement l’importance qu’ont les règles religieuses, les normes, les interdits, et l’application stricte des règles dans la vie musulmane (mariage, filiation, divorce, voile,…) et d’un rituel religieux quotidien exigeant (ablutions, cinq prières,…)

Chapitre 6 :  « Une école islamique peut –elle être républicaine ? »

Un titre incontestablement provocateur, d’autant plus qu’il s’agit d’une question ?

L’auteur écrit :

« A présent nous nous rapprochons encore du système éducatif prédominant en France, et nous posons d’emblée une question abrupte : la formule d’ « école islamique républicaine » n’est-elle pas un oxymore ? Mais dans ce cas l’on pourrait aussi s’interroger plus avant : les écoles confessionnelles ne sont-elles pas toutes en contradiction avec la mission républicaine de la France,

La pensée républicaine française fait de l’école publique l’instrument privilégié pour faire de chacun un citoyen. Dans cette perspective, tous les enfants devraient suivre les cours de l’école publique. » (page207)

L’auteur fait un très rapide résumé historique de l’enseignement en France, de la situation de l’enseignement privé, en notant qu’un cinquième des élèves du secondaire fréquente l’enseignement catholique.

« Il n’existe en revanche qu’une poignée d’écoles privées musulmanes « de jour » comme je les nommerai parfois ici pour les distinguer de celles qui se spécialisent dans les cours du soir. La toute première à avoir été créée en France métropolitaine est l’Ecole de la Réussite, à Aubervilliers. » (page 208)

Et l’auteur de poser la question :

« Comment enseigner un programme laïc dans une école islamique ? »

« … Aussi longtemps qu’ils suivent  les directives des programmes nationaux, les enseignants sont libres de concevoir leurs propres plans et de gérer leur enseignement. Les professeurs couvrent donc les mêmes disciplines  et les mêmes sujets que leurs collègues du public. Seule différence, une heure d’éducation religieuse et quatre heures d’arabe sont proposées  dans des tranches horaires optionnelles le mercredi et le samedi, suivant un modèle adopté par de nombreuses écoles privées catholiques. » (page 221)

La suite de l’analyse montre qu’il n’est pas toujours facile de concilier normes islamiques et normes républicaines, sans introduire le concept de l’évolution de l’Islam, et de son adaptation aux finalités de cette religion, et c’est peut-être là tout le problème.

3ème partie : « Débats et controverses »

Chapitre 7 : « Un « Islam d’Europe » est-il nécessaire ? »

« Prenons, un bref moment, un peu de recul, le temps de considérer quels chemins notre enquête a jusqu’ici empruntés. Nous nous sommes d’abord penchés sur les forces qui ont contribué à modeler le paysage actuel de l’Islam en France, les parcours de vie des musulmans, de leur arrivée dans le pays à leur implantation à long terme, leur identification de plus en plus marquée avec l’islam, et les réactions de l’Etat qui s’est attaché à mettre en application la vieille tradition visant à maintenir, moyennant un certain soutien officiel, le contrôle d’ l’Etat français sur les institutions religieuses. Cette perspective nous a permis de comprendre le développement des institutions islamiques (mosquées, écoles, instituts) comme une réponse, inscrite dans le champ des possibilités offertes par la France, à une demande constante de la plupart des jeunes français musulmans, garçons ou filles.

Nous nous sommes ensuite engagés dans l’analyse plus détaillée d’un ensemble de projets institutionnels musulmans portés par les courants dominants et modérés, le « mainstream » de l’Islam français, et qui ont été mis en œuvre en suivant  à la lettre les règles du jeu français, même si des contradictions avec ce « jeu », en particulier autour des questions éducatives, demeurent source de tracasseries pour certaines de ces initiatives. Il y a encore des maires pour s’opposer à la construction de mosquées, et certaines écoles religieuses continuent de se heurter à un mur au sein de la bureaucratie. Tous ces projets révèlent des acteurs publics islamiques en quête de solutions pragmatiques face à un double défi : comment survivre dans la paysage public français, et comment enseigner l’Islam (ou enseigner dans une atmosphère islamique) d’une façon qui puisse séduire une nouvelle génération de musulmans français. …

Nous avons ainsi découvert qu’une même idée se retrouvait à travers tout l’éventail, si varié qu’il fut, des réponses apportées aux problèmes quotidiens, ainsi qu’à travers les diverses manières d’enseigner l’Islam : celle des finalités, ou intentions (maqasid) de la charia, comprises comme sous-jacentes aux règles spécifiques énoncées dans les Ecritures.

Cette idée peut permettre, éventuellement, de légitimer certaines tentatives de dépasser ces règles pour explorer de nouvelles possibilités de vie dans l’Islam…

Dans le présent chapitre, nous nous pencherons sur une gamme plus large encore, et plus différenciée, de formulations et de justifications de la part des érudits et des enseignants, et nous verrons comment se développent entre eux des controverses quant à la valeur relative de ces différentes formulations. Les questions posées par les musulmans dans les débats publics soulèvent inévitablement le problème de savoir si des normes islamiques distinctes doivent s’appliquer en France (et par extension en Europe). » (page 251)

L’analyse de l’auteur nous conduit au cœur du sujet, quant à l’interprétation du Coran, des hadiths, des traditions, des jurisprudences islamiques, et il y en beaucoup, et de la compatibilité de ces normes sacrées ou non, avec le vécu concret des musulmans, le rituel des prières, le halal alimentaire ou privé, le mariage et la répudiation, la filiation, les emprunts, etc…

Comment accorder ses actes de vie privée, sociale et économique, dans le contexte républicain laïc, en demeurant musulman, c’est-à-dire fidèle aux enseignements de l’Islam ?

Est-il légitime de trouver « une fondation coranique à l’idée de de devoir agir en fonction des nécessités » ? (page 257)

Chapitre 8 : « Négocier d’un champ de légitimité à l’autre »

Autre titre, un brin provocateur, pour un lecteur nourri au lait de la République et de la laïcité !

L’auteur relève que la plupart des musulmans de France régissent leur vie sociale par les normes françaises, et de poser donc la question :

« Comment peuvent-ils combiner ces jeux de normes concurrents, comment trouver des compromis, comment négocier ? » (page289)

Et afin d’éclairer son propos, l’auteur s’attarde sur le cas du mariage et du divorce, en analysant les différents aspects de ces actes à la fois de vie privée et publique, et en montrant à la fois les limites et les champs possibles de  cohabitation des deux de normes :

Quelles sont les modalités et obligations d’un mariage halal ?

Comment rompre un mariage halal ?

L’auteur note à ce sujet que « la plus grande confusion » règne dans les réponses, notamment avec la multiplication des sites internet.

Convergence I : de l’Islam à la laïcité »

Et plus loin : « Quels objectifs pour les règles de la nourriture halal ? »

Convergence II : du droit civil français aux pratiques de l’Islam »

Dans ce passage, l’auteur analyse le dossier toujours très controversé de la polygamie, d’abord tolérée, puis interdite, et d’après lui souvent réglé de façon pragmatique, les juges s’appuyant sur deux concepts, « l’effet atténué d’ordre public » ou sur un concept d’« ordre public de proximité ».

Et pour illustrer son propos, l’auteur écrit :

« Enfin, ce genre de distinctions permet aux autorités françaises de paraître moins hypocrites sur le plan moral, dans une période de l’histoire où un nombre croissant de couples français ne se marient pas, et où un certain nombre de Français, en particulier les présidents successifs du pays pratiquent une polygamie de facto. » (page 323)

Chapitre 9 : « Sphères d’Islam au cœur de l’espace républicain » 

« Partis d’un vaste panorama historique du paysage de l’Islam en France, nous nous sommes peu à peu rapprochés pour regarder de plus près les mosquées, les instituts et les écoles qui parsèment ce paysage, avant de nous placer au plus près pour observer les formes de réflexion et de débat qui prennent place chez les musulmans au sein des espaces islamiques…

Nous avons vu, ainsi, comment les musulmans invoquaient des formes socialement pragmatiques de raisonnement islamique pour faire face à des problèmes concrets, et comment ces modes de pensée pouvaient également jeter des ponts depuis l’univers islamique vers les normes juridiques françaises. Nous avons aussi pu esquisser les voies éventuelles d’une convergence dans l’autre direction, partant cette fois du droit français pour tendre la main aux institutions islamiques du mariage et du divorce. Ces deux registres, ces deux répertoires de normes, se ressemblent bien plus qu’on ne le penserait de prime abord, tous d’eux s’appuient en effet sur des notions comparables d’objectifs sociaux et d’équivalences juridiques….

Ceci nous invite donc fortement à nous tourner à présent vers la force sociale et morale des objections françaises au genre d’idées et d’institutions islamiques que nous nous sommes attachés à observer.

Ceux en France qui s’inquiètent de l’intégration des musulmans au sein de la République font d’ordinaire mention de deux problèmes-clefs : en premier lieu, le fait que certains  musulmans sont restés nettement « communautaristes » et tendent à se regrouper autour d’associations fondées sur l’Islam, mosquées, écoles ou associations communautaires de quartier, ce qui les empêche d’entrer pleinement dans l’’espace public républicain ; et en second lieu, le fait que certains musulmans ne sont pas parvenus à faire leurs les exigences de la laïcité, parce qu’ils substituent des normes et des valeurs religieuses (ou bien des valeurs culturelles dérivées de la religion)) aux normes et valeurs laïques, ce qui les empêche d’adopter pleinement les normes d’égalité homme-femme et de liberté religieuse. » (page330)

L’auteur pose alors la question : «  Les associations religieuses, un frein à l’intégration ? »

Il tend à démontrer le contraire  en faisant une lecture de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, sur laquelle nous reviendrons dans notre analyse critique : « … et que la loi de 1905 était principalement destinée à remettre les Eglises entre les mains des citoyens. » (page 331)

M.Bowen compare la situation des écoles privées musulmanes à celle des écoles privées catholiques, et cite l’exemple de l’Ecole de la Réussite d’Aubervilliers ;

« Il y a pourtant plus d’une raison de soutenir que, sur le plan psychologique, un enfant musulman pourrait retirer davantage encore de profit d’une scolarité dans une école musulmane, qu’un enfant catholique scolarisé dans l’enseignement privé confessionnel, étant donné les nombreuses occasions, dans sa vie quotidienne, où il risque d’être critiqué pour sa foi. La plus grande part du caractère « islamique » de l’école ne vient pas des programmes, mais du fait  que se comporter en musulman(e), porter le voile, faire sa prière à l’heure prescrite ; jeûner durant le Ramadan, est normal dans cet espace. Dans une école publique, même la rupture du jeûne est regardée comme une contravention aux normes de la laïcité. » (page 336)

Les observations de M.Bowen le conduisent à penser qu’il existe beaucoup plus de convergences entre les deux registres de normes qu’on ne le pense.

L’auteur évoque alors :

« Une sphère islamique nationale au Bourget », c’est-à-dire le salon annuel de l’UOIF du Bourget :

«  Les références normatives que l’on trouve ici sont islamiques, et non françaises, ou européennes, mais les formes d’investissement personnel qui y sont encouragées, construction d’écoles et de lieux de prière, souci des personnes dans le besoin au-delà des frontières, ne semblent guère différentes de ce qui forme la base même de la vision française d’un citoyen actif. » (page 343)

Et l’auteur de relever plus loin que cette situation n’est guère différente de celle qu’ont connue ou que connaissent les catholiques et les juifs.

Et les dernières pages de ce livre abordent un certain nombre de sujets sensibles, ou très sensibles, qui font polémique au sein de la République Française et pour lesquels M.Bowen pose la question :

« La laïcité doit primer ? »  à propos de l’apostasie.

« Défauts d’assimilation » à propos du voile à l’école, du mariage halal, avant le mariage civil en mairie, de la virginité avant mariage, et du port de la burqa.

L’auteur tient un discours qui tend à légitimer ces pratiques liées au culte musulman, et il écrit :

« … ces affaires s’inscrivent dans des cadres de pensée préexistants, selon lesquels la religion en général s’oppose aux droits des femmes, et les musulmans ne peuvent devenir des Français à part entière. » (page 356)

Et plus loin :

« Nous sommes, me semble-t-il, témoins d’un véritable « serrage de vis » sur le plan des valeurs, et d’un rejet plus fort du pluralisme, tout cela au nom de l’intégration à la nation.

Mais c’est précisément le pluralisme dans la vie associative, et au sein de la famille, qui a permis à la France d’ « intégrer » les catholiques, les protestants et les juifs dans la République en leur laissant la possibilité de conserver un héritage et un  système de croyances religieuses (dont certaines ne reflètent clairement pas l’égalité homme- femme) dans la vie sociale,… «  (page 357)

M.Bowen conclut :

« Ces développements et ces convergences délimitent les contours empiriques d’une réponse affirmative à la question : l’Islam peut-il être français ? D’un côté comme de l’autre, le défi à relever implique d’embrasser plus largement le pluralisme et le pragmatisme, même si cette démarche emprunte des chemins assez différents » (page360)

Un résumé sans doute imparfait, et presque nécessairement imparfait, mais dont le contenu soulève maintes questions qui gravitent évidemment autour de la question clé : l’Islam de France est-il compatible avec les valeurs de la République Française, et notamment celle fondée, au prix de beaucoup de difficultés, par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat ?

Nous proposerons, dans une deuxième partie, nos réflexions critiques sur le discours analytique de M.Bowen.

Jean Pierre Renaud

L’Islam dans la presse, Islam à l’étranger et Islam en France, même attention, même traitement?

L’Islam dans la presse, Islam à l’étranger et Islam en France, même attention et même traitement ? :

Une série de douze articles du journal Le Monde (juillet, août 2012)

 « Autour de l’Iran, le nouveau grand jeu »

            Le Monde a proposé à ses lecteurs une série de reportages sur les problèmes qui agitent les nombreux pays qui entourent l’Iran, du sud au nord, et de l’est à l’ouest, des reportages très fouillés et de grand intérêt.

            Un bon éclairage sur les multiples rivalités politiques ou religieuses qui agitent en permanence la plupart des pays qui entourent l’Iran.

            Ces articles font référence au « grand jeu » d’espionnage et d’influence que la puissance impériale anglaise a longtemps mené aux confins de l’Inde, c’est-à-dire en Afghanistan, avec la rivalité anglo-russe.

Dans le livre Kim, le grand auteur Kipling a confié à son héros, Kim, un rôle dans ce « grand jeu ».

Les acteurs ont un peu changé, les Américains ont remplacé les Anglais, les Russes se sont éloignés, de nouveaux pays sont entrés dans le jeu, les pays du Golfe, le Pakistan, l’Iran, et tout dernièrement la Chine.

Notre propos n’est pas de revenir sur les sujets fort bien traités par ce journal, mais de constater qu’étrangement, ce type d’analyse montre clairement les enjeux religieux de la lutte officielle ou cachée qui oppose les grands courants de l’Islam, les chiites et les sunnites, avec leurs multiples composantes plus orthodoxes que libérales.

Pour être un lecteur assidu d’un journal dont je n’approuve pas toujours les contenus, je ne sache pas que ce même journal ait, jusqu’à présent, livré beaucoup d’informations sur ce type de lutte religieuse qui ne peut manquer d’agiter l’Islam de France, où l’on compterait de nos jours plus de trois millions de musulmans.

Chez nous, tout baignerait donc dans l’huile (du Golfe) ?

Jean Pierre Renaud