« Corps noirs et médecins blancs »

« La fabrication du préjugé racial »

« XIX- XXème siècles »

Delphine Peiretti-Courtis

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Des Références historiques dont la pertinence fait question, une Question de Méthode Historique ?

Première période 1780-1860 et deuxième période 1860-1900

Il est évident que ces références méritent d’autant plus l’attention qu’elles concernent près de 200 pages, soit les deux tiers de l’ouvrage, période historique au cours de laquelle, l’Afrique noire était ou inconnue, la première, ou commençait à être connue pour la deuxième.

            Nous ne nous attacherons à lister par pages que les sources ou références qui font problème pour la première période fixée par l’auteure de 1780 à 1860, la période au cours de laquelle les sources consultées ne pouvaient que susciter questions et suspicion, compte tenu du fait que l’Afrique noire était quasiment inconnue.

            Page 41, « les médecins de terrain » ?

Question : lesquels ? Etant donné leur absence de ces territoires ?

            Page 48, « … rares sont ceux qui contestent les théories craniologiques dans la première moitié du XIX°siècle… »

            Question : Qui ? Évaluation ?

            Page 58, les cheveux « ces stéréotypes, entérinés par la littérature médicale du XIX° siècle, se répandent au sein d’ouvrages de vulgarisation scientifique et de dictionnaires tels que le Grand Larousse Universel du XIX° siècle dans les années  1870, qui caractérisent les «  Nègres «  par leurs poils rares (et) leurs cheveux laineux » et les Hottentots par leurs « cheveux noirs et laineux ». Ce type de comparaison animalière persiste jusqu’au milieu du XX° siècle dans les écrits médicaux, même s’ils diminuent du fait d’une meilleure connaissance des caractères des spécificités et des variétés de la chevelure humaine ».

Questions : « la littérature médicale du XIX°siècle », « ouvrages de vulgarisation scientifique » « jusqu’au milieu du XX° siècle dans les écrits médicaux » ? L’importance qu’en tire l’historienne n’aurait-elle pas mérité une plus grande précision, afin de pouvoir en apprécier leur représentativité et leurs effets, d’autant plus que ces affirmations paraissent concerner les peuples de l’Afrique du Sud, Hottentots et Bochimans.

            La « nudité »,  Pages 61 et 63, bis répétita : « Hottentots et Bochimans » « dans les discours médicaux » « Julien-Joseph Virey », en 1819, « ils incarnent le paroxysme de la sauvagerie africaine dans l’esprit des savants français »

            Page 63 : « primitivité et animalité : l’odeur de l’Autre stigmatisée »

            Page 70 : « Le modèle de toutes ces considérations demeure en trame de fond celui de la Vénus hottentote »

            Page 75, « écrit Virey en 1819 » Julien-Joseph Virey

            Questions : « discours médicaux » ? Lesquels ? , « savants français » ? Lesquels ? Leur représentativité ? « la Vénus hottentote » : ne s’agirait-il pas d’une des clés historiques d’un tel discours ?

Julien Joseph Virey (1775-1846) ?  Médecin de terrain ou médecin en chambre ?

 Il s’agit d’une des questions clés posées par l’analyse proposée, à savoir : comment peut-on décrire un Autre qu’on ne connait pas ou pas encore ?

Une précision sur les réactions de l’Autre au contact des premiers blancs dans les récits rapportés : le Blanc avait une odeur de cadavre.

            Page 80, « 5 » « Le sexe des hommes et des femmes noirs : difformité et démesure »

            « A la croisée du biologique et du culturel, le sexe et la sexualité des indigènes constituent eux aussi des révélateurs de la race, du genre et de la civilisation. Les peuples africains sont réduits à leur corps, en particulier à leurs organes génitaux, les ramenant ainsi à leur primitivité. Face aux corps féminins et masculins couverts et cachés aux regards en métropole, la nudité des indigènes captive les observateurs français… Les particularités sexuelles féminines font l’objet des descriptions les plus prolixes car la femme se caractérise alors, dans toutes les races, par son sexe.

En effet lorsque les auteurs parlent de la « femme », ils dissertent inéluctablement sur son appareil reproductif : c’est par lui que la femme existe dans la société. »

Questions : « … Les Africains sont réduits à leur corps… » Une affirmation démontrée ?

« La nudité des indigènes captive les observateurs français… », alors qu’ils ne connaissaient pas l’Afrique ?

« les descriptions les plus prolixes… car la femme se caractérise alors dans toutes les races, par son sexe » ?

Roman ou histoire ?

Page 85, «…  Dans les monographies généralistes sur les races humaines ou dans la presse d’information générale l’animalisation des noirs et plus particulièrement des  Hottentots et des Boschiman perdure jusque dans la première moitié du XX ° siècle… »

Question : comme je l’ai déjà indiqué à maintes reprises le seul indicateur des effets de telle ou telle information ou théorie, comme c’est ici le cas, était effectivement la presse, mais cette seule indication ne suffit pas à en faire un élément de démonstration historique, d’autant plus que l’appréciation en question couvre plus de deux siècles.

La mention « dans la presse d’information générale » de surcroît m’avait mis l’eau à la bouche.

Page 89, : Toujours la Vénus Hottentot ! Mais avec une mention historique qui relativise les observations.

«… Le tablier n’a par ailleurs pas été observé de visu par des médecins de terrain français puisque le Cap de Bonne- Espérance n’a jamais été colonisé  par la France. Cela explique le fait que les écrits de Levaillant et de Cuvier aient eu tant d’impact sur les cercles savants français au XIX° siècle. »

L’auteure : « … dans l’article «  Nègre » du Dictionnaire des sciences médicales, il est affirmé en 1819 »

Questions : « 1819 », s’agit-il d’une référence historique pour un tel sujet ?

Avec Cuvier en aparté, enfant de la vieille cité wurtembourgeoise de Montbéliard, foyer d’un protestantisme militant, calviniste et luthérien, lequel avait des affinités avec la mentalité des émigrés protestants d’Afrique du Sud, laquelle n’était pas spécialement disponible pour toutes les aventures intellectuelles, physiques ou culturelles.

Page 90, l’excision :

« Pour les savants occidentaux de l’époque et jusqu’à la fin du siècle, au-delà des coutumes ancestrales et des préceptes religieux – notamment musulmans -, c’est surtout l’anatomie sexuelle des femmes, façonnée par le climat et/ou par des prédispositions innées, qui expliquerait la tradition de l’excision en Orient et en Afrique (note 42, page 298) : « Il en est résulté dans plusieurs pays, écrit Virey en 1815, la coutume ou plutôt le besoin de retrancher ces prolongements incommodes… » «… : telles sont les principales raisons mises en avant en France dans  les années 1810-1830 pour justifier l’excision. »

Questions : Toujours Virey, en 1815 ?

Par quelle voie mystérieuse, ces appréciations hardies ont pu générer, jusqu’à aujourd’hui, les fameux stéréotypes qui nourriraient encore le regard des Blancs sur les Noirs ?

Page 93, même type de question sur les deux références,  Peter Kolbe (1675-1726) et Anders Sparmann (1748-1820) ?

Page 95, : « Exacerbée dans l’imaginaire européen, la morphologie sexuelle des noirs est censée traduire leur exubérance sexuelle. Le sexe des africains et des africaines a en effet donné lieu à la constitution d’un imaginaire fantasmatique sur leur sexualité. »

Histoire ou fantasmatique historique ?

Pour avoir analysé, par page par page les ouvrages portant sur une culture coloniale ou impériale qui aurait « imprégné » la France de 1870 à 1960 – les œuvres du trio Blanchard- Bancel- Lemaire – , je ne peux m’empêcher de comparer leur langage « historique » à celui-ci, en estimant qu’il s’agissait beaucoup plus de littérature que d’une analyse historique rigoureuse posée sur des sources solides et quantifiées.

Je rappelle un des dictons historiques de Madame Lemaire : « Du riz dans les assiettes et l’Empire dans les têtes », sauf que le riz indochinois subventionné allait dans les poulaillers, compte tenu de sa mauvaise qualité.

Page 96, toujours : « Le sexuel primerait sur l’intellectuel en Afrique »

Sauf qu’elle était encore inconnue aux dates de référence ?

« Les représentations de la lubricité africaine imprègnent les discours savants et les mentalités populaires du XVIII° jusqu’au milieu du XX° siècle ; elles se diffusent dans les récits de voyage, les dictionnaires médicaux et les œuvres généralistes, mais aussi sous la plume des médecins coloniaux qui appliquent les présupposés raciologues à l’étude des peuples qu’ils côtoient »

Dans la même gamme de démonstration historique ?

L’auteure utilise des mots qui font flash sur plus de deux siècles !

« Les représentations de la « lubricité africaine imprègnent les discours savants et les mentalités populaires », « se diffusent dans les récits de voyage… et les œuvres généralistes (c’est-à-dire ?). « Sous la plume des médecins coloniaux.. à l’étude des peuples qu’ils côtoient »

Sauf à rappeler l’identité de ces médecins, page 97 et page 98 , Virey en 1824, Clavel en 1860, Moreau de la Sarthe en 1803, et Pinel en 1824… Et de poser la question de la représentativité historique des sources citées sans aucune évaluation.

Enfin, page 99 : « Cet imaginaire médical de la sexualité se diffuse dans la société française et dans l’opinion commune tout au long du XIX°siècle ».

Question : est-il possible de se contenter de cette simplification historique, sans avoir analysé dans le détail les récits de voyage, et avant tout, la presse populaire de l’époque, celle de « l’opinion commune » ?

L’ouvrage passe alors à l’analyse de la période « 1860-1910, le corps noir scruté et mesuré : science, politique et terrain africain »

Jean Pierre Renaud   Tous droits réservés