Conclusions (2)
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Les images coloniales
Presque tout dit, pas complètement en effet, parce que l’image coloniale est entrée en scène au Colloque de janvier 1993, auquel l’historien Ageron participait d’ailleurs. L’image, avec toutes les questions de méthodologie qu’elle soulevait, parallèlement à celles des textes, avec la spécificité de son interprétation, domaine de prédilection des sémiologues, lesquels dans le sillage de Barthes, ont aidé à la constitution de cette nouvelle discipline, profession complètement ignorée, semble-t-il, de ces chercheurs.
Le Colloque de janvier 1993 avait posé de bonnes questions de méthode pour aborder le nouveau sujet des images, alors que l’introduction ambiguë des Actes du Colloque cadrait déjà le sujet, en considérant comme des faits acquis, des postulats historiques déjà démontrés, le bain colonial, la multitude des images, l’image, allié puissant du colonialisme, tout en écrivant, contradictoirement, que :
« L’étude du thème colonial dans la production iconographique du XXème siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation reste à faire. é
Et plus loin :
« Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été vues par les Français. «
Ce qui n’est pas vrai, car il n’y a jamais eu d’évaluation de cette diffusion.
La synthèse de la partie du colloque consacrée au thème Images et Messages était beaucoup plus nuancée et prudente, en abordant le problème des discours de la méthode :
« Plusieurs intervenants ont rappelé, même sans insister outre mesure, le fait que l’iconographie coloniale ne représentait qu’une quantité modique, voire infime, de la production iconographique dans la France du XXème siècle. Daniel Rivet remarquait en introduction que les « grands hommes » de la colonisation passionnaient visiblement moins le grand public que les « grands hommes » tout court ! Quant à Laurent Gervereau, il signalait en conclusion que les affiches politiques sur la colonisation ne constituaient qu’un pourcentage minime du corpus global. Pour être iconoclastes, dans la mesure où elles amènent à nuancer l’idée d’une propagande massive et tous azimuts sur l’Afrique coloniale, ces affirmations ne doivent pas surprendre. En effet, elles rappellent que la recherche sur un point précis produit souvent un phénomène de loupe à l’issue duquel on peut être amené à exagérer l’importance relative du fait étudié. (C/55)
D’un point de vue plus général, l’ensemble des intervenants a rappelé combien délicat est le décryptage iconographique.
Ils déplorent l’absence d’une méthode éprouvée qui, pour le commentaire de texte, permette non seulement de décrire l’image mais encore de l’analyser. « (C/57)
Et dans la synthèse des actes relatifs au thème Arts et Séductions, et à propos de la contribution de Gilles Boëstch, intitulée : La Mauresque aux seins nus : L’imaginaire érotique colonial dans la carte postale, Barbara Boëm rappelait les observations de l’historien Debost, sur la méthode d’analyse des images, et notamment :
« Je pense donc que le travail d’analyse sur cette fiction, le décodage des messages, ne peuvent se faire que si nous maîtrisons parfaitement l’histoire des systèmes de représentation, la sémantique, l’icologie (sic). » (C/58)
Ces textes sont intéressants, mais ils suscitent naturellement beaucoup de questions.
J’aurais souhaité, en ce qui me concerne, que les propos du Colloque aient été beaucoup plus iconoclastes, car ces bons conseils et ces saines mises en garde ne semblent pas avoir été beaucoup entendues par nos chercheurs : mesure des corpus, effet de loupe, interprétation des images. Appartient-il à un historien de se lancer dans l’interprétation des images ?
L’exposition Négripub (1987) a fait l’objet d’un commentaire savant, mais idéologiquement orienté, alors que le corpus examiné était on ne peut plus réduit, par rapport au tirage enregistré à la BNF, à la même époque.
Le chapitre Affiches a permis de constater qu’il était possible de faire dire n’importe quoi à une affiche, notamment à propos de la fameuse affiche de publicité du parfum d’Yves Saint Laurent.
Il faut donc ouvrir le chantier des images coloniales aux sémiologues, d’autant plus que beaucoup d’entre elles sont purement et simplement des images publicitaires, et non des images de propagande en tant que telles.
Ou alors, il faut dire qu’une affiche de chocolat, de rhum, ou de banane, est par nature une affiche de propagande coloniale.
Le discours de ce collectif de chercheurs fait apparaître une grande ambiguïté dans l’analyse, sans qu’on sache si elle porte sur l’image ou sur le texte, sur une image de propagande ou sur une image publicitaire, sur une image de propagande ou sur une image artistique.
La même difficulté a été notée dans l’interprétation des films dits coloniaux, d’autant plus grande, qu’en grande majorité, ils concernaient le Maghreb. Laisser croire que les films tournés au Maghreb, et surtout au Maroc, avec de nombreux réalisateurs étrangers sont des films coloniaux est une tromperie intellectuelle.
Leur discours mémoriel n’apporte pas de réponses aux questions qui étaient posées dans le prologue sur les méthodes de lecture des images, et d’ailleurs parfaitement exposées dans certaines communications du Colloque de 1993.
En ce qui concerne l’interprétation des images coloniales, aucun progrès n’a donc été enregistré, entre 1993 et 2003. Où sont donc passés les sémiologues ? Est-ce que nos chercheurs en connaissent l’existence ?
Concrètement, les méthodes improvisées, mais orientées, de lecture et d’interprétation des images coloniales, risquent de déboucher sur une nouvelle querelle des images religieuses qui a connu de beaux jours sous l’Empire de Byzance, aux huitième et neuvième siècles, avec la lutte de l’Eglise contre les sectes iconoclastes, iconoclastes contre idolâtres.