Laïcité et République Française, la laïcité est le gage de la paix civile !

En écho aux déclarations du Président devant les évêques de France, le 8 avril 2018…

Laïcité et République Française, la laïcité est le gage de la paix civile !

            Il s’agit d’un sujet auquel je suis particulièrement sensible et attaché pour de multiples raisons que je vais rapidement évoquer.

            Des raisons familiales tout d’abord : petit enfant d’une famille grand-paternelle issue du Plateau de Maîche, dans le massif du Jura, dans ce que certains commentateurs baptisèrent alors du nom de « Petite Vendée », ma famille s’illustra dans la bataille de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, en luttant contre les inventaires des églises.

            Arrêté comme meneur de la révolte du Russey, mon grand-père paternel, éleveur sur ce plateau, fut arrêté par la gendarmerie et fit un séjour de quinze jours de prison à Montbéliard.

            Ses convictions religieuses ne l’ont évidemment  pas empêché, comme citoyen, de trouver naturel que ses quatre fils fassent leur devoir de citoyen pendant la guerre de 1914-1918 : le plus jeune, gravement blessé,  mourut la veille de ses vingt ans, et parmi les trois autres, l’un fut gazé, le deuxième mutilé, et le troisième plusieurs fois blessé.

            Je n’ai généralement pas l’habitude d’exposer ma vie privée, mais les circonstances actuelles m’appellent à le faire, compte tenu de l’irresponsabilité généralisée qui semble dominer le débat sur la laïcité.

            Tout en comprenant plus tard les raisons de l’opposition de ma famille paternelle à cette époque, je n’ai jamais partagé leur opinion, car tout au long de ma jeunesse, de mes études, de mes expériences professionnelles à l’étranger ou en métropole, j’ai eu maintes occasions de me féliciter de l’existence de cette loi.

            Dans le Pays de Montbéliard, terrain tardif de lutte entre les catholiques et les protestants, j’avais vécu au quotidien, plus de cinquante ans après la loi, les difficultés et les fragilités de leur cohabitation religieuse, d’autant plus que la présence de deux temples protestants, témoins du lointain passé allemand du pays, attestait de la force des liens protestants luthériens et calvinistes.

            Ajouterais-je qu’au cours de la première moitié du vingtième siècle, la communauté protestante avait sans doute  ressenti, dans une partie de ses éléments, la nouvelle présence catholique venue d’une immigration de proximité comme une sorte d’invasion.

          Vous n’y verriez pas un rapprochement avec la perception qu’une partie de la population de ce Pays ressent de nos jours à l’endroit d’une immigration musulmane relativement importante, souvent venue de loin ?

         Dans les années 60, qui dans ce Pays avait fait connaissance avec l’Islam ? Alors qu’au cours des dernières années, cette dernière religion a introduit dans notre pays une source incontestable de contestation, de division, de fragilité, à partir du moment où la religion islamique n’a pas encore reconnu, si cela arrive un jour, le précepte d’après lequel ce qui est à César est à César, et ce qui est à Dieu est à Dieu, c’est-à-dire la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

      Rappelons que pour une majorité de musulmans, il n’existe pas de séparation entre les domaines religieux et civil, comme ce fut longtemps le cas chez nous.

         Il y a quelques années encore, à l’occasion d’un mariage, j’avais recueilli le témoignage d’un couple mixte, mari catholique et épouse protestante, dont le mari avait fait l’objet d’une exclusion de l’Eglise catholique à la suite de leur mariage dans les années 1960.

        Je n’ignorais pas non plus le lourd passé de nos guerres religieuses qui ont ensanglanté la France pendant des siècles, et l’Eglise catholique, apostolique, et romaine serait bien inspirée de ne pas l’oublier. J’en donnerai un exemple historique en annexe de ce texte.

 Des raisons culturelles et professionnelles :

          Au cours de mes études, j’avais été sensibilisé aux problèmes de l’athéisme et des religions du monde, aux conceptions de l’islam, de l’hindouisme, du bouddhisme, du confucianisme, du shintoïsme, ou de l’animisme, mais c’est au cours de mes séjours en Afrique noire et en Algérie, que j’ai eu véritablement l’occasion de faire connaissance avec l’emprise de l’islam, de moins en moins rigoriste en Afrique noire, en descendant du Sahel vers la côte, cette dernière étant encore le terrain d’une profusion de croyances animistes aux prises avec l’islam et le christianisme.

        Cet islamisme mâtiné de l’influence de nombreuses confréries, telle celle, puissante, des Mourides au Sénégal, était très différent de celui de l’Algérie, plus structuré. Pourquoi ne pas noter que dans les pays d’influence musulmane, leurs lettrés considéraient que les blancs étaient des « nazaréens », c’est-à-dire des infidèles, pour ne pas dire des mécréants ?

      Dans son livre, «  La France en terre d’islam », Pierre Vermeren  a fort bien analysé les relations que le pouvoir colonial entretenait avec le monde musulman.

      Dans la plupart des cas, il s’instaurait une sorte de tolérance respective et bienveillante entre les deux pouvoirs, les religions étant considérées comme faisant partie des coutumes qu’il convenait de respecter, car il n’était évidemment pas question d’instaurer la laïcité.

      Il en fut à peu près de même en  Algérie, sauf que dans ce pays, et cela changeait déjà tout, les Européens y constituaient une très forte minorité dominante.

     Sur le long terme, chacun vivait ses convictions religieuses de son côté, pour autant qu’elles existaient. Pierre Vermeren  décrivait dans son livre « Une contre-société coupée de l’Algérie française » (p,218)

      La guerre d’Algérie a plutôt renforcé cette « contre-société ».

     Récemment, plus d’une centaine d’intellectuels de France ont dénoncé le « séparatisme » musulman, comme s’ils découvraient un problème qui a toujours existé et dont les conséquences ont été régulièrement renforcées avec l’immigration : l’islam de France n’a jamais accepté la séparation des Eglises et de l’Etat, ne serait que parce que l’expression « Islam de France » n’a pas de traduction doctrinale et institutionnelle, ou ce qui est plus grave, ne peut pas en avoir, dans un contexte théocratique.

      Dans notre pays, le citoyen a quotidiennement la preuve que les responsables politiques découvrent toujours, après coup, la nature des problèmes  à résoudre.

       En 2012, j’ai publié sur ce blog une petite analyse du livre de John R Bowen, intitulé «  L’Islam à la Française », résultat d’une enquête qu’il avait effectuée dans tous les compartiments de cette religion. Ses diagnostics étaient concluants : à cette lecture, il était clair que le plus grand désordre régnait dans les institutions supposées de la nouvelle religion « française », sa doctrine ou ses doctrines, une organisation faite d’improvisation et  d’amateurisme religieux et prosélyte nourri d’internet. (blog des 19/10/12, 7/11/12, et 15/07/17)

      L’auteur notait, de façon peut-être optimiste, qu’il semblait exister des chemins de rencontre entre l’Islam à la Française et les institutions de la République.

      Il est évident que l’éphémère Califat de Raqqa, les nouvelles guerres du Moyen Orient, les attentats commis en France (Assassinat du père Hamel et du colonel Beltrame, et de beaucoup d’autres victimes) et en Europe, ont changé la donne, et fait craindre les initiatives répétées et mortelles d’un Islam radical.

        Le récent appel de plusieurs centaines d’intellectuels condamnant le nouvel antisémitisme qui sévit en France sonne le tocsin, et ces violences légitimement dénoncées trouvent évidement des aliments dans la démographie actuelle de la France et dans la paralysie persistante qui empêche la naissance d’un État Palestinien.

La problématique actuelle :

       De nos jours encore, le sujet est à nouveau inflammable, à voir les réactions qu’a suscitées le discours d’un Président de la République à la dernière Conférence des Évêques de France, en affirmant  vouloir restaurer « le lien abîmé entre l’Église et l’État » une expression ambiguë qui a donné l’occasion à certains groupes de pression influents de condamner le propos.

      Il est évident que l’arrivée d’une nouvelle religion chez nous, l’Islam, et d’autres mouvements culturels divers d’origine étrangère, prônant souvent un multiculturalisme niveleur et relativiste à la mode, ont agité la société française tout au long des dernières années, comme ils ont interpellé à maintes reprises notre système républicain de séparation des pouvoirs entre les Églises et l’État.

       Il est non moins évident que l’Islam de France n’a pas encore réussi, pour autant qu’il le puisse, à accepter une séparation des pouvoirs méconnue par la religion professée.

       De son côté, l’Église catholique a quelquefois adopté des positions qui remettaient en cause une conception trop rigide, à ses yeux, de la laïcité.

     Les rapports historiques qui ont été ceux de l’Église catholique avec le pouvoir politique devraient l’inciter à faire preuve de réserve, sinon de prudence, car, à dire la vérité, la fameuse loi de séparation de l’Église et de l’État constitue pour elle un rempart auquel il ne faut pas toucher.

       Que les institutions ecclésiastiques laissent le soin à l’État de faire son métier, c’est-à-dire appliquer cette loi, et de faire en sorte que de nouvelles formes de théocraties avouées ou masquées ne viennent pas empiéter sur le domaine public !

         De leur côté, les défenseurs de la laïcité n’ont pas toujours fait preuve du même élan que leurs ancêtres pour défendre la laïcité, en menant le combat contre les prières dans les rues, le port du  voile dans les établissements scolaires publics, la défense de l’égalité entre les femmes et les hommes, le refus de serrer la main des femmes, la venue d’imams étrangers dans les nouvelles mosquées, leur financement par des puissances étrangères, etc…

       Les silences d’une franc-maçonnerie jadis puissante dans l’Afrique coloniale et en métropole ont été assourdissants : elle se réveillerait enfin ? De même que certains partis politiques plus soucieux d’engranger des suffrages que de défendre le bien commun ?

       « Grand-Orient : « L’esprit de la loi a été mis à mal » (Le Figaro du 11/04/18,  page 3)

       Est-ce que la société maçonne a toujours été aussi réactive face aux nombreuses dérives de la religion musulmane sur le terrain public ?

     Je n’ai pas l’impression non plus que tous les mouvements d’action féministe aient toujours mené un combat permanent et efficace contre la condition inégalitaire faite trop souvent à des femmes d’origine musulmane.

       A plusieurs reprises sur ce blog, et à titre d’exemple, j’ai rappelé le combat nécessaire contre l’excision de jeunes filles d’origine africaine, dont le nombre représenterait encore dans notre pays de plus de 60 000 femmes,  plus de soixante ans après les indépendances coloniales (voir article Ondine Debré, Le Monde du 22/12/2016).

&

En petite annexe pour la France de la mémoire courte, un petit rappel :

Les guerres de religion en France

« Le vrai, le faux et la fin de l’histoire », par Jean d’Aillon dans son livre « « Béziers, 1209 » page 591

            Dans plusieurs de ses livres, l’auteur a décrit les guerres intestines de cette France du XIIIème siècle, et notamment les guerres religieuses qui ont été menées contre les Cathares, considérés par l’Église romaine comme des hérétiques. A ce titre, ils étaient persécutés, et sauf abjuration de leurs croyances, assassinés et brûlés.

            Le livre « Béziers, 1209 » décrit toutes les horreurs de ces guerres, résumées dans la prise de Béziers qui connut alors toutes les violences imaginables, qu’il s’agisse d’enfants, de femmes ou d’hommes, combattants ou non, commises à l’instigation des institutions religieuses, d’alliés laïcs, et d’une foule de ceux qu’on appelait les ribauds ou les ribaudes, c’est-à-dire des hordes de manants prêts à tout.

        Afin d’illustrer ces tragédies, je me contenterai de reproduire le texte de la relation (page 591) qu’en fit le pape Innocent III, lequel « approuva sans réserve le sac de Béziers » :

      « Bien que les citoyens de Béziers eussent été scrupuleusement avertis par nous et par leur évêque et que nous leur eussions ordonné, sous peine d’excommunication, soit de livrer aux croisés les hérétiques avec leurs biens, soit, s’ils ne pouvaient pas, de sortir eux-mêmes de la ville, sans quoi ils partageraient le sort des hérétiques, ceux-ci pourtant n’obéirent pas à nos sommations et à nos demandes ; bien plus, ils convinrent par serment avec les hérétiques de défendre la ville contre les croisés.

       Le jour de la Sainte-Madeleine, la ville fut assiégée un matin. Par la nature du lieu, par ses forces et ses provisions, elle semblait suffisamment munie pour pouvoir résister longtemps à n’importe quelle armée. Mais, comme aucune force ni aucun dessein ne peut s’opposer à Dieu, tandis que l’on parlementait avec les barons pour libérer ceux de la cité qui semblaient catholiques, les ribauds et d’autres personnes viles et sans armes, sans attendre l’ordre des chefs, lancèrent l’attaque et, à l’étonnement des nôtres aux cris de « Aux armes, aux armes : », en l’espace de deux ou trois heures, les fossés et la muraille franchis, la ville de Béziers fut prise.

        Les nôtres, sans regarder l’état, l’âge ni le sexe, passèrent au fil de l’épée presque vingt milles hommes. Après cet énorme carnage des ennemis, toute la ville fut pillée et incendiée, la vengeance divine se déchaînant miraculeusement contre elle. »

      « D’autres contemporains parlèrent de soixante mille morts. »

      Jean d’Aillon, « Béziers 1209 » (pages 591,592) 

        Heureusement, et depuis, les Églises chrétiennes ont retrouvé leur vrai visage d’amour et de paix, mais il n’est jamais bon d’oublier son histoire, fut-elle déplaisante, encore moins de nos jours, alors que sont semées dans notre pays les premières graines de nouvelles guerres de religion.

         Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Carnets Buron – 9 – 1962 – Evian

Carnets Buron – 9 – 1962 -Evian

« III

Entre les Rousses et Evian (p,236)

       Lundi 19 février, Paris 22 heures

        … A 11 heures, à Villacoublay, un aide de camp du chef de l’Etat nous attendait pour nous prier de nous rendre directement à l’Elysée.

       L’audience a  été brève, de courtoisie en quelque sorte. Les propos du Général peuvent se résumer ainsi :

      « Vous avez fait de votre mieux. Nous allons voir maintenant. En tout cas nous ne nous laisserons pas manœuvrer. S’il y a accrochage à Tripoli, eh bien nous publierons les textes, tous les textes. L’opinion internationale sera pour nous… et nous reprendrons le combat. Merci messieurs. »

     Mardi 20 février

       « Ce matin accueil amical au bureau national du MRP…J’ai brièvement exposé l’économie du système envisagé avec ses trois périodes :

      Transitoire, jusqu’à la proclamation du résultat du scrutin d’autodétermination, pendant laquelle la souveraineté française n’est pas discutée mais où coexistent un haut-commissaire, dépositaire des pouvoirs de la République et un Exécutif provisoire comprenant huit musulmans et trois européens.

      Probatoire durant les trois années qui suivent la proclamation de l’Indépendance (si telle est la solution qui prévaut). Pendant cette période les Français restant sur place doivent bénéficier d’un certain nombre de libertés dans le domaine politique, économique, social et financier. Ces avantages sont garantis indirectement  par les concours que la France apportera à l’Etat nouveau et dont en fait le montant peut varier selon les circonstances, et directement par la présence de troupes françaises sur le territoire jusqu’à l’expiration, du délai convenu.

        Définitive enfin, dans le cadre d’une coopération technique et financière normalement  avantageuse pour les deux parties…

        Mercredi 21 février

     « Le Conseil des ministres consacré aux pourparlers préalables des Rousses…

      Le chef de l’État, prenant acte de l’accord quasi-unanime du Conseil des ministres, remercie le ministre d’État et ses deux collègues ; « C’est dans cette voie qu’il faut donc continuer si, comme je le pense, en face on souhaite vraiment la paix… Quant à la France, il faudra qu’elle parle. Ces résultats auxquels nous aboutissons seront soumis à référendum et nous les ferons mettre en application qu’ensuite…(p,245)

        Lundi 5 mars

        C’est bien à Evian que vont reprendre les pourparlers, officiellement cette fois…

        J’ai grande crainte que sur de nombreux points la discussion soit à reprendre au départ, avec des hommes plus inquiets encore que nous ne l’avons perçu aux Rousses… cent quatre explosions ce matin à Alger et les manifestations les plus diverses : expulsion sous menace des journalistes italiens, incendie de la prison d’Oran, se succèdent à un rythme accéléré ;… (p,247)

IV

Les pourparlers d’Evian (p,248)

        Le 7 mars au soir

       … Ce premier contact – qui a duré de 11h15 jusqu’à 17h30…. m’a laissé l’impression d’un certain malaise de part et d’autre, plus accentué encore chez nos interlocuteurs. (p,249)

       … Le problème essentiel pour le FLN, c’est celui de la période transitoire, comme pouvait l’être pour nous les questions de nationalité et de garantie de la minorité lors de notre dernière rencontre.

             A quoi bon proclamer le cessez-le-feu si, dès l’arrêt des combats dans les djebels, la guerre civile se déchaîne dans les villes, si l’Exécutif provisoire est dépourvu d’autorité réelle, si l’Armée en définitive au lieu de soutenir ce dernier cède aux sollicitations des activistes européens ?

       Voilà la grande crainte exprimée ! ((p252)…       Commentaire : les deux délégations ont beaucoup de mal à s’entendre sur l’ensemble des questions déjà examinées aux Rousses, et je reviens spécialement sur les notes consacrées à l’amnistie :

          « Ce 16 mars au matin… Une fois encore, la bataille s’est déclenchée sur les fameuses annexes militaires que nous n’avions pas eu le temps de rédiger aux Rousses. Elle reprit ensuite à propos de l’amnistie dont nos interlocuteurs demandent que le bénéfice soit étendu aux français qui leur ont apporté leur aide, ce qu’il n’est pas question de leur accorder.

         il s’agit en effet de l’amnistie qui doit intervenir en Algérie dès le début de la période provisoire. Il est normal dans les circonstances où nous nous trouvons que les algériens qui ont combattu pour leur indépendance et ne se sont pas rendus coupables de crimes de sang puissent reprendre place dans l’Algérie nouvelle et participer au scrutin d’autodétermination. Le Gouvernement par contre garde son entière liberté de décision à l’égard des citoyens français nés et vivant en France qui ont transgressé les lois et règlements français…(p,262)

      Ce 18 mars

      « Et voilà ! Nous en avons terminé : nous avons apposé nos trois signatures en bas des 93 pages, fruit du travail de ces douze jours, face à celle de Krim Belkacem…

         J’ai pour ma part conscience d’avoir fait mon devoir au sens plein du mot mais je n’en éprouve aucune satisfaction véritable.

          Certes il fallait en finir ! Dans le climat d’horreur qui se généralise à Alger et Oran, il était nécessaire de tout faire pour utiliser la faible chance – mais la seule chance – que constitue la conclusion des pourparlers.

         Les jours qui viennent vont être des jours de folie et de sang. Les passions ne désarmeront pas parce que ma signature figure au bas d’un bien étrange document. Mais sans cet effort douloureux, pendant combien d’années encore le sang aurait-il continué à couler, quelles convulsions auraient connues la France… » (p,265)

        14 mai à Rocher Noir (à Alger)

        … Je ne sais pas jusqu’à quel point les choses vont aller dans les jours prochains, mais dès à présent il faut admettre que l’irréparable a été commis entre les deux communautés. La grande majorité des Français d’Algérie, sans chercher si elle est victime du FLN, de l’OAS, de la réaction contre l’OAS, du Gouvernement ou de l’évolution du monde est décidée au départ… » (p,266)

       Le 16 mai, 10 heures

     « Je viens en compagnie de mes quatre collègues MRP du Cabinet Pompidou, d’aller porter notre démission au chef de l’Etat.

       Etrange nuit que celle de notre délibération et de nos échanges téléphoniques avec le président de la République et le premier ministre. A aucun moment je n’ai eu vraiment la sensation de participer à l’action qui se jouait.

         Mes amis ne pensaient qu’à l’Europe, le général de Gaulle qu’à l’avenir  du régime.

       Pour ma part mon esprit était resté en Algérie. »  (p267)

&

Commentaire

        Les notes de Robert Buron permettent de vérifier que les négociations avec le FLN ont été conduites de bout en bout sur les instructions du général de Gaulle.

       A la date de ces accords, j’avais depuis longtemps fait mon deuil de mon séjour algérien : je me trouvais faire de la coopération à Madagascar, un pays que je découvrais, venu récemment à l’indépendance.

     Je constatais une fois de plus, qu’après le Togo, l’Algérie, Madagascar n’était pas non plus la France, et que la gestion politique du nouvel Etat laissait beaucoup à désirer.

        Je saisis donc la première occasion, le changement du régime de la coopération pour ne pas apposer ma signature sur le contrat qui m’était alors proposé,  pour revenir en France ! Je précise que ce contrat était très rémunérateur !

                Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Carnets Buron – 10 – Fin – Comment conclure ce texte ? … Avec Alice Zeniter ?

Carnets Buron – 10 – Fin

Comment conclure ce texte ?

Sans conclusion ?

Un vrai gâchis ?

Ou avec la conclusion d’Alice Zeniter ?

« Dans l’art de perdre, il n’est pas difficile de passer maître »

  Il se trouve qu’en même temps que je relisais les carnets de Robert Buron, j’ai eu connaissance de la publication du livre d’Alice Zeniter « L’art de perdre »

         Ce type d’histoire m’était familière et j’ai eu évidemment envie de lire ce livre qui nous projette au cœur de la tragédie algérienne pour tous ceux qui en Algérie ou en France en ont souffert dans leur chair, dans leur intelligence, dans leurs cœurs ; il y en a eu beaucoup dans les deux camps, mais je pense évidemment ici aux algériens et algériennes qui nous ont accompagnés dans la guerre d’Algérie, et que nous n’avons eu ni le courage, ni la loyauté de bien accueillir chez nous, avec leurs descendants.

       C’est l’histoire de la petite fille d’un homme qui avait choisi le camp de la France, et qui s’est trouvée à la fois coupée de ses racines et dans une sorte d’état d’ « entre-deux identitaire » en métropole.

       Son témoignage montre qu’entre l’Algérie et la France, certaines relations humaines sont encore imprégnées de haines recuites, sans espoir de pardon, d’oubli et de deuil.

       Il  est dommage que plusieurs dizaines d’années après l’indépendance de 1962, aujourd’hui 55 années, les pouvoirs constitués d’Algérie continuent à entretenir ce type de mémoire toxique, alors que des centaines de milliers d’algériens et d’algériennes sont venus dans notre pays depuis l’indépendance, venant d’un pays devenu indépendant, avant la deuxième guerre civile des années 1990, et encore après.

          Après un  voyage de découverte « rétroactive » du pays de sa famille, y avoir rencontré des gens ouverts ou fermés, elle en tire une conclusion qu’elle exprime dans le texte d’une poésie que lui a contée son ami Ifren, pour illustrer les désillusions de son voyage.

        Le contenu de cette poésie d’Elisabeth Bishop se situe au croisement de plusieurs chemins de vie, l’amour, la haine, le pardon, le désespoir, ou la lucidité : savoir perdre pour croire à la vie.

      « Elle rit parce que l’apparition de la poétesse américaine dans cette voiture qui longe la côte algérienne à  toute vitesse a quelque chose d’incongru. Ifren commence à réciter :

          « Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître,

            Tant de choses semblent si pleines d’envie,

            d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.

              Perds chaque jour quelque chose. L’affolement de perdre

              tes clés, accepte-le, et l’heure gâchée qui suit.

              Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître. »

              Puis entraîne-toi, va plus vite, il faut étendre

              Tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis

               Le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.

               J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière

               Ou l’avant-dernière de trois maisons aimées : partie !

               Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.

               J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et plus vastes,

               Des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays.

                Ils me manquent mais il n’y eut pas là de désastre.

                                                                                        Page 496

             A la lecture de ce roman de vraie vie, je vous avouerai que je l’ai de beaucoup préféré aux  deux romans qui ont récemment reçu le Goncourt, « L’art de la guerre » et « Le sermon sur la chute de Rome ».

           Ces  deux livres mettent, brillamment et littérairement, en scène des guerres « coloniales », sans en avoir fait l’expérience, pour autant d’ailleurs que l’on puisse classer la guerre d’Algérie dans cette catégorie.

               Avec une conclusion éclair et claire, 1) L’armée française qui a été la mienne en Algérie ne fut pas une armée « coloniale », 2)  En accordant l’amnistie à tous les crimes de guerre commis des deux côtés, pendant cette guerre, les Accords d’Evian ont laissé un poison mortel dans les relations entre la France et l’Algérie, et dans notre histoire commune. 3) le vœu qu’enfin le peuple d’Algérie apprenne aussi que «  Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître ».

     Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

Carnets Buron – 5 – 1960-1961 « Avec ou malgré l’armée »

Carnets Buron – 5 – 1960-1961

II

AVEC OU MALGRE L’ARMEE

Janvier 1960- Mars 1961 (p,113)

 « Dimanche 31 janvier 1960

        Quelle semaine ! Elle m’a épuisé nerveusement et je reste incapable encore de discerner les sentiments qui dominent en moi. Ai-je été d’abord sensible au ton du discours qu’a prononcé le général de Gaulle vendredi aux conséquences heureuses qu’il achève d’avoir ? Suis-je surtout frappé, dix- huit mois après le 13 mai, par l’écart persistant entre les conceptions de la majorité des officiers généraux et supérieurs, de nombreux fonctionnaires et de plusieurs ministres d’une part et de celles du chef de l’Etat pour autant que je puisse être sûr de les connaître, ou celles – simpliste et claire – de l’opinion métropolitaine dans son ensemble ?

        L’abcès qui mûrissait depuis longtemps déjà parait avoir crevé… Il fallait inévitablement en arriver là !

       Sera-t-il vidé, nettoyé … et cicatrisera-t-il enfin ?

      Au fond de moi-même j’en doute. Je reste agacé ou déçu selon le cas, écœuré parfois de l’attitude adoptée par tant de responsables dans cette semaine douloureuse.

      Du côté des  militaires, si je ne suis pas surpris du rôle joué par le sympathique Gracieux, tenté violemment par l’aventure, retenu – faiblement sans doute – par la raison, sensible  à l’influence de ses officiers liés avec tous les comploteurs et les fascisants d’Alger… rôle qu’il va payer cher sans doute, je suis plus inquiet du comportement du général Challe….

      L’Armée dans son  ensemble – ce que l’on appelle ainsi tout au moins – s’est laissée convaincre par le général Ely de ne pas prendre parti publiquement, de ne pas se laisser entraîner à un « prociamento » dont nul général à l’heure actuelle, ne parait en mesure de prendre la tête. Les colonels les plus dynamiques semblent avoir pensé un moment que le général de Gaulle pourrait être contraint de céder à leur pression….

         Le contact que j’ai eu mardi soir avec les deux délégués des colonels au bord de la rébellion m’a éclairé puis exaspéré mais surtout attristé……

      «  Intervenez auprès du général pour qu’il parle, sinon d’intégration, du moins d’Algérie française, car s’il ne rassure pas tout de suite, nous ne répondons plus de rien. »… Les deux officiers estimèrent bientôt qu’ils perdaient leur temps en voulant me convaincre de plaider leur thèse auprès du général de Gaulle…

      Du côté des civils, bien des déceptions aussi !

      La masse est pour de Gaulle parce qu’elle « en a marre » comme beaucoup l’expriment crûment qui comptent sur lui pour éviter un casse-tête dans l’immédiat et se débarrasser d’un cauchemar à terme.

       Mais parmi l’élite, que d’hésitations, que de défaillances ! (p,116)

     Robert Buron passe alors en revue l’état d’esprit assez nuancé de ses collègues ministres, et quant au général : « Je l’ai trouvé aux Conseils de lundi et mercredi, abattu, marqué. En fait, il n’était pas préparé à l’évènement, il ne l’attendait pas.

      Il avait confiance, sinon dans l’Armée, du moins dans son autorité sur elle ; il lui a fallu plusieurs jours pour retrouver son équilibre et sa volonté habituels. » (p118)

      Jeudi 10 mars

     « Où nous mène le prince de l’équivoque ?

       Rien de plus normal, les premiers remous de l’affaire des barricades apaisés, que sa décision « de prendre contact avec l’Armée au combat. »…

      Sur le plan de la solution algérienne, j’ai pour la première fois l’impression que le premier ministre commence à croire à la possibilité du « Cessez le feu »  et à en accepter le principe sans le compliquer de conditions impossibles.

      L’espoir renaissait dans mon esprit après l’inquiétude… quand vendredi dernier, Jean Mauriac accrédité à suivre le Président de la République dans ce que la presse appelle maintenant « la tournée des popotes »  résume les propos du général de Gaulle aux jeunes officiers par les trois phrases suivantes :

      1) la victoire complète de nos armes est indispensable ; elle sera longue à obtenir. »

      2) Il faudra des années pour que l’Algérie apaisée puisse se prononcer sur son sort. C’est vous qui obtiendrez l’apaisement et assurerez les transitions. »

      3) L’indépendance est inadmissible et impensable. La présence de la France sera maintenue à travers une formule que les algériens devront trouver eux-mêmes. »

     Je n’arrive pas à le croire. Pourtant, Mauriac en la circonstance  est vraiment la « source autorisée». Alors ?…

     Sans doute la troisième phrase va-t-elle en réalité dans le même sens que le discours du 16 septembre et marque la solution vraiment désirée par le Général qui n’est pas l’Algérie française d’hier. Mais les deux autres phrases, même si elles ont été dites pour faire passer la troisième, reculent pour des mois ou plutôt des années les chances de la paix…

     Hier, au Conseil des ministres, Michel Debré indique son intention  de faire procéder à des élections cantonales en Algérie à une date prochaine au scrutin de liste et dans le cadre de l’arrondissement….

    Le président de la République demande :

    Quelqu’un a-t-il une observation à faire ?

      Je lève la main : « Mon Général, je crains qu’il ne soit trop tôt pour procéder à de telles élections. Le dégel musulman ne me parait pas prochain, surtout – permettez-moi de vous le dire – compte tenu de la présentation par la presse de vos déclarations dans les mess d’officiers. (Je me retiens à temps d’employer l’expression « populaire », laquelle, employée par un collègue en audience particulière, a déclenché, parait-il l’ire du général.)

      – Vous lisez le Figaro, coupe avec colère le chef de l’Etat, je ne fais pas de « dé-cla-ra-tions » dans les mess. En face des officiers je donne des ordres ou des instructions. Ce que j’ai dit là-bas, M .Terrenoire l’a redit ici lundi soir. Rien d’autre ! »

      Je ne m’avoue pas vaincu, et je réplique assez vivement immédiatement contré par le premier ministre.

      Le général intervient à nouveau :

     « Ah ! Décidément vous les français, vous ne voulez pas considérer les problèmes ; vous écoutez uniquement vos passions ; les uns veulent l’Algérie française et voient tout dans cette optique. Les autres croient à l’indépendance et tournent tous les événements en faveur de leur thèse. ? Pauvre pays ! … », etc. «  (p122)

       Commentaire

       « Chemini, le 26/01/60 :

     Il fait beau, mais le temps a l’air de tourner. Quand il fait beau, j’ai assez d’activité, je recense, je visite des villages, je surveille mes chantiers. Pas de travail de bureau ou si peu !

    A Alger, les affaires ont l’air d’aller mal, mais elles ne provoquent aucun remous à notre échelon. La question d’Algérie est très compliquée… »  (p,149)

       Quelques réflexions :

       « Avec ou malgré l’Armée » : à partir de la mise en œuvre du plan Challe et de sa réussite militaire, je crois sans contestation possible, qu’il était évident que les cartes stratégiques de ce type de guerre semblaient redistribuées entre le Général et une grande partie des officiers qui s’étaient battus et croyaient encore à la possibilité d’une solution algérienne à la française.

       Beaucoup d’entre eux militaient pour la solution de « l’intégration », mais sans jamais en avoir défini le concept et ses conditions d’application. 

       De Gaulle n’avait pas été formaté pour ce type de guerre et n’avait pas fait l’expérience concrète des guerres subversives, sauf à dire que le gouvernement de la France Libre, la Résistance, proposaient quelques similitudes, à mon avis bien éloignées.

      Beaucoup de ses collègues officiers, plus jeunes, s’y étaient en revanche frottés en Indochine – beaucoup d’entre eux y étaient morts, car une promotion de Saint Cyr était morte au champ d’honneur chaque année de guerre –  estimaient qu’il leur fallait convaincre la population algérienne en mettant en concurrence intégration et indépendance.

      Sauf que je n’ai jamais bien su en quoi consistait l’intégration proposée !

      A mes yeux, c’était beaucoup trop tard, mais l’argument portait.

      De Gaulle, « le prince de l’équivoque » ? (p,119)

     Il est difficile de ne pas adhérer à ce type de question – constat, car au fur et à mesure du déroulement du conflit et de la négociation d’un cessez le feu, les esprits les mieux intentionnés avaient beaucoup de peine à interpréter les double-discours, les circonvolutions, les contradictions, les évolutions, sans savoir dans quelle direction le général avait en définitive décidé d’aller.

        Il est évident que beaucoup d’officiers étaient de plus en plus convaincus, au fur et à mesure de ses discours que le Général avait décidé d’abandonner l’Algérie : ils pensaient que son objectif essentiel était la mise au point de la bombe atomique, et donc la préservation temporaire de la zone d’essais du Sahara.

      Mercredi 11 mai (1960)

       Avec d’autres ministres, Robert Buron accompagnait le Général à Saint Nazaire pour le lancement de France, et il lui rendait compte de sa conversation du samedi précédent à Rabat avec Mohamed V.

        Ils abordèrent différents sujets :

      « Brusquement il revient à l’Algérie car cette conférence au sommet (entre les deux super-grands) lui apparaissait à la fois comme un moyen propre à favoriser l’issue qu’il recherche et comme une raison – voire un alibi pour « forcer » celle-ci.

      Il me dit : « Notre devoir maintenant c’est  d’assurer mieux encore notre unité nationale, c’est de mettre fin à la guerre d’Algérie qui nous affaiblit, c’est de nous doter nous-mêmes d’une force militaire suffisante…

     Je lui rappelle une déclaration qu’il m’avait faite cet hiver juste avant les barricades :

      « Si la situation internationale se tend, il faudra bien retirer progressivement l’Armée d’Alger, et par conséquent trouver un arrangement politique. » (p,126)

    Mercredi 15 juin

      « Le général de Gaulle a parlé hier. Allons, les souvenirs de la « tournée des popotes » s’évanouissent ! Ses prises de position ont été plus nettes encore que le 16 septembre et le 10 novembre. Le fil est renoué. Mais le GPRA sera-t-il plus sensible à cet appel qu’aux précédents ? » (p,126)

     Commentaire

      Contrairement à cette notation, les souvenirs de la tournée des popotes ne s’y étaient pas évanouis par miracle et continuaient à entretenir un grand malaise dans le milieu des officiers : ils se posaient la vraie question de la solution politique à proposer susceptible de ne pas trahir nos engagements.

      Première partie du 5

Carnets Buron – 6 – 1961-1962 « Fin de partie » pour le soldat

Carnets Buron – 6 – 1961-1962

Décembre 1960 : « Fin de partie »,  pour le soldat !

     A la fin de chacune des chroniques que j’ai publiées dans mon livre sur cette guerre,  je concluais avec une rubrique intitulée :

        «  Morts ou vivants, ils auraient dit ou ils diraient »

           A la fin de celle intitulée « La lettre d’amour » (p,60), concernant l’année 1960, j’écrivais (p,94) :

           « Le douar reprenait une vie normale, il y avait un café maure , et même un cinéma. Les écoles avaient rouvert leurs portes. Tout semblait dire ; la pacification a réussi, on pouvait la toucher du doigt. Déjà on voyait colonel et sous-préfet, colonelle et sous-préfète venir en tournée pour admirer les beaux paysages du douar.

         Juste une illusion, car le mal était fait. L’histoire avait effectivement franchi ici un pas. Elle ne reviendrait pas en arrière.

       Notre merveilleuse intelligentsia avait vu juste, mais elle avait beaucoup contribué pour qu’il en soit ainsi.

       Le sourire hygiénique de la pacification, des hommes et des femmes pacifiés, avait remplacé le sourire hygiénique du lieutenant de la SAS… » (p,94)

&

            A la fin de l’année 1960, nous avions réussi à organiser les premières élections municipales :

  • Journal de Marche et des opérations du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins du 27 novembre 1960:

        « De huit à dix-sept heures, élections municipales dans le douar des Béni-Oughlis (El Flaye, Tinebdar, Tibane, Tiliouacadi, Djenane) activité de patrouilles et d’embuscades sur toute l’étendue du quartier.

      Elections des maires des communes d’El Flaye, Tibane, Tilioucadi et Djenane » (p,264)

  • Extraits de lettre à mon épouse : « Vieux Marché, le 27/11/60

            « Il est 22 heures 10 et je me suis levé à six heures, je suis vanné parce qu’il y avait trop de choses à faire pendant la journée.
Je te parlerai plus longuement de ces élections demain, satisfaisant, des votes équilibrés. Dans une de mes communes, la liste présentée n’est pas passée. Il y a eu une majorité de votes blancs, car cela prouve que ces élections se sont passées honnêtement… » (p264)

            Vieux Marché, le 28/11/60

            « Je vais d’abord te raconter rapidement cette journée d’élections. La veille, la tournée de tous les villages m’avait crevé.

            Le matin, je m’étais levé tôt pour la mise en place des bureaux de vote et vers dix heures tout collait à peu près bien…

       Le dépouillement a duré jusqu’à 20 heures 30, donc une fois la nuit tombée, tout un symbole, un dépouillement dans des conditions de fortune, mais en présence de nombreux civils.

      A ce point de vue, c’était déjà une réussite. En finale, j’ai dû tous les raccompagner en camion dans leurs villages respectifs,  et ça, c’était moins drôle… » (p,265)

        A la fin de l’année 1960, la paix civile était revenue dans le douar. Dans ma SAS, les écoles fonctionnaient à nouveau, l’eau avait été rétablie, et les mairies brûlées étaient ou reconstruites, ou en voie de l’être. J’avais créé une salle de cinéma artisanale et une petite coopérative d’épicerie. Dans la vallée, à Takrietz, j’avais fait acheter quatre paires de bœufs. Des travaux de tout à l’égout avaient été lancés dans une dizaine de villages, et une piste avait été aménagée entre Chemini et Boumellal…

       En cours d’année, il m’était devenu possible de visiter à pied tous mes villages, avec mon seul garde du corps, un ancien rebelle fait prisonnier, un type formidable, de descendre en jeep à Sidi Aïch, dans la vallée, sans protection particulière.

     Des élections municipales avaient été organisées dans les trois communes…

       Ceci dit, et comme je l’ai écrit à plusieurs reprises, tout au long de mon séjour, j’ai eu le sentiment d’être le porteur du « sourire hygiénique de la pacification. »

        Rappelons que dans un de ses bulletins, la FNACA, dont je ne fais plus partie, avait publié mon interview en écrivant, si je me souviens bien « le seau hygiénique de la pacification », une expression que j’avais fait rectifier dans un numéro suivant, et qui l’avait été dans un format tout à fait modeste.

       Qu’ajouterais-je en conclusion de cette première partie, pour la résumer, sinon de publier un extrait de la même chronique que je citais plus haut, relative au contingent, à son état d’esprit : ce dernier avait pu constater que dans les djebels et le bled, l’Algérie n’était pas la France,  qu’il ne comprenait pas les enjeux de ce conflit, d’autant moins que les officiers eux-mêmes éprouvaient de plus en plus de difficulté à suivre les circonvolutions successives de la politique du Gouvernement.

       En définitive, une seule chose les intéressait, la Quille, c’est-à-dire le retour chez eux le plus vite possible.

      Avant même que de Gaulle ne largue l’Algérie, et à l’occasion du putsch raté des généraux au printemps 1961, l’attentisme actif qu’une grande majorité de membres du contingent fut sans doute un des facteurs-clés du dénouement de ce conflit.

    A la fin de la chronique citée plus haut, « La lettre d’amour », j’écrivais :

         « Les petits gars du contingent avaient une obsession plus prosaïque, la quille, le calendrier et le blanc des jours que l’on voulait avoir mangé le plus vite possible par le noir du stylo. Il fallait décidément une bonne petite guerre pour que des hommes de vingt ans veuillent biffer d’un coup deux années de leur vie.

       Et des quilles, il y en avait de toutes les sortes, la petite maigrichonne, ou la malicieuse, la quille bijou portée en collier, celle que l’on accrochait en sautoir, celle qui pendait à la ceinture.

      La quille en bois naturel, la quille enluminée, la quille bleu blanc rouge, la quille miniature et la quille monumentale, celle que l’on dressait au milieu de la carrée.

      La quille laïque et la quille bénie secrètement, la quille porteuse de chance.

      On ne pensait plus qu’à ça. Elle  envahissait tout.

     La quille joyeuse, sautillante, exaltante, celle des quelques semaines et des jours avant la libération du service militaire.

     Manquaient à la parade les quilles revêtues de noir de ceux qui ne reviendraient jamais d’Algérie. »  (p,95)

      Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

« Carnets politiques de la guerre d’Algérie » Robert Buron- Citations et commentaires

Jour anniversaire de mon fils Hugues

 « Carnets politiques de la guerre d’Algérie » (Plon 1965)

Robert Buron

Ancien ministre du Général de Gaulle, et signataire des accords d’Evian »

Citations et commentaires de Jean Pierre Renaud, ancien combattant appelé de la guerre d’Algérie – Tous droits réservés

Prologue

            Ainsi que je l’ai déjà écrit, après avoir quitté l’Algérie, à la fin de l’année 1960, j’ai tiré un trait sur cette période sans doute inutile de ma vie.

         Je suis revenu bien longtemps après sur ce passé, après avoir lu quelques livres de souvenirs, participé à quelques réunions d’anciens combattants, notamment ceux du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins, et publié une sorte de version de « ma guerre à moi », sorte de compte rendu de mon expérience d’officier SAS en Petite Kabylie dans les années 1959-1960.

        Ce livre, publié en 2002, était intitulé « Guerre d’Algérie – Années 1958-1959-1960 –Vallée de la Soummam ». Plus de trente années avant, j’avais rédigé des brouillons, et dans l’un dans d’entre eux, j’avais eu la curieuse ambition de tenter de donner la parole à quelques-uns de nos adversaires.

            Les sources de mon récit étaient avant tout celles de mes notes et souvenirs, des lettres qui ont été publiées dans les Bulletins de la promotion  Communauté, et surtout des lettres que j’avais adressées à mon épouse.

            Je n’accorde en effet pas une grande confiance à tous les récits, et il y en a beaucoup,  fondés uniquement sur la mémoire, que leurs auteurs proposent  plusieurs dizaines d’années  après les faits.

            Il y a en effet pléthore de récits mémoriels, cédant à une certaine mode historique encore en vogue, le mémoriel se substituant très largement à l’historique, ou encore tout simplement le romanesque.

            C’est d’ailleurs à l’occasion de la lecture du livre de M.Ferrari « Le sermon sur la chute de Rome », qu’il m’est arrivé de réagir sur les interprétations idéologiques de cette guerre, plus de cinquante après, sans rien connaître de l’expérience d’une guerre.

            Il y a quelques années, je suis tombé sur les « Carnets politiques de la guerre d’Algérie »  de Robert Buron, un homme politique que j’estimais. J’ai lu ce livre pour avoir une version que je qualifierais d’honnête sur les tenants et aboutissants de la négociation des Accords d’Evian, en 1962.

            J’ai lu ces carnets pour tenter de comprendre par quel processus « diplomatique » la France s’était résolue à reconnaître l’indépendance de l’Algérie.

            Les extraits de carnets et mes commentaires seront présentés en deux parties : la première, détaillée,  correspond à mon vécu algérien (avril 1959 -décembre 1960) ; la deuxième esquisse une synthèse des notes de Robert Buron consacrées aux négociations qui ont abouti, après la fin de l’année 1959, terme d’un plan Challe qui avait pacifié militairement le territoire algérien,  aux accords d’Evian de 1962.

        J’invite les lecteurs qui souhaitent aller plus loin dans la compréhension de cette période historique à se reporter aux carnets eux-mêmes, ou au livre que l’historien Guy Pervillé a consacré aux mêmes  accords d’Evian.

         Le lecteur trouvera donc dans la première partie quelques extraits des carnets qui me paraissent bien illustrer les positions successives de la France sur le dossier algérien, jusqu’aux barricades d’Alger de janvier 1961, juste après mon départ d’Algérie.

        En parallèle de ce  récit, j’ai cru bon de rappeler quelques extraits de mon propre récit, effectué souvent au jour le jour,  dans l’état d’esprit qui était le mien à cette l’époque. Cette démarche s’inspirerait de celle d’un Fabrice del Dongo : dans la Chartreuse de Parme, Stendhal, décrit le même type d’expérience décalée de la guerre, dans un contexte naturellement très différent, à Waterloo, en 1815.

         La situation de beaucoup de jeunes appelés du contingent envoyés faire la guerre en Algérie, entre 1954 et 1962, ressembla beaucoup, naturellement transposée, un siècle et demi plus tard, à celle de Fabrice à Waterloo.

      Il s’agira donc quelquefois, mais de façon anecdotique, d’une sorte de dialogue  historique à deux voix, avec une voix d’en haut, celle de Robert Buron, le ministre et celle d’en bas, un soldat du contingent.

       A la fin de l’année 1960, date de ma libération militaire, ne seront citées que les quelques notes qui ont l’ambition de résumer les extraits de ce carnet relatifs aux négociations qui débouchèrent sur les accords  d’Evian

     J’ai beaucoup hésité à revenir sur ces sujets, car l’histoire de la guerre d’Algérie reste à mes yeux un dossier pourri par tout un ensemble de groupes de pression dont la vérité n’est pas le premier des soucis, des deux côtés de la mer Méditerranée.

      Rappellerais-je simplement qu’à partir de 1956, date de l’entrée en scène du contingent, les centaines de milliers de bons petits soldats ne connaissaient quasiment rien du passé de l’Algérie, et qu’au-delà de la côte européanisée, ils réalisaient vite qu’ils débarquaient dans un pays pauvre qui n’était pas la France, sauf peut-être, et encore, sur la côte ?

&

            Rien de mieux pour le citoyen d’aujourd’hui dont l’ambition est de mieux comprendre le pourquoi, le comment, et la « fin » de la guerre d’Algérie, que de lire ces carnets d’un homme politique qui fut, auprès du Général de Gaulle, un des acteurs majeurs des Accords d’Evian en 1962.

            Robert Buron n’était pas un perdreau de l’année dans le monde politique : chrétien de gauche, et alors MRP, il avait déjà exercé des responsabilités ministérielles, notamment dans le gouvernement Mendès-France qui avait mis « fin » à la guerre d’Indochine. Cet engagement hors norme lui avait valu des inimitiés.

     Robert Buron faisait partie  d’une petite cohorte d’esprits libres, relativement bien informés, ouverts au processus d’une décolonisation pacifique construite sur les indépendances et la coopération technique.

     Le livre de Guy Pervillé « Les Accords d’Evian (1962) » en propose par ailleurs une version historique de référence, rigoureuse, complète, et bien documentée.

      Mes études avaient été complètement perturbées par les questions de décolonisation, la guerre d’Indochine, le début de la guerre d’Algérie, et la perspective d’y aller, étant donné la décision qu’avait prise l’Assemblée Nationale, en 1956, sur la proposition de Guy Mollet, Président du Conseil SFIO, d’y envoyer le contingent.

      En ce qui me concerne, après une formation de six mois à Ecole Militaire de Saint Maixent, je fus affecté en 1959-1960 dans une SAS de Petite Kabylie, dans la belle vallée de la Soummam.

     Les carnets rendent bien compte de l’état d’esprit des gouvernements de la Quatrième République, que, nous, étudiants jugions alors complètement dépassés par les événements, et bien incapables d’engager la France et l’Algérie dans une voie nouvelle.

      Les Carnets font un peu plus de 260 pages, avec trois parties : I Le drame algérien et la fin de la IVème République (p, 9-97) – II Vers l’autodétermination (p, 97-175) – III Les Rousses et Evian (p, 175-267)

       Je n’ai pas l’intention d’en faire un commentaire détaillé et je me contenterai de proposer les quelques extraits de texte qui me paraissent bien éclairer les tenants et les aboutissants de cette guerre absurde, mais tout à fait représentative du fonctionnement de la détestable gouvernance politique de la IVème République et des cheminements tortueux de la Vème République pour aboutir à une certaine paix.

      Robert Buron avait su nouer de nombreuses relations amicales au Maghreb et en Afrique noire qui lui donnaient la possibilité de prendre le pouls de ces pays.

     Le procédé d’écriture que je vous propose donc consiste à illustrer  et commenter en parallèle, lorsqu’une source est disponible, – voix d’en haut, le ministre, et voix d’en bas, le soldat projeté dans le douar des Béni Oughlis, dans la vallée de la Soummam.

     Ce douar était considéré comme pourri sur le plan militaire et politique, en raison notamment de l’évolution culturelle de sa population, de sa position dans la willaya III, en bordure de la forêt d’Akfadou et du massif Djurdjura.

        Afin de mettre un peu de clarté dans les dates, j’ai souligné les années.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Annonce de publication Comme déjà annoncé; Les Carnets politiques de la guerre d’Algérie de Robert Buron

Annonce de publication

Comme déjà annoncé

Demain, 14 février 2018, jour anniversaire de mon fils Hugues, je commencerai à publier une chronique sur les « Carnets Politiques de la Guerre d’Algérie » de Robert Buron.

Au cours du deuxième trimestre 2018, je publierai une longue chronique critique du « modèle de propagande postcoloniale » du collectif Blanchard and Co : pourquoi ?

Pour avoir servi la France, mon pays, tout au long de ma vie, j’estime que ce collectif, après avoir surfé, entre autres,  sur une « fracture coloniale » née de leur imaginaire idéologique, sème depuis trop d’années un poison de fracture nationale.

Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Synthèse critique

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Synthèse critique

            J’ai lu ce livre avec beaucoup d’intérêt, un livre vivant, riche d’ouvertures historiques, d’appréciations souvent convaincantes, quelquefois aussi d’éclairages de vérités dérangeantes.

        L’intitulé des trois parties parait justifié, sauf à dire qu’il manque peut-être une partie consacrée à la France coloniale de métropole, ses animateurs, ses outils de propagande, ses effets sur l’opinion publique, notamment à travers une presse qui n’a jamais fait l’objet, sauf erreur, d’une évaluation de l’écho qu’elle donnait aux affaires dites « coloniales ».

       Mes lecteurs savent qu’il s’agit de la critique fondamentale que j’ai formulée, avec démonstration à l’appui, à l’encontre du travail d’un collectif de chercheurs qui ont prétendu que la France avait « baigné » dans une culture coloniale, puis impériale.

         La France coloniale a toujours eu les yeux plus gros que le ventre, et la France postcoloniale au moins autant, à voir le nombre de ses interventions internationales tous azimuts.

        Les analyses de la troisième partie militent en ce sens. Je ne citerai qu’une phrase de la conclusion à ce sujet : « L’empire colonial a été une affaire d’élites. » (p322)

          L’auteur intitule sa première partie « Le fiasco des décolonisations » et je partage ce jugement, mais pouvait-il en être autrement de l’avis de ceux qui ont la chance d’avoir une petite culture historique sur l’histoire coloniale elle-même, sur les situations coloniales des années 1960, de la situation internationale elle-même avec la guerre froide, la propagande de l’URSS, de celle des Etats-Unis en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et du tiers-mondisme ?

          Pouvait-il en être autrement compte tenu du cours des choses en Afrique du Nord ou en Afrique noire, les deux cas de l’Indochine et de l’Algérie étant tout à fait particuliers ?

           Le risque de « balkanisation », alors dénoncé par Senghor, montrait bien que l’intéressé connaissait bien le sujet, une sorte de balkanisation ethnique et culturelle encore très prégnante, avec le constat que le découpage géographique et administratif effectué une soixantaine d’années auparavant entre les différentes colonies n’était pas de nature à donner naissance à ce qu’on appelait alors, et qu’on appelle encore de nos jours, des Etats-nations.

        De l’avis des bons connaisseurs de ces territoires, la décolonisation était inscrite dans l’histoire de ces pays, mais le processus de décolonisation ne pouvait qu’être difficile pour tout un ensemble de facteurs internes liés aux croyances de ces territoires, à leurs cultures, leurs mœurs, leurs coutumes, le nombre de leurs langues et de leurs peuples, pour ne pas dire ethnies, de leur manière d’être gouvernés avec l’importance du patriarcat que souligne l’auteur (p,147,148).

        Ajoutons à cette difficulté celle d’une recherche de modes de coopération avec un  islam très divers dans toutes les régions, au moins dans celles où cette religion bénéficiait d’une certaine cohésion religieuse.

        Dans son livre « La France en terre d’islam », le même historien décrit la situation de l’Algérie coloniale, en notant que le peuple algérien continuait à vivre dans une sorte de monde très largement musulman, parallèle à celui de l’Algérie française : « Une contre-société coupée de l’Algérie française ». (p,218)

      Dans les années 1959-1960, j’ai fait l’expérience concrète du parallélisme ainsi décrit en Petite Kabylie, plus d’un siècle après la conquête.

          Ce n’est pas tout à fait par hasard que la colonisation française, faute de pouvoir faire autrement, en tout cas en Afrique, faisait en sorte de respecter des statuts personnels très variés, avec le cas tout à fait particulier d’un l’islam qui y avait gagné beaucoup d’adeptes jusqu’à la décolonisation, un islam encore modéré.

         Les caractéristiques du statut personnel des musulmans rendaient difficiles sa compatibilité avec le statut personnel des français et des françaises, notamment après la grande loi sur la laïcité de 1905 ?

         Ce n’est pas par hasard, que de nos jours, notre pays rencontre des difficultés pour que l’islam de France joue le jeu de nos institutions fondée sur la laïcité et l’égalité entre les deux sexes ?

         La deuxième partie intitulée « Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites » (p,105 à 223) fait appel au terme d’élites, mais il aurait souvent été difficile de définir les élites auxquelles on avait à faire : les nouveaux citoyens, anciens ou nouveaux acculturés, les élites traditionnelles encore influentes dans leur ethnie d’origine ou leurs villages, les élites récemment formées dans nos universités, souvent formatées par le marxisme ? Des élites qui en tout état de cause étaient peu nombreuses et qui ne partageaient pas un consensus « national ».

          Pour citer deux exemples d’élites africaines du milieu « parisien » formatées par un marxisme international encore en vogue, à Paris et à Antananarivo : le premier celui des assemblées générales successives de la Maison de la France d’Outre-Mer qui accueillit beaucoup des jeunes élites de l’outre- mer dans les années 1950, au cours desquelles on pouvait entendre des discours interminables, jusqu’à point d’heure, sur la révolution prolétarienne, le marxisme international, l’anticolonialisme, l’exploitation des peuples d’Afrique, de jeunes élites qui arrivées au pouvoir s’adonnèrent rapidement aux dérives qui sont bien décrites dans l’ouvrage.

        Le deuxième, à Antananarivo, celui de l’amiral rouge Ratsiraka, lequel coule encore des jours paisibles en France, sorti de Navale, lancé dans une révolution populaire sur le modèle chinois, un mouvement sans lendemain « qui chante ». La grande île paye encore de nos jours les fruits de cette démagogie marxiste.

      Presque tous ces territoires ne disposaient donc pas des facteurs d’agrégation nationale suffisants pour que la décolonisation ne tourne pas au fiasco.

      La troisième partie intitulée « La France, les Français et leurs anciennes colonies « (p,223 à 321)

     Je ne suis pas sûr que beaucoup de Français soient capables encore de donner la liste de ces anciennes colonies, tout autant que les Français des années des indépendances aient été capables de faire mieux, et c’est toute l’ambiguïté qui pèse sur ce débat des histoires coloniales et postcoloniales.

     Il me semble que l’historien Ageron a montré dans une de ses études les limites de cette « culture métropolitaine », après la deuxième guerre mondiale.

     C’est la raison pour laquelle je pense qu’il aurait été intéressant de faire un bref rappel de la connaissance des mondes coloniaux qu’avaient les Français avant 1939 et entre 1945 et 1960, avec les premiers sondages que l’historien Ageron a cité dans une de ses études.

          Les analyses de l’’auteur font une large part au Maghreb, à l’Algérie, au Maroc qu’il connait bien, peut-être trop, sauf à dire, et c’est toute la question, que les années qui ont succédé aux indépendances, à celle de l’Algérie, a donné un  rôle central aux intellectuels sortis de la matrice algérienne, car c’est clairement ce qui en ressort.

         Avant la publication de cette  critique, les lecteurs ont pu consulter le texte que j’ai consacré à l’historien engagé politiquement Stora à travers l’ensemble des citations et prises de position qui ont  jalonné la période examinée, une sorte de fil « rouge » de lecture et d’interprétation de cette période qui a vu cet intellectuel occuper de multiples espaces médiatiques pour tenter de convaincre ses lecteurs et auditeurs que l’histoire de l’Algérie, et la guerre d’Algérie, constituent l’alpha et l’oméga de notre histoire coloniale et postcoloniale.

          Je ne crois pas que la propagande coloniale n’ait jamais disposé, dans le cadre historique qui fut le sien, d’un tel acteur et animateur.

         Les chapitres XIV « Les élites postcoloniales en métropole : entre revanche sociale, utopie et corruption » (p,239à256) et XVIII et le chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289 à 303) ouvrent des perspectives fort intéressantes sur la composition et le rôle de ces élites et sur les manipulations de l’information, pour ne pas dire la propagande.

Révélations, analyses pertinentes ou éclairages intéressants :

     Le rôle des médias : cette question sensible est évoquée à de multiples reprises, et comme je l’ai dit, il est dommage que l’auteur n’en ait rien dit dans son ouvrage sur la période coloniale elle-même.

      Le livre donne quelques exemples de leurs manipulations qu’elles procèdent de l’Etat, des groupes de pression métropolitains ou africains, la guerre du Biafra ou le génocide du Cambodge, et son propos est plus précis sur la période récente :

     « Si la décolonisation crée une coupure entre la métropole et l’ancien monde colonial, les médias conditionnent et assurent le maintien de leurs rapports. Dans les années 1960 et 1970, coopérants et fonctionnaires européens font encore circuler connaissances et informations. Mais ce canal se tarit dans les années 1980. Le relai est ensuite pris par les entreprises, industrielles, financières ou de tourisme qui ne sont toutefois pas des médiateurs culturels : leur communication d’entreprise est déséquilibrée, car leur objectif n’est pas d’informer mais de communiquer. La médiation est aussi assurée par l’immigration postcoloniale qui s’intensifie dans les années 1980 avec le regroupement familial. Mais ce phénomène concerne surtout la société d’accueil, et peu sur celle d’origine. Les médias, la presse en particulier, jouent donc un grand rôle d’interface et d’interconnaissance des sociétés. Un petit groupe d’experts et de journalistes, informant le grand nombre, circule de part et d’autre. » (p,289)

        Au fil des pages, l’auteur constate que la presse est « aux mains des grands industriels » (p,291),  que les pays dépendants, souvent des dictatures, contrôlent et verrouillent les circuits d’information, comme on le voit bien dans les exemples fournis, le silence complet de l’Algérie sur la deuxième guerre civile des années 1990-2000, le contrôle qu’exerçait Ben Ali, ou de façon plus subtile, celui du Maroc, avec la collaboration de quelques journalistes de métropole patentés :

        « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine qui éclate au cours de l’automne 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes en charge des affaires internationales et du Maroc, ont  bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du royaume sur le Sahara. » (p302)

      Le néocolonialisme – L’auteur en décrit maints aspects, la Françafrique, l’hypocrisie de la Conférence de La Baule, avec Mitterrand en 1990, le rôle tout à fait étrange du ministère de la Coopération chargé de distribuer des allocations à certains chefs d’Etat africains. (p,162)

      La deuxième guerre civile algérienne des années 1990, décrite notamment à la page 168, et à l’occasion d’autres analyses, nous donne quelques informations sur cette guerre dont les méthodes et les victimes font encore l’objet d’un black-out complet de la part de l’Algérie.

        Il serait évidemment très intéressant que les intellectuels sortis de la matrice algérienne mettent leur talent  au service de l’histoire postcoloniale de l’Algérie, comme ils ont su le faire pour la seule guerre d’Algérie qui a duré moins de 10 ans, de 1954 à 1962.

     En ce qui concerne notre pays, il aurait été intéressant de connaître le nombre d’Algériens et d’Algériennes qui sont venus se réfugier chez nous, car le même sujet fait l’objet du même black-out.

     L’auteur fait un sort particulier au Sénégal, un cas particulier : « L’exception sénégalaise, un allié modéré dans la guerre froide » (p,75), et au fil des pages, l’auteur revient sur cette situation particulière.

        Il convient de noter que le contexte de la guerre froide a beaucoup  pesé sur la décolonisation, et a été un des facteurs internationaux de ce choc, mais j’ajouterais que la situation coloniale du Sénégal n’a jamais été comparable à celles des autres colonies, pour au moins trois raisons, géographique en bordure de mer, historique avec une présence ancienne de la France sur ses côtes, religieuse et culturelle, évoquée d’ailleurs à la page 147, avec l’existence d’un islam modéré couvert par la grande confrérie mouride.

      Islam et choc des décolonisations

      Il s’agit d’un thème d’analyse et de réflexion qui court au fil des pages, notamment dans le chapitre XII (p,214,215,216,217), et c’est un sujet sensible que l’auteur connait bien, notamment en ce qui concerne l’islam du Maghreb.

      Le lecteur a la possibilité de mieux comprendre la fausse interprétation que nos gouvernements firent des « printemps arabes », notamment grâce à la manipulation des médias :

       « Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec la France et ses dirigeants oblige. » (p297)

     J’ai évoqué ce sujet sur mon blog.

     On se souvient de l’épisode qui mit en cause Mme Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur.

     L’immigration

     L’auteur consacre le chapitre XVIII (p,305) à la question « immigration » et propose tout un ensemble d’éclairages et de données chiffrées sur les flux de l’immigration et leur évolution.

     L’historien note : « La guerre d’Algérie et l’intensification paradoxale de l’immigration impériale » (p,308), un mouvement effectivement très paradoxal, compte tenu des raisons qui avaient incité de Gaulle à larguer l’Algérie, alors que l’immigration d’origine algérienne a effectivement augmenté au cours des années qui ont suivi la guerre d’Algérie, et jusqu’à nos jours.

     Cette situation mériterait incontestablement plus d’explications.

      Quant à l’augmentation de l’immigration impériale en général, elle soulève également beaucoup de questions, notamment sur la nature de ces flux, compte tenu notamment :

      « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question. Entre 1975 et 1985, 147 938 femmes et enfants marocains se sont installés en France. Et depuis 1976, les Français d’origine étrangère par filiation directe ont beaucoup augmenté (6,7 millions en 2008, d’après l’Insee).

    .…En établissant que les immigrés représentent toujours 10% de la population, au lieu de reconnaître que l’immigration s’est accrue, et a changé de nature, l’Etat a causé de graves conséquences : un débat tabou et biaisé sur l’immigration, un ressentiment d’enfants d’immigrés comme dans les autres classes populaires françaises. L’actualité en porte quotidiennement les traces. » (p,314)

      « Avec 12 millions d’immigrés et leurs enfants (sans parler de la troisième génération), la population française des années 2000 est donc très différente de celle des années 1930 (ou cinquante ?), ce que la classe politique (droite et gauche confondues) peine à formuler. » (p,317)

      Le plus surprenant dans toute cette évolution est le rôle que les intellectuels « algériens » y ont joué :

       « Fin de l’assimilation et apologie de la diversité, le rôle des intellectuels « algériens ». (p,318,319)

      L’Algérie, toujours l’Algérie ! Historiquement, un slogan fit une fortune très relative, « L’Algérie, c’est la France ! », mais de nos jours, certains pourraient commencer à dire : « La France, c’est l’Algérie !

     Comment expliquer une évolution tout à fait paradoxale, partant d’une France qui n’a jamais été à proprement parler une France coloniale jusqu’aux indépendances, une France qui n’a jamais peuplé ses colonies, à la seule exception de l’Algérie (avec le concours des immigrations italiennes et espagnoles), laquelle, après « Le choc des décolonisations » se retrouve progressivement colonisée par des populations venues de l’outre-mer ?

     Je conclurai cette lecture en indiquant que ce livre permet de mieux comprendre pourquoi la question algérienne, avec son courant d’intellectuels issus de la matrice algérienne continue à occuper une place idéologique, politique, et médiatique qui correspond de moins en moins avec notre histoire coloniale et postcoloniale.

     Je regretterai toutefois que l’auteur n’ait pas accordé un peu de place à l’histoire quantitative, celle des ordres de grandeur, des échelles, des rapports de force existant entre tous les acteurs du fiasco décrit.

       Pourquoi ? Parce qu’il s’agit là, et à mon avis, d’une des grandes carences de l’histoire postcoloniale, l’oubli de l’histoire quantitative.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie, suite et fin

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite et fin (e)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289)

        Un titre poétique pour un chapitre au contenu dérangeant, portant sur les nouvelles formes de propagande ou de contrôle de l’information qui touche l’ancien domaine colonial de la France.

       A l’heure actuelle : « Les acteurs et les pôles de pouvoir sont multiples. Entre la France et ses anciennes colonies, lobbys, groupes d’intérêt et de pression sont très divers : Etats, et services de renseignement, collectivités locales, médias (presse et télévision)…Or ces acteurs tentent peu ou prou d’influencer médias et auditeurs selon leurs intérêts. Fabriquer les opinions est un métier… L’information est une denrée que les régimes autoritaires veulent contrôler par tous les moyens. La présence durable et des contacts sur place sont irremplaçables : séjourner dans un grand hôtel avec les correspondants étrangers forge une information très différente. « (p,290)

        Une manipulation d’autant moins difficile avec une presse aux mains des grands groupes industriels que l’auteur décrit :

        « La plupart des médias français sont aux mains de 11 groupes privés… « Des médias audiovisuels très dépendants du service public » (p,292),avec pour résultat : « Pour toutes ces raisons, les régimes autoritaires contrôlent l’information diffusée en France et en langue française. Ce n’est pas pour eux une option, mais parfois une question de survie. Et certains médias français en profitent au passage pour renflouer leurs caisses. » (p,295)

      Comme le note l’auteur un peu plus loin et en ce qui concerne certains journalistes :

      « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine, qui éclate au cours de l’été 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes français en charge des affaires internationales et du Maroc, ont bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du Maroc sur le Sahara ? » (p,302)

      « …. Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec ses dirigeants oblige. » (p,297)

       Dans certaines affaires, les services de l’Etat ne sont pas en reste : « Du Biafra à la révolution tunisienne, la manipulation par les services de l’Etat français ? » (p,299)

Chapitre XVIII « L’immigration, porte ouverte sur le monde ou bonne conscience européenne ? » (p,305)

      L’auteur a eu raison de souligner à la page 306 une situation qui explique le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies, hors leur exotisme :

        « Depuis 1830, la France colonise sans peupler : les paysans y sont riches et dotés de terres ; l’excédent démographique est capté par Paris et les régions industrielles ; et la Grande Guerre tue ou mutile 1 homme valide sur 4 »

           Riches ? Par rapport à qui, où et quand ? D’autres facteurs étaient en jeu.

          Je ne m’attarderai pas sur le contenu de ce chapitre, sauf à remarquer que l’auteur donne quelques informations sur des sujets tabous ou ignorés, par exemple,  en ce qui concerne les Antilles :

         « Le nombre des Antillais de métropole double entre 1954 et 1962, puis augmente de 50% entre 1962 et 1968. En 1968, on dénombre 61 000 personnes devenues 800 000 en fin de siècle…. » (p,312)

          L’auteur évoque également le regroupement familial et je fais partie de ceux qui s’étonnent de la prudence, pour ne pas dire du silence des autorités sur ces flux mal contrôlés :

        « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question… « (p,314)

        Des flux qui, à mes yeux, n’ont pas contribué à faciliter l’intégration de certains groupes de population qui habitent dans les quartiers sensibles.

         L’analyse consacrée  aux flux algériens est éclairante, mais conduit à se demander pourquoi la politique d’immigration algérienne a quasiment toujours bénéficié d’une mansuétude de la part de notre pays, pour ne pas dire d’un privilège à l’égard des ressortissants d’un pays qui n’a pas noué de saines relations avec la France, et alors qu’une des raisons légitimes de la politique du général de Gaulle, quant au largage de l’Algérie, était précisément la volonté que notre pays ne devienne pas un jour, compte tenu des mouvements démographiques prévisibles, la colonie de l’Algérie, une dynamique qui parait bien engagée, compte tenu notamment du rôle des intellectuels venus de la matrice algérienne, un rôle fort bien décrit par l’auteur.

        « L’histoire des migrations en France, a fortiori des Algériens, est souvent écrite par des intellectuels venus ou passés par Alger … Abdelmalek Sayad, assistant de Pierre Bourdieu… René Gallissot… Benjamin Stora… » (p,318)

         « Le discours de Français Hollande du 15 décembre 2014, dans une Cité nationale de l’histoire de l’immigration dirigée par Benjamin Stora, renvoie au premier acte de sa campagne présidentielle en 2011, la commémoration des cinquante ans du 17 octobre 1961, auquel l’historien de l’Algérie n’est pas étranger. La volonté affirmée de « réconcilier » Paris et Alger participe de ce mouvement complexe…

        Cette surreprésentation des intellectuels et hommes politiques liés à l’Algérie dans la sphère étroite de la politique multiculturelle française révèle le silence persistant des « sujets » de cette politique, les immigrés récents et leurs descendants, exception faite de plusieurs intellectuels originaires des DOM. Elle dit quelque chose de la volonté des générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, et par sa désintégration, de reconstruire une cité idéale sur ses décombres. Avec le recul, l’Algérie française apparaît à ces intellectuels et hauts fonctionnaires comme une société ségrégative, injuste, inégalitaire, raciste et autoritaire, un anti modèle à dépasser. » (p320)

        J’ai souligné l’expression générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, parce qu’elle ne traduit pas à mes yeux les réalités historiques, sauf à dire que depuis plusieurs dizaines d’années, les Français sont manipulés par une nouvelle propagande insidieuse et beaucoup plus importante que ne fut jamais la propagande coloniale elle-même, beaucoup plus limitée et inefficace, fondée sur les « mirages exotiques », alors que la propagande distillée par ces groupes de pression cherche à investir les consciences et à manipuler notre histoire de France.

          L’expression « générations marquées au fer rouge » à rapprocher d’une autre expression qui se veut historique alors qu’elle n’a jamais été mesurée, celle de « mémoire qui saigne ».

        L’historien politique Stora a la paternité de cette expression historiquement saignante, c’est le cas de le dire.

Conclusion « Le legs singulier de la France coloniale »

         L’auteur souligne bien la situation française des colonies avec toutes les contradictions dont la France d’aujourd’hui souffre encore : les conquêtes coloniales ont largement été le fruit d’une alliance entre le sabre et le goupillon, la franc-maçonnerie dans les superstructures des colonies, mâtinée de christianisme à ses bases, faites de coups politiques relevant du fait accompli montés par la gauche républicaine ou entérinés par elle, à l’exemple de Jules Ferry au Tonkin, en 1883, ou de Mahy, originaire de la Réunion, en 1883, à Madagascar, lequel fut un bref ministre de la Marine et des colonies du 29 janvier 1883 au 21 février 1883.

        La gauche des décolonisations n’a pas été à la hauteur des enjeux en Indochine, à Madagascar, et en Algérie : c’est le gouvernement de Guy Mollet qui fit voter l’envoi du contingent en Algérie, un contingent dont je fis partie.

         « L’empire colonial a été une affaire d’élites. Les élites françaises, royales, impériales et républicaines ont agi à destination des élites colonisées. De sorte que les Français, en tant que peuple, n’ont été concernés qu’à trois reprises par leur empire, l’exposition coloniale de 1931 demeurant un simple spectacle. Une première fois lors de la venue des troupes coloniales en métropole en 1914 et 1939 ; une seconde fois lors de la guerre d’Algérie, quand l’envoi de 2 millions de soldats et des attentats en métropole ont fait connaître l’Algérie; et une troisième fois par l’installation en métropole de millions de  ressortissants de l’ancien empire, la question n’ayant d’ailleurs jamais été débattue. Mais de l’empire et de ses sociétés, ils n’ont toujours su que ce que les élites, leur gouvernement et les médias voulaient bien en dire. » (p,323)

      Je partage cette conclusion : paradoxalement, notre pays est devenu une sorte de nouvelle colonie du monde moderne, et je ne pense pas que la France coloniale, celle décrite à grands coups de brosse idéologique, par certains chercheurs,  réduite à une petite  élite ait jamais pu imaginer que notre pays allait devenir lui, une colonie de peuplement, alors qu’en dehors de l’Algérie, la France n’avait jamais pratiqué la colonisation de peuplement.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Troisième Partie « La France, les Français et leurs anciennes colonies » p,221 à 234)

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Tous droits réservés

Troisième Partie

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Après avoir décrit le fiasco des décolonisations (I), puis la situation des décolonisés sous l’empire de leurs élites (II), l’historien analyse la situation de la France, des Français, et des anciennes colonies. (III)

      Comme je l’ai indiqué la décolonisation était inscrite dans l’histoire qui s’est effectivement déroulée, celle du « cours des choses » que beaucoup de membres de l’élite coloniale avaient prédit, ne serait-ce déjà que l’africaniste connu des spécialistes, Delafosse, et des bons connaisseurs de l’Afrique, lesquels proposaient l’association au lieu de l’assimilation.

        Il n’était pas facile pour les officiers de la conquête de manifester leur scepticisme sur ses buts, mais il en fut qui l’osèrent, je pense au colonel Frey qui exprima plus que de l’hésitation sur le bien- fondé de la conquête du Soudan, de nos jours le Mali, dans les années 1886-1888, une conquête dont il fut un des acteurs, je pense aussi au capitaine Toutée à l’occasion de sa mission politique et géographique vers le Niger, dans les années 1894-1895..

       Plutôt que d’aller à Madagascar, Lyautey, en ce qui le concerne, aurait préféré que la France s’attache à l’Indochine, le « joyau », respecte les institutions séculaires de l’Annam, de son Empereur, fils du ciel, plutôt que de les chambouler en remplaçant les mandarins par des résidents coloniaux.

       Un « cours des choses » qui toucha tous les empires » coloniaux, et qui se conclut généralement par un fiasco, même pour l’Empire des Indes, la Chine, ou l’Afrique du Sud pour ne citer que quelques-unes des terres coloniales les mieux loties.

        En ce qui concerne l’Afrique noire, je crois avoir démontré que les analyses de Frédéric Cooper sont trop décalées, historiquement, par rapport aux situations coloniales concrètes de l’après deuxième guerre mondiale en Afrique noire.

        En ce qui concerne la deuxième partie (II), son contenu illustre bien la difficulté qu’il y avait, compte tenu des caractéristiques de ces mêmes situations coloniales, en tout cas en Afrique noire, en termes de géographie physique, humaine, politique, économique, religieuse, culturelle, ethnique.

      La description qu’en fit le géographe Richard-Molard après la deuxième guerre mondiale suffisait à en montrer la très grande complexité.

    L’historien décrit toutes les dérives qui ont suivi les décolonisations, lesquelles découlaient largement de ces situations coloniales et de leur héritage, en termes d’Etat, de populations et d’élites.

       Je choisirais volontiers comme symbole de l’échec d’une certaine élite, Senghor, sorti de Normale Sup, un catholique d’exception élu grâce au soutien de la Confrérie musulmane des Mourides.

        Il se convertit à la solution du parti unique, une sorte de symbole de l’écart gigantesque qui existait entre des peuples qui n’étaient pas des nations et leurs petites élites, ou celui d’Houphouët-Boigny qui réussit à réaliser une certaine coagulation ivoirienne fondée sur un réseau de planteurs de cacao, mais surtout sur l’ethnie puissante que constituait le peuple Baoulé, en surfant sur une idéologie marxiste alors à la mode en métropole.

     Ai-je besoin d’ajouter que Mitterrand joua un rôle important dans la  « récupération » de ce leader, alors qu’il fut un des artisans de l’échec meurtrier de la décolonisation en Algérie.

      La troisième partie contient des analyses tout à fait intéressantes, d’autant plus qu’elles n’hésitent pas à mettre le doigt sur des incongruités historiques trop souvent méconnues.

        Le chapitre XIII ouvre le bal, mais à mes yeux, son titre même « Amnésie coloniale, mauvaise conscience, et beaux discours » souffre d’un biais courant et ambigu dans ce type d’analyse, c’est-à-dire qu’elle parait fondée sur un postulat, celui d’une « culture coloniale » des Français qui n’a jamais existé, et qui n’a jamais été mesurée, ne serait-ce que dans la presse, et qu’en même temps pour avoir existé, elle aurait été l’objet d’une « amnésie ».

     « Amnésie » pour qui ? Pour quelle amnésie ? Sur quel terrain colonial ? L’Algérie ?

     Les pages que l’auteur consacre aux politiques et surtout aux milieux intellectuels, montrent bien que c’est essentiellement l’Algérie qui leur a servi de toile de fond, leur rôle très actif dans le réveil d’une mémoire française qui aurait été coloniale.

       L’historien Stora en est, me semble-t-il un bon représentant, et c’est d’ailleurs son évocation qui ouvre ce chapitre (p,223), avec la référence de son livre « La gangrène et l’oubli » (1991), mais l’auteur souligne plus loin :

      « Cependant, il faut cesser de penser qu’il y alors en France ni débat ni réflexion sur cette guerre coloniale… » et plus loin, en titre de paragraphe « L’histoire coloniale engloutie par la guerre d’Algérie ».(p,224)

      Tout à fait !

     Il s’agit de l’objection la plus importante qui peut être faite au travail médiatique de Stora, finir par faire croire aux jeunes Français, et cela n’a pas l’air de bien marcher de nos jours, que l’Algérie fut l’alpha et l’oméga de la colonisation française, et lorsque j’écris « l’Algérie », il conviendrait de lire la « guerre d’Algérie ».

        Plus loin, l’historien cite le nom d’un autre intellectuel qui fit partie de cette nouvelle vague de propagande, lequel nous a entraînés récemment dans la désastreuse guerre de Libye:

     « La France passe en quelques années du mythe de la France résistante, installé par de Gaulle, à celui de la France collaborationniste porté par la jeune génération d’intellectuels, comme Bernard Henry-Lévy. C’est sur fond de retournement idéologique lié à l’irruption sur la scène publique de la génération nées après la guerre (Celle de 68 ?), que la mémoire coloniale» qui continue de « saigner », selon les mots de Benjamin Stora, refait surface. Bernard Henry-Lévy et lui-même appartiennent d’ailleurs à la génération d’intellectuels issus d’Algérie. » (p,232)

    Si mes informations sont exactes, l’intéressé ou sa famille auraient encore des intérêts en Afrique du Nord.

       Question : mémoire « coloniale » ou mémoire « algérienne » ? Que personne n’a d’ailleurs eu le courage de tenter de mesurer.

          Une mémoire qui « saigne » ? Diable ! Celle de Stora ?

         L’auteur note « La France des années 1960 ne veut plus entendre parler des colonies, inconnues des nouvelles générations. » (p,231)

         Je ne suis pas sûr que les anciennes générations aient plus entendu    « parler des colonies » avant les années 1939-1945, ce qui n’est pas démontré, sauf à quelques grandes occasions qui ont fait la une des actualités de l’époque, Fachoda ou guerre 14-18, la grande Exposition Coloniale de 1931, s’étant inscrite beaucoup plus dans le cycle des Grandes Expositions alors à la mode en Europe.

         Ainsi que je l’ai déjà écrit, les histoires coloniales et postcoloniales, avant tout, souffrent d’une  grande carence d’analyse de la presse, seul grand vecteur de mesure de l’opinion publique de l’époque.

     Ce livre nous donne à maintes reprises l’occasion de constater le rôle important que la mouvance des intellectuels issus de la matrice algérienne a joué dans ce que j’appellerais volontiers une  propagande coloniale inversée, beaucoup plus importante et plus efficace que ne fut la propagande du « temps des colonies », celle « adorée » par le collectif Blanchard end Co.

Jean Pierre Renaud