Gallieni et Lyautey, ces inconnus! A Tananarive, le 15 octobre 1896, la « main lourde » de Gallieni

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Madagascar

Présentation générale sur le blog du 24 novembre 2012

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Le   15 octobre 1896, à Tananarive, « la main lourde » de Gallieni

Une clé pour comprendre l’histoire actuelle de Madagascar ?

            Nous avons déjà évoqué sur le blog des 15 avril et 21 avril 2011, cet épisode de la conquête de Madagascar, qui se prête naturellement à toutes les interprétations historiques.

            Pourquoi revenir sur un tel épisode ? Parce qu’il me parait représenter un excellent exemple de l’amateurisme de la politique coloniale de la Troisième République, servi dans le cas d’espèce par un acteur de terrain, le général Gallieni, un des meilleurs officiers de nos aventures coloniales de l’époque.

            Revenir aussi sur ce sujet, parce qu’il n’est pas interdit de s’interroger sur les causes profondes des  crises politiques et institutionnelles successives que connait ce pays, depuis une quarantaine d’années, entre autres peut-être celle de la suppression de la monarchie merina, laquelle a suivi rapidement l’épisode historique rapporté.

            Nous évoquerons brièvement  ce type de problématique des causes dans la conclusion, en précisant que je n’ai jamais nourri de fibre monarchique.

            C’est à partir du livre tout à fait curieux et intéressant du professeur Gautier, intitulé « Les trois héros » que le sujet a déjà été traité.

            Comme nous l’avions indiqué, ce titre mettait sur le même plan, le général Laperrine, le père de Foucauld, et le ministre de l’Intérieur, M Rainadriamanpandry que fit fusiller Gallieni. M.Gautier avait servi un temps au cabinet du Gouverneur général Gallieni où il avait  côtoyé et appris à connaître le ministre de l’Intérieur.

            Il est difficile de ne pas interpréter cette mise en parallèle, sur le même plan de l’évocation historique,  de trois personnages aussi différents dans leur parcours de vie, dont deux d’entre eux s’étaient illustrés au Sahara, comme la reconnaissance posthume d’un des grands seigneurs de la noblesse malgache qui avait eu le courage de résister à la nouvelle puissance coloniale, au prix du sacrifice de sa vie.

            Le professeur Gautier le nommait « Le prince de la paix »

            M.Gautier devint un des spécialistes de la géographie du Sahara.

            Rappelons que le ministre de l’Intérieur, alors gouverneur à Tamatave, s’était opposé avec succès à la première tentative de débarquement sur la côte est en 1885.

            Le général Gallieni eut l’occasion d’expliquer les raisons de cette exécution dans une lettre qu’il adressa à M.Grandidier (1) :

« Tananarive, 25 octobre 1896,

Mon cher Monsieur Grandidier,

Je vous remercie beaucoup de votre aimable lettre. J’ai besoin, pour faire face à ma rude tâche, de l’encouragement de ceux, qui, comme vous connaissent si bien Madagascar et les difficultés de la situation actuelle. Comme je vous le disais précédemment, arrivant dans un pays qui m’était inconnu, au milieu de circonstances des plus critiques, j’ai commencé par être effrayé et par douter réellement que l’on pût tout remettre en place. Aujourd’hui, depuis 20 jours que j’ai pris la direction des affaires et que j’ai commencé à me rendre compte sur place de la situation, j’ai meilleur espoir et je pense que je parviendrai à nous sortir de la mauvaise passe où nous sommes. Mais nous ne pouvons espérer obtenir ce résultat en quelques jours, par suite des grosses fautes commises et de l’anarchie réellement extraordinaire que j’ai trouvée partout ici.

…L’Imerina a été divisée en centres militaires correspondant autant que possible aux districts indigènes ; à la tête de chacun d’eux se trouve un officier supérieur, ayant tous les pouvoirs civils et militaires, secondé par les autorités hovas, placées sous ses ordres. Pour contenir l’insurrection, une première ligne de postes a été établie à 15 kilomètres autour de Tananarive… Cela fait, nos postes se porteront en avant, de manière à élargir la zone pacifiée et à ne mettre une jambe en l’air que lorsque l’autre est bien assise. On arrivera ainsi peu à peu aux limites de l’Imerina . Même programme est adopté pour le Betsileo, avec Fianarantsoa comme centre

            Ce système vaut mieux que celui des colonnes mobiles poussées au loin qui avaient peu d’effet contre un ennemi aussi insaisissable que les Fahavalo. Dès qu’elles rentraient, ceux-ci revenaient sur leurs talons et massacraient les habitants.

En même temps, j’ai demandé au gouvernement malgache qu’il fallait qu’il change son attitude. J’ai conservé la reine, parce que Ranavalonana a sur les populations un réel prestige, que je compte utiliser. Mais j’ai prié le premier ministre de donner sa démission et j’ai traduit devant le conseil de guerre Rainandriampandry, ministre de l’Intérieur, et le prince Ratsimamanga, oncle de la reine, contre lesquels il existait des preuves de culpabilité suffisantes : ils ont été condamnés à mort et fusillés le 15 octobre. De plus, j’ai exilé à Sainte Marie la princesse Ramasindransana, tante de la reine. Les biens de tous ces personnages ont été confisqués. Enfin, tous les officiers, cadets de la reine, ont été envoyés dans les campagnes environnantes avec mission de rappeler les habitants, sous peine d’être rendus responsables, eux et leurs familles, des nouveaux troubles autour de Tananarive…

En dehors de l’Imerina, les instructions aux résidents et officiers sont différentes. Elles se résument en ceci : détruire l’hégémonie hova en constituant avec chaque peuplade un état séparé, administré par un chef nommé par nous et contrôlé par nous…

Telles sont les premières mesures prises et sur lesquelles je n’ai pas le temps de m’étendre plus longtemps. Par exemple, je ne me préoccupe, ni des textes, ni des règlements. Je vais droit au but général : ramener la paix ; franciser l’île et donner le plus grand appui possible à la colonisation française. Si je ne suis pas approuvé, je rentrerai… » (Lettres de Madagascar, page 14 –  Société d’Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales – Paris 1928)

            Commentaire :

            Les caractères gras sont de ma main

M.Grandidier (1), naturaliste, après y avoir effectué un long séjour, avait publié un ouvrage scientifique de type encyclopédique sur la grande île. Il était alors considéré comme la principale autorité scientifique pour tout ce qui touchait Madagascar

            Ce texte a le mérite de la clarté : le gouvernement envoie le proconsul Gallieni à Madagascar pour y rétablir l’ordre, sans avoir encore une idée précise sur la destinée coloniale de ce nouveau territoire, et le général met en œuvre la méthode militaire et civile qu’il estime la plus appropriée, sans trop s’embarrasser  d’autres considérations, car c’est au fond ce qu’on lui demande de faire.

Dans cette lettre, il avoue qu’il débarque dans un pays qui lui était inconnu, et c’est toute la problématique de la politique coloniale française qui est ainsi mise en question, car le gouvernement français a pris lui aussi une décision d’expédition sans mieux connaitre ce nouveau pays, et sans avoir encore d’idée précise sur le statut de cette nouvelle conquête.

Le ministre Hanotaux est à la manœuvre, sans avoir en définitive une position claire sur les destinées de Madagascar, nouvelle colonie ou nouveau protectorat ?

Il fit voter par la Chambre des Députés  l’annexion de Madagascar qui devint donc une colonie, laquelle eut, jusqu’à la déposition de la reine Ravalonana, la particularité de faire partie de la République, tout en étant encore une monarchie

Concrètement, et sur le terrain, compte tenu des grandes difficultés de communication entre l’île et la métropole, le proconsul républicain usa pleinement de ces dernières pour déposer la reine.

Les échanges de courrier entre Paris et Tananarive mettaient alors plusieurs semaines, et « Le général Gallieni n’eut d’accès direct au câble de Majunga que le 29 juillet 1897, date à laquelle une ligne télégraphique relia ce port à Tananarive.

Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » (editionsjpr.com), j’ai longuement analysé cette problématique des communications coloniales, afin de déterminer où se situaient les fameux « faits accomplis »  au cours des conquêtes coloniales du Soudan, du Tonkin, et de Madagascar.

Historiquement, il est possible de dire qu’il aurait été bien préférable de s’appuyer sur la monarchie hova qui disposait déjà, sur la plus grande partie du territoire d’un embryon d’administration, plutôt que de vouloir y substituer une administration directe qui ne disait pas son nom.

Comme nous l’avons vu, pour l’Indochine, le même débat divisait les coloniaux, alors que l’Empire d’Annam disposait d’une administration mandarinale qui n’avait rien à voir avec l’administration hova, c’est vrai, mais en oubliant que le symbole monarchique était au moins aussi fort, sinon plus, à Madagascar qu’en Indochine.

Nous avons d’ailleurs cité sur ce blog un extrait de lettre dans lequel Lyautey prônait le respect des institutions de la monarchie annamite, mais ce dernier n’avait pas la fibre républicaine de Gallieni.

Lyautey prit son commandement, alors que la partie était déjà jouée, et il n’est pas sûr du tout, s’il avait eu son mot à dire,  qu’il ait adopté la ligne Gallieni, mais on ne refait pas l’histoire, sauf dans certains ouvrages à la mode.

La « main lourde »

Dans une lettre datée du 6 février 1899, Gallieni revient sur cette exécution qu’il entérina quelques semaines seulement après son arrivée à Tananarive :

« Mon cher Secrétaire général (1),

…J’examine maintenant les divers points sur lesquels vous avez été assez bon pour appeler mon attention. Certainement, les mesures de bienveillance sont bonnes vis-à-vis des indigènes, mais à la condition formelle qu’elles ne dégénèrent pas en faiblesse. Si mon prédécesseur avait été moins faible vis-à-vis des Hovas, je n’aurais pas eu à prendre les mesures de rigueur, que quelques personnes m’ont reprochées et, surtout, nos troupes n’auraient pas eu à faire cette pénible campagne d’hivernage 1896-1897, qui a fini par rejeter les bandes insurgées en dehors de l’Imerina, mais nous a coûté les pertes les plus sérieuses. Avec les indigènes de nos colonies, que nous ne tenons qu’avec des forces européennes insuffisantes, il faut toujours, sinon être, du moins paraître les plus forts. Le jour où cette conviction n’existe plus dans leur esprit, surtout à Madagascar, où nous avons contre nous tant d’éléments d’opposition, Anglais, Mauriciens, Indiens, Arabes, les habitants se soulèvent, surtout à l’origine de toute nouvelle conquête.

Lors de mon arrivée à Tananarive, en présence de la gravité de la situation, de l’incendie qui se propageait partout, j’ai dû avoir la main lourde. Dès que je me suis senti maître de cette situation, j’ai eu recours à la douceur, à la persuasion, à la bienveillance. J’ai gracié des bandits, des assassins, qui auraient mérité cent fois la mort. Mais je pouvais être faible et je peux l’être encore maintenant parce que les Hovas savent que je sais être ferme, quand il le faut. Le peloton d’exécution ne s’est pas réuni une seule fois à Tananarive, depuis février 1897… » (Lettres de Madagascar, pages 45 et 46) (1) J.Chailley était alors secrétaire général d’un des groupes de pression  coloniaux, l’Union Coloniale)

La justification rétroactive de cette exécution  de la part de Lyautey, à l’occasion de l’évocation de la reddition du chef Rabezavana, objet du prochain chapitre :

« Au bivouac, Antsigimialoha, 100 kilomètres, de la côte Ouest, à hauteur de Maintirano, le 1°août 1898

Bien cher ami (Paul Desjardins)(1),

… Je n’ai pas ici le temps de vous refaire l’histoire détaillée et véridique de de qui qu’il a conté là. Tout ce qui s’est écoulé depuis, tous les papiers trouvés chez les chefs de l’insurrection et, pour ce qui me concerne, les révélations très curieuses que j’ai reçues de Rabezavana et des autres chefs  qui m’ont par la suite fait leur soumission, ont prouvé que le Général ne s’est pas trompé d’adresse, notamment en ce qui concerne Rainandriamanpandry, dont j’ai trouvé la main contre nous.

Bref, c’est du jour de cette exécution que nous tenons l’Emyrne, et elle a certainement épargné des milliers de vies humaines…

Mais je vous rase, mon cher ami, et vraiment le lieu est singulièrement choisi : je suis blotti sous ma tente, dans une gorge sauvage et pittoresque de la chaine du Bemahara, tandis que l’orage est déchaîné et que la pluie et le vent secouent ma « maison » de quelques heures…. » (Lettres du Tonkin et de Madagascar, page 595)-(1) Paul Desjardins, journaliste et homme de lettres, ami de Lyautey

Pas d’autre commentaire ! Sauf quatre, très courts : un, il ne faut jamais oublier que Madagascar couvre une superficie plus grande que celle de la France, deux, qu’il n’existait alors aucune voie de communication entre la côte et les plateaux, et entre les différentes provinces, trois que le général Gallieni était alors coupé de toute communication rapide avec le gouvernement.

Quatre, qu’un ministre des Colonies avait parfaitement résumé ce type de problématique coloniale, à l’occasion d’un débat à la Chambre des Députés, en déclarant : « Les événements ont marché »

Parmi les causes des crises successives que connait Madagascar depuis une quarantaine d’années, il est difficile de ne pas évoquer cette opération chirurgicale qui a privé la grande île de la seule institution, hors les églises , capable de proposer une sorte de mythe unitaire qui répondait bien à la culture du pouvoir et des ancêtres de ses habitants.

Pour ne citer qu’un seul exemple du rayonnement de ce type de monarchie, la célébration annuelle du fandroana, le bain sacré de la reine : une fois sortie de son bain, la foule était aspergée de l’eau « lustrale ».

Parmi les autres causes, la colonisation bien sûr qui n’a pas toujours favorisé un processus institutionnel unitaire, l’ingérence de groupes de pression étrangers ou crypto-étrangers, qu’il s’agisse du gouvernement français ou de groupes d’intérêt réunionnais, indien, ou chinois…, des ingérences permanentes des églises ou de l’armée dans le fonctionnement du pouvoir malgache, et peut-être tout simplement une culture malgache avant tout tournée vers la famille, plus que vers le national, une culture que le clientélisme, c’est-à-dire les gros sous, a gravement polluée.

Jean Pierre Renaud