La Piastre et le Fusil

 II Que faire ? (p,86)

    « Avec « l’arrivée des communistes chinois à la frontière indochinoise en novembre 1949, insiste une note de 1950, (note de la direction Asie-Océanie, as Aide américaine à l’Indochine, 25 janvier 1951) et la reconnaissance de Ho Chi Minh par le gouvernement de Pékin (…) les opérations militaires tendaient à revêtir une ampleur telle que leur charge devenait impossible à supporter par la France seule ». Il ne fut jamais question de remettre « les pendules à l’heure », comme le suggéra Pierre Mendès France au lendemain du désastre de Cao Bang. Le gouvernement français allait s’efforcer au contraire d’utiliser les cartes qu’il détenait, ou croyait pouvoir détenir : la mise en place des Etats associés et le recours à l’aide américaine…

  L’intervention progressive des Etats-Unis dans la conflit indochinois s’inscrit quant à elle dans la logique des blocs : c’est en tout cas l’état d’esprit qui prévaut à Paris, dans les cabinets ministériels. « La reconnaissance de Ho Chi Minh par Moscou (…) précise trois mois plus tard une note du Quai d’Orsay, a donné soudain au conflit d’Indochine un aspect, qui aux yeux du gouvernement français, justifiait un appui public et efficace des Etats-Unis… » Mais, entre Français et Américains, les Etats associés en quête d’indépendance allaient représenter un enjeu essentiel, en particulier quand il faudrait les armer. »

   Avec l’élection du Président Truman et la guerre froide, la position américaine évolue  et les Etats-Unis reconnaissent Bao Dai.

   « A propos de l’Indochine, les Etats-Unis et la France ne pouvaient pas non plus si facilement de l’hostilité des premiers temps à une collaboration étroite : les premiers mois de 1950, comme un moment d’adaptation nécessaire, donnent à cet égard le ton, celui d’un premier « bras de fer » entre les deux pays ; la revue Time américaine avait révélé début janvier l’affaire Revers-Mast, que le gouvernement avait réussi jusque-là à étouffer : la fuite du rapport Revers, en direction notamment du Viet Minh, ne mettait pas seulement en cause la hiérarchie militaire mais aussi – par le contenu du rapport – l’action de la France en Indochine. « L’affaire des généraux » allait entraîner une déclaration du Prédisent du Conseil Bidault à la Chambre, la réunion d’une commission d’enquête, qui évoqua d’ailleurs pour la première fois officiellement le trafic des piastres, et alimenter la chronique pendant plusieurs semaines. La France, en particulier la France en Indochine, n’en sortait pas valorisée… (p,93)

    Le déclenchement de la guerre de Corée en juin 1950, pratiquement le jour où la conférence de Pau inaugure ses travaux, allait bousculer ces précautions et accroitre l’aide et l’influence américaine en Indochine. La décision du président américain d’élargir la doctrine du containment à l’ensemble de l’Asie pacifique concernait en effet aussi l’Indochine.

    Le matériel américain fit alors son apparition. Le 29 juin 1950, deux jours après la déclaration de Truman, 8 C 47 (Dakota) destinées aux forces françaises atterrissaient à Tan Son Nhut. (p,95)

   De contacts directs entre des représentants de la France et Ho Chi Minh, de conférences entre les deux parties, successivement à Dalat, puis à Fontainebleau, et maintenant à Pau, avec la participation de représentants des nouveaux Etats associés, aucune solution ne se dégage :

    « Réunissant les Etats associés et la France, la conférence inter-Etats qui se tient à Pau en 1950, sous la présidence d’Albert Sarraut, s’inscrit dans la suite annoncée en 1949. Elle se donnait précisément pour objectifs « de régler les problèmes laissés en suspens dans les négociations bilatérales qui ont eu lieu préalablement entre la France, le Cambodge, le Laos et le Vietnam…

    « L’inflation des coûts et la redistribution des cartes » (p,99)

     Interpellé, le Président du Conseil René Pleven mit un terme à la polémique dans une longue intervention à  la tribune : « Nous n’avons jamais, rétorqua-t-il à  Frédéric Dupont, à aucun moment, laissé les préoccupations financières l’emporter sur les nécessités du corps expéditionnaire en Indochine ; il rappela au passage que le budget prévu de 120 milliards  de francs, « correspondant à des effectifs budgétaires moyens au cours de 1950 de 125 000 hommes », avait été dépassé avec le plein accord du ministre des finances : portées à 143 milliards de francs, les dépenses prévues ont ainsi « permis de maintenir les effectifs terrestres à 151 000 hommes contre 125 000   initialement ».

    Malgré la défaite de Cao Bang et la diatribe de Mendès France, nul ne parait pour autant songer sérieusement à remettre en cause la guerre elle-même, ni à revenir sur la politique compliquée de mise sur pied des Etats associés et d’alliance avec les Etats-Unis…(p,99)

     III L’année des ambiguïtés (p,102)

    « L’année 1951 voit se mettre en place le mécanisme élaboré, non sans difficultés, durant les années précédentes. Mais ce mécanisme apparait encore imparfait, inachevé, ambigu même. Trop d’intérêts contradictoires étaient en jeu.

   L’aggravation de la situation internationale inquiète parallèlement le gouvernement français, bien au-delà de l’Indochine. En juin 1950, la guerre de Corée a pris le relais de la révolution chinoise : tout le bloc communiste semble être entré dans une phase d’expansion armée. L’Europe occidentale se sent menacée :  le grand dessein de la France est  dès lors, tout à la fois, de se réarmer et de redevenir la première puissance militaire en Europe. René Pleven a placé le réarmement en tête de ses objectifs, en entrant à Matignon en juillet 1950. Le plan qui porte son nom, lançant la Communauté Européenne de Défenses (CED), est formulé le 24 octobre 1950 et le budget de réarmement finalement adopté par l’Assemblée nationale le 8 janvier 1951 : la part des dépenses du pays passe à près de 28% pour 1951. Les crédits militaires de la France font entre 1950 et 1951 un bond de 47%.

      En France, l’opinion est divisée, la contestation du réarmement et de l’engagement en Indochine restant une spécialité du parti communiste, qui conteste ensemble tous les efforts militaires occidentaux : « En cette période de rentrée des classes, peut-on par exemple lire en octobre dans l’Humanité, devant les nombreuses écoles qui attendent des réparations urgentes ou en pensant à celles qui sont à construire, on songe (notamment) à  tout ce qui aurait pu être fait (…) avec le milliard que notre gouvernement dépense journellement pour la guerre du Vietnam ». Mais la guerre d’Indochine semblait pourtant avoir pris une physionomie nouvelle.

   A L’effet de Lattre

     « Dans l’historiographie de la guerre d’Indochine, l’arrivée du général de Lattre de Tassigny en Indochine, en décembre 1950, marque un tournant majeur. … Ce qui frappe le plus chez ce Mac Arthur français est le caractère tragique de son proconsulat : muni de tous les pouvoirs civils et militaires, pour la première fois depuis d’Argenlieu, ce chef charismatique impose d’emblée un nouveau dynamisme au corps expéditionnaire et donne au gouvernement français de nouvelles raisons d’espérer ; mais il rencontrera très vite la mort, celle au combat – au Vietnam même- de son fils unique, et la sienne propre en janvier 1952….

   Une telle tornade a son prix : de Lattre était cher, mais relativement suivi par le gouvernement. Les dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine, déjà réputées trop élevées, bondissent en 1951 de 182 milliards à 322,3 milliards… Le moral des troupes n’est pas gratuit… De Lattre demande des renforts et, en général, les obtient, même si ce n’est pas sans difficultés… Reste le programme de fortifications imaginé par de Lattre après la bataille de Vinh Yen : un millier d’ouvrages environ, en béton, destiné à « barricader » le delta tonkinois contre les unités régulières de l’armée populaire, voire contre une éventuelle menace chinoise… – sa croisade aux Etats Unis du 13 au 25 septembre 1951 est un succès… » (p,104 à 108

Commentaire : «  La mise en place des Etats associés » est très complexe en  raison de la création d’armées nationales et de leur financement, d’autant qu’elle  est conditionnée par l’aide des Etats-Unis, donc leur accord.

   Quelle politique indochinoise ? » (p,112) 

Commentaire c’est toute la question, et toujours la même question depuis 1945, une question devenue de plus en plus difficile à résoudre.

   « On a beaucoup dit que le décès du général de Lattre, en janvier 1952, avait privé la France d’un redressement certain en Indochine : il est cependant permis de se demander, indépendamment des difficultés que lui-même pressentait, s’il ne risquait pas de se « démoder » assez vite.

    Un nouvel état d’esprit semble en effet régner à Paris au sujet de l’Indochine en 1951 : la hiérarchie militaire d’une part, le ministère des Finances d’autre part, paraissent en effet alors sceptique sur les modalités de son entreprise.

    Le programme de réarmement centré sur le théâtre Europe et budgétisé en janvier 1951, est-il compatible avec l’engagement français en Indochine ? …      Mais les choses n’en restèrent pas là car, en attendant que soit signé le traité de CED, la France inscrit son effort de réarmement dans le cadre de l’OTAN :elle s’engage en particulier à aligner quatorze « divisions OTAN » entre la France, l’Allemagne et l’Algérie sur un total de vingt-cinq divisions – plus douze autres mobilisables. Tout semble se liguer contre l’engagement français en Indochine… Mais les crédits militaires s’envolent, et ses objectifs apparaissent de plus en plus inconciliables.

    La dérive financière en tout cas s’accélère…

     Ainsi, à la fin de 1951, après que trois ans d’évolution était dessinée une nouvelle configuration du conflit, tout est prêt pour une nouvelle période qui pourrait être en effet celle d’un réel désengagement, mais l’ambiguïté demeure… Dans les derniers jours de décembre 1951, défendant devant les  députés le budget militaire 1952 qui avait atteint des sommets jamais encore approchés – 1 270 milliards de francs en hausse de 61% sur celui de 1951 – Georges Bidault, ministre de la Défense nationale, parait ainsi bien embarrassé à propos de l’Indochine. » (p,116)

Commentaire : le même dilemme impossible à résoudre, sans faire un choix, fut également, à l’époque de la Guerre froide, celui de la guerre d’Algérie. La puissance de la France n’avait plus les moyens de soutenir un effort de guerre sur deux théâtres d’opérations.

    « Chapitre III (p,119)

    « La guerre d’Indochine ou comment s’en débarrasser (1952-1954) »

    Durant les dernières années du conflit, la guerre d’Indochine parait avoir été complètement rattrapée par son coût : en 1952 et 1953 – 1954 étant militairement restée « inachevée » – celui-ci se situe entre 500 et 600 milliards de francs par an, soit l’équivalent d’environ 15%  du budget français. Le coût réel pour la France ne s’établit sans doute pour 1952 qu’autour de 330 milliards de francs, mais ce montant en dépenses militaires est déjà supérieur de 185 % à ce qu’il était en 1947… La guerre d’Indochine coûte à la France seule, en 1952 et en francs constants, presque trois fois plus que cinq ans plus tôt.

    Autant qu’un conflit lointain et meurtrier et quasi insoluble, la guerre d’Indochine est devenue pour les responsables français – et sans doute pas seulement pour eux – un problème financier également insoluble, un boulet dont il faut se débarrasser. Depuis le début de 1952 cependant, le conflit a pris une nouvelle configuration : Paris commence d’une part à recevoir au titre de l’Indochine une aide financière des Etats-Unis, qui s’ajoute aux livraisons de matériel et à l’aide économique aux Etats associés. Sur place,  d’autre part, l’Union monétaire issue de la conférence de Pau fait ses premiers pas. Imagine-t-on encore une quelconque issue militaire en Indochine ? Il ne le semble pas. Mais la France ne peut pas se retirer comme cela : dans un jeu complexe, elle traite avec les Etats associés et bénéficie du soutien des Etats-Unis. Cette formule est censée lui assurer, à la fois, un retrait en douceur et le maintien de son influence. Elle ne lui permettra, on le sait, ni l’un ni l’autre.

     I – L’urgence indochinoise

   Dans le vertige budgétaire qui saisit la France avec l’exercice 1952, la guerre d’Indochine est particulièrement visée. L’affaire du trafic des piastres y ajoute bientôt le scandale et l’absurde. Que recherche finalement la France dans cette guerre du bout du monde ? … « La France, note un rapport parlementaire, ne peut se permettre de perdre sans perspective d’avenir des hommes parmi ses meilleurs et des milliards qu’elle consacrerait plus utilement au relèvement de ses ruines et à la défense de la métropole. »

  1. Un adversaire accrocheur

    « C’est au Tonkin que se livre véritablement la guerre » note le rapport parlementaire Pineau au début de 1952 ». …

   Qui, alors contrôle quoi au Vietnam ? Quatre ans après l’accord entre la France et Bao Dai, « l’adversaire contrôle tout le Nord-Vietnam, à l’exception du delta, indique en 1953, le conseiller financier du haut-commissariat…

   Guerre monétaire entre la monnaie viet et la piastre, guerre du riz, partenariat difficile avec les Etats-Unis… « La participation américaine à la guerre d’Indochine, qui, correspondait en 1952 à 40 % de son coût, frôle les 50 % en 1953…(p,133)

    II La dévaluation de la piastre

   « Compte tenu des espoirs mis par la France dans l’aide américaine, l’arrivée en janvier 1953 du républicain Eisenhower à la maison Blanche, où il restera huit ans, ne pouvait être prise à la légère. C’est sans doute en connaissance de cause que René Mayer, partisan réputé de la CED est pressenti  poar Auriol et investi par la Chambre le 6 janvier 1953. Son passage à Matignon va relancer la coopération avec les Etats-Unis et s’accompagner de mesures radicales concernant l’Indochine, en particulier la dévaluation de la piastre…

   Dans un entretien du 26 mars avec Dulles, en présence des ambassadeurs du Vietnam et du Cambodge aux Etats-Unis, Mayer revient à la charge, lançant à nouveau l’Indochine en tête des discussions : il vante les mérites de la voie choisie par la France, qui passe par le développement des armées nationales : « Plus on avance, plus on voit clair dans la conduite politique à mener en Indochine, affirme-t-il… » (p,133 à 137)

  1. Les raisons d’une mesure

   « Plutôt retenue d’ordinaire comme une mesure technique, la dévaluation de la piastre s’inscrit dans un ensemble de décisions importantes prises début 1953 à propos de l’Indochine. Elle est aussi l’occasion d’une nouvelle crise dans les coulisses du pouvoir, en métropole comme sur place. Le changement de parité de la monnaie indochinoise, mesure tout à à la fois financière et politique comme l’un des principaux tournants – le dernier peut-être – du conflit. Faut-il y voir un sursaut français ou bien, au contraire, un chapitre nouveau de la dérive entraînée par le coût de la guerre ?

   Sans doute y-a-t-il le scandale des piastres. Depuis quelques mois, de nouvelles révélations sur le sujet ajoutaient en effet leur parfum de scandale aux difficultés budgétaires 

… La dévaluation de la piastre n’est-elle que la partie émergée d’un iceberg de sombres et louches affaires ? » (p,339)

  1. Mayer en action

    « La réorganisation Mayer est cadrée fin avril 1953 : sûr d’un financement américain, le gouvernement résout les principaux problèmes organisationnels sur le terrain : le Comité de Défense nationale du 24 avril règle la question du commandement en Indochine et un décret, le 27 avril, définit les pouvoirs du nouveau commissaire de France en Indochine…

     Il reste qu’en donnant un violent coup de pied dans la fourmilière indochinoise, René Mayer a fait bouger les choses, pour la première fois depuis le début de la guerre, créant en particulier les conditions pour un désengagement de la France…

  1. LE  Désengagement et l’Echec

      « … L’après Mayer voit cependant les choses évoluer rapidement : pendant que le corps expéditionnaire maintient sa présence sur le terrain, les Etats associés se détachent de plus en plus de la France, qui ne les retient d’ailleurs pas et semble progressivement en abandonner le parrainage aux Etats-Unis. La RDV, pour sa part, prend des dispositions en conséquence. Rendez-vous est bientôt pris à Dien Bien Phu. » (p,150)

  1. Echec au Plan Navarre

      « La fin de la guerre d’Indochine illustre le décalage qui s’est progressivement installé entre ceux qui gèrent la guerre et ceux qui la conduisent. Budgétaires et militaires français vivaient-ils encore sur la même planète ? Les premiers peuvent se frotter les mains : grâce à la « mise hors budget »…du financement des armées nationales, jusque-là assuré par une subvention très officiellement inscrite dans les comptes de la nation, le poste des Forces terrestres en Indochine accusait un appréciable repli d’environ 17%…

      « Le plan proposé par le général Navarre (nouveau commandant en chef du Corps expéditionnaire) en juillet 1953, après quelques semaines passées sur place à évaluer la situation et les besoins, supposait justement un nouvel effort financier du gouvernement français. L’objectif qui devait être atteint en deux ans, soit pour la fin 1955, était de faire pencher suffisamment la balance des forces du côté franco-vietnamien, pour que d’une part, le rapatriement du corps expéditionnaire s’amorce et que, d’autre part, le relais puisse être passé durablement aux armées nationales… (p,157)

    «  La hiérarchie militaire ne vint guère au secours du plan Navarre. Le général soumit au gouvernement, à la fin du mois d’août, dans une « note sur les incidences militaires de la politique de financement de la guerre d’Indochine », un plan retaillé comprenant le chiffrage « des moyens minimums indispensables ». Une longue discussion s’engagea avec le gouvernement sur « la valeur des moyens » en question, pendant que la négociation se poursuivait avec Washington. Finalement, le Comité de défense nationale du 13 novembre 1953 demanda au commandant en chef « d’ajuster ses plans aux moyens mis à sa disposition ». Le Comité considérait en effet qu’un nouvel accroissement des moyens militaires de l’Union française mis à la disposition du théâtre d’opérations d’Indochine, ne pourrait être obtenu qu’au prix d’un affaiblissement excessif de nos forces en Europe et en Afrique du Nord, et que les inconvénients  qui en résulteraient seraient plus graves pour la situation de la France dans le monde que ne seraient avantageux pour elle les résultats à attendre de l’envoi de nouveaux effectifs en Extrême Orient. Mais Navarre ne semble avoir reçu le courrier l’informant de ces dispositions qu’après avoir fait occuper Dien Bien Phu par les parachutistes du général Gilles… » p,158)

    « Tout a été dit sur Dien Bien Phu. La confiance des responsables français dans la conception du camp retranché, un  « super-Nassan », du nom d’un terrain d’aviation transformé en forteresse l’année précédente, non loin de Son-La, selon la formule d’un « hérisson » sur lequel viennent s’écraser les offensives ennemies. La confiance de tous, du soldat au ministre, dans l’issue de l’explication annoncée – « on va leur montrer », pouvait-on entendre un peu partout sur le site du camp retranché… » (p,160)

  1. La liquidation

   « La guerre était donc finie. Mais on entendit guère de commentaire sur la portée de cette décolonisation, il est vrai particulièrement ratée… » (p,166)

 » La Piastre et le Fusil » – 3

« La Piastre et le Fusil »

suite

    Deuxième Partie

       Evaluation du coût de la guerre (p,171)

     Dans cette deuxième partie, l’auteur procède à un analyse financière rigoureuse de coût de la guerre d’Indochine, ce qui n’a pas été fait sans doute pour la guerre d’Algérie qui lui a succédé.

      « Le coût de la guerre d’Indochine – c’est-à-dire l’ensemble des dépenses militaires liées au conflit – est à peu près connu du côté français (France, Etats associés, Etats-Unis), même si les différentes sources n’en donnent pas tout à fait la même répartition annuelle : environ 3 000 milliards de francs 1954. Il reste par contre un mystère pour « l’autre coût » (Viet Minh, ou RDV et ses alliés). Mais les choses ne sont pas aussi tranchées : à Paris, d’une part, les sources reviennent périodiquement sur la difficulté d’évaluer vraiment le coût financier du conflit, une partie de celui-ci  demeurant cachée ; il n’est d’autre part, pas complètement impossible de mesurer en termes économiques et financier l’effort de guerre du Viet Minh, ou du moins de rassembler quelques indications significatives sur le sujet… » (p,173)

     Chapitre IV (p,175)

    Les dépenses

    « Les généraux ne commandent sans doute pas avec en permanence une feuille de calcul : ils raisonnent plutôt en « moyens », moyens en hommes ou en matériel… La France débourse pour l’Indochine plus d’un milliard de francs par jour dans les dernières années de la guerre… »

  1. Les hommes

   « A la fin du conflit, de 500 000 à 600 000 hommes en armes affrontèrent en Indochine l’armée populaire : 553 425 exactement au 30 avril 1954…

  Du côté Viet Minh, mais les estimations restent incertaines, l’armée populaire aurait regroupé quelques 400 000 hommes. Cela représente donc environ un million de combattants sur le sol indochinois, principalement vietnamiens : ces combattants représentent l’élément le plus précieux et le plus onéreux du rapport des forces…

   Pour la troupe proprement dite, le recours à des soldats recrutés hors métropole s’est progressivement imposé, en dépit de la volonté d’origine de n’envoyer en Indochine que des unités « blanches ». Les premiers contingents d d’Afrique du Nord – les Tabors marocains joueront un rôle important sur le terrain – et du Sénégal respectivement 6 172 et 615 rejoindront le corps expéditionnaire en avril 1947. Dès lors, leur poids ne cessera de croître, passant en cinq ans de 18% à 31% du corps expéditionnaire, ce qui ajoute à sa diversité. Visitant la cuvette de Dien Bien Phu avant la bataille, Robert Guillain, envoyé spécial du Monde, rapporte son étonnement devant « le plus extraordinaire mélange de couleurs et de races qui campent dans la place forte : « Marocains, Annamites, Algériens, Sénégalais, légionnaires, Méos, Tonkinois, Thaïs, Muong… rares sont d’ailleurs les Français restés simples troupiers, observe-t-il, ils forment pour la plupart les cadres d’officiers et sous-officiers… »

  1. La vietnamisation des effectifs (p,182)

    « La question des effectifs du corps expéditionnaire, notamment de l’encadrement, se pose jusqu’en 1954, mais elle se déplace en même temps vers le développement des armées nationales : la grande idée qui s’impose au fil des ans s’appelle selon un mot qui porte la marque de l’époque, le « jaunissement «  des troupes.

    En 1946 effectif armées nationales, égal à 0 contre 75 000 pour le Corps expéditionnaire, 1947, toujours 0 contre 105 000,  1948 égal à 20 900 contre 111 000… en 1954, 292 000 contre 184 000. (p,186)

   Pertes de la guerre d’Indochine 40 450 nationaux contre 12 290 autochtones, dont un officier par jour (p,190)

   III Les Opérations

    « Le caractère atypique de la guerre d’Indochine, en particulier pour les forces françaises, réside largement dans sa double nature : un conflit à la fois politique et militaire qui, sur un second plan, oppose des unités constituées à un adversaire qui se cache ou n’accepte le combat que lorsqu’il est sûr de marquer des points, mais qui se développe finalement assez pour faire manœuvrer à son tour des unités régulières. Dans un tel contexte, l’activité militaire est à inventer et à réinventer périodiquement, mais le choix des opérations est aussi financier.

  L’unité de la guerre, si l’on peut dire, est l’opération. Trois cents-treize ont été répertoriées, soit en moyenne une opération par semaine…

  1. L’occupation du territoire

   « Les forces françaises se sont vite rendues compte qu’il ne suffirait pas de reconquérir le territoire perdu en 1945, mais qu’il faudrait encore le tenir pendant toute la durée de la guerre, la « pacification » constitue ainsi l’une des deux grandes missions des troupes terrestres Indochine, l’autre étant le combat. Par le terme de pacification, précise une fiche d’état-major en 1950, « il faut entendre le retour, puis le maintien de l’ordre et de la sécurité dans une zone insoumise et petit à petit réduite…

   Etant donné le flou entourant les buts de guerre français en Indochine, l’occupation du territoire constitue finalement par défaut, une sorte d’activité par défaut contenant sa propre finalité. La grosse difficulté d’action de cette armée, notait le général Revers en 1949 en conclusion de son rapport, c’est que jamais son rôle n’a été défini avec précision, jamais une directive n’est venue réellement orienter le commandant en chef, le commandant en chef, le commandant supérieur et leurs principaux subordonnés… Une des causes de ce moral en équilibre instable, écrit également Revers, est due  en grande partie à ce que personne ne sait pourquoi on se bat » François Mitterrand, qui avait vainement essayé d’interpeller le gouvernement sur ses buts de guerre, ne dira pas autre chose en 1954 : « Je cherche la raison pour laquelle la France s’est battue…Cet aspect des choses faisait évidemment l’affaire du Viet-Minh. Le général Giap note ainsi combien « la poursuite de la guerre d’agression a été un processus continu  de dispersion des forces. Plus ces forces sont dispersées et vulnérables, plus les conditions sont favorables pour nos troupes, qui peuvent les anéantir par petits groupes. »  (p,206, 207).

     Commentaire :

    Le texte qui précède appelle un commentaire pour deux raisons principales, mon expérience personnelle de la « pacification » dans la vallée de la Soummam, en Algérie, en 1959-1960 et les recherches que j’ai effectuées sur les stratégies indirectes et les guerres subversives.

     Notons au passage qu’en 1954, Mitterrand avait déjà été ministre à trois reprises, notamment au ministère de la France d’Outre-Mer en 1950-1951, et qu’il n’était déjà plus un perdreau de l’année, mais allons à l’essentiel, l’analyse de la stratégie française.

    Avant la Deuxième Guerre Mondiale, de Gaulle avait été un précurseur de l’évolution nécessaire de la stratégie française avec l’introduction de l’arme blindée  au sein de nos forces militaires, une transformation réussie par l’Armée du Reich et cause majeure de la débâcle de nos forces armées.

       De Gaulle n’a pas été le même précurseur de la nouvelle stratégie qu’il fallait inventer face aux nouveaux adversaires rencontrés dans les guerres coloniales françaises que la France ne réussit pas, ,jusqu’au bout, avec la guerre d’Algérie, à maîtriser, un type de guerre contre-révolutionnaire, totalitaire, avec la prise en mains d’une population dopée par une propagande révolutionnaire le plus souvent inspirée, sinon contrôlée, par le communisme des Soviets, ou celui de Mao Tsé Tung, dont la doctrine concrète était bien adaptée aux mondes coloniaux.

« B. L’évolution de la stratégie

     « La menace communiste », représentation résumant à partir de 1949 la proximité de la Chine populaire et la montée en puissance du Viet Minh, parait – enfin ! – avoir donné une raison d’être de la présence militaire de la France en Indochine et y justifier les dépenses, à défaut de les financer. Jusqu’en 1949, on le sait, personne ne pouvait vraiment dire pourquoi on se battait ; cette fois, l’affaire est entendue, comme de Lattre le résume en septembre 1951 à la télévision américaine, en réponse à une question relative à la Corée où la guerre  se déroule depuis un an : « Je crois qu’il y a non seulement un parallèle à faire entre la Corée et l’Indochine, affirme-t-il. C’est exactement la même chose. En Corée, vous vous battez contre des communistes. En Indochine, nous nous battons, contre des communistes. La guerre d’Indochine, la guerre de Corée, c’est la même guerre, la guerre d’Asie… « , ajoute-t-il, avant de faire un parallèle avec l’Europe. » (p,210)

    Chapitre V

    Les ressources (p,225)

     « Le problème du financement des dépenses militaires s’est posé dès le début du conflit mais, dans un premier temps, on le sait, la France a pu faire face pat elle-même, au défi que représentait la prolongation de la guerre. Les choses changent à partir de 1949 quand, d’une part la « menace chinoise » ajoute aux tensions et que, d’autre part, la France entreprend un important réarmement dans le cadre européen et atlantique. La guerre d’Indochine devient progressivement l’ennemi n°1 des budgets – d’autant plus que nul n’envisage sérieusement qu’elle puisse être gagnée – et son financement s’internationalise.»

    I Les Ressources budgétaires (p,225)

    «  Les moyens mis en œuvre pour faire la guerre d’Indochine ont d’abord été, et sont essentiellement restés, d’ordre budgétaire… »

  1. La contribution du budget français

    « La France consacre à la guerre d’Indochine une part respectable de son budget, entre 6 et 10% selon les années, le taux le plus fort ayant été atteint en 1949, avec un peu plus de 10 % de l’ensemble des dépenses françaises….

   Tableau 8 Couverture des dépenses de la guerre d’Indochine par le budget français, en milliards de francs 1953 :

1946 : 100 %, soit 108 milliards

1949 : 100 %, soit 169,5 milliards

1952 : 59 %, soit 334 milliards

1953 : 48 %, soit 265 milliards

    Au fur et à mesure des années, la France réussit à mobiliser des financements locaux, mais avant tout à compter sur l’aide militaire américaine, 40 milliards de francs en 1950, 70 en 1951, 103,5 en 1952, et 119 en 1953. (p,260).

     Comme toute guerre, et encore plus en Extrême Orient, cette guerre a alimenté l’inflation, des spéculations de toute nature, notamment celle du trafic des piastres, avec toutes sortes de trafics parallèles qui ont toujours existé dans cette zone du monde, alors que l’Indochine comptait depuis très longtemps une minorité de culture chinoise très agissante dans les affaires.

   Le Vietminh savait de son côté s’insinuer dans tous ces circuits parallèles, notamment celui traditionnel de l’opium.

   L’ouvrage cite en particulier l’usage qu’en fit aussi le GCMA, Groupement des commandos mixtes aéroportés, lié au SDEC, animé par un certain capitane Trinquier chargé d’animer les maquis des minorités montagnardes : « Trinquier revendiquera le recrutement de 40 000 hommes dans les minorités… » (p253)

    Au cours de la guerre d’Algérie, le colonel Trinquier eut un rôle important dans la transmission de l’héritage de la stratégie mise en œuvre pour lutter contre des mouvements insurrectionnels.

   Le colonel Trinquier  fut l’auteur d’un très bon livre d’analyse sur ce type de guerre subversive intitulé « La guerre moderne ».

 » A partir des années 1950, les Etats Unis financèrent une aide économique et militaire aux nouveaux Etats Associés.

  Le Viet Minh pouvait de son côté compter sur l’aide chinoise que l’auteur a tenté d’identifier et d’évaluer, l’aide d’experts militaires, de matériels, et d’entrainement :

   « Une synthèse de renseignements français donne la répartition suivante pour le second semestre 1951 : 1 900 tonnes d’armement, 900 d’explosifs, 700 d’habillement, 500 de vivres, 130 de matériel de transmission, 20 de médicaments… L’aide chinoise couvrait aussi bien l’entretien que l’équipement des forces armées de la RDV… Une estimation personnelle reposant sur de multiples paramètres , et qui reste grossière, permet de penser que par son aide militaire, la Chine couvre progressivement entre 20 et 50% des dépenses militaires du Viet Minh… On ne prête qu’aux riches… Quelle que soit la réalité de ces mécanismes, la Chine populaire et le Viet Minh ont dans les dernières années de la guerre, de plus en plus partie liée. Et même si plusieurs sources suggèrent, en début plutôt qu’en fin de période d’ailleurs, que le Viet Minh réglait par ses  propres livraisons une partie des fournitures chinoises, il ne pouvait le faire longtemps à cette hauteur : le poids financier de la Chine dans le conflit, aux côtés de la RDV, parait du même ordre que celui pris par les Etats Unis dans le camp adverse. «  (p,275)

La Parole de la France ? Les Héritages – Guerres d’Indochine et d’Algérie- III

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

III

Guerres d’Indochine et guerre d’Algérie

Guerre d’Indochine

Petit résumé historique

En annexe, des extraits de texte de Stanley Karnow (1984)

En bref

            Beaucoup de décideurs et d’acteurs français de la guerre d’Indochine, au niveau gouvernemental et indochinois, ignoraient tout, ou presque tout de la longue histoire de l’Indochine, de ses trois KY (Cochinchine, Annam, Tonkin), et de son passé impérial qui vit ces trois KY lutter à plusieurs reprises contre l’impérialisme chinois.

Colonisation française (1855-1954) et guerre d’Indochine ?

Le « moment colonial »

            Dans son livre « Histoire du  Vietnam contemporain » – « La nation résiliente », Pierre Brocheux, pose son analyse historique en parlant du « moment colonial » intervenu dans « un processus de longue durée », celui d’une histoire ancienne et complexe liée à la Chine, bousculée par une ouverture forcée à l’Occident, parallèle à celle de la Chine et du Japon.

            Le lecteur pourra se reporter, en ce qui concerne la France et le Japon,  à l’incident de Sakai, en 1868. (blog du 23/09/2011)

L’expression « moment colonial » me parait bien choisie, car l’on oublie souvent que la colonisation française n’a occupé, dans la plupart des cas, qu’un court espace de temps à l’échelle des siècles, de l’ordre de soixante à quatre-vingt années, de l’ordre de cinquante à soixante ans pour Madagascar ou la Côte d’Ivoire.

            Font exception, l’Indochine, si l’on tient compte de la première conquête de la Cochinchine, en 1855, l’Algérie en 1830, ou encore le Sénégal, avec Faidherbe, dans les années 1854 – 1865, sur les côtes, avec les Quatre communes. Il fallut attendre les années 1885 pour que la France mette la main complètement sur les deux autres Ky, l’Annam et le Tonkin           

1939-1945, embrouilles tous azimuts entre métropole, Indochine, Japon, Chine, Etats-Unis 

En 1945, l’Indochine française n’existait déjà plus.

Avant de rappeler brièvement la période 1945-1954, et pour comprendre le contexte historique des années 1945, il est important en effet de rappeler brièvement les événements qui ont marqué la période très confuse qu’a connue l’Indochine pendant  la Deuxième Guerre Mondiale.

    L’Indochine fut alors complètement coupée de la métropole, laissée à elle-même, alors qu’elle n’avait aucun moyen de défense pour résister au Japon, que la situation internationale était très fluctuante, incertaine et que l’Indochine ne pouvait que tenter de sauver les meubles.

     L’Indochine se trouvait dans une situation des communications avec la métropole qui ressemblait étrangement à celle de la période des conquêtes à la fin du XIXème siècle, à plus de 13 000 kilomètres de distance en face de la  puissance militaire du Japon, nouveau conquérant de l’Asie du Sud-Est.

     Le livre de Paul Rignac «  La désinformation autour de la fin de la l’Indochine française » nous livre beaucoup d’informations à ce sujet, même si le lecteur n’est pas obligé de partager toutes ses analyses.

    La citation d’un propos du général Catroux qui fut gouverneur général de  l’Indochine jusqu’au 21 juin 1940 propose déjà un bon éclairage résumé du sujet :

      « Quand on est battu, que l’on n’a pas d’avions, pas de DCA, pas de sous-marins, on s’efforce de garder son bien et on négocie. » (page 28)

       Il convient de rappeler deux choses, 1) le général Catroux fut le premier général à cinq étoiles à rallier le général de Gaulle, mais il fut déjà le témoin de la lutte ouverte qui  s’engagea en Indochine entre vrais ou faux pétainistes ou vrais ou faux gaullistes, avant que le régime de Vichy ne cède la place complètement au Reich, en 1942.  Nommé à ce poste le 23 août 1939, il fut limogé le 25 juin 1940 pour laisser la place à l’amiral Decoux.

      Le 30 août 1940, le gouvernement Pétain signait un accord avec le Japon qui élargissait les facilités militaires qu’avait déjà négociées le général Catroux.

      « En contrepartie, le Japon reconnait la souveraineté française sur l’Indochine et s’engage à respecter son intégrité territoriale. » (page 37)

    2) Le contexte historique qui fut celle du Corps expéditionnaire en 1945, ressemblait étrangement à celui des années 40 et 41, c’est-à-dire l’absence complète de moyens pour faire la guerre.

        Le récit très détaillé de cette période charnière par Paul Rignac décrit l’ambiance délétère et ambiguë qui agita les milieux politiques et militaires au moment de l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain le 10 juillet 1940, à la suite de la démission de la Troisième République, et cela jusqu’au moment où l’Allemagne occupa la zone sud, un moment de vérité pour bon nombre de Français.

       Saint Exupéry décrit dans ses souvenirs le même type d’état d’âme qui imprégnait alors une grande partie des milieux dirigeants civils ou militaires, alors que les fractures furent d’autant plus vives qu’elles se  creusaient en métropole même, à Londres, et en Algérie, où le général Giraud conservait beaucoup de partisans.

       Sur le plan international, il convient de signaler les grandes dates qui modifièrent complètement les contextes historiques et stratégiques occidentaux et asiatiques.

       En Europe, avant de l’envahir, le 22 juin 1941, l’Allemagne avait signé un pacte de non-agression avec l’Union Soviétique, le23 août  1939.

       Dans le Pacifique, le Japon entrait en guerre avec les Etats Unis à Pearl Harbour, le 7 décembre 1941, alors qu’il avait signé un pacte de non-agression avec l’Union Soviétique, le 14 avril 1941.

      Cette dernière ne dénonça ce pacte que le 8 août 1945, alors que le Japon, après l’explosion de la bombe atomique d’Hiroshima, le 6 août 1945, était dans l’obligation de capituler

       Cette dénonciation de dernière heure permit à l’URSS de s’asseoir à la table des négociations de capitulation du Japon, avec la complicité du Président  Roosevelt, obsédé par ses convictions sur l’indépendance nécessaire des peuples colonisés, dont l’Indochine.

       Dans sa conquête de l’Asie et du Pacifique, le Japon s’empara de  Singapour, une des grandes bases stratégiques de la puissance coloniale anglaise en Asie, entre le 8 décembre 1941 et le 21 janvier 1942, et des Indes Néerlandaises au cours du même mois.

       Le rapport de forces a commencé à changer après la bataille navale de Midway, le 5 juin 1942, puis la reconquête successive et meurtrière des Iles du Pacifique par les Etats-Unis.

    Les rapports de forces ont également commencé à changer en Méditerranée avec le débarquement des forces alliées en Afrique du Nord, et sur le front soviétique,  avec la bataille de Stalingrad, entre le 23 août 1942 et le 2 février 1943.

     L’Indochine n’était donc partie prenante de ces conflits qu’indirectement, en raison de la place stratégique de plus en plus importante  qu’elle occupait pour le Japon, contraint au rétrécissement de sa défense stratégique.

        Elle restait donc une proie tentante pour une puissance militaire en déclin, sur la défensive, dont un des mots d’ordre avait toujours été « L’Asie aux Asiatiques », et c’est ce que fit la Japon avant sa capitulation.

      Après le coup de force du Japon le 9 mars 1945, celui-ci fit le nécessaire pour renforcer les moyens militaires du Viet Minh.

     Le Japon occupait l’Indochine, mais l’administration de l’amiral Decoux, vichyste, continuait à fonctionner sous le contrôle de l’armée japonaise, jusqu’en mars 1945 : elle laissait alors le pouvoir vacant, après avoir massacré plusieurs centaines de Français, notamment les soldats et officiers de la garnison de Lang Son.

            Concrètement, le Japon laissait le pouvoir au  Vietminh.

            « En quelques jours, la présence administrative et militaire est totalement anéantie…(page 9)

       Quoiqu’il en soit, une évidence s’impose : l’Indochine française n’est pas morte à Dien Bien Phu ou à Genève. Elle a cessé d’exister le 9 mars 1945 après le coup de force du Japon. » «  (page 11)

       Et pendant ce temps-là… le Parti Communiste Indochinois, c’est-à-dire le Viet Minh construisait son nid, renforçait son organisation politique, terroriste, et militaire, en Cochinchine, en Annam, et aux frontières de Chine et du Tonkin, alors qu’il était le seul à savoir où il allait et avec quels alliés, avec le souci d’éliminer la rivalité  de nationalistes indochinois mal organisés, avec la complicité bienveillante du Japon.

            Le Viet Minh avait une organisation communiste qui disposait alors de peu de moyens, mais il était le seul à avoir une doctrine, et des ramifications sur tout le territoire.

&

L’héritage du nationalisme vietnamien (p,59) (Vietnam – Stanley Karnow-Presses de la Cité-1984))

            « L’Indochine, comme son nom l’indique, fut le lieu où s’affrontèrent deux grandes civilisations d’Asie : celle de l’Inde et celle de Chine… La Chine laissa son empreinte sur le Vietnam, que la géographie isolait de la sphère d’influence indienne…. Si l’identité nationale est difficile à définir, deux éléments importants ont façonné le Vietnam au cours des siècles. Les Vietnamiens originels apportèrent avec eux de Chine leur économie de base, reposant sur la culture irriguée du riz. Cette forme de culture, qui dépend des aléas météorologiques et nécessite des systèmes d’irrigation complexes, réclame une coopération dans le travail. Les communautés vietnamiennes développèrent donc un puissant esprit collectif et, quoiqu’autonomes, les villages se mobilisaient comme autant de maillons d’une même chaine pour combattre les envahisseurs étrangers. Les guerres fréquentes que connut le pays apprirent aux Vietnamiens à se défendre eux-mêmes et en firent des guerriers. Des siècles plus tard, pendant la guerre d’Indochine, le Français Paul Mus mit en garde contre l’idée « commode » que les paysans vietnamiens n’étaient qu’une « masse passive », ne songeant qu’à son bol de riz quotidien et que des agents entretenaient dans la subversion par la terreur. En fait, leur attachement à  la nation s’était forgé  bien auparavant.

            Comme la plupart des nations, le Vietnam fait remonter sa création à des royaumes mythiques. Les Vietnamiens entretiennent cette mythologie dans le dessein de démontrer que leurs racines nationales sont aussi profondes que celles des Chinois, leurs rivaux ancestraux. » (p,61)

Le souvenir de la révolte de deux femmes ; Trieu Au, en 248 avant notre ère, et Trung Trac, en 40 après JC, et tout au long des siècles, les rapports sino-vietnamiens furent fréquemment des rapports « tumultueux » (p,62)

            L’auteur en rappelle les épisodes les plus éclatants au cours des siècles en même temps que les guerres civiles entre les Trinh au nord et les Nguyen au sud :

            « La guerre civile entre Trinh et Nguyen se poursuivit pendant deux siècles. Tout comme les accords de Genève de 1954  divisèrent le Vietnam en deux le long du 17ème parallèle, les rivaux finirent par accepter une partition du pays suivant approximativement la même ligne. Ils convinrent également une trêve de circonstance, chacun espérant reprendre le combat dès qu’ils auraient recouvré des forces. » (p,66)

       L’auteur montre bien dans quel contexte historique d’une très longue histoire la France avait imposé sa volonté et rencontré dès le début une résistance multiforme, constante, et grandissante, au fur et à mesure des années et des épisodes que raconte l’auteur.

       « Au milieu du XIXème siècle, quand ils étendirent leur domination sur tout le Vietnam, les Français avaient eu un choix à faire. Ils auraient pu poursuivre une politique d’ « association », comme les Britanniques en Inde, en gouvernant indirectement à travers les institutions indigènes…Les partisans de ces deux thèses s’affrontèrent tant que la France demeura au Vietnam, et ni les uns ni les autres ne virent leurs idées triompher dans la réalité.

    Les Français gouvernèrent directement le Vietnam, comme les chiffres le montrent. En 1925, cinq mille britanniques administraient trois cents millions d’Indiens alors qu’il fallait autant de fonctionnaires aux Français pour gouverner une population dix fois plus petite. Cette même année, les salaires versés à l’administration coloniale engloutirent la moitié du budget des colonies françaises. » (p,71)

       L’Indochine n’est devenue une colonie à part entière qu’après la conquête du Tonkin, en 1885, avec les interférences traditionnelles de la Chine, l’Empereur d’Annam, Fils du Ciel, et Féal de l’Empereur de Chine, Fils du Ciel, continua longtemps à déposer chaque année son « tribut » de féal.

            En résumé, une longue histoire « nationale », avec quelques ingrédients principaux, la loi du « business » et l’ouverture forcée des ports d’Asie (opium et soie), l’impérialisme des nations occidentales, avec le rôle actif des Marines, ici la Marine française, l’expansion des missions chrétiennes qui commençaient à évangéliser l’Asie dans des conditions souvent très difficiles, avec le soutien de la même Marine, et au surplus un acteur trop souvent ignoré, le soutien d’une administration franc-maçonne : la conquête de la Cochinchine est un bon exemple de la collusion Marine- Missions- Affaires qui éclaire aussi certains aspects de la guerre d’Indochine, outre-mer le goupillon faisant bon ménage avec les francs-maçons.

&

Les dates clés de la guerre d’Indochine

« 1945-1954 »

            Trois périodes sont distinguées par le général Gras et par l’historien Tertrais :

Général Gras : « La guerre larvée (1945-1946) (p,41) – « La guerre coloniale (1947-1950) (p,159) – « La guerre  contre le communisme » (1950-1954) (p,305)

            Hugues Tertrais : « Une guerre coloniale aux moindres frais » (1945-1948) (p,25) – « L’inflation des coûts et la redistribution des cartes » (1949 – 1951) (p,69) – «  La guerre d’Indochine ou comment s’en débarrasser »(1952-1954) (p,119)

            Sur la scène internationale :

            2 septembre 1945 : capitulation du Japon

            1947 : la Guerre Froide commence entre les Etats-Unis et l’URSS, et plus largement entre l’Occident et le monde soviétique, avec son « correspondant » sur le plan intérieur, le Parti Communiste : le 4 mai 1947, les ministres communistes sont révoqués, par le Président du Conseil, Paul Ramadier. C’est la fin de la gouvernance politique tripartite, SFIO, MRP, PC, mais la valse des gouvernements continue….

            1949 : Mao Tsé Toung prend le pouvoir en Chine : ébranlement de l’Indochine encore « coloniale »

            1951 : guerre de Corée avec la confrontation Etats-Unis – URSS,  à travers Chine et Corée : ébranlement de l’Asie du Sud Est

            1955 : Conférence de Bandoeng : les pays du Tiers Monde s’organisent : ébranlement des anciens empires coloniaux

            1956 : Nasser prend le pouvoir en Egypte : ébranlement à distance du Maghreb et de l’Algérie

            Sur la scène indochinoise :

            Le 11 mars 1945, le Vietnam indépendant est proclamé par l’Empereur Bao Dai : monté sur le trône en 1925, à l’âge de douze ans, Bao Dai n’avait fait le plus souvent que de la figuration impériale.

      Le 25 août 1945, coup de théâtre, Bao Dai renonce au trône et laisse la place le 2 septembre, à la République démocratique du Vietnam, présidée par Ho Chi Minh ; il devient conseiller suprême de son gouvernement.

     Le 17 août 1945, l’amiral Thierry d’Argenlieu est nommé Haut-Commissaire, et le général Leclerc est désigné comme Commandant du Corps expéditionnaire : de Gaulle leur a confié la mission de rétablir la position de la France en Indochine. Les premiers détachements français débarquent en Indochine en octobre 1945.

       Leclerc atterrit en Cochinchine le 5 octobre 1945. Il en repartira le 18 juillet 1946, moins d’un an après.

      De Gaulle avait tout d’abord porté son choix sur Duy Tân, le 11ème  souverain des Nguyen en Annam (1899-1945), lequel s’était illustré en animant l’opposition nationaliste entre 1906-1916, ce qui lui valut d’être exilé par les autorités coloniales. Il refit surface au cours de la deuxième guerre mondiale en ralliant de Gaulle. Il  mourut dans un accident aérien.

    Le Général avait choisi un des « Fils du Ciel », ancien réfractaire à la colonisation française, pour reprendre le flambeau en Indochine.

     Le général Salan est nommé délégué militaire en Indochine du nord, avec la mission de faire partir du territoire les armées chinoises qui s’y sont installées. Salan a l’expérience de l’Asie.

      Comment ne pas noter que le général fit appel à un des généraux les plus prestigieux de la Deuxième Guerre mondiale, et que d’ores et déjà, Salan, un des fidèles de Leclerc, est de la partie avec un commandement important et sensible ?

      2 septembre 1945, Ho Chi Minh déclare l’indépendance du Vietnam à Hanoi.

       20 janvier 1946, le  général de Gaulle  démissionne de ses fonctions de chef du gouvernement provisoire

            6 mars 1946, signature d’un accord Ho Chi Minh-Sainteny : l’espoir d’une solution pacifique.

            3 avril 1946, signature d’un accord de coopération entre le général Salan, et le  général Giap, deux des acteurs majeurs de la guerre qui commence.

   6 juillet 1946, ouverture de la Conférence de Fontainebleau entre le gouvernement français et le Viet Minh, en présence d’Ho Chi Minh.

            12 septembre 1946 : échec de la conférence, les désaccords portant sur le statut de la Cochinchine et sur les nouvelles institutions à mettre en place, la France cherchant à maintenir, sous une forme ou sous une autre, son contrôle sur l’Indochine, notamment sur la Cochinchine, et sur les protectorats du Cambodge et du Laos.

      Le Corps expéditionnaire part à la reconquête de l’Indochine, contrôle les principales villes du pays et les grands axes, mais en parallèle, au cœur des rizières ou de la jungle, le Viet Minh commence à quadriller les villages, le cœur de ce pays, et contribue à créer un climat général d’insécurité.

       Janvier 1947 : le général Leclerc revient faire une inspection en Indochine et fait le constat que la solution ne peut qu’être politique. Il meurt quelques mois plus tard dans un accident d’avion, le 28/09/1947.

       Lors de son commandement (1945- 1946), les négociations avec Ho Chi Minh partaient du même constat.

            5 mars 1947 : Bollaert est nommé Haut-Commissaire et tente à nouveau de mettre en œuvre une solution de remise du pouvoir à Bao Dai.

            16 mai 1949 : le Président Queuille  envoie le général Revers faire une inspection en Indochine,  lequel préconise la recherche d’une solution politique.

            Le rapport secret en question fait l’objet d’une diffusion sous le manteau aussi bien dans les milieux dits autorisés que chez nos adversaires : le scandale Revers.

      25 mai 1950 : début de violentes attaques du Viet Minh sur la RC4, entre Cao Bang et Lang Son, la route coloniale qui longe la frontière de Chine et traverse une zone géographique et stratégique qui constituera le quadrilatère du commandement Viet Minh.

       Lors de la conquête du Tonkin, à la fin du dix-neuvième siècle, le Colonel Gallieni et le Commandant Lyautey avaient eu mailles à partir avec des bandes de pirates chinois et annamites dans les mêmes Hautes Régions, habitées par des minorités ethniques. Ils avaient réussi à pacifier ces Hautes Régions grâce à la collaboration du maréchal Sou, gouverneur du Kouang-Si.

      10 octobre 1950 : l’évacuation du poste de Cao Bang est un désastre. Les deux colonnes, l’une partie de Cao Bang, l’autre de Dong Khé, sont anéanties par le Viet Minh.

     6 décembre 1950 : le général de Lattre est nommé haut-commissaire et commandant en chef en Indochine.

      La France fait à nouveau appel à un des généraux glorieux de la Deuxième Guerre Mondiale.

      La France change de guerre, ou plutôt est dans l’obligation de changer de guerre dans le nouveau contexte international communiste : elle obtient le soutien des Etats Unis.

      La guerre devient une des guerres de la guerre froide entre les Etats Unis et l’URSS, par puissances interposées, la Chine communiste devenant un des alliés majeurs du Viet Minh.

     Lors d’une Conférence de presse, le 22 juin 1951, de Gaulle avait déclaré qu’il existait quatre solutions militaires :

    « Là-bas, il y a quatre solutions militaires possibles. On peut s’en aller. On peut se limiter à tenir quelques môles. Ce sont là des solutions de défaite. Quant à moi, je ne les accepte pas. Alors il en reste deux autres : ou bien celle qui est actuellement pratiquée, et qui consiste à sauver l’essentiel, non sans grands efforts et lourdes pertes, hélas ! mais qui ne tranche pas décidément la question. Pour que la question soit tranchée, il y a deux choses à faire et qui sont liées entre elles, envoyer des forces nouvelles au point de vue des effectifs et du point de vue matériel. C’est cela qu’a visé le général Koenig (-dans une interview, y envoyer le contingent-.) dans l’hypothèse où on voudrait et où on pourrait coûte que coûte en finir. » (Gérard Fleury- La guerre en Indochine-Le Grand Livre du Mois-2000- p, 461)

      De Lattre mène une guerre  de mouvements à partir de la chaine de postes fortifiés qu’il fait implanter sur tout le pourtour du delta du Tonkin, la zone la plus peuplée.

            18 décembre 1951, de Lattre, gravement malade, quitte l’Indochine, et passe le pouvoir à Salan : à peine un an de commandement, et la perte de son fils Bernard dans un combat du delta.

            Les grandes opérations militaires se  succèdent, le Viet Minh dispose de plus en plus de divisions bien entrainées et bien équipées par les Chinois, en même temps qu’il noyaute systématiquement les villages de l’ensemble de la péninsule.

            A l’instigation de René Mayer, la piastre, vecteur de toutes les spéculations et manipulations dans les deux camps, est dévaluée le            11mai 1953. Le cours de change entre franc et piastre avait été fixé en 1945 à un niveau tel qu’il nourrissait un important trafic de change entre la métropole et l’Indochine, de même que sur certaines places financières.

            La carrière politique et privée de René Mayer méritera d’être évoquée, car le personnage était intelligent et influent : il avait plusieurs cordes à son arc, la finance, le parti radical, ses attaches européennes et algériennes : il fut un des grands élus de l’Algérie française, à Sétif et à Alger.

            Sous les ordres du général Navarre, le commandement français crut pouvoir emporter cette guerre en piégeant les divisions Viet Minh autour de la cuvette de Dien Bien Phu, une vielle idée stratégique des commandements français, celle qui consistait à obliger l’adversaire à accepter le combat dans les conditions d’une guerre moderne.

            La sous-estimation complète des capacités stratégiques de Giap et des renforts chinois, de même que le choix d’une cuvette, conduisirent au désastre de Dien Bien Phu en 1954.

La Parole de la France ? L’Honneur du Soldat – Les Héritages- Guerres d’Indochine et d’Algérie- Prologue avec Malraux, Delafosse et Guillain – 3

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

II

En Prologue

Nous proposons un éclairage du sujet avec les témoignages lucides d’André Malraux, Maurice Delafosse et Robert Guillain

3

 1946 – Les constats de Robert Guillain sur la guerre d’Indochine : en 1946 et 1954

1946 « La sale guerre » sans solution

 Dans son livre « Orient Extrême » (Le Seuil – Arléa – 1986), Robert Guillain, l’un des grands journalistes du XXème siècle et l’un des meilleurs spécialistes de l’Extrême Orient a consacré deux de ses chapitres à la guerre d’Indochine :

7. Indochine : L’explosion (1946) – (page 131)

                  11. A Dien Bien Phu (1954) – (page 219)

       Je propose à la lecture quelques analyses et de reportages qui nous permettent d’avoir une bonne vision de ce conflit.

       Dans l’une de ses analyses, l’auteur stigmatise « la France officielle », celle qui gouvernait, laquelle manifestait une grande incompétence dans la compréhension et la gestion de cette grave crise de décolonisation.

      Tout au long de mes propres recherches historiques, j’ai fait le même constat d’ignorance des mondes coloniaux par l’establishment parisien, tant pendant la période des conquêtes coloniales de la Troisième République que pendant celle de la colonisation.

      Pourquoi ne pas avancer que de nos jours, nos dirigeants politiques semblent affligés de la même ignorance du passé colonial de la France ?

       Dans quelques-unes de mes chroniques, j’ai proposé mon propre diagnostic et constat, d’après laquelle, non seulement, nos gouvernants n’y connaissaient pas grand-chose dans les affaires coloniales – ils laissaient faire les experts ou les responsables de terrain -, mais que la population française ne fut jamais animée ni d’une grande passion, ni d’un grand zèle colonial, à la grande différence des britanniques.

      « L’explosion (1946)

     « Dans l’insurrection d’Hanoi. La mission Marius Moutet. L’erreur de de Gaulle en Indochine. Six avions pour faire la guerre. Alerte au Pont des Rapides. Parachutage sur Namdinh. Bombardement à la planche. Un inconnu nommé Diem. »

     « Mes vacances duraient encore quand dans la dernière semaine de novembre (1946), je reçus un coup de fil de Maurice Nègre, directeur général de l’Agence France Presse. « Vous savez ce qui se passe en Indochine : c’est peut-être la guerre. Le gouvernement vient de décider d’envoyer là-bas une mission dirigée par Marius Moutet, le ministre de la France d’outre-mer. Il y aura une place dans l’avion pour un envoyé spécial de l’A.F.P. Je voudrais que ce soit vous. »…

      Au téléphone je protestai « Je connais le Japon, mais rien du tout à l’Indochine. Entre les deux, il  doit y avoir cinq milles kilomètres ! Réponse de Maurice Nègre : « Ça ne fait rien, vous êtes l’Asiatique de la maison ! « Je ne pouvais pas refuser.

     Effectivement, en « Asiatique » que j’étais tout de même, j’avais suivi ce qui se passait là-bas, et c’était un peu à mes yeux une suite du drame japonais. Le Japon, j’allais le retrouver en Indochine, ou du moins j’y verrais les effets de la bombe de retardement qu’il avait plantée là avant sa défaite, quand il avait prêché la révolte des colonisés, le renvoi des Blancs et l’Asie aux Asiatiques…

     … l’armée japonaise, dès avant la capitulation du mois d’août 1945, avait balayé l’administration française de l’amiral Decoux, et donné le champ libre aux violences du Vietminh. La France avait découvert l‘existence du problème indochinois, du nommé Ho Chi Minh, et le nom même du « Vietnam ». L’année 1946 avait été celle de l’espoir. Ho Chi Minh était venu à Paris et de difficiles négociations s’étaient ouvertes à Fontainebleau pour un accord d’apaisement, tandis que là-bas le général Leclerc commandait les troupes françaises qui revenaient à Saigon et à Hanoi…

      « Pire encore, trois jours avant que Moutet quittât Paris, éclatait à son tour, le soulèvement de Hanoi…Nous pensions arriver dans une ville en effervescence, nous trouvions une ville en guerre, en proie à la plus vicieuse des guerres. « La sale guerre », cette appellation qui allait coller à la guerre d’Indochine jusqu’au bout pendant huit ans, date de ces premiers jours, où je l’ai entendue. Hanoi venait de connaitre entre l’explosion du soulèvement, le 19 décembre, et la Noël, une semaine de sang et de feu… Nos forces ne tenaient de la ville qu’un ilot central cerné par les révoltés ; tout le reste était au Vietminh. Au premier matin, comme Marius Moutet visitait l’hôpital Yersin, j’entendais claquer des balles aux alentours. Simple démonstration peut-être, car on ne signala ni mort ni blessé, mais cela mettait tout de suite dans l’ambiance ce messager de la paix qui avait une colombe dans sa valise pour Ho Chi-Minh. L’oncle Ho n’allait plus jamais le rencontrer, il avait pris le maquis avec la moitié de la population, partie sur ordre du Vietminh…

       Tout de même, grâce à la rapidité de notre réaction, et à une certaine pagaille chez les révoltés, cela avait été finalement une Saint-Barthélemy ratée, où le nombre des civils massacrés fut « seulement » de 300, celui des disparus de 500 environ, dans une population française de 3 000 en chiffres ronds, dont environ 2 200 métis eurasiens…

       C’était la guerre, voilà tout ce que Marius Moutet, brave homme et honnête ministre, très « Troisième République », déchiré par ces constatations tragiques. Arrêter cette guerre ? Boutbien était pour, Messmer contre : c’eût été retirer nos troupes, donc capituler devant l’adversaire. Etait-ce possible ? Paris en déciderait. Mais pour Moutet, il ne restait plus qu’à se renvoler, mission accomplie, mission ratée, et à méditer sur le passé et les occasions perdues.

      Aurait-on pu l’éviter, la guerre d’Indochine ? Personnellement, je crois que oui. Mais en 1946, à Fontainebleau ou Hanoi, c’était déjà trop tard…. Oui, nous aurions pu éviter la guerre, à mon avis, si de Gaulle avait voulu comprendre les possibilités qui s’offrait à lui dans le courant de l’année 1945. Lui qui plus tard allait se montrer clairvoyant, ou au moins réaliste, en acceptant la décolonisation inévitable, il avait désastreusement raté la décolonisation de l’Indochine. (p,133,134,135)…

      Leclerc, esprit moderne et audacieux, ne mit pas long temps, en arrivant, à comprendre où il était. Dans ses rapports, il préconisait bientôt, admirable clairvoyance, l’instauration d’un Vietnam indépendant, qui aurait pris place comme Etat libre dans l’Union française. De Gaulle n’en fit rien, il fit la grave erreur de confier l’Indochine à l’amiral Thierry d’Argenlieu, patriote de la vieille école, homme de bonne foi et de foi, mais égaré par le rêve d’une restauration française dans les trois parties du Vietnam, Cochinchine, Annam et Tonkin. Dans ces conditions, toute négociation possible, à Fontainebleau ou à Hanoi était vouée à l’échec… » (p135)

Commentaire : il est tout à fait exact de noter qu’en choisissant un amiral,  qui plus est, un moine déchaussé, le général effectuait un retour vers le passé colonial de l’Indochine, en redonnant le pouvoir à la Marine qui avait choisi d’imposer, en 1854, un « fait accompli » en Cochinchine, en y réintroduisant la religion chrétienne.

       Dans au moins un de mes livres sur les conquêtes coloniales de la Troisième République, j’ai eu l’occasion de développer le rôle de la Marine dans leur processus, comme acteur ou comme expert.

      Il convient toutefois de noter aussi que le premier choix du Général s’était porté vers l’héritier impérial d’Annam, mort dans un accident d’avion avant son retour en Indochine.

      « Maintenant, nous nous trouvions pris au piège d’une guerre pour laquelle nous n’étions absolument pas préparés et que nous faisons dans les conditions les plus mauvaises possibles. « Nous faisons une guerre de pauvres ! » C’est un cri d’alarme, que j’entendais partout. Dès le départ, nous n’avions pas les moyens de faire cette guerre, encore moins de la gagner. Nos effectifs étaient dérisoires nos munitions et notre matériel insuffisants. En retranchant les états-majors et les services, nous disposions d’à peine 10 000 hommes au Tonkin…

      Un officier : « Notre infanterie coloniale combat sans jamais être relevée et sans espoir de l’être… Nous manquons de blindés. Quant à l’aviation, autant dire que nous n’en avions pas »

      L’aviation française en ce début de la guerre d’Indochine ? Chose à peine croyable, nous avions à Hanoi six avions de guerre, en tout et pour tout : six petits Spitfire, chasseurs monoplaces… » (page 136)

      « Sur les diverses opérations, desserrement du siège d’Hanoi, Pont des Rapides, expéditions de Namdinh, j’envoyai à Paris des télégrammes courts ou longs, que suivit une série d’articles envoyés par la poste de Saigon où j’étais redescendu. Les télégrammes passaient par le censeur militaire, et aucun ne fut retenu. J’imaginais déjà ma signature dans les journaux parisiens, au bas des papiers de « l’envoyé spécial de l’A.F.P. » Je devais apprendre plus tard que presque rien de ce que j’envoyais n’était diffusé. Mes informations, pour la plupart, n’atteignaient que les clients étrangers de l’Agence. La raison ? Prudence de l’Agence et consignes du gouvernement. Mais surtout, la France et plus encore la France officielle ne voulait pas regarder en face cette guerre importune, cette guerre stupide et lointaine. Elle « ne voulait pas le savoir », comme on dit. Après la guerre de Hitler, moins l’opinion en savait mieux cela valait, pour le moment.

     Et c’est ainsi qu’après un mois d’Indochine, l’A.F.P me fit rebondir vers l’Inde, pardon, vers les Indes, comme on disait encore à cette époque. Aux Indes se préparaient visiblement des événements importants, et mes « papiers » éventuels auraient peut-être un mérite aux yeux des Français : celui de montrer que la puissante Angleterre avait des ennuis, elle aussi, avec ses colonies en Asie. » page142)

    Commentaire :

     La situation décrite ne fut pas celle de l’Algérie, mais elle s’en rapprochait sur le plan militaire à ses débuts, alors qu’on ne peut pas dire qu’elle faisait partie, comme en Indochine,  d’un domaine caché de l’information.

    Le problème posé était celui de la connaissance qu’avaient les Français de leur domaine colonial et de son intérêt pour le pays.

      Robert Gulllain utilise l’expression « la France officielle » et cette expression est très parente de celle que j’ai beaucoup utilisée dans mes analyses, c’est-à-dire « la France coloniale », c’est-à-dire l’officielle, celle d’une petite élite parisienne et coloniale, alors que les Français se sont toujours désintéressés, sauf exceptions, des colonies.

      L’une de mes conclusions était celle que c’est à l’occasion de la guerre d’Algérie, avec l’engagement du contingent décidé par le gouvernement socialiste de Guy Mollet que le pays a commencé à s’intéresser aux destinées du domaine colonial.

     En Indochine, les gouvernements de la Quatrième République manifestèrent la plus grande incurie en ignorant ou en refusant de comprendre les enjeux de ce conflit, dans toutes ses dimensions stratégiques, internationales et nationales, le poids de l’histoire du Vietnam, notre capacité militaire à faire face à ce nouveau type de guerre révolutionnaire, à la fois sur le plan des forces et sur celui des idéologies.

      Le Corps expéditionnaire et notre commandement militaire n’était pas du tout préparé à ce nouveau type de guerre subversive et révolutionnaire qu’avait mis en œuvre Mao Tsé Tung en Chine : nos officiers étaient formés à la guerre classique, comme l’était encore le modèle du général de Gaulle.

      Sans que l’opinion publique en ait conscience, la France a alors sacrifié des milliers d’officiers, de sous-officiers et de soldats, sans parler des innombrables victimes civiles dans les deux camps, faute de pouvoir opposer aux revendications nationalistes une réponse politique et historique pertinente.

       Conséquence pour la guerre d’Algérie, une armée décidée cette fois à relever un nouveau défi colonial, et elle en avait les moyens, capable de proposer une doctrine contre-insurrectionnelle efficace, à deux conditions qui ne furent pas remplies : l’adhésion d’une population européenne toujours rétive à l’évolution démocratique d’une part, et d’autre part une proposition pertinente, sur le plan idéologique, face au nationalisme, d’une Algérie indépendante.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

La Parole de la France ? L’Honneur du Soldat – Les Héritages- Guerres d’Indochine et d’Algérie- Prologue avec Malraux, Delafosse et Guillain

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

II

En Prologue

Nous proposons un éclairage du sujet avec les témoignages lucides d’André Malraux, Maurice Delafosse et Robert Guillain

1

« Antémémoires »

André Malraux

Folio

&

1945-1965 (p,121)

« Je venais quelquefois à Paris, car nombre de questions étaient encore du ressort du ministère de la Guerre. Je retrouvai Corniglion, devenu général et compagnon de la Libération. Il allait prendre bientôt le commandement de l’aviation contre le bastion de Royan, l’un des derniers points d’appui allemands en France. En attendant, il écrivait un bouquin humoristique avec le docteur Lichvitz, que j’avais connu à la 1ère DFL, et qui était devenu médecin du général de Gaulle. Il en lisait des chapitres, avec une intarissable bonne humeur à Gaston Palewski (à la suite de quelque conflit à Londres, cet ambassadeur était parti en Abyssinie conquérir Gondar, avant de devenir directeur du cabinet du général), au capitaine Guy, à quelques autres. C’est ainsi que je fis connaissance du fameux « entourage ».

      Quelques jours après le Congrès du MLN, nous parlâmes d’élections : on parle toujours d’élections. Je n’éprouvais nul désir de devenir député. Mais j’avais un dada : transformer l’enseignement par l’emploi généralisé des moyens audiovisuels. Seuls le cinéma et la radio étaient alors en cause ; on pressentait la télévision. Il s’agissait de diffuser les cours de maîtres choisis pour leurs qualités pédagogiques, pour apprendre à lire comme pour découvrir l’histoire de la France. L’instituteur n’avait plus pour fonction d’enseigner mais d’aider les enfants à apprendre.

      En somme, dit Palewski, voius voulez faire enregistrer le cours d’Alain, et le diffuser dans tous les lycées ?

        Et remplacer le cours sur la Garonne par un film sur la Garonne.

       Mais c’est excellent ! Seulement, je crains que vous ne    connaissiez pas encore le ministère de l’Éducation nationale.

       Nous avions parlé aussi de l’Indochine. J’avais dit, écrit, proclamé depuis 1933, que les empires coloniaux, ne survivraient pas à une guerre européenne. Je ne croyais pas à Bao Dai, moins encore aux colons. Je connaissais la servilité qui, en Cochinchine, comme ailleurs, agglutine les intermédiaires autour des colonisateurs. Mais, bien avant l’arrivée de l’armée japonaise, j’avais vu naître les organisations paramilitaires des montagnes d’Annam.

      Alors, me dit-on, que proposez-vous ?

       Si vous cherchez comment nous conserverons l’Indochine, je ne propose rien, car nous ne la conserverons pas. Tout ce que nous pouvons sauver, c’est une sorte d’empire culturel, un domaine de valeurs. Mais il faudrait vomir une « présence économique » dont le principal journal de Saigon ose porter en manchette quotidienne : « Défense des intérêts français en Indochine ». Et faire nous-mêmes la révolution qui est inévitable et légitime : d’abord abolir les créances usuraires, presque toutes chinoises, sous lesquelles crève la paysannerie d’un peuple paysan. Puis partager la terre, puis aider les révolutionnaires annamites, qui ont sans doute bien besoin de l’être. Ni les militaires, ni les missionnaires, ni les enseignants ne sont liés aux colons. Il ne resterait pas beaucoup de Français, mais il resterait peut être la France…

     J’ai horreur du colonialisme à piastres. J’ai horreur de nos petits bourgeois d’Indochine qui disent ; « Ici, on perd sa mentalité d’esclave ! »  comme s’ils étaient les survivants d’Austerlitz, ou même de Lang Son. Il est vrai que l’Asie a besoin de spécialistes européens ; il n’est pas vrai qu’elle doive les avoir pour maîtres. Il suffit qu’elle les paye. Je doute que les empires survivent longtemps à la victoire des deux puissances qui se proclament anti-impérialistes.

       Je ne suis pas devenu Premier Ministre de Sa Majesté pour liquider l’Empire britannique, dit Corniglion, citant Churchill.

       Mais il n’est plus Premier Ministre. Et vous connaissez la position du Labour sur l’Inde.

      Tout de même dit Palewski, vous ne pouvez pas exécuter un tel renversement avec notre administration ?

      Il y  a encore en France de quoi faire une administration libérale. Je vais plus loin. Pour faire de l’Indochine un pays ami, il faudrait aider Ho chi Minh. Ce qui serait difficile, mais pas plus que ne l’a été, pour l’Angleterre, d’aider Nehru.

      Nous sommes beaucoup moins pessimistes que vous…

    Ce qui nous mena à la propagande. L’Information était entre les mains de Jacques Soustelle, qui souhaitait changer de ministère.

    A peu de choses près, dis-je, les moyens d’information dont vous disposez n’ont pas changé depuis Napoléon. Je pense qu’il en existe un beaucoup plus précis et efficace : les sondages d’opinion…. Les procédés de Gallup n’étaient alors connus, en France, que des spécialistes. Je les exposai rapidement. » (p,124)

&

 Il est possible de disserter à longueur de pages et de temps, et les choses sont déjà bien engagées beaucoup plus sur le terrain idéologique ou politique que sur le plan historique, sur le bilan et les héritages des colonisations française et anglaise de la fin du dix-neuvième siècle et de la première moitié du vingtième siècle, mais la décolonisation n’a pas été un long fleuve tranquille.

      Quelques éléments dominent à mes yeux ce sujet polémique : la volonté de puissance de plus en plus anachronique d’un pays, la France, qui n’avait plus les moyens de faire face à l’évolution du monde après la Deuxième Guerre Mondiale, une France qui n’avait jamais eue vraiment la fibre coloniale, une France qui était privée d’un gouvernement à la fois compétent, lucide et stable (une volatilité de six mois en moyenne, comme sous la Troisième République), une France que la Guerre Froide conduisait à choisir le continent européen.

       Résultat : une guerre d’Indochine menée à veau l’eau (1945-1954), une répression rétrograde de l’insurrection malgache en 1947, une guerre d’Algérie militairement bien menée – l’Indochine était passée par là – et politiquement bâclée, pour ne pas évoquer le cas des autres territoires coloniaux dont les enjeux étaient moindres.

      Un observateur averti ne peut manquer de remarquer qu’au fur et à mesure des années et des présidences de la Cinquième République, une sorte de prurit cérébral d’ancienne puissance et de gloire continue à produire ses effets, au Zaïre, au Rwanda, en Côte d’Ivoire, en Libye, ou de nos jours au Sahel.

      Malraux avait raison de privilégier dans les facteurs d’évolution impériale plus le rôle culturel de notre pays que son rôle politique ou militaire.

2

1922 : le regard lucide et dérangeant de l’africaniste Maurice Delafosse :

       Delafosse avait été administrateur colonial en Côte d’Ivoire pendant plusieurs années, dans une Côte d’Ivoire qui venait de voir le jour comme première forme d’un Etat colonial, rappelons-le, et avait fait le choix de l’étude des sociétés africaines, de leurs langues, de leurs mœurs et de leurs cultures.

      Il était en quelque sorte devenu un expert des politiques indigènes qu’il était possible de mettre en œuvre en Afrique noire.

      En 1922, il publiait un livre intitulé « Broussard », et son diagnostic était le suivant.

     Il posait ce diagnostic précoce, à l’aube de la deuxième phase de la colonisation, c’est-à-dire les années 1920-1940, en partant du principe que les hommes, blancs ou noirs, étaient les mêmes, en Europe ou en Afrique, mais cela ne l’empêchait pas de proposer une politique indigène qui ne fut jamais celle de la France.

       Il écrivait au sujet de l’instruction : « Considérant simplement le bien ou le mal que peut retirer l’indigène africain d’une instruction à la française, je crois sincèrement que la lui donner constituerait le cadeau le plus pernicieux que nous pourrions lui faire : cela reviendrait à offrir à notre meilleur ami un beau fruit vénéneux « (p,111)

        Plus loin, il fustigeait les humanistes :

     « Les humanistes entrent en scène. Pour ces singuliers rêveurs, l’idéal de l’homme est de ressembler à un Parisien du XXème  siècle et le but à poursuivre est de faire goûter à tous les habitants de l’univers, le plus tôt possible, les joies de cet idéal » (p,114)

     La bombe d’Indochine

      «  Nous parlions d’un événement qui avait mis en émoi l’Indochine ; un Annamite quelque peu détraqué  avait lancé une bombe sur un groupe d’Européens assis à la porte d’un établissement public.

    Ce n’est pas dans votre Afrique, dis- je à mon ami Broussard, que de paisibles consommateurs prenant le frais et l’apéritif à la terrasse d’un café, auraient à redouter l’explosion d’une bombe intempestive.

     Assurément non, me répondit-il, ou du moins l’instant n’est pas encore venu d’appréhender de tels faits divers ; mais ce n’est qu’une question de temps. » (p,112)

     Et plus loin encore :

     « Félicitez- vous en pour eux aussi, pendant qu’il est temps encore. Mais s’ils ne sont pas mûrs actuellement pour se servir d’engins explosifs, soyez sûr qu’un jour ou l’autre, si nous continuons à nous laisser influencer par les humanitaristes et les ignorants, les nègres nous flanqueront à la porte de l’Afrique et nous ne l’aurons pas volé. » (p,118)

La Parole de la France ? L’Honneur du Soldat – Les Héritages- Indochine et Algérie – 1

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

Analyses, extraits de textes et commentaires

Le devoir d’obéissance ou les cas de conscience des officiers

Avec la question que pose le Président lors de son déplacement à Jérusalem et les comptes rendus des 23,24,25 janvier 2020 :

Nos camarades morts, officiers, sous-officiers, et soldats, sont-ils « MORTS POUR LA FRANCE » ?

?

1-

Introduction et prologue, avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc

« Honneur perdu et parole trahie »

La clé ?

« Les événements ont marché » ?

  Une expression d’André Lebon (1896-1898), ministre des Colonies !!!

J’ouvrirai ma réflexion sur ce sujet historique tragique en indiquant que mes deux dernières lectures furent consacrées au témoignage d’Hélie de Saint Marc dans « Mémoires-Les champs de braise », et au livre du petit-fils du général Crépin « La nostalgie de l’honneur » ;

            Il se trouve que j’ai évoqué dans un livre de souvenirs de la guerre d’Algérie l’Inspection que fit alors le général Crépin, Commandant en Chef, dans mon secteur militaire de la vallée de la Soummam en juillet 1960. Le   25 janvier 1960, il avait remplacé le général Massu, autre général gaulliste, avant qu’il ne soit remplacé lui-même, le 1er février 1961, par un autre général gaulliste, le général Gambiez, dont je fis plus tard la connaissance.

            Je reviendrai dans ma conclusion sur le deuxième livre qui propose une ou plusieurs explications du sens de l’honneur qui fait vivre et- combattre un soldat, le devoir d’obéissance, le droit de donner la mort.

        Lors de mon séjour en Algérie, en juillet 1960, j’avais entendu les témoignages des officiers du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui avaient assisté au briefing du général Crépin lors de sa tournée d’Inspection au PC 1621 de l’Opération Jumelles, des propos qui les encourageaient à continuer le combat.

Le témoignage d’Hélie de Saint Marc me fit revivre, avec beaucoup d’émotion, les rêves de ma jeunesse et mes propres expériences « coloniales », notamment celle de la guerre d’Algérie.

            Je me rappelais entre autres les débuts de l’opération Jumelles, en Petite Kabylie, un beau soir de juillet 1959, avec le passage des premières escouades de Parachutistes et de Légionnaires de la 10ème Division Aéroportée, qui montaient vers la forêt d’Akfadou et le massif du Djurdjura pour rejoindre le PC Artois 1621 sur les sommets qui dominaient la SAS. Le colonel Hélie de Saint Marc, dont j’ignorais bien sûr l’existence, faisait partie de cette Division qui mena à bien cette grande opération.

            Dans la Nouvelle publiée dans un livre sur la Guerre d’Algérie intitulée « LE VIDE PRESQUE PARFAIT » d’après Lao Tseu, je décrivais les tout débuts de cette grande opération. Ci-après un extrait :

         « … Un bruit courait dans les popotes du secteur militaire de Sidi Aïch depuis plusieurs semaines ; on ne parlait plus que de ça, un autre « ça » freudien ! Le rouleau compresseur de l’armée française allait passer sur la Kabylie, comme il venait de le faire dans l’Ouarsenis.

        La nouvelle était excitante. Elle laissait espérer une fin de la guerre, et un retour non moins rapide des soldats du contingent en métropole. Personne ici ne souhaitait vraiment s’attarder en Algérie.

        La rumeur enflait de jour en jour. La France s’était enfin décidée à employer les grands moyens. Elle avait mis sur pied une troupe de choc pour démolir les katibas qui faisaient encore la loi dans les grands djebels d’Algérie et soutenaient l’organisation politico-administrative de l’ALN dans les villages, celle de ceux que nous appelions les terroristes.

       Le 22 juillet, au cours d’une belle nuit de l’été 1959, l’opération démarra en petite Kabylie.

         La nuit était tombée depuis une heure environ, quand le lieutenant Marçot entendit le bruit d’un convoi monter vers le douar des Béni-Oughlis. Il empruntait une route qu’il connaissait dans le détail de ses épingles à cheveu et de ses moindres virages entre Sidi Aïch et Aît Chemini. Une compagnie de chasseurs alpins y tenait le poste et contrôlait les villages parsemés sur les tout premiers escarpements du massif du Djurdjura, le long de la vallée de la Soummam.

        La chaine du Djurdjura avait une allure impressionnante. Beaucoup de ses sommets dépassaient les deux mille mètres, et la neige les recouvrait le plus souvent en hiver. Jusqu’à aujourd’hui, elle était restée le sanctuaire naturel et inexpugnable des bandes rebelles.

         Le convoi venait de franchir la crête.  Il le savait uniquement au bruit, mais chose tout à fait nouvelle, il apercevait les premiers véhicules tous phares allumés. Les camions militaires roulaient comme en plein jour et formaient un cordon lumineux interminable.

Il n’avait jamais assisté à un tel spectacle. La nuit tombée, on n’osait pas défier les rebelles. Un spectacle incroyable !

      La nuit était douce et le ciel étoilé. Le convoi passa au poste de Chemini, sans s’arrêter. Les paras et les légionnaires allaient rejoindre leur position de départ à la lisière de la forêt d’Akfadou qui se trouvait à une dizaine de kilomètres.

      Le grand cirque allait démarrer, et le rouleau compresseur tant attendu, tout écraser chez les fels.

      Au début de l’année 1959, l’Armée de Libération Nationale était encore puissante en Algérie, alors que les frontières marocaines et tunisiennes avaient pourtant été verrouillées de façon efficace par d’impressionnants barrages militaires.

       L’armée française était empêtrée dans son dispositif de quadrillage…

        En Kabylie et en Petite Kabylie, onze secteurs militaires étaient concernés par l’opération « Jumelles », dans un vaste périmètre militaire allant de Tizi Ouzou à Lafayette et à Bougie …

        Les seigneurs de la guerre avaient fait irruption dans son douar. Ils venaient d’une autre planète.

       Un matin, à la popote militaire du PC des Chasseurs à Chemini, il se trouva nez à nez avec des lieutenants et des capitaines paras, très jeunes, de son âge ; leur essaim voltigeait et bourdonnait autour de leur colonel. Des casquettes à la Bigeard, tenues camouflées, corps musclés, teints bronzés, bottines astiquées, ils faisaient une dernière halte, pendant quelques minutes, au dernier poste militaire, sur la route de l’Akfadou.

        Ils entouraient leur colonel, papillonnaient comme des gamins autour de leur instituteur, le dévoraient du regard, l’adoraient manifestement comme un nouveau dieu. Ils étaient d’une autre race, et en faisaient parade.

     A côté d’eux, quelques Chasseurs Alpins du contingent ressemblaient à des manants mal fagotés.

       Les seigneurs de la guerre et les esclaves… » (p, 121,127)

Au fur et à mesure des années qui ont suivi le choix que j’avais fait d’aller en Afrique, pour servir ce que je croyais être la France,  la France d’Outre-Mer, avoir eu l’expérience concrète de la fin de la colonisation française, mais surtout après avoir été confronté à la violence de la guerre d’Algérie, j’ai mis une croix sur ce que je croyais être ma vocation.

            Une fois à la retraite et disposant du temps nécessaire pour lire des articles ou des livres parus après la période coloniale, dans l’explosion de toute une littérature postcoloniale de désinformation, plus mémorielle, ou idéologique, qu’historique, je me suis lancé dans des recherches historiques afin de comprendre le processus décisionnel des conquêtes coloniales, en même temps que j’ai passé au peigne fin le discours de désinformation « historique » que le collectif Blanchard, entre autres, développait, au fur et à mesure de ses publications sur les cultures coloniales ou impériales de notre pays.

            Au cœur de mes recherches et réflexions, j’ai toujours eu beaucoup de peine à comprendre pourquoi la France s’était lancée dans les conquêtes coloniales, alors que le peuple français n’avait jamais été piqué par le virus colonial du business, comme les anglais, ne s’était jamais véritablement intéressé à ce qui se passait outre-mer, sauf quand il s’est agi de faire appel aux ressources de ces territoires au cours des deux guerres mondiales.

            Pour avoir été acteur et témoin de la tragédie algérienne, tenté de comprendre les raisons de la colonisation française, de ses succès ou de ses échecs, je n’ai toujours pas compris les raisons de nos débâcles, politique et militaire en Indochine, et politique, en Algérie, sauf à dire que notre pays n’a jamais eu de politique coloniale, sauf à mélanger tous les genres, en laissant faire les multiples groupes de pression économiques, politiques, religieux, chrétiens, francs-maçons,  ou encore militaires, avec la Marine notamment …

            Je répète qu’à mes yeux, avec l’ensemble de mes recherches et réflexions sur le sujet, la France n’a jamais été une France coloniale, et qu’elle a toujours laissé faire ces groupes de pression, sous les prétextes de puissance, de gloire, et de grandeur.

            De nos jours, nos gouvernements usent des mêmes arguments pour prendre les initiatives politiques et militaires les plus risquées, voir la Libye ou le Sahel, et qui plus est avec la modification de la Constitution en 2008 qui donne tout pouvoir de faire la guerre à nos Présidents de la République : le Parlement a le droit de voter guerre ou paix, trois mois plus tard…

            Lors  de mon service militaire en Algérie, j’ai côtoyé et apprécié de nombreux officiers, sous-officiers ou soldats, survivants de la guerre d’Indochine, des hommes que la France engageait de nouveau dans le conflit algérien, sans que les gouvernements de la Quatrième République soient mieux inspirés pour conduire ce pays à l’indépendance, plutôt avec nous que contre nous, comme ce fut le cas en Indochine.

            La plupart de ces capitaines, commandants, ou colonels (survivants) avaient déjà effectué un ou plusieurs séjours en Indochine. Ils avaient compris la nouvelle stratégie de guerre populaire qu’il convenait de mettre en œuvre dans ce type de guerre, alors que les objectifs des gouvernements n’étaient guère plus clairs qu’en Indochine.

            Le résultat ?

            En 1961, la révolte des officiers qui avaient gagné la partie sur le terrain, et qui n’acceptaient pas que le pouvoir politique trahisse une fois de plus la parole donnée.

Avant-propos

Pourquoi ces témoignages et ces réflexions sur notre passé colonial ?

            Comprendre et tenter d’expliquer à travers la guerre d’Indochine l’engrenage d’une décolonisation violente  qui s’est poursuivie en Algérie, les héritages, souvent avec les mêmes acteurs et dans le même état d’esprit d’aveuglement quant à l’évolution du monde et les moyens de la France, subir au lieu d’agir, au rythme chaotique inscrit dans une des sentences ministérielles de la Troisième République : « Les événements ont marché. » (Signé Lebon) l’une des phrases de la continuité de la bêtise politique.

       Deux autres sortes de raisons, l’une, familiale, avec le souvenir de mon frère ainé qui, après la Résistance, s’était engagé à la Libération dans le corps expéditionnaire destiné à débarquer au Japon, lequel fut détourné finalement vers l’Indochine à la suite de la défaite du Japon (Cochinchine (5/11/1945-9/5/46), et Tonkin (9/5/46-4/5/1947), l’autre mon expérience personnelle de la guerre d’Algérie.

            A peine débarqué à Alger et dans le djebel kabyle, il ne fallait pas longtemps pour rencontrer des officiers et sous-officiers qui avaient fait la guerre d’Indochine, souvent d’ailleurs des types de qualité, des hommes que cette guerre perdue avait marqués.

            Il est en effet difficile de tenter de comprendre la guerre d’Algérie sans tenter de comprendre la guerre d’Indochine, son héritage, et de replacer ce type de problématique de guerre dans le cadre de la conception que la France « officielle » avait de la politique coloniale, pour autant qu’elle ait jamais existé tout au long des Troisième et Quatrième République.

            J’utilise souvent l’expression de France « officielle », car je pense que l’outre-mer n’a jamais été une préoccupation populaire, et que sauf exception, comme ce fut le cas pour l’Algérie, les gouvernements ont toujours bénéficié d’un laissez faire, fût-il nimbé de grandeur ou de gloire.

       Le grand journaliste Robert Guillain a usé de la même formule.

            Les deux conflits se déroulèrent selon un calendrier comparable, le deuxième succédant au premier, 1945-1954 pour l’Indochine, et 1954-1962, pour l’Algérie, soit une durée plus courte que celle du premier conflit.

            Il convient de noter toutefois qu’en 1945, l’Indochine sortait d’une période très troublée, violente, liée à l’occupation japonaise, un Japon qui avait su bien manœuvrer en jouant la carte d’une administration coloniale située dans la mouvance « officielle » de Vichy et de Pétain, et dans le contexte d’une deuxième guerre mondiale qui avait failli faire disparaître la France.

Il est difficile de résumer brièvement la guerre d’Indochine, mais nous nous risquerons à le faire, avec le concours des nombreuses sources consultées, afin de mieux comprendre les enjeux de cette guerre coloniale qui causa beaucoup de morts à la fois dans les deux camps, et dans la population civile.

            Nous proposerons donc une analyse à multiples facettes, en n’hésitant pas, pour ce faire, à multiplier la publication de nombreux extraits des sources consultées.

            A lire l’ensemble de ces récits, il est vrai longtemps après les faits, le lecteur en ressent l’impression que les gouvernements de la France vivaient sur une autre planète, ou continuaient aveuglément à gouverner comme si le monde n’avait pas complètement changé après la Deuxième guerre mondiale.

            Mon expérience de la guerre d’Algérie et des séjours outre-mer m’en avaient à titre personnel tout à fait convaincu.

        Lyautey considérait à juste titre que l’Indochine était le joyau des colonies françaises, et il avait raison eu égard à sa position géographique dans l’entourage d’une Chine potentiellement riche, de ses propres atouts économiques, de sa population industrieuse, de son passé séculaire, d’une gouvernance impériale et administrative sophistiquée grâce à ses mandarins triés sur le volet universitaire et au service du Fils du Ciel, enfin grâce à sa culture de l’effort collectif…

         Tout a véritablement commencé en Cochinchine, dans les années 1850, lorsqu’un amiral décida – fait accompli – de conquérir ce territoire en venant au secours de missionnaires persécutés, sorte d’alliance sacrée entre le sabre et le goupillon, dans le cas présent, celui d’une marine à la fois sensible à l’évangélisation de l’Asie et à son ambition d’escales à créer.

       Cette alliance entre le sabre et le goupillon exista souvent lors des conquêtes et au cours de la période de colonisation alors que la République se piquait d’être laïque en métropole.

        Tout s’est également terminé avec le Ky de Cochinchine pendant la guerre d’Indochine, la France se réservant le droit de détacher jusqu’au bout et d’une façon ou d’une autre, cette province des deux autres KY du Vietnam, l’Annam et  le Tonkin : ce fut une des causes, avec beaucoup d’autres, de l’absence de solution politique dans la négociation avec le Vietminh.

       J’ai longuement analysé les conditions dans lesquelles les conquêtes coloniales de la France furent effectuées sur les autres continents : l’absence quasi-complète de communications entre le terrain colonial et la métropole, donnait une entière liberté d’action aux exécutants, d’autant plus grande que les décideurs parisiens ignoraient quasiment tout des outre-mer.

       Aveuglement des gouvernements de la Quatrième République face au dossier indochinois, pour aboutir à la catastrophe de Dien Bien Phu en 1954, et même aveuglement de la Quatrième et Cinquième République, avec une sorte de sauve-qui-peut, avec la clôture bâclée de ce dossier, en 1962, par les Accords d’Evian.

       L’Indochine était incontestablement la colonie française la mieux dotée de tout le domaine colonial français, mais la France n’avait jamais réussi à mettre en œuvre un modèle de gestion indirecte de type anglais, et avait fait face à plusieurs crises de type nationaliste, quasiment dès la période de la conquête.

        La guerre d’Indochine s’est traduite par la perte chaque année d’une promotion d’officiers de Saint Cyr,  les plus connus, parmi les survivants jouèrent un rôle majeur dans la guerre d’Algérie, soit dans la stratégie qui y fut développée (Beaufre toujours, Trinquier…), soit dans les grands commandements de terrain, Leclerc, de Lattre, Salan, Bigeard, ou Crépin….

Le plan de publication:

1 – Introduction et Prologue avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc

2 – Les sources

3 -Témoignages d’André Malraux, ancien ministre du général de Gaulle, Maurice Delafosse, africaniste, et de Robert Guillain, grand reporter en Extrême Orient.

4 – Résumé historique de la guerre d’Indochine

5 – Les grandes séquences historiques avec le général Gras et l’historien Hugues Tertrais

6 – Situation coloniale de l’Indochine en 1945

A – Vues de l’étranger avec Henri Kissinger, Graham Green, et Nguyen Khac Vièn

B – Vue de France avec Pierre Brocheux

7 –  Un nouveau type de Guerre ?

8 – Conclusion : avec le colonel Trinquier, le général Gracieux, et le témoignage du petit-fils du général Crépin

.Méthodologie d’écriture :

Le lecteur voudra bien excuser certaines répétitions dans les analyses et textes publiés dues essentiellement à deux causes, autant que possible le respect des textes cités, et au moins autant une méthode de travail et de publication qui demeure très artisanale.

        Comment ne pas conclure cette introduction par des  extraits du témoignage d’Hélie de Saint Marc, témoin privilégié de la destinée de  ces officiers issus de la Résistance, déportés, puis engagés, dans l’honneur et l’idéal d’un service patriotique, furent plongés dans des guerres coloniales que les gouvernements et les parlements furent incapables de mener dans l’honneur et le respect de la parole donnée, très souvent au péril de leur vie ?

La Parole de la France ? -1- Suite, un cas historique représentatif des absurdités coloniales : Hélie de Saint Marc

La Parole de la France ?

1 – Suite

Un cas historique représentatif des absurdités coloniales :

Hélie de Saint Marc

« Mémoires »

« Les champs de braise »

(Perrin-1995)

            Le témoignage d’un officier qui fut un des acteurs de la guerre de Libération de la France (1939-1945), Résistant, Déporté au camp de concentration de Buchenwald, officier pendant la guerre d’Indochine, avant celle d’Algérie.

       Un des grands témoins de la parole trahie et des reniements de la France !

Au péril de sa vie et au prix de sa condamnation à la prison !

&

            En 1940 : « J’avais dix-huit ans », « je voulais être officier » (p,59)

 Il entre dans la Résistance : « Avant mon arrestation en juillet 1943, j’ai rencontré peu de résistants véritables… A l’époque, la Résistance état infime… (p,64)

            A Buchenwald : « 4 – L’humiliation…. Matricule M 20543… Le Dieu de nos pères était absent de la planète Buchenwald… »(p,87)

            Après Saint Cyr, Saint Marc s’engage dans la Légion :

            « Pourtant, c’est seulement à la Légion que j’ai trouvé l’équilibre. Dans ma mémoire si chargée d’événements et d’émotions de toutes sortes, les légionnaires que j’ai commandés pendant quinze ans occupent une place écrasante. La Légion fut la grande affaire de ma vie… » (p,92)

            Ses Légionnaires : « Ils ont souvent été engagés dans des batailles pourries, parce que des autorités préféraient envoyer à la mort des étrangers plutôt que des Français… » (p,95)

            « 6 – L’aventure  « La lumière du Tonkin… La lumière du Tonkin remplaçait en moi la nuit de Buchenwald… (p,100)

            « La lumière du Tonkin… sur la RC4… un bout du Vietnam… rien n’avait bougé depuis Gallieni… nuit de veille… comme un alcool fort… Talung, le piège de mon existence… embuscades et combats de jungle… une question de confiance et de trahisons… un Moloch sans tête et sans âme… résistances vietnamiennes… le cycle de la vengeance… l’évacuation des lieux où le bonheur et la honte se sont succédé…Le piège de Cao Bang… » (p,99)

            Langson, le long de la frontière chinoise : « Les autorités françaises naviguaient à vue » (p,101)

        « La guérilla était omniprésente dans la région. »

      « Le drame communiste »… J’étais arrivé à Talung (1) comme le représentant d’une puissance coloniale aux prises avec un mouvement d’indépendance. En quelques mois j’étais devenu un soldat aidant le gouvernement vietnamien de Bao Dai à lutter contre le Vietminh communiste.  Notre étiquette et le sens du combat avaient changé. Mais l’ennemi restait le même. Il était difficile de faire comprendre cette évolution aux populations qui vivaient autour de nous. Elles étaient plus sensibles à un climat et à des personnes qu’à des considérations politiques. J’imaginais avec effroi les conséquences prévisibles en cas de victoire de la guérilla. Les villages qui s’étaient ralliés à nous seraient massacrés. (p,115,116)

       Dans la presse, je sentais le désintérêt de la métropole, comme on disait alors, pour ce combat au bout du monde. Pourtant le communisme était la grande interrogation de l’immédiat après-guerre. La Chine était sur le point de basculer. Le rideau de fer et le mur de Berlin séparaient peu à peu l’Europe en deux mondes antagonistes. Qui allait l’emporter ? La partie était rude. J’essayais de comprendre les combattants qui nous faisaient face. J’interrogeais ceux qui avaient de la famille vietminh. Quand nous faisions des prisonniers, je les questionnais sur leurs motivations. Mais j’étais le plus souvent déçu. Les hommes étaient de qualité. Ils vivaient de manière courageuse, dans les grottes, avec un petit sac de riz, courant les pistes pour monter des embuscades. Ils étaient de la trempe de ceux qui donnent leur vie pour plus grand qu’eux. Mais je ne  retrouvais pas l’idéal conscient qui animait les communistes que j’avais connus dans les camps. Leur courage me semblait  sec. J’entendais une mécanique sommaire, un discours tout fait, un propagande récitée avec application.

       Vu de près le totalitarisme est immonde. Il décervelle les hommes aussi sûrement qu’une drogue. Dans la  Haute-Région, nous n’étions pas en contact avec ces hommes habiles et cultivé »s qui dirigeaient le mouvement et qui savaient impressionner leurs interlocuteurs occidentaux. Nous combattions des hommes pris par la machine communiste. Ce qui explique sans doute le décalage de perception entre les journalistes et nous. Le drame du Vietnam demeure d’avoir connu à la tête des premiers mouvements d’indépendance des communistes formés à l’école de l’Internationale pure et dure. Les archives de Moscou, que l’on découvre aujourd’hui avec un effarement tardif, montrent l’étendue du contrôle soviétique sur ses alliés internationaux. Quand le dessous des cartes de la tragédie vietnamienne sera à son tour dévoilé, il est à craindre que beaucoup d’hommes qui se sont laissé prendre à la mythologie romantique des combattants aux pieds nus ne découvrent avec stupeur qu’ils ont cru à un théâtre d’ombres. L’horreur de notre siècle tient à  ces espérances perpétuellement bafouées…Tant de souffrances inouïes pour un naufrage sans appel… «  (p,117)

      « Je sentais que la fin approchait. Dans mes jumelles, j’avais vu le poste frontière du côté chinois tomber aux mains des partisans de Mao. Il ne s’agissait plus d’une guérilla isolée. Une armée appuyée par tout un continent se préparait. Talung était à la charnière entre deux époques de guerre. Sur la RC4, dans notre dos, les combats redoublaient. Les convois français subissaient des attaques d’une rare violence…

        Il était évident que quelque chose de grave allait se produire. Je me sentais de plus en plus attaché à ce carré de jungle où j’avais pris racine avec la rapidité de ceux qui pensent que  la mort va les surprendre le lendemain…. Je réfléchissais à ces hommes et à ces femmes que j’avais engagés à ma suite, au nom de mon pays et d’une partie des leurs… » (p,120,121)

        « La fuite

       Un jour de février 1950, j’ai vu arriver un convoi à moitié vide accompagné d’une escorte. Le colonel Charton, qui dirigeait en second Cao Bang, descendit du premier véhicule. J’ai cru à une inspection. C’était une opération de repli. La victoire communiste en Chine avait transformé la donne. Il fallait rapatrier toutes les forces éparpillées en Haute-Région sur Cao Bang qui allait être assiégée par le Vietminh. Il fallait faire vite…

         Les partisans rassemblèrent leurs familles pour monter dans les camions. Je suis resté quelques minutes avec les légionnaires pour assurer l’arrière-garde en cas d’attaque vietminh, et puis nous avions embarqué. C’est là que j’ai vu ceux que je n’avais pas voulu voir, auxquels je n’avais pas voulu penser. Les habitants des villages environnants, prévenus par la rumeur, accoururent pour partir avec nous. Ils avaient accepté notre protection. Certains avaient servi de relais. Ils savaient que sans nous, la mort était promise. Nous ne pouvions pas les embarquer, faute de place et les ordres étaient formels : seuls les partisans pouvaient nous accompagner. Les images de cet instant-là  sont restées gravées dans ma mémoire comme si elles avaient été découpées au fer, comme un remord qui ne s’atténuera jamais. Des hommes et des femmes qui m’avaient fait confiance, que j’avais entrainés à notre suite et que les légionnaires repoussaient sur le sol… Certains criaient, suppliaient. D’autres nous regardaient, simplement, et leur incompréhension rendait notre trahison plus effroyable encore. Le silence est tombé sur le camion qui fonçait à travers les calcaires… Dans toute la région, des opérations semblables avaient été effectuées. Au nord de Cao Bang : Tra Linh, Nguyen Binh, Ben Cao. A l’est de Thât Khé : Poma, Binhi. A Saigon, j’imaginais le point presse triomphal : « notre dispositif de frontière a été resserré. Tout s’est bien passé »… La période plus  exaltante de ma vie s’est alors terminée dans un désastre total. Nos efforts avaient débouché sur la trahison, l’abandon, la parole bafouée…  

        « Le guerre telle que nous la pratiquions au Vietnam entrainait une certaine osmose entre les troupes et la population. Il ne s’agissait pas d’un conflit de positions entre deux ennemis bien définis, mais d’un affrontement politique et géopolitique où les intérêts de toutes sortes et les stratégies contradictoires s’imbriquaient inextricablement, entre la Chine et le Vietnam, l’Occident et le communisme, la France et son ancienne colonie indochinoise, les Viets et les minorités ethniques. Autant de dimensions qui nécessitaient de prendre sur le terrain des engagements allant au-delà du simple métier de soldat. Pendant des années, les cauchemars de Talung allaient rejoindre ceux de la déportation. J’avais le sentiment d’être un parjure. Ce mot vaut-il encore quelque chose à une époque où la notion d’honneur est passée à l’arrière-plan ? Disons qu’il ne s’agissait pas d’un serment chevaleresque. Tout simplement de centaines d’hommes et de femmes, dont parfois les moindres traits du visage sont inscrits dans ma mémoire, et à qui, au nom de mon pays et en mon nom, j’avais demandé un engagement au péril de leur vie. Nous les avons abandonnés en deux heures. Nous avons pris la fuite comme des malfrats. Ils ont été assassinés à cause de nous.

       Depuis 1949, ce canton perdu dans la Haute-Région vit toujours en moi, comme un pan autonome de ma mémoire, le bloc d’un iceberg détaché du courant….

        Par les associations de boat-people, j’ai reconstitué l’histoire de Talung. Après les terribles massacres qui ont suivi notre départ, les Thos ont été mis à contribution sur le plan militaire par le Vietminh, formant l’essentiel de la célèbre division 308…» (p,124,125)

Commentaire : un bref commentaire, car ce passage illustre bien le type de guerre révolutionnaire pour laquelle l’armée française n’était pas du tout préparée. Le Vietminh mettait en œuvre le type de guerre qui avait donné à Mao Tsé Tung les clés de la Chine, c’est-à-dire le contrôle de la population.

     Certains officiers, au cas par cas,  en retirèrent rapidement la leçon, mais c’est sur le théâtre d’opérations algérien que l’armée française mit en œuvre une nouvelle stratégie de guerre contre-insurrectionnelle qui connut un incontestable succès, mais qui conduisit à la suite que l’on connait, le refus d’une partie des officiers d’obéir à un commandement qui trahissait la parole donnée, comme en Indochine.

  1. Chez les Thos, ethnie de la Haute-Région

      « Le siège de Cao-Bang (p,126)

       « … Avant la fin de ce premier séjour en Indochine, il me restait encore à vivre quelques semaines de combat. La pression Vietminh s’accentuait de jour en jour…

      A partir de Cao bang, nous avons régulièrement effectué des missions de reconnaissance et de renseignement. Nous ramenions des prisonniers. Tous les indices concordaient : des moyens considérables se mettaient en place. Or, plus le commandement renforçait la défense de la ville, plus l’évacuation devenait une opération lourde et difficile. Le piège se mettait en place. Mon premier séjour touchait à sa fin… «  (p,127)

Le lecteur pourra prendre ailleurs connaissance de la tragédie de Cao-Bang qui constitua un des tournants majeurs de cette guerre.

&

      Le capitaine de Saint Marc effectua un deuxième séjour en Indochine entre 1950 et 1953 dans un Bataillon Etranger Parachutiste, un BEP, nouvelle forme d’une guerre aéroportée.

       La guerre d’Indochine avait basculé dans une autre dimension  avec l’arrivée de la Chine communiste sur les frontières d’Indochine, une des dimensions internationales de la nouvelle guerre entre l’Est et l’Ouest, l’aide des Etats-Unis, et la tentative du général de Lattre de faire prendre un nouveau tournant stratégique et tactique à cette guerre.

&

       « L’expérience de la guerre (p,136)

      «  Les combats que j’ai connus de 1950 à 1953 furent d’une âpreté et d’une violence  que je n’ai plus retrouvées dans ma carrière militaire…

      « L’annuaire des troupes du 2ème BEP entre 1950 et 1954, ressemble à un monument aux morts. On y dénombre, selon les compagnies de 30 à 60 pour cent de disparus.(p,133)

     La guerre est un mal absolu. Il n’y a pas de guerre joyeuse ou de guerre triste, de belle guerre ou de sale guerre. La guerre c’est le sang, la souffrance, les visages brûlés, les yeux agrandis par la fièvre, la pluie, la boue, les excréments, les ordures, les rats qui courent sur les corps, les blessures monstrueuses, les hommes et les femmes transformés en charogne. La guerre humilie, déshonore, dégrade. C’est l’horreur du monde rassemblée dans un paroxysme de crasse, de sang, de larmes, de sueur et d’urine.

      « Sur la route d’Hoa Binh (p,141)

    « En novembre 1951, de Lattre décide de couper les forces du Vietminh en deux sur la Rivière Noire, à la hauteur d’Hoa Binh…

    Nous avions trente ans et nous vivions dans l’ignorance du lendemain. Nous savions bien sûr que notre drapeau n’était pas aussi pur qu’il aurait pu l’être et que la France se désintéressait chaque jour davantage de la cause indochinoise. Mais nous étions tombés amoureux de cette terre et de ce peuple…La fin de mon séjour au 2ème BEP fut marquée par la bataille de Nassan… La mort du général de Lattre avait fait retomber l’espoir d’une victoire militaire… » (p,14&,148,153)

Jean Pierre Renaud – Tous Droits Réservés

Premier trimestre 2020 – annonce de publication- Guerres d’Indochine et d’Algérie : les héritages guerres d’Indochine

Premier trimestre 2020

Annonce de publication

Je me propose de publier au cours du premier trimestre 2020 une série d’analyses et de morceaux choisis sous le titre et selon le plan ci-après :

La Parole de la France ?

Guerres d’Indochine (1945-1954) et d’Algérie (1954-1962)

Les héritages

&

  1. Introduction et prologue avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc
  2. Témoignages d’André Malraux, ancien ministre du Général de Gaulle, Maurice Delafosse, ancien administrateur colonial et africaniste, Robert Guillain, grand reporter en Extrême Orient
  3. Résumé historique de la Guerre d’Indochine
  4. Les grandes séquences historiques de la Guerre d’Indochine avec le général Gras et l’historien Hugues Tertrais
  5. Situation de l’Indochine en 1945 :
  • Vue de l’étranger avec Henri Kissinger, Graham Green et Nguyen Khac Vièn
  • Vue de France, avec Pierre Brocheux
  1.  La guerre ? Classique, révolutionnaire, subversive, populaire ?

       « Morts pour la France » ?

&

Au cours du premier semestre, quelques pages seront consacrées aux acteurs de ces deux guerres, notamment du côté français.

La  liste est longue, des officiers français qui, à la fin de la guerre d’Indochine, exercèrent des commandements à tous les niveaux, pendant la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962.

Avant  d’aborder ce sujet, citons quelques noms connus, Massu, Salan, Crépin, Cogny, Trinquier, Allard, Gilles, Vanuxem, Gambiez, Bigeard, Ducourneau, ou Beaufre…

Jean Pierre Renaud

« Guerre » Climatique ! Vous avez bien entendu ?

« Guerre » Climatique !

Vous avez bien entendu ?

   Nous sommes en « guerre », hier et aujourd’hui encore au Sahel, et ces jours derniers avec MM Hulot et de Rugy, contre le réchauffement climatique.

       Est-ce que ces messieurs savent bien ce qu’est une « guerre » ?

      Ont-ils une stratégie, avec des objectifs à atteindre, un programme pluriannuel avec une hiérarchie d’objectifs, des moyens financiers à leur consacrer et un commandant en chef nommément désigné, même s’il ne s’agit pas de Notre Dame …?

      Jusqu’à présent, personne n’en a vu la couleur, en dépit du virage climatique annoncé par le Premier Ministre et des déclarations tonitruantes de Monsieur Jadot.

       Paroles, toujours paroles, mais qui s’envolent au vent !

Comme avant !

Jean Pierre Renaud

Août 1944 – Août 2018 Le jeune séminariste et résistant Robert Cuenot a été fusillé par les Allemands

Août 1944 – Août 2018

Le jeune séminariste et résistant Robert Cuenot est fusillé par les Allemands au fort d’Hatry à Belfort : il avait vingt-deux ans

Ne l’oublions pas ! Ainsi que toutes les victimes de la paroisse résistante de Montbéliard !

  Très jeune, j’ai été mêlé dans ma famille, et sans le savoir, à la Résistance dans le Pays de Montbéliard, une Résistance animée par les prêtres de la Paroisse catholique de Montbéliard, une Paroisse résistante.

            Robert Cuenot était un ami de mon frère Michel.

            Il fut l’un des animateurs de la Résistance dans le Pays en compagnie de son beau-frère Frédéric Olgiesser, mort en déportation.

            J’ai largement participé à la vie et aux activités de ma paroisse tout au long de ma jeunesse, mais je vous avouerai qu’à l’occasion des quelques déplacements que j’ai effectués dans mon ancienne province, je n’ai plus retrouvé cette vitalité et cette ferveur religieuse qui animait toutes les fibres de ses paroissiens et paroissiennes.

            Il n’est pas inutile de s’en rappeler aujourd’hui, alors qu’il existe dans notre vieux pays la concurrence mémorielle que l’on connait dans le bon ou mauvais sens de l’expression.

            Jean Pierre Renaud