Morceaux d’histoires éparses, coloniales ou nationales! Bretagne et identité nationale

Morceaux d’histoires éparses, coloniales ou nationales ?

            La Bretagne coloniale !

            Le message amical, par carte postale, d’un ancien haut fonctionnaire de l’armement d’origine bretonne, aujourd’hui décédé :

            « Dans le chapitre Colonies, et à la rubrique « Bretagne » :

            La France lui a imposé sa langue, mis en place des gouverneurs étrangers et traité sa population comme si elle appartenait aux races inférieures »

 « Identité nationale » de la France et traité de Maastricht 1992

            Comme chacun sait, le gouvernement Sarkozy  a lancé un débat politique qui a agité l’opinion publique sur l’identité nationale, et les adversaires de ce débat, sans doute mal initié, ont condamné et stigmatisé cette initiative.

            Le traité de Maastricht que les électeurs français ont approuvé, il est vrai à une faible majorité, sur la recommandation du Président Mitterrand, stipulait bien pourtant dans son article F que l’identité nationale devait être respectée :

            « L’Union respecte l’identité nationale de ses Etats membres, dont les systèmes de gouvernement sont fondés sur des principes démocratiques. »

« La société piégée par la guerre des identités. Echec du multiculturalisme »- Amselle – Le Monde du 16/10/11

« La société française piégée par la guerre des identités

Echec du multiculturalisme »

Jean Louis Amselle

Le Monde du 16 septembre 2011, page 21

&

Réflexions sur cet article

            Un article très difficile à résumer, dont le contenu fait référence à des concepts  qui soulèvent  de grandes difficultés de définition, et autant de controverses.

            Quel est le sujet traité ? A-t-il été défini ? Quel est le discours Amselle sur le sujet ainsi défini ? Et enfin, quelle est la démonstration scientifique de ce discours ?

            Des mots qui claquent au vent, comme des drapeaux !

            Des grands mots qui dérangent, tout d’abord ! Un langage politique ou un langage scientifique ? Un mélange des genres donc ?

            Pourquoi, en effet, et  aussitôt, ces grands mots de « piège », de « guerre des identités », après la guerre des mémoires « coloniales » dont aucune institution n’a eu le courage, jusqu’à présent, de mesurer dans l’opinion publique française, si elle existait vraiment ?

Alors que l’historien qui a lancé, semble-t-il, cette expression dans les médias, et compte tenu des relations étroites qu’il entretient avec certains d’entre eux, aurait pu obtenir de leur part une véritable enquête statistique, sérieuse, qui nous aurait donné la possibilité de mesurer enfin cette fameuse mémoire coloniale (avec ou sans l’Algérie) qui expliquerait tellement de dysfonctionnements dans la société française.

Qui a véritablement intérêt à entretenir cette conspiration du silence ?

Des sondages d’opinion, il en pleut chaque jour, et il est bien dommage que ce type de sujet n’intéresse personne ! Serait-ce parce qu’il donne la possibilité de discourir sans démontrer ?

Il en est par ailleurs de même de l’interdit quasi religieux qui pèse sur les statistiques dites ethniques. Comment est-il possible de faire le procès de la discrimination en refusant de mesurer ce qu’il en est exactement par rapport à telle ou telle catégorie sociale, si l’on n’en a pas la mesure démographique ?

Dans leur préface au petit livre intitulé « Au cœur de l’ethnie » que Messieurs Anselme et M’bokolo ont cosigné, en se déclarant opposés à l’introduction de critères ethniques dans les recensements, ils écrivaient :

« Par un étrange retournement de situation, l’expansion coloniale qui s’est faite au nom de la « mission civilisatrice » de la France, mais qui a en fait largement reposé sur la gestion de la différence culturelle, ferait actuellement retour sur sa terre d’origine pour mettre en place un mode d’administration des « populations » fort éloignées du modèle théorique dressant le citoyen face à l’Etat. »

L’historien Pap Ndiaye a préconisé d’instaurer une visibilité qui serait en même temps invisible, et il conviendrait donc de nous expliquer comment un tel mystère est susceptible d’être résolu (voir blog du 16/5/11).

            Revenons donc au sujet de l’article :

            L’auteur ouvre son texte en écrivant :

« Le multiculturalisme, en tant qu’il est fondé sur la reconnaissance des identités singulières de race et de culture, a échoué en France et en Europe. Non pas, comme le prétendent Angela Merkel, David Cameron et Nicolas Sarkozy, parce qu’il n’est pas parvenu à  intégrer les « immigrés » Mais en raison de la fragmentation du corps social opérée partout où ce principe est appliqué ou promu par des organisations  politiques. »

Une des raisons principales de cet échec, sinon la seule, serait à rechercher chez les porte-parole des communautés intéressées :

«  De sorte qu’il n’est pas illégitime de mettre en doute l’existence, en France, des communautés « noires », « juive », « musulmane », ou « maghrébine », autrement que dans les discours de porte-parole parfois nommés ou encore autoproclamés qui s’expriment « au nom » de ces communautés en prenant en quelque sorte leurs « membres » en otages. »

Il aurait été évidemment intéressant que l’auteur propose sa définition du multiculturalisme en France, dont le contenu a peu de points communs avec celui auquel il est fait référence en permanence, l’anglais ou l’américain, dont les origines historiques n’ont rien à voir avec un soi-disant multiculturalisme français qui pourrait leur ressembler, mais en quoi ? Juridiquement, historiquement, socialement, culturellement ?

L’auteur met en cause dans cet échec, – mais y-a-t-il eu échec ? – , le rôle des porte- parole de certaines des communautés qui vivraient dans notre pays.

Pourquoi pas ? Mais jouent-ils le rôle important que leur prête l’auteur, je n’en suis pas sûr, et j’écrirais volontiers qu’il s’agit beaucoup plus d’une conviction, d’un discours que d’une démonstration, car en beaucoup de lieux, les rapports entre membres des communautés d’origine étrangère ne fonctionnent pas de la façon implicite, supposée.

Ce que l’auteur dénomme l’échec du multiculturalisme, indéfini, ressort plutôt sur certains territoires de la métropole d’un déséquilibre culturel et social entre populations d’origines différentes : comment ne pas penser, par exemple, que dans les communes où les citoyens français d’origine étrangère sont majoritaires, les ajustements ne soient pas toujours faciles ? L’immigration a été trop rapide !

L’auteur met également en cause la responsabilité des organisations  politiques qui se sont attachées à prôner la diversité plus que l’égalité, et il est exact que la gauche y a trouvé un champ politique plus ouvert, car il est plus facile de prôner la diversité que l’égalité.

Comme je l’ai déjà écrit sur ce blog, le professeur Walter Benn Michaels a dit d’excellentes choses sur le sujet, dans son petit livre « La diversité contre l’égalité ».

Trois réflexions  encore à propos de ce constat :

La première converge avec le constat, à savoir le fait que les porte- parole annexent pour eux-mêmes et leurs affidés des revendications ou des interventions qui ne sont pas partagées ou même comprises des membres des communautés qu’ils disent représenter, mais il ne s’agit là que d’une opinion, d’un « discours »..

La deuxième sent évidemment le souffre, étant donné qu’il s’agirait de reconnaître une disposition naturelle des membres de certaines de ces communautés à la « palabre », à la parole, au verbe, que beaucoup de français de « souche », encore une incongruité, n’ont jamais connu sur leur terre natale. L’auteur sait mieux que quiconque que la « parole » façonnait la plupart des sociétés africaines : elles furent, en effet, et très longtemps, tout autant des sociétés de la solidarité que du verbe, même celles touchées par une première imprégnation de l’«écrit », c’est-à-dire du Coran.

Et la troisième relative à ce qui ressemble fort à une sorte de propagande, insidieuse, beaucoup plus efficace que n’a jamais été la propagande coloniale, faite de dénonciation de crimes coloniaux, de repentance, de mauvaise conscience, d’histoires reconstruites, idéologiques, nourries d’un humanitarisme qui est venu, fort opportunément,  succéder au marxisme, de l’assimilation revendiquée de l’esclavage à la « Shoa », et donc de droits imprescriptibles à réparation.

Les porte-parole en question n’ont donc fait qu’exploiter le discours de ces « récadères » (1) modernes d’une nouvelle parole officielle de certains chercheurs, dont l’ambition est de reconstruire l’histoire des pays anciennement colonisés, d’« d’ouvrir de nouvelles voies » à l’histoire des anciennes colonies françaises, en surfant sur les nouveaux courants de l’immigration.

Comment ne pas reconnaître que ce processus politique et idéologique est enclenché sur le terrain de la réparation ?  Il vise à faire reconnaitre la légitimité d’une assistance généralisée, en même temps qu’une dépendance, aujourd’hui et souvent assumée, par des pays qui ont obtenu leur indépendance, depuis plus de cinquante ans ?

M.Anselme propose son diagnostic, mais il est légitime de se demander (discours contre discours) si dans un domaine comme celui-là, la théorie n’est pas trop éloignée du terrain social. Le multiculturalisme n’a pas attendu l’empire colonial et les indépendances pour nourrir la culture française, et de nos jours, de nouvelles formes de multiculturalisme  rythment la vie de tous les jours de nombreuses communes, à la condition qu’il ne soit pas complètement déséquilibré, mis en cause par une immigration par trop « invasive ». Les Français, d’origine africaine, et de bonne  foi, sont les premiers à reconnaître qu’un très fort esprit de solidarité de famille ou de clan caractérise encore les flux d’immigration africaine.

Il conviendrait donc, avant toute chose, de poser la bonne définition, scientifique autant que possible,  du sujet dont on débat. Le multiculturalisme a toujours existé en France, et il n’est pas mort, mais encore faut-il qu’on ne cherche pas à intoxiquer les Français par une nouvelle propagande « coloniale » !

Est-ce que la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la laïcité n’a pas posé la base d’un multiculturalisme religieux solide dans un pays qui avait connu dans son histoire de multiples conflits religieux ?

Un multiculturalisme institutionnel, à la fois religieux et culturel ?

Est-ce qu’on a fait mieux, depuis, pour la paix civile et le bien commun de la France ?

Enfin, le propos de l’anthropologue s’articule sur un constat implicite, celui des dangers de la reproduction coloniale, en France, de la discrimination qui existait dans les colonies, sauf à faire observer que, compte tenu des moyens que la France consacrait à son outre-mer, et du chantier gigantesque que représentait la mise en œuvre de l’universalisme prôné par l’auteur, et tout autant par ses lointains prédécesseurs coloniaux de la société des Lumières,  il n’était guère d’autre solution que de ne pas toucher aux croyances locales, aux coutumes, et au statut des personnes. 

Par ailleurs, n’était-ce pas pure folie, ou rêve, que de vouloir mettre dans le même moule républicain et assimilationniste toutes sortes de peuples et de cultures d’Afrique ou d’Asie ?

Comment ne pas rappeler que la Côte d’Ivoire, bien connue de l’anthropologue, créée ex nihilo par la France, à la fin du 19ème siècle, comptait de l’ordre de cinquante peuples ou ethnies, et autant de langues et coutumes ?

Historiquement, la France coloniale n’avait guère d’autre choix que de faire de « la gestion de la différence culturelle ».

Si je partage tout à fait la conclusion de l’auteur, mon cheminement intellectuel et historique n’est donc pas tout à fait le même !

En bref, discours ou démonstration ?

Jean Pierre Renaud

(1)    Dans le royaume d’Abomey, le récadère était le porte- parole du roi, et le bâton qu’il portait était le signe qu’il avait bien été investi par ce chef..

Immigration, Identité, Laïcité: Histoire ou Politique? Le discours Ndiaye, Monde Magazine du 5/02/11

Le Monde Magazine du 5 février 2011

En page de couverture :

« En finir avec la peur de l’autre

La leçon de l’historien PAP NDIAYE »

L’interview des pages 23 à 29

« L’identité se décline au pluriel »

Propos recueillis par Frédérick Joignot

Le discours national-populiste qui fait de l’étranger une menace trouve un nouvel écho en France et en Europe. Face à la remise en cause du multiculturalisme, l’historien Pap Ndiaye rappelle qu’il existe une manière de vivre ensemble sans verser dans le communautarisme : la république »

Question prélable :  histoire ou politique ?

S’agit-il dans le cas d’espèce de la leçon d’un historien formé à cette discipline par l’université et l’école normale supérieure de Saint Cloud?

Et dans un tel cas, des règles de rigueur que s’imposent nos universitaires pour écrire l’histoire ? Car l’interview donne l’occasion de poser, semble-t-il des questions qui ne s’inscrivent pas, précisément, dans notre histoire.

Car comme l’indique le titre, l’interview est effectuée dans la cible du « discours national-populiste », alors que le « nouvel écho » qu’il trouve en France, en tout cas, s’explique par un certain nombre de facteurs, évoqués par le texte, mais qui méritent quelquefois d’être éclairés ou commentés, parce qu’ils feignent d’ignorer précisément ces facteurs, qui pourraient être qualifiés de « faits » par un historien, et les réactions du peuple français, face à ces « faits ».

M.Joignot cadre l’interview (page 24) : « ambiance délétère de défiance envers les étrangers », « une extrême droite islamophobe progresse dans toute l’Europe » et l’historien de souligner, de son côté, « l’essor de formations national-populistes qui ne se réclament pas idéologiquement du racisme, mais font de la dénonciation véhémente de l’Autre, souvent musulman et non-blanc, leur ligne de politique principale. »

            Et de remarquer que ce courant de pensée a annexé une partie des valeurs républicaines rattachées à la laïcité ou aux droits des femmes.

Il convient donc de s’attacher aux points clés de la réflexion que propose M.Ndiaye, l’immigration, l’identité française, la laïcité, en tentant de savoir si ces réflexions font effectivement partie de la leçon d’un historien.

            Premier sujet, l’immigration – M.Ndiaye évoque rapidement les problèmes nés de l’immigration, et répond à la question-constat de M.Joignot :

« Le vieux thème de l’invasion revient aussi. On parle de réfugiés climatiques et politiques se pressant bientôt à nos frontières…(le journaliste aurait pu ajouter l’adjectif familiaux dans le cas de la France)

            M.Diaye y répond en citant des études de l’ONU d’après lesquelles les mouvements migratoires seraient beaucoup moins importants qu’on ne croit (page 25)

Il précise que d’après l’ONU : « L’Europe n’est pas menacée d’invasion » (page 25) et note que « Cette rhétorique de l’invasion, une constante de l’extrême droite, trouve un nouvel élan. »

Il parait tout de même difficile de citer les études de l’ONU pour accréditer ce type de discours, car les statistiques démographiques françaises montrent clairement que la population étrangère et d’origine étrangère a progressé dans notre pays au cours des vingt dernières années.

Le Monde du 5 mai 2010 faisait état d’une population étrangère de 6,5 millions d’habitants, mais tous les spécialistes savent que plusieurs facteurs ont modifié en profondeur la structure démographique de la France, avec notamment le mouvement des naissances, des mariages, et des naturalisations.

Qui plus est, ces études montrant que « De 1968 à 2005, la proportion de jeunes d’origine étrangère (au moins un parent immigré) est passée de 11,5% à18,1% en 2005 », mais ce que relève de plus significatif la démographe Tribalat, dans le livre « Les Yeux grands fermés », chapitre 5 : « immigration, territoires et voisinages : mesure et résultats », c’est la concentration de ce type de population dans certains départements ou villes.

L’historien lui-même le note d’ailleurs :

«  Sans nier les problèmes de coexistence dans certains quartiers, ce discours répète à l’envi qu’une partie de la population relèverait de cultures en opposition radicale, ou en tension forte avec la culture nationale, elle-même fragilisée par la mondialisation et incapable d’absorber des flux hétérogènes. » (page 26)

Un phénomène ou « fait » que M.Bronner a fort bien décrit dans son livre sur les ghettos.

            Alors vraie ou fausse « invasion » ? Journalistes, élus et chercheurs auraient tort de ne pas voir le problème en face, et peut-être encore moins un historien habitué à la dialectique de l’interprétation des faits, et tout autant des chiffres que des lettres.

Pourquoi ne pas le dire, ce sentiment d’invasion existe chez un certain nombre de nos concitoyens, car ils le ressentent ainsi dans leur quartier ou dans leur ville. Il suffit d’interroger des habitants de ces quartiers ou villes qui ont été le plus bouleversés par ces mouvements de la population, pour s’en convaincre. Et les journalistes ainsi que les Français d’origine immigrée, de bonne foi, sont les premiers à faire ce constat.

Alors, serait Front National le citoyen capable d’ouvrir encore yeux et oreilles, pour estimer, qu’à ce rythme-là, la République ne sera effectivement plus chez elle, pour autant qu’elle le soit encore dans certains de nos quartiers les plus sensibles !

Il est évident que ces mouvements démographiques ont affecté la France, modifié en profondeur sa structure culturelle, en tout cas dans certains quartiers et  villes, et  conduit un certain nombre de citoyens, beaucoup plus important qu’on ne dit ou qu’on ne croit, à éprouver un sentiment réel d’«invasion. »

Deuxième sujet, l’identité française :

            M.Ndiaye répond à la question-constat de M.Joignot ?

            « Une des constantes des discours de la droite classique comme de la nouvelle droite consiste à présenter l’Autre comme menaçant l’identité française. »

Réponse : «  Sans nier les problèmes de coexistence dans certains quartiers, ce discours répète à l’envi qu’une partie de la population relèverait de cultures en opposition radicale, ou en tension forte avec la culture nationale, elle-même fragilisée par la mondialisation et incapable d’absorber des flux hétérogènes. » (page 26)

Une telle vision suppose un bloc français homogène, un « nous » bien circonscrit. Or depuis longtemps, les historiens et les anthropologues ont montré à quel point l’identité française s’est déclinée au pluriel. Elle ne se pense pas en termes d’essence, mais de relation intersubjective. Surtout, elle a servi de point de d’appui idéologique à une politique bien réelle de stigmatisation des immigrés et de leurs descendants: rafles de sans- papiers, contrôles au faciès, etc »

Identité au pluriel, pourquoi pas ? Mais si vous interrogez les Français, vous constaterez que l’immense majorité d’entre eux se reconnaissent dans leurs villages ou leurs villes, leurs mairies, leurs écoles publiques, leurs églises et leurs temples, et avant tout, dans un milieu de vie, fait de libertés individuelles et collectives, de démocratie, d’école publique (il y a un peu plus d’un siècle), et conquête récente (1945), d’égalité entre les sexes.

Il est donc difficile d’ignorer que notre identité plurielle baigne dans ce tissu national interstitiel, civil, politique, et culturel, plus résistant qu’il ne semble, et qui peut surprendre ceux que l’historien dénomme « les Français dubitables ».

Mais avant d’en terminer sur ce deuxième sujet, ne conviendrait-il pas d’être tout de même surpris de voir certains intellectuels et chercheurs plaider, à toute occasion, la reconnaissance d’identités perdues ou en péril sur notre planète, et en même temps faire facilement litière de l’identité de la France ou d’autres peuples !

Troisième sujet : la laïcité

Et ce dernier sujet est ultra-sensible pour un Français qui connait l’histoire de son pays, les guerres de religion qui ont ensanglanté, pendant des siècles, beaucoup de ses provinces, et les dernières querelles qui ont entouré le vote de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905.

Nombreuses sont sans doute les familles françaises du sud, de l’est, et de l’ouest, dont l’histoire a renfermé, au pire le souvenir des guerres de religion, et au mieux, des souvenirs de querelles religieuses violentes et tenaces à la fin du dix-neuvième siècle, dont certaines durent peut-être encore.

Alors de grâce, que de bonnes âmes ne nous disent pas aujourd’hui, tel M.Ndiaye  que « le principe de laïcité est dévoyé en politique d’intolérance religieuse. Or la laïcité n’est pas l’intolérance…. Il existe celle militante, agressive, qui s’est manifestée en 1905…L’autre laïcité, plus ouverte, et tolérante, accepte l’existence de lieux de culte pour toutes les religions, admet que certains espaces publics puissent être temporairement occupés par des pratiques religieuses.

C’est cette attitude que l’on observe majoritairement vis-à-vis du catholicisme pour les processions, les Journées mondiales de la jeunesse chrétienne, la venue du pape, etc. La laïcité tolérante n’exige pas la disparition radicale du fait religieux dans l’espace public ; elle commande la neutralité de l’Etat à l’égard des religions et la laïcité de l’école républicaine. » (page 27)

Un simple mot : voire !

Il est possible de dire et d’écrire n’importe quoi, mais comment prendre comme élément de raisonnement, dans le cas particulier, des pratiques religieuses enracinées dans nos provinces, et encadrées par la loi de 1905, un argument en faveur de la promotion du « fait religieux dans l’espace public », alors que l’historien ne précise pas la nature du « fait religieux » en question ?

Pour résumer mon opinion personnelle, je dirais volontiers : « Ne touche pas à la laïcité française ! », parce qu’elle a été, et continue à l’être, le gage d’une paix civile et religieuse durement gagnée au cours des siècles !

Et gare aux nouvelles guerres de religion !

Jean Pierre Renaud

Les caractères gras sont de ma responsabilité

Post-Scriptum : et après la lecture éventuelle du pensum ci-dessus, proposons au Monde Magazine de publier un numéro spécial, allégé, distribué gratuitement au Mali et au Niger, et comportant une interview d’un historien de l’un ou l’autre de ces beaux pays sur le thème qu’a choisi M.Joignot pour sa  chronique du 26 février 2011 dans le même magazine, page 65, intitulée :

« Je ne pense qu’à ça  Frédéric Joignot

Le plaisir féminin et la « mâle peur »

Il s’agirait dans le cas d’espèce de lancer une interview sur le point G (grain de café ou orchidée… ?) qui a fait l’objet des plus sérieuses recherches scientifiques.

« Le colonialisme en question » de Frederick Cooper, « Identité », lecture 3

« Le colonialisme en question »

Fréderick Cooper

« Deuxième partie » (page 81 à 205)

« Trois concepts en question

Identité, Globalisation, Modernité »

Lecture  3

« Identité »

Le discours

Un premier commentaire sur le concept identité, et sur la grande diversité de ses « emplois »,  que l’auteur analyse « avec Rogers Brubaker ».

L’auteur propose un cadrage préalable de sa réflexion :

« Nous le verrons, identité tend à signifier trop (quand on l’entend au sens fort), trop peu (quand on l’entend au sens faible) ou à ne rien signifier du tout (en raison de son ambigüité même), nous allons dans un premier temps dresser l’inventaire des fonctions conceptuelles et théoriques que identité est censé remplir puis nous suggèrerons que ces fonctions pourraient être assurées par des termes moins ambigus et exempts des connotations réifiantes associées à identité.

Nous affirmons que l’approche constructiviste de l’identité, actuellement dominante – qui tente de donner au terme un sens très général et à l’exonérer de l’accusation d’essentialisme en posant que les identités sont des notions construites, fluides et multiples – rend vaine toute discussion sur les identités et nous laisse mal outillé pour examiner les dynamiques « dures » et les revendications essentialistes des politiques identitaires contemporaines. » (page 81)

In fine, il écrit : «  Pour suggestif et indispensable qu’il soit dans certains contextes concrets, identité est trop ambigu, trop écartelé entre son acception « dure » et son acception « molle », entre ses connotations essentialistes et ses qualificatifs constructivistes, pour satisfaire pleinement aux exigences de l’analyse sociale » (page 82)

S’agit-il d’un concept opératoire alors qu’il recèle un grand potentiel de manipulation idéologique, ou pseudo-scientifique ? Car derrière le mot, on trouve effectivement, le racisme, les ethnies, les tribus, et l’auteur de relever que le terme contient effectivement « un dense écheveau de significations »(page 96), et de proposer d’autres termes : « Des termes tels que communalité, connexité, ou groupalité pourraient avantageusement remplacer le terme généraliste identité » (page 103)

Questions

Pourquoi pas ? Mais est-ce qu’il ne s’agit pas d’une façon d’esquiver le problème ? De donner un autre nom de baptême aux mêmes phénomènes ou faits?

Est-ce que chaque concept important ne soulève pas ce type de difficulté ? Et ce n’est pas en remplaçant des mots par d’autres qu’on règle le problème, d’autant moins que, comme le souligne l’auteur, cette analyse théorique parait bien loin des contextes concrets, c’est-à-dire de l’histoire concrète, de l’analyse historique plutôt que sociale.

J’ai envie de rappeler que la saine « logique » qui nous était enseignée dans les lycées proposait d’analyser les mots, et derrière eux et à l’évidence les concepts, en considérant les mots du point de vue de la compréhension, qui désigne l’ensemble des caractères exposés par le mot, et du point de vue de l’extension qui désigne l’ensemble des individus auxquels le mot s’applique.

Un outil de la logique qui ne serait pas opératoire en histoire ou en analyse sociale (page 82) ?

L’auteur note : « Les études africaines ont souffert de leur version de la pensée identitariste, tout particulièrement dans les récits journalistiques qui voient dans l’«identité tribale » des africains la principale cause de la violence et de l’échec de l’Etat-nation. » (page105)

Et l’auteur de passer, en raccourci rapide (le saute-mouton reproché à certains chercheurs) d’une vision journalistique de la question au peuple des Nuers et au travail ethnologique  de M. Evans Pritchard, en 1930.

Une référence intéressante, mais est-elle représentative du problème ?

Ne s’agit-il pas d’une référence ethnologique un peu « court vêtue », pour faire un brin de mauvais esprit, étant donné l’état dans lequel les membres de la mission  Marchand vers Fachoda, en 1898, dans le Bar El Ghazal, ainsi que les premiers explorateurs anglais des sources du Nil ont trouvé les Nuers ?

Est-ce qu’un Africaniste tel que Delafosse racontait des histoires lorsqu’il décrivait l’état de la Côte d’Ivoire qui venait de naître, avec ses dizaines d’ethnies, de tribus, ou de peuples, comme vous l’entendrez, car il ne sert à rien de jouer avec les mots.

L’auteur écrit encore : « L’Afrique fut loin d’être un paradis de sociabilité, mais la guerre et la paix y impliquèrent toutes deux des schémas flexibles de différenciation comme d’affiliation. » (page 108)

« Schémas flexibles », pourquoi pas ? Mais est-ce que cela fait progresser la connaissance ? Sauf à les définir, à les décrire, et à les trouver dans tel ou tel contexte historique.

La sociologie aurait été identitaire, mais concrètement, et sur le terrain, est-ce que les explorateurs, puis les officiers, les administrateurs, les ethnologues…, n’ont pas été dans l’obligation de mieux connaître les hommes et les femmes qu’ils rencontraient, et donc à les classer dans des définitions de langues, de religion et de mœurs ?

En Côte d’Ivoire, et au début du XXème siècle, quoi de commun entre les Baoulés, les Gouros, ou les Sénoufos ? Et sur le Niger, entre les Malinkés et les Peuls ? etc…

«Nous l’avons dit, le langage identitaire, avec ses connotations de fermeture, de groupalité et de similitude, est manifestement mal adapté à l’analyse de sociétés lignagères segmentaires – ou aux conflits africains actuels » (page109)

Voire ! D’autant plus que l’auteur procède à un rapprochement hardi avec le nationalisme est-européen.

Il est donc difficile d’adhérer à la conclusion de l’historien :

« Il est temps maintenant de dépasser l’identité – non pas au nom d’un universalisme imaginaire, mais au nom de la clarté conceptuelle nécessaire tant à l’analyse sociale qu’à la compréhension politique. (page 122)

Un chapitre donc qui relève beaucoup plus de l’analyse sociale qu’historique, comme le marquent d’ailleurs les multiples références qui sont faites au social et non à l’historique.

Et ultime question ? En quoi cette analyse fait-elle progresser l’analyse historique ?

Le témoin « colonialiste »

            « Identité est un mot dans le vent, sans qu’on soit toujours sûr du sens dans lequel il est employé. Il semble recevoir des traits caractéristiques, permanents, définitifs  (cf carte d’identité, le livre de Braudel  « l’identité de la France »). Au pluriel (identités), il désigne souvent les groupes qui s’attribuent ces traits originaux.

            Sans conteste, le colonialisme a été créateur d’identité (et d’identités) territoriales (s). Dans la plupart des cas, les Etats qui ont succédé aux territoires coloniaux ont conservé les frontières dessinées par les colonisateurs. Le cas de l’Afrique, continent dont les Etats ont proclamé le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, est bien connu. C‘est vrai aussi en Asie. L’Indonésie est faite de territoires rassemblés par les Néerlandais, le Cambodge n’aurait pas survécu sans la France, le Laos n’existerait pas…

            Au sens de ces frontières « coloniales », se sont développées des identités nationales de moins en moins fragiles, elles résistent et perdurent souvent de façon inattendue : qui aurait pu penser que les ex-enclaves portugaises (Timor oriental) dans les Indes néerlandaises soient si attachées à une existence indépendante ?

            C’est souvent la « résistance au colonialisme »  qui a été l’élément décisif dans la naissance de l’identité nationale. Y aurait-il une nation algérienne sans les Français ? Selon une remarque de l’historien indien Panikhar  (l’Asie et la domination occidentale – 1953), de même que les nationalismes européens ont été suscités par les conquêtes napoléoniennes, les nationalismes asiatiques ont été suscités par les conquêtes occidentales.

            Pour mémoire, on rappellera que les colonisations espagnole et portugaise sont à l’origine d’une identité culturelle bien marquée : celle de l’Amérique latine.

Il y a eu, dans le débat médiatique, bien d’autres rapprochements entre le colonialisme et l’identité. Mais ils paraissent douteux.

            A titre de curiosité, on signale la thèse selon laquelle le colonialisme aurait créé l’identité ethnique.

            Il y aussi le recours au colonialisme pour justifier d’une identité bien artificielle : « les indigènes de la République ».

On prétend aussi que le colonialisme a été un élément de l’identité de la France, de l’identité de la République, le colonialisme allant de pair avec les valeurs universelles de la République (la république impériale). C’est, semble-t-il, dans le cadre d’un débat plus vaste, qui n’est pas limité à la France : celui du procès de l’universalisme européen du XIXème siècle. »

M.A

 Les caractères gras sont de ma responsabilité

Identité nationale, racisme, le Monde du 13/03/10, p,14

Dans un article intitulé « Quand le foot libère la parole des détenus sur la racisme », le Monde fait un compte rendu d’une réunion de détenus à la maison d’arrêt de Villefranche sur Saône, le 10 mars dernier. Je ne suis pas sûr que le contenu de l’article éclaire beaucoup le sens du titre. Le menu intellectuel proposé était incontestablement difficile.
 Le lecteur reste sur sa faim jusqu’à la fin lorsqu’est abordée la composition du public des maisons d’arrêt.


Un détenu, micro à la main demande au procureur présent, interlocuteur tout désigné pour ce dernier sujet : « Il n’y a que des Noirs et des Arabes dans les prisons. Le procureur riposte : « je ne peux pas laisser dire ça. » Mais il reconnait que, pour certains délits « comme les vols », il y a une surreprésentation de certaines populations ethniques. Cela s’explique, c’est complexe, mais la couleur de la peau n’a rien à voir. »

Question: est-ce que le Monde ne devrait pas proposer à ses lecteurs une bonne analyse de cette situation, si elle est exacte, avec des chiffres précis et une interprétation sérieuse de ses causes, avec sans doute en arrière plan, la faillite de la politique des quartiers dits « sensibles ».