Indigènes de France et Indigènes des colonies: en dedans et en dehors de la France, était-ce bien différent? Eugen Weber – Suite et fin

Indigènes de France et Indigènes des colonies françaises : en dedans et en dehors de la France, était-ce bien différent ?

Les biais de l’histoire postcoloniale

Source : « La fin des terroirs 1870-1914 »

Eugen Weber

Synthèse rapide et évocation du chapitre XXIX

« Cultures et civilisation » (pages 575 à 587)

&

Suite et fin de la lecture critique

          Les lignes qui suivent méritent d’être lues avec la plus grande attention par tous ceux qui ont tendance à interpréter notre histoire nationale et coloniale avec des lunettes idéologiques, des lunettes  fausses ou mal ajustées, aux fins supposées d’apprécier le contenu et les effets des discours officiels sur la civilisation à apporter aux peuples d’outre-mer :

        « Abordons ce problème de l’acculturation : la civilisation des Français par la France urbaine, la désintégration des cultures locales par le modernisme et leur absorption par la civilisation dominante de Paris et des écoles. Livrées à elles-mêmes jusqu’à leur accession à la qualité de citoyen, les masses rurales non assimilées furent intégrées au sein de la culture dominante de la même manière qu’elles avaient été intégrées dans une entité administrative. Ce qui s’est passé correspond à une sorte de colonisation, et on le comprendra d’autant mieux si on garde cette idée présente à l’esprit.

        « La conquête est une étape nécessaire sur la voie du nationalisme » écrivait Georges Valérie en 1901. Une nation ne peut pas, ou ne devrait pas, conquérir des « peuples majeurs » mais amener une plus grande cohésion des groupes sans identité culturelle évidente, les gagner à soi ; enrichir, éclairer l’esprit  tribal privé d’instruction, voilà ce à quoi la mission civilisatrice ne peut renoncer. On trouve nombre des thèmes de l’intégration nationale dans cette brève affirmation : les peuples conquis ne sont pas des peuples, ils n’ont pas de culture propre ; ils peuvent seulement bénéficier de l’enrichissement et de l’instruction que le civilisateur leur apporte. Nous pouvons maintenant nous demander si cette image coloniale vaut pour la France.

        La réponse la plus simple provient des sources françaises. Au XXème siècle, en Franche Comté, on se souvenait encore que,  pendant de nombreuses années, les gens se firent enterrer face contre terre en signe de protestation contre l’annexion de la province par la France… dans le Sud-Ouest, écrivait M.F.Pariset en 1867, l’union avec la France « a été subie et non acceptée avec sympathie. La fusion s’est faite lentement et à contrecœur ». Quarante ans plus tard, lorsque Ernest Ferroul, le maire socialiste de Narbonne, accusait les barons du Nord d’envahir le Midi comme au bon vieux temps des Albigeois, le Figaro avertissait ses lecteurs : « ne nous y trompons pas, c’est une région qu’il faut reconquérir, comme au temps de Simon de Montfort ». (p,577)

       Et pour les lecteurs ou chercheurs les plus incrédules, lisez les lignes qui suivent :

      « Durant tout le siècle, les colonies d’outre- mer servirent de modèles de comparaison pour certaines régions de France. En 1848, Alphonse Blanqui comparait les habitants des Alpes françaises à ceux de Kabylie ou des Îles Marquises, comparaison qui fut reprise plusieurs fois dans des rapports officiels et des textes en 1853, 1857, 1865. Les populations et les coutumes de la France rurale, ses superstitions et ses singularités furent étudiées et décrites bien trop souvent avec condescendance peu compréhensive. Les façons de vivre des ruraux semblaient superficielles et dénuées de sens, leurs façons de penser étaient ignorées. Les communautés indigènes furent dépouillées de leurs droits (code forestier, pacage, prés communaux, droits de chasse et de pêche) au nom du progrès, de la liberté, de la productivité et d’un bien commun qui ne signifiait rien pour ceux au nom desquels ils étaient proclamés. Parce que les représentants de l’ordre ignoraient et méprisaient la logique des sociétés qu’ils administraient, « parce que cette ignorance et ce mépris étaient les conditions-mêmes de leur action, les hommes responsables de cette politique ne pouvaient en mesurer les conséquences désastreuses ». Ces mots de Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, écrivant sur l’administration coloniale, s’appliquent assez bien  à la France rurale du XIXème siècle. » (p,578)

      « En 1910 ou 1911, Jean Ricard pouvait décrire les installations des collecteurs de résine établies par les fabricants de térébenthine au nord d’Arcachon comme ressemblant à quelque terre africaine, un rassemblement de huttes groupées à l’ombre du drapeau de la République » Et pourtant, « nous sommes en France ».

       Etre en France signifiait être gouverné par des administrateurs français. En Savoie, où les frictions entre les membres de l’administration française et les autochtones étaient assez fortes, on disait des administrateurs français qu’ils « arrivaient ici comme pour une tournée d’inspection des colonies ».. En 1864, dans la Revue des deux mondes, un écrivain comparait la Savoie à l’Irlande. Dans les autres régions, on faisait des comparaisons encore plus explicites. « Ils envoient des colons vers des terres lointaines pour cultiver le désert, regrettait un Breton, et le désert est ici ! « Ils construisent des chemins de fer en Afrique, écrivait la Revue du Limousin en 1862 : « si au moins ils nous traitaient comme des Arabes ! « Une revue agricole reprit le cri : « il y a au cœur de la France une région  à coloniser qui demande seulement qu’on lui accorde les mêmes conditions  d’exploitation qu’aux colonies. » (p,579)

       « Des allusions aussi explicites furent faites lors de la mise en valeur de ma Sologne : « Il est vraiment question de colonisation ici « écrivait Ardouin-Dumazet en 1890.Les promoteurs étaient aussi enthousiastes au travail en Sologne qu’ils l’étaient en Algérie. Et un peu plus tard, à Salbris (Loir et Cher) : « Il y a un parallèle intéressant entre la colonisation actuelle de la Tunisie et le travail de développement qui se poursuit en Sologne. En Tunisie, comme en Sologne, les capitalistes ont joué un rôle important. « Cependant « tout bien considéré… la colonisation de la Sologne est la plus merveilleuse. » (p,380)

        « Les plus grandes possibilités coloniales, naturellement étaient offertes par la Bretagne. Après l’union forcée avec la France, les villes bretonnes furent envahies par des Français qui écrasèrent ou même remplacèrent les commerçants locaux, francisèrent les gens qu’ils employaient ou touchaient d’une autre façon. Les ports du roi comme Lorient et Brest, étaient des villes de garnison en territoire étranger et le terme de colonie était fréquemment employé pour les décrire.

     Comme nous l’avons déjà vu, les choses ne commencèrent à changer un peu en Bretagne que dans les années 1880… (p,380)

….

    « Essayons maintenant une autre piste et voyons comment Les Damnés de la terre de Franz Fanon, une des plus virulentes dénonciations du colonialisme, s’applique aux conditions que nous avons décrites. Les passages suivants (certains sont des montages et non des citations ininterrompues) sont particulièrement caractéristiques :

    « régions sous-développées, absence d’infrastructure, un monde sans médecins, sans ingénieurs, sans administrateurs.

   « L’aliénation culturelle, comme le colonialisme, essaie d’obliger les indigènes à abandonner leurs façons ignorantes (pour faire croire que) c’est le colonialisme qui vient éclairer leur obscurité.

    « La domination coloniale disloque de façon spectaculaire l’existence culturelle des peuples soumis (mort de la société autochtone, léthargie culturelle).

    Les nouveaux rapports juridiques (sont) introduits par la puissance occupante. L’intellectuel se jette frénétiquement dans l’acquisition forcée de la culture de l’occupant.

    « Les coutumes des colonisés, ses traditions, ses mythes, surtout ses mythes, sont la marque même de cette indigence, de cette dépravation constitutionnelles.

    « Le colonialisme s’oriente vers le passé du peuple opprimé, le distord, le défigure, l’anéantit, dévalorise l’histoire d’avant les colonisateurs : « Cette terre, c’est nous qui l’avons faite »

    Les formes brutales de présence de l’occupant peuvent parfaitement disparaître, (elles sont troquées contre) un esclavage moins évident mais plus efficace.

     « La bourgeoisie locale, qui a adopté de bon cœur les façons de penser caractéristiques du pays occupant, devient le porte-parole de la culture coloniale comme les intellectuels qui l’avalent goulûment »

    La violence, si frappante dans les pages de Fanon était rare dans la France du XIXème siècle, peut-être parce que les révoltes capables de menacer sérieusement l’Etat étaient un fait du passé. Etant donné l’époque et la couleur des peaux, l’assimilation faisait son chemin. Cependant, le portrait que fait Fanon de l’expérience coloniale est une description assez juste de ce qui se passait dans les Landes et en Corrèze. En France, comme en Algérie, la destruction de la culture locale ou régionale était systématiquement poursuivie. Tant qu’elle persista, elle fut handicapée par l’inertie et l’isolement. « Il y a crispation sur un noyau de plus en plus étique, de plus en plus inerte, de plus en plus vide. » Après un laps de temps, dit Fanon, la créativité locale reflua et ce qui resta fut « rigidifié à l’extrême, sédimenté, minéralisé. » La réalité locale et la culture locale disparut ensemble. Ainsi fit le XIX° siècle en France. » (p,582) (Fanon, note 23,page 656, pp.72, 158,177 (et 69), 33, 158 (et 40), 106, 116 (et 164),p,656)

      Et pourtant… Pris comme règles générales, les propos de Fanon me semblent sous-estimer le choix et l’autonomie des colonisés. Ni Bourdieu et Sayad, ni Fanon, ni mes propres observations ne suggèrent que les sociétés traditionnelles étaient inertes au commencement. Il semble que par la suite, elles se sont effacées devant la force, qu’elles furent vaincues par des puissances supérieures et « colonisées » contre leur volonté. Est-ce que ceci s’est réellement passé ? Pas en France en tout cas. » (p,582)

     « Ceci devrait peut-être nous faire voir d’un autre œil le « colonialisme » dans les pays sous- développés, qui renvoie aussi à des inégalités régionales dans le développement ; et sans doute cela permet-il de qualifier les sens de la colonisation comme un  processus interne…

         Il est possible aussi que les vues maintenant démodées de la fin de siècle sur le « progrès » mérite un autre regard. Ou alors devons- nous dire que la colonisation des régions sous-développées serait acceptable à l’échelle interne mais inacceptable au-delà de la patrie du colonisateur ? Qu’est-ce qu’une patrie ? Quelque chose à qui le temps, le hasard et les circonstances opportunes ont permis d’être mise en forme et d’être acceptée comme entité politique : Chine, Inde, Mexique ; Etats-Unis, Union soviétique, Royaume Uni, par exemple.

      Retournons maintenant à la France. Les conquêtes et les colonisations l’ont créée, comme elles l’ont fait pour d’autres royaumes, et cette formation, pour l’essentiel, s’est achevée au XIXème siècle. Y a-t-il eu une période critique ? J’ai soutenu que celle-ci s’est située surtout vers la fin du siècle. On a avancé d’autres réponses, portant sur d’autres périodes. Le point de vue plus ou moins accepté de la Révolution française comme ligne de partage ne peut être négligé. Laurence Wylie et d’autres sociologues se sont attardés sur les années 1950, où les tracteurs, les voitures et les téléviseurs hâtèrent l’homogénéisation des villages qui évoluaient lentement jusqu’alors. On peut plaider un dossier semblable pour le XIXème siècle, autour de 1848 et de l’arrivée du chemin de fer. Tout argument de ce type, y compris le mien, est plausible ; aucun ne l’emporte vraiment. » (583,584)

       L’analyse approfondie du processus de francisation à laquelle a procédé l’auteur plaide, à mes yeux, en faveur de l’appréciation chronologique et historique qu’il propose :

      « Je pense avoir clairement montré ce processus. Entre 1880 et 1910, des changements fondamentaux  se sont produits au moins dans trois domaines. Les routes et les chemins de fer ont permis à des régions jusque-là éloignées et inaccessibles d’entrer en contact avec les marchés et les modes de vie du monde moderne. L’école a enseigné à des millions d’individus, jusqu’alors indifférents, le langage de la culture dominante et de ses valeurs, parmi lesquelles il faut compter le patriotisme. Le service militaire, quant à lui, a implanté cet enseignement dans les foyers… Les régions de France étaient beaucoup plus semblables entre elles en 1910 qu’elles ne l’avaient été avant Jules Ferry, Charles de Freycinet et Jules Rieffel. » (p, 584,585)

      « Mais quelque chose de plus important s’est produit, quelque chose  qui ne s’est produit, ni en en 1789, ni en 1848, ni en 1950, un changement qui représente rétrospectivement le grand événement culturel de l’époque ; la fin d’une profonde division de l’esprit. « (p,586)

     « Dans le meilleur des cas, les gens acceptaient le changement avec hésitation et constataient ses effets avec une grande ambivalence. Mais une fois qu’ils avaient bu à la fontaine du « progrès », il n’y avait plus de retour en arrière possible. Le modèle du XIXème siècle continuait certes à être, comme dit Jacob Burckhardt, le « rationalisme pour la minorité et la magie pour la majorité ». Et pourtant, à la fin du siècle, la nature de la magie avait changé. Les gens allaient toujours chercher leurs normes et valeurs culturelles chez les autres ; mais la culture populaire et la culture des élites étaient de nouveau réunies. » (p,587)

    Une suggestion de thèse ou de mémoire pour les étudiants : « L’audience de l’anticolonialisme de Franz Fanon dans la presse de l’époque, avant, pendant, après les indépendances »

      En ce qui me concerne, je serais tenté de penser, mais sous réserve de ce type de recherche historique que la thèse Fanon a eu beaucoup plus de succès après les indépendances, qu’avant, ou même pendant la période de décolonisation.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq & Synthèse critique

Synthèse critique

Première partie

            Après avoir lu et relu cet ouvrage, l’avoir annoté, je dois convenir qu’il s’agit d’un important travail d’analyse, mais qui pose de nombreuses questions : n’était-il pas trop ambitieux ?

         J’ai listé six questions qui font problème, à savoir, le champ de cette étude (I), sa chronologie (II), écriture de l’histoire à l’époque coloniale ou historiographie (III), une comparaison pertinente (IV), le type d’histoire, servile ou méthodique , entre pouvoir et savoir (V), la place de l’histoire du terrain (VI).

        I – Le champ de l’étude : l’Afrique, quelle Afrique ? Le titre même de l’ouvrage recèle une ambiguïté, étant donné qu’à lire l’ouvrage, il s’agit avant tout de l’Afrique occidentale, une Afrique qui en tant que telle n’était déjà pas facile à déchiffrer.

       II – La chronologie ? L’auteure a choisi un découpage chronologique qui, à mes yeux, ne correspond pas à l’évolution de la colonisation sur le terrain de l’A.O.F, ni à celle de la France de la fin du dix-neuvième siècle et du début du siècle suivant.

      Cette chronologie est différente de celle que propose l’historien Sudhir Hazareesingh, pour l’historiographie française au cours de la période retenue par Sophie Dulucq, dans son livre « Ce pays qui aime les idées ».

      Sophie Dulucq retient les dates clés suivantes pour ses chapitres, « 1900 » pour le premier, « 1890-1930 » pour les quatre chapitres suivants, « 1930-1950 » pour le cinquième, et « 1950-1960 » pour le septième.

      Si j’ai bien interprété la chronologie  retenue par Sudhir Hazaeesingh,  elle serait la suivante : « 1897 » (p,325) : une période de chasse gardée des professionnels, « 1929 » (p,326) : une rupture historiographique initiée par Marc Bloch et Lucien Febvre, « après 1945 », (p,328), une phase d’histoire idéologique, s’enchainant avec une phase d’histoire-mémoire.

     Ce découpage historique me parait mieux traduire les caractéristiques d’une historiographie métropolitaine très éloignée du terrain colonial.

      En 1890, l’A.O.F n’était pas encore partout pacifiée, et l’administration était encore très largement entre les mains des militaires. La nouvelle Fédération de l’A.O.F n’existait pas. Elle fut créée en 1895.

       En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, le Sahel en général, le Niger, le Dahomey, la paix civile n’y existait pas et les structures administratives étaient encore et très largement dans les limbes.

       Que dire alors de l’histoire en gestation ?

     La formule utilisée par l’auteure à la page 58 : « Mais le moment colonial marque une rupture dans une tradition savante déjà ancienne.» mériterait d’être incontestablement expliquée. Etait-ce exact en 1900 ?

     Le découpage chronologique factuel le moins contestable aurait dû marquer les ruptures de la première guerre mondiale, avec une Afrique de l’Ouest à peu près pacifiée en 1920,  et la deuxième guerre mondiale, avec la naissance d’un monde nouveau.

     Ce découpage manque de pertinence, tout autant qu’un autre découpage en trois phases, retenu par le collectif de chercheurs Blanchard and Co, dans leur livre « Culture coloniale » : « 1871-1914 »,  « après 1914 »,  « 1925-1931 ».

     En ce qui concerne la première période intitulée « Imprégnation d’une culture »,  (1871-1914) coloniale bien sûr, je recommanderais aux chercheurs de lire l’excellent ouvrage d’Eugen Weber,  « La fin des terroirs », afin de prendre la mesure du fait que la France de la fin du siècle ressemblait encore dans un certain nombre de ses provinces au monde colonial, et que les concepts liés au « colonial » leur étaient complètement étrangers.

      Pour les lecteurs intéressés, je publierai dans les prochains mois ma lecture critique de cet ouvrage fort intéressant.

      La date de 1931, constitue à mes yeux une fausse fracture chronologique, de nature idéologique.

     III – Ecrire ? S’agit-il de l’écriture de l’histoire ou de celle de l’historiographie ?

      Première main ou deuxième main ? Historiographie des premiers « violons », les Delafosse, Hardy, Rousseau…, ou des musiciens amateurs, les « historiens » du terrain ?

      Dans l’introduction du livre « Les empires coloniaux », Pierre Singaravélou précise à juste titre, et dans le titre lui-même de quoi il s’agit :

     « Situations coloniales et formations impériales : approches historiographiques » (p,9) 

     La question est difficile, mais elle n’est pas sans intérêt, compte tenu du postulat posé par l’auteur, c’est-à-dire « Ecrire l’histoire… »

      Les sources citées : si l’on fait le compte des sources citées qui permettent de cerner le problème, 36 sources françaises ou étrangères ont été exploitées pour l’histoire de la colonisation française (dont 6 pour Hardy, et 5 pour Brunschwig), avec une seule source de terrain.

    En ce qui concerne l’histoire « indigène », 36 sources ont été exploitées, dont 18 du terrain colonial.

    En ce qui concerne les sources bibliographiques, 169 sources ont été exploitées, dont 127 françaises, 34, étrangères, et seulement 7 du terrain colonial.

    Est-ce que ce type de problématique et de pertinence historique ne justifierait pas des analyses au cas par cas, situation coloniale par situation coloniale, et avec une chronologie comparable, en partant d’un  récit de base, en le comparant à ce qu’en a retenu l’historiographie, et à celui produit par des historiens, notamment issus de l’ancien monde colonisé ?

      Trois exemples pourraient être proposés, si cette analyse n’a pas déjà été faite : sur le Niger, l’histoire comparée de Samory (années 1880-1900), entre celle d’Yves Person, celle des « historiens » du terrain, les officiers, celle des autres traditions que la tradition « dyula », par exemple bambara, et celle des historiens africains modernes.

       Au Tonkin, les récits comparés des historiens mémorialistes, souvent des amateurs, officiers de la conquête ou non, concernant la vie du Dé-Tham, grand rebelle devant l’Eternel, à la fin du dix-neuvième siècle, avec celle des historiens professionnels français, s’il y en a eu, et les historiens du Viet Nam.

      Comme je l’ai écrit après un voyage au Tonkin, mon épouse et moi avons eu la plus grande peine à se faire ouvrir un musée consacré au Dé-Tham, un musée qui paraissait abandonné.

     A Madagascar, la vision historique qu’avaient les premiers visiteurs, puis conquérants de ce pays, au moment de la conquête française  en 1895, avec celle que défendent les historiens malgaches d’aujourd’hui.

      IV – Une comparaison pertinente sur le plan historique, en termes de moyens ?

     Tout au long des pages, court en effet la question de savoir si la comparaison qui, en définitive, est faite ou proposée, ne souffre pas d’une carence d’évaluation des moyens consacrés à l’écriture de l’histoire, en fonction des situations respectives entre métropole et colonies, avec notamment, les effectifs d’historiens en compétition, pour autant que cette dernière existât.

      Au fil des lignes, on en retire évidemment la conclusion que l’histoire coloniale n’attirait pas beaucoup les universitaires français, une différence d’échelle qui expliquerait naturellement les jugements péjoratifs très souvent rapportés par l’auteure.

     Combien l’A.O.F, puisqu’il s’agit essentiellement d’elle dans l’ouvrage, comptait d’agrégés en 1920, en 1939, puis en 1945 ? Où allaient les meilleurs d’entre eux ? Combien de la rue d’Ulm ?

       Est-ce que par hasard, cette inégalité entre les moyens n’illustrait pas à sa façon le désintérêt de la métropole pour les mondes d’outre- mer, avec un bémol pour le Maghreb et l’Indochine ?

      Comment est-il possible de comparer de façon pertinente les produits de l’histoire coloniale auxquels l’auteure fait référence, entre ceux de la métropole et ceux des colonies, compte tenu tout à la fois des problèmes d’échelle, de moyens, et de situations historiques à la fois changeantes et souvent opposées,  selon leur chronologie et leur localisation.

     Pour résumer le propos, comment poser les mêmes exigences de méthode, pour autant qu’elles existèrent en France, entre la métropole et l’Afrique noire, celle que vise l’auteure, sans Etat, et sans argent ?

      Sans distinguer le monde écrit et le monde oral, la multiplicité des croyances (islam, animisme et fétichisme) et des langues et dialectes, les modes de vie, entre les zones côtières et l’hinterland, les grandes zones climatiques, etc… ?  (voir Richard-Molard)

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – Conclusion (p,281)

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

Conclusion (p,281)

             Ainsi que je l’ai indiqué dans la présentation de ces textes, le lecteur trouvera d’ici quelques jours mes conclusions générales, c’est-à-dire le résumé de toutes les questions capitales que pose l’ouvrage sur le plan méthodologique

            Arrivé au terme de ma lecture et de mon analyse, je vous avouerai que je n’ai pas toujours eu l’impression de suivre le raisonnement historique de l’auteure, balançant à mes yeux entre les deux pôles d’une histoire coloniale justement dénigrée et celui d’une histoire « légitime », celle qu’elle  qualifie de méthodique, et qui serait apparue, comme par hasard après la décolonisation, dans le courant des gauches françaises.

            Le contenu de la conclusion en est encore, et à mon avis, une bonne illustration.

            « Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque de l’impérialisme français ? Démêler ce qu’il y a de « vraiment coloniale » dans cette histoire-là ? Distinguer les impasses ou les réussites d’une historiographie naissante, ce qui relève du contexte de production et ce qui relève de l’échec épistémologique ? Ou, pour le dire à la manière d’un sociologue, se demander « en quoi un discours scientifique est dépendant des individus et des conditions dans lesquelles il a été élaboré et en quoi au contraire, en tant que science, il possède une épaisseur qui l’autonomise toujours par rapport à ses conditions de production » (dixit Thomas Brisson « Les intellectuels arabes en France »)?)

          Au terme de ce travail, un certain nombre de pistes se sont dégagées qui, espérons-le, permettent de répondre au moins partiellement à ces questions centrales. L’une de ces pistes a consisté dans l’étude des modalités selon lesquelles les historiens de l’époque coloniale ont été amenés à produire des connaissances sur le passé de l’Afrique et des Africains. Façonnée par des réseaux et des milieux spécifiques, articulée à des logiques de gestion de populations sur le terrain impérial, adossée à une vision consensuelle de la colonisation, l’historiographie de cette période a été dans le même mouvement bornée et aiguillonnée par ses conditions particulières de production. » (p,281)

         Comment ne pas souscrire entièrement aux observations de Thomas Brisson, mais à la condition de ne pas généraliser un discours historique détaché des situations coloniales et des moments coloniaux, très différents dans une Afrique hétérogène à tous points de vue ?

           De quoi et de qui parlons-nous, et de quelle histoire en particulier ? Celle des premiers témoignages d’explorateurs, d’officiers, d’administrateurs,  naturellement des amateurs, cette histoire du terrain, de la ou des découvertes, des affrontements militaires, celle qualifiée des « batailles », et en même temps de la consignation des descriptions géographiques, religieuses, culturelles, économiques, politiques, ou ethniques qu’ils consignaient souvent très « religieusement » sur leurs carnets de route ?

               Et non l’histoire coloniale des amateurs et des premiers professionnels qui tentèrent, une fois la colonisation à peu près dans ses meubles, c’est-à-dire après 1920, de généraliser la portée de ces témoignages en proposant  des constructions historiques qui, sous le prétexte qu’elles étaient instrumentalisées plus ou moins par les autorités coloniales, ce qui reste à démontrer, méritent tous les opprobres, tels que ceux énumérés à la page 282, en laissant croire que la critique postcoloniale fondée avant tout sur une historiographie, et non pas sur des sources de première main, postérieure à 1945, ne porterait pas non plus quelques lunettes anachroniques ou partisanes ?

            « C’est ce qui explique sans doute qu’au moment où la discipline historique dans son ensemble privilégiait le document écrit, l’événement et le « fait », certains producteurs d’histoire coloniale ont ressenti la nécessité d’innover en jonglant, même maladroitement, avec les sources orales, de s’interroger sur le religieux, croisant le questionnaire ethnographique ou juridique et l’’enquête historique, « bricolant » des méthodologies susceptibles de répondre aux questions qu’ils se posaient.

            On peut comparer les critiques essuyées par l’histoire coloniale et celles adressées à l’orientalisme. Une condamnation sans appel de ce dernier, au nom de ses accointances avec la domination  impériale, ou à l’inverse, une étude de son contenu scientifique sans prise en compte de cet environnement, ne permettent pas d’envisager l’ambiguïté intrinsèque d’un savoir produit en situation coloniale… « (p,282)

       Question : est-il possible de mettre sur le même plan orientalisme et histoire coloniale, dans le cas de l’Afrique noire ? Je ne le pense pas.

           Il est bien  dommage que l’auteure n’ait pas cité les chercheurs qu’elle visait ? Des chercheurs de première main ou des chercheurs qui ont nourri l’historiographie ?

          L’auteure fait ensuite la part des choses en notant :

« Il est en effet illusoire de penser que les décolonisations ont automatiquement conduit à une production scientifique lavée de ses impuretés coloniales et dégagée de toute considération « extrascientifique » – si tant est que cette expression ait un sens, dans la mesure où toute science incorpore son époque… «  (p,285)

          Mais alors l’histoire postcoloniale également ? Comme je le pense ?

       Tout discours de fausse simplification dans un domaine qui prétend à la scientificité suscite de la méfiance et le propos de Fanny Colonna est tout à fait pertinent :

       « Il n’est pas possible d’écrire une histoire «  toute nue », pas plus aujourd’hui que dans les années 1960, et pas plus alors qu’à la période coloniale. Comme le dit ironiquement Fanny Colonna à propos de la situation des sciences sociales après les indépendances :

       « Il n’y a pas de position sans intérêt, donc pas de science pure – en particulier il n’y a pas une science absoute de péché après la décolonisation, ou sous certaines réserves de rapport à l’objet (idéologique ou pratique), et ceci vaut aussi bien pour les chercheurs nationaux que pour les autres. En particulier il n’y a pas une reconquête de la connaissance de soi par la société libérée : il y a encore des groupes qui ont intérêt à certaines vérités et à pas d’autres. » (p,286)

           Pour choisir un bon exemple de cette science « pure », « toute nue », « absoute sans péché », des adjectifs qui fleurent bon les religions, comment ne pas se poser la question de la scientificité d’ouvrages tels que « Culture coloniale », ou « Culture impériale », ou encore de « République coloniale », rédigée par des auteurs qui n’ont pas fondé leur thèse sur une évaluation scientifique des vecteurs de culture cités et de leurs effets, en particulier de la presse nationale et locale des époques coloniales examinées ?

               Où se trouvaient donc les « intérêts » ?

            Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

L’enseignement de l’histoire coloniale en métropole et en Afrique : la pertinence historique des exemples cités par Sophie Dulucq dans son livre « Ecrire l’histoire coloniale de l’Afrique à l’époque coloniale »

            L’auteure aborde ce sujet au moins à deux reprises en examinant rapidement le cas de la métropole, et plus longuement celui de l’A.O.F

            Dans le premier cas, celui de la métropole, et sans citer le livre d’histoire Lavisse auquel l’historienne Coquery-Vidrovitch a fait un sort, de même, et plus largement encore, le collectif de chercheurs Blanchard, mais non démontré, comme je l’ai moi-même démontré dans mon livre « Supercherie coloniale », l’auteure s’inscrit dans le courant des chercheurs qui accréditent l’idée, et non le fait mesuré, que la France était sous l’influence de la propagande coloniale :

            « Si les années 1930 sont bel et bien celles de l’apogée d’une propagande tous azimuts pour la Plus grande France et celles de l’épanouissement d’une culture « impériale… » (page 209,210, note de source Blanchard et Lemaire)

            Elle note plus loin, mais de façon plus nuancée :

 « Une fois encore se pose la question délicate, en histoire de l’éducation, du décalage entre les instructions officielles, le contenu des manuels, les pratiques des enseignants et la réception des enseignements par les élèves. L’exposition continue des jeunes enfants aux images positives de la colonisation, via l’école et la propagande extrascolaire, peut expliquer en partie le consensus des années 1920-1930 autour de l’idée impériale » (p,223) (Note de renvoi Bancel)

           Pourquoi ne pas rassurer l’auteure, car le nombre de pages consacrées à « la Plus grande France » était très limité dans les petits livres d’histoire de Monsieur Lavisse ?

        Histoire de France Lavisse Cours Elémentaire 1930 10 et 9° : 182 pages, 24 chapitres, et dans le chapitre 22 « Les conquêtes de la France », 7 pages de la page 162 à 169

       Histoire de France Lavisse Cours Supérieur 1937, 408 pages, et dans le livre VI « L’époque contemporaine », une page et demie, pages 371 et 372

        Histoire de France Lavisse Cours moyen 2ème année (7°) certificat d’études, 1935, 343 pages, 35 chapitres, Chapitre XXXIII La Troisième République, page 318, page 319, deux photos, temple d’Angkor et campement de nomades dans le sud algérien, page 320 avec une carte de l’empire, plus 5 lignes à la page 321.

        Un test qu’il s’agirait naturellement d’effectuer de façon exhaustive.

      Quant à l’exposition continue des enfants aux images coloniales, il est possible d’en douter, alors que la France sortait à peine de la boucherie de la première guerre mondiale, et que toutes les familles du pays comptaient leurs morts ou blessés.

       Dans le cas de l’Afrique, l’auteure propose une analyse plus détaillée, mais qui concerne avant tout l’A.O.F :

     « Enseigner l’histoire dans les écoles africaines » (p,193)

      L’auteure relève: « C’est un aspect encore peu étudié par les historiens, qui mériterait des recherches plus approfondies. » (p,193)

    « Nos ancêtres les Africains » (p,193) (le lecteur aura sans doute été rassuré de ne pas trouver le cliché éculé de « nos ancêtres les Gaulois »)

     Sont alors décrits les efforts de l’administration coloniale pour développer l’enseignement de l’histoire, dès l’année 1903.

     « Il s’agit donc moins de familiariser les élèves avec l’histoire de France qu’avec l’histoire de la présence française en Afrique. Dès le rapport de Camille Guy en 1903, une idée est martelée par les pédagogues coloniaux : l’histoire de France n’est à envisager que du point de vue des « relations avec les différents pays de l’Afrique de l’Ouest », afin  de faire aimer la métropole et les Français et de faire comprendre les motivations des colonisateurs ».

    L’enseignement de l’histoire en 1903 dans une AOF créée de toute pièce huit ans plus tôt , non pacifiée ? Imaginez un peu ?

   Comment ne pas faire un petit rapprochement avec le travail des instituteurs de la Troisième République, et de leurs livres, dont l’ambition et aussi la réussite furent celles d’avoir aidé à la construction d’une nation qui n’existait pas encore à la fin du dix-neuvième siècle ?

     Plus loin, l’auteure évoque la publication « Le Tour de l’A.O.F par deux enfants », une initiative qui  ressemble étrangement à celle de Bruno avec son Tour de la France par deux enfants, deux initiatives parallèles qui connurent le succès.

     Cela dit, et quelques soient les interprétations historiques données à la scolarisation, il est évident que les effectifs des enfants scolarisés étaient faibles, qu’ils ne concernaient le plus souvent que les cités de la côte ou des chefs- lieux de l’hinterland, étant donné que la France, comme l’Angleterre, avaient décidé que le développement des colonies, et donc de l’A.O.F, et donc aussi de l’enseignement, devait être financé par les colonies elles-mêmes.

       Les choses changèrent complètement après 1945, avec la création du FIDES, mais en 1950, les taux de scolarisation étaient encore faibles : en Afrique occidentale, et pour une population scolarisable de 20% de la population, soit 3 millions d’enfants, 138 000 d’entre eux étaient scolarisés, soit 4,6%, dont 1,15% au titre de l’enseignement privé.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – 4

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

4

L’histoire coloniale en ses œuvres (p,119)
(c.1890 – c. 1930)

Question préalable :

« L’histoire coloniale en ses œuvres » ?

Ou plus rigoureusement l’historiographie coloniale en ses œuvres ?

« Aborder de l’extérieur cet objet culturel particulier qu’a été l’histoire coloniale , de façon en quelque sorte indépendante des contenus véhiculés, est une piste qui permet d’envisager cette historiographie à la fois comme production savante et comme construction politique et sociale ; bref, comme un champ scientifique structuré par un contexte particulier, par des enjeux internes et externes, par des ambitions  et des stratégies.

Mais il faut maintenant se pencher sur son contenu hétérogène … (p119)

Les premières études sont généralement le fait de non-historiens…

Dans ces conditions, le regard porté sur le passé ne peut qu’être influencé en profondeur par la situation coloniale. La subordination des peuples étudiés, les nouvelles finalités assignées à l’histoire de ces régions par la demande sociale, la position même de ceux qui se penchent sur le passé, déterminent profondément l’écriture historique…

Enfin, cette historiographie revêt-elle effectivement la dimension pratique qu’elle revendique au point de pouvoir être considéré comme un savoir appliqué, comme une véritable science coloniale. » (p,121)

Questions à l’auteure : «  histoire coloniale » ou « historiographie », comme je l’ai souligné ?

N’en aurait-il pas été de même, toutes proportions gardées, et leur écart était considérable à tous points de vue, des historiens de la Troisième République, ou plus récemment de ceux, marxistes, de la Quatrième République ?

« L’Afrique subsaharienne comme nouvel espace historique (p,121)

Deux pôles de curiosité : histoire de la geste coloniale et histoire « indigène »

Il s’agit donc bien de la « subsaharienne », mais avant tout de l’Afrique Française Occidentale.

Il s’agit bien aussi, et effectivement, d’un « nouvel espace historique » à défricher complètement, bien différent des espaces historiques très fréquentés par la classe noble des historiens de France ou d’Europe, de l’Antiquité au Moyen Âge, aux monarchies, et aux Républiques, pour ne pas parler des guerres.

L’auteure note justement :

« On ne saurait voir dans l’histoire coloniale qu’une historiographie triomphaliste glorifiant la seule civilisation européenne : il s’agit d’une production souvent hybride qui a contribué à sa manière à historiciser l’Afrique, à accumuler des connaissances positives, tout en forgeant des instruments de travail.

Comme le souligne Raymond Mauny en 1970 :

« Toute une lignée d’historiens…. N’ont pas attendu en effet l’ère des indépendances pour étudier l’histoire des Africains pour eux-mêmes et non en fonction de l’extérieur. » (p,123)

Je recommanderais volontiers aux chercheurs qui en doutent de fréquenter toute la littérature publiée, entre autres par de nombreux officiers et administrateurs, leurs carnets de route, leurs livres, pour s’en rendre compte, les Mage, Gallieni, Péroz, Binger, Baratier, Emily, Lyautey, le médecin de marine    Hocquard,  en Indochine, au Tonkin, ou à Madagascar …

L’auteure note toutefois :

« Bien sûr, l’existence d’une histoire africaine digne de ce nom est reconnue ici de façon alambiquée, condescendante et en grande partie sous forme négative (p,126) »

« Histoire « coloniale », « histoire indigène » : de la difficulté des classifications » (p,128)

« Tracer une stricte ligne de partage entre les écrits relevant de l’histoire de la colonisation et des textes relevant de l’histoire « indigène » s’avère souvent impossible. » (p,128)

« … Et l’on peut multiplier les exemples de ces travaux d’histoire « coloniale » qui par la tangente, abordent aussi des questions d’histoire « indigène »

« … A l’inverse, un ouvrage comme Haut Sénégal-Niger, qui est le parangon de l’histoire « indigène » du début du siècle, se termine par la conquête et l’organisation de l’AOF et intègre des problématiques d’histoire de la colonisation, faisant de la colonisation française une « fin de l’histoire » pour les sociétés ouest-africaines. » (p,129) (un livre de Delafosse)

« Entre logique scientifique et logique coloniale

« Une histoire au service de l’impérialisme national

« Un bon exemple de la constante interaction entre ces différents champs est fourni par l’introduction du livre de Charles Monteil, Les empires du Mali « (1929) (p,131)

«  Un des paradoxes de l’histoire coloniale est justement, on l’a évoqué, de se revendiquer une utilité politique au moment même où ses promoteurs travaillent à l’institutionnaliser et à conquérir les cercles universitaires. »  (p,132)

« Guidés par une foi solide dans l’œuvre coloniale et persuadés de contribuer à la grandeur nationale, les historiens spécialistes de l’Afrique ont bien sûr écrit une histoire imprégnée des valeurs de leur temps. » (p,135)

Question : n’en n’y-a-t-il pas toujours été un peu ainsi, même dans la période moderne où l’histoire pourrait beaucoup plus facilement se détacher des « valeurs de son temps » ?

A la condition de s’entendre sur les « valeurs » de la France du vingt-unième siècle ? Quelles sont- elles pour le courant des historiens nourri par la « matrice » algérienne ?

Anachronisme, ethnocentrisme involontaire ou volontaire et inversé, nombrilisme,  absence d’évaluation des faits et des effets, servilités idéologiques, toutes maladies qui n’épargnent pas certaines histoires du passé ou du jour

« Grilles de lecture, découpages, mises en intrigue (p,135)

« L’invention du passé de l’Afrique s’est faite à travers les grilles de lecture construites selon les préjugés politico-culturels de l’époque

Ce déterminisme historico-climatique, lointain rejeton de la théorie des climats de Montesquieu, est un écho indirect des conceptions de l’école de géographie coloniale fondées au XIX° siècle dans le sillage de Marcel Dubois . (p,137)

« … Confrontés à des sources qui révèlent de puissantes dynamiques passées ( conquêtes, émergence d’Etats, vitalité culturelle, etc.), beaucoup d’historiens vont essayer de concilier leur vison déterministe, statique et racialisante du passé africain avec la volonté de rendre compte des vastes mouvements de l’Histoire » (p,138)

Question : du déterminisme géographique ? Sûrement.

Le géographe Richard-Molard avait-il tort en parlant de l’ hyper continentalité de l’Afrique, avant l’arrivée des colonisateurs, du facteur clé des climats extrêmes, de la nature des terres, de la grande diversité des peuples et les dialectes qui y existaient, etc… ?

D’après l’auteure, l’époque actuelle pourrait être indemne de « préjugés politico-culturels » ?

« Un autre biais bien identifiable de l’histoire de la période coloniale réside en effet dans l’ethnocentrisme récurrent des analyses, qui fait chausser aux historiens des lunettes européennes pour examiner le passé africain. » (p,139)

« … Les œillères ethnocentriques rendant parfois difficiles la réflexion sur un certain nombre de phénomènes historiques tels que la modernisation précoloniale de l’Imerna. Incapables d’en rendre compte de façon satisfaisante, des auteurs, comme Martineau et Grandidier affirment, contre toute vraisemblance, que l’histoire malgache a commencé avec les Européens, que les Merina ne pourront être intégrés au devenir historique que du jour où il seront pleinement assimilés à la civilisation européenne. «  (p,141)

Question : « œillères ethnocentriques » ? Est-ce si sûr dans le cas de Madagascar, en 1895 ?

Aucune route ! Un seul moyen de transport, l’homme (filanzana et bourjanes), la cour royale qui communiquait avec ses gouverneurs provinciaux au moyen de coureurs à pied, les tsimandroa ? etc, etc…

Avec un saut dans l’histoire postcoloniale, celle des idées ou des faits interprétés, une sorte d’ethnocentrisme inversé, comme je l’ai observé dans mes analyses approfondie des livres du grand historien des idées que fut Edward Said ? Un biais très difficile à éviter !

Pour ne pas parler des chercheurs qui veulent à tout prix, et par humanitarisme ou idéologie, proposer une lecture postcoloniale de cette période, sans trop se préoccuper de leur pertinence scientifique.

« Une autre structure latente des récits historiques de la période consiste à lire l’histoire africaine, comme une construction (évidemment imparfaite et inaboutie) de l’Etat et de la nation. » (p,141)

Ai-je jamais rencontré ce thème de l’Etat nation dans tous les récits que j’ai lus ou annotés?  Jusqu’à la décolonisation ? Alors que les anciennes colonies devenues des Etats nations ne ressemblaient aucunement à ce qu’on appelle des Etats nations.

Pour autant du reste que la monarchie anglaise ait pu être regardée comme un Etat nation, ou l’Allemagne des Kaysers, puis des nazis.

La « construction » dénoncée n’est-elle pas le fait de l’histoire postcoloniale ? Les travaux de Frederick Cooper soulèvent ce type de difficulté.

Les soi-disant Etats Nations sont issus des Etats coloniaux et leur reconnaissance internationale portait sur leur nouvelle nationalité commune reconnue, et pas du tout sur celle de leur état de nation.

« Une lecture orientée : la Vue générale de l’histoire de l’Afrique de Geoges Hardy (p,142)

L’ouvrage de Georges Hardy déjà évoqué à plusieurs reprises fournit un bon exemple de lecture « coloniale » du passé et mérite qu’on s’y attarde un instant….

On le constate, la Vue Générale contient tous les ingrédients propres à l’histoire écrite à cette époque. En même temps, elle ne peut pas être réduite à un simple catalogue de notions dépassées. Avec ce petit manuel, Hardy renforce sans aucun doute le sentiment communément partagé de la supériorité européenne ; mais il combat aussi un certain nombre d’idées reçues ( l’a-historicité, l’anarchie, les « rois nègres ») et met à la disposition du public cultivé des éléments de connaissance qui sont ceux de son époque….Là, comme en d’autres domaines, l’histoire de l’Afrique rédigée à la période coloniale nage en pleine ambiguïté. » (p,145)

Questions : lecture « coloniale », comparée à d’autres lectures beaucoup mieux outillées, les lectures « antiques », « monarchiques », « républicaines », « marxistes », « humanitaristes » ? Il me semble que l’histoire a toujours eu beaucoup de peine à échapper à « l’ambiguïté », mot que j’ai souligné.
            Ajoutons qu’il aurait été particulièrement intéressant de connaître et de pouvoir évaluer  ce « public cultivé ».

« Imagination et  fantasmagories (p,145)

La phrase de la fin de ce paragraphe parait un peu réductrice, sinon péjorative :

« On le voit, les historiens coloniaux n’ont pas été en peine d’imagination quand il s’est agi d’interpréter le passé ou de pallier les insuffisances de documentation. »

Question :  en plein désert ou en pleine brousse ?

« L’histoire comme science coloniale ? (p,149)

Avant tout commentaire, j’ai envie de dire est-ce que l’histoire est une science, laquelle ferait toujours preuve  de pertinence scientifique ? Non !

Une histoire instrumentale

« … Après la conquête de Madagascar et l’effondrement de l’appareil d’Etat merina, les colonisateurs et les scientifiques s’intéressent de près au passé malgache ? D’importants travaux de recherche et de publication sont lancés et les progrès dans la connaissance des populations et de leur histoire trouvent des applications dans les pratiques administratives…. La volonté d’inscrire la colonisation dans le passé « traditionnel» est manifeste »

Question : est-ce que la formulation même de cette opinion ne traduit pas une lecture anachronique ? Un « appareil d’Etat  merina », c’est beaucoup dire, mis à part le cas des plateaux. « d’importants travaux de recherche et de publication », c’est beaucoup dire aussi en comparaison de ceux qui étaient lancés en métropole.

« … les récits de l’épopée coloniale sont révélateurs d’une forme presque inconsciente d’instrumentalisation du passé….L’articulation entre pensée historique et politique se fait aussi à un autre niveau. Un va-et-vient existe entre la mise en récit des historiens, certaines théories coloniales et certaines pratiques de terrain…. » (p,151)

Question : de quelle période parlons-nous et de quels historiens alors que carnets de route ou livres publiés sur la première période de 1880 à 1914, n’étaient pas le fait d’historiens professionnels ? Et pourtant, les Gallieni, Lyautey, Péroz, Binger, Baratier ou Emily faisaient aussi de l’histoire !

« Un miroir des connaissances scientifiques (p,152)

Comme l’a montré Pierre Bourdieu, tout champ scientifique « enferme de l’impensable, c’est-à-dire des choses qu’on ne discute même pas. (…) autrement dit, le plus caché par un champ, c’est ce sur quoi tout le monde est d’accord, tellement qu’on n’en parle même pas, quelque chose qui est hors de question, qui va de soi. Dans ces conditions, on peut comprendre non seulement les conditions sociales de l’erreur – qui est nécessaire en tant qu’elle est le produit de conditions historiques, mais aussi appréhender en creux ce qui, compte tenu de l’appareillage conceptuel du temps, est littéralement impensable.

Or les historiens coloniaux sont enserrés dans tout un système de connaissances du monde auquel ne peut échapper l’histoire qu’ils écrivent. La certitude longuement partagée qu’il existe des races humaines aux aptitudes inégales, la croyance en une évolution linéaire des sociétés humaines, l’explication des faits de civilisation par le milieu et /ou le climat, la conception méthodique des rapports de l’historien au passé, tout cet ensemble conceptuel, étayé par le consensus scientifique, fabrique à la fois de de l’impensable et de l’impensé.

Dans le domaine de l’historiographie, l’histoire méthodique, qui s’est imposée depuis la fin du XIX° siècle à l’Université et à l’école, présente des caractères généraux qui rejaillissent également sur l’historiographie d’outre-mer… Née dans l’humiliation de 1870, l’histoire méthodique assume également une dimension nettement nationaliste, encore amplifiée avec la guerre de 1914-1918. Dans ces conditions, on ne peut guère s’étonner du caractère nationaliste, voire cocardier, qui prévaut dans toute l’histoire de la colonisation. Enfin, sur le plan méthodologique, l’histoire de Langlois et de Seignebos, dont les promoteurs prétendent qu’elle vise essentiellement à établir des « faits » est grande consommatrice de documents écrits, d’archives bien classées, de bibliographies, de chronologies et d’éditions savantes. On privilégie l’histoire militaire, politique et institutionnelle, cette histoire événementielle qui sera tant décriée par la première génération des Annales. (p,153)

Commentaire : Une réflexion de Bourdieu appliquée au domaine historique en question ?

L’auteure compare-t-elle des objets comparables ? A des époques comparables ?

L’historien Brunschwig fait- il partie de la cohorte cocardière de « toute l’histoire de la colonisation » ?

Plus loin l’auteure remarque justement :

« La lenteur dans l’acquisition des connaissances sur l’ensemble du continent est sans doute pour beaucoup dans la vision cloisonnée de l’histoire et de la géographie africaine, que les grandes synthèses n’arrivent pas véritablement à dépasser. » (p,155)

J’ajouterais volontiers une « vision » tout à fait décalée, compte tenu de l’écart gigantesque qui existait alors entre les moyens disponibles dans chacune des situations coloniales, avec leur propre chronologie, selon les époques, et ceux de la métropole.

Plus une vision effectivement cloisonnée, compte tenu tout à la fois des contraintes climatiques, géographiques, culturelles, et ethniques.

Pourquoi ne pas poser une des questions qui me brûle les lèvres depuis le début de cette analyse ? Combien d’historiens professionnels agrégés dans cette discipline historique, combien de chaires d’université ? Quelle était la catégorie d’histoire qui intéressait les meilleurs ?

Alors, oui, et en résultat

« Du savoir malgré tout

«  Au bout du compte, si l’histoire coloniale est un savoir hybride et ambigu, c’est parce qu’elle s’articule sur deux champs : le champ de l’action coloniale et le champ de la connaissance scientifique » (p,156)

L’auteure fait référence à une analyse de François Pouillon qui concerne le sud tunisien, mais est-ce que ce champ historique est comparable aux champs des autres Afriques ?

L’auteure note : « Les biais en sont décelables, récurrents, parfois fastidieux tant les procédés en sont répétitifs. Elle doit être examinée non seulement dans le cadre du projet colonial et de ses logiques, mais également replacée dans le contexte scientifique de l’époque et resituée dans le consensus national autour de la mission colonisatrice de la France. 

Cela dit, l’histoire « indigène » et l’histoire de la colonisation n’offrent pas de discours homogène et univoque sur le passé africain, la première adoptant un point de vue afro-centré de façon très précoce. Il y a plus qu’une nuance entre les articles érudits de tel ou tel spécialiste rigoureux et les élucubrations babylomaniaques de quelques visionnaires. Pour autant, il est clair que la volonté de connaitre a été étroitement liée à la volonté d’administrer, selon la dialectique savoir/pouvoir chère à Foucault. Et c’est justement parce qu’il y a du savoir dans ce pouvoir que l’on se trouve dépourvu face à cette historiographie »  (p,159, 160)

Pourquoi ne pas faire part d’une impression de discussion sur le sexe des anges de l’histoire ? Comme si les « histoires » n’avaient pas été le plus souvent conditionnées par les contextes historiques de savoir et de pouvoir, églises, monarchies, empires, républiques, et ce, jusqu’à nos jours avec certains courants de l’histoire postcoloniale qui tentent de peser sur l’exercice des pouvoirs de notre République, en jouant avec les médias ou l’opinion ?

L’histoire postcoloniale échapperait de nos jours aux intellectuels issus de la « matrice » algérienne ou maghrébine, au rôle des associations d’origine immigrée, ou tout simplement au marché, celui des éditeurs notamment ?

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq 3

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

3

Sources et objet de l’histoire coloniale de l’Afrique

Usage empirique et pratiques raisonnées (p,85 à 118)

(c.1890 – c.1930)

Avant toute analyse ou tout commentaire, j’ai envie de poser la question : est-ce que dans ce type de débat, le chercheur compare des choses comparables, en termes de sources, de chronologie, et de pertinence scientifique ?

Dans notre pays, les chercheurs ont mis beaucoup de temps à accepter des méthodes de recherche, d’analyse, et surtout d’interprétation, qui donnent un cachet d’objectivité à leur travail, pour autant qu’il soit d’ailleurs possible d’atteindre un tel résultat.

A notre époque, en disposant de moyens de recherche et d’analyse sans commune mesure avec ce qui existait dans l’Afrique de la fin du dix-neuvième siècle, et encore dans celle de la première moitié, pour ne parler que de l’Afrique noire française, certaines des théories historiques postcoloniales développées, entre autres par tel ou tel collectif de chercheurs,  manquent de pertinence scientifique, faute d’évaluation des résultats des recherches.

A lire ce type de récit, la question se pose de savoir s’il s’agit d’histoire des idées ou des faits, car dans l’histoire des idées, en dehors d’une mesure possible de l’effet des idées, la voie est ouverte à toutes les imaginations et constructions possibles.

Revenons à présent sur le chapitre 3 :

La bonne question de départ :

« Une question cruciale conditionne la possibilité d’écrire l’histoire coloniale : celle de la collecte documentaire. Celle-ci prend d’ailleurs une  dimension toute particulière en Afrique subsaharienne, réputée sans écriture. La récolte des sources, leur inventaire, leur conservation mobilisent donc les historiens et les administrateurs, dans un effort conjoint pour préserver les traces du passé. Mais au-delà de l’intérêt intrinsèque du phénomène de la quête documentaire, le discours sur les sources traduit aussi les prises de position de la communauté historienne sur les objets qu’elle construit. » (p,85)

Questions : l’objet de cette étude concerne-t-il uniquement l’Afrique noire française subsaharienne, « réputée sans écriture », sans distinguer entre le Sahel et la forêt, entre l’Afrique « musulmane » et l’Afrique « animiste » ?

Avant les années 1920, est-il possible de parler de « communauté historienne » en AOF ? Et peut-être même après ?

« L’organisation des archives de la colonisation »

« Le classement des archives coloniales métropolitaines : la grande affaire des années 1910 » (p,86)

Je précise tout d’abord, au Ministère des Colonies, de création récente, disposant de peu de moyens, et n’attirant pas spécialement les hommes politiques les mieux placés.

Il est évident que cette ambition avait un double but, un usage concret pour l’administration coloniale, en même temps que la conservation et l’exaltation de la mémoire de l’empire.

Le paragraphe de la page 90 l’illustre bien :

« Il parait donc un peu réducteur de considérer le classement des archives coloniales comme une opération purement utilitariste et colonialiste, et d’affirmer que les considérations diplomatiques ou politiques ont été prépondérantes dans cette opération. S’il en était ainsi, le classement des années 1910 interviendrait bien tard par rapport au grand moment du dépeçage du continent par les Européens – dans les années 1890 plutôt que dans les années 1910. Ensuite, si la dimension instrumentale des archives est indéniable – on sait bien qu’elles n’ont pas été classées principalement pour l’historien -, elle n’est pas univoque ; le mouvement archivistique de l’Etat moderne répond autant aux besoins réels des administrations qu’à l’émergence d’une certaine conception du passé et du patrimoine national. » (p,90)

Un seul commentaire qui pourrait servir de leitmotiv de ma lecture, le constat que fait l’auteure « Il parait donc un peu réducteur… » à l’adresse des chercheurs qui tiennent le discours en question, un discours qui se déroule dans un éther historique, qui n’était évidemment pas celui de l’Afrique occidentale, longtemps après les années de la conquête.

Comment ne pas remarquer d’ailleurs qu’ils devraient être bien contents que la puissance « colonialiste » ait mis à leur disposition ces outils de recherche, alors qu’il n’existait rien de ce genre à l’époque, et en espérant qu’après la décolonisation, le même effort ait été poursuivi ?

« Sauvegarder et classer les archives dans les colonies » (p,90)

Quoi et où ? A Dakar, où la bureaucratie commence à être puissante, trop puissante ? Ou dans la brousse, dans la savane ou dans la forêt ?

« A tous les changements d’administrateur, chaque dépôt doit être scrupuleusement repris et enrichi, tandis que de nouvelles règles d’archivage instituent une uniformité du classement d’un territoire à l’autre, malgré une complexité certaine (20 séries générales). » (p,93)

A lire ce genre de texte, on oublierait presque qu’il n’y avait que 120 cercles dans une Afrique occidentale immense, à peine créés, que leurs titulaires changeaient souvent, et que la conservation des archives devait être le cadet de leurs soucis, alors que leur mission essentielle était de mettre en place les premières infrastructures de la nouvelle administration.

Pour avoir eu l’occasion de voir comment l’administration coloniale fonctionnait au Togo, territoire plutôt gâté, je n’en ai pas retenu le souvenir que la conservation des archives l’ait beaucoup préoccupée, dans les années 1950, et non dans les années 1890-1930.

C’est la raison pour laquelle, il parait surprenant qu’il soit possible d’écrire :

« L’A.O.F entre donc dans l’ère de l’archive sur des bases comparables à celles de la métropole » ? Dans les chefs-lieux peut-être, mais ailleurs ?

« Quelles archives pour quelle histoire ? » (p95)

« C’est une vision particulière de l’histoire  – celle de l’administration coloniale comme celle des archivistes ou des historiens – qui se révèle à travers la valorisation de certaines archives » (p,95)

Un constat qui parait tellement évident, mais combien d’informations utiles figurent dans des comptes rendus d’opération, de pacification, ou d’administration de terrain ?

« On ne s’étonnera donc pas de voir les historiens ou les archivistes coloniaux se délecter de la sauvegarde de documents relevant de ces domaines exclusifs », c’est-à-dire, le politique et le militaire.

J’ai souligné le terme se délecter, car il détone un peu dans ce type d’analyse : des archives à ce point « délectables » ?

 « Cet intérêt pour les sources écrites locales n’est pas totalement nouveau ; il est à replacer dans la lignée de l’érudition orientaliste, et plus particulièrement arabisante… » (p,97)

Effectivement, mais en notant que ces sources n’existaient que dans les pays d’écriture, avec la restriction du nombre très restreint de lettrés qu’elles concernaient, mais absolument pas dans les régions de tradition orale, au sein desquelles les sources étaient entre les mains des griots, et donc à la gloire de… pour simplifier.

L’auteure cite le cas des archives d’Ahmadou, mais il convient de préciser qu’il s’agissait d’un des Almamy musulmans qui ont régné successivement sur le Niger.

Il serait tout à fait intéressant de savoir comment le sultan Ahmadou rendait compte de la bataille très sanguinaire de Toghou, en 1865, en comparant son compte-rendu à celui de Mage qui y fut plus qu’un témoin, un bon exemple de cette histoire des batailles, la catégorie de l’histoire dans laquelle certains chercheurs voudraient enfermer l’histoire coloniale des débuts de la colonisation.

L’auteure note par ailleurs :

« Cette distance calculée reflète bien une posture ambivalente assez commune : une curiosité avide pour les sources écrites africaines et, dans le même temps, une utilisation européocentrée – on pourrait presque parler de narcissisme documentaire – et généralement des interprétations dépréciatives. On retrouve cet intérêt condescendant au détour de maints textes, comme dans le compte-rendu de la publication d’une source africaine par Henri Labouret en 1929. » (p,100)

A titre d’exemple, pourquoi ne pas rappeler 1) que Gallieni qui fut un des premiers partenaires et adversaires d’Ahmadou débarqua en Afrique sans rien connaître de ce continent, à l’exemple de ses collègues officiers. Le récit rigoureux de ses « aventures » vaut sans doute largement certains discours historiques de spécialistes.

2) que les récits faits par Eugène Mage sur les guerres que faisait alors Ahmadou, vrais ou faux, ne plaidaient pas vraiment pour un souverain éclairé et modéré.

«  La quête des traditions orales (p, 101)

Comment ne pas noter au départ que la problématique de la tradition orale concernait à la fin du dix-neuvième siècle, et longtemps plus tard une grande partie de l’Afrique noire ? C’est dire la difficulté du sujet.

L’historien Person, ancien administrateur colonial, a réalisé une véritable somme de plus de deux mille pages sur Samory et son empire dyula, en exploitant au maximum les traditions orales existant encore dans le bassin du Niger (enquête effectuée dans les années 1950-1960), mais après avoir lu cette somme, en avoir comparé certains passages à d’autres sources, je ne suis pas convaincu que ce type de travail historique ne se soit toujours inscrit dans les prescriptions d’une histoire méthodique étrangère à toute idéologie ou parti pris.

L’auteure note par exemple :

«  Dans le cas des grands empires d’Afrique occidentale et centrale, qui n’ont guère laissé de traces écrites , « cette absence d’archives ne signifie pas, cependant, que nous nous trouvions là en présence de siècles vides ou  de civilisations tout à fait inférieures ; on peut agir intensément sans écrire beaucoup, et les grandes époques ne sont pas nécessairement celles où l’intelligence, au sens ordinaire, que nous donnons à ce mot, s’épanouit plus largement. Il existe ainsi des annales, mais qui « sont ou étaient héréditairement et exclusivement dans la tête des annalistes. Prêtres, griots, femmes », dépositaires de l’histoire locale, sont des «  historiologues de métier et non point des conteurs de légendes à la façon de nos grand-mères » (p,102)

Les citations soulignées sont de la plume de Georges Hardy, un des historiens coloniaux souvent contesté.

L’auteure évoque ensuite le cas des localisations archéologiques :

«  Certains ont également tendance à appeler à la rescousse les « traditions » afin de corroborer une localisation archéologique floue, d’étayer une interprétation un peu fragile. » (page 106)

Avec l’exemple de l’emplacement de Mali, ancienne capitale de l’empire mandingue.

Autre explication :

« Il est intéressant de constater que les sources orales sont ici réintégrées dans une vision nationaliste de l’histoire, conforme aux grandes orientations de l’historiographie méthodique du début du siècle, avec ses griots vus comme les gardiens d’une histoire/mémoire « nationale ».(p107)

Question : est-ce que des historiens ont pu confronter par exemple les traditions rapportées par les griots connus de Samory avec celles des Royaumes Bambaras qu’il combattit ?

L’auteure note à juste titre qu’une réflexion critique a existé assez tôt sur la fiabilité des sources orales, et qu’elle n’a pas attendu la période des indépendances.

« Selon Hardy, ce sont des biais autrement gênants qui fragilisent l’usage des sources orales. D’abord l’accès aux traditions vraiment authentiques reste limité, car elles sont gardées secrètes, par méfiance ou pour préserver le statut social de ses détenteurs ; l’Européen n’a parfois affaire qu’à des versions mensongères dans leur déformation sous l’influence de la culture occidentale, via les jeunes générations formées à la française. » (p109)

J’ajouterai volontiers que l’ignorance par la plupart des européens des langues ou dialectes alors pratiqués, très nombreux, faisait peser un soupçon de plus sur la fiabilité des « truchements » de toute origine et de toute nature auxquels ils faisaient appel.

« On le voit, une réflexion critique s’ébauche dès les années 1920 et porte sur des aspects aussi subtils que la fragilité de la notion de « tradition », ( la projection du présent sur le passé), l’importance de la position de certains dépositaires (courants concurrents), l’analyse des déformations subies du fait de l’occidentalisation et de la mise par écrit. Elle identifie également très tôt les biais introduits par l’’enquête (Questionnaire orienté, position hiérarchique de l’enquêteur…) ainsi que les chausse-trappes qui guettent  l’interprétation (ethnocentrisme, anachronisme) » (p112)

Est-on vraiment sûr qu’à l’heure actuelle, et dans l’histoire postcoloniale, le travail des historiens ne souffre pas également, alors que les échelles de moyens n’ont rien à voir avec celles de ce passé colonial, tout à la fois d’anachronisme, d’ethnocentrisme inversé, ou d’insuffisance des contrôles exigés par la pertinence scientifique des travaux effectués ?

L’auteure pose la question :

«  Et au fond les historiens n’ont pas véritablement été capables de se mettre d’accord sur un point central : la définition de ce qu’était ou de ce que devait être une authentique «  histoire coloniale. » (p,115)

Je vous avouerai que ce type de débat me dépasse un peu, car à mes yeux, il ne se situe pas complètement sur le terrain des situations coloniales de cette Afrique à peine découverte, à peine administrée, laquelle avait bien d’autres chats à fouetter que de se préoccuper de ses archives qu’elle avait déjà beaucoup de mal à sauvegarder.

Pourquoi ne pas rappeler que dans un contexte moderne, celui des administrations préfectorales des années 1980-1990, les archivistes de métier avaient bien du mal à définir les papiers qu’ils souhaitaient pouvoir conserver, – ce qui était important ou ce qui ne l’était pas – et que les administrations de l’époque avaient de leur côté bien du mal à stocker leurs papiers ? Il est vrai que le volume du papier n’était pas tout à fait le même.

Pourquoi ne pas vous transporter par exemple dans le Dakar de la fin du dix-neuvième siècle, nouvelle capitale d’une AOF créée de toute pièce en 1895, et dans la forêt de Côte d’Ivoire, une région de tradition orale, dans les années 1910-1914, en pleine pacification violente, pour vous poser ce type de question ? 

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq- 2 – « Les voies étroites de la légitimité savante »

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

2

Les voies étroites de la légitimité savante

(c.1890-c.1930) (p,61- 84)

            A lire les pages consacrées à ce sujet, l’adjectif « étroites » parait tout à fait approprié, et j’y ajouterais volontiers l’autre adjectif de « peu convaincantes ».

           « La reconnaissance par les pairs de leur domaine de prédilection est la grande affaire des historiens coloniaux durant la période 1890-1930. Les spécialistes de la question déploient des efforts continus pour conquérir leur légitimité en dehors des sphères strictement coloniales et assurer à leur spécialité une place au sein  des instances savantes. Car si l’histoire des colonies a été laissée à des amateurs ou à quelques spécialistes en marge de l’université, c’est que longtemps, elle n’a pas permis d’envisager une  carrière au sein de l’Alma Mater. Or, à partir des années 1890-1900, ses promoteurs tentent d’occuper le terrain universitaire, de s’infiltrer dans diverses institutions – à la Sorbonne, à l’Ecole libre des Sciences politiques, aux Langues Orientales, à l’Ecole coloniale et dans ses classes préparatoires de lycée, et même au Collège de France » (p,61)

            Question : est-il possible chronologiquement, et compte tenu des situations coloniales de l’Afrique noire, de choisir comme point de départ l’année 1890 ? Je ne le pense pas.

           Plus loin, l’auteure intitule son texte :

         « Tisser les liens de la sociabilité politico-scientifique » (p,63)

         Puis, arrive au cœur du sujet :

       «  Des postes, des chaires, des institutions » (p,66)

      « … De la Sorbonne au Collège de France : au cœur du dispositif universitaire… (p,67)

        Oui, mais avec quels résultats, en comparaison du nombre de postes, de chaires dévolues aux autres disciplines historiques ? A la Sorbonne et dans les autres universités françaises ?

         L’auteure cite la création « politique » d’une chaire au Collège de France en 1921, alors que le Collège en comptait alors quarante, et y a recensé entre 1901 et 1939, 91 enseignants, dont sept d’entre eux avaient une relation avec le monde colonial, mais principalement celui de l’Afrique du nord.

          « … Dans le cas de la Sorbonne comme dans celui du Collège de France, l’introduction de l’histoire coloniale dans le saint des saints de l’Université s’est faite en force, avec toute la puissance de financement et de persuasion des milieux politico- coloniaux, et sans grand enthousiasme –c’est un euphémisme- de la part des prestigieuses institutions concernées. ..

          La prise plus ou moins durable des deux citadelles du Quartier Latin est cependant une étape importante dans la quête de légitimité de l’histoire coloniale en général, et indirectement de son sous-champ africain » (p,72)

             Un texte qui laisse un peu rêveur, compte tenu des expressions utilisées « en force », « sans grand enthousiasme – c’est un euphémisme – », « la prise plus ou moins durable des deux citadelles » 

         J’écrirais volontiers que l’histoire coloniale, en dépit de ces efforts, est restée à proprement parler un des « sous-champs » de l’histoire, et ce type de récit démontre, une fois de plus que contrairement à ce que certains chercheurs à la mode voudraient nous faire croire sur l’existence d’une France coloniale, elle n’avait pas beaucoup d’adeptes, même dans les universités.

        « Exister sur des scènes multiples » (p,72)

          L’auteure cite tout d’abord l’Ecole coloniale qui n’a véritablement existé qu’à la fin du siècle, mais dont on ne peut pas véritablement dire qu’elle a révolutionné la place de l’histoire coloniale, et les autres exemples cités non plus.

       « Une réussite en demi-teinte ? » (p80)

        Est-ce que l’appréciation ci-après répond à cet intitulé, ainsi que les textes qui suivent ?

      « La stratégie d’institutionnalisation et de légitimation savante s’avère en grande partie payante puisque dans les années 1930, le domaine dispose de revues, d’une chaire au Collège de France, d’un enseignement diffusé par de multiples canaux. Le temps est favorable à l’idée impériale et cette faveur rejaillit sur l’histoire qui rencontre une curiosité certaine, et donc des lecteurs potentiels. » (p,80)

       Une stratégie ? Vraiment ? Initiée par qui ?

      « Faveur » ? Alors que Lyautey, un des responsables de la grande exposition coloniale de 1931, déclarait qu’en définitive, elle n’avait pas changé grand-chose dans l’opinion publique ?

       D’autres «  initiés » semblaient partager cette analyse avec les termes que j’ai soulignés :

        « Mais si l’histoire coloniale semble avoir gagné une certaine reconnaissance scientifique dans les années 1920-1930, ce n’est pourtant pas le sentiment de ceux qui en sont les principaux protagonistes. Selon Georges Hardy dans Les éléments de l’histoire coloniale (1921), l’histoire des colonies souffre d’un statut subalterne : face à l’histoire de France, elle se trouve dans la même position périphérique que les colonies vis-à-vis de la métropole. Et Georges Hardy ne cesse de plaider pour l’existence autonome de l’histoire colonialece qui prouve que cela ne va guère de soi.

         Alors que la discipline historique s’est dans son ensemble professionnalisée, constituant une communauté formée dans les mêmes moules universitaires et se perçoit de façon idéalisée en position de coupure avec le monde civil – l’historien au-dessus des débats partisans -, l’ancrage de l’histoire coloniale dans le monde politique et dans celui des affaires lui confère une double image d’amateurisme et d’engagement militant. La dimension idéologique de l’histoire coloniale et ses liens consubstantiels avec le projet impérial lui valent la suspicion dans les milieux universitaires de l’époque de sa production. Comment concilier en effet ces deux exigences incompatibles : siéger dans les sphères éthérées de la Science et servir le projet impérial ? Or historiens et géographes coloniaux ne cessent de revendiquer la dimension utilitaire de leur spécialité» (p,81)

          Pourquoi ne pas retenir l’expression de « statut subalterne » accordé à l’histoire coloniale, en y ajoutant une des expressions utilisées plus loin, sa « relative marginalisation » ?

       « Enfin, la relative marginalisation  de l’histoire coloniale est à rapprocher de celle qui frappe la géographie coloniale à la même époque : elle tient pour une part au statut de l’histoire et de la géographie sous la III ème République. Ces deux disciplines occupent certes une place centrale dans la diffusion du message républicain et national, mais c’est la connaissance du passé et du territoire de la métropole qui importe avant tout : « Le monde colonial n’est pas oublié, mais se trouve dans une position seconde, une sorte de prolongement de la France au-delà des mers dont il importe de connaitre l’existence mais pas au même point que celle de la mère patrie » » (p,83)

          Une formulation gentillette, pour ne pas dire que la métropole, même dans ses instances reconnues comme scientifiques, n’était pas encore imprégnée d’une culture coloniale ou impériale, telles que les ont décrites certains chercheurs postcoloniaux atteints du mal bien connu et trop répandu d’anachronisme, ou de carence en méthodologie statistique, au point que les universités françaises aient alors considéré le domaine colonial comme un  domaine sérieux.

        Il ne s’agissait pas uniquement  dans le cas d’espèce de « tâtonnements épistémologiques » (p,84), mais du constat que les colonies comptaient en définitive assez peu dans la société lettrée de la Troisième République .

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Histoire ou politique? « Les têtes des résistants algériens… « Le Monde des 10 et 11 juillet 2016

Histoire ou politique ?

« Les têtes des résistants algériens n’ont rien à faire au Musée de l’homme »

Le Monde des 10 et et 11 juillet 2016, dans Débats & Analyses page 26
La signature :

 « Par COLLECTIF »  ( signatures de dix- neuf chercheurs ou intellectuels, dont dix historiens ou historiennes, avec la présence signalée de Mme Branche et de Messieurs Meynier et Stora))

&

Quel est le but poursuivi par ces intellectuels dans l’ambiance de la France des années 2015 et 2016 ? Faire parler d’eux ?

Qui en France, découvrant cette situation des siècles passés, qui donne l’occasion à ces intellectuels de manifester à nouveau leur « passion de l’histoire », s’opposerait vraiment à cette restitution ? Comme de beaucoup d’autres non signalées ?

&

            Ce texte qui rappelle un des épisodes sombres de la guerre de conquête de l’Algérie qui a duré près de cinquante ans, et il y en a eu beaucoup, est présenté sous un titre ambigu « Les têtes des résistants algériens » : les historiens signataires ne craignent-ils pas que certains de leurs lecteurs ou lectrices, ne mettent dans la même case historique des événements qui se situent les uns par rapport aux autres à plus d’un siècle et demi de distance ?

            L’histoire serait-elle à revisiter avec le concept de « résistance » des années 1939-1945 ?

            On ne fait sans doute pas mieux dans l’anachronisme.

            Les  auteurs de ce texte collectif se défendent à la fin de ce texte de vouloir « céder à un quelconque tropisme de « repentance » ou d’une supposée « guerre des mémoires, ce qui n’aurait aujourd’hui aucun sens. »

            Ils écrivent :

         « Il s’agit seulement de contribuer à sortir de l’oubli l’une des pages sombres de l’histoire de France, celles dont l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française »

            Je remercie les auteurs de cette proclamation d’avoir écrit « d’une supposée guerre des mémoires » dont un des signataires est l’un des plus ardents défenseurs : « supposée », oui, car elle n’a jamais été mesurée, en tout cas à ma connaissance, et en dépit de tous les sondages qui tombent chaque jour, sur n’importe quel sujet.

          « … l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française » ?

            Comment est-il possible de faire un  tel constat de corrélation entre la révolte de Zaatcha en 1849 et la France d’aujourd’hui, sauf à l’interpréter comme une énième tentative de manipulation politique ?

            Pour conclure provisoirement, je suis un peu surpris de voir autant de signatures qui ont ou qui ont eu, de près ou de loin, une relation avec l’Algérie, avec cette obsession de l’Algérie, qui à les lire, constituerait l’alpha et l’oméga de notre histoire.

            Les lecteurs les mieux informés connaissent bien l’efficacité médiatique de ces groupes d’intellectuels formés dans la matrice algérienne de l’anticolonialisme, notamment dans les colonnes du journal le Monde.

            La véritable question que pose une telle proclamation est celle du but poursuivi par ce collectif et par le journal Le Monde : s’agit-il, une fois de plus, et pour ce collectif, partie d’un « système » idéologique bien identifié, même s’il s’en défend, d’apporter une preuve datant d’un siècle et demi, afin de démontrer combien l’histoire de notre pays a été faite de noirceur, de violence et de crimes ?

            En misant peut-être sur le relais que les réseaux sociaux peuvent lui donner ?

          Si oui, il serait bien triste de voir un collectif d’intellectuels, dont beaucoup sont issus de la matrice algérienne citée plus haut, expliquer à nos jeunes enfants comment il est encore possible d’aimer la France, dans le contexte explosif du monde d’aujourd’hui, et des candidats au suicide de Daech.

            Ci-dessous le message que j’ai adressé au Courrier des lecteurs du Monde le 20 juillet dernier :

            « Bonjour, le collectif Blanchard and Co fait encore des siennes dans la nouvelle propagande postcoloniale, avec le concours d’un Stora, toujours en quête de médias, incapable jusqu’à présent d’avoir apporté la moindre preuve de sa « guerre des mémoires » 

        Toujours la matrice algérienne ! De l’histoire ou de la politique ?

        J’encourage vivement votre journal à organiser un concours international de têtes, à la condition toutefois de les situer historiquement et à chaque fois dans son contexte très précisément historique.

         Ce qui est sûr, c’est que ce genre de tribune pseudo-scientifique constitue un élément de plus de la contribution de ces belles âmes à la pacification des esprits dans le contexte historique « actuel » avec les décapitations de Daech, pour ne pas évoquer celles encore récentes d’Algérie ».

        Jean Pierre Renaud

            Post Scriptum : puis-ajouter que dans la liste des signataires figure un très honorable historien, Gilbert Meynier qui, avec le concours de M.Vidal-Nacquet fit un sort justifié au livre d’un autre signataire du même appel aux « crânes », Olivier La Cour Grandmaison, livre intitulé « Coloniser Exterminer » ?

        A lire cette analyse très fouillée sur le blog « Etudes Coloniales « du 10 mai 2006 !

       Un seul petit extrait :

       « A le lire, on ne peut s’empêcher de poser la question : un sottisier peut-il tenir lieu de réflexion et de synthèse historique » … « En histoire, il est dangereux de tout mélanger. »… « On ne s’étonnera pas qu’OLCG se voie probablement en historien d’une espèce en voie d’apparition, dont le manifeste inscrit son auteur « contre l’enfermement chronologique et disciplinaire (p,22 »

           « En fait, il surfe sur une vague médiatique, avec pour fonds de commerce des humains désemparés et peu portée à l’analyse critique, cela en fignolant un sottisier plus qu’il ne s’appuie sur les travaux d’historiens confirmés »

A ranger dans la catégorie des intellectuels fossoyeurs de notre histoire de France !

Le Brexit ? Mort en susrsis pour l’Europe ou nouveau départ ?

L’Union aura beaucoup de mal à résister aux manœuvres de diversion et de division du Royaume Uni, à l’ouest, et de la Russie, à l’est.

En réponse, un nouveau départ en amarrant l’Union Européenne à la colonne vertébrale que sera la confédération franco-allemande ?

Il s’agit d’un vœu qui a d’autant plus de valeur que dans le vieux « Pays de Montbéliard », principauté allemande jusqu’en 1793, et berceau de ma famille, nous fîmes l’expérience de trois invasions allemandes, en 1870, en 1914, et en 1939.

Convient-il d’ajouter que trois frères de mon père furent en même temps que lui des soldats de la guerre 1914-1918 ?

Le plus jeune fut tué la veille de ses vingt ans, un oncle gazé, un oncle mutilé, et un père blessé.

Jean Pierre Renaud

Mali, un échantillon de « situation coloniale » « parallèle » : avec Hampâté Bâ

Echantillon de « situation coloniale » d’une Afrique « parallèle »

Au Mali (ancien Soudan français) des années 1920-1930

« Oui, mon commandant » par Hampâté Bâ, pages336 et suivantes (Actes Sud)

Eclairage : l’AOF comptait 118 cercles administrés par des commandants de cercle, que certains dénommèrent les « dieux de la brousse, une sorte de préfets coloniaux.

Rappelons que l’AOF constituait un territoire immense de 4,689 millions de kilomètres carrés et était alors peuplée de moins de quinze millions d’habitants.

          » Un commandant de cercle décide de faire une tournée en pleine saison des pluies, alors que la route longeait un terrain argileux encaissé entre deux rivières

« O, imbécillité drue !

            «  Il appela le chef de canton : il faut me faire damer cette route par tes villageois pour la durcir et la tenir au sec. Je ne veux pas que ma voiture s’enfonce !

  • Oui, mon commandant » dit le chef de canton qui ne pouvait dire autre chose… Jadis, toutes les routes de l’Afrique, sur des milliers de kilomètres, ont ainsi été damées à main d’homme

      Et voilà les villageois, hommes, femmes et enfants, qui se mettent à taper dans le sol humide et bourbeux. Ils tapent, ils tapent à tour de bras, au rythme d’un chant qu’ils ont composé pour la circonstance. Et tout en tapant, ils chantent et ils rient. J’ai entendu leur chant. En voici quelques passages :

            Imbécillité, ô imbécillité drue !

            Elle nous ordonne de dépouiller,

           De dépouiller la peau d’un moustique

           Pour en faire un tapis, un tapis pour le roi

           Ma-coumandan veut que sa voiture passe

           Il ressemble à l’homme qui vent faire sa prière

          Sur une peau de moustique

          Etendue sur le sol

          Ma-coumandan ne sait pas

           Que l’eau avale tout

         Elle avalera même ma-coumandan

         Tapons ! Tapons docilement

         Tapons fort dans la boue

         Dans la boue détrempée

         Ma-coumandan nous croit idiots

         Mais c’est lui qui est imbécile

        Pour tenter de faire une route sèche

        Dans la boue humide

     Le commandant, accompagné de son interprète et de son commis, vint visiter le chantier. Les frappeurs chantèrent et chantèrent de plus belle. Le commandant, tout réjoui, se tourna vers l’interprète : « Mais ils ont l’air très contents ! » s’exclamait-il. Il y avait des secrets que ni les interprètes, ni les commis, ni les gardes, ne pouvaient trahir. »Oui mon commandant ! », répondit l’interprète… »

Commentaire :        à mes yeux, un bon échantillon des relations coloniales de l’époque, c’est-à-dire une « situation coloniale », mais rassurez-vous, tous les commandants ne furent pas des « imbéciles », aux yeux mêmes d’Hampâté Bâ et à lire ses récits.

Jean Pierre Renaud