« La condition noire »
Le livre de M.Pap Ndiaye
&
Lecture critique
Visible ou invisible ?
La faute des autres ?
Les lecteurs de ce blog ont pu prendre connaissance de mon analyse critique des propos de M.Ndiaye, historien, à l’occasion de sa longue interview, par M.Joignot dans le Monde Magazine du 5 février 2011 (voir blog du 6 mars 2011) )
Afin de mieux interpréter le discours de l’historien, je me suis donc imposé la lecture de son livre intitulé « La condition noire », dont le contenu est au demeurant intéressant, et utile au citoyen qui a l’ambition de mieux comprendre l’état d’esprit des membres des minorités « visibles » ou « invisibles ». Cette distinction pose déjà problème : comment résoudre cette contradiction, ou ce « paradoxe minoritaire » selon l’expression utilisée par l’auteur, c’est-à-dire une proposition à la fois vraie et fausse, ou contraire à l’opinion commune ?
On voudrait en effet qu’elles aient une visibilité politique, en même temps qu’une invisibilité sociale, non discriminée, telle que d’ailleurs décrite dans ce livre.
L’ouvrage s’attache à traiter successivement les thèmes ci-après : le fait d’être noir, les gens de couleur, l’histoire de ces minorités, les tirailleurs et les sauvageons, penser les discriminations raciales.
Tout est intéressant dans ce livre, étant donné qu’il nous livre une analyse, un regard, un témoignage sur « la condition » qui serait celle des noirs en France, et il pose donc des questions, car il est tout autant un plaidoyer.
A noter en ce qui me concerne, une hésitation certaine à utiliser des références américaines, comme le fait l’auteur, alors que la ségrégation y existait encore récemment, et que les flux migratoires massifs venus d’Afrique sont également récents !
Pourquoi vouloir ignorer que dans nos provinces la plupart des citoyens n’avaient, il y a environ trente ans, quasiment aucun contact avec des Noirs ?
Une première interrogation relative aux chiffres cités : l’historien rencontre un obstacle inévitable, celui de la statistique des minorités visibles, étant donné l’interdiction qui est faite, en France, de procéder à des recensements qui tiendraient compte de critères d’origine ethnique.
Il cite un sondage TNS- Sofres/Cran effectué en 2007 (et non une statistique) qui évaluerait ce type de population à 3,86 % de la population française, soit de l’ordre du 1,87 million d’habitants (page 58), une évaluation intéressante, car elle situe d’entrée de jeu les limites des enjeux proposés à la fois par la question des discriminations et par celle de la représentation politique des minorités visibles.
L’historien donne un certain nombre de chiffres intéressants, mais qui ne dépassent pas, sauf erreur, l’année 1981, alors que chacun sait que les flux de migration ont surtout marqué les années 1990-2009.
Ce livre évoque d’ailleurs longuement le thème des « grandes migrations », mais sans chiffres, alors que, sur ce terrain, il existe une assez grande abondance de statistiques des flux migratoires.
C’est bien dommage, étant donné que la bonne compréhension des problèmes d’immigration, d’intégration, d’acculturation à la française, largement traités dans cet ouvrage, sont nés généralement à la suite de ces grandes migrations, trop concentrées sur le plan géographique.
Donnons acte toutefois à l’auteur du constat qu’il fait quant à la nécessité d’obtenir des statistiques liées à l’origine de la population si l’on veut évaluer sérieusement la discrimination par rapport à son poids démographique.
L’auteur reconnait en effet « l’utilité de la mesure statistique des discriminations » (page 278).
Comment en effet opérer une telle mesure, établir une véritable comparaison, sans mesurer cette discrimination par rapport à la population concernée ?
Visibilité ou invisibilité des Noirs ?
Sauf erreur, le livre n’a pas démontré que les 4% arrondis, et cités plus haut, de population française noire ne trouvaient pas la place qui leur revenait dans nos institutions ou dans la société.
Comment d’ailleurs concilier cette contradiction à vouloir obtenir une visibilité politique en même temps qu’une invisibilité sociale ?
L’auteur parle de « paradoxe minoritaire »
L’auteur écrit : « voulant être invisibles du point de vue de notre vie sociale… Mais nous voulons être visibles du point de vue de nos identités culturelles noires, de nos apports précieux à la société et à la culture française. » (page 361)
L’auteur écrit : « L’invisibilité noire commença avec la décolonisation » (page 331), et je ne partage pas du tout cette appréciation, pourquoi ?
Est-il possible de dire qu’historiquement les Noirs étaient visibles du temps des colonies, alors que l’histoire que nous raconte l’auteur montre qu’effectivement ils étaient peu nombreux avant les grandes migrations dont il fait état ?
Faudrait-il alors faire référence à un soi-disant imaginaire colonial qui aurait imprégné la mentalité des Français et les aurait mis en familiarité avec les noirs ?
Cela aurait à mon avis peu de sens !
Il est évident que le facteur qui fonde la relation actuelle entre blancs et noirs en France est l’immigration régulière ou non d’une minorité noire importante, avec pour conséquence, l’élaboration de nouveaux rapports sociaux inconnus de beaucoup de Français.
En résumé, si l’analyse est souvent intéressante et utile, il semble qu’elle pêche par trois biais :
– Une mise en perspective historique insuffisante par rapport aux flux migratoires de la fin du XX° siècle et du début du XXI° siècle,
– La croyance d’après laquelle discriminations, stéréotypes, et éventuellement racisme, ne seraient que le fait des blancs, alors que ces phénomènes existent partout dans le monde : ni discrimination, ni racisme dans les vallées du Sénégal ou du Niger ? Naturellement tout racisme est à proscrire, mais malheureusement, il n’est pas le privilège des blancs, Français ou pas !
– Un discours qui manque d’élan positif, car c’est toujours la faute des blancs, la faute des autres !
Et je serais tenté de dire, pourquoi au lieu de toujours se plaindre, les Noirs n’auraient pas autant de raisons que les blancs d’être fiers de leur couleur ? Et d’assumer toutes leurs responsabilités de citoyens en France, quand ils le sont !
Pourquoi ne pas les inviter à reprendre l’expression célèbre d’Obama « Yes, you can ! », au lieu de dire toujours « c’est la faute des autres », c’est-à-dire des blancs ?
Jean Pierre Renaud