Guerre en Libye: hélicoptères de combat en Lybie contre radars des députés français!

Le mandat des députés : radars contre hélicoptères de combat en Libye !

            Le Figaro du 23 mai 2011 en première page :

 « Libye

La France engage ses hélicoptères d’attaque »

Le Monde du même jour : rien sur ce nouvel engagement militaire de la France !

Comment ne pas se poser des questions, une fois de plus, sur la liberté tout à fait anormale que la Constitution française laisse au Président de la République pour engager l’armée française, aujourd’hui professionnelle, dans des opérations de guerre à l’étranger ? Et sur l’écho que ce nouveau pas franchi dans la guerre de l’autre côté de la Méditerranée reçoit dans la presse ?

Et comment ne pas être étonné de voir nos braves députés s’intéresser beaucoup plus à la suppression des panneaux annonciateurs de radars, et à la communication très flottante du gouvernement à ce sujet,  qu’à cette nouvelle guerre qui nous est annoncée ?

Car il est évident que la France s’est, une fois de plus, engagée dans des opérations de guerre qui ne disent pas leur nom, fusse avec l’accord d’autres pays de l’OTAN, et avec un mandat de l’ONU !

Sommes-nous  toujours dans le champ du mandat international d’interdiction de vol  dans une zone de protection des populations civiles, avec l’intervention d’hélicoptères de combat au sol ?

La résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l’ONU a en effet décidé d’instaurer une zone d’exclusion aérienne en Libye afin de « protéger les populations civiles ».

En vertu de la constitution actuelle, le Parlement ne sera donc saisi que quatre mois après le début de l’engagement militaire de la France en Libye ?

Est-ce qu’il ne serait pas digne d’une république moderne et démocratique de laisser à  la représentation nationale le soin de décider si le pays s’engage ou non dans une intervention militaire, quelles qu’en fussent les raisons, humanitaires ou pas ?

Jean Pierre Renaud

« Guerres d’Afrique, 130 ans de guerres coloniales, l’expérience française », de Vincent Joly, lecture 2

« Guerres d’Afrique

130 ans de guerres coloniales

L’expérience française »

Vincent Joly

Lecture critique

Volet 2 (volet 1 sur le blog du 11 mai 2011 )

La problématique de la guerre : « une espèce de guerre coloniale » ?

Le premier chapitre intitulé « Guerres et violences coloniales : thèmes et débats » ouvre le livre sur le véritable débat de fond, le contenu du concept de guerre, son évolution et sa définition selon les auteurs, et sa signification en tant qu’une « espèce de  guerre coloniale ».

Ma première remarque porterait sur la qualification coloniale : est-ce qu’une guerre coloniale, petite ou grande, courte ou longue, n’est pas, avant toute chose, celle qui est faite par une puissance qui entend en dominer « une autre », un nouveau territoire, une colonie, donc une guerre coloniale par destination.

La distinction que font les auteurs anglo-saxons entre celles qui ont eu lieu avant 1914, les « small wars », et celles d’après, les « imperial policing » ne suffit pas à décrire les différents états de guerre coloniale, selon les époques.

Ma préférence irait plutôt, en ce qui concerne la France, vers des critères techniques plus rigoureux, le théâtre d’opérations (désert, savane ou forêt), la latitude (tropicale ou non), une mise en œuvre artisanale (Soudan) ou industrielle (Tonkin, Dahomey, ou Madagascar), les effectifs mis en œuvre (africains ou non), les technologies disponibles et mises en œuvre, et évidemment la date, et tout autant la saison.

La thèse développée par l’historien Headricks dans le livre « The tools of imperialism » est tout à fait stimulante à cet égard : pas de conquête du Soudan sans vapeurs sur le fleuve Sénégal, et pas de conquête du bassin du Niger, sans télégraphe (ce que releva d’ailleurs l’historien Brunschwig), canons, et fusils à tir rapide, mais tout autant, sans quinine, et sans recours à une troupe africaine nombreuse.

Le recrutement de ce type de troupe donnait la possibilité de financer la conquête au moindre coût, en faisant appel au minimum de soldats européens mal adaptés, sur le plan de la santé et de l’acclimatation, à ce théâtre d’opérations

Les critères d’analyse retenus par l’historien Keegan dans son « Histoire de la Guerre » seraient sans doute plus pertinents, notamment ceux de « feu », de « logistique », marginalement de « fortifications » à l’occasion de la conquête de l’ouest africain (les fameux tatas), mais en y ajoutant la nature des troupes, la contrainte climatique, et l’importance de l’outil militaire de la conquête, la « colonne », au cours de ce qu’il conviendrait d’appeler la première phase des guerres « coloniales » modernes.

Au cours de la première période, c’est sans doute l’outil militaire de la « colonne » qui a été l’instrument majeur de la conquête coloniale, mis en pratique par les puissances européennes avec des caractéristiques et  une intensité militaire différente selon les enjeux, les époques et les théâtres d’opération.

Quoi de commun entre les premières colonnes de Gallieni en marche vers le Niger dans les années 1880 et celles qu’il commanda au Tonkin dans les années 1890 contre le Dé Tham dans le Yen Thé ?

L’auteur propose sa propre définition de la guerre coloniale qui réunirait trois caractéristiques, une défaite d’exception, la disproportion des pertes subies, la composition africaine de l’armée coloniale. (page 32)

Une telle définition appauvrit considérablement le concept historique, et n’est de toute façon plus applicable dans des contextes historiques tels que la guerre du Rif, ou celles d’Indochine et d’Algérie.

Et en ce qui concerne un des critères, celui des pertes, dans quelle case du bilan, conviendrait-il de mettre les pertes européennes causées par les maladies (le tiers des effectifs de l’expédition malgache en 1895-1896) ?

Le critère proposé par l’historien Henri Brunschwig, même s’il est également très général, traduit beaucoup mieux la relation coloniale entretenue par la métropole pour laquelle toute guerre coloniale, n’a jamais été que « secondaire »

A ce stade de la lecture et de la réflexion, je serais tenté de dire que faute d’avoir choisi un fil conducteur et une chronologie historique, une définition précise de la guerre coloniale, l’auteur brosse un tableau plus récapitulatif que comparatif et synthétique des guerres d’Afrique, dites « coloniales », sans que la rigueur historique y trouve en définitive son compte, en juxtaposant expériences et guerres « coloniales », sans qu’on en voie toujours les lignes de force communes ou antagonistes.

 Les ambiguïtés

Le titre du livre vise les guerres d’Afrique, et il parait tout à fait surprenant d’y inclure la guerre d’Indochine, même si on voit bien le lien que fait l’auteur entre la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie, compte tenu des idées de guerre subversive, psychologique, révolutionnaire, qui ont inspiré, en Algérie, une partie des officiers d’active dans la guerre qu’ils y ont menée.

Mais ce rapprochement est tout à fait discutable, sauf à passer à un autre type d’analyse, celle des guerres « coloniales » modernes, de type d’abord asymétrique, puis de plus en plus symétriques, en raison des moyens militaires mis en œuvre, telle celle du Vietnam, qu’ont été certaines guerres d’indépendance nationale.

D’autant plus discutable qu’en Indochine, la confrontation est-ouest a très rapidement donné une coloration très différente au conflit, ce qui n’a pas été le cas de l’Algérie, même si certains officiers ont tenté d’accréditer cette thèse.

Une école algérienne de la guerre coloniale? Et la doctrine du fait accompli ?

L’auteur fait un sort à une école militaire algérienne à la mode Bugeaud, et classe Faidherbe dans la mouvance de cette école, mais cette ascendance, même si elle a existé, n’a pas obligatoirement conduit Faidherbe à mener ce type de guerre sur un théâtre d’opérations complètement différent, avec l’innovation des opérations amphibies,  et avec une conception coloniale encore plus différente de celle de l’Algérie.

L’auteur écrit : « Comme Bugeaud, il estime (Faidherbe) qu’il ne peut y avoir de sécurité sans occupation militaire même si celle-ci va à l’encontre de la politique voulue à Paris. Ainsi, en 1859, alors que de nouvelles instructions lui ordonnent de consolider le territoire acquis, il lance une colonne dans le Siné afin de « restaurer le prestige de la France ». En agissant ainsi, il inaugure une pratique du fait accompli et de lace vis-à-vis des pouvoirs civils métropolitains qui est érigée en principe par ses successeurs « soudanais ». Il est ici, selon la juste expression de R.Kanya-Forstner, le véritable père de l’impérialisme français au sud du Sahara. » (page 95)

J’ai consacré plusieurs années de recherches historiques dans les archives militaires et dans les récits de campagne des officiers, et il y en a eu beaucoup, afin de tenter de déterminer la place du fameux « fait accompli » dans l’histoire des conquêtes coloniales. J’ai livré le résultat de ces recherches dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », et ces recherches démontrent :

 1) que dans le contexte des communications de l’époque, il existait effectivement une liberté large et inévitable de commandement. Au cours même de la guerre de 1914-1918, l’historien Keegan a montré les limites du commandement, même au plus près des combats, le chef n’étant le plus souvent pas informé, ou avec retard, de ce qui se passait en avant des tranchées,

2) que le fameux fait accompli était le plus souvent au moins autant celui du petit groupe politique colonial qui tirait les ficelles à Paris que celui décrit comme le clan des « Soudanais », « les épigones de Bugeaud » (page 115)

3) que la thèse de R.Kanya-Forstner avait le mérite d’exister, mais qu’elle n’était pas toujours fondée dans tous ses développements,

4) qu’en tout état de cause, aucune opération militaire ne pouvait se dérouler sans que son chef ait un minimum de liberté de commandement.

Et j’ajouterais volontiers que la course vers Fachoda, ou le lac Tchad, avec le désastre de la colonne Voulet-Chanoine, la guerre du Dahomey, l’expédition de Madagascar, pour ne citer que ces quatre exemples, ne s’inscrivaient pas dans la thèse du fait accompli colonial, mais bien dans celle de la décision politique ou du fait accompli politique.

Alors parler d’école algérienne de l’impérialisme parait tout simplement exagéré, pour ne pas utiliser un qualificatif plus fort. L’extension de cette conception génétique de la guerre coloniale à la guerre d’Indochine ou à celle d’Algérie, serait encore plus étrange !

Mais tout à fait curieusement, il semble qu’à l’arrière-plan de ce type d’analyse se profile l’ombre de l’Algérie, toujours l’Algérie, et sa guerre d’indépendance qui aurait effacé les autres colonies, même si l’Algérie n’était pas une colonie, une « ombre » familière à beaucoup de chercheurs de l’histoire coloniale ou postcoloniale.

Ecole algérienne, celle de Gallieni ou de Lyautey ? Cette thèse n’est pas fondée, en tout cas pour ceux qui ont fréquenté, et leurs récits, et leurs campagnes.

Une armée d’Afrique ?

J’avouerai qu’à la lecture de ce livre par ailleurs bien documenté grâce à son abondante historiographie, et intéressant, j’ai eu de la peine à retrouver les justes repères sur la nature des armées coloniales, sauf en ce qui concerne leur appel à un recrutement toujours très important de soldats africains.

A mes yeux, l’armée d’Afrique était celle d’Algérie, et plus largement celle de l’Afrique du nord, et pas celle des colonies africaines, formée de régiments d’infanterie ou d’artillerie coloniale, et pas du tout de régiments de zouaves ou de chasseurs d’Afrique. Il me semble que c’est d’ailleurs l’acception retenue par les spécialistes, notamment  Anthony Clayton, Troisième partie, L’armée d’Afrique (pages 243 et suivantes).

Ne s’agit-il pas là d’une confusion historique ?  D’autant plus étrange que l’auteur cite à la fois dans son livre et dans sa bibliographie le livre de Clayton, intitulé « L’armée française en Afrique : 1830-1962 »

L’analyse du concept de l’armée d’Afrique, de son contenu, de son recrutement, aurait été intéressant en tant que tel, étant donné la relation qu’il instituait entre le gouvernent, la nation, et la politique coloniale qui était menée en leur nom.

L’histoire des troupes coloniales montre à l’évidence qu’elles ont le plus souvent servi des guerres considérées comme secondaires, ignorées le plus souvent comme le relève d’ailleurs ce livre, d’autant plus facilement, qu’elles n’impliquaient pas l’armée française dans son ensemble, mais surtout, absolument pas dans son système de recrutement, c’est-à-dire la conscription citoyenne, et donc en conséquence dans son fonctionnement et ses missions.

Ce que l’auteur appelle « l’armée d’Afrique », hors Algérie, a généralement été dirigée par des officiers de métier, secondés par un petit noyau européen de soldats de métier, d’engagés, ou de volontaires, mais constituée, pour l’essentiel, de troupes africaines.

L’expédition de Madagascar avait par exemple montré les limites de l’appel à des formations militaires de la métropole. Les unités de soldats recrutés en métropole, fêtées par la population à leur départ, le 200ème de ligne et le 40ème Chasseurs, avaient perdu, à la fin de 1895, plus de la moitié de leur effectif.

L’historien Brunschwig avait fort justement qualifié cette expédition de « criminelle ».

C’est entre autres, la raison pour laquelle je remarquais au début de cette analyse que les guerres coloniales n’avaient jamais été celles de la France, de son peuple, mais celles de ce que j’appellerais la France coloniale.

Et c’est sans doute pour les mêmes raisons que, grâce à l’existence d’un article 35 tout à fait curieux de la Constitution, à la suppression du service militaire et  à la disposition d’une armée professionnelle, la France s’engage aujourd’hui dans des guerres extérieures, sans trop se soucier de l’avis du Parlement ou de l’opinion des citoyens.

Nous touchons ici du doigt une des causes de nos guerres coloniales, celle qui mettait à la disposition des gouvernements de la Troisième République une force militaire professionnelle dont l’emploi ne soulevait  pas de conflit politique majeur.

Dans les deux guerres « perdues » d’Indochine et d’Algérie, le facteur principal de la défaite fut dans un cas, l’absence de la mobilisation des citoyens pour assumer le conflit, et dans l’autre cas, l’engagement des citoyens, c’est-à-dire d’un contingent rapidement hostile aux buts de cette guerre.

Avant d’en terminer, toutefois un regret, que l’auteur n’ait pas assez fait état des archives d’opérations militaires elles-mêmes, et pu consacrer plus de temps à la lecture des récits des officiers qui ont été les acteurs de ces guerres coloniales, je pense notamment à Gallieni et à Lyautey, mais il y en a eu beaucoup d’autres.

Au-delà de leur métier militaire, ils avaient souvent un talent de plume incontestable !

 Et le regret aussi que l’analyse historique n’ait pas épousé strictement le concept de comparaison entre « guerres » chronologiquement et conceptuellement comparables.

Jean Pierre Renaud

(1)  « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » Editions JPR 2006

Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (1870-1900)

Guerres d’Afrique, 130 ans de guerres coloniales? Le livre de Vincent Joly, lecture critique

Guerres et guerres ? Guerres coloniales ?

« Guerres d’Afrique

130 ans de guerres coloniales

L’expérience française »

Vincent Joly 

Lecture critique

Volet 1

 Avant toute analyse, je serais tenté de dire, sans nécessairement user d’un paradoxe, ni vouloir déstabiliser le lecteur, qu’au cours de ces cent trente années, la France, c’est-à-dire, son peuple, n’a jamais fait de « guerre coloniale » en Afrique, sauf pendant la guerre d’Algérie, et beaucoup de citoyens de France savent comment elle s’est finie, c’est-à-dire grâce précisément à l’intervention de son peuple, c’est-à-dire le contingent.

            Car, en l’absence d’une armée professionnelle, il en aurait été peut-être, et sûrement, autrement !

            Nous reviendrons sur cette réflexion liminaire paradoxale, car le lecteur aura la possibilité, au terme de notre analyse, notamment celle des troupes coloniales, de mieux en comprendre le sens.

            Mon analyse sera longue, car avant même la lecture de ce livre, le sujet a occupé une partie importante de mon temps, en lectures, recherches de sources, consultations d’archives, et réflexions.

            Nous reviendrons tout d’abord sur le contenu général de ce livre, puis nous aborderons les questions de fond que pose l’ouvrage, et enfin les ambiguïtés, peut-être inévitables, que recèle un tel travail.

Un éclairage historique récapitulatif et comparatif utile, mais ambitieux

            L’auteur avait l’ambition de brosser les caractéristiques de l’évolution historique des guerres coloniales en Afrique entre 1830 et 1960et son pari est en gros réussi, même si ce travail important d’historiographie soulève encore beaucoup de questions, dont les deux premières portent sans doute, d’une part, sur la nature de son fil conducteur, et d’autre part, sur son articulation historique.

            Une des particularités de cet ouvrage est sans doute liée en effet au traitement de l’information historique beaucoup plus par le biais de concepts, guerres et violences, expériences, pratique de la guerre coloniale, l’outil, la paix française, les résistances africaines, l’usage métropolitain de la guerre coloniale avant 1914, la pacification, le maintien de l’ordre, la guerre psychologique, que par celui de la chronologie historique des guerres coloniales dont les caractéristiques furent très différentes tout au long de cette période de cent trente années.

            Quoi de commun entre Bugeaud et Leclerc, ou entre Abd el Khader et Ho Chi Minh ?

            Comment procéder à cette analyse de la longue durée, sans minimiser deux ruptures historiques sont souvent ignorées, ou au mieux, minorées, par beaucoup de chercheurs, la première guerre mondiale de 1914-1918 qui a vidé la France du sang de son peuple pour de longues années, et la deuxième guerre mondiale, fruit amer de la première, qui a bouleversé les enjeux de la planète, avec notamment l’arrivée de la guerre froide ?

            Les guerres d’Indochine ou d’Algérie seraient à classer dans la catégorie des guerres coloniales ?

            Cet ouvrage a le mérite d’ouvrir le champ de la connaissance par une analyse comparative des guerres coloniales menées précisément dans la première période des conquêtes par les autres puissances européennes, la Grande Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal et l’Espagne.

            Un oubli sans doute, celui de la Belgique, car la comparaison avec la France coloniale serait au moins aussi pertinente que celle de la Grande Bretagne !

            Nous reviendrons sur le sujet, car l’auteur ne semble pas avoir tiré tout le parti qu’il était possible de tirer de la comparaison des autres expériences de guerre, car il aurait été intéressant de comparer les types de conquête coloniale des différentes puissances, entre par exemple la guerre anglaise contre les Ashantis, en 1874, et celle des Français contre le roi Béhanzin en 1894, la conquête française du Congo comparée à la belge, ou encore les grandes différences qui existaient dans les configurations militaires du véritable outil de la conquête coloniale que fut la « colonne », entre la méthode française, le plus souvent artisanale, et la méthode anglaise beaucoup plus lourde, industrielle.

 Comme l’auteur l’a d’ailleurs indiqué, le colonel Péroz a écrit des choses intéressantes sur le sujet, lourdeur des colonnes, côté anglais, et légèreté, côté français, pour ne pas dire économie « forcée » des moyens.

            N’aurait-il pas été intéressant de comparer des guerres comparables, notamment celles menées sous la forme de grandes expéditions militaires à la fin du 19ème siècle et

au début du suivant, de type industriel, telles que celles citées dans l’ouvrage, les italiennes, les anglaises de l’Afrique du Sud, et les françaises de la même époque, au Tonkin et à Madagascar, très différentes des petites expéditions, le plus souvent à court de moyens, qui partirent à la conquête de l’Afrique occidentale ou centrale, en ce qui concerne la France ?

            Car le découpage conceptuel qui est retenu par l’ouvrage tend à juxtaposer, plus qu’à comparer expériences ou guerres coloniales.

            Observations intéressantes sur la position de l’Islam dans les conflits décrits, mais surtout sur les « résistances » au conquérant.

Pour avoir beaucoup analysé les opérations de conquête française de l’Afrique occidentale (1), je partage l’opinion de l’auteur sur la nature des résistances africaines de l’époque :

« Les nécessités de l’unification nationale ont poussé les dirigeants des pays nouvellement indépendants, y compris ceux qui n’avaient pas connu la lutte armée pour se libérer, à forger des mythologies résistancialistes souvent autour de grands personnages comme Samori en Afrique de l’Ouest. » ( page 134)

Plus novatrices,  pour certains lecteurs, sont sans doute les pages consacrées aux révoltes importantes qui ont eu lieu pendant la première guerre mondiale dans l’Afrique de l’Ouest, notamment  dans le Bélédougou, le pays Mossi, dans le nord du Dahomey, en pays Touareg, révoltes motivées principalement par le refus du recrutement.

Ces révoltes montraient bien les limites de la fameuse pacification, ou de la nouvelle « paix française ».

Au Tonkin, la révolte de Yen Bay, en 1931, en fut un autre signal significatif. 

Dérangeantes par ailleurs pour certains chercheurs, les pages consacrées aux réactions de l’opinion publique sur les conquêtes coloniales !

L’auteur écrit :

«  Fabriquer des héros ?

L’histoire coloniale de la France recèle un étonnant paradoxe. Alors qu’avant 1914, tout le monde s’accorde à dénoncer l’indifférence de l’opinion publique à l’égard de l’expansion d’outre-mer, les événements et les acteurs de cette dernière occupent une place considérable dans la presse, la littérature ou encore les programmes scolaires. Ainsi, ils contribuent à populariser non pas une culture coloniale mais plutôt un impérialisme populaire dont l’armée constitue l’élément central et dont on mesure la vigueur à l’occasion de crises comme celle de Fachoda. » (page 163)

Comment ne pas regretter que l’auteur n’ait pas cru pouvoir citer, dans sa riche historiographie, des travaux qui auraient permis de sortir de la formule banale du « tout le monde » ?

Et pour la suite, mon opinion est plutôt réservée sur le concept « impérialisme populaire », car je maintiens qu’à l’heure actuelle, aucune démonstration statistique sérieuse ne vient accréditer à la fois l’importance des vecteurs de « culture coloniale », ou ici, comme proposé par l’auteur, d’«impérialisme populaire », et encore moins de leurs effets sur l’opinion publique.

La première appréciation historique aurait été d’autant plus intéressante qu’à la page 168, l’auteur cite une source d’évaluation du « fait colonial », plutôt significative, celle d’une enquête faite par le capitaine Roland, entre 1903 et 1907, sur les conscrits : 8% d’entre eux ignoraient ce que fut la mission Marchand, et 15 % seulement d’entre eux avaient entendu parler de l’amiral Courbet.

Pour avoir effectué un certain nombre de recherches sur la presse de ces époques, et pour avoir évalué, à partir de leurs sources, le discours que tient un petit groupe de chercheurs sur une culture coloniale ou impériale qui aurait imprégné les Français et laissé des traces dans leur « inconscient collectif », je confirmerais volontiers qu’ils n’ont jamais été vraiment concernés par la fameuse expansion coloniale, que ce soit avant 1914, ou après 1918.

J’ai en effet analysé (2), vecteur par vecteur, ceux cités par ce petit groupe de chercheurs, la presse, les livres scolaires, les affiches, le cinéma, les expositions, et la propagande coloniale elle-même, en concluant à une démonstration statistique et historique notoirement insuffisante.

Volet 2 de la lecture la semaine prochaine

(1)          Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large  – Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (AOF-Tonkin- Madagascar-Fachoda- 1870-1900)

2006–Editions JPR

(2)          Supercherie coloniale- 2008- Mémoires d’Hommes

Guerre d’Algérie: « La grotte », roman de Georges Buis

Lecture

Une lecture de vacances sur la guerre d’Algérie, un livre acheté dans une brocante d’été

            Un livre du colonel Buis, écrit dans les années 1959-1960, et publié en 1961. Je ne l’avais jamais lu, car j’ai toujours manifesté une grande méfiance à l’égard de tous les livres de témoignages sur la guerre d’Algérie.

            Or il se trouve que j’ai trouvé dans ce livre une situation, une problématique, et un regard sur l’adversaire qui me furent familiers dans un secteur militaire voisin de celui du colonel Buis, sur l’état d’esprit et le comportement des militaires, des combattants algériens et des civils.

            A la fin du siège et de la réduction (par morts ou prisonniers) d’une grotte immense, aux ramifications nombreuses et profondes, dont l’entrée était cachée sur une très haute falaise, le héros du roman, le commandant Enrico est récompensé de son succès militaire par une mutation de sa hiérarchie qui sanctionne son refus de la politique officielle de regroupement de la population, et comme dans une tragédie antique, il est assassiné, puis égorgé, avant son départ d’Algérie, par un des rares survivants de la grotte.

            Double symbole donc de l’échec du commandant Enrico !

            Le décor de cette action militaire est superbe, et le savoir-faire militaire, à la fois classique, technique, et d’abord humain, mis en œuvre pour réduire cette grotte, est exceptionnel.

            Une certaine conception de la guerre 

            Le roman décrit bien les états d’âme d’un officier confronté à la complexité de cette guerre et le paragraphe suivant en propose un bon exemple :

            « Enfin – deuxième point –  je pense que pour réaliser le processus en cours et pour « contrer » celui que je pressens de la part des rebelles, il faudrait qu’il y ait un capitaine Valère par sous-quartier, soit mille capitaines Valère en service à la fois dans ce pays. Or, honnêtement, je ne crois pas qu’il y en ait dix dans toutes l’armée ou ailleurs. Alors ? Alors, c’est une question à traiter à la tête, par la politique, puisqu’on ne peut la traiter à la base par empirisme. » (p,88)

            Le commandant Enrico affiche un grand scepticisme sur la fameuse action psychologique de l’armée, et au cours de ses nombreuses conversations avec ses capitaines, il décrit la complexité des codes de langage, d’interprétation, de compréhension ou de non – compréhension qui existaient entre militaires et civils : qui était qui et quoi ? Les non-dits, les silences, les lâchetés, souvent légitimes…

            Lorsqu’on a fréquenté des villages kabyles à la même époque, la relation qu’en fait le commandant, à sa descente d’hélicoptère, est tout à fait celle qui aurait pu être mienne dans le douar des Béni Oughlis  (sans hélicoptère) :

            « Enrico appuyé sur sa canne, vent aboli, regardait cent cinquante sacs. Il maîtrisait de toute sa volonté une envie folle de s’asseoir parmi eux, d’être l’un d’eux, de parler avec eux… » (p,118)

            Les « sacs » silencieux que l’on rencontrait alors devant la mosquée de chaque village !

                        Un jugement sévère à la fois sur la guerre psychologique et sur la politique de regroupement de la population qui lui vaudra donc, à la suite de la visite d’un missus dominici de l’état major, sa mutation.

            Une dernière citation pour bien comprendre ce que pouvait être l’état d’esprit d’un officier lucide et expérimenté, à la fin d’un séjour en Algérie :

            « Pas d’assis aujourd’hui. Tout le village s’égaillait au travail…On eût dit un village heureux. Il fallait la surprenante solidarité qui liait secrètement dans une humiliation de même nature l’armée à la population, pour qu’Enrico sentît qu’une mince feuille d’isolant séparait l’image de la réalité. Car, appartenir, en dépit des apparences, à cette catégorie de gens à l’égard de qui les possédants, les technocrates, les malins, pratiquent un même paternalisme hypocrite, crée, sur fond de frustrations consenties ou subies, des sensibilités étrangement voisines. Mais si ce réflexe fondamental et affectif était un bon point de départ pour se comprendre, il n’offrait malheureusement aucune possibilité d’accord politique… (p,301)     

                                                                        Jean Pierre Renaud

La Tragédie des Harkis: France 3 – la blessure

La tragédie des harkis : « La blessure » – France 3 du 20 septembre 2010

 Ma première remarque porterait sur le titre choisi, un titre un peu faible, compte tenu des meurtres et des tortures dont ont été victimes beaucoup de harkis et de moghaznis, et du meurtre moral et patriotique que la France a commis à leur égard

            Ceci dit, un documentaire intéressant, et j’espère utile, sur les souffrances et le calvaire des harkis qui avaient choisi la France, de leurs familles, et aujourd’hui, de leurs enfants et petits enfants qui ont beaucoup de peine à comprendre leur histoire, et la lâcheté de notre pays, comme l’ont d’ailleurs souligné certains des témoins.

            Je regrette toutefois que le canevas de l’émission ait été l’histoire de la guerre d’Algérie et les harkis, plutôt que les harkis et la guerre d’Algérie, notamment dans une dimension trop souvent méconnue, celle d’une guerre civile parallèle.

            Quelques remarques encore :

            Le commentaire situe la compétence des harkas dans le champ de la sécurité des SAS (Sections Administratives Spécialisées), alors qu’elles étaient rattachées à l’autorité militaire, et que les officiers SAS disposaient de maghzens, de moghaznis, chargés d’assurer police et sécurité des SAS : ne s’agit-il pas d’une erreur ?

            En ajoutant que beaucoup de moghaznis ont été assassinés et torturés après l’indépendance.

            Par ailleurs la version donnée sur le sort réservé par la France à ses supplétifs ne correspond pas à celle que je connais, et d’après laquelle les autorités avaient pour instruction de laisser en Algérie le maximum de supplétifs : qui dit vrai ?

            A mon retour d’Algérie, et en ce qui me concerne, j’avais effectué auprès d’un camarade d’études, à l’Elysée, une démarche pour faire connaître la honte que nous éprouvions, avec beaucoup de mes camarades, quant à l’attitude de notre pays à l’égard de ses harkis et moghaznis.

            Alors oui, trois fois oui, la France a une dette morale à leur égard, un droit à réparation morale, et sur ce dernier point, j’ai été un peu étonné de l’intervention d’un historien connu et partisan de la repentance.

 J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié le langage utilisé, avec le massacre de Melouza, successivement, le nouvel « exclusivisme » du FLN, puis le mot de «  terreur », ce qui était effectivement le cas. 

Enfin, le débat qui a suivi l’émission était on ne peut plus décevant.

Jean Pierre Renaud

Les Sections Administratives Spécialisées: lecture du livre de M.Mathias

Les sections administratives spécialisées en Algérie

par Grégor Mathias

Les SAS, comme on les appelait plus communément, et selon moi, 

« Les « éphémères » administratives »

            Un livre intéressant, utile, très riche en informations, qui n’a pas peur de citer ses sources, et elles sont nombreuses.

            Un lecteur curieux pourra y découvrir l’univers des SAS, un univers à la fois très diversifié, et très changeant dans le temps en oubliant jamais que les SAS ont eu un temps de vie très court, une vie de « libellule ».

            Les questions de ce livre ?

            Une histoire des parties prenantes ?

            Celle-ci me concerne personnellement, étant donné qu’il me parait difficile, sinon impossible, de détacher analyse et jugement sur la guerre d’Algérie, et sur les SAS, lorsqu’on a été acteur de cette guerre et des SAS.

            Je suis en effet, par prudence et principe, tout à fait réservé sur l’histoire de la guerre d’Algérie racontée par des personnes qui ont été parties prenantes, actives ou passives, de cette guerre ! L’historien Goubert a d’ailleurs dit des choses intéressantes à ce sujet, et tout à fait censées.

            La représentativité historique des analyses (espace et temps)

            Le problème redoutable de la représentativité des recherches et des analyses, quant il s’agit de l’histoire du terrain, et non de celle, des organisations, des opérations militaires identifiables, du déroulement général et macro-politique et militaire, terrain souvent favori des recherches.

            En Algérie, chaque guerre fut différente, selon la situation géographique, la chronologie, le titulaire du commandement militaire, au niveau des sous-quartiers, quartiers, secteurs, et SAS.

            La mémoire orale

            Au risque d’offenser certains anciens d’Algérie, je suis assez sceptique sur la mémoire orale des anciens combattants. A en écouter beaucoup, ils ont tous connu  accrochages ou embuscades, alors que la proportion de soldats, de gradés, de sous-officiers, et d’officiers affectés dans les services de commandement et dans les villes était loin d’être négligeable. Et les conditions généreuses d’attribution de la carte d’ancien combattant ne constituent sans doute pas le bon critère du recueil fiable de mémoire orale.

            Les sources écrites

            Je fais en revanche plus confiance aux traces écrites de l’époque, c’est à dire essentiellement aux lettres.

            Egale réserve sur les archives : je ne sais pas ce que l’on trouve dans les archives des SAS, mais je ne suis pas sûr qu’elles reflètent la réalité. Quant aux Journaux de Marches et Opérations, les JMO, pour les avoir exploités en ce qui concerne le sous-quartier de ma SAS,  la plus grande prudence est à recommander.

            Il est donc nécessaire de déterminer au préalable ce qu’il est possible d’extraire honnêtement de ces archives.

            Ceci dit, et pour revenir au sujet proprement dit, rien à dire sur les chapitres qui retracent l’historique des SAS et leurs missions,  des chapitres qui exposent la diversité et la complexité de toutes ces missions, étant observé que dans le concret de beaucoup de SAS, c’était souvent « mission impossible ».

            Le chapitre 4 « L’état d’esprit des officiers SAS ». est intéressant, mais il soulève évidemment la question déjà évoquée de la représentativité des sources, en particulier en ce qui concerne les officiers qui ont fait l’objet d’interviews.

            La typologie des SAS     

            Une typologie des SAS parait donc s’imposer, pour autant qu’il soit possible de la faire, car les difficultés apparaîtront quand il s’agira d’évaluer leur fonctionnement et leur utilité chronologique, et donc tenter d’aller sur le terrain des résultats.

            Il conviendrait donc de classer année par année chacune des SAS dans une typologie à définir, situation géographique, situation militaire, de tenter d’évaluer leur fonctionnement et leur efficacité sur leur période de vie, c’est-à-dire 6 ans au maximum, selon les zones militaires, et souvent 3ans.

            Rien à voir entre les côtes francisées et les côtes sauvages, entre la côte et l’hinterland, entre l’est et l’ouest, entre 1956, 1958, et 1960, selon les zones.

            Chez moi, jusqu’à l’été 1959, au moins une katiba était quasiment chez elle, alors qu’après l’opération Jumelles,  j’arpentais les pentes de ma SAS avec un seul garde du corps, un « fel » rallié, un homme qui était d’ailleurs remarquable,  etc…

            Tâche combien difficile, peut-être impossible, d’élaboration d’un cadre historique aussi représentatif que possible !

            J’avouerai que j’ai découvert dans ce livre des attributions dont je n’ai jamais vu la couleur, et je pense que beaucoup de mes camarades, placés dans une situation militaire identique à la mienne, partageraient ce sentiment : combien de SAS  « paumées »  comme la mienne ? Plus qu’on ne croit peut-être. Durée de vie réelle de ma SAS, moins de trois années !

            En découvrant la description de la SAS modèle de l’Alma, je me suis dit une fois de plus, que toute généralisation historique pouvait, a priori, être sujette à caution.

            Et enfin, un aspect important du bilan des SAS à signaler, à mes yeux, le seul point positif, la mise en place de nouvelles institutions communales dans le bled algérien.

            Ceci dit, lisez ce livre qui constitue un excellent point de départ pour avoir, je l’espère, et ensuite, une vision encore plus historique du monde des SAS. Bon courage donc !

            Jean Pierre Renaud

« Essai sur la colonisation positive », un livre de l’historien Marc Michel

  Tout d’abord pourquoi ce titre un brin provocant ?

        Avant de proposer quelques notes de lecture, il n’est pas inutile, je crois, dans le contexte politique et idéologique actuel de certains chercheurs, plus qu’historique, d’éclairer le lecteur sur le sens complet du titre choisi, et pour ce faire, quoi de mieux que de citer une des phrases clés  de la conclusion ?       

            L’auteur rappelle à ceux qui ont la mémoire courte, qu’avant l’élection de Barack Obama, un exemple qui serait à suivre, la France a eu, depuis longtemps,  des députés, des hauts fonctionnaires noirs, des ministres… Sans attendre l’exemple américain !

            “Ils étaient le fruit d’une longue histoire où la colonisation a eu sa part, tantôt positive, tantôt négative toujours complexe, contradictoire, ambiguë.”

            Et pour éclairer le même propos, Amadou Hampâté Bâ, le grand lettré de l’Afrique occidentale, écrivait dans son livre « Amkoullel, l’enfant peul » (1992) :

            « Une entreprise de colonisation n’est jamais une entreprise philanthropique, sinon en paroles… Mais, comme il est dit dans le conte Kaïdara, toute chose a nécessairement une face diurne et une face nocturne. Rien, en ce bas monde, n’est jamais mauvais de A jusqu’à Z et la colonisation eut aussi des aspects positifs qui ne nous étaient peut être pas destinés à l’origine mais dont nous avons hérité et qu‘il nous appartient d’utiliser au mieux. » (p.492)

            Un regard de « collabo » des Français ? Si l’on retenait une des interprétations  qui figure dans le « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du Président Sarkozy » ? (voir mon analyse de ce livre sur le blog du 3 mars 2010)

            L’auteur nous emmène donc dans l’histoire des relations entre les blancs et les noirs en Afrique au cours d’une longue période, qui va de 1830 à 1930, en nous proposant très souvent une analyse historique internationale et transversale, du nord au sud, et de l’ouest à l’est de ce vaste continent.

            Sont successivement présentés les paramètres les plus intéressants de la problématique coloniale, des analyses et des synthèses fondées sur une historiographie très riche de sources toujours citées.

            Les réflexions sur les transitions économiques du XIXème siècle sont stimulantes : les sociétés côtières africaines réussirent à s’adapter à l’évolution, à passer de la traite des esclaves à la traite des produits, mais échouèrent à sortir du système des comptoirs côtiers, à franchir  le cap redoutable des  nouvelles technologies du commerce international, et notamment celle des transports maritimes.

            Les pages consacrées aux aventuriers font écho aux analyses pertinentes d’Headricks sur l’impact des nouvelles technologies de la médecine (quinine),des communications, et des armes, bien sûr, qui ont favorisé explorations, conquêtes coloniales, et aussi aventures. Les Blancs avaient d’autant bonne conscience qu’ils mettaient en avant le slogan des trois C de Livingstone: “ Commerce, Christianisme et Civilisation.”

            L’auteur écrit: “Si l’on compare donc la présence européenne dans les différentes parties de l’Afrique à la veille du partage, on ne peut être que frappé par des disparités géographiques extraordinaires. L’Afrique du Sud constitue une zone de peuplement blanc… comparable seulement à l’Afrique du Nord. Ailleurs, l’Afrique n’en est qu’aux balbutiements de l’apparition du Blanc dans le  monde noir, aux explorations.”(p.92) Le livre s’attarde longuement sur le cas de l’Afrique du Sud.

            Un continent de l’inconnu

            L’auteur relève qu’effectivement, l’Afrique était encore un continent à découvrir, un “continent de l’inconnu… la raison en est encore l’ignorance gigantesque de l’intérieur du continent pourtant le plus proche de l’Europe.” (p.93).

            Esprit de découverte encouragé par la curiosité et le dynamisme des sociétés de géographie. Rappel des grandes découvertes et du rôle des explorateurs les plus célèbres, Barth, Livingstone, Stanley, et Brazza.

            L’auteur note que Gallieni “ comme l’immense majorité de ses pairs à Saint Cyr, ne sait rien de l’Afrique intérieure lorsqu’il arrive au Sénégal en janvier 1877...”

            Et en ce qui concerne la mission Marchand, véritable “épopée nationaliste”, le livre observe qu’elle fut marquée par une “tache indélébile”… de violence inhérente à l’entreprise coloniale.” (p.127)

            Bible et fétiche

            Le chapitre intitulé “La Bible et le fétiche est un titre accrocheur, et c’est bien. L’histoire aborde là le sujet sensible du choc des convictions, et des cultures. L’écart était tel entre la culture occidentale et les cultures africaines qu’il était difficile à combler. Après la lutte contre l’esclavage atlantique, souvent animée par les Anglais, les missionnaires (ainsi que les autres blancs) se trouvèrent confrontés à la perpétuation d’une traite des esclaves intérieure, notamment en Afrique de l’Est, et à des coutumes, au mieux ésotériques et incompréhensibles, au pire barbares, que le livre rappelle, notamment les sacrifices  humains au Dahomey et en Ashanti. Mais quelle attitude adopter face au fétichisme existant sous de formes multiples, ou à la polygamie?

            Le livre décrit la condition des premiers missionnaires dont l’espérance de vie, sur place, ne dépassait guère trois ans (p.141).

             « La tentation missionnaire a été de tenir leurs chrétientés  à l’écart des influences délétères du monde profane et immoral des blancs (p.162), mais les missionnaires partageaient les mêmes préjugés que les autres blancs sur les noirs; leur position était, par ailleurs et souvent, ambiguë face au  pouvoir colonial. Les missions protestantes anglaises étaient beaucoup plus favorables à l’émergence d’églises indigènes que les missions catholiques.

            “Au total? Durant cette longue période des années 1820 aux années 1880…les Eglises chrétiennes s’implantèrent avec persévérance, malgré les obstacles, grâce à quelques dizaines d’hommes. Du point de vue chrétien, c’était une sorte de miracle…Du point de vue  des Africains, le succès tenait aussi au fait qu’ils avaient su saisir de ce christianisme importé qu’ils se sont approprié et y ont vu un instrument de modernité. Ce faisant, ils en ont fait aussi un instrument de contestation. Mais l’essentiel est qu’en définitive ils n’ont pas “choisi” entre la Bible et le fétichisme; ils ont ajouté l’une à l’autre. “ (p.173)

            Donc, la bible plus le fétiche!

            La parole comme enjeu: j’ajouterais volontiers la palabre, puisqu’il s’agit d’abord de cela.

            Le sujet n’est pas traité en tant que tel dans l’histoire coloniale, sauf ignorance de ma part, et à ce titre, il est novateur. Le thème est capital puisqu’il s’agit du truchement des mots et des pensées entre deux mondes qui s’ignoraient, et qui n’avaient pas grand-chose en commun à l’époque.

            Ainsi que le note l’ouvrage, la palabre avait de multiples sens, passant de la relation de pouvoir, à la négociation, à la sociabilité du groupe, à l’arbitrage, au jugement coutumier, au jeu …et s’il est vrai, comme le souligne l’auteur, que le pouvoir colonial  a fait dériver le sens du mot et de la coutume, pour les administrateurs coloniaux, le mot avait aussi un sens proche de celui que lui donnaient les Africains.

            Est-ce que le constat proposé par l’auteur: “En situation coloniale, “la palabre” devint très largement une coquille, progressivement repoussée dans le magasin des articles pittoresques, comme les “fétiches” ou les danses africaines.” ne force pas trop le trait de l’évolution? (p.208)

            Des guerres inégales: un chapitre très documenté qui met clairement en valeur la problématique de ces guerres, les enjeux respectifs, et les questions que pose leur interprétation en Afrique. L’ouvrage examine tout à tour les paramètres de la confrontation, armes, effectifs, organisation, logistique, art de la guerre…        

            Les nouvelles technologies ont donné un avantage décisif aux troupes coloniales. Les Africains leur ont le plus souvent opposé de gros effectifs et subi de lourdes pertes  humaines, mais dans quelques cas, la confrontation fut moins inégale, et prit incontestablement une allure européenne. Le livre cite le cas du Dahomey, mais au niveau d’unités plus  modestes, de l’ordre d’un ou deux bataillons, comme ce fut le cas en 1892, contre Samory, avec la prise de sa capitale, Bissandougou : les sofas de Samory y firent jeu égal avec les Français, nombre égal de fusils à tir rapide et art égal de la manoeuvre, au témoignage des officiers français.

            En 1897, à Dabala, où s’était réfugié Samory, alors pourchassé et sur le déclin, l’administrateur Nebout, en mission de contact chez l’Almamy, comptait encore près de mille fusils à tir rapide, soit encore, en équivalent, l’armement d’un ou deux bataillons.

            Guerres-batailles ou guerres de guérilla ?

            Je serais tenté de dire que pour tout classement entre “guerres-batailles et guerres de guérilla” (p.240), il conviendrait peut être de combiner les critères de niveau d’unité, d’armement, et de durée de l’affrontement. Je ne suis pas sûr que le concept de guérilla rende bien compte des confrontations les plus fréquentes, mais pas seulement africaines de l’époque, c’est à dire les “colonnes”, avec leurs accrochages successifs, l’assaut, et la prise du tata (village ou cité avec leurs fortifications), grâce au canon, “le roi des conquêtes” en pays soudanais.

            Sentiment patriotique des combattants africains ou culte du chef de la communauté? A Biassandougou, en 1892, les sofas de Samory lançaient l’assaut et mouraient en criant “Sokhona! Sokhona”, la mère qu’adorait l’Almamy.

            Enfin, deux remarques, la première partagée, la conquête coloniale n’aurait pas été possible sans le concours des Africains eux-mêmes, la deuxième, moins partagée quant à la conclusion:

            “Une chose est certaine, les Européens ne permirent jamais aux Africains de lutter à armes égales.”

            Est-ce qu’il y a eu beaucoup de guerres sans que l’initiative ne soit prise par un des deux camps assuré de disposer de la supériorité des armes?

            Il serait intéressant, par ailleurs, de savoir pourquoi des chefs de guerre africains intelligents ont le plus souvent donné la préférence à l’affrontement direct, et non indirect, en inscrivant peut être ce type de réflexion dans le registre des analyses de Victor Hanson, et de son livre « Carnage et culture » ?

            Quand le monde s’effondre L’auteur relève tout d’abord que le temps de la gestion coloniale a été un temps historique courtune cinquantaine d’années, mais qu’il a provoqué, en une génération, un profond changement, alors que les auteurs de ce bouleversement, sur le terrain, n’étaient que quelques centaines d’Européens.

            Le livre relève, comme aberrante, l’affirmation d’un « historien » à succès, d’après lequel il aurait existé un totalitarisme colonial, alors que les administrateurs coloniaux, les  rois de la brousse, les véritables leviers du changement n’ont jamais été guère plus d’une centaine, soit, en moyenne, un administrateur pour 150 000 habitants.

            Il a bien fallu que les administrateurs cherchent à connaître les africains dont ils avaient la charge, leurs cultures, leur organisation, il leur fallait les nommer, d’où la description des ethnies, sujet aujourd’hui controversé, mais comment pouvait-il en être autrement? Auraient-elles disparu de nos jours?

            Les femmes…  Et trouver des truchements, des intermédiaires, et le livre aborde là un sujet tout à fait novateur que frappe une sorte de censure historique, mais dont les historiens ne sont pas obligatoirement responsables.

            Pour avoir fréquenté de très nombreux récits d’explorations ou de conquêtes, il est exceptionnel que leurs auteurs parlent des femmes, sur un plan intime. Landeroin, l’interprète en langue arabe de la mission Marchand, évoque le sujet dans ses carnets manuscrits, mais ces carnets n’étaient peut-être pas destinés à être publiés tels quels.

            A titre anecdotique, à l’occasion de son retour de Fachoda à Djibouti, Landeroin notait lors de son séjour à Goré, en Abyssinie: “La belle pastèque, que Dieu soit loué, est revenue avec moi la nuit“. A titre anecdotique, Landeroin épousa une femme d’origine peule qu’il ramena en Touraine. Nebout, cité plus haut, épousa une femme d’origine baoulé.

            Dans ses carnets, Binger notait que refoulé de Whagadougou, en 1888, il était revenu chez le frère du chef de cette cité, qui lui avait offert trois femmes pour qu’il se marie avec elles, mais ce type d’information n’est pas très fréquent dans les récits de l’époque. (p.42)

            Il est dommage que le livre n’ait pas consacré à ce sujet quelques pages supplémentaires, faute de sources sans doute, parce qu’il en vaut la peine.

            Deux facteurs me paraissent déterminants à ce sujet, très au delà des interprétations égrillardes les plus répandues, la liberté des moeurs qui existait dans beaucoup des sociétés africaines rencontrées, et la nécessité professionnelle pour un administrateur, à côté de l’interprète ou du garde, de trouver un partenaire de confiance pour connaître et comprendre ce monde nouveau et inconnu dans lequel il se trouvait plongé.

            S’accommoder avec l’inévitable, c’est à dire la malédiction du travail forcé, dont les Européens n’étaient toutefois pas les inventeurs, une sorte de fil rouge dans la littérature, mais pour lequel il existe encore peu d’études… du portage qui fut une des plaies de la conquête, notamment en Afrique centrale, faute en partie d’une absence quasi-totale de voies de communication et de moyens de transport. Parce qu’il fallait produire.

            Soigner – Le passage consacré à la médecine coloniale est intéressant, parce qu’il touche, comme la bible, au domaine sensible des convictions; médecine rationnelle ou médecine traditionnelle, souvent celle des sorciers ou des marabouts. De toute façon, en 1914, et longtemps après, le pouvoir colonial n’était pas en mesure de la développer, étant donné qu’il n’y avait alors, en AOF, que 140 médecins, et qu’ils étaient  militaires.

             Ecoles et élites: aux origines du grand malentendu – Je me contenterai à cet égard de citer le jugement de l’auteur:

            ”Ensuite, l’école exprima dès le départ, plus manifestement que d’autres indicateurs, les contradictions de l’Etat colonial de se doter d’une classe sociale d’auxiliaires, celle des missionnaires de susciter des artisans pour de  nouvelles chrétientés, et celle des Africains de se rendre maîtres d’un outil de leur émancipation.(p.338)

            L’Afrique pendant la grande guerre – Le livre décrit la guerre sur le théâtre africain, un pan peu connu de la grande guerre et traite d’un sujet que l’auteur connaît parfaitement, l’effort de guerre colonial, l’appel à l’Afrique, le loyalisme des soldats africains. Il démonte en même temps la légende de la chair à canon, en démontrant par les chiffres, que leurs pertes étaient comparables à celles des Français, qui rappelons-le, étaient elles-mêmes considérables.

            L’évocation des rencontres et des images réciproques entre français et africains est éclairante sur la complexité des rapports entre cultures, en notant que dans beaucoup de cas, et de part et d’autre, jamais autant de personnes de race et de cultures différentes ne s’étaient déjà rencontrées.

            Mais contrairement à l’armée américaine, les Africains purent constater que l’armée française n’était pas une armée de ségrégation.

            Après la grande guerre, l’Afrique ne fut plus du tout la même.

            1916, la révolte en Haute Volta

            Pendant la guerre, l’AOF avait enregistré des refus et des révoltes, notamment, en 1916,  en Haute Volta. “La répression fut terrible et soigneusement cachée en France… Ce fut, semble-t-il, la plus importante  révolte qu’ait connue l’Afrique noire française durant la période coloniale.”(p.362)

            Les lendemains de guerre  Le livre souligne qu’après la guerre, on pouvait, encore moins qu’auparavant, comparer l’Afrique du Sud (plus la Rhodésie et le Kenya)  au reste de l’Afrique : “Plusieurs Afriques se dessinent…”; en France et en Afrique noire française, il existait un “non-dit” entre “identité et “assimilation”, qui alimente encore le débat.

            L’auteur résume:“Les sociétés colonisées d’Afrique sortirent à  la fois déstabilisées et encore plus contrôlées qu’auparavant de la période de guerre; les révoltes qui se produisirent alors marquèrent le terme presque définitif des “résistances primaires”, l’avènement réel de l’Etat colonial.” (p.395).

            Mais avec un regard nouveau de l’Europe sur ces civilisations, le “renversement que les sciences humaines opèrent après la Grande  Guerre…”, la naissance de l’africanisme, la découverte de l’art dit primitif…

            Et le contraste entre bonnes paroles et réalités     

            « Il est évidemment facile de souligner le contraste entre ces bonnes paroles et les réalités, la condescendance ou l’ignorance, quand ce n’était pas la brutalité, qui régissaient les relations entre Blancs et Noirs dans l’Afrique colonisée, à cette époque. Pour autant la construction coloniale comporta suffisamment d’aspects positifs par la suite, qu’on ne peut en nier l’ambiguïté fondamentale.” (p.408)

            Et l’auteur d’épingler “quelques idées reçues”: les Africains ne seraient “pas capables de modernité… les relations entre Africains et Européens n’auraient été que violence à sens unique…les Européens sont “coupables” de la traite, de la colonisation: “ils ont eu tort”. Certes… L’Afrique ne s’est pas défendue, elle s’est donnée…il y a une Afrique “authentique”, celle des paysans, de la “tradition” et une Afrique “pervertie”, celle des villes, des évolués...”

            Et l’historien de conclure avec le grand africaniste que fut Delafosse (un administrateur colonial) :

            “ Mais pourquoi perdre notre temps à toujours comparer les Noirs aux Blancs et les Africains aux Européens? C’est là une besogne assez vaine…” (p.411)

            En résumé, un livre dense et d’une grande honnêteté intellectuelle, dans la droite ligne des travaux du grand historien Henri Brunschwig, un livre rafraîchissant sur le plan intellectuel, parce qu’il nous sort du discours trouble et idéologique de certains livres qui flirtent trop souvent avec la mémoire, les médias, et le goût du jour, et qui surfent sur le terrain sensible de l’immigration africaine, et surtout algérienne.

            Il serait sans doute  intéressant de connaître l’accueil que les historiens africains feront à l’ouvrage

Jean Pierre Renaud